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SAINT-MAURICE, abbé de Langonnet |
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Saint-Maurice, abbé de Langonnet et fondateur de Carnoët.
Il nous est impossible de préciser les circonstances de la fondation de Langonnet, ni la succession des premiers abbés, faute de documents. Nous sommes plus heureux toutefois en ce qui concerne saint Maurice, dont la vie fut écrite par un contemporain demeuré anonyme [Note : Ce précieux document, resté longtemps ignoré, fut découvert par Dom Plaine, O. S. B., en 1878, dans la Bibliothèque de Troyes, sur une copie du XVème siècle, provenant du fonds de Clairvaux. — Man. 763, de onze pages, avec 37 lignes en moyenne, fol. 18 à 23. Il le publia dans le Studien Mitteilungen, des bénédictins allemands. 1886. C'est la Vita prima. Le fonds des Blancs-Manteaux, à la Bibliothèque Nationale, conserve une autre biographie connue sous le nom de vita secunda. Lat. 16, 817, fol. 104 et seq. Copie sur papier, petit in-folio, de la fin du XVIème ou de la première moitié du XVIIème siècle, d'une écriture presque indéchiffrable. Ce document a été attribué, on ne sait trop pourquoi, à Guillaume, qui fut abbé de Carnoët (1323). De fait c'est un fragment de panégyrique, qui ne paraît pas antérieur à l'union de la Bretagne au royaume de France] et qui, après avoir été son collègue dans l'enseignement, le suivit en religion, et lui survécut quelques années.
A l'époque où Bernard et ses fidèles compagnons entreprenaient la fondation de Clairvaux, naissait bien loin
de là, dans une chaumière de paysans, celui qui devait être la gloire de la
famille Cistercienne en pays breton. Ce fut vers 1115 [Note : La date de la
naissance ne peut être précisée de manière absolue : on hésite entre 1113 ou
1114 ; peut-être aussi bien 1115, puisque la vita
secunda affirme que le Saint décéda le 29 septembre 1191, à l'âge de 76
ans] dans un petit village situé entre Loudéac et Pontivy. Maurice était fils d'un laboureur appelé Duault ;
un nom qui se retrouve aujourd'hui dans la même région.
Le duché de Bretagne jouissait de la paix, sous la sage administration de la Bienheureuse Ermengarde. Conan III atteignait sa majorité, tandis que son père, le vaillant croisé, achevait sa carrière dans la retraite, auprès des bénédictins de Redon.
Par ses origines, Maurice appartient à la région du Porhoët, — par contraction de Pou-tre-Koët, pays sous bois ou à travers bois : pagus trans sylvam ; appelé aussi le pays tranquille : pagus placatus. — Cette sylve profonde formait la partie orientale de l'antique Brocéliande, à la fabuleuse renommée :
Brécheliant,
Dont Bretons vont
souvent fablant...
Une forêt mult lunge et lée,
Qui en Bretagne est mult loée.
Là, soit l'en les fées veir
Et altres merveilles plusors....
Forêt magique qui couvrait tout le centre de la Province : de Fougères à Quintin et Corlay ; de Dinan à Redon, jusqu'au Faouët et Priziac ; sur trente-quatre lieues de long, et quinze de largeur moyenne. Elle fut considérée de tout temps comme le domaine attitré des Druides et des fées.
« 0 bois d'enchantement, forêt de Brécilien,
..........
vallon, source féconde,
Où se sont abreuvés tous les hardes du monde ».
BRIZEUX.
Les comtes de Rennes y avaient fondé, pour quelque cadet de leur famille, un domaine appelé Poutrecoët, d'où l'on a fait Porhoët. Le premier vicomte de Porhoët, qui apparaît dans l'histoire vers 1008 est Guéthénoc, fondateur du château de Josselin et de la chapelle du Roncier [Note : Guéthénoc. vicomte de Porhoët, fils cadet de Jutaël, comte de Rennes, « vir multae nobilitatis et sagacitatis Guethonoeus vicecomes. ». Il habitait le manoir de Château-Tro (paroisse de Guilliers). Son fils. Josselin, acheva le château qui porte son nom. Eudon Ier laissa en apanage à son fils Alain une partie du domaine et fit construire pour lui le château de Rohan. (1103). — (MAX NICOL, : Notre-Dame du Roncier)], mais la race doit surtout son renom au « célèbre Eudon, généreux bienfaiteur des communautés religieuses, vaillant guerrier qui devait soutenir, à plusieurs reprises, l'honneur de la Bretagne contre la rapacité anglaise des Plantagenets ».
A vrai dire, quand Maurice vint au monde, son pays natal venait d'être détaché de la vicomté, ou du moins la séparation était sur le point de se faire, alors que la région se trouvait gouvernée par les fils d'Eudon Ier : Josselin, Geoffroy et Alain, fondateur de la seigneurie de Rohan (1103). Le village de Groshauëc, habité par les Duault, se trouvait précisément dans cette fraction du Porhoët qui s'étendait jusqu'à l'Oust et dépendait du diocèse de Vannes ; il n'était alors qu'une simple trève de Sainte-Noyale, et n'apparaîtra comme paroisse, sous le nom de Croixanvec, qu'en 1387 seulement [Note : Certains ont pensé que le centre paroissial se trouvait autrefois au hameau de Ste-Noyale. « On sait, en effet, par les archives du Chapitre, que cette paroisse s'appelait jadis Noyalguen et qu'elle portait encore ce nom, en 1387. On peut présumer que l'église paroissiale tombant de vétusté, on aura profité de cette occasion, vers 1420, pour transférer le service religieux au bourg actuel de Noyal, qui est plus central ». (Chanoine LE MÉNÉ : « Histoire des Paroisses du Diocèse de Vannes », tome II, p. 62.) La Chapelle actuelle Santez-Noalen, en forme de croix latine, fut commencée en 1423. Quoi qu'il en soit, le nom même de Noyal paraît antérieur à l'époque gallo-romaine. « Les noms de lieu terminés par le suffixe OIALOS, latinisé en OIALUS ou OIALUM, devaient être très répandus en Gaule ». (LONGNON : « Les noms de lieux en France », Fasc. I, p. 185). Le bourg actuel de Noyal semble bien réunir toutes les conditions d'un chef-lieu de plou : « Les chefs-lieux de paroisses, dit M. René Largillière, sont toujours sur des plateaux ; ils ne sont pas nécessairement au centre. Si la paroisse est côtière, le chef-lieu est loin de la mer... jamais sur une rivière ». Enfin, le bourg n'est pas un endroit naturellement fort ; il est un point quelconque du plateau. (RENÉ LARGILLIÈRE : « Les Saints Bretons », p. 178, Rennes. Plihon. 1925)]. Et ce n'est point la gloire d'avoir donné le jour à saint Maurice qui lui valut ce privilège; mais bien, semble-t-il, une fondation faite par les Templiers ou par les chevaliers de St-Jean de Jérusalem, car le patron primitif de l'église fut saint Jean-Baptiste.
Noyal ou Noula est sûrement une très ancienne paroisse, qui est antérieure à l'apparition de la Sainte locale, ainsi que l'admet M. de la Borderie. D'ailleurs, à l'époque de saint Gonnéry, il est déjà question d'un certain Alrandus, seigneur du territoire de Noyal. C'était un siècle avant la Sainte qui a pris le nom de la localité [Note : Au XIVème siècle, en 1330 et 1387, nous trouvons Noyal-Guen ou Guennoal ; or, dit M. J. Loth : « Guen ne signifie pas seulement blanc, mais aussi bienheureux, saint, en breton comme en gallois. On a affaire à une sainte Guen de Noyal ou tout simplement à la Sainte de Noyal ; dans ce dernier cas. Guen signifierait blanche, c'est-à-dire vierge, par sa candeur, d'où la vierge de Noyal ». Ajoutons qu'une sainte Noyale, vierge et martyre, venue d'Angleterre au pays de Vannes, et mise à mort par un certain Nizan, dont elle refusait d'être l'épouse, est vénérée dans plusieurs paroisses de Bretagne]. D'abord vénérée à la chapelle de Santez-Noaluen, dans un bas-fond quasi marécageux, elle vit son culte s'établir à la bourgade voisine, qui semble bien avoir été de tout temps la chef-lieu civil et religieux de la contrée. Le château de Noyal fut habité, au Moyen-âge, par les de la Ville-Audrain. C'est là, près de castel, que se tenaient les foires et les plaids généraux ; le Clandy ou maladrerie se trouvait à 800 mètres du bourg. A cette époque, la paroisse comprenait les trèves de Gueltas, Kerfourn, Croixanvec, St-Géran et St-Gonnéry.
Maurice était dans sa neuvième année, nous dit la tradition, quand ses parents allèrent s'établir au diocèse de St-Brieuc, de l'autre côté de l'Oust, qui arrose Rohan, Josselin et Malestroit, avant de se perdre dans la Vilaine, un peu au-dessous de Redon.
De fait, la distance n'était pas très grande : une lieue tout au plus entre Croixanvec et le nouveau village, qui a pris le nom de St-Maurice au pays de Loudéac. La résidence des Duault [Note : La chapelle dédiée à saint Maurice fut érigée, dit-on, sur l'emplacement de la chaumière habitée par les Duault. L'édifice actuel qui porte la date de 1779, est le résultat de nombreuses transformations, qui lui ont enlevé malheureusement tout cachet architectural. On a lieu de penser que l'oratoire primitif fut placé sous le vocable de l'Apôtre saint Pierre qui, plus tard, a cédé le pas à notre saint Maurice, auquel ou adjoignit son homonyme, le soldat. Cette chapelle fut sans doute confiée aux religieux de l'abbaye de Lenténac (ou Lantenac), qui se trouve à neuf kilomètres de Loudéac, près des ruines du vieux château de La Chèze, et devint le siège d'un prieuré. Plusieurs documents fort anciens mentionnent le village et la lande de St-Maurice. La motte féodale de La Chèze, avec son donjon de bois, fut remplacée par une véritable forteresse avant 1149] se trouvait à six ou sept kilomètres de la bourgade principale, à l'est de la rivière dans la juridiction de La Chèze qui relevait de l'ancien Porhoët, alors régi par Geoffroy (1116-1142) qui épousa la princesse Harvoise. Il succédait à Josselin II dit Josétho, fondateur de l'abbaye de Josselin, qui s'était fait bénédictin en 1116. Plus tard vers 1149, lors de la fondation de l'abbaye de Lentenac, Eudon II donnera aux moines toute l'étendue de sa terre de Loudéac, avec le moulin de Trémuson, etc.
