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Les grandioses funérailles de la Reine Anne, duchesse de Bretagne

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Le 9 janvier 1514, si l'on en croit un vieux manuscrit du temps cité au XVIIIème siècle par Dom Bernard de Montfaucon, un spectacle des plus extraordinaires fut aperçu de nombreuses personnes dans toute la Savoie, le Piémont et la Lombardie. Plusieurs cercles et demi-cercles lumineux parurent au ciel. Dans l'un d'eux brillait d'un vif éclat un gros soleil encadré de deux astres plus petits, tandis que l'autre présentait trois lunes dont la plus grande occupait le centre.

Ce phénomène étrange ne pouvait être, certes, que l'annonce d'un événement considérable. Aussi M. de Mailly, notre ambassadeur auprès du duc de Savoie, s'empressa-t-il d'en faire exécuter un dessin d'après les récits des témoins oculaires et d'envoyer un courrier le porter, « en toute diligence », au roi de France. Et le bon bénédictin qui rapporte ces faits de s'extasier sur une telle merveille et même d'en reproduire le dessin dans son ouvrage [Note : Monuments de la Monarchie Française, par Dom Bernard de Montfaucon, Paris 1729].

... Le même jour, sur les dix heures, mourait au château de Blois, la reine Anne de Bretagne : « Madame Anne, en son vivant très noble royne de France, duchesse de Bretaigne et comtesse d'Etampes », qui, au dire de Brantôme, fut « la plus digne et honnorable royne qui ait esté depuis la royne Blanche, mère du roy Saint-Louis ».

Sage et vertueuse, Brantôme nous apprend encore sur la foi « d'une vieille histoire de France qu'il voyait traîner en un cabinet de sa maison » qu'elle était « la vraye mère des pauvres, le support des gentilhommes, le recueil des dames et damoiselles et honnestes filles et le refuge des sçavants hommes ».

De si grands mérites, encore qu'il faille peut-être faire la part de l'exagération emphatique habituelle à l'époque, suffisent à expliquer la douleur qui éclata à l'annonce de sa mort et les splendides funérailles qui lui furent faites. Jamais jusqu'alors, un enterrement royal n'avait été célébré avec une telle pompe.

Plusieurs récits contemporains nous en montrent en détail tout le faste, particulièrement : « Le Trépas de l'Hermine regrettée », relation anonyme et le « Récit des funérailles d'Anne de Bretagne, par Bretaigne, son héraut d'armes », récit quasi officiel puisqu'il a été fait sur l'ordre de Louis XII lui-même.

Elle succombait à une crise plus violente de la douloureuse maladie qui la faisait souffrir depuis plusieurs années : la gravelle. Sa santé, très chancelante depuis une dernière couche malheureuse, survenue le 23 janvier 1512 où elle accoucha d'un fils mort-né, déclinait petit à petit, et, terrassée le 2 janvier par une nouvelle atteinte de son mal, elle fut emportée en sept jours, en proie aux plus cruelles souffrances et malgré les soins assidus de ses médecins.

Pauvres médecins, que leur trop faible science laissait impuissants devant un tel mal, c'est contre eux que l'on murmurait et, comme cela arrive souvent dans pareil cas, on les rendait responsables de la mort de la reine bien-aimée. Les officiers de sa maison allaient répétant que leur maîtresse était : « morte sayne et que mesdecins avaient faict de leur royne et souveraine dame faulx jugement et que chassés devaient estre » (Récit des funérailles d'A. de Bretagne - Aubry 1858).

Ces médecins étaient au nombre de quatre : les « Comptes de dépenses » nous donnent leurs noms : Bernard Chaussade ; Olivier Laurent ; Gabriel Miro et Maître Albert. Et, sans aucun doute, ils avaient fait de leur mieux pour sauver celle qui, les ayant en grande estime les avait si souvent gratifiés de généreux dons.

Aussitôt que se répandit la nouvelle de la mort de la reine, la douleur éclata partout : « chascun joignait des mains, disant prières et oraisons et de mémoire d'homme, l'on ne vit pour ung jour plus grant pitié. Car non seulement les princes et princesses, mais les gens de tous les estats qui là estaient, semblaient que autre métier n'eussent appris que de plourer, tortre les mains et cryer » (Récit des funérailles d'A. de Bretagne - Aubry 1858).

Louis XII ne quitta sa chambre de plusieurs jours, se refusant à recevoir quiconque et donna l'ordre à Pierre Choque, dit Bretaigne, le fidèle roi d'armes de la reine, de prépaer toutes les cérémonies des obsèques. Tâche délicate et absorbante, rendue plus difficile encore par la nécessité de régler minutieusement tout ce cérémonial compliqué qui devait, durant de longs jours, conduire la reine défunte, à travers la France, de Blois à Saint-Denis.

Morte le lundi, elle fut laissée dans sa chambre jusqu'au samedi suivant, veillée seulement par de nombreux religieux qui priaient pour le repos de son âme, tandis que douze gros cierges de cire blanche brûlaient nuit et jour autour de son lit.

Médecins, herbiers, apothicaires s'empressèrent alors auprès d'elle pour l'autopsie et l'embaumement. Cette opération, fort rudimentaire à cette époque, consistait simplement dans l'ouverture du corps dont on retirait les viscères et qu'on remplissait d'aromates, de sel et d'épices ; puis, recousu grossièrement, il était enveloppé dans une toile neuve bien enduite de cire, et habillé complètement. Auparavant, on avait pris un moule du visage et des mains.

Enfin, le samedi, la reine étant ainsi « bien appareilliez et accoustrez pour la représentacion », fut transportée dans une grande salle d'honneur du château, au rez-de-chaussée, sur la façade neuve qu'avait fait construire Louis XII et qui venait d'être achevée.

Pour la circonstance, les murs recouverts de tentures de haute lisse ont reçu une décoration spéciale. La grande tapisserie d'or et de soie, représentant la destruction de Jérusalem par Titus, a été encadrée d'une large bande de velours noir sur laquelle sont attachés les écussons et les devises de la reine. Un autel a été élevé, tout décoré de blasons et d'ornements où dominent, comme sur les murs, l'hermine et la cordelière d'or.

