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L'ANCIENNE BARONNIE DE LA ROCHE-BERNARD

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LA VILLE DE LA ROCHE BERNARD ET LE PROTESTANTISME.

La plupart des villes ont une origine obscure, et sont obligées de recourir à la légende pour encadrer leur berceau. Ici, nulle place pour l'imagination : la naissance de la Roche-Bernard est un fait historique où tout est connu, jusqu'aux moindres circonstances. On sait que cette ville est née en même temps que le château, en vertu d'un acte de fondation signé par le seigneur. Celui-ci ne pouvait se plaire longtemps dans son isolement, sur le rocher qu'il avait choisi, loin du bourg de Nivillac. Il avait besoin d'un chapelain, de vassaux, d'officiers, de serviteurs ; c'est pourquoi il résolut de fonder une agglomération d'habitants sous les murs de sa forteresse.

Bernard II avait sous la main les plus puissants colonisateurs de l'époque, les Bénédictins de l'abbaye de Redon. Il leur offrit l'emplacement nécessaire pour la construction d'une église, et y ajouta trois arpents de terre (tria jugera), c'est-à-dire une étendue de terrain que nous ne pouvons déterminer exactement, pour y fonder un bourg. C'est là que furent construites les premières maisons de la Roche-Bernard, autour d'une église dédiée à Notre-Dame.

Bernard assura l'existence des religieux qui habitèrent le nouveau prieuré, détaché de l'abbaye mère, en leur abandonnant les dîmes de toutes ses possessions et de tout ce qui lui appartenait. L'acte spécifie que le prieur aura la dîme du froment, du vin, du sel, du poisson, du tonlieu, des droits de navigation, plus la franchise de circulation d'un bateau, et la pêche d'un étang non désigné, qui doit être celui du Rodoir. Cette donation, faite publiquement sur la place de l'église de Saint-Pierre de Nivillac, porte la date du sixième jour des calendes d'avril 1063.

Sur la route de la Roche à Saint-Dolay, le même seigneur possédait un cimetière entre deux chemins [Note : « Quod est ad crucem inter duas vias ad faciendam ecclesiam. » D. Morice, Pr., t. I, col. 494]. Il le donna aux religieux de l'abbaye de Saint-Gildas-des-Bois, pour y construire une église qui devint celle du prieur de Saint-Jacques. Partout où le patronage de ce saint a été établi, il a exercé une telle attraction sur les populations, que son sanctuaire est toujours devenu le centre d'un nouveau quartier. Saint Jacques est un saint hospitalier, qui a servi d'enseigne à toutes les aumôneries ouvertes aux voyageurs. En créant un asile charitable à la porte de la ville, le baron de la Roche était sûr d'augmenter ses chances d'accroissement ; du même coup il préparait l'avenir commercial de cette ville. Le meilleur moyen de procurer des ressources à un hôpital était de lui accorder un champ de foire, sur lequel il pouvait, plusieurs fois par an, convoquer les marchands à dresser leurs tentes. Les pardons, les foires et les fêtes religieuses ont toujours eu le privilège de remuer vivement les populations, et de provoquer les échanges. Les seigneurs bénéficiaient ordinairement de ces assemblées, puisqu'elles amenaient de nouyeaux vassaux sur leurs domaines.

Depuis un temps immémorial, il y a foire à la Roche-Bernard quatre fois par an : à la Saint-Mathieu, à la Sainte-Luce, à la Saint-Jacques et le jour de la Pentecôte, sans préjudice de deux marchés hebdomadaires. Je suis persuadé que ces assemblées commerciales ont pris naissance à l'époque des premiers barons, à la suite des concessions gracieuses faites à l'établissement des religieux de Saint-Gildas.

Tel est le point de départ certain du quartier de la Roche-Bernard qui porte le nom de faubourg Saint-James. Cette forme du nom de saint Jacques n'est pas très commune, mais elle n'est pas méconnaissable ; Saint-James et Saint-Jacques sont les deux variantes d'une traduction de Sanctus Jacobus.

