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LA BATAILLE ET VICTOIRE DE BALLON

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Bretagne : bataille et victoire de Ballon

La victoire de Ballon (22 novembre 845) 

et

 le destin celtique de la Bretagne. 

L'histoire de la Bretagne s'est nouée autour d'un événement capital, la victoire de Nominoë à Ballon.

Bretagne : bataille et victoire de Ballon

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armoirie de Bretagne 

DE L'ARMORIQUE A LA BRETAGNE

L'Armorique n'est pas seulement une vieille terre, c'est aussi un vieux peuple, un des plus anciens du continent. Depuis l'époque de la pierre éclatée cette terre est habitée. A partir des époques mésolithique et néolithique les vestiges de cette lointaine activité humaine se multiplient. Les premiers habitants sont petits, trapus, de crâne allongé. Déjà organisés en société, ils ont une vie religieuse et des rites mortuaires développés. Guerriers, amis des belles armes de silex, ils savent aussi cultiver la terre et élever des animaux. Les siècles passent, obscurs pour la péninsule isolée et repliée sur elle-même. Soudain, vers le XIXème siècle, une nouvelle civilisation apparaît caractérisée par des milliers de dolmens et de menhirs qui de Byblos à la Scandinavie jalonnent en Europe la route des « Peuples de la Mer ». Dans cette répartition, Irlande, Armorique et Grande-Bretagne sont favorisées — il reste encore près de cinq mille de ces monuments en Bretagne — et cela parce qu'elles sont riches de l'or et de l'étain utilisés par cette civilisation du bronze. 

Une époque magnifique — l'époque des Ligures — s'ouvre pour les Armoricains en union étroite avec les habitants des îles britanniques — les îles Oestrymnides célébrées plus tard dans le poème archéologique de Rufus Festus Avienus : « Ora Maritima ». Ils s'adonnent à la culture et à l'élevage du bétail, se vêtent de tissus de lin, manient encore des armes de pierre polie et usent de poteries ornées de dessins pareils à ceux des céramiques grecques. Enrichis par le commerce maritime, les Armoricains élèvent des monuments grandioses qui servent de modèle à l'Europe entière et qui supposent une organisation sociale poussée, témoins les fameux alignements de Carnac ou le prodigieux menhir de Locmariaquer. Autour de ces monuments les foules se pressent en d'immenses « pardons » à certaines fêtes pour y célébrer des rites sacrés, — libations et sacrifices —, au chant d'hymnes accompagnés de la harpe, selon les traditions recueillies par Diodore de Sicile. Ainsi s'exaltent, dans l'idéalisme divin et le culte des morts, le sentiment de fraternité et la puissance de ces peuples en pleine expansion : fêtes agricoles et solaires de l'équinoxe, mais aussi du 4 février, du 6 mai, du 8 août et du 8 novembre... jusqu'au jour fatal où l'empire ligure s'écroule, victime de sa propre conquête. Grâce à leurs armes de bronze, ces peuples ont réussi à dominer l'Occident ; entraînés par leur victoire, ils ont conquis les peuplades de l'Europe centrale encore au stade de la pierre, mais ces régions sont riches en cuivre. Armés à leur tour les vaincus d'hier vont envahir l'Occident, ce sera la première invasion celtique, vers 1500 ; toutefois l'Armorique ne sera touchée qu'un millénaire plus tard ; d'ici là, séparée du continent et des îles, elle s'endort et végète. 