Dans cette vaste salle, ainsi transformée en chapelle ardente, éclairé par la lumière vacillante des cierges, se dresse le haut lit de parade que domine un ciel majestueux, ou tiercellet, de drap d'or frisé, frangé de soie rouge. Sur la couverture, également de drap d'or qui traîne jusqu'à terre, s'allonge la dépouille de la reine revêtue de ses plus beaux atours : robe de velours pourpre, doublée d'hermine, aux manches garnies de pierreries, corset d'or, grande cape de pourpre et d'or comme la robe. La tête, coiffée d'une crépine d'or bordée de pierreries, avec un couvre-chef de toile de Hollande sur lequel se pose la couronne royale, est légèrement relevée par un carreau de drap d'or. Les mains, gantées de blanc sont jointes sur la poitrine. A ses côtés, les insignes royaux : à droite, le sceptre ; à gauche, la main de justice.

Cordeliers, Jacobins, Carmes, Augustins, à genoux autour du corps, de leur reine, se tiennent immobiles, tels des statues, leur capuchon rabattu leur cachant complètement le visage, comme on peut voir, au Louvre, les pleureurs du tombeau de Philippe Pot.

Funérailles d'Anne de Bretagne. 

Cependant, à partir de ce moment, ils ne restèrent plus seuls à veiller. Les familiers de la reine furent admis auprès d'elle et, tout d'abord, en dehors du roi et des membres de la famille royale, ses chères filles d'honneur, dont elle aimait tant être entourée et dont elle s'occupait avec tant de sollicitude, vinrent, conduites par Mme de Mailly, sa première damne d'honneur, lui rendre un dernier hommage ; puis tous les officiers de sa maison : écuyers, pages, panetiers, échansons, maître d'hôtel, valet de chambre, écuyers de bouche, écuyers d'écurie, tous, du plus jeune page au dernier valet de cuisine, défilèrent, vêtus de deuil, devant leur souveraine, en étouffant « moult gémissements » et « piteuses lamentations ».

Le lundi suivant (il y avait déjà huit jours qu'elle était morte) on procéda à la mise en bière en présence des princes et princesses du sang : François, comte d'Angoulême, futur François Ier, Anne de Beaujeu, duchesse de Bourbon, Charles d'Alençon, Louise de Savoie, comtesse d'Angoulême et sa fille, la duchesse d'Alençon qui devait plus tard, s'illustrer sous le nom de Marguerite de Navarre.

Le cercueil, fut alors placé sous le lit de parade sur lequel gisait maintenant l'effigie de la reine, exécutée par Jean de Paris. C'était une sorte de mannequin aux proportions de la défunte qui, habillé de la même façon, reposait dans la même attitude. Le visage et les mains en cire peinte coulée dans les moules pris sur le cadavre en reproduisant le plus fidèlement possible les traits.

Ceci, d'ailleurs, n'était pas une innovation en l'honneur d'Anne de Bretagne, mais une coutume habituelle, rendue nécessaire par l'obligation assez fréquente de transporter au loin les souverains après leur mort et de les exposer en public dans tous les lieux qu'ils traversaient. Ainsi en a-t-il été de tous nos rois et sans la fureur révolutionnaire qui a saccagé cela comme tant d'autres choses, nous pourrions encore voir à Saint-Denis tous les masques mortuaires que l’on y conservait pieusement et dont certains étaient l'oeuvre d'artistes connus, comme ceux de François Ier et de Henri II par Clouet.

Pour Anne de Bretagne, ce fut Jean Perréal, dit Jean de Paris, « peintre et valet de chambre du roi », qui fut chargé de « la portraiture de la reine moulée sur sa face ». Bretaigne nous dit qu'il y a « moult besogné ». D'ailleurs, là ne s'arrêta pas son travail car tous les ornements : écussons, trophées, devises des tentures murales comme des lits de parade et du char funèbre, étaient aussi son œuvre.

Mais toutes les décorations disparaissaient à présent sous les grandes draperies noires, voilées elles-mêmes de taffetas noir dont on avait recouvert les murs de la salle mortuaire et la veillée funèbre continua encore pendant dix-huit jours durant lesquels, chaque jour, le clergé de la chapelle royale, l'abbé de la Roue, aumônier de la reine, des Jacobins et des Cordeliers venaient y célébrer quatre grand'messes chantées.

Enfin le vendredi 3 février eut lieu, en grande pompe, le transfert à l'église. Avant l'heure fixée, vinrent se ranger dans la cour d'honneur quatre cents pauvres revêtus, aux frais de la ville, de chaperons de deuil et tenant à la main un cierge chargé d'un écusson aux armes de la reine. A gauche, la chapelle Saint-Calais se remplit de prêtres, chanoines et religieux. Les serviteurs du château se massèrent sur la Perche aux Bretons, terrasse qui tirait son nom des logis de la garde bretonne et qui fermait alors à l'Ouest la cour intérieure, là où se dresse maintenant l'aile construite par Gaston d'Orléans, comme des jardins, remplaçaient à cette époque, au Nord, la belle façade François Ier que nous admirons à présent. Tandis que se groupaient ainsi tous ceux qui, tout à l'heure, allaient accompagner la reine, trois prélats : le cardinal de Bayeux [Note : René de Prie, évêque de Bayeux de 1498 à 1516, cardinal puis légat du pape], l'évêque de Paris [Note : Etienne de Poncher, évêque de Paris en 1503 ; de Sens en 1519, mort en 1525] et l'évêque de Limoges, assistés d'un grand concours d'ecclésiastiques, chantaient le Libera autour du corps. Bientôt l'on vit sortir du château le cercueil de la reine porté par François de Bron, premier panetier, Charles l’O, premier échanson et d'autres officiers de sa maison. Douze religieux, cierges allumés en main, l'entouraient.

Et le cortège s'ébranla selon un ordre minutieusement réglé. Précédé par un imposant déploiement de clergé, il franchit le portail et, entre deux haies de Suisses qui, la hallebarde sur l'épaule, retenaient la foule, gagna par l'avant-cour, aujourd'hui place du château, l'église Saint-Sauveur.