Cette altération n'est pas la cause de l'oubli dans lequel est tombé notre prieuré. L'archidiacre, qui passa en 1573, relate qu'il le trouva en ruines, soit par l'insuffisance du temporel, soit par la négligence des titulaires. Personne ne tenta de le relever : son existence n'avait plus la même utilité qu'au XIIème siècle. Des maisons modernes ont remplacé les pignons gothiques, les fenêtres géminées et jusqu'au sanctuaire, si bien que personne ne sait plus même l'endroit exact où s'élevait l'aumônerie de Saint-Jacques.

Je ne serais pas moins embarrassé pour répondre, si je n'avais sous les yeux la charte de Bernard, où il est dit que le terrain concédé se trouvait à la rencontre de deux chemins, près d'une croix. Quand on connaît la topographie de la ville, on sait que les voies d'accès étaient rares, et l'on ne voit qu'une bifurcation possible, celle qui se présente près de la Porte-Garel, à la rencontre des chemins de Nivillac et de Saint-Dolay. Le calvaire actuel, bien que nouveau pour le public, remplace pour nous une vieille croix, qui était en face, et devrait porter le nom de Saint-Jacques, en souvenir du premier établissement religieux du faubourg.

Comme tous les bourgs du Moyen Age, la Roche-Bernard devait avoir de plus un asile spécial consacré aux lépreux. En nous appuyant sur les noms de lieu, nous le placerons au pré de la Maladrie, dont jouissait la fabrique en 1787, ou sur le domaine des Métairies, au champ du Bocenno. En langue bretonne, Bocen désigne la peste. La peste et la lèpre ont été les deux grands fléaux du Moyen Age ; ils n'ont été extirpés que par la multitude des hôpitaux répandus sur la surface du Royaume. A l'exemple de leurs contemporains, le baron Bernard et ses fils mettaient leur gloire à multiplier les institutions charitables sur leurs domaines.

L'emplacement choisi par Bernard ne se prêtait pas aux développements d'une grande cité. C'est une langue de terre, longue de quatre cent cinquante mètres, large de trois cents au plus, entourée de précipices, qui comporte tout au plus un bourg. Si l'on ne savait que nos pères savaient s'entasser et vivre sur des espaces très étroits, on ne croirait pas qu'un seigneur ait jamais eu l'ambition de jeter les bases d'une ville sur ce triangle, et de la faire vivre par le commerce. L'unique place demeurée libre aux marchands était non seulement étranglée, mais encore encombrée par une halle à grosses charpentes, basse et sombre, comme on n'en voit plus qu'en basse Bretagne. On y arrivait par des ruelles étroites, bordées de maisons d'un et deux étages en bois, surplombant au-dessus de l'étalage du rez-de-chaussée.

La place du Bouffay marque le centre de la première agglomération bourgeoise, le noyau autour duquel se sont élevées les constructions les plus recherchées. Même en y ajoutant les maisons qui se sont alignées sur les deux routes d'accès, la superficie totale ne représente qu'une étendue restreinte. On voit que cette ville étouffe et languit faute d'espace libre ; elle ne peut s'épanouir sans passer sur le territoire des communes voisines. Férel et Nivillac l'enserrent de tous côtés, près des dernières maisons, comme pour arrêter son essor. Nivillac surtout semble jalouse de l'émancipation de sa fille, et ne lui a pas cédé un pouce de terrain lors de la confection du cadastre et de l'érection des paroisses.

Depuis longtemps, la Roche-Bernard se ressent de la condition inférieure qu'elle occupait autrefois au point de vue ecclésiastique ; elle est restée petite ville, parce qu'elle était une petite trève, une fillette spirituelle de Nivillac. Avec une église paroissiale érigée avant 1790, elle aurait débattu ses intérêts avec plus d'autorité, et aurait acquis deux fois plus d'importance. Pourtant elle ne manquait pas d'églises : elle avait, au centre, Notre-Dame ; dans ses faubourgs, Saint-Michel et Saint-Jacques ; mais elle ne possédait pas la mère église, celle qui avait abrité le premier pasteur de la contrée, et cela suffisait pour lui imprimer une marque de sujétion pendant des siècles : tant étaient lourdes les conséquences qu'imposait autrefois le respect des traditions.