Une autre civilisation, celle du fer, ne tarde pas à commencer. Les Armoricains voient disparaître leurs derniers avantages, faute de pouvoir exploiter le fer de la péninsule, par suite des moyens de fortune d'alors. Abandonné à lui-même le pays retombe dans l'obscurité jusqu'au moment où, venus de l'est, les Celtes déferlent à nouveau sur l'ouest de l'Europe et sur l'Italie. Arrivés en Armorique, ils se mélangent à la population pour former une race nouvelle de type plus grand, de teint blond. De rondes les maisons deviennent carrées et s'entourent de fortifications. De petites stèles remplacent les menhirs. Aux noms ligures succèdent des noms gaulois, signe de l'ampleur de l'invasion. Les objets précieux eux-mêmes sont d'un nouveau style : colliers d'or, boites d'ivoire, vases de bronze montés sur trépied. Les envahisseurs apportent une culture originale, en effet, qui va s'amalgamer avec le fond ligure sur les deux rivages de la Manche. Les Celtes renouent les relations entre les îles et le continent, peuplés maintenant par des tribus de même race, assujetties aux mêmes modes de vie. A l'intérieur de l'Europe celtique se constitue une grande Confédération Armoricaine dont parle Pythéas dans son périple vers 320, avant notre ère. Cette Confédération comprend cinq peuplades — civitates — ; de la Loire au Pays de Caux : Namnètes, Osismii, Curiosolites, Redones, dirigés par les Vénètes grâce à leur puissante marine héritée des traditions ligures (ce qui les différencie des autres peuples de la Gaule plus terriens que marins). Une seconde fois l'Océan vient d'imposer sa loi aux habitants de l'Armorique à la faveur de ce génie de l'adaptation propre aux Celtes. Dès lors les lourds navires armoricains recommencent à sillonner l'Atlantique, des côtes d'Espagne à celles des Iles Britanniques où ils retrouvent la même civilisation, mais affinée par plusieurs siècles d'adaptation. Une vie relativement luxueuse s'est développée au pays d'outre-Manche, marquée par l'idéalisme religieux et la recherche du beau qui s'affirme surtout dans une émaillerie aux vives couleurs et à l'étourdissante fantaisie. Les Armoricains vont bénéficier de cette civilisation qui rayonnera chez eux à l'abri des puissants forts côtiers et des redoutables catapultes à longue portée récemment inventés par eux. 

Ces armes nouvelles n'empêcheront pas une seconde catastrophe de s'abattre sur le pays. Les Celtes ont fini par conquérir à peu près toute l'Europe : Rome en 387, Delphes en 300 ; mais les vaincus auront encore cette fois leur revanche. Revanche pacifique pour les Grecs dont l'influence bienfaisante pénètre peu à peu la Celtie ; brutale, pour les Romains, dont les légions vont soudain dévaster la Gaule et y ruiner l'hellénisme naissant. En 58, César attaque les Helvètes ; en 57, l'Armorique est conquise. Après une soumission apparente la révolte éclate. Les Vénètes ont pris la tête du mouvement libérateur et entraînent les autres cités gauloises, tandis que les Celtes de Grande-Bretagne viennent au secours de la Confédération. Pendant quelque temps les Armoricains résistent victorieusement, mais César se décide à frapper les Vénètes dans leurs forces vives. Le Romain fait construire une flotte légère dans les chantiers de la Loire et, à la fin de l'été 56, c'est le désastre de Port-Navalo, où les soldats de César montés sur de petits navires coupent à l'aide de longues faux les cordages des lourds vaisseaux vénètes réduits ainsi à leur merci. Les vaincus sont massacrés ou vendus à l'encan. Lorsque Vercingétorix fera appel aux Armoricains pour la suprême révolte, décimés, ils ne pourront fournir que vingt mille combattants. 

Avec la défaite l'Armorique perd son autonomie, elle est rattachée à la Lyonnaise. Dépouillée de sa flotte, elle est séparée de la Grande-Bretagne et ne tarde pas à se romaniser. Elle perd jusqu'à ses dieux : Teutatès devient Mars ; Esus, Vulcain. Elle perd enfin sa langue, remplacée par le latin. Sans liberté elle n'a plus de force suffisante pour vivre en dépit d'une apparente, mais éphémère prospérité purement matérielle. Elle se dépeuple peu à peu ; les villes se resserrent dans leur étroite enceinte. C'est une lente agonie ; l'Eglise seule demeure vivante avec les trois évêchés de Rennes, Nantes et Vannes, rattachés à Tours, dernier rempart de spiritualité. L'Armorique paie de sa décadence ses complaisances envers Rome ; va-t-elle payer de sa vie la trahison de son élite ? 