De la ferme paternelle, le petit Maurice n'avait que quelques pas à faire pour arriver à ce moulin ; il pouvait avec ses camarades, prendre librement ses ébats dans la riante vallée de l'Oust et se livrer au plaisir de la pêche. Sa pieuse mère le conduisit plus d'une fois sûrement à la chapelle de St-Maudan, d'où il pouvait apercevoir une partie de sa paroisse natale, la grande Ste-Noyale.
Le petit Maurice, qui avait suivi de bonne heure sa famille au territoire de Loudéac, a été considéré par les historiens — qui ne connaissent point le texte de la Vita prima — comme un Loudéacien d'origine. C'est là qu'on le vit croître en âge et en sagesse, avec un harmonieux ensemble de qualités qui le faisaient estimer de tous.
« Dès le premier âge, sa vie fut un modèle ; il se rendit agréable au Christ, n'ayant rien de puéril dans sa conduite ; avec le cours des années, sa modestie s'épanouissait ainsi que sa vertu et son amour de la piété. Joignant le mieux au bien, et au mieux le parfait, il amassait en son cœur des trésors de vertu » [Note : Exemplar morum fuit hic puerilibus annis ; - Gratus erat Christo, nil puerile gerens ; - Quo crescente simul morum crescebat honestas, - Crescebat virtus et pietatis amor. - Hic meliora, bonis, melioribus optima jungens, - Virtutum sacras accumulabat opes (Vita prima. — Prologus)].
A ces heureuses dispositions s'adjoignit de très bonne heure une grande ardeur à s'instruire. Animé par cet amour de l'étude, Maurice se rendait chaque jour à l'école et il se faisait remarquer entre tous ses camarades, par sa constante application non moins que par ses talents hors ligne. La légende populaire a consacré le souvenir de cette enfance merveilleuse.
On a pu demander comment le fils de pauvres compagnards trouva le moyen de poursuivre ses études, à cette époque reculée où les communications étaient loin de rendre aisée l'éducation de la jeunesse. Nous ignorons quelle fut sur ce point le rôle des parents, bien que la complainte dise en son naïf langage : Peu fortunés, ils vont faire pour ses études - Sacrifices d'argent, greffés d'inquiétude.
On parlait sans doute le breton dans la vallée de l'Oust, qui fut peuplée, bien avant l'an Mille, par les descendants des émigrés de la Grande-Bretagne, mêlés à quelques rares familles de sang gallo-romain. En tout cas, les Duault qui venaient de l'autre bord, utilisant sûrement la vieille langue celtique et tout porte à croire que l'enfant, sur les genoux de sa mère, apprit à prier Dieu dans le dialecte vannetais. La tradition locale veut que le jeune Maurice ait étudié d'abord à Loudéac ; elle prétend même indiquer le site de l'ancienne école sur la route de Pontivy. Il n'est pas improbable, en effet, qu'il y ait eu dès cette époque une école presbytérale.
Bourgade d'origine gallo-romaine, Loudéac était déjà un centre de quelqu'importance, aussi bien par l'étendue de son territoire que par le chiffre de sa population. Sans être une ville close, elle possédait pourtant sa motte féodale, entourée de douves profondes et défendue par une enceinte de pieux, à l'entrée de la rue Moncontour, où s'éleva beaucoup plus tard le château des Rohan. La paroisse qui est signalée dès 1055 et 1059, dans le Cartulaire de Redon — avec Plumieux, Noyal, Neulliac, etc. — étendait sa juridiction sur toute la région forestière environnante, habitée en partie seulement [Note : L'ancienne paroisse occupait la presque totalité du plateau compris entre le cours de l'Oust et celui du Lié : c'est-à-dire les territoires formés aujourd'hui par Loudéac, La Motte. Graces-Uzel, St-Hervé. St-Barnabé et probablement aussi La Prénessaye, Trévé. St-Thélo et Cadélac, qui furent érigés en paroisses après 1120. Cela est certain pour Cadélac et St-Thélo : fort probable pour Trévé et La Prénessaye, dit l'abbé Texier, à qui nous devons ces précieux détails historiques] du côté du vieux Loudéac et de St-Barnabé. Il existait dès lors un centre intellectuel, car les officiers de justice étaient nombreux, ainsi que ceux de la forêt ; militaires et colons avaient des fils à instruire. D'autre part, le Chapitre de St-Brieuc, grand décimateur de la paroisse de Loudéac, formait des agents pour tenir sa comptabilité et gérer ses domaines. Les prêtres résidents ne pouvaient se désintéresser de l'instruction des enfants et du recrutement des clercs. Tout porte à croire cependant que les écoles populaires s'établirent de préférence à proximité des abbayes et des prieurés ; les moines ayant plus que le clergé séculier le loisir de se livrer à la tâche absorbante de l'enseignement. Puisqu'ils commençaient à rayonner dans la contrée, ils n'est point téméraire de supposer qu'ils furent les plus ardents promoteurs de l'éducation parmi le peuple des campagnes.
« Le zèle, dont firent preuve les comtes de Porhoët pour multiplier les établissements religieux et soutenir leur fondation, ne doit point nous surprendre, dit Monsieur du Halgoët. Les moines étaient les seuls éducateurs de cette population primitive. Par eux, en Bretagne, comme dans toute la France, se préparait le beau mouvement agricole, artistique et littéraire des douzième et treizième siècles » — (Essai sur le Porhët, p. 31).
Les grands seigneurs de ce temps-là entretenaient à leur cour des grammairiens ; les évêques s'entouraient de scolastiques et de primiciers, sous la direction du grand Ecolâtre, charge importante, qui conduisait assez souvent à l'épiscopat.
Sans doute, l'abbaye de Lentenac (Lantenac) n'existait pas encore, mais de nombreux prieurés [Note : Vers 1050, on signale déjà des prieurés de la Trinité, de Bodieuc en Mohon, de St-Laud en Plumieux. En 1128, des chapelles sont régulièrement desservies à La Ferrière, à Lentenac, près de La Chèze... On peut faire remonter à la même époque le prieuré de St-Sauveur de Loudéac, situé à St-Sauveur-le-Haut, sur le Lié, aujourd'hui en la Prénessaye. Il y avait déjà des prêtres-résidents à St-Gonéry, Gueltas et St-Caradec...] parsemaient le Porhoët. D'ordinaire, ils étaient créés en dehors des bourgs, de sorte que les moines, loin d'usurper la place des séculiers, venaient au contraire leur apporter un précieux concours, en prenant la charge du ministère auprès des populations rurales éloignées du chef-lieu.
Les Bénédictins, favorisés par Josselin II dit Josétho, et par ses successeurs, occupaient le prieuré de Lanouée, qui remonte au temps de l'évêque Morvan (+ en 1128) ; et, d'autre part, à moins de deux lieues du village où grandissait Maurice, un autre prieuré, celui de Rohan, venait d'être fondé en 1127.
L'enfant avait alors une douzaine d'années ; le curé de Loudéac, ayant remarqué sa gentillesse, sa piété et sa mine éveillée, eut sans doute l'heureuse inspiration de lui enseigner les premiers rudiments, puis de le confier aux fils de St-Benoit. Les hagiographes modernes ont affirmé que le jeune Duault alla, dans la suite, à Paris, pour y suivre les cours de l'Université ; et qu'il en revint avec le titre de Docteur [Note : On a retrouvé, en 1888, dans l'église de Noyal-Pontivy, une fresque datée de 1572. On y voit : 1° Comment le père de Maurice lui donna de l'argent pour étudier à Paris ; 2° Comment saint Maurice étudia si bien qu'il fut digne d'être Docteur ; 3° Comment saint Maurice refusa le bonnet et le titre de Docteur par humilitée (sic). — Cette tradition s'appuie évidemment sur le texte suivant de la vita secunda : « plenam ac sufficientem scientiam assecutus, magisterii (meruit) dignitate fulgere, ac scolarum sapientiam diligens studuit esse doctorum auditor ut doctor fieri posset indoctorum ». Ignorant quelle est l'origine de la vita secunda, et par conséquent son autorité, nous croyons plus prudent de nous en tenir à la vita prima, qui ne fait aucune mention du prétendu doctorat de saint Maurice. Nous imiterons en cela la sage discrétion du Bréviaire cistercien]. « Adolescens in optimarum artium studio operam posuit Lutetiœ Parisiorum, profecitque adeo ut magisterii lauream promeruerit. ». – Propre de St-Brieuc.
L'auteur du Propre semble ignorer que l'Université de Paris, fondée vers 1150, n'existait pas encore. En dépit de cette tradition — Bien tardive d'ailleurs — rien ne prouve que Maurice ait quitté la Bretagne pour se rendre à Paris. On a voulu, à une certaine époque, le représenter comme un grand écolâtre, pourvu de grades académiques et chargé des Hautes Etudes. Cette conclusion ne paraît point ressortir du texte ancien, car son collaborateur et ami, nous dit simplement qu'ils furent, l'un et l'autre, régents d'écoles : Illi junctus eram studio, per tempora multa. - Dum quondam juvenes reximus ambo scholas. (Vita prima. — Prologus).
