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Le Gouvernement de la Bretagne sous la duchesse Anne |
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Le Gouvernement de la Bretagne sous la duchesse Anne, deux fois reine de France, d'après les mandements de sa chancellerie (1489-1513).
La revue des actes signés par la duchesse Anne a pour résultat de nous démontrer que cette princesse ne s'écarta pas des coutumes et des libertés qui formaient les assises de la constitution bretonne. Elle voulait, comme ses ancêtres, que le gouvernement fût constitutionnel, j'allais dire parlementaire, car elle ne manqua jamais de consulter les Etats de Bretagne et d'entendre les remontrances des Gens des Comptes dans les circonstances importantes. A peine était-elle en possession de sa couronne ducale qu'elle écrivait aux habitants de Rennes en les invitant à convoquer les notables, « les gens d'église et les bourgeois », afin de les consulter sur l'opportunité de respecter le traité conclu avec la France par son père (Arch. mun. de Rennes, art. 1, n° 54).
Elle leva des impôts extraordinaires, mais avec l'approbation des Etats, et quand les événements empêchèrent la réunion des assises régulières, elle rassembla les principaux personnages pour former un Grand Conseil. Nous savons que les assises convoquées au début de 1490, pour obtenir le vote d'une taxe de guerre, se composaient de délégués de l'Eglise, de la Noblesse et de ceux des bonnes villes. Ainsi, elle admettait toujours le concours des trois Ordres sans jamais exclure la bourgeoisie, elle suivait, d'ailleurs, l'opinion publique qui était fermement attachée à ces principes, à tel point que la réunion de la Bretagne à la France, consommée en 1532, n'y put rien changer bien que le roi fût très pressé de jouir de son autorité.
On sait que la guerre ne faisait pas peur à la duchesse et qu'elle était décidée à donner sa main à l'archiduc d'Autriche pour échapper à une fusion qui aurait détruit l'autonomie de la Bretagne. Dès le mois de février 1491, le nom de Maximilien figura en tête des actes publics de la chancellerie bretonne à côté de celui de la duchesse qui, pendant une partie de l'année, prit la qualité de reine des Romains. Le roi Charles VIII n'hésita pas à châtier de suite cette révolte contre les lois féodales en marchant sans retard vers la vallée de la Loire pour enlever la place de Nantes. Son attaque fut brusquée sans être sanglante et dévastatrice. Il acheta les Gascons qui gardaient Nantes avec la complicité du sire d'Albret, se fit livrer le château dans la nuit du 19 au 20 mars, et s'empressa de gagner le cœur des Nantais en leur offrant de les maintenir dans la jouissance de leurs privilèges [Note : Traité relatif à la reddition de la ville de Nantes. (Arch. mun., EE 192].
Ceux-ci avaient depuis longtemps la liberté de percevoir des taxes de navigation sur les bateaux ; — de billot sur les boissons ; — de denier pour livre sur les marchandises ; — de pavage pour l'entretien des ponts et des fortifications ; ils eurent la satisfaction de recevoir des lettres de confirmation datées du 26 mars [Note : L'enregistrement au Parlement de Paris est de juillet 1491 (Arch. mun. de Nantes, AA 2, AA 4 ; arch. dép., B 123). Il y a d'autres lettres de septembre pour interpréter les premières]. Quand Charles VIII se présenta, le 4 avril suivant, pour faire son entrée solennelle, il fut accueilli comme il le souhaitait. La duchesse, au contraire, perdit ce jour-là un grand point d'appui ; c'est pourquoi elle se réfugia à Rennes pendant que le roi continuait de prendre possession de l'autorité souveraine et d'étendre son action sur les esprits.
Le 25 juillet 1491, il investit Louis de la Trémoille, le vainqueur de Saint-Aubin-du-Cormier, de la charge de capitaine de la ville et du château de Nantes, puis il porta ses vues sur le duché tout entier en convoquant, à Vannes, les Etats de Bretagne pour la fin de l'année, après avoir préparé des moyens de séduction propres à les captiver.