Un peu avant la moitié du Vème siècle un événement capital se produit qui va sauver l'Armorique en la rendant à son univers marin : l'émigration des Bretons d'outre-mer venus chercher refuge sur le continent. Conquise un siècle après la Gaule, rebelle et vaincue comme elle, la Grande-Bretagne avait dû plier devant Rome. Avec l'esclavage était venue la prospérité comme en Armorique ; toutefois, ici, la romanisation, limitée aux cités, était restée superficielle, si bien que les Bretons n'eurent pas de peine à retrouver leur personnalité celtique le jour où menacée ailleurs Rome dut retirer ses garnisons. A peine libérée des Romains — vers 410 — la Grande-Bretagne doit faire face à un autre danger venu du nord. Pour se défendre contre les incursions des Pictes descendus d'Ecosse, elle fait appel aux Saxons. Ce fut pour son malheur : cupides à leur tour les Saxons d'Hangist massacrèrent dans un festin leurs alliés et entreprirent la conquête de l'île. Préférant l'exil à la servitude les chefs bretons survivants s'enfuirent en Armorique. Durant deux siècles au gré des défaites, ce mouvement va se continuer qui finira par transformer complètement la péninsule au point de changer son nom et d'en faire la Petite-Bretagne. 

Gildas, un des émigrants, dans son « De Excidio et Conquestu Britanniae », écrit vers 550, raconte l'étonnante aventure de ces Bretons qui traversent la mer sur leurs barques carénées de chêne ou recouvertes de peaux, avec leurs chefs militaires et religieux, tierns et moines en quête d'une patrie. Ils abordent en Armorique pour la plupart où ils trouvent une contrée à demi déserte. D'autres poussent jusque vers les côtes d'Espagne et s'installent dans un pays qui ressemble étrangement au leur : la Galice dont le nom et le génie ont encore aujourd'hui quelque chose de celtique. A peine débarqués les fugitifs plantent la croix et s'installent vaille que vaille, bien reçus d'abord par les rares indigènes et aidés par les premiers réfugiés. Plus tard des frictions fatales se produiront, mais la fusion se fera vite, en dépit d'incidents regrettables, comme en 513 où le sang coula. La nouvelle communauté s'organise rapidement ; dès 461 on signale un évêque des Bretons au Concile de Tours : Mansuetus. Le plus fort contingent d'émigrés échoit naturellement à la côte nord. L'Histoire et la Légende ont conservé les noms de premiers chefs religieux qui dirigèrent l'émigration : Iltut, Samson, Magloire, Efflam, Budoc, Malo, Erfyl... tandis que le sud a Gildas, Patern, Ivi... Bientôt un royaume s'organise — la Domnonée — du Couesnon à l'Elorn, peuplée par des émigrants de Cornwall, Devon, Dorset, Sommerset et par des Gallois de Caerleon ar Wysc. Les Gallois de l'est — les Cornovii — fondent de leur côté entre l'Elorn et l'Ellé notre Cornouaille, pendant que d'autres tribus galloises particulièrement indomptables s'établissent dans le Pays de Vannes — Bro Werec'h — entre la Vilaine et l'Ellée, ainsi que dans le Pays de Guérande entre Loire et Vilaine. 

Au flanc de la Gaule en décomposition, ni romaine ni franque, c'est une nouvelle nation qui vient de s'établir avec sa langue, ses traditions religieuses et sociales. Cette nation se développera d'autant plus facilement qu'elle retrouve dans cette Armorique une terre pareille à celle qu'elle vient de quitter et dans les indigènes des compatriotes, dégénérés peut-être, mais frères de race pourtant. Ensemble, Bretons et Armoricains vont construire une civilisation originale, celto-armoricaine, plus marquée à l'ouest de la Vilaine et de la Rance, moins profonde à l'est. L'apport celtique va être l'élément actif, déterminant, de cette civilisation de forme militaire et religieuse où, à !a tête de leur clan, le héros et le saint tiennent la première place : beaucoup de noms de lieux, les noms en « plou- », « plo- », « pleu- », gardent le souvenir de ces premiers chefs du peuple breton. Il n'y a pas encore de Bretagne, et pourtant il y a déjà une âme bretonne, qui anime et unit tous ces clans rattachés entre eux par les liens assez lâches de la parenté. Une telle organisation tend à l'anarchie, la perpétuelle tentation des Celtes ! elle a par contre le mérite de respecter la personnalité et de développer le sentiment de loyauté envers les chefs. L'individualisme a été souvent pour les Celtes une source de défaite, mais il leur a permis aussi de résister à toutes les tyrannies et d'exceller dans deux domaines : celui de la poésie et celui de la religion, domaines de choix pour les fortes personnalités. 