Tour à tour défilèrent les vingt-quatre officiers de la maison, porteurs de grosses torches armoriées ; les huissiers engoncés dans leurs longues robes noires et chaperons de deuil ; les archers bardés de fer, précédés de leurs capitaines : Messires Gabriel de la Chastre, de Concressault, Chastaing et La Tour ; les roys et hérauts d'armes, revêtus de leurs cottes et blasons d'armoiries ; puis, pareil à une chapelle ardente en marche, le cercueil lui-même sur les épaules de ses porteurs, disparaissant sous les plis d'un grand drap noir relevé aux angles par quatre hauts personnages : les comtes de Saint Pol, de Lautrec, de Laval et Louis de Clèves, et recouvert encore d'un riche poële tenu par d'autres seigneurs : les sires de Penthièvre, de Châteaubriant, de Candale et de Montafilant. De chaque côté marchaient les grands officiers : maîtres d'hôtel, maîtres des requêtes, grand écuyer... puis les chevaliers d'honneur conduits par le seigneur de Grignault, enfin les princes et princesses. Seul, en avant des autres, s'avançait le comte d'Angoulême, enveloppé d'un manteau dont la traîne, longue de trois aunes, balayait la poussière.

A lui revenait l'honneur de conduire le deuil, comme héritier du trône et gendre de la reine. A dire vrai, il n'avait pas encore ce dernier titre. On sait l'opposition qu'Anne de Bretagne mettait à la célébration du mariage de sa fille Claude avec François d'Angoulême, espérant toujours, malgré les fiançailles officielles, renouer les pourparlers avec l'archiduc d'Autriche ; ce qui fit d'ailleurs que le mariage ne fut célébré qu'après sa mort.

Derrière les membres de la famille royale se pressaient, les filles d'honneur, les nobles gentilshommes, les princes étrangers, les ambassadeurs, les seigneurs bretons, les chers bretons de la reine qui étaient venus en rapides chevauchées de leur lointaine province pour accompagner leur « bonne duchesse Anne ».

Et cette foule s'écoule lentement dans le chatoiement des riches étoffes : velours pourpre et brocarts d'or. Les longues flammes fumeuses des torches, celles plus courtes des cierges, s'inclinent sous le vent, les armes scintillent, les ors des blasons brillent et l'on pourrait presque croire à un défilé de fête, sans les chants funèbres psalmodiés là-bas, à la tête du cortège qui a déjà atteint l'église alors que les derniers quittent à peine le château.

Au numéro 2 de l'actuelle place du Château, l'on peut lire une inscription sur marbre qui indique l'emplacement de l'ancenne collégiale de St-Sauveur. C'est tout ce qui reste, depuis la Révolution, de la plus vieille église de Blois. Fondée au XIème siècle, elle avait été reconstruite au XIIème dans l'enceinte de l'ancien château. Jeanne d'Arc y était venue prier, et, ce 5 février 1514, toute resplendissante des deux mille cierges qui entouraient et dominaient la chapelle ardente, elle pouvait à peine contenir toute cette foule qui y prenait place selon un protocole rigoureux. La veille, on n'avait que chanté les vigiles des morts ; mais aujourd'hui, après les quatre grand'messes officiées par les prélats les plus notables, maître Guillaume Petit devait prendre la parole.

Guillaume Petit, dit Parvy, savant théologien de l'ordre des Frères Prêcheurs, avait acquis une réputation de savoir et de probité qui le fit choisir par Louis XII pour confesseur. Il resta d'ailleurs attaché au même titre auprès de François Ier qui l'éleva plus tard au siège épiscopal de Troyes, puis de Senlis où il mourut en 1536.

Son éloquence avait fait de lui le prédicateur habituel de la cour ; aussi fut-il chargé de faire le panégyrique de la reine, mais il le voulut si complet et si détaillé qu'il fut obligé de le partager en trois parties, de sorte que l'on entendit le début à Blois, la suite à Paris et la péroraison à St-Denis.

Humaniste distingué, il était ami de Budé et correspondait avec Erasme s'il avait un souci de l'élégance, une recherche de poésie qui l'éloignait de la virulence et de la trivialité d'un Maillart ou d'un Menot, il ne pouvait cependant se dégager des idées et des goûts encore à la mode à cette époque où Anne de Bretagne s'entourait de subtils mais creux rhétoriqueurs. Aussi cette oraison funèbre, avec ses longueurs, son érudition, ses éloges emphatiques et dithyrambiques, fut-elle fort appréciée des auditeurs. Ils entendirent décerner à la reine trent-sept vertus, en raison des trente-sept années qu'elle avait vécues sur terre. Puis dans ce goût allégorique, cher au Moyen, Age et qui fleurissait encore en ce début du XVIème siècle, ils purent contempler dans la première partie « ung chariot environné de toutes vertus, au milieu duquel il figurait la dicte dame pour en icelui estre transportée jusques es cieux » (Trépas de l'Hermine regrettée) et, dans la deuxième, la ville de Paris, sous la forme d'un chœur de musique à quatre parties : Peuple, Clergé, Université, Justice, élevant au ciel leurs chants de louange et de douleur dans un parfait ensemble vocal.

A l'issue de la cérémonie, l'ordre du départ fut donné à son de trompe par les hérauts et les crieurs qui se répandirent dans la ville.

Tout s'ébranla selon le même cérémonial que la veille et par la grande rue, où des barrières retenaient la foule, entre deux rangées de torches brûlantes placées devant chaque maison, la reine Anne gagna le pont et quitta pour toujours cette ville de Blois qu'elle avait tant affectionnée.

***

La longue chevauchée commençait, elle allait se poursuivre pendant neuf grands jours marqués par les entrées dans les villes et les services religieux célébrés à chaque étape.

Que sont actuellement les parcours officiels des obsèques nationales, des Invalides à Notre-Dame ou de l'Arc de Triomphe au Panthéon, à côté de ce long voyage, où tout un cortège d'hommes et de femmes s'achemine à petites journées, au milieu des campagnes, les uns secoués au pas des mules, les autres piétinant dans la poussière autour d'un char funèbre ?

Il est vrai que, contrairement à l'opinion généralement accréditée à notre époque, l'on voyageait beaucoup au Moyen Age et plus encore au XVIème siècle et une longue course à dos de mule n'était pas pour effrayer nos belles aïeules. La cour de François Ier n'a-t-elle pas sillonné les routes de Fontainebleau aux châteaux de la Loire et ne verrons-nous pas quelques années plus tard « l'escadron volant » de Catherine de Médicis, galopant autour de la reine dans tous ses nombreux déplacements ?