Dès le mois de mai 1491, il avait, déclaré, en effet, dans un mandement public, qu'il n'exigerait rien des restes à payer pour l'exercice courant sur les rôles des fouages en recouvrement en Bretagne. C'est ainsi que Charles VIII se préparait des amis avant de saisir la couronne ducale pour la mettre sur sa tête ; il ne négligeait pas non plus de ménager l'orgueil breton en désignant le vicomte de Rohan pour son lieutenant-général en Basse-Bretagne [Note : Inventaire des titres des Rohan, f° 117 (Bibl. mun. de Nantes, Blain, cote 6)] et son commissaire à l'Assemblée des Etats. Les gens d'église eurent aussi leur part dans ses faveurs, car il accorda des lettres de confirmation aux Minimes, aux Carmes et aux religieux de Redon dans la même année.
Tous ces moyens étaient de bonne guerre contre la duchesse, si peu française alors ; ils ouvraient tous les cœurs à la bienveillance envers l'envahisseur. Quand Charles VIII épousa l'héritière des ducs, en décembre 1491, il avait déjà fait main basse sur sa dot ; il se moquait de la rivalité de Maximilien en signant des ordres et en distribuant des faveurs aux Bretons et jusqu'aux conseillers intimes de la duchesse, puisque Jean de Chalon reçut, en octobre 1491, des lettres qui le maintenaient dans la jouissance des domaines de Toufou, de Sucinio et des ports de Couesnon et d'Arguenon. En fait Charles VIII se considérait comme le souverain légal de la Bretagne et agissait en conséquence.
Le mariage une fois consommé, la reine Anne conserva son titre de duchesse de Bretagne mais elle cessa d'administrer ses Etats comme au temps de Maximilien. Elle se démit de toutes les prérogatives de sa couronne, non toutefois sans faire des réserves au profit de tous les fidèles et dévoués serviteurs qui l'avaient assistée pendant la période pénible de l'envahissement de son duché. A son contrat de mariage fut annexé un traité d'arrangement dont les articles nous révèlent l'avidité de ses contemporains pour la possession des faveurs du prince. Les Français engagèrent une lutte pour se substituer aux amis de la reine ; ils se croyaient fondés à les remplacer comme on écarte les personnages en disgrâce. Le roi eut le bon goût de leur imposer silence, de condamner leurs revendications et de conserver dans leurs fonctions tous les officiers qui devaient leur nomination à la duchesse vaincue. Non seulement il signa des lettres patentes où il déclara solennellement que telle était sa promesse, mais encore il envoya des lettres de confirmation à chacun des officiers et dignitaires choisis par la reine Anne [Note : Ordonnance du 24 août 1492 maintenant en fonctions les officiers nommés par la duchesse. (Arch. dép. Loire-Inférieure, E 72 et 128)].
Si la main de la reine n'apparaît pas visiblement au bas des actes signés par Charles VIII, il n'est pas douteux que, dans l'intimité, elle ait pesé gracieusement sur les déterminations de son royal époux, afin de le maintenir dans la ligne de conduite qu'elle souhaitait. Sans son attitude très ferme, on se demande si la constitution bretonne aurait été si exactement respectée. N'est-elle pour rien dans la déclaration qui fut lue dans la session des Etats de juillet 1492 (Dom Morice, Histoire de Bretagne, Pr. III, col. 730), par les représentants du roi, et dans laquelle il s'engage à observer les coutumes et les libertés bretonnes sur deux points importants : la levée des impôts et les règles judiciaires. Charles VIII fit savoir que son intention était de ne pas recourir aux impôts tels que les fouages et les aides ou subsides, sans un vote préalable de l'Assemblée des Etats, comme le faisaient les anciens ducs. Quant aux privilèges judiciaires, il déclara que les sujets bretons ne pouvaient pas être contraints de plaider ailleurs que devant leurs juges naturels (Artur de la Gibonnais, t. II. pp. 14 et 15).
Enhardis par ces concessions du souverain, les Etats réunis à Vannes, au mois d'octobre 1492 rédigèrent de nouvelles remontrances sur quelques abus qui soulevaient de nombreuses plaintes. La réponse fut un édit royal en 13 articles qui donne satisfaction à toutes les réclamations.