Toute l'organisation sociale des nouveaux venus repose sur la parenté et non sur la citoyenneté. Chez eux la famille, prolongée jusqu'aux plus lointains parents, s'identifie à la « maisonnée ». Dans cette société la mère tient un rôle de premier plan dans la famille, mais aussi dans les affaires de la tribut, tant civiles que religieuses, tout en étant soumise à son mari. Sans avoir les droits abusifs du « pater familias », le père demeure cependant le maître incontesté de sa maison, femme, enfants, serviteurs, esclaves dont le sort s'adoucit vite à la faveur du christianisme. Les biens de cette famille sont personnels ou communs, groupés autour de la maison, souvent bâtie en pierre sèche et cernée d'un enclos où se trouvent les bâtiments de service destinés aux instruments agricoles, chars à deux et quatre roues, grandes faux, tonneaux, herses, tous inventions celtiques. Bien que la vie fût essentiellement rurale, les maisons se groupaient parfois en petites cités, sur les collines ou sur les rivières, reliées entre elles par de bons chemins avec des gués ou des ponts. D'habiles artisans habitaient ces villes, capables de confectionner ces belles bottes, ces harnachements soignés que les Celtes apprécient en bons cavaliers qu'ils sont. Ailleurs des artistes façonnent d'élégants bijoux en or ou ornent d'émaux de bonnes armes, tandis que d'autres brodent de couleurs vives des tissus de laine ou de lin. En effet, cette société a évolué ; une aristocratie est née ; des chefs se sont imposés, entourés de vassaux et dominés par des rois élus mais choisis dans certaines familles. Ces rois, qui en temps de guerre commandent l'armée, mènent en temps de paix une vie débonnaire, gouvernant selon leur serment « en bons pères de famille » et s'adonnant à la poésie et à la musique au milieu d'une petite cour avide de plaisir et de chasse ; tel apparaît Arthur dans les « Mabinogion », le héros gallois de la lutte contre les Saxons. 

L'Armorique va connaître dans une certaine mesure cette organisation avec la division celtique du pays en quatre royaumes. Elle va surtout hériter de la spiritualité celtique, de son idéal façonné par les druides, puis par les moines. Ce qui caractérise cet idéal, c'est le goût du mystère, c'est aussi l'amour de la Nature avec une tendance au panthéisme et le sens de la beauté. La témérité, la fantaisie, l'humour, voilà les traits secondaires de l'âme celtique, telle que nous la saisissons dans les productions de son génie : beaux récits héroïques ou tendres, motifs stylisés, animaux ou feuillages. Voilà ce que les émigrants apportent avec eux, voilà les cadeaux qu'ils offrent à l'Armorique pour ces épousailles d'où naîtra le génie breton. En retour l'Armorique leur offre sa ténacité, le sens de l'Au-delà et le culte des morts. Ainsi s'organise sur le continent une Petite-Bretagne, ou s'amalgament toutes les traditions de la Grande et de l'Armorique préhistorique ; mais cette nouvelle Bretagne s'ouvre sur le monde latin et sur le christianisme romain qui pénètre et transforme toutes ces tendances comme il pénétrera et transformera, pour en faire la fête de la Toussaint, la grande fête païenne du premier novembre, début de l'année celtique.


Bretagne : bataille et victoire de Ballon

VEILLEE D'ARMES

Un sang jeune venait de vivifier l'Armorique, le sang des Bretons « que n'avait pas encore amollis une longue paix », selon l'expression de Tacite (Agricola, c. XI). La transfusion se fit progressivement pendant que d'autres peuples : Wisigoths, Alains, Burgondes, s'installaient en Gaule, en laissant de côté la péninsule trop excentrique, sauf l'actuel pays de Retz, au sud de la Loire, qui fit partie de l'empire wisigoth. Mais voici de nouveaux et redoutables envahisseurs venus de Rhénanie, les Francs, qui devaient changer jusqu'au nom de la Gaule. Leur domaine, le riche bassin de la Seine inférieure, le met fatalement en contact avec le massif armoricain et avec les Bretons qui commencent à s'y organiser. Déjà leur roi Childéric a poussé ses armées jusqu'aux environs de Nantes à titre de fédéré au service de Rome, — pouvoir toujours officiel —, pour y réprimer le brigandage. Au début du VIème siècle, Clovis, son fils, prend contact avec les Bretons sur ce qui sera la « Marche » longtemps disputée entre les deux peuples. Durant trois siècles, les Bretons lutteront pour la maîtrise de ce territoire, bastion nécessaire et, naturel pour leur nationalité, alors que pour les Francs, plus nombreux et plus puissants, la Marche ne peut être qu'une base de départ pour la conquête et l'asservissement de la Bretagne. 