Mais quelle agitation ! Maîtres d'hôtel, maréchaux des logis et fourriers, partis en avant, avaient la lourde tâche de préparer le vivre et le couvert de tout ce monde. Ils en avaient l'habitude, car les voyages de la cour étaient de véritables déménagements où l'on transportait avec soi, meubles, vaisselle, linge, voire même bois et paille : tout ce qui est nécessaire pour les repas et les couchers en route ; mais cette fois-ci, il s'agissait de près d'un millier de personnes et ce n'était pas une petite affaire que d'en assurer le ravitaillement et le logement dans les pauvres villages où l'on devait s'arrêter. Quand le but de l'étape était une abbaye comme N.-D. de Cléry, les difficultés se trouvaient aplanies : il y avait place pour tous dans les vastes bâtiments du monastère, mais, ailleurs, il fallait se loger comme on pouvait. Le seigneur du lieu, le bailli, les officiers de justice et les plus notables bourgeois se partageaient l'honneur de recevoir les princes, les princesses et les personnages les plus marquants ; le reste de la suite envahissait les hôtelleries, les auberges et se logeait même chez l'habitant.

De Blois à Paris, deux villes importantes à traverser : Orléans et Etampes, en tout neuf gitées, comme on disait alors, où, chaque soir le corps était déposé dans l'église et les vigiles des morts chantées. Le lendemain, de grand matin, on assistait à trois grand'messes et on repartait.

St. Dyé, Notre-Dame de Cléry, marquèrent les deux premières étapes et, le lundi 6, le convoi arriva sous les murs d'Orléans. Les échevins, accompagnés de cent pauvres portant des torches écussonnées aux armes de la ville, apportèrent solennellement un grand dais de velours noir et damas blanc sous lequel la reine fut conduite en la cathédrale.

Et le lendemain, la marche reprit à travers la longue plaine monotone de Beauce où, en ce début de février, le vent que rien n'arrête, devait cingler et raidir les membres des cavaliers et des amazones. Pas de galop possible pour se réchauffer. Il fallait régler sa marche sur celle des gens à pied — on couvrait en moyenne une vingtaine de kilomètres par jour — heureux encore si la pluie ne vous trempait pas jusqu'aux os. Les contemporains sont muets sur ces détails, supposons donc que le ciel fut clément et suivons le cortège.

L'ordre n'en a pas changé depuis Blois. En tête, ouvrant la marche, six archers de la garde du roi, suivis des quatre cent cinquante porteurs de torches délégués par la ville de Blois, puis tous les gentilshommes de la maison, les pages vêtus de velours et montés sur des courteaux couverts de housses noires ; derrière eux s'avancent le cheval de croupe et la hacquenée d'honneur, bardés de velours jusqu'à terre et tenus chacun à la bride par un palefrenier à pied. Voici le char bas sur ses quatre roues, traîné par six chevaux caparaçonnés de velours noir croisé de satin blanc, que conduisent deux écuyers montés sur les coursiers de tête. Les hérauts, écuyers d'écurie et autres officiers l'entourent. Enfin derrière vient le gros de l'escorte, les princes et les princesses montés sur de petites mules noires harnachées de blanc, les dames et les filles d'honneur, sur des hacquenées blanches qu'un valet conduit deux à deux. De nombreux moines, Carmes, Cordeliers, Dominicains, mêlent leurs robes de bure aux chaperons de deuil et aux cottes d'armes. Les populations des régions traversées accourent de loin et se jettent à genoux au passage du convoi tandis que Messire Robert de Laon, grand aumônier de la reine, distribue de larges aumônes à tous les indigents.

Trois « nuytées » encore :  Arthenay, Janville et Angerville et voici Anne dans sa « bonn comté d'Etampes ». Les braves Etampois n'avaient rien ménagé pour recevoir dignement leur dame : l'échevin Morin, la nuit précédente, avait galopé jusqu'à Paris pour acheter un poële de damas ; tapissiers et charpentiers avaient entièrement tapissé l'église de tentures noires et, quand le vendredi le corps entra dans la ville, il fut reçu, par tous les notables, bourgeois, officiers de justice et seigneurs des environs. Aux quatre cent cinquante torches de Blois vinrent s'ajouter trois cents autres : les unes, tenues par les gens d'Etampes, se reconnaissaient au « château d'or masonné, fenestré et crénellé » qui orne le blason de la ville, les autres, aux mains de deux cents gentilshommes de la maison de Chalo St-Mars, portaient les armes de Jérusalem.

L'origine de ces armoiries est curieuse et vaut la peine d'être contée.

Le roi Philippe Ier fit un jour le vœu, peut-être imprudent, d'aller en pélerinage à pied à Jérusalem, armé et portant un cierge allumé. Une maladie, sans doute opportune, l'empêcha d'exécuter son vœu. Son brave féal Heu ou Eudes de Chalo St-Mars dit Le Maire d'Etampes, s'offrit à le remplacer, et sur le consentement du roi, accomplit ce pieux pélerinage pour son suzerain et dans les mêmes conditions. Cet arrangement, très profitable pour tous deux, assurait à Philippe Ier, sans fatigue, ni troubles, le pardon de ses péchés et à Chalo St-Mars des avantages considérables, car le roi, en récompense de ce service, lui donna un privilège d'exemption de tous péages, tributs et autres droits pour lui et toute sa race de l'un et l'autre sexe. Il lui accorda en outre le droit de porter comme armoiries : « de Jérusalem » c'est-à-dire: « d'argent à la croix potencée d'or, accompagnée de quatre croisettes de même, écartelées de sinople à l'écu de gueules, chargé d'une feuille de chêne d'argent à la bordure d'or » [Note : Dictionnaire de la Noblesse].

Par la suite, les membres de cette famille devinrent très nombreux, [Note : Cette famille se multiplia tellement, son alliance étant très recherchée à cause des privilèges qui se transmettaient même par la lignée féminine, que plus tard François Ier et Henri IV, effrayés du nombre de ces privilégiés, leur supprimèrent, le premier, les exemptions de péage et le deuxième, les exemptions de taille] et en mémoire de leur aïeul et de la générosité du roi Philippe, ils étaient tenus de venir veiller les souverains décédés de passage à Etampes.

C'est ainsi qu'Anne de Bretagne passa la nuit sous leur garde en l'église Notre-Dame.