Ainsi, pour la question des impositions, le roi avait offert, comme don de joyeuse entrée, la remise de l'arriéré des taxes non payées en mai 1491, et, malgré cette concession, les traitants poursuivaient le recouvrement de toute l'année. L'édit interdit toute poursuite de ce chef, de même qu'il défend aux capitaines des francs-archers de passer des revues de leur propre autorité et aux gens de guerre d'abuser de leur force pour commettre toutes sortes d'excès.
Sous ce rapport, la duchesse Anne n'avait rien à se reprocher, elle avait spontanément défendu à ses troupes et aux capitaines de rien prendre sans payer dans les paroisses qu'ils traversaient. Quant au recrutement de son armée, elle ne voulait pas qu'aucun détenteur de fief pût se croire exonéré de la comparution aux montres ; quand elle affranchissait une terre roturière, elle n'oubliait pas de stipuler que les propriétaires successifs seraient assujettis aux convocations du ban et de l'arrière-ban. L'un de ses mandements nous fait connaître que les domaines nobles qui ne rapportaient qu'un revenu modique, inférieur à 40 livres, étaient seuls dispensés de l'arrière-ban. Il est probable que l'obligation de ces derniers se réduisait au paiement d'une taxe proportionnée à leurs facultés, suivant un usage qui fut en vigueur jusque sous le règne de Louis XIV (Bull. de la Soc. archéol. de .Vantes, 1911, p. 48).
Charles VIII posa aussi des règles sages pour la collecte des impôts et la poursuite des contribuables, pour la perception des aides de ville et du convoi de mer. Quant à l'exercice de la justice, il promit que les offices ne seraient plus confiés à des clercs ignorants. Si des dérogations au droit de patronage sont commises dans la répartition des bénéfices ecclésiastiques, au moyen de ruses et d'artifices, l'édit royal frappe ces manoeuvres de réprobation (Artur de la Gibonnais, II, pp. 16-23).
Etant donné les soucis que devait causer au roi la préparation de son expédition en Italie, il semble que Charles VIII aurait dû renoncer au gouvernement intérieur du duché et abandonner à la reine tout au moins quelques attributions honorifiques et la signature de certains actes d'ordre inférieur. Il ne lui laissa pas cette satisfaction et garda pour lui toutes les prérogatives. De 1493 à 1503, la chancellerie de Bretagne est fermée ; plus de lettres patentes, de mandements ou de provisions enregistrées soit à Nantes, soit à Rennes : les actes d'administration émanent tous du roi.
C'est Charles VIII qui nomme les conseillers du Parlement et de la Chambre des Comptes, qui fixe le siège de la chancellerie à Rennes et à Nantes, qui approuve les statuts des corporations, qui rétablit la bourse d'Espagne à Nantes (Archives mun. de Nantes, CC 383) qui ordonne la construction d'une nef pour le transport des troupes, qui réprime les fraudes commises au détriment des fermiers du billot. Tant que ce roi vécut, la reine Anne demeura comme en tutelle, portant en vain son titre de duchesse de Bretagne ; mais, dès qu'elle fut veuve, en 1498, elle reprit les rènes du gouvernement ducal, comme en 1489-1490, elle distribua des lettres de confirmation aux maisons religieuses, des provisions de charges civiles et militaires, organisa la Chambre des Comptes et la Chancellerie, en un mot fit acte de souveraine [Note : Le mariage de Louis XII est du 7 janvier 1499].
Louis XII, plus galant que son prédécesseur, ne voulut pas dépouiller la reine de ses prérogatives de duchesse ; reconnaissant ses talents politiques, il lui laissa la signature de la plupart des nominations en se bornant à délivrer des lettres de confirmation [Note : Plusieurs actes de provision portent la mention « à la nomination de la Royne »]. Comme Charles VIII, Louis XII fut contraint par l'usage de donner son adhésion aux principes servant, de base à la constitution bretonne, et de déclarer publiquement comment il entendait le respect des franchises et des libertés de ce pays d'allure indépendante. Son code législatif est conforme à la doctrine bretonne.
Les institutions établies se nomment les Grands Jours ou les assises du Parlement général qui jugent les appels de tous les procès ; les Etats du Duché ou les assises tenues par le Clergé, la Noblesse et la Bourgeoisie pour le vote de l'impôt ; la Chancellerie ou Conseil ; la Chambre des Comptes et la Trésorerie. Plus d'appel au Parlement de Paris, sinon dans les cas de déni de justice et de faux jugement. L'autorité des prévôts des maréchaux est restreinte aux gens de guerre et les frais de justice criminelle sont assignés d'avance sur les recettes des Domaines. Quand un bénéfice ecclésiastique est vacant, il doit être réservé à un prétendant, originaire du duché, à l'exclusion des étrangers. Chaque impôt a une destination spéciale et le billot, créé surtout pour l'entretien des fortifications, des ponts et du pavage, ne doit pas être détourné de son but et appliqué à un autre objet. Telles sont les règles que Louis XII promit d'observer en prenant possession de la Bretagne.
La reine Anne n'avait qu'un souci, celui de reprendre le gouvernement de son duché à la première occasion favorable ; elle le montra bien, en 1504, lorsque Louis XII, pendant une maladie grave, fut considéré comme moribond par son entourage. La reine tourna de suite ses pensées vers la Bretagne et fit transporter ses bagages les plus précieux sur la Loire pour s'installer à Nantes avant l'avènement du nouveau souverain. Le maréchal de Gyé, Pierre de Rohan, qui l'observait, se brouilla avec la souveraine dans cette circonstance, en arrêtant les bateaux de transport à la hauteur de Saumur. Néanmoins, lorsque Louis XII fut revenu à la santé, il ne lui garda pas rancune de cette tentative d'émancipation, à telle enseigne qu'il lui permit en l'année 1505 de faire un voyage triomphal en Bretagne, chose qui n'était pas encore arrivée à la duchesse. Cela lui procura l'occasion de distribuer des faveurs à la plupart de ses bonnes villes.
De 1506 à 1513, elle ne cessa de signer des mandements, des lettres patentes et des provisions de charges au profit de ses chers compatriotes parmi lesquels elle aimait à choisir ses familiers et serviteurs ordinaires, cortège domestique qui ne la quittait pas dans ses fréquents séjours dans la vallée de la Loire. L'une des galeries du château de Blois garde encore le nom de perchoir aux Bretons et perpétue le souvenir des réunions chères aux amis de la reine dans cette résidence royale.
II. — Procédés financiers. Emprunts.
Quand les ducs avaient besoin d'argent, ils pratiquaient l'emprunt forcé sur les plus riches de chaque ville ou de chaque paroisse rurale et autorisaient ensuite ceux-ci à dresser un rôle de répartition sur leurs concitoyens pour se rembourser de leurs avances ; parfois, ils se bornaient à engager leurs bijoux et leur vaisselle d'argent entre les mains des Juifs ou des changeurs. La duchesse Anne, qui n'avait pas de trésor de guerre pour lutter contre Charles VIII, ordonna à son trésorier général d'entrer en correspondance avec le trésorier de chaque paroisse auquel on adjoignit 6 ou 10 des plus aisés qui avancèrent les cotisations demandées. En 1491, on préleva 20 sous par feu sur tous les gens de bas état de Rennes pour les frais de fortification de la ville.
A défaut de banquiers, elle s'adressait aux fermiers des impôts et leur imposait des avances sur leurs recettes, ou bien aux officiers principaux de sa maison, à ses chambellans, voire méme à ses capitaines ou à des communautés religieuses. Elle n'hésita même pas, dans une année de détresse, à s'emparer de l'argent des pardons recueilli dans les campagnes pour les travaux de la cathédrale de Dol ; il est vrai qu'elle avait bien l'intention de restituer ces offrandes de la piété.
Nous avons la preuve qu'elle imita les procédés de son père, François II, et qu'elle eut recours aussi aux engagements de bijoux dans ses mauvais moments ; elle donnait l'ordre au trésorier de l'Epargne, gardien de ses richesses mobilières, de se dessaisir de certaines pièces mentionnées dans ses mandements; ce sont autant de renseignements sur la richesse de ses parures. Guillaume de Supplenville, bailli de Montargis, son maître d'hôtel, Lopez de Di Castello, un marchand de Saumur, Jean Greslier, un drapier de Londres, le sire de Comminges, Gilles de Condest, sieur de la Mortraie, reçurent des bijoux en échange des sommes qu'ils prêtèrent à la future reine de France. D'après une note de l'inventaire tiré du coffre appelé Turnus Brutus, ces emprunts successifs ont dû s'élever à un chiffre voisin du million [Note : Le maréchal de Rieux lui prêta 100.000 écus, Jean de Chalon 39.000, Alain d'Albret 7.600, Jean de Cerisy, 500 écus d'or, Ph. de Montauban 14.850 écus, G. de Condest 10.600 écus d'or, P. de Saint-Gilles 4.000 écus d'or, Louis de Lornay, capitaine des Allemands, 7.000 écus d'or, les bourgeois de Rennes 12.000 écus, les religieuses de Redon un calice d'or, le sire de Quimerch 300 marcs d'argent, (Arch. dép., B 13, f°s 13 à, 19 ; Dom Morice, Preuves, col. 825)].
Pour les couvrir, elle eut recours à divers moyens qu'il est intéressant d'étudier pour nous rendre compte de l'organisation financière de la Bretagne. L'hypothèque la plus facile à saisir était celle qu'offraient les recettes des Domaines de la Couronne ducale ; elle fut acceptée par les créanciers, car le gage était excellent. La recette de la Prévôté de Nantes raportait plus de 25.000 livres par an. Dans certaines années fertiles en sel et en grain, le domaine de Guérande, à lui seul, s'adjugeait en ferme jusqu'à 17.000 livres ; c'était le meilleur du Duché [Note : Voir le compte produit par dom Morice, Preuves de l'histoire de Bretagne, t. III, col. 855. — Voir aussi E 164, arch. dép. de la Loire-Inférieure]. Connaissant la belle aisance des paludiers des marais salants de Batz et de Guérande, la princesse leur lit un emprunt déguisé en les invitant à racheter les 400 livres de rente annuelle qu'ils payaient au fisc pour s'acquitter de leurs redevances. En réalité, l'opération était un affranchissement, perpétuel qui convertissait des biens roturiers en domaines nobles, privilège qui favorisait l'orgueil naturel des paludiers.
La duchesse s'adressa de la même façon à une riche corporation de Rennes, à celle des merciers-épiciers qui étaient assujettis à une rente de 40 livres envers le fisc pour le terrain sur lequel s'élevait la halle de la Mercerie ; elle leur offrit de l'amortir par l'intermédiaire de Rolland de la Villéon qui leur signa une aliénation le 5 mars 1489. Le prix et le résultat de cette opération fut un versement de 800 écus d'or qui fut remis aux receveurs et payeurs de la solde des troupes allemandes qui étaient au service de la duchesse (Arch. dép. Loire-lnférieure, B 721, f° 2 v°).
Elle hypothéqua également les moulins du Comte, à Joué et à Saint-Martin, d'une créance de 200 livres de rente au profit de Julien Thierry, seigneur du Boisorcan, qui lui avança 4.000 livres en 1491 (Arch. dép. Loire-lnférieure, B 721, f° 24).
Sous le duc François II, le même personnage avait déjà fait des avances au trésorier général des guerres Becdelièvre pour achat de salpêtre, de cuivre et de mitraille, en février 1489 ; il prêta encore 2.200 livres à la duchesse et, la même année, il acheta, sur la ferme de la boulangerie de Rennes, une rente de 294 livres 2 sous 3 deniers pour le prix de 2.442 écus d'or et 2.495 livres 12 sous monnaie (Arch. dép. Loire-lnférieure, B 721, f° 23). Son Conseil l'avait autorisée à engager son domaine de Rennes jusqu'à concurrence de 1.000 livres de rente.
Ce que la reine a fait pour la conservation des domaines de sa couronne est attesté par plusieurs de ses mandements ; elle a suivi, en cela, l'exemple du duc Pierre II qui prescrivait le renouvellement des rentiers et des terriers afin de prévenir les usurpations. Il impôrtait, en effet, de ne pas laisser tarir la source des revenus qui alimentaient le trésor privé à l'aide duquel les ducs subvenaient aux dépenses de leur hôtel, à leurs obligations de famille telles que les dots et les douaires, aux frais d'entretien de leur garde personnelle, au paiement des salaires du haut personnel administratif et judiciaire, comme aux charges qui leur incombaient à titre de propriétaires de fiefs.
Sa qualité de souveraine n'empêchait pas la duchesse Anne d'être tenue à certains devoirs envers les vassaux de ses terres nobles et roturières enveloppées dans les héritages à elle légués par ses ancêtres : elle était dame de Toufou, de Loyaux, du Gâvre, de Quimper, de Rennes. etc ; il lui fallait donc veiller à l'entretien des châteaux-forts, des villes, des ponts, des chemins, des prisons, des auditoires de ces ressorts, recouvrer les rentes et les impôts, etc.
Pour mettre un peu d'ordre dans toute cette administration compliquée, on avait constitué 25 circonscriptions pourvues l'un siège de sénéchaussée et d'un sénéchal qui réunissait dans sa main tous les pouvoirs. Les comptables et les sergents qui l'assistaient avaient de nombreux registres sur lesquels ils distinguaient les rentes en plusieurs catégories : les foncières, les féodales, les fixes et les muables. Ces dernières provenaient de la recette du minage ou cohuage, c'est-à-dire du magasinage des blés, du produit des fours, des moulins, des pêcheries, du poids public, des papiers, des sceaux et des coutumes.
Dans le Casuel, on faisait figurer les amendes, les épaves, les déshérences, les droits de lods et ventes et le rachat des terres nobles. Toutes ces recettes particulières se versaient et se concentraient à la Recette générale des Domaines et venaient grossir le produit des taxes perçues dans les ports et hâvres du Duché, des congés de navigation appelés brefs de mer, et de l'impôt mis sur la Traite des bêtes vives qui franchissaient les frontières bretonnes.
Il est bien difficile de fournir des chiffres exacts pour établir le profit net et clair que le fisc tirait de ces diverses sources de revenus parce que, dans chaque recette, il y a le chapitre des charges à déduire. Dans les évaluations du XVIIème siècle, le total brut des revenus domaniaux du duché est inscrit pour la somme de 127.250 livres [Note : En 1490, les domaines d'Auray, de Lannion et de Lesneven sont donnés comme équivalant à un revenu de 30.000 livres. — En 1498, Rhuis et Toufou étaient rachetables au prix de 50.000 écus, soit 150.000 livres].
Dans le domaine de Rennes, en 1642, les revenus certains avec le casuel devaient rapporter au trésor 15.720 livres, tandis que, dans un bail antérieur, le chiffre est fixé à 11.725 livres. Quand on fit la balance, la somme nette encaissée en 1642 ne dépassait pas 3.280 livres. On voit, par cet exemple, combien la comptabilité de nos ducs renferme d'obscurité.
Le fait le plus inexplicable, c'est le peu de productivité de l'impôt nommé le rachat, taxe qui frappait d'une année entière de revenu toutes les successions nobles, et qui, par conséquent, aurait dû fournir au fisc des sommes considérables si la perception avait été rigoureuse. En pratique, les gros barons s'affranchissaient totalement et les petits seigneurs obtenaient des remises [Note : La reine Anne a renoncé dis-sept fois à la jouissance de certaines successions. Voir les nes 132, 143, 144, 148, 160, 162. 174, 175, 178, 179, 206, 217, 267, 314, 331, 375, 413 du répertoire de ses actes].
De ces observations, il résulte que les domaines de Bretagne, toutes charges déduites, au XVIIème siècle, ne peuvent être estimés au delà de 90.000 livres. Si on parlait des siècles antérieurs, il faudrait user d'autres chiffres parce que le pouvoir de l'argent, s'est modifié sensiblement entre le règne de Louis XII et celui de Louis XIV. Le domaine de Châteaulin qui s'affermait, au XVIIème siècle, 5.055 livres, n'est compté que pour 400 livres au XVème siècle. L'estimation du domaine de Brest passe du chiffre de 820 livres, en 1572, à la somme nette de 3.060 livres au XVIIème siècle. Ces différences sont-elles le résultat d'une administration qui s'améliore sans cesse ou réprime les malversations ? Je ne le pense pas, car les officiers receveurs et sergents étaient soumis périodiquement au contrôle des réformateurs du Domaine. Les augmentations proviennent de l'élévation du prix du boisseau de blé, de la valeur des animaux d'étable et de la vulgarisation des monnaies d'or et d'argent.
La liste suivante fera connaître quels étaient les centres choisis pour la résidence des 25 sénéchaux préposés au fonctionnement de cette vaste administration.
Domaine d'Auray, de Quiberon son annexe.
Domaine de
Brest et de Saint-Renan.
Domaine de Carhaix et de Duault.
Domaine de Châteaulin.
Domaine de Châteauneuf, Uhelgoat et Landeleau annexes.
Domaine de Conq, Fouesnant et Rosporden.
Domaine de Dinan.
Domaine de Fougères et Bazouge.
Domaine de Gourin.
Domaine de Guérande.
Domaine
de Hédé.
Domaine d'Hennebont et Naustang.
Domaine de Jugon.
Domaine de Lannion.
Domaine de Lesneven.
Domaine de Morlaix et Lanmeur.
Domaine de Nantes et ses annexes, savoir : Loyaux, Toufou, Le
Gâvre.
Domaine de Ploërmel.
Domaine de Quimper.
Domaine de Quimperlé.
Domaine de Rennes.
Domaine de Rhuis et Sucinio.
Domaine de Saint-Aubin et Liffré.
Domaine de Saint-Brieuc.
Domaine de Vannes et Musillac
son annexe.
Dans le choix des moyens à employer pour combler le déficit, la reine Anne paraît avoir été préoccupée constamment de ménager le pauvre peuple : au lieu d'augmenter le rôle des fouages qui était l'impôt permanent des roturiers, elle préféra recourir à un impôt temporaire, nommé le souldoit parce qu'il était appliqué exclusivement au paiement de la solde des gens de guerre, et encore elle ne le fit qu'une fois en 1490, et fixa la contribution au chiffre de 4 livres 10 sous par feu, plus 12 deniers sur tous les assujettis aux fouages.
Ce système financier appelle quelques explications pour être compris. Il faut savoir que le rôle des fouages était la matrice de toutes les impositions subsidiaires et additionnelles qui étaient créées accidentellement. Quand on ordonnait la répartition d'une taxe de 4 livres 10 sous par feu, cela ne voulait pas dire que chaque maison avait à paYer cette taxe. Le mot fouage était un terme de convention, ou une fiction qu'on employait pour distinguer l'impôt personnel des contributions féodales, mais au lieu de compter les ménages, on évaluait la puissance imposable de chaque paroisse qu'on spécifiait par un chiffre de tant de feux. Une paroisse de 900 ménages pouvait être imposée à 50 feux.
La valeur du feu variait suivant les circonstances ; elle montait et descendait suivant les besoins. Quand elle était de 2 livres et que le duc demandait une contribution de 4 livres 10 sous par feu, elle montait à 6 livres 10 sous. Alors les répartiteurs d'une paroisse de 100 ménages par exemple, cotée pour 25 feux, multipliaient la taxe de 6 livres 10 sous par 25 et égalisaient le produit sur les paroissiens chefs de ménage.
Quand les Etats de Bretagne votaient une grosse somme, comme ils le firent en 1424, pour l'acquisition de la baronnie de Fougères [Note : Avant Jean V, la baronnie de Fougères formait une enclave qui échappait aux coutumes de la Bretagne], on arrivait assez rapidement à faire l'assiette de la contribution parce qu'on savait d'avance ce que chaque ressort d'évêché supportait de feux. Sans ces explications, on ne comprendrait pas les actes portant réduction d'un quart, d'un tiers, de trois quarts de feu, étant entendu que le mot feu désignait un nombre fictif.
Le recouvrement se faisait par l'intermédiaire de fermiers adjudicataires, dès le XVème siècle.
Officiers publics du Duché de Bretagne.
Dans l'ordre financier, l'organisation était aussi complète que dans le royaume de France. Non seulement la duchesse avait ses receveurs des Domaines, des receveurs des impôts, des trésoriers des guerres, mais encore un trésorier receveur général du Duché qui centralisait les ordonnances et assurait l'exactitude des paiements. Pendant toute la durée du règne de la duchesse Anne, ce dernier office fut entre les mains du même personnage, Jean de Lespinay, seigneur important de la paroisse de Plessé, « son bienamé et féal conseiller ».
On trouve son nom mêlé à une quantité d'actes qui montrent l'importance de son rôle, de 1490 à 1513, dans la gestion des finances. Il assiste aux séances du Conseil, il met les impôts en adjudication, vérifie les créances, vise les paiements, préside aux levées extraordinaires, répartit les monnaies, achète des munitions et des vivres, choisit les comptables et convoque les Etats du Duché.
A côté de lui, vivait une sorte de surintendant général des finances qu'on appelait d'abord le Contrôleur général et plus tard, sous Louis XII, le Général. Jean de Cerisy et Jean de la Primaudaie portèrent le premier titre et Jean François le second. Leurs attributions sont exactement fixées par les lettres royales du 23 avril 1491 (Archives de la Loire-Inférieure, B 51, f°s 10 et 11).
Voici les termes employés :
1° Centraliser tous les deniers dus au roi, arriéré et présent, dans tous les ordres de revenus, impôts ou monnaies.
2° Diriger sur le trésorier et receveur général des finances les deniers ordinaires et extraordinaires.
3° Contrôler et appeler devant lui tous les comptables quelconques et les contraindre à verser à la Recette générale, faire saisie et arrêt.
4° Saisir tous les biens meubles du Domaine qui auraient été usurpés, détenus et occupés indûment.
5° Connaître des débats, querelles, procès relatifs aux aides ; taxer voyages, salaires et dépens jusqu'à concurrence de 25 livres.
6° Expédier mandements de décharge.
7° Suspension et remplacement des officiers indignes.
8° Vérifier les assignations faites sur les recettes, les annuler, corriger les abus et les erreurs.
Il faut ajouter que le Contrôleur général mettait ses lettres d'attache au pied des mandements qui emportaient une dépense ou une aliénation de domaine.
Le personnage qu'on appelle dans les actes le Procureur genéral est peut-être à mettre au-dessus des précédents dans la hiérarchie administrative ; il avait dans ses attributions la défense politique et judiciaire des intérêts du duché tout entier ; il veillait à la conservation des traditions et de l'honneur dans la famille ducale. Sa place étant marquée à toutes les séances du Parlement et du Conseil, il prenait des conclusions dans la discussion des affaires de premier ordre et provoquait la rédaction des ordonnances nécessaires.
Nous devons ajouter à cette liste d'officiers publics celui qu'on appelle, aux séances du Conseil ou sur le repli des actes, le Président. Ce personnage n'est autre que le président de la Chambre des Comptes, cour souveraine, chargée de l'apurement de la comptabilité publique. Sous le règne du dernier duc, il ne fut jamais désigné autrement ; il est donc à présumer que rien ne fut changé sous le gouvernement de sa fille.
Chancelier : Philippe de Montauban, seigneur de Sens.
Vice-chanceliers : Gilles de la Rivière ; Guillaume Guéguen, évêque de Nantes ; J. Berthelot.
Procureurs généraux : Alain Le Forestier, en 1490 ; Guillaume Gédouin, seigneur de la Dobyais, sénéchal de Vannes, en 1508.
Officiers de la Maison ducale.
Le dignitaire qu'on nomme couramment dans les actes le Grand Maître, n'est autre que le Grand-Maître d'Hôtel, celui qui a la charge du gouvernement intérieur de l'Hôtel des Ducs, surtout aux grands jours de réception. C'est lui qui ordonne tous les détails de la cérémonie de la première entrée des Ducs à Rennes, et qui s'occupe de leur installation matérielle pendant la première semaine de la session des Parlements généraux. En retour, on lui reconnaissait le droit de prendre le linge, les vins, les viandes et les fourrages qui restaient après le repas [Note : Première session des Etats (Bibl. mun. de Nantes)]. Sous ses ordres, il avait plusieurs maîtres d'hôtel ordinaires qui accomplissaient, la besogne courante.
Voir aussi "La Maison ou Cour et les voyages d'Anne-de-Bretagne".
(Léon Maître).
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