Désormais des luttes sévères vont ensanglanter cette étroite bande de terre, à peine large de cinquante kilomètres, glacis jalonné de noms de batailles, faible cuirasse pour protéger le cœur de la Bretagne ! Et cette armure a un défaut : la trouée de Redon, au confluent de la Vilaine et de l'Oust, entre la côte et l'impénétrable forêt de Brocéliande, au carrefour des routes qui de la Loire mènent aux extrémités de la péninsule. Les chefs bretons, simples comtes encore, combattent maintenant sans trêve pour la possession de cette zone indispensable à la sécurité du pays et à sa prospérité. En 579, Waroc'h s'empare de Vannes et s'avance vers Rennes, battant au passage de la Vilaine l'armée de Chilpéric ; en 580, incursion de Beppolen au nom des Francs. En 581 et 587, les Bretons pénètrent dans le Pays Nantais ; en 590, Beppolen, qui cherche toujours à soumettre la Bretagne, est vaincu. Finalement un accord momentané s'établit : les Bretons reconnaissent l'autorité du roi franc et lui paient un tribut ; en retour les Francs s'engagent à respecter leur autonomie ; au VIIème siècle, le chef breton Judicaël, roi de Domnonée, sanctionne cet état de choses avec le roi Dagobert. Une période de paix s'ensuit ; la vie monastique se développe à Landevennec, à Gaël, à Rhuys, à Dol et avec elle la civilisation. On écrit des vies de saints, — saint Samson, saint Judicaël —, tandis que l'on reste en relation avec le grand foyer intellectuel que constituent alors les Iles Britanniques. 

L'avènement des Carolingiens rallume la guerre dans le désir qu'ils ont de soumettre et d'assimiler les Bretons : il faut détruire ce petit peuple qui se développe grâce à la paix. En 755, Pépin obtient un succès et les Bretons doivent s'incliner. Avec Charlemagne la « Marche » est organisée au profit des Francs et Roland en est le préfet. Soumission apparente, la révolte éclate en 786 et part du Vannetais comme au temps de César. Les expéditions punitives se succèdent, 799, 811, 818, année où Morvan refuse le tribut et meurt vaincu dans son repaire de l'Ellée. En 822 Wihomarc'h se soulève à son tour, il faut deux expéditions à Louis le Pieux pour écraser le chef rebelle ; vraiment ces Bretons sont indomptables ! Lassés de sévir, les Francs confient le gouvernement de la Marche à un Breton supposé loyal et agréé en même temps des siens : Nominoë, nommé comte de Vannes par Louis le Débonnaire à. Ingelheim en 819, puis « missus imperatoris » et « dux in Britannia » en 826 : ironie du sort, c'est le Franc qui forge le premier l'unité de la Bretagne, à partir de cette Marche si âprement disputée ! A Nominoë va revenir l'impérissable honneur d'organiser l'Etat Breton. 

Le nouveau chef était un rude homme, de mince origine selon la chronique malveillante des moines de Saint-Florent, de race royale selon les traditions bretonnes. Témoin des luttes de Morvan et de Wihomarc'h, Nominoë s'était rendu compte de leur vanité. Loin d'atteindre leur but, ces révoltes n'avaient fait qu'aggraver le sort des Bretons par le ravage du territoire et l'anéantissement d'une élite indispensable au pays, et cela faute d'un commandement unique chez les Bretons et parce que la Vilaine reste une voie d'invasion trop largement ouverte. Nominoë est Breton ; tout en demeurant loyal envers l'Empereur, il ne saurait renoncer au principe d'une autonomie bretonne. Le « Dux » commence par assurer son autorité sur ses compatriotes exaltés ; d'autre part il s'efforce d'établir un solide verrou au passage de la Vilaine, en facilitant la création de l'abbaye de Redon, à la fois politique et religieuse. Par ce fait même tomberont les accusations mensongères ou excessives qui servaient de prétexte aux Francs pour envahir le pays : l'anarchie et la barbarie bretonnes. Comme plus tard les Anglo-Normands contre les Irlandais, les Francs se donnaient la mission de civiliser par les armes les Bretons barbares : « ces Bretons, race menteuse, arrogante, rebelle, perfide, chrétienne de nom seulement, sans rien de chrétien dans les moeurs, sans culte et sans église, incestueux, criminels, sans justice, sans tribunaux, vivant dans les bois et les buissons, avec un roi qui ne régit rien » (Ermold le Noir, Carmen, III, v. 53-56. Traduction Faral ; éd. Budé). 