***

Tandis que le convoi s'avançait lentement vers Paris, une grande perplexité régnait dans la capitale. Le lendemain de la mort de la reine, un chevaucheur en avait apporté la nouvelle, mais, depuis, aucun ordre n'était venu ; les échevins avaient attendu en vain que le roi leur fit connaître ses volontés sur la façon dont la ville devait recevoir sa souveraine ; — le roi restait muet. Que devait-on décider, quels préparatifs convenait-il de faire ?

Dans cette incertitude, le prévôt des marchands, Roger Barme, réunit le 8 février le conseil au Bureau de la Ville afin de délibérer avec tous ses collègues.

Il leur exposa l'embarras dans lequel les mettaient, et le silence du roi, et le fait que nul précédent ne pouvait les aider puisque : « cent ans a et plus ne trespassa rogne de France avant les roys, ne qui fut si grosse terrienne et eust subsécutivement espousé deux rois de France comme ladicte Dame » [Note : Registre des délibérations du Bureau de la Ville, séance du 8 février 1514].

Heureusement le trésorier Le Gendre qui s'était trouve à Blois le jeudi précédent leur rapporta les décisions qui y avaient été prises quant à l'ordre du convoi et le Conseil se mit d'accord pour décider de faire : « de par la Ville à ladicte Dame tout le plus honneste recueil que l'on pourra » tant pour « la vertu et la noblesse qui estaient en elle » que parce que « l'honneur qui lui sera fait redonnera à celui du roy » [Note : Registre des délibérations du Bureau de la Ville, séance du 8 février 1514].

Sur le champ, car il n'y avait pas de temps à perdre, les dispositions furent prises pour régler le nombre et la marche des délégations, assurer la police des rues, donner à tous les ordres nécessaires, en un mot préparer une réception imposante et digne.

Aucune dépense ne fut épargnée et, quoique ce fut une lourde charge qu'il s'imposât, le Conseil vota les fonds nécessaires pour la décoration des portes et des maisons, le nettoyage et le repavage des rues par où devait passer le convoi, l'achat de trois cent vingt torches de deux livres chacune devant accompagner le corps, l'exécution de tous les écussons aux armes de Paris qui devaient les orner ainsi que celles dont chaque habitant avait la charge devant sa maison, enfin le deuil dont les élus seraient revêtus.

Le dimanche 12 février, quand le convoi atteignit enfin le prieuré de Notre-Dame des Champs, après une dernière nuit passée à Montlhéry, tout était prêt pour le recevoir. Des pièces entières de serge noire pendaient le long des portes St-Jacques et St-Denis.

Le parcours dans Paris entre ices deux portes comprenait la rue Saint-Jacques, l'antique voie romaine qui, par le Petit-Pont, conduisait à Notre-Dame, le Pont au Change sur le grand bras de la Seine [Note : A moins que l'on n'ait déjà emprunté le pont Notre-Dame qui, reconstruit en pierres après sa chute survenue en 1499, fut terminé en 1512. M. Marcel Poëte dans son remarquable ouvrage : « Une vie de Cité », dit qu'à partir de 1515 il remplaça pour les cortèges officiels le pont au change qui avait êté jusque là toujours utilisé dans ces conditions] et, sur la rive droite, la rue Saint-Denis.

Ce n'étaient partout que larges bandes d'étoffes sombres, noires, « tennées », bleues ou brunes. Les unes tombaient du haut des pignons, retenues par les encorbellements, ou s'accrochant aux enseignes, les autres, jetées par dessus la rue d'une fenêtre à l'autre, reliaient entre eux les étages surplombant les échoppes. Devant chaque maison brûlait une énorme torche dont l'écusson s'ornait de la galère aux voiles déployées. Et ces torches ardentes allongeaient leurs deux lignes ininterrompues de lumière, pâle dans la clarté du jour, qui semblaient se joindre dans le lointain.

On frémit quand on pense au danger d'une telle quantité de luminaire dans les rues étroites et au milieu d'une pareille agglomération. Qu'un coup de vent plus violent eût rabattu les flammes sur les, barrières, qu'une banderole mal attachée se fût enflammée, c'était la catastrophe.

Heureusement il n'y eut rien de tel. Les quarteniers, responsables, avaient fait tout leur devoir et assuré une active surveillance. Pour prévenir l'affluence et les bousculades d'un peuple qu'ils savaient friand de tels spectacles (il n'a d'ailleurs pas changé) ils avaient fait fermer les rues adjacentes par des barrières et avaient établi tout le long du parcours, pour faire la haie et assurer l'ordre, des gens armés de bâtons noircis, ancêtres des bâtons blancs de nos agents.

Dès que l'approche du convoi fut annoncée, le corps de ville, les membres du Parlement, du Châtelet et de l'Université montèrent sur leurs mules et se rendirent au devant de lui jusqu'au moulin situé au-delà de Notre-Dame des Champs, sur la route d'Orléans, pour faire leur « révérence » au corps. Puis ils regagnèrent Paris pendant que le prieur recevait à son tour le précieux dépôt.

Cet antique prieuré appelé encore Notre-Dame des Vignes, qui aurait, dit-on, remplacé un temple de Cérès, se situait au sud des remparts, près de l'emplacement où est maintenant le Val-de-Grâce. Il devait par la suite, transformé en couvent des Carmélites, abriter la retraite de la célèbre Mlle de La Vallière, devenue sœur Louise de la Miséricorde, qui y mourut en 1710.

Le repos fut là plus long qu'ailleurs. Etait-ce pour permettre aux échevins de finir leurs préparatifs ou plutôt pour faire disparaître les traces de fatigue sur les visages et de boue sur les vêtements ? Toujours est-il que la journée entière du lundi se passa au prieuré et que ce ne fut que le mardi vers deux heures qu'on le quitta pour entrer dans Paris.

Au même moment se formait à l'Hôtel de Ville un autre cortège ayant à sa tête le prévôt des marchands et les échevins suivis des archers, arbalétriers, sergents et autres officiers de la ville.