On n'avait point coutume sûrement de confier la direction de l'enseignement supérieur à un tout jeune clerc, quel que fût d'ailleurs son talent hors ligne. D'autre part, Maurice consacra peu d'années au professorat, puisqu'il n'avait pas atteint la trentaine quand il vint frapper à la porte du cloître, pour trouver dans la solitude le recueillement et la paix. Ce qui est indubitable, c'est que devenu prêtre — ou même avant de recevoir le sacerdoce — il se voua tout d'abord à l'enseignement de la jeunesse, afin de répandre autour de lui les connaissances qu'il avait acquises. A ce titre saint Maurice a bien mérité d'être considéré comme le protecteur spécial de l'adolescence studieuse ainsi que des maîtres qui se dévouent à sa première formation [Note : « Si l'on choisissait d’une façon plus officielle saint Maurice comme patron spécial, comme protecteur de l'enfance et de la jeunesse, ainsi que des maîtres qui se dévouent à son éducation, saint Maurice qui nous a assez montré par sa vie et ses miracles, le titre qu'il a à ce poste d'honneur et de confiance, n'aurait-on pas trouvé le moyen le plus efficace pour garantir la vitalité et le recrutement de nos écoles catholiques, de nos patronages, de nos congrégations religieuses, de toutes nos œuvres d'enseignement ? » (Dom Dominique Nogues, abbé de N. D. de Thymadeuc, 3 août 1930)].
Le jeune professeur fut vite fatigué de ses fonctions : « infelix occupatio quœ sui facit hominem oblivisci » ; il ne songea plus qu'à quitter un ministère fort honorable sans doute, mais où il est par trop facile de s'étourdir soi-même et d'oublier le souci de ses intérêts éternels. Le souvenir de ses anciens maîtres était de nature à l'attirer vers le cloître ; mais, à cette époque, une vive réaction s'opérait contre le relâchement de la vie religieuse dans les anciens monastères, sous l'impulsion de la réforme cistercienne. N'ayant encore que quelques années d'existence, l'abbaye de Langonnet manifestait toute sa primitive ferveur unie à une très grande pauvreté, dans un site vraiment fait pour attirer les âmes en quête d'apaisement. C'est vers cette asile de paix que Maurice épris de sainte perfection dirigea ses pas. Il approchait alors de la trentaine, était déjà prêtre sans aucun doute, et vivait de la vie religieuse avant même d'en revêtir le costume : Tandem proposuit monachilem sumere vestem - Quamvis jam monachus viveret ipse prius. (Vita prima. — Prologus).
Le nouveau venu se signale tout de suite par les deux qualités essentielles de la vie monastique : régularité et charité : zelator regulœ et fratrum ; ses aimables vertus lui gagnèrent si bien l'estime de ses frères qu'il fut choisi pour abbé avant l'expiration de son premier triennat (1146), c'est-à-dire dans le courant de la troisième année de sa vie religieuse, à compter de son entrée au monastère, et non pas de sa profession. Par le mot conversio, il faut entendre l'entrée au cloître.
A cette époque, le Souverain Pontife lui-même était un cistercien, Pierre Bernard de Pise, qui prit le nom d'Eugène III. Porhoët et Cornouaille venaient de faire alliance par le mariage de la princesse Berthe, unique héritière de Conan III, avec le second Eudon, fils d'Alain de Rohan (1146) ; mais c'était la fin de l'heureuse période, marquée par la bienfaisante influence d'Ermengarde. Suivant de près dans la tombe sa bienheureuse mère, Conan allait disparaître à son tour (1148), après avoir semé des germes de discorde.
Trente années durant, Maurice gouverna son abbaye avec une prudence, un succès tel que les communautés du voisinage, les évêques et le duc de Bretagne lui-même l'honoraient de leur amitié, recouraient à ses conseils en mainte circonstance. C'est à titre d'ami que Raoul, évêque de Cornouaille, voulut reposer parmi les religieux, au Chapitre de l'abbaye (1158). Renommé au loin pour la grande simplicité et l'humilité de sa vie, l'abbé de Langonnet ne l'était pas moins pour son amour de la justice et sa parfaite intégrité. Il se vit, par deux fois, désigné comme arbitre en certaines questions litigieuses concernant les Bénédictins de Quimperlé.
En 1161, nous le trouvons à Nantes pour y plaider la cause des moines de Ste-Croix contre les chanoines de St-Pierre, au sujet de l'église Notre-Dame, dont les religieux avaient la jouissance depuis 1074, en vertu d'une donation faite par la comtesse Berthe, veuve d'Alain III. Cette fois encore, ils furent confirmés dans leur droit, à charge d'assurer aux chanoines une rente de douze sous d'or comme compensation ; mais, quelques années plus tard, 1172, ils cèderont l'église Notre-Dame de Nantes à leurs confrères de Redon, qui avaient dû leur restituer le domaine de Belle-Ile.
Quand les moines de Ste-Croix se trouvèrent en conflit avec leur évêque, Bernard de Moëlan, au sujet de certains privilèges concernant les églises qui relevaient de l'abbaye, Maurice fut convoqué au synode de 1116 et se rendit à Quimper, avec deux de ses religieux, Audouin et Eudon [Note : « Praesentibus Mauritio abbate de Langonio et monachis suis Aldroeno et Eudone... » — Cartulaire de Ste-Croix. Cfr. : Histoire de l'abbaye de Ste-Croix, par D. PLACIDE LE Duc, page 601. Audoin était Prieur de Langonnet ; c'est à ce titre qu'il figure comme témoin, dès 1152, lorsque l'évêque Raoul reconnut les privilèges du Prieuré de Locmaria, S. Maria de Aquilonia. (Cfr. LA BORDERIE) : Bull. Soc. Arch,. du Finistère, Tome XXIV, page 102. — Chanoine PEYRON : Histoire Manuscrite des Evêques de Quimper)]. Il fut convenu que désormais l'abbé de Ste-Croix conserverait l'unique droit de présenter, pour les églises en litige, un chapelain qui recevrait de l'évêque l'institution canonique, comme dépendant de lui au spirituel, et de l'abbé pour les choses temporelles seulement. L'abbaye de Ste-Croix était alors régie par l'abbé Rivallon (1163-1186), qui s'appliqua à maintenir sa prospérité durant plus de vingt ans.
Maurice fut, au milieu de ses frères, un constant modèle de ferveur et de régularité, alliant une humble modestie à la discrétion qui régnait dans toute sa conduite ; assidu le premier au travail comme à la prière, il s'efforçait de maintenir la concorde par la pratique de l'affection mutuelle. Actif et vigilant, il abrégeait les heures de son repos pour consacrer à l'oraison les veilles silencieuses. Il parlait peu, nous dit-on, mais il avait l'œil à tout, consacrant à l'exacte surveillance des divers emplois les moments de liberté que lui laissait la divine psalmodie.
Non moins admirable par la droiture et la grande simplicité de son caractère que par sa profonde modestie, animé d'une sainte prudence il savait joindre à la douceur le calme et la patience dans les épreuves de la vie, supportant sans se plaindre les peines que lui causait la malveillance étrangère et parfois aussi la rusticité de ses compagnons. Tous n'étaient point parfaits sans doute, et, parmi ces débutants dans la voie de pénitence, il se rencontrait par hasard d'incorrigibles récidivistes, qui semblaient prendre à tâche d'exercer la patience de leur abbé. Il reçut de la sorte un étrange postulant, pour qui la peur du diable fut le commencement de la sagesse. Ce brave Groizillon était devenu, par son imprudence, la victime du Malin, pour être allé à Locronan, consulter un sorcier afin de connaître l'auteur d'un vol de toile commis à son préjudice. Maurice, le prenant en pitié, lui donna l'habit religieux, et aussitôt, l'homme se trouva libéré de toute possession diabolique ; mais, au bout de 18 mois, étant retourné à son île, sous prétexte de mettre ordre à ses affaires — car il était entré en religion sans prendre congé de sa femme — l'infortuné se jeta de nouveau sous les griffes de Satan qui recommença de le torturer jusqu'à ce qu'il accourût se prosterner repentant aux pieds du saint abbé pour y retrouver la paix. Instruit par l'expérience, il avait tout intérêt à garder le cloître à l'avenir ; mais, repris par son humeur voyageuse, il demanda bientôt l'autorisation de s'en aller en Palestine. Ce pèlerinage lui fit perdre toute prudence ; au lieu de rentrer à l'abbaye, il s'en fut de nouveau à l'île de Groix, où son ennemi l'attendait pour de nouvelles tortures.
Finalement, humilié et déçu, le malheureux vint pour la troisième fois implorer l'indulgence de Maurice qui le reçut à bras ouverts. Jamais plus il n'essaya de franchir la clôture du monastère et, quand on l'invitait à sortir, il répondait naïvement : « J'aurais trop peur que le diable m'emporte cette fois-ci, pour tout de bon ! » C'est ainsi que notre saint compatissait à toutes les infortunes et qu'il avait le don merveilleux de les soulager.
Tant de qualités éminentes jointes à de si hautes vertus, lui attiraient spontanément l'estime et l'affection de ses frères ; ils l'aimaient pour sa douceur et sa charité ; ils admiraient la pénétration de son esprit aussi bien que l'étendue de ses connaissances. Leur attachement se changea en vénération par suite des merveilles dont le Seigneur le favorisait. De même que sa grande vertu était manifeste à tous les yeux, l'efficacité de son intercession auprès de Dieu apparut dans un premier prodige.
L'Abbé, qui avait coutume de se plier à toutes les exigences de la vie régulière, remplissait à son tour les fonctions d'hebdomadier. Or, un jour qu'il se rendait à l'autel, pour la messe conventuelle, le sacristain tout effaré dut l'avertir qu'il ne restait plus une goutte de vin. Attristé et confus, Maurice, se prosterna à l'entrée du sanctuaire et se mit en prières avec d'abondantes larmes, pendant que les religieux respectant son chagrin se retiraient à l'écart. Puis, sorti peu après de son recueillement, il se dirigea du côté de la crédence, et, prenant en main la burette qu'on lui avait présentée vide, il la trouva miraculeusement remplie d'une liqueur vermeille et limpide à souhait. Les moines comprirent que le Seigneur exauçait ainsi la prière de son fidèle serviteur et que le mérite de ses larmes avait remédié à leur profond dénuement.
Lorsque Conan III vint à mourir, en 1148, Maurice était déjà Abbé de Langonnet depuis près de trois ans ; en sorte que la première partie de sa vie — jusqu'à l'âge de trente-cinq ans environ — s'était écoulée dans le calme. La situation changea du tout au tout à la mort de la bonne duchesse Ermengarde. Elle disparut trop tôt, puisque, dès l'année suivante, Conan, en désavouant son fils Hoël [Note : Peu satisfait de la conduite de sa femme Mathilde, fille naturelle du roi d'Angleterre, Henri Ier, Conan considérait, à tort ou à raison, le prince Hoël comme un fils illégitime], jetait dans le pays un ferment de guerre civile, dont les conséquences seront désastreuses. A partir de 1148, jusqu'à la mort du roi d'Angleterre, Henri II (1189), durant plus de quarante ans, le saint abbé fut le témoin attristé des troubles qui désolèrent la province.
Le vieux duc, sur le point de quitter ce monde, avait désigné pour unique héritière sa fille Berthe, mariée en second au vicomte de Porhoët, Eudon II, après avoir eu de son premier époux, Alain le Noir, comte de Richemont, un fils qui sera Conan IV.
L'agitation commença six ans plus tard, en 1154, quand le jeune prince, impatient de secouer la tutelle de sa mère et de son beau-père, va se jeter entre les griffes du Plantagenet. Désormais, durant près d'un demi-siècle, la Bretagne se débat sous le joug de la tyrannie anglaise ; à huit reprises différentes, les barons se soulèvent et voient se briser tous leurs efforts contre l'astuce du souverain étranger ; frémissants de rage contenue, ils concentrent contre leurs nouveaux maîtres la double haine qu'ils portaient aux Anglais et aux Normands. En réalité, Conan IV n'est plus qu'un fantoche de duc et sa fille Constance n'aura pas plus d'autorité que lui tant que vivra le roi Henri II.
Les biographes disent que Maurice fut l'ami et le conseiller de Conan IV, qui, subjugué par sa renommée de sainteté, aimait à l'entretenir de ses projets et à profiter de ses conseils : « Qui, audita viri Dei fama, libens sancto ejus alloquio fruebatur et salutiferis ejus monitis bona plura faciebat » — Vita secunda.
L'auteur de la Vita prima se contente de signaler tout simplement la donation des terres de Carnoët, sans aucun commentaire. Que le Saint ait pu exercer sur Conan quelque bonne influence, on n'en saurait douter, puisque celui-ci manifesta sa bienveillance par la fondation d'une nouvelle abbaye sur ses domaines ; mais il serait exagéré de considérer Maurice comme le conseiller ordinaire du duc, à moins d'admettre par là-même que Conan oublia trop souvent de mettre en pratique les avis de son saint ami. Il fut tout au moins un imprudent brouillon ; il s'aliéna pour toujours la confiance de ses barons, alors que les Anglais lui faisaient payer très cher leur protection.
Ces tristes événements ne laissèrent point de faire sentir leur contre-coup jusque dans les abbayes bretonnes, et cette situation confuse ne fut pas étrangère — on peut le croire — au retard que subit la fondation de Carnoët. Lorsque Conan IV effectua la donation des terres, quelque temps avant sa mort, vers 1170, il ne jouissait plus d'aucune autorité ; ayant abdiqué depuis quatre ans déjà, il n'était de fait que le comte de Richemont et de Guingamp.
Parvenu à l'âge de soixante ans, Maurice avait cru pouvoir échapper aux soucis de sa charge (1175) afin de s'adonner plus entièrement à la vie contemplative, et il réussit à faire agréer sa démission. Mais son repos ne fut point de longue durée. Pour accomplir les volontés dernières de Conan IV, qui l'avait chargé de fonder un nouveau monastère, il consentit à quitter sa chère solitude de Langonnet. En compagnie de douze religieux, il descendit la vallée de l'Ellé jusqu'à peu de distance de la mer, pour établir l'abbaye, qui devait un jour prendre son nom.
Il vint se fixer sur la rive nord de la Laïta formée peu la jonction de l'Isole à l'Ellé. Ce terrain faisait autrefois partie d'un immense parc ou réserve de chasse, créé vers 1029 par Alain Caignart et relevait par conséquent du domaine ducal. Il s'étendait en bordure de la rivière depuis Penfeunten jusqu'à Staër-Nadred à une lieu-et-demie de Quimperlé [Note : « L'emplacement où fut élevée l'abbaye de St-Maurice se nommait Staër-Nadred. Il était au bord de la voie antique qui venait de Lesbins Pont-Scorff, où se trouvait la grande voie romaine de Vannes à Hennebont, Quimperlé ; passait aux Cinq chemins, et, après avoir traversé le Léty, en Clohars, se rendait à la station romaine de Kerconstance, près du bourg de Moëlan » (Promenade à Quimperlé, p. 26. Clairet, éditeur, Quimperlé. 1893)].
La charte de donation a pu être reconstituée d'après plusieurs copies anciennes : « Notum sit omnibus ecclesiæ filiis [tam præsentibus quam futuris] quod ego Conanus, dux britanniæ et comes Richemondiæ, do in eleemosynam, pro redemptione animæ meæ et parentum meorum et successorum meorum. Mauritio abbati et monachis de Langonio, ad abbatiam, faciendam, terram quam habeo in confinio forestæ Carnoët, Penfeuntem videlicet et Kernanadlen [et ut foresta ducit ad fluvium Ellé et ut fluvius ducit ad Staër-Nadred [Note : L'abbé Le Cam. à la suite du Chanoine Peyron, traduit : « Et là où le Frout tombe dans l'Ellé, jusqu'à Staër-Nadred », qui paraît bien être la bonne version] ubi est sedes abbatiæ ; et quoniam terra ista exigua est, si qui vicinorum in septem Ploë-Carnoët ei dederit vel vendiderit sive in vadimonio posuerit, quod mei juris est concedo]. De foresta quoque accipiant quæ, necessaria eis fuerint ad usus suos. Insuper omnimode constituo ut nullus abbatiam inquietet aut aliis substantiam eorum vi capiat, donec prius clamati satisfacere in nostra curia venerint. Similiter in omni terra mea sint liberi ab omni costuma de emptionibus sive venditionibus. Ut autem hæc rata in perpetuum remaneant, nostri sigilli munimine confirmo. Hujus doni testes sunt Gaufridus Corisopit ep. qui etiam in præsentia mea eis, quod ad se pertinebat, concessit ; Rivallonus, archidiac ; Glegman, decanus ; Alanus, constabularius ; Alanus et Ricardus, gemelli ; Henricus Bertrans, Alanus et Rivollo, filii Elmarc ; Alanus de Balamboris » (Cfr. BALUZE, Bibl. Nat., vol. 41, fol. 26, D. LOBINEAU BOLLAND, D. PLAINE, dans Studien Mitteilungen...).
La donation avait eu lieu vers 1170 [Note : Conan IV décéda en février 1171. — D'autre part, Geoffroy fut évêque de Cornouaille de 1167 à 1184], mais des causes diverses en retardèrent l'exécution qui aboutit définitivement en novembre 1177, six ans après la mort de Conan. Pourquoi ce retard ?
Conan IV, ayant abdiqué entre les mains de Henri II (1166), n'avait plus qu'un titre purement honorifique, quand il signa la charte de donation ; d'ailleurs il mourut en février 1171, exilé à Guingamp, et les troubles qui agitaient le pays durent empêcher la réalisation de ses projets.
D'autant plus que le roi Henri gardait rancune aux Cisterciens, qui avaient accueilli saint Thomas Becket à Pontigni, en 1166. La donation coïncide avec le meurtre du saint archevêque de Cantorbéry (1170) et Henri ne recevra l'absolution qu'en 1172 seulement. Au moment où saint Maurice entreprit la fondation de Carnoët, le duché se trouvait donc encore sous la rude tutelle du roi anglais, durant la minorité de Constance et de Geoffroy ; mais la Bretagne jouissait alors d'une paix relative, grâce à la trêve fragile conclue avec Guyomar'ch IV, vicomte de Léon, après l'exil définitif du vaillant Eudon de Porhoët. La ratification de la charte de Conan IV, par sa fille Constance, n'aura lieu cependant que trois ans après la mort de saint abbé, vers 1194, quand le prince Arthur, âgé de sept ans, sera proclamé roi sous la tutelle de sa mère, à l'assemblée de St-Malo de Beignon, Voici la charte qui confirme la donation ducale : (D. Maurice. Pr. I. 710).
« Constancia Conanis comitis filia, Ducissa Britanniœ, comitissa Richemundiæ, universis
Christifidelibus prœsentibus et futuris has istas visuris vel audituris,
Salutem...
Notum sit vobis me, amore Dei et dilectorum meorum et parentum et
antecessorum meorum veniâ, concessisse et mea carta confirmasse Deo et abbatie.
B. M. de Carnoët illam donationem quam pater meus Comes Conanus abbati Monico
et suis monachis dedit et sua carta confirmavit, ad abbatiam faciendam et
constituendam, abbacie prænominate monachis ibidem Deo deservientibus, sicut
carta predicti patris mei quam inde habent attestatur, habendam et tenendam et
pacifice possidendam.
Quæ volo ae precipio quod abbacia B. M. prenominate et
monachi ejusdum ecclesiæ illam donationem bene et in pace, quiete et integre,
libere et honorifice, prout carta predicti patris mei affert et attestatur,
habeant et teneant et in perpetuum possideant.
Testibus : Guy [Guyhod ou
Guehennoc] Venetensi epô, — Guillelmo, Corisopitensi episcopo, [Note :
Guillaume, évêque de Cornouaille, 1193-1218. — Guyod ou Guéthénoc (Guihenoc,
Guezenoc), évêque de Vannes, 1182 (+ 1222). — La Duchesse Constance décéda le 4
septembre 1201] — Pagano de
Malestroit, — Rolando filio Deriani, — Guillelmo filio Petri, — Ruell filio
Teversii, — Thoma filio Gemelli, — Eudo Leonensi thesaurario, — David
cappell[ano], et aliis quam plurimis — apud ALRAYUM ».