La fondation de l'abbaye de Redon, dans une région où se multipliaient les colonies bretonnes, devait vite démentir ce grossier jugement par le rayonnement intellectuel et spirituel des premiers moines : Conwoyon, archidiacre de Vannes, et ses compagnons Cohiarn, Tethwin..., déjà installés dans le pays depuis 830, grâce à la protection de Ratwili, machtiern de Bains. Rayonnement religieux mais aussi rayonnement politique de ce monastère « fondé, — selon un texte d'alors —, afin de prier chaque jour pour le salut de Nominoë et pour le salut de la Bretagne ». Aussi les intrigues franques se multiplient-elles pour faire échouer la nouvelle fondation qui fermait l'entrée de la Bretagne aux pillards ; intrigues favorisées par des tierns jaloux, comme Illoc ou Hincant, mais déjouées par l'habileté de Nominoë et de saint Conwoyon. Une suprême ruse arrangea les choses : le « Dux » profita de ce que Louis était prisonnier de ses fils rebelles pour promettre solennellement la fondation du monastère, afin d'obtenir du Ciel la délivrance de l'Empereur. Délivré, Louis ne put que sanctionner ce vœu, d'autant plus que les moines ne cherchaient pas à restaurer la vieille discipline celtique de saint Colomban, suspecte à Rome et interdite par Louis quelques années plus tôt à Landevennec. Le ralliement de saint Conwoyon à la règle de saint Benoît désarmait la méfiance de l'Empereur et gagnait l'appui du Saint-Siège. En même temps Nominoë contenait l'ardeur de ses trop belliqueux sujets. Il lui fallait discipliner ces Bretons irascibles, portés à commettre des représailles contre les incursions des Francs et spécialement contre Lambert, comte de Nantes, leur créature. 

Nominoë gouvernait en paix depuis quatorze ans lorsque Louis mourut en 840. Situation difficile pour le « Dux » ! Il est fidèle à Charles le Chauve, son nouveau suzerain, mais voici que Lothaire exige, comme empereur, la soumission de tous les fonctionnaires. Nominoë s'exécute, mais il refuse, lorsqu'éclate la querelle fratricide, d'aller faire couler le sang breton à Fontanet pour une cause qui n'est pas celle de la Bretagne. Nouvel embarras, quand Lothaire et Charles, — dans le lot de qui se trouve la Bretagne —, se réconcilient à Orléans. Prévoyant la décomposition prochaine de l'Empire, Nominoë semble n'avoir désormais qu'une idée : sauver son gouvernement de l'anarchie générale et s'y installer en maître. Il se rallie à Charles le Chauve qui le maintient dans ses fonctions, mais sachant la vanité des garanties verbales que n'appuie pas la force, il va s'assurer les frontières de son futur royaume en intégrant la Marche d'une manière définitive à la « Britannia ». L'occasion est favorable ; Lambert est en révolte contre Charles, l'ancien ennemi peut devenir un allié ; Nominoë soutient le comte nantais. Malade, ou voulant garder un alibi prudent, Nominoë envoie son fils Erispoë pour aider Lambert à reprendre son comté de Nantes attribué par Charles à Rainaud, comte d'Herbauges. Erispoë jouant la malchance est battu à Messac, sur la Vilaine ; Lambert répare heureusement cet échec en culbutant à Blain les armées victorieuses qui s'en retournaient à Nantes (24 mai 843). D'autre part, les Nantais, en délicatesse avec leur ancien comte, finissent par se rallier à lui, qui seul peut les défendre contre les Normands, puisque Rainaud a été tué à Blain. Ils viennent en effet de subir une terrible incursion de ces pirates qui ont massacré les fidèles et l'évêque réfugiés dans la cathédrale. C'est alors que Charles décide pour son malheur de soumettre par les armes le chef breton. Toutefois, quand il revient, en automne, de Vendôme où il a traité, la saison est trop avancée pour une expédition en Armorique sans compter qu'il a maille à partir avec les Aquitains. 