Ils défilèrent en belle ordonnance jusqu'à la porte Saint-Jacques où eut lieu la rencontre [Note : Une plaque sur l'immeuble portant le n° 172 de la rue St-Jacques, au coin de la rue Soufflot, indique l'emplacement de la porte St-Jacques, qui faisait partie de l'enceinte de Philippe Auguste]. Là, dans un geste symbolique, pour indiquer que Paris prenait possession de sa souveraine, le riche ciel bleu qui devait être porté au dessus du corps, passa des mains des gentilshommes de la reine qui le tenaient depuis Notre-Dame des Champs, dans celles du prévôt et des échevins et les deux cortèges réunis, auxquels vinrent se joindre le Clergé, l'Université et le Parlement, gagnèrent Notre-Dame.

Les bons bourgeois, manants et habitants de Paris, pressés derrière les barrières ou groupés à leurs fenêtres, les escholiers, comme les gamins de tous les temps, juchés sur les toits ou perchés en équilibre sur toutes les saillies où ils peuvent s'agripper au risque de choir sur leurs voisins, jouissent alors d'un spectacle dont ils garderont longtemps le souvenir et qui dépasse de beaucoup toutes les funérailles royales ou princières auxquelles ils ont déjà assisté, voire même les magnifiques processions en l'honneur de Madame Sainte Geneviève, patronne de la ville, qu'ils suivent en foule avec dévotion jusqu'au faubourg St-Marceau.

Les sergents à verges, armés de bâtons ouvrent la marche : voici d'abord le clergé régulier, les quatre ordres mendiants, cent soixante-douze Cordeliers ayant revêtu leur mante et capuche gris de cérémonie, soixante-quatorze Carmes au manteau blanc, cent Augustins et cent-vingt Jacobins. Aux frocs bruns ou noirs de ces derniers succèdent les blancs surplis du clergé régulier : toutes les paroisses de Paris sont là avec leurs croix d'or et leurs bannières brodées qui flottent au vent.

Derrière eux, dans un ruissellement de lumière, défilent les porteurs de torches : archers et arbalétriers aux corselets d'acier couverts d'écusson, tête casquée, officiers de la ville en robes noires sans chaperons, qui se sont mêlés à ceux venus de Blois.

Puis le chevalier du guet s'avance, entouré de ses lieutenants tenant à la main droite leur bâton noirci en signe de commandement.

Un tintement . grêle de clochette se fait entendre, il augmente en approchant : ce sont les vingt-quatre sonneurs de Paris dont la sonnerie incessante rappelle à tous le devoir de prier pour l'âme de celle qui n'est plus. Voici les vingt-quatre « hanouards », les porteurs de sel, puis encore des sergents à verges et les sergents de la prévôté en hoquetons de camelot violet à croix blanche, précédant la masse sombre des officiers du Châtelet : le Grand Prévôt, une verge en main, les juges, auditeurs, avocats, greffiers, notaires, procureurs, enfouis dans leurs longues houppelandes fourrées. Séparés de la Robe par les chanoines de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle, défile ensuite l'Université, Monsieur le Recteur en tête, coiffé de sen grand bonnet carré et la masse à la main, suivi de son état-major de bedeaux et de massiers. Les mîtres blanches des prélats font ensuite une tâche claire sur le sombre des grandes chapes qui les enveloppent.

Eux passés, l'attention redouble, le silence se fait dans la foule : l'escorte elle-même, telle qu'elle est arrivée de Blois, approche. On distingue déjà derrière les rangs pressés des cavaliers, gentilshommes à la toque garnie de plumes et pages nutêtes, l'espace vide que laissent dans le cortège les deux montures préférées de la reine conduites l'une derrière l'autre.

Enfin, voici le char. Mais actuellement il est vide. Le corps a été déposé sur une litière de bois toute couverte d'un riche drap d'or « fourré et enrichy d'hermine » et dessus, on a placé l'effigie telle qu'elle reposait sur le lit de parade de Blois, afin que chacun puisse voir encore une fois les traits de la banne reine Anne. Quatre gentilshommes encapuchonnés de noir soutiennent cette litière sur leurs épaules. Les coins du drap sont tenus par quatre présidents du Parlement, mortier en tête. Très haut, au dessus de la litière, se dresse le poële ou plutôt le dais à bandes de velours blanc et bleu sur lequel se détachent les armoiries et blasons de la reine. Le dessous en est de toile d'or et les bâtons ou quenouilles peints des mêmes armes sont tenus par le prévôt des marchands et trois échevins. Immédiatement derrière marchent gravement les Messieurs du Parlement, dans leurs longues robes d'écarlate au collet et parements d'hermine, et seulement après, les seigneurs, princes du sang, princesses et filles d'honneur, enveloppées dans leur grand manteau de deuil. Encore un rang de sergents à cheval et le défilé est terminé.

Il s'éloigne, remplissant la rue étroite jalonnée par les torches, dans le bruit confus du piétinement des gens, du choc des sabots sur les pavés, du cliquetis des armes et du murmure de la foule, tandis que toutes les cloches de Paris, ébranlées en même temps, font vibrer l'air de leurs glas funèbres.

Le populaire peut enfin jeter bas les barrières et se répandre dans les rues et l'es carrefours que commencent à parcourir les vingt-quatre crieurs jurés de la ville en proclamant à haute voix : « Honorables et dévotes personnes, priez Dieu pour l'âme de très haute, très puissante, très excellente, magnanime et très débonnaire princesse Anne, par la grâce de Dieu, en son vivant, royne de France, duchesse de Bretagne, laquelle trépassa au château de Bloys le neuvième jour de Janvier et est à présent en l'église N. Dame. Dictes en vos pâtenostres que Dieu bonne mercy lui face ».

Pendant ce temps les vigiles étaient chantées à Notre-Dame. La cathédrale avait reçu une somptueuse décoration, le portail disparaissait sous les tentures ; de la galerie des rois tombaient de grandes draperies ornées de blasons. Dans le chœur une immense chapelle ardente dressait ses « cinq clochers croisés de dix-sept croix recroisetées sur lesquels étaient fichés 1.200 cierges ». Au dire de ceux chargés de les allumer et de les éteindre, le nombre total des cierges aurait atteint 3.800.

Le lendemain matin le service solennel eut lieu avec ce déploiement de luxe, cette richesse des vêtements et des ornements sacrés qui de tout temps a caractérisé les cérémonies religieuses. Tous ceux qui avalent défilé la veille emplissaient la vaste nef. Les prélats, un cardinal, trois évêques, les chanoines occupaient le chœur. L'office fut célébré par le cardinal du Mans, Philippe de Luxembourg, assisté de François de Rohan, archevêque de Lyon et Etienne de Sallazar, évêque de Sens.

Les chantres du roi qui avaient déjà participé à toutes les cérémonies depuis Blois firent résonner la cathédrale de leurs chants les plus beaux et les plus suaves.

La chapelle royale était l'objet des attentions constantes de Louis XII qui, très musicien, avait appelé auprès de lui les maîtres les plus appréciés de l'époque, et sans aucun doute, la part de la musique dans les obsèques de la reine ne fut pas plus ménagée que le reste.

Si nous n'en connaissons pas exactement le programme musical, du moins savons-nous que Jean Mouton, ou plus exactement Jean Hollingue dit Mouton, premier chantre du, roi, avait composé pour la circonstance un motet particulier et nous pouvons, sans crainte de nous tromper beaucoup, supposer qu'on exécuta une messe de sa composition, peut-être une des six de celles que le pape Léon X aimait tellement qu'il les avait fait inscrire au répertoire de la chapelle pontificale, à moins que l'on n'eût choisi une œuvre du maître de Mouton, Josquin Desprez, le « prince des musiciens », qui avait fait aussi un long séjour à la cour et dont un certain nombre de messes venaient d'étre publiées. L'Inviolata, l'Ave Verum, ces chants si connus, qui depuis le onzième siècle étaient de tous les offices des morts, élevèrent certainement par leurs harmonies si pures, l'âme des assistants.

Ceux-ci, à la fin de l'office, purent entendre la suite de l'oraison funèbre de Maître Petit où il exalta de nouveau les vertus d'Anne de Bretagne qui « avait nourri et soutenu l'Eglise, la noblesse et le peuple laborieux ; elle avait secouru les pauvres, les innocents orphelins. Et qui plus est après avoir travaillé à l'expulsion des Juifs, elle en avait fait baptiser un grand nombre et leur avait donné pension » [Note : Le trépas de l'Hermine regrettée].

***

Après le dîner, le cortège repartit dans le même ordre que la veille pour Saint-Denis. Anne de Bretagne touchait enfin au terme de son dernier voyage plus d'un mois après sa mort !

Les prévôts, échevins et tous ceux qui avaient été la chercher à la porte Saint-Jacques, l'accompagnèrent avec la même pompe jusqu'à la porte Saint-Denis [Note : Le trépas de l'Hermine regrettée] où le poële repassa aux mains des gentilshommes. Puis ce fut, selon la coutume en pareil cas l'arrêt à la maladrerie de Saint-Lazare.

Là s'élevait en bâtiment particulier, appelé le « Logis du Roi » où les souverains étaient accoutumés de venir en premier lieu, aussitôt la cérémonie du sacre terminée à St-Denis [Note : La porte St-Denis était située au point où se rencontrent aujourd'hui les rues de Turbigo et aux Ours, prolongée]. Ils y recevaient le serment de fidélité des différents corps constitués. Et c'est là, qu'ils revenaient, dernière étape avant le tombeau consacrant ainsi dans une pieuse pensée, la première et la dernière visite de leur règne aux plus déshérités de leurs sujets : les pauvres lépreux.

Anne de Bretagne ne dérogea pas à cette habitude et son cercueil y fut déposé. Les prélats chantèrent un De Profundis et diverses antiennes, puis le corps fut repris par les porteurs de sel dont c'était une des prérogatives de conduire leurs rois jusqu'aux caveaux de Saint-Denis.

Les dames et damoiselles qui avaient suivi à pied jusque là remontèrent alors sur leurs mules ou leurs hacquenées et la marche se poursuivit.

Après avoir dépassé le petit village de La Chapelle où avait été transportée Jeanne d'Arc, blessée devant la porte Saint-Honoré, on atteignit enfin la croix « aux Frens » où se tenait habituellement la foire du Lendit et où l'abbé de St-Denis, Pierre Gouffier de Boissy et ses religieux ainsi que les prêtres des paroisses et chapelles de St-Denis attendaient le cortège pour l'accompagner en la basilique.

Le service, célébré par les mêmes évêques qu'à Paris, fut suivi de la péroraison du discours de Guillaume Petit.

Sous ces mêmes voûtes qui, au siècle suivant, devaient résonner de l'éloquence sublime de Bossuet exaltant les mérites d'une autre reine de France, un auditoire également princier entendait pour la troisième fois, l'éloge de la souveraine et le maître théologien voulant prouver qu'elle réunissait toutes les vertus de ses ancêtres, entreprit une longue et brillante généalogie qui la faisait descendre de Brutus, roi des Gaëls, et d'Inoge, fille de Pindarus le Troyen, cette tendre Inoge qui, au cours d'une chasse où une pauvre hermine poursuivie par les chiens de son mari était venue se réfugier dans ses vêtements, sauva l'animal, l'adopta et la prit pour devise... d'où la présence de l'hermine dans les armes d'Anne de Bretagne.

Maître Petit qui avait reçu la dernière confession de la reine, pouvait seul affirmer qu'elle était partie l'âme en paix : « J'en atteste, s'écria-t-il, cette fraîcheur de teint, ces traits de beauté que son visage a conservés pendant les neuf jours qu'il est resté découvert. Cet état paraissait moins celui de la mort que celui d'un sommeil agréable et tranquille ».

Après le discours, le cardinal du Mans donna l'absoute. Il revêtit à cet effet une magnifique chape de drap d'or brodée par la reine elle-même et ses filles en l'honneur de Monsieur Saint Denis, patron de la France. Ses blasons et ses armes y étaient dessinés en grosses pierreries. Le fermail, du poids de quatre cents écus, était une rose d'or au cœur formé d'un rubis gros comme une noix.

Enfin le cercueil fut descendu dans le caveau en avant du maître-autel. Ce tombeau n'existe plus. Nous en devons la description à ce récit qui nous a déjà donné tant de renseignements précis : « Le trépas de l'Hermine regrettée ».

Il se composait d'une voûte de huit pieds de long et de large, avec au fond une niche contenant une statue de Notre-Dame en marbre blanc « étoffée d'or et d'argent » avec deux écus, celui de France et celui d'Anne de Bretagne.