Cette donation fut de nouveau confirmée par le pape Honorius III, le 3 septembre 1225 [Note : Datum Reate per manum magistri Guidonis Sancte Romane ecclesie notarii, III calendas Septembris, indictione XIII. Incarnationis Dominice anno M° CC°XXV° Pontificatus vero Domini Honorii pape tertii, anno decimo] ; par Jean II duc de Bretagne, en 1295 ; par les évêques de Cornouaille : Hervé dit Landt-Elleau (1259), Guy de Ploux Nevez (1264) et Yves Cabellic (1274). — (Cfr. Bib. Nat. fr. 22.329).
Le choix du site était très heureux ; aucun ne pouvait mieux convenir pour une pieuse solitude.
Rien ne trouble ta paix, ô doux Letâ ! Le monde
En vain s'agite et pousse une
plainte profonde ;
Tu n'as pas entendu ce long gémissement,
Et ton eau vers la
mer coule aussi mollement
BRIZEUX, Marie.
Mais, pour agréable que soit une solitude, il faut encore qu'on y puisse vivre. L'entier dénuement où se trouvait à ses débuts la nouvelle abbaye, par suite de la disparition prématurée de son donateur, rendit la vie fort précaire aux premiers habitants de Carnoët, qui manquaient du strict nécessaire et durent se contenter, durant un long temps d'installations tout-à-fait provisoires. Ces bons moines persévérèrent pourtant, en dépit de toutes les épreuves, animés par leur vénéré père qui les exhortait à placer leur espoir en la divine Providence, laquelle ne fait jamais défaut à quiconque l'invoque avec confiance. Ils en eurent vite la preuve, car une dame charitable de Quimperlé s'empressa de leur venir en aide dans une large mesure, si bien qu'on lui offrira, plus tard, en témoignage de gratitude, une ceinture du Saint douée de vertu miraculeuse. Dès que Maurice eut jeté les fondements de son nouveau monastère, il se trouva nécessairement en rapport avec les mariniers et les gens de la côte. La piraterie sévissait partout à cette époque. Ce n'était pourtant plus la race redoutée des hommes du Nord qui infestait la région, mais bien les riverains eux-mêmes, enragés pilleurs d'épaves, Les choses allaient si loin, que les évêques bretons, décidés à réagir, dans un [Note : En réalité, le décret concilaire datait déjà d'un demi-siècle. « A la fin de 1127, Hildebert, archevêque de Tours, assisté de Hamelin, évêque de Rennes, de Donoal, évêque d'Aleth, de Galo, évêque de Léon, et de Robert, évêque de Quimper, tint un concile provincial à Nantes, en présence du duc Conan III et de sa mère Ermengande. Sur les instances de celle-ci, Conan renonça au droit de bris ou de Lagan, droit cruel qui livre à la rapacité des hommes, ce que la mer impitoyable n'a pas encore ôté aux malheureux dont elle a brisé les vaisseaux. Le duc eut besoin, en cette circonstance, de toutes les remontrances et fortes sollicitations de sa mère, pour abandonner un droit que l'usage et la possession, favorables en cela à la rudesse de son caractère, lui faisait regarder comme un apanage de souveraineté. Il y renonça cependant et pria même les évêques de vouloir prononcer anathème contre ceux qui voudraient en user dans la suite. » (D. LOBINEAU : Vies des Saints de Bretagne. Ermengarde, Tome II, page 388, Paris, 1836). La situation ne s'était point améliorée pour autant, car la population du littoral s'était attribué le privilège abandonné par le souverain] concile tenu à Nantes, avaient décrété la condamnation du droit de bris.
Un décret conciliaire, c'était assûrément une mesure très grave, mais il s'agissait surtout de la mettre à exécution et jusque là on n'y avait guère réussi. Il paraît assez probable que Conan IV voulut seconder les prélats dans cette tâche ardue, quand il invita les moines blancs à venir se fixer, entre le Pouldu et Quimperlé, aux bords de la Laïta. Leur présence était de nature à réprimer la cupidité des populations du littoral. Le bon Saint, qui avait su se montrer le bienfaiteur des pauvres colons perdus dans les landes de Cornouaille, devint très vite l'ami des matelots qui remontaient la rivière avec leurs embarcations. Dissimulée dans l'intérieur des terres, la petite cité de Kemberlin — comme l'appelle Edrizi — attirait nombre de trafiquants au XIIème siècle, et jouissait d'un grand renom jusque chez les Arabes, à cause de ses marchés et de son industrie.
Autour de l'abbaye de Carnoët, c'était le désert : ici, la forêt avec ses sombres halliers ; à l'opposé, les eaux calmes de la rivière s'élargissant pour former un lac aux reflets d'argent. C'est là que les convois s'arrêtaient de préférence pour attendre la marée. La curiosité d'abord, puis bientôt la gratitude et la piété aussi, attiraient les hommes au benoist moustier de Nostre-Dame ; et, comme les marins ont bon cœur, à chaque visite, ils offraient aux religieux quelques prémices de leur cargaison, réclamant des prières en retour, pour que Dieu favorise leur commerce et que la douce Vierge les garde de tout péril sur les flots. De là, les liens réciproques de franche cordialité qui unissaient moines et matelots.
Un jour, que la provision de vin de messe se trouvait épuisée, Maurice envoya deux religieux à bord d'une barque qui venait de l'île de Groix afin de solliciter la charité de l'équipage. Ils tombaient fort mal, ce jour-là, avec leurs cruches vides ; tous les fûts venant d'être jetés à la mer pour alléger l'embarcation, au cours d'une violente tempête.
« Désolé de ne pouvoir vous faire ce plaisir, leur dit le capitaine, il ne nous reste rien autre qu'un petite provision d'eau potable pour le service de la cuisine. Voyez plutôt ! ». Ce disant, il fait hisser le baril sur le pont et s'empresse de répandre quelques gouttes du contenu, pour bien prouver aux frères déconfits qu'il ne cherchait nullement à les tromper. Quelle ne fut pas la stupeur du brave homme et de ses camarades ; à peine avaient-ils incliné le récipient, qu'il en sortit, au lieu d'eau claire, un vin de premier choix, vermeil et droit en goût. On appréciait grandement le jus de la vigne, en ce temps-là, au pays breton, alors que le cidre n'était pas encore connu ; et, comme le bon vin réjouit le coeur de l'homme, on fit honneur au don de la Providence ; les cruches furent remplies et les moines revinrent joyeux, tandis que les chants des matelots se répercutaient sur les deux rives du fleuve, réveillant les échos de la forêt séculaire.
Une autre fois, un bateau chargé de vin s'arrêta pour attendre le flux, vis-à-vis Carnoët ; l'armateur lui-même se trouvait à bord. C'était un bourgeois de Quimperlé, nommé Pogius, grand ami du saint abbé et qui avait été hébergé très souvent au monastère. A force d'instances, il obtint, cette fois-là, que Maurice avec quelques moines voulût bien accepter de venir à son bord pour y prendre un léger repas : ce qu'il considérait comme une joie et une bénédiction pour tout l'équipage. Le Saint accepta volontiers l'occasion qui s'offrait à lui de distribuer la parole de Dieu, comme un aliment spirituel à ceux qui lui offraient si gracieusement la nourriture du corps. Tout le monde, en effet, prit part à la collation, afin que chacun pût se réjouir de la compagnie du Saint et de son aimable conversation. Quand le moment fut venu de se séparer, Pogius fit signe à l'homme de corvée d'aller remplir un grand baril et de le porter à l'abbaye, pour égayer les bons frères demeurés dans le cloître. Le valet, par malheur, se trouvait quelque peu éméché, ? non pas tant, souligne le charitable chroniqueur, par la quantité qu'il avait ingurgitée que par les effluves émanés du vin qu'il transvasait continuellement et portait de côté et d'autre pour les distributions. — Dans son empressement, il mit l'entonnoir sur le baril et commença à verser le précieux liquide sans se rendre compte que le fausset inférieur était demeuré ouvert ; tout le vin se perdait aussitôt dans la calle et le nigaud n'arrivait pas à comprendre que la tonne se vidât sans que son baril eût seulement commencé de s'emplir. Impatienté d'une telle lambinerie, Pogius survint et, voyant le désastre, s'empressa de fermer l'orifice pour étancher le baril. Puis, tout en rudoyant quelque peu l'imprévoyant pochard, il puisa lui-même à un autre fût et, supportant de bon gré la perte subie, il vint raconter à ses invités, de façon fort plaisante, la sottise du pauvre garçon Maurice, tout confus du dommage survenu en quelque sorte à cause de lui, et confiant dans la libéralité du Maître qui a dit : « Celui qui vous reçoit, me reçoit », exprima tous ces regrets à l'excellent armateur avant de le quitter. « Que la Mère de miséricorde, de qui je suis l'indigne serviteur, et son Fils qui d'un mot peut toutes choses restaurer, daignent te rendre le vin que tu as perdu, mon cher hôte, dans l'exercice de ta charité ! ». Puis, il s'en alla, après l'avoir paternellement béni, ainsi que tous ses compagnons. La bonne Vierge, empressée de manifester la grande faveur dont jouissait là-haut son serviteur, daigna exaucer aussitôt le vœu qu'il avait exprimé, en se levant de table, afin que la charité de Pogius ne fût en rien ralentie.
Quand les matelots voulurent remuer la tonne, ils la trouvèrent remplie à nouveau d'un vin de qualité supérieure, tel qu'il n'y avait jamais eu dans toute leur cargaison. Remplis de joie et d'admiration, ils se jetèrent à genoux pour remercier le Seigneur, proclamant à haute voie la bonté, la puissance du grand serviteur de Dieu. Pogius regarda ce vin miraculeux comme un don du ciel, comme une chose sainte ; il voulut que la majeure quantité fut donnée au monastère en faveur des pauvres de Jésus-Christ, se réservant quelques mesures seulement pour lui et les siens. Il en distribuait volontiers aux malades afin que, par l'intercession de son saint ami, cet élixir divin leur rendît la santé.
Le travail opiniâtre des moines transformait rapidement ces terres en friche qui furent leur domaine primitif, et le biographe affirme que, de son vivant, la vigne y mûrit sur les coteaux, le beau froment doré ondule dans les champs et les poissons abondent dans les étangs du voisinage : …Quæ bona plura parit fertiliore loco : - Nam multos pisces, vinum, frumenta ministrat - Ut res deposcit fratribus iste locus. (Vita prima. — prologus).
Rien ne manquait désormais au modeste bien-être de la communauté; les frères vivaient heureux sous la protection de leur père bien-aimé.
Nous trouvons dans la vie de Maurice l'un ou l'autre prodige qui l'apparente d'assez près à la tradition franciscaine, et notre saint breton se révèle à ce point de vue un précurseur de saint François. Ils sont presque contemporains d'ailleurs, puisque le fils de Bernadone et de Pica atteignait sa dixième année quand le fondateur de Carnoët quitta ce monde. Humble et patient au cours de sa vie, Maurice, avant le Poverello, avait uni son sort à celui de Dame Pauvreté. Son coeur, comme celui de François, brûlait d'une charité ardente, qui s'épandait sur la nature entière : il aimait pour Dieu toute créature et n'éprouvait de haine que pour le mal. A la manière séraphique, Maurice fut un saint pauvre et joyeux, de qui la mansuétude était sans bornes ; un saint compatissant, pacifique et débonnaire, porté de toute son âme à bénir constamment le Seigneur et toutes ses œuvres. Chaque être représentait pour lui un élément d'ordre et de beauté dans l'univers de Dieu.
En ce temps-là, un souffle de terreur passait sur les rives de la Laïta. Des loups furieux sortis en grand nombre de la forêt voisine ravageaient la campagne, à l'instigation de l'ennemi du genre humain, le Ciel ayant permis ce redoutable fléau pour le châtiment des pécheurs. Leur audace était sans frein ; en plein jour, ils se jetaient à l'improviste sur les troupeaux dont ils faisaient un grand carnage, en dépit des bergers et des chiens. Les vies humaines n'étaient point épargnées ; déjà on pleurait nombre de victimes, tombées sous la dent meurtrière. Terrifiée par la menace d'un péril sans cesse imminent, la foule recourut à Maurice afin d'obtenir appui et protection. Aux pauvres paysans s'unissaient les religieux, suppliant avec larmes leur saint abbé de maudire ces bêtes malfaisantes par une sentence générale d'excommunication, ainsi qu'on avait coutume de le faire en ces temps-là. A leur idée, il n'y avait point d'autre mesure à prendre : il fallait anéantir l'ennemi pour toujours, supprimer sans pitié la louvetaille et les louveteaux.
Guidé par une sainte prudence, Maurice leur répondit avec humilité et modestie : « Mes chers enfants, ce que vous demandez là n'est point raisonnable. Rappelez-vous que la nature ne fait rien en vain et que, d'autre part, suivant les Ecritures, Dieu, après la création, trouva bon tout ce qu'il avait fait. Les loups ont donc le droit d'exister au même titre que toutes les autres bêtes créées par le bon Dieu. Il serait injuste de maudire leur race : tous ne sont pas coupables. D'ailleurs, n'avez-vous pas dans vos maisons des orphelins et des pauvres, dont l'unique gagne-pain est de veiller sur vos troupeaux ? Qui leur procurerait désormais la subsistance, si vous n'aviez plus rien à craindre ? Toutefois, s'il y a certains loups que le Malin a rendu siens en quelque sorte et qui sont spécialement députés aux maléfices par les anges de Satan ; ceux-là, nous devons les réprouver au nom du Seigneur, et, pour la sauvegarde du peuple chrétien, je n'hésiterai pas à le faire ». Sur ce, levant la dextre, il dit : « Que les coupables périssent au nom du Christ Jésus et de la Vierge Marie, de qui je suis le très humble serviteur ».
Touché d'une pitié sincère pour les misères humaines, mais connaissant d'autre part les secrets desseins de celui qui ne veut point la perte des pécheurs, mais leur conversion, l'homme de Dieu était trop sage pour prononcer l'indiscrète sentence que réclamait la foule exaspérée. Maurice voulait épargner les innocents ; et les loups, au même titre que les hommes, trouvaient grâce devant lui. En tout cas, l'effet de la malédiction ne se fit pas attendre ; dès le lendemain matin, on trouva sur le territoire de Moëlan, proche la fontaine publique, un loup et une louve de taille démesurée ; frappés de mort mystérieuse, leurs cadavres ne portaient aucun signe extérieur de blessures. Ils étaient, à n'en point douter, les instruments de la rage diabolique, car, depuis ce jour jusqu'à la mort du bon Père, on n'entendit plus parler d'aucun attentat commis par les loups au pays de Carnoët.
A l'intérieur même du monastère, un autre fléau fut déchaîné par le diable pour tracasser les pieux solitaires : une multitude de rats les mit au pillage. A dire vrai, l'envahisseur fit assez maigre chère, les frères n'étant riches que de leur pauvreté. A défaut d'autres reliefs, ils s'attaquaient aux chaussures. A peine les religieux, accablés par le labeur quotidien, avaient-ils fermé les yeux, que la bande affamée se jetait sur leurs sandales ; la moindre lanière leur semblait un défi ; aussi, quand sonnait matines, les bons moines tout déconfits n'avaient d'autre ressource que d'attacher leurs socques avec un brin d'osier. Ils étaient patients, sans doute ; mais toute patience a des bornes et ne saurait s'étendre jusqu'à encourager le vice. Un jour, ils supplièrent l'abbé de maudire cette engeance incivile. Maurice, qui se plaisait à bénir, écouta leur requête sans rien perdre de sa joyeuse humeur et leur répondit avec un bon sourire : « Eh ! pourquoi tant de colère contre des êtres aussi chétifs ? Ne sont-ils pas comme nous les créatures du bon Dieu ? Il faut bien, mes fils, que sur cette terre, tout le monde vive ! Que chacun désormais veille sur son bien, même durant le sommeil ; et, puisque nous avons coutume de dormir tout habillés, gardons aussi nos chaussures ». Ainsi fut fait, et le soir venu, chacun s'allongea sur sa planche, habillé et chaussé. Vaine précaution : au réveil il ne restait plus que les semelles de bois. Les chaussures de l'abbé tout récemment graissées, n'avaient point été plus épargnées que les autres.
Considérant que ses moines ne pouvaient s'aventurer pieds nus parmi les cailloux et les ajoncs de la lande sauvage, Maurice inclina le visage, tout souriant comme de coutume, puis, levant la main, avec un soupir et comme à regret, il lança l'interdit sur les rongeurs de cuir, perturbateurs de la paix monastique et fauteurs de désordre. A ce signal, apparurent dans les airs deux corbeaux de belle taille, tels que les moines n'en virent jamais de semblables. Les rats épouvantés avaient beau chercher un abri dans les fissures des murailles, rien ne put les préserver des serres impitoyables. La chasse dura tout le jour et ne prit fin qu'à l'heure de complies, quand les oiseaux vengeurs disparurent dans la nue, emportant au loin les cadavres exangues des derniers délinquants. Jamais plus aucun rat n'osa se risquer aux rives verdoyantes de la Laïta. Ainsi, la patiente vertu du saint fondateur dissipa la tristesse de ses frères, et son pouvoir souverain anéantit les ruses du démon par la grâce du Seigneur Dieu, à qui va toute louange et toute bénédiction dans l'infini des siècles.
Depuis une quinzaine d'années, Maurice gouvernait l'abbaye de Carnoët quand il obtint la grâce de l'éternel repos après un demi-siècle de vie religieuse ; il quitta ce monde en la fête du bienheureux archange saint Michel, le 29 septembre 1191 [Note : La vita prima n'indique point l'année : « Petiit a Domino et feliciter obtinuit ut in festo sancti Michaelis archangeli carnis ergastulo solveretur. » (N° 17). Mais l'ancienne chronique de Ste-Croix porte cette mention « MCXCI obiit Mauritius abbas » (Cfr. D. LE DUC : Histoire de l'abbaye de Ste-Croix de Quimperlé, pages 234-235). Nous lisons dans la vita seconda : « Migravitque ad Dominum, tertio Kalendarum octobris anno ab incarnatione Domini, 1191... Vixit quoque in hac mortali vita annis circiter 76, ut æstimamus ». N° 19], laissant ses fils à la garde de l'abbé Herscomar ; alors que Philippe-Auguste et Richard Cœur-de-Lion, en guerre contre Saladin, assiégeaient St-Jean d'Acre. Par ses prières, Maurice vivant avait obtenu à ses frères la grâce de conserver la paix dans la patience au milieu de toutes les privations; après sa mort, il leur fera sentir encore davantage sa généreuse influence, car bientôt leur nombre s'accroîtra, les ressources plus abondantes leur permettront de construire leur église et d'achever convenablement les édifices réguliers. L'abbaye de Carnoët portera désormais le nom de Saint-Maurice [Note : La première mention de l'abbaye de St-Maurice se trouve dans un acte du 24 juin 1220, par lequel Hervé de Cabocel accepte la donation du reclus Gradlon. (Cfr. D. MORICE. P. I. 845)].
Le précieux corps fut d'abord déposé sous les dalles du Chapitre, suivant la coutume ; mais bientôt, en raison du grand concours des pèlerins, on dut le transporter à l'église, en un lieu accessible à tous, même aux femmes.
La translation eut lieu le lundi de Pentecôte 1193 ; le saint corps dut être placé d'une manière honorable, non loin de l'autel majeur. L'itinéraire de Bretagne dit que « son tombeau est élevé et resserré dans la paroi boréale du sanctuaire de l'église » (DUBUISSON-AUBENAY : Itinéraire de Bretagne en 1636, p. 98, Nantes, 1898).
On y lisait autrefois l'inscription suivante, recueillie par Monsieur de L'Hervilliers : « Paupertatis amans, patriam mundumque reliqui - Spiritum divitiis omnibus anteferens. - Post ad apostolicam cælestis principis aulam - Eximius tanti me patris egit amor - Quo duce promerear tandem super astra levari, Hospitor hic sacras conditus ante fores » (Petits bollandistes, de Mgr PAUL GUÉRIN, tome 10, p. 124).
La renommée du saint thaumaturge s'était vite répandue au loin, et, sans doute, les marins durent contribuer pour leur bonne part à cette rapide propagation, car leur saint ami continuait à les protéger du haut du ciel. En voici un exemple :
Un navire chargé de vin remontait la Laïta, quand soulevé par un coup de vent subit qui déconcerta le pilote, il se posa sur une roche plate et y demeura en panne. Les matelots jugeant que tout était perdu, s'empressèrent de déguerpir pour sauver leur vie. Depuis le lever du jour jusque sur le coup de midi, l'embarcation était demeurée immobile et tout faisait prévoir qu'elle ne s'en irait de là que par morceaux. L'armateur Guillaume de St-Arnould, qui était un chevalier du pays de Vannes, eut l'heureuse inspiration de se vouer à saint Maurice. Subitement le navire en détresse s'ébranla de lui-même et glissa dans le courant sans éprouver la moindre avarie. Les hommes émerveillés entonnèrent la louange du Dieu Tout-puissant, qui opère de tels prodiges par l'entremise de saint Maurice, l'ami et le protecteur des pauvres matelots.
Le bon Saint lui-même semblait bien encourager ses clients, quand il se manifestait à eux de manière vraiment extraordinaire. On le voit apparaître à un jeune moine du Relecq, pour le guérir de la fièvre ; à une jeune fille qu'il délivre d'obsession démoniaque ; à une pauvre démente, venue de Belle-Ile, qui, épuisée de fatigue, s'était endormie sur sa pierre tombale, et retrouva, au réveil, tout son bon sens.
Maurice a pitié de toutes les misères et se montre secourable à tous ceux qui l'invoquent dans leurs nécessités ; aussi, les bonnes gens ont-ils recours à leur cher Saint sans aucune hésitation et ne le font jamais en vain. Ils agissent d'ailleurs en toute simplicité, témoin cette pauvre veuve de Pédernec, au diocèse de Tréguier. Elle ne possédait qu'une truie sur le point de mettre bas, et c'était pour elle toute une fortune en perspective. Hélas ! la bête, abandonnée à elle-même, s'en alla marauder dans le champ de fèves d'un voisin, qui lui administra une volée de coups de bâton et la laissa morte à demi. La vieille poussa de profonds soupirs et versa des larmes, voyant sa truie en si piteux état. Elle fit mieux, recourut au bienheureux Maurice et lui promit un des porcelets, si les choses tournaient à bien. Bientôt l'animal parut se ranimer, accepta quelque nourriture, reprit des forces et finalement donna le jour à sept petits bien robustes, dont l'un portait au cou une marque distinctive en forme de collier ; signe manifeste, dit le bon chroniqueur, que c'était celui-là que saint Maurice s'était réservé. Il y aurait, ajoute-t-il, de quoi écrire tout un livre avec le récit des faveurs qui sont attribuées à saint Maurice par sa pieuse clientèle ; il énumère seulement les principaux, dont il avait été l'heureux témoin, au cours des premières années qui suivirent le glorieux trépas du saint abbé.
Dans la multitude des miséreux qui ont recours à sa protection se voient nombre de possédés. Une jeune fille de noble famille, hantée par la manie du suicide, cherchait à se pendre, lorsque ses parents désolés la conduisirent à Carnoët, après lui avoir lié les membres. Il y avait une telle foule ce jour-là, qu'il était impossible d'approcher le lieu où reposait le saint thaumaturge ; mais tout à coup, la malheureuse, qui avait paru privée de tout sentiment, se dressa d'elle-même sur son brancard, et retrouvant la parole, déclara que le Saint lui était apparu et lui avait promis sa guérison, pourvu qu'elle fît vœu de virginité perpétuelle. Son père y consentit et l'enfant fut aussitôt délivrée de tout mal.
Maurice n'oubliait point ses moines. A l'abbaye du Relecq, un jeune religieux, torturé par une fièvre ardente et de plus en proie à d'effarantes visions diaboliques, était sur le point de trépasser, quand le bienheureux Maurice, en compagnie de saint Benoît, lui apparut. Ils lui présentèrent une coupe remplie d'une potion blanche comme du lait ; à peine le moribond eut-il pris ce remède salutaire qu'il ressentit un bien-être général se répandre par tout son corps; il était radicalement guéri.
De tous les miracles, le plus merveilleux est de rappeler les morts à la vie. On attribue à saint Maurice plusieurs résurrections, et son biographe en rapporte cinq par lesquelles le bon Saint manifeste sa prédilection pour les enfants. Voici un petit garçon de Quimperlé qui se laissa choir dans les eaux de l'Ellé, sur le coup de neuf heures. A midi, on continuait de sonder le courant sans retrouver la moindre trace, quand le père et la mère émirent le vœu d'offrir leur enfant comme oblat au service de l'abbaye. Le corps fut ramené par le flot à la marée montante, mais il n'était plus qu'un cadavre livide et les voisins s'empressèrent aux préparatifs des funérailles pour le lendemain. Les parents, toutefois, n'avaient point perdu confiance. Ils ne cessaient de répéter avec larmes : « Vous qui êtes si puissant près de Dieu, grand saint Maurice, rendez-nous ce cher fils, qui sera votre serviteur! ». Leur prière fut exaucée avant que le soleil eût atteint l'horizon, et, cette fois encore, la mort dut livrer sa proie, alors que la vie triomphait par l'intercession du bon saint qui fut et sera toujours l'ami des enfants.
Matri reddidit parvulum
Quem mors acerba tulerat,
Et vita fungi meruit,
Quem
canalis sorbuerat.
(Prose du Missel de Carnoët 14ème siècle).
« Il rendit à sa mère l'enfant qu'un sort cruel lui avait arraché, et l’innocente victime que le courant emportait eut la chance de recouvrer la vie ».
Conscientes et reconnaissantes de cette particulière protection, de nos jours encore, beaucoup de mères lui vouent leurs enfants malades ou souffreteux ; à Carnoët, le jour du Pardon, on les fait passer sous la table de marbre qui porte les reliques du saint, comme pour l'inviter à les couvrir de son ombre, à en prendre possession.
Le fait est attesté, en 1643, par Gaudeschi, qui fut abbé de saint Maurice : « Omnes etiam parvuli circumjacentium regionum, antequam quadriennium attingant, ter aut quater sancto Dei afferuntur, ut a morbo, quod in illis provenciis parvulos circa illam ætatem vexare solet, liberentur ; et vota quæ quotidie parentes offerunt, satis ostendunt quantum a Sancto levamen accipiant » (MANRIQUE : Annales, III, p. 256).
Les foules qui accouraient de toutes parts à Carnoët, proclamaient hautement la gloire de leur saint protecteur, et, dans leur reconnaissance enthousiaste, elles n'hésitèrent point à le canoniser. Dès 1220, l'abbaye de Notre-Dame était mieux connue sous le nom de Saint-Maurice. Emu de ces pieuses manifestations, Renauld, évêque de Quimper (1219-1225) , d'accord avec les religieux, entreprit les démarches nécessaires afin d'obtenir de Rome la ratification de ce culte populaire, ainsi que le rapporte Manrique dans ses Annales [Note : Annal. Cisterc., III, p. 256 et IV, p. 241. Manrique fait usage des renseignements fournis par l'abbé de Carnoët. Gaudeschi, à la date du 4 avril 1643].
Après la mort de Maurice, la quantité des miracles obtenus à son tombeau excita la dévotion populaire ; et, par suite, la piété de ceux qui accouraient en foule, exaucés dans leurs vœux ou confiants de l'être, sollicitait de nouveaux prodiges et rendait de plus en plus évidente l'action divine. Les sourds, les muets, les aveugles, les boiteux se réjouissaient d'avoir recouvré la faculté de marcher, de voir, de parler et d'entendre. Déjà l'abbaye n'était plus connue que sous le nom de Saint-Maurice, et la bonne Vierge semblait agréer gracieusement ce culte rendu à son fidèle serviteur.
C'est alors que l'Evêque de Quimper, quelque peu hésitant, mais entraîné par la clameur populaire, résolut d'entreprendre une première enquête. Il fit comparaître ceux qui se vantaient d'avoir retrouvé la santé, l'usage de leurs membres ou de leur raison, tout en différant d'ajouter foi à leurs déclarations, tant qu'il n'aurait pas obtenu de leurs proches, des témoins et des médecins, la certitude de l'infirmité bien constatée et de la subite guérison, survenue en dehors des moyens ordinaires.
Avec une prudente sollicitude, il employa toute son activité à se rendre compte des moindres circonstances, de crainte que la foule, illusionnée, ne se laissât entraîner sous prétexte de dévotion, et que, appréciant les faits d'une manière purement superficielle — ainsi qu'il arrive trop souvent — elle ne glissât dans une sotte superstition, séduite par les apparences et considérant comme miracles certains prestiges naturels. D'autre part, il se fit un scrupule d'agir avec la plus grande discrétion à l'égard des dévots, pleins de confiance dans leur patron et de reconnaissance pour les bienfaits qu'ils attribuaient à sa généreuse intercession, afin de ne point les troubler dans la pratique d'un culte qui paraissait n'être pas dépourvu de fondement. Dès qu'il eut examiné avec attention les dépositions des témoins, il ne put s'empêcher d'y reconnaître des prodiges tellement merveilleux et multipliés, que le moindre doute ne lui était plus permis. Après en avoir délibéré avec les clercs de son Eglise, le vénéré prélat fit part de ses constatations au Chapitre général de Cîteaux, ainsi qu'aux autres évêques de Bretagne, pour leur permettre de vérifier l'authenticité des faits. Tous ensemble s'adressèrent au Pape Honorius (1216- 1227) sollicitant le Pontife Romain, de vouloir bien reconnaître le signe de sainteté que Dieu manifestait par tant de preuves ; de le proposer officiellement à la vénération des fidèles, ou, pour mieux dire, de vouloir bien ratifier le culte déjà rendu au bienheureux abbé par tous les cœurs que lui attachait la plus vive reconnaissance.
Ces premières démarches eurent lieu au temps du successeur immédiat de saint Maurice, Hervé de Cabocel (1192-1221).
Les pièces furent expédiées à Rome, sans doute portées par quelques-uns des moines, et le Pape, par un bref daté du Latran, 4 décembre 1221, confia à Jean, évêque de Léon, et à l'abbé de Ste-Croix, Daniel Ier [Note : D'autres disent à Rivallon de Trèfles, abbé de Laudévennec], la mission d'ouvrir un procès canonique sur la réputation de sainteté de Maurice, et sur les miracles qui lui étaient attribués : « Ut inquirerent super prædicti sancti vita viri et miraculis diligentissime veritatem ».
En vertu du bref d'Honorius III, on fit comparaître tous ceux qui se vantaient d'avoir recouvré la santé ou d'avoir obtenu quelqu'autre faveur par l'intercession de saint Maurice. Cette enquête fut véritablement extraordinaire et telle qu'on n'avait jamais rien vu de semblable. Il se présenta en effet tant de témoins, et en si grande foule, rivalisant à qui rendrait le plus bel hommage à leur grand bienfaiteur, qu'il fut impossible, rapporte la chronique, de les entendre chacun en particulier ; on dut se contenter de prendre leurs noms, et de leur faire prêter serment par groupes, suivant les dépositions qui avaient été faites d'une voix unanime et dans les mêmes termes, pour ainsi dire, concernant ce qu'ils avaient vu, entendu et constaté. Les postulateurs et les juges ne pensèrent point que cette manière de procéder pût nuire à l'enquête ; ils estimaient au contraire que ces déclarations unanimes de la multitude formaient cette voix du peuple, qui est considérée comme la voix de Dieu. Ils pensaient que le témoignage était d'autant plus efficace et certain, qu'il procédait d'un plus grand nombre de personnes, réunies, non de leur plein gré, mais au nom du Souverain Pontife et par son ordre. C'est pourquoi, on expédia à Rome, signé et scellé, au lieu de la déposition individuelle de chaque témoin, le témoignage global des différents groupes [Note : La Vita prima semble bien être le résumé de cette première enquête. A l'occasion du Procès de St-Vincent Ferrier, les témoins, furent si nombreux qu'on dut renoncer à les entendre tous]. Le Pape ne suspecta point la vérité des faits exposés, sachant bien que si l'un ou l'autre particulier peut se tromper, il est moralement impossible que tous ensemble soient déçus ou simulateurs. Il voulut cependant que toutes les règles du droit fussent strictement observées, qu'on examinât individuellement les témoins sur la substance et les circonstances de chaque fait miraculeux, surtout dans une cause de cette importance, où il s'agissait de prodiges nombreux et tout à fait extraordinaires. Il réclama donc une nouvelle enquête, non pas tant pour vérifier la certitude des déclarations précédentes que pour faire respecter les formes juridiques. Le second bref daté de Riéti, 1er septembre 1225, dit en effet : « Non apparet... quod testes examinaverint singillatim et quod eos super his de quibus testificati fuerint, et circumstantiis cum ea interrogaverint diligentia quæ solet et debet in testium receptionibus adhiberi ».
La nouvelle commission d'enquête est confiée à Renaud, évêque de Quimper, et à Guillaume, évêque de Tréguier. On ignore quel en fut le résultat ; mais nous voyons, deux ans plus tard, l'évêque de Quimper adresser à Rome une nouvelle instance, appuyée par le chapitre général de Cîteaux ( 1227).
La bulle de canonisation de saint Maurice n'a jamais été signalée et cependant, dès cette époque il jouit d'un culte public et autorisé. Il paraît bien évident qu'on n'aurait pu ériger des chapelles sous son vocable, ni célébrer sa fête liturgique, sans l'assentiment formel de l'autorité pontificale.
L'abbé Gaudeschi écrivait à Manrique, en 1643, que l'image de saint Maurice figurait, parmi les autres Saints, sur l'autel majeur de Carnoët ; elle était ciselée sur une grande croix en argent qui avait plus de cent ans d'existence, ainsi que sur les calices d'autrefois. Dans les plus anciens missels, sa messe figurait au 5 octobre, avec une prose particulière, et l'un de ces missels remontait à plus de trois siècles, c'est-à-dire jusqu'avant le XIVème siècle. Plusieurs sanctuaires lui étaient dédiés à travers la Bretagne, particulièrement à Loudéac, que l'on considérait alors comme le lieu de sa naissance. Ainsi, dès le XIIIème siècle, la fête de saint Maurice était célébrée en Bretagne avec l'approbation formelle, ou tout au moins tacite, du Saint Siège apostolique. Elle figure au cérémonial de Saint-Méen, qui date du XVème siècle : III non. Octob. Mauritii abbatis commemoratio. (Bibliothèque Nationale, Man. Lat. 9, 889).
Au début du XVIIIème siècle — vers 1710 ou 1712 — le Pape Clément XI autorisa les Cisterciens à célébrer la fête de saint Maurice sous le rite double majeur.
Benoît XIV, qui n'avait concédé à saint Maurice que le titre de Vénérable dans son ouvrage : De la béatification des serviteurs de Dieu, fit, postérieurement à la publication de ce volume, insérer au 13 octobre le nom du saint abbé dans le Ménologe Cistercien, tout en signalant qu'il n'a point été officiellement canonisé : « Au Diocèse de Quimper, dans la petite Bretagne, fête de St-Maurice, abbé de l'ordre de Cîteaux, qui a laissé de sa sainteté et de sa gloire, plusieurs preuves éclatantes ».
Cette fête n'apparaît que tardivement au propre des diocèses bretons. Elle figure en 1783, sous le rite double, pour St-Brieuc (15 octobre) ; à Quimper en 1835, au 5 octobre, rite semi-double ; à Vannes, en 1915 seulement, mais saint Maurice y était déjà mentionné parmi les Saints du diocèse, au deuxième dimanche de juillet.
Il demeure donc bien établi que saint Maurice a joui de temps immémorial, d'un culte reconnu, sans qu'il ait été admis aux honneurs de la canonisation. On en a bien des fois cherché la raison. La seule vraisemblable, dit Dom Dominique Nogues, serait la carence voulue du Chapitre général de l'Ordre, qui au XIIIème siècle se désintéressait absolument des causes de béatification, parce qu'il y en avait trop. Et c'est précisément, alors que le Pape Honorius prescrivait aux évêques de Bretagne d'informer sur la vie, les miracles et les vertus de l'abbé de Carnoët, qu'à Cîteaux on prenait, au sujet d'un autre serviteur de Dieu, une décision restée célèbre. En l'année 1228, les religieux de l'abbaye de Villers, en Brabant, touchés des vertus d'un des leurs, le Bienheureux Arnould, qui manifestait sa gloire et son crédit auprès de Dieu par de nombreux prodiges, demandèrent au Chapitre général de le faire inscrire au Catalogue des Saints. Leur requête fut repoussée par cette définition surprenante : « Ne multitudine viluerent in Ordine ». Ainsi, de crainte que le trop grand nombre de Saints dans l'Ordre ne les fît tomber dans le discrédit, il était refusé de poursuivre désormais aucune autre cause de canonisation. Saint Maurice fut vraisemblablement une des victimes de ce terrible décret, mais la ténacité bretonne sut lui maintenir son auréole malgré tout.
Assez peu connu en dehors de son pays d'origine, Maurice demeure un Saint éminemment breton, qui appartient aux trois diocèses : à Vannes par le lieu de sa naissance ; à St-Brieuc, en raison des années de sa jeunesse ; à Quimper, par toute sa vie religieuse et sa sainte mort. Aussi, est-il vénéré dans le Bretagne entière, où plusieurs chapelles furent érigées en son honneur [Note : Chapelles St-Maurice en Loudéac, en St-Guyomard, en St-Mayeux, en Inguiniel. Locmaria en Plumergat, Le Moustoir en Kernével (1538). Ont disparu, celles de Locronan, de Plédran, de Plonéïs, de Guiscriff… — Reliques : Carnoët (Château St-Maurice), Abbaye de Langonnet, St-Saturnin de Toulouse, Manoir de Rosgrand, Plonéïs. Clohars-Fouesnant, Loudéac, Noyal-Pontivy, Croixanvec, Thymadeuc et autres abbayes cisterciennes. — Iconographie : Cfr. P. CAHIER : p. 256, le miracle des corbeaux ; p. 532, le miracle des loups ; Vies des Saints du Pèlerin, n° 1.021, le miracle des rats. — Statues : Canoët, chapelle du Château, Abbaye de Langonnet, église de Langonnet, église de Loudéac (1775), Le Moustoir en Kernével. St-Philibert de Trégunc, St-Guyomard, Ste-Cécile de Briec, Locronan, Plonéïs, Clohars-Fouesnant, Plumergat, Nostang, Inguiniel, Noyal-Pontivy, Croixanvec (1577), école libre de Plédran, Helléan, Le Crano en Croixanvec, Trois-Fontaines en Hémonstoir, ancienne statue provenant de Croixanvec (collection de M. le chanoine Guillevic). — Vitraux : St-Maurice en Loudéac (1564), reproduit à N.-D. des Vertus ; église de Loudéac, Croixanvec (sept vitraux), cathédrale de Quimper, Chapitre de Langonnet. — Fresques de Noyal-Pontivy (1572) ; Abbaye de Langonnet, peintures du P. Briault (1935)].
(Albert David).
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