La Roche-Bernard reçut des barons plus d'une compensation qui dut lui faire oublier cette dépendance. Tout le courant de circulation, qui depuis plus de huit siècles passait par la voie romaine de Férel et d'Arzal, fut détourné à son profit. Pourtant le passage du Haut-Riguy et de la Noie est le plus commode de toute la basse Vilaine ; celui de la Roche est au contraire très dangereux, à cause de l'escarpement des rives des deux côtés du fleuve. Le service des voyageurs n'a pu être établi qu'en fouillant les rochers du Ruicard, pour former une rampe de descente qui, malgré tout, reste périlleuse pour les voitures chargées. En dépit de tous ces inconvénients, le bac de la Noie a été supprimé, et le bac de la Roche a été seul conservé à la disposition des voyageurs qui se rendaient de Nantes à Vannes. Même après la création du bac du gué de Lisle par le duc de Bretagne, Jean Le Roux, au XIIIème siècle, celui de la Roche, par Marzan, demeura très fréquenté, parce qu'il faisait suite à la grande route de Pont-Château. Les voyageurs préféraient débarquer dans une ville bien pourvue d'hôtelleries et approvisionnée de marchandises de toutes sortes, plutôt que de s'arrêter dans un village comme l'Isle.

Il est incontestable que le mouvement des étrangers, amenés par le passage du fleuve, a été une des sources de prospérité de cette ville, et qu'il a puissamment contribué à enrichir ses habitants, autant que la proximité de la Vilaine. Tous ceux qui voulaient se livrer au commerce trouvaient, dans la proximité de la rivière, des facilités de transport très appréciables à une époque où les routes n'étaient pas entretenues régulièrement ; ils jouissaient, de plus, d'une grande sécurité, puisque le donjon du seigneur protégeait le port contre les pillards. Le flot de la marée montante, deux fois par jour, les mettait en relations avec tous les petits ports bretons, avec les marchands de la Loire, et la marée descendante emportait ce que le pays pouvait produire. Tous ces avantages réunis attirèrent à la Roche une foule de trafiquants, qui en firent un entrepôt des plus fréquentés, et une place de commerce où il fut facile de s'enrichir rapidement. Au XVème siècle, la Roche-Bernard n'était plus un bourg infime, elle avait l'aspect d'une ville bourgeoise ; ses maisons bien bâties, en élégantes charpentes ouvragées, étaient décorées d'étages surplombants, de jambages, de linteaux en granit sculpté, et desservies par des escaliers en colimaçon, qui n'ont pas tous disparu. L'agglomération, qui comptait, au XVème siècle, cent dix-neuf feux imposables, montait au chiffre de cent trente, en 1544.

La vie municipale fut calme pendant de longs siècles à la Roche-Bernard ; elle se développa lentement mais régulièrement, à l'abri des murailles qu'avaient élevées les barons, même pendant la guerre des Penthièvre contre les Montfort. Que les bourgeois aient été obligés de repousser parfois les attaques des Anglais ou des partisans de Jean de Montfort, le fait est possible : mais leurs exploits n'ont pas eu de retentissement. Leurs goûts belliqueux ne se révèlent qu'au XVIème siècle, sous le règne d'Henri II ; ils voulurent, comme toutes les villes privilégiées, avoir leur tir au papegault, leurs chevaliers armés de l'arbalète et de l'arquebuse, leurs jours de. réjouissances. Le 28 septembre 1551, le Roi leur accorda des lettres patentes qui comblaient tous leurs vœux, et insista, en 1554, pour qu'elles fussent vérifiées et enregistrées, attendu que les habitants de la Roche n'étaient pas éloignés de la mer et se trouvaient plus exposés que d'autres aux coups des ennemis (Arch. dép. B. Mandements. Livre III, f° 462).

On eût dit que les bourgeois de la Roche pressentaient les guerres de Religion, et qu'ils ne voulaient pas rester désarmés pendant les troubles qui allaient éclater. La catholique Bretagne était moins disposée que toute autre province à embrasser les erreurs de la Réforme. Malgré cela, le sire de Coligny, en prenant possession de la baronnie de la Roche, résolut d'en faire le piédestal du Nouvel Évangile. Sa femme, Claude de Rieux, non moins passionnée que lui, l'excitait à marcher dans cette voie, et tous d'eux se flattaient, dans leurs rêves ambitieux, de convertir la Bretagne à leurs idées. Il fallait d'abord sonder le pays, en visitant les châtelains des alentours, et se rendre compte de l'état des esprits. Au château de l'Ormaie, près de la Roche, ils furent si bien accueillis, qu'ils en firent un centre de réunion où l'on prêchait fréquemment et célébrait la cène à Pâques. Les trois frères de Baulac s'y faisaient remarquer par leur prosélytisme, et répétaient qu'il fallait commencer les prédications publiques par la ville du Croisic.

Sur les instances de Dandelot, le pasteur Louveau de la Porte quitta Beaugency pour venir, sur les bords de la Vilaine, évangéliser ses vassaux. Il arriva dans les derniers jours du mois de juin 1561, et fit la rencontre de Bachelard, dit Cabanes, pasteur de Nantes, qui revenait de la Noyalle de Pontivy, où il avait prêché devant M. de Rohan et plusieurs autres seigneurs. Ils allèrent ensemble à la Bretesche, où Bachelard le présenta à Dandelot. Sans tarder, le baron lui composa un auditoire choisi et nombreux, et l'invita à prêcher sa doctrine. Si nous en croyons Lenoir de Crevain, l'historiographe du protestantisme, le curé de la paroisse, Jean Pelaud, qui était présent, se serait montré satisfait, et n'aurait rien trouvé à redire, ni dans ses paroles, ni dans la liturgie du baptême qu'il adopta en recevant un enfant du sieur Harangeot. Il est permis de douter de cette assertion, ou de se demander si ce bon prêtre n'était pas déjà hérétique avant de l'entendre (Vaurigaud, Hist. de l'Église réformée en Bretagne, t. I, p. 70).

Louveau ne voulait pas se contenter d'être le prédicateur du château, il venait fonder une église ; il réclama un édifice dont il pût faire un temple, et obtint de Dandelot la chapelle de Notre-Dame. Il y fut solennellement installé le 10 juillet 1561. L'exemple d'en haut a toujours une grande influence sur la foule. En voyant Dandelot et sa femme assidus au prêche, entourés de leurs familiers, plusieurs familles se laissèrent ébranler, et firent cortège au sieur Louveau. Les premiers membres du consistoire qui furent désignés sont MM. de Trégus, Jean de la Favède, médecin, Jean Guillermo, Jean Allaire et Laurent Poyart. Ceux-ci en amenèrent d'autres, et bientôt gentilshommes, bourgeois et paysans se pressèrent nombreux autour de la chaire. Louveau ne jouit pas longtemps de ses succès oratoires. Sa petite église vivait dans de perpétuelles alarmes, depuis que le bruit du massacre de Vassy était parvenu jusqu'en Bretagne. Du reste, les esprits s'étaient échauffés à la Roche comme ailleurs ; les discussions théologiques étaient devenues la monnaie courante des conversations, et les protestants eux-mêmes pressentaient bien qu'en attaquant les pratiques du catholicisme, ils prêchaient la sédition qui mène à la guerre civile. Dès 1562, ils n'osaient pas célébrer ce qu'ils appelaient la cène sans mettre un ami en observation, pour les avertir du péril qui les aurait menacés Le moindre bruit de galop de cavalerie les plongeait dans la terreur.

Louveau lui-même, voyant que les divisions augmentaient autour de lui, jugea prudent de quitter la Roche et de se réfugier à la Bretesche. Au lieu de tenir son prêche à Notre-Dame, il faisait ses exhortations au château, ou dans quelque chapelle isolée. Quelquefois il convoquait ses adhérents dans la forêt même, ou dans la maison d'un fermier, et menait une existence de proscrit.

Il avait des ennemis qui intriguaient contre lui, et qui voulaient le remplacer par la Favède. Pendant qu'il se mariait à Vendôme, avec la veuve du pasteur d'Angers en 1564, ils excitèrent tant d'animosités contre lui dans la ville, qu'à son retour personne ne voulut lui louer un logement pour sa famille. Sans l'intervention de M. de Trégus, il eût été obligé de chercher asile à la Bretesche.

Outre la chapelle de Notre-Dame, dont nous avons parlé plus haut, il existait à la Roche une léproserie, avec chapelle dédiée à saint Michel, que Dandelot s'appropria [Note : D'après le témoignage du curé de Nivillac, elle était de fondation ducale ou royale. (Concordat de 1649, Arch. du Morbihan, G)]. Il y fit d'abord enterrer Claude de Rieux, sa femme, dans un magnifique cénotaphe qu'il décora de pompeuses inscriptions ; puis il y annexa un collège ; car il pensait à l'avenir et croyait à la durée de la Réforme. Dans sa pensée, les missionnaires de la nouvelle religion devaient partir de la Roche, et, de là, rayonner dans tout le pays.

Un instant, il crut que l'année 1567 serait fatale à ses projets : c'est quand on annonça la visite du gouverneur de Bretagne, le vicomte de Martigues. Celui-ci ne passait pas pour un homme endurant, et l'on disait qu'il venait pour renverser le temple de l'hôpital. Malgré les sollicitations des catholiques de la Roche, Martigues ne commit aucune violence : il se contenta de décocher quelques railleries à Louveau, à propos des statues qui décoraient le tombeau de la baronne, et de lui rappeler le passage de la Bible où il est dit : « Tailler ne te feras images ».

L'année 1567, si agitée ailleurs, se passa sans encombre à la Roche ; les passions populaires n'osèrent se manifester en face de l'attitude que prenaient les notables, visiblement favorables à la Réforme. Dandelot avait le soin de recruter ses officiers parmi les amis de Louveau. On voyait dans le consistoire le médecin Amat de la Rose, les frères Guillermo, le capitaine de la Bretesche, Nicolas de Téhillac, Jean Rocaz du Haut-Verger, Jean Le Hebel, G. Jouin, I. Jehannet, châtelain de Pontchâteau, G. Pelaud, J. Cherotin et E. Bernier.

Tout cet état-major se dispersa quand le capitaine du Quengo arriva avec sa compagnie de soudards, en 1568 ; on savait qu'il n'y avait pas à résister à cette brute sanguinaire qui, sous prétexte de venger l'orthodoxie, se livrait à toutes les horreurs que commettent les barbares. Sa fureur se déploya surtout contre le collège de l'hôpital, qu'il renversa de fond en comble, et contre l'église de Saint-Michel, qui contenait les restes de Claude de Rieux. Il incendia l'édifice et démolit le tombeau.

Louveau n'était pas homme à braver le péri l; il se réfugia au château de la Bretesche avec son petit collège, ne venant à la Roche que la nuit, pour visiter ses fidèles, tant il avait peur de tomber dans les embûches de ses ennemis.

Quand il passa en Angleterre, après la Saint-Barthélemy, il avait perdu son protecteur. Dandelot était mort en 1570, après avoir reconstruit le temple de l'hôpital sur les fondations de l'église Saint-Michel, et s'y était fait enterrer. Un acte de 1649 accuse Dandelot, et non du Quengo, d'avoir brûlé cette dernière église. Dès qu'une occasion favorable se présenta, Louveau revint dans le pays, malgré les tribulations qu'il y avait éprouvées. Il s'y trouvait au début de la Ligue, et continuait ses prédications à la Bretesche, au milieu de quelques fidèles auditeurs.

Nous le savons par une lettre, où il relate la prise de la Bretesche par le duc de Mercœur, dans des termes qui nous révèlent une âme simple et candide. Louveau n'était assurément pas un méchant homme, ni un intrigant. « Je déplore, dit-il, le malheur extrême qui tomba pour la seconde fois sur le château de la Bretesche, où s'était retiré le reste de ma pauvre église, après avoir fait quelque temps la guerre à la Ligue, car environ la mi-octobre (1591) le fort ayant été furieusement battu par le Lorrain espagnolisé se rendit par une capitulation très désavantageuse pour les assiégés qui furent taxés à une rançon du tout insupportable. En quoi il parut que l'ire de Dieu était étrangement allumée sur la pauvre Bretagne, tant en général qu'en particulier » (Vaurigaud, Hist. des églises réformées de Bretagne, t. I, p. 317).

La vengeance du vainqueur s'exerça surtout envers les officiers de la juridiction de la Roche, qu'il mit dans l'impossibilité de siéger, en les tenant sous les verroux, ou en les exilant. Une requête des habitants de la Roche, de 1593, nous apprend qu’ils étaient privés d'audiences depuis la prise de la Bretesche, parce que les juges étaient au nombre des « ennemys de Dieu et du Sainct party » (A. de Barthélemy. Documents inédits sur la Ligue, p. 142, 143). Le Pennec de Boisjollan, sieur de Tregrain, qui était capitaine du château au moment du siège, fut emmené jusqu'à Nantes, et n'obtint la liberté qu'en payant une rançon de huit mille écus. Il lui en coûta bien davantage, car les meubles et les papiers qu'il avait apportés à la Bretesche, pour les mettre en sûreté, furent jetés comme les autres par les fenêtres, dans les douves. Il ne sauva que les débris ramassés par Charles Leroux, greffier de la Roche, qui se trouvait présent, et ce que les Espagnols vendirent de butin à Félix Pelaud de Rollieu (Enquête de 1604. Arch. dép. E 1229).

Tant que dura le règne de Mercœur, le pasteur Louveau dut renoncer à toute prédication publique ; il se bornait à envoyer ses exhortations à une noble dame Sarah du Bois, nièce de M. Trégus, qui s'était réfugiée à la Bretesche (Vaurigaud, Hist. des églises réformées de Bretagne, t. I, p. 317). La tolérance et le repos que les protestants se promettaient après la publication de l'édit de Nantes, en 1598, ne fut pas de longue durée. Ils recommencèrent à trembler quand ils virent les catholiques autorisés à démolir le temple de l'hôpital, en 1630, et s'emparer des matériaux pour en construire une église. Les familles calvinistes, privées désormais de lieu de réunion, se groupèrent dans les alentours de l'auditoire des halles, où, dans les temps de calme, elles se rassemblaient librement. Ce quartier, limité à l'ouest par la place du Bouffay, se composait d'un pâté de maisons, serrées les unes contre les autres, sur un terrain à peu près circulaire, dont les cours sont contiguës, tandis que les façades s'ouvrent sur une ceinture de rues à laquelle on donne encore aujourd'hui le nom de Tour de l'île. Ce groupe ressemble en effet à un îlot. Par les caves et les greniers qui se communiquaient, les habitants, qui étaient presque tous protestants, pouvaient se visiter et se réunir les uns chez les autres sans éveiller l'attention.

Si l'union fait la force, elle pousse aussi à la résistance. Malgré les termes de l'arrêt du Conseil, qui interdisait l'exercice de la religion réformée à la Roche, en 1665, les partisans de Calvin tinrent bon, et s'expatrièrent sans doute en 1685, lors de la révocation de l'édit de Nantes, car les registres paroissiaux ne mentionnent que deux abjurations de femmes d'un âge avancé.

On sera surpris quand nous dirons que les agitations, causées par les passions religieuses, n'ont pas eu d'influence sur la marche des affaires commerciales à la Roche-Bernard. Les maisons, construites avec le plus de recherche, ornées des plus fines sculptures, sont de l'époque de la Renaissance et d'Henri IV. Il y a, dans la maison des Basses-Fosses, un escalier en bois à spirale, de trois étages, qui est une merveille de charpenterie. On pourrait citer, jusque sur le bord de l'étier qui sert de port, beaucoup de frontons de portes et de fenêtres qui n'ont pu être faits que pour des familles jouissant d'une grande aisance.

Le luxe stimule l'industrie locale et la pousse vers le progrès. Les ouvriers de la Roche-Bernard avaient sans doute une grande réputation d'habileté, autrement on ne s'expliquerait pas pourquoi le roi Louis XIII choisit cette petite localité, dépourvue de port, pour y établir un chantier de construction marine. Le premier grand navire de guerre, nommé la Couronne, qui était armé de soixant-quatorze canons, fut construit en 1637, sous la direction de Charles Moreau de Dieppe, dans une prairie qui touche l'étier de la Roche-Bernard.

L'amiral Thévenard nous décrit ce navire comme une merveille d'architecture navale, qui fit l'admiration de tous les marins français et étrangers. Son lancement dans les eaux de la Vilaine fut un événement très important, qui aurait dû laisser des traces profondes dans la mémoire de la population. Dans une ville riche et populeuse, il n'en aurait pas fallu davantage pour donner le branle aux grandes entreprises et faire naître de nouvelles industries. A la Roche, les fortunes étaient modestes, et les goûts paisibles et portés de préférence vers l'agriculture ; personne ne paraît avoir tenté de suivre l'exemple de Moreau de Dieppe, malgré les avantages qu'offrait le voisinage de la forêt de la Bretesche pour la construction navale. Les ouvriers charpentiers ne furent ni plus nombreux, ni plus ambitieux qu'auparavant. Le chantier du port resta stationnaire, et ne fut jamais recherché par les armateurs du XVIIIème siècle (Archives de la Loire-Inférieure, série B. Impositions). En parcourant le rôle de la capitation de 1789, je n'ai pas rencontré plus de cinq charpentiers sur une liste de deux cent soixante-seize feux, et encore faut-il déduire de ce nombre ceux qui travaillaient simplement à la construction des maisons. Je n'ai pas aperçu d'ouvrier voilier, mais un cordier.

Ce dénombrement instructif nous prouve que la population de la Roche n'a jamais cherché à s'élever au-dessus des affaires du petit commerce. Un seul habitant, M. Lévesque, prend le titre de négociant. La bourgeoisie s'attachait volontiers aux fonctions judiciaires créées autour du siège baronnal de la Roche-Bernard ; elle fournissait des procureurs fiscaux, des avocats, des alloués, des procureurs, des notaire et des sénéchaux, qui se transmettaient leurs charges de père en fils ; à la mairie des maires, des échevins et des miseurs.

Le titre de maire de la Roche-Bernard n'était pas sans honneur : il conférait le droit d'assister aux États de Bretagne, et de s'asseoir sur le banc des délégués de toutes les grandes municipalités de la province. Dans cette petite ville, les choses se passaient aussi solennellement que dans le chef-lieu du diocèse. « A la date du plus ancien registre de délibérations connu, c'est-à-dire en 1767, la communauté composant le corps politique de la Roche-Bernard tient ses assemblées dans la maison ou hôtel de ville ; la veille du jour de la réunion, chacun des membres a reçu de la main du héraut de ville une convocation spéciale ; le jour même, l'ouverture en est annoncée par le son du tambour dans les rues et carrefours. Un règlement particulier, du 2 août 1770, fixe pour la communauté la composition des assemblées, le rang respectif de ses membres dans les cérémonies, le mode de convocation et la marche à suivre dans les votes » [Note : M. Rosenzweig a publié des détails intéressants sur l'organisation de la municipalité de la Roche-Bernard, tout en constatant de nombreuses lacunes dans les archives qui laissent planer beaucoup d'obscurité sur certains chapitres. (Annuaire du Morbihan, 1880, 20 pages)].

Aucun personnage ne manquait à son organisation : la ville avait son chirurgien juré et un régent pour les écoliers, dont le traitement était de deux cents livres. Son principal revenu consistait dans le produit d'un octroi sur les boissons, qui s'affermait quatorze cent cinquante livres en 1780.

(L. Maître).

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