Elevé quelques années auparavant sur l'ordre du roi par Jehan Juste, il ne devait pas tarder à être remplacé par le magnifique monument que nous pouvons encore admirer à Saint-Denis.

En effet, l'année suivante, le 1er janvier 1515, Louis XII venait à son tour dormir dans la crypte auprès d'Anne de Bretagne et François Ier ordonnait au même Jehan Juste d'élever un tombeau digne de ce roi. Douze ans plus tard, se dressait le mausolée actuel, où la simplicité et la pureté de ligne des statues royales, impressionnantes de réalisme, rivalisent avec l'accumulation et le fini des bas-reliefs. Jehan Juste, « tailleur d'ymaiges », s'est surpassé et s'est montré dans ce chef-d'œuvre l'égal du vieux maître de Tours, Michel Colombe.

Tombeau d'Anne de Bretagne et de Louis XII dans la basilique de Saint-Denis (Paris).

La cérémonie touchait à sa fin. Le cardinal, ayant jeté un peu de terre sur la tombe, le roi d'armes, Champagne, s'avança et ayant par trois fois réclamé le silence prononça :
- « Roy d'Armes des Bretons faites votre devoir ».

Alors, Bretagne s'écria à haute voix :
- « La Royne très chrestienne, duchesse, nostre souveraine dame et maîtresse est morte. La Royne est morte, la royne est morte ».

Puis, appelant par leurs noms les trois grands officiers de la maison qui portaient les insignes, il reçut, du chevalier d'honneur, la main de justice ; du grand-maître de Bretagne, le sceptre et du grand écuyer, la couronne. Chacun baisa l'emblème avant de le lui remettre et lui-même, les ayant baisés à son tour, les plaça sur le cercueil.

Enfin tout le monde se retira et le peuple fut à son tour admis à défiler.

Cependant tout n'était pas encore terminé. Il n'y avait jamais à cette époque d'obsèques sans un repas de funérailles où se retrouvaient les familiers du défunt. Il eut lieu le samedi suivant, 18 février, et réunit tous les officiers ainsi que les Présidents et Conseillers du Parlement. Au dernier service, Jean de Bretagne, frère naturel de la reine et grand maître de Bretagne se leva pour remercier les fidèles serviteurs de sa sœur et termina par ces mots :
- « Vous pourrez vous retirer vers le Roi et Mesdames. Afin que vous sachiez qu'il n'y a plus de maison ouverte, je romps bâton ». Et joignant le geste à la parole il rompit une baguette. Alors le héraut à haute voix s'écria :

« La très chrétienne royne et duchesse notre souveraine dame et maîtresse est morte, chacun se pourvoye ».

Il ne restait plus qu'à exécuter la dernière volonté de la défunte : joindre son cœur aux restes de ses parents, dans son pays natal. A cet effet il fut enfermé dans un écrin en forme lui-même de cœur, en or, émaillé intérieurement de blanc et surmonté d'une couronne dont les ciselures formaient les mots : « Cœur de vertus orné - Dignement couronné ».

A l'intérieur était gravé ce quatrain :

« O cuer chaste et pudique, ô juste et begnin cuer
Cuer magnanyme et franc, de tous vices vainqueur
O cuer digne entre tous de couronne céleste
Or est ton cler esprit hors de peine et moleste »
.

Les deux faces portaient chacune quatre vers :

« En ce petit vaisseau de fin or pur et munde
Repose un plus grand cuer que oncque Dame eut du munde
Anne fut le nom d'elle en France deux fois Roine
Duchesse des Bretons Royalle et Souveraine. »

et ...
« Ce cueur fut si très hault que de la terre aux cieulx
Sa vertu libérale accroissait mieulx et mieulx
Mais Dieu en a reprins sa portion meilleure
Et ceste part terrestre en grand deuil nous demeure. »

Transporté à Nantes par des seigneurs bretons, il fut déposé en grande cérémonie, d'abord en l'église des Chartreux sur la tombe d'Arthur III duc de Bretagne [Note : Artus de Bretagne, duc de Richemont, 1393-1458 : le célèbre connétable de Richemont qui après avoir été fait prisonnier à Azincourt, guerroya aux côtés de Jeanne d'Arc et chassa définitivement les Anglais de la Normandie], connétable de France, grand oncle de la reine, puis quelques jours plus tard, dans le couvent des Carmes, où il fut enfermé dans le superbe mausolée, chef d'œuvre de Michel Colombe, où reposaient déjà François II de Bretagne et sa femme Marguerite de Foix.

Mais pourquoi faut-il que le mesquin voisine si souvent avec ce qui est grand et généreux ? L'affliction, à la mort d'Anne de Bretagne avait été sincère. Chacun avait contribué de son mieux à la grandeur des obsèques, et, à peine le corps de la reine était-il au tombeau, que déjà dès convoitises éclataient, des discussions s'élevaient entre les religieuses de Saint-Denis, le chapitre de Notre-Dame et les officiers de la ville, le grand écuyer et les hérauts d'armes et jusqu'aux religieuses de la Saussaie, près de Villejuif, chacun réclamant pour soi en vertu de droits ou de privilèges inattaquables, qui les tentures et ornements sacrés, qui les montures de la reine, qui les habits et le linge ayant revêtu l'effigie royale, rivalités et prétentions déplacées que le Parlement fit taire en mettant sous séquestre les objets du litige.

Le souvenir même de la pauvre reine fut vite effacé à la cour. Le roi qui avait tenu pour la première fois à porter le deuil en noir, imitant en cela ce qu'elle avait elle-même inauguré à la mort de Charles VIII, qui avait interdit pendant plusieurs semaines, dans toute la France, tous les jeux, danses, représentations théâtrales et jongleries, le roi qui, plongé dans sa douleur, n'avait assisté qu'aux cérémonies de Blois, se mariait pour la troisième fois, neuf mois jour pour jour après le décès d'Anne, avec la jeune Marguerite d'Angleterre, âgée de seize ans. Mariage politique qui lui fut, d'ailleurs, fatal.

Mais, si elle fut vite oubliée des siens, elle ne devait pas périr tout entière dans le coeur des Français. Sa mémoire fut popularisée par l'image et la chanson et, après plusieurs siècles écoulés, son souvenir demeure encore vivace chez les Bretons pour qui elle est toujours : « notre bonne duchesse Anne ».

(Madeleine Fouché).

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