Une double question se pose ici : Nominoë a-t-il trahi son suzerain et l'enjeu valait-il la peine d'une telle lutte ? Sans aucun doute Nominoë est un ambitieux, — c'est la marque de tous les créateurs d'Etats —, qu'importe, si son ambition est légitime et utile. Il semble pourtant que seule la folle politique des fils de Louis soit la cause déterminante de son attitude. Son but est d'assurer la grandeur et la sécurité à la Bretagne et à lui-même par naturelle identification de l'intérêt du dynaste à celui de son pays. Précisément, avec son fils Erispoë, Nominoë fait figure de fondateur de dynastie. Il sait par ailleurs la folie des révoltes inconsidérées et il n'échappe pas plus que ses contemporains au prestige de l'Empire, encore tout nimbé de la gloire de Charlemagne ; cet empire dont la nécessité est d'autant plus sentie que se précise, pour l'Occident et pour la Bretagne, le danger des invasions normandes, tandis que le péril arabe est à peine conjuré. Durant quinze ans, Nominoë, fonctionnaire impérial, a dû lutter contre ses compatriotes pour les discipliner eux-mêmes, au risque de passer pour un collaborateur des Francs. A une époque où le serment compte, il a juré fidélité au premier des souverains, à l'Empereur, « qui l'a fait comte ». Est-il vraisemblable dans ces conditions de faire du chef breton un vulgaire traître ? Ne faut-il pas plutôt penser que, prévoyant l'effondrement de l'Empire, il se soit préparé à toute solution capable d'assurer le bien de la Bretagne et son propre intérêt, tout en préférant probablement, — solution inscrite dans la nature —, une autonomie loyale, mais sûre, à une indépendance pleine de risques. Il est frappant que Nominoë, qui n'engage la lutte qu'au dernier moment, et après avoir réitéré son serment à Lothaire et à Charles, ne prendra pas le titre de roi, la victoire venue, mais se contentera de celui de « dux », malgré une véritable indépendance de fait. 

Si Nominoë se décide à entrer en lutte avec Charles encore puissant, ce n'est pas par simple vengeance envers les Francs, malgré toute la rancune qu'il peut avoir contre eux. C'est parce que l'enjeu est grave pour la Bretagne et parce que Charles a le premier montré le chemin de la dissidence, en se séparant de son frère, l'Empereur Lothaire. Nominoë se sent délié d'un serment prêté dans d'autres conditions, au moment où il y va de la vie même de la Bretagne et de sa propre situation, à lui qui vient de voir Lambert spolié de Nantes. Il y va de son oeuvre, mais surtout de l'avenir de ce petit peuple, son peuple, dont il se sait le seul protecteur. Ce peuple a le droit, aussi bien que les Francs, à la vie et à la sécurité de ses frontières ; il ne demande pas autre chose, comme en témoignent quinze années de calme. En retour il est prêt à reconnaître la suzeraineté de son puissant voisin qui peut avoir, lui aussi, de justes exigences à son égard pour sa propre sécurité. Seulement ce peuple ne voit pas pourquoi il paierait un tribut à ces Francs, qui loin de le protéger, sont toujours prêts à le razzier. Il ne comprend pas de quel droit on lui dispute cette Marche qui lui est nécessaire, tant pour sa valeur stratégique que pour ses richesses, et dont il est voisin depuis le Vème siècle alors que les Francs ne l'ont atteinte qu'au siècle suivant. Il y a davantage : ces Bretons ont conscience de former une nation ; ils ont leurs usages, leur langue, leur génie propre ; ils veulent rester eux-mêmes et tel est le sens de la fière réponse qu'Ermold lui-même, le chroniqueur de Louis, prête comme dernier argument au chef Morvan s'adressant à Witcar, envoyé par l'Empereur pour recevoir sa soumission « Nec sua rura colo, nec sua jura volo ». (Carmen, III, y. 1465) « Je ne cultive pas ses champs, je ne veux pas ses lois »

Maintenant les jeux sont faits : l'Empire est partagé depuis deux ans, il n'est plus question de faire partie d'une vaste fédération où, sous la suzeraineté impériale, chaque peuple et chaque souverain pouvaient garder les avantages d'une certaine autonomie. Désormais Nominoë n'aura plus affaire à l'Empereur, mais au roi. Il sait par expérience les buts de la politique franque : rejeté du Rhin, Charles n'aura qu'un désir : trouver une compensation à l'ouest et déjