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Pierre Abélard (1079-1142) et Héloïse (1095-1164) |
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Pierre ABAILARD ou ABÉLARD [Note : Nos aïeux faisaient grand cas du lard : c'était pour eux le mets succulent par excellence. Il n'y a qu'a voir comme Rabelais parle des poids au lard ! Il eût été bien capable de composer le savant traité qu'il met dans la bibliothèque de Saint Hilaire : « Des poids au lard, cum commento ». C'est qu'il y avait de quoi commenter dans un texte si riche ! Le lard entrait encore comme racine dans le nom d'un illustre philosophe : Abailard, c'est-à-dire celui qui aboie le lard, après le lard. Tous les noms propres étaient originairement des sobriquets caractéristiques. Cette étymologie détermine la véritable orthographe du nom d'Abailard. La forme Abaielard serait la meilleure (Aboie-lard), mais la forme Abélard doit être rejetée comme insignifiante, et c'est justement la plus en usage. Elle vient du latin Aboelardus, calqué lui même sur le français ; mais d'une transcription à l'autre, le sens s'est évanoui (Recréations philologiques ou Recueil de notes pour servir à l'histoire des mots de la langue française par Fr. Génin ; t, 1er. p. 435 Paris, Chamerot, 1856, 2 vol. gr. in 8°. — Voir aussi l'Abélard de Ch. de Rémusat, t. 1, p. 13 ; Paris, Didier, 1845, 2 vol. in-8°], ce fameux et infortuné docteur, aussi connu dans l'Europe savante par son beau génie, que par les malheurs et les persécutions de toute espèce qu'il essuya pendant sa vie.
Gravure de 1846 de Oleszezinski d'après un dessin de Guilleminot |
Tout le monde sait combien le douzième siècle et les suivants furent peu fertiles en vrais savants, en gens de lettres et surtout en beaux esprits. C'est cependant dans le douzième siècle que naquit Pierre Abailard, d'une famille noble de la paroisse du Palais (Palatium), aujourd'hui Pallet. Sa mère se prénommait Lucie, son père, Béranger, lequel se chargea de l'éducation de ses enfants. Pierre eut trois frères et une sœur : Raoul, Porcaire et Dagobert et Denyse (NDLR). Il était l’aîné de ses frères, et leur laissa tous les avantages de son droit d'aînesse, pour se livrer entièrement à l'étude. La dialectique était la science pour laquelle il se sentait le plus d'attrait et de talent. Le désir de se faire une réputation l'engagea à parcourir les différentes provinces de France. Dévoré par la passion d'embarrasser, par ses raisonnements, les hommes les plus déliés de l'Europe, il se rendit à Paris, auprès de Guillaume de Champeaux, archidiacre de Notre-Dame, le plus grand dialecticien de son temps. Abailard chercha d'abord à s'en faire aimer et n'eut pas de peine à y réussir ; mais l'avantage qu'il eut dans plusieurs disputes, lui attira l'aversion de son maître et l'envie de ses condisciples. Ce redoutable athlète se sépara d'eux, pour aller soutenir des assauts ailleurs. Il ouvrit d'abord une école à Melun, ensuite à Corbeil, enfin à Paris. Son nom devint si célèbre, que tous les autres maîtres se trouvèrent sans élèves. Le successeur de Guillaume de Champeaux, dans l'école de Paris, lui offrit sa chaire et ne rougit pas de se mettre au nombre de ses disciples. Abailard devint l'auteur à la mode. Il joignait, aux talents de l'homme de lettres, les agréments de l'homme aimable. S'il fut admiré des hommes, il ne plut pas moins aux femmes. |
Il y avait alors à Paris une jeune fille, pleine d'esprit, de goût et de charmes, nièce de Fulbert, chanoine de Paris. Son oncle, qui l'aimait tendrement entretenait la passion qu'elle avait de devenir savante. Abailard trouva dans les dispositions de l'oncle et de la nièce, un moyen de satisfaire la passion qu'Héloïse lui avait inspirée. Il proposa à Fulbert de le prendre en pension, sous prétexte qu'il aurait plus de temps à donner pour l'instruction de son élève (Note : la maison qu'occupait le chanoine Fulbert, dans l'île Saint Louis, est devenue, sous le second empire où pullulait la police, un poste de sergent de ville. On lisait antérieurement ces deux vers inscrits sur la façade : Des fidèles amans modèles précieux, Héloïse, Abélard habitèrent ces lieux).
Abailard la rendit bientôt sensible. L'attachement mutuel du maître et de l'écolière excitant les cris du public, Fulbert vint rompre leurs liens en les séparant ; mais leur chaîne était déjà formée de façon à ne pouvoir se rompre. Héloïse portait dans son sein le fruit de ses faiblesses. Abailard l'enleva et la conduisit en Bretagne, où elle accoucha d'un fils, qu'on nomma Astrolabe et qui devint chanoine de Nantes. Fulbert tonnait contre le séducteur. Abailard fit proposer d'épouser Héloïse, pourvu que leur mariage demeurât secret. Les deux époux reçurent la bénédiction nuptiale ; mais l'oncle ne crut pas devoir faire un mystère d'une chose qui réparait l'honneur de sa nièce. Héloïse, à qui la gloire d'Abailard était plus précieuse que sa propre réputation, nia leur union avec serment. Fulbert, irrité de cette conduite, la traita si mal, que son époux l'arracha à son tyran et l'enferma dans le monastère d'Argenteuil, où elle avait été élevée. Fulbert, s'imaginant qu'Abailard voulait faire Héloïse religieuse pour s'en débarrasser, chercha le moyen de se venger d'une manière éclatante. Il aposta des gens qui entrèrent dans la chambre d'Abailard, pendant la nuit, et le privèrent de ce qui avait été la source de ses malheurs et de ses plaisirs. Cet amant infortuné alla cacher son opprobre dans l'abbaye de Saint-Denis, en France, où il se fit religieux. Héloïse prenait en même temps le voile à Argenteuil, moins en chrétienne qui se repent, qu'en amante qui se livre à son désespoir. Au moment qu'elle allait recevoir l'habit religieux, elle récita des vers de Lucain, qu'elle appliquait à ses aventures. |
Gravure des années 1860 |
Cependant les disciples d'Abailard le pressaient de reprendre ses leçons publiques. Il ouvrit d'abord son école à Saint-Denis, et ensuite à Saint-Avoul de Provins. L'affluence des étudiants fut si grande, que quelques auteurs en font monter le nombre jusqu'à trois mille. Les succès d'Abailard éclipsèrent la gloire des autres maîtres et réveillèrent leur jalousie. Soit zèle, soit vengeance, ils se déclarèrent contre son Traité de la Trinité, condamné au concile de Soissons, vers l'an 1121. Il le fut de nouveau à celui de Sens, en 1140, à l'instigation de Saint Bernard. Ce célèbre réformateur y dénonça les propositions d'Abailard, et le pressa de les nier ou de se rétracter. L'illustre errant ne fit ni l'un ni l'autre ; il sortit brusquement du concile, en s'écriant qu'il en appelait à Rome. Sa fuite fut jugée une défaite. Ses ennemis en triomphèrent ; mais l’appel au pape était embarrassant. Les évêques n’ayant rien décidé par respect pour lui, employèrent la plume de Saint-Bernard, qui rendit compte au souverain pontife de l'assemblée de Sens (Note : Il existe un autre récit, bien différent, par l'écolâtre Bérenger, disciple d'Abailard, de la manière dont on procéda, dans ce concile, à la condamnation des écrits de son maître : « Enfin, après le dîner, dit-il, on apporta le livre d'Abailard, qu'on fit lire, à haute voix, par un membre de l'assemblée. Lorsqu'il en eut lu quelques pages, les pères commencèrent à l'insulter, à frapper du pied, à rire et à plaisanter de telle sorte qu'on eut dit que Bacchus les rassemblait, plutôt que le zèle dont ils devaient être animés pour la foi de J.-.C. Ensuite on emplit les verres, on se porta des santés, chacun fit l'éloge du vin, et les pères en buvaient à l'envi. Cependant, le lecteur continuait, et quand ils entendaient quelque chose de savant et de divin, auquel leurs oreilles n'étaient point accoutumé, ils le lacéraient dans leurs coeurs, grinçaient des dents contre le philosophe et allaient jusqu'à s'écrier, dans leur aveuglement : Quoi ! nous souffririons qu'il existât parmi nous un tel monstre ! C'est ainsi que !es aveugles jugent ceux qui voient clair, et que des gens ivres condamnent un homme sobre. La tempérance dés prélats s'était largement abreuvée d'un vin dont une seule goutte d'eau n'avait point altéré la pureté, et ils étaient tous plus ou moins assoupis, lorsque le greffier leur cria d'une voix retentissante : Le condamnez-vous ? Une partie répondit en fureur : Nous le condamnons. D'autres, à demi réveillés et chancelants dirent, en tronquant la première syllabe : Damnons. Le reste, tout à fait somnolent, balbutia néamoins la dernière partie du verbe et dit, en branlant la tête : Ons. ». Si l'on pouvait prendre à la lettre ce récit humoristique des plus plaisants, que nous avons quelque peu abrégé, ce serait à croire que l'on sort d'une réunion du caveau et non de la tenue d'un concile).
Abailard est fort mal traité dans les écrits du saint abbé de Clairvaux. Innocent II ratifia tout de que le concile de Sens avait fait. Il ordonna que les livres d'Abailard fussent brûlés et que leur auteur fut enfermé, avec défense d'enseigner. Abailard, aussi malheureux en écrits qu'en amour, publia son apologie, mais sa foi n'en fut pas moins suspecte. Pour regagner l'estime publique il crut devoir poursuivre son appel au Saint-Siège et partit pour Rome. En passant à Cluny, Pierre le Vénérable, abbé de ce monastère, sensible à son mérite et à ses malheurs, le retint dans sa solitude et entreprit sa conversion. Il en vint à bout par sa douceur et sa piété. Cet homme, plein d'humanité, de vertus, de raison et d'esprit, peignit sa situation et son repentir au pape, et obtint son pardon. Il travailla en même temps à le réconcilier avec Saint-Bernard et y réussit. Quoique Abailard fût entré dans le cloître, plutôt par dépit que par piété, ses lettres à Héloïse semblent attester qu'il ne tarda pas à prendre l'esprit de cet état Cette tendre amante était alors au Paraclet. C'était un oratoire que son amant avait bâti, près de Nogent-sur-Seine, en 1122, en l'honneur de la Trinité. Héloïse s'y était retirée, peu de temps après, avec plusieurs autres religieuses auxquelles elle prêchait autant par ses exemples que par ses leçons. Abailard marchant sur les traces de son épouse, ne songea plus qu'à se consoler dans le sein de Dieu, des épines dont les hommes ont semé la vie. Cette paix de l'âme, que n'avaient pu lui procurer les plaisirs et la gloire, il la trouva dans le désert de Cluny. Devenu très-infirme, il fut envoyé au monastère de Saint-Marcel, près de Châlons-sur-Saône, et y mourut en 1142, à soixante-trois ans. Héloïse demanda les cendres d'Abailard et les obtint. Elle fit enterrer au Paraclet le corps de son époux, immortalisé par elle encore plus que par ses écrits.
Tombeau d'Abélard et Heloïse en 1845
Les oeuvres d'Abailard ont été données au public, par François d'Amboise, conseiller d'Etat ; Paris, Nic. Buon, 1616, in-4°, avec les notes d'André Duchesne. Les exemplaires de cet ouvrage sont de deux sortes : les uns, et ce sont les plus communs, portent sur le titre le nom de François d'Amboise, auteur de la préface apologétique pour Abailard que ce même titre annonce ; les autres, avec le nom d'André Duchesne, n'ont plus la préface apologétique, mais seulement un épître dédicatoire, une préface et des testimonia qui ne sont pas dans les premiers. On a quelques autres écrits de lui dans les bibliothèques publiques et particulières [Note : Parmi ces derniers se trouvait le fameux Sic et Non (Oui et Non), qui a commencé le débat de la raison et de la foi, et dont Victor Cousin a donné, en 1836, une excellente édition, précédée d'une introduction très remarquable sur la philosophie scolastique. Paris , Impr. royale, in-4° ; volume compris dans la Collection des documents inédits relatifs à l'histoire de France]. Les lettres d'Héloïse et d'Abailard, qui en font la partie principale, ont été imprimées séparément à Londres, en 1718, en un vol. in-8. La traduction française de ces lettres et la vie des correspondants, données par dom Gervaise, ancien abbé de la Trappe, sont, dit l'abbé Ladvocat, de véritables romans, mais moins libres que les autres prétendues versions en prose et en vers de ces lettres.
A l'imitation de plusieurs beaux esprits et poètes de ces derniers temps, un citoyen de Nantes, amateur de littérature, s'est amusé à mettre aussi, en forme de roman, une partie de l'aventure d'Abailard avec Héloïse. (Voir dans le Dictionnaire de Bayle, l'article sur la vie et les ouvrages d'Abailard).
Note : Décédée en 1164, Héloïse sera enterrée au Paraclet à côté de Abélard. En 1817, la ville de Paris organise le transfert de la dépouille d'Héloïse et Abélard au cimetière du Père-Lachaise.
(Greslan et Hubelot, 1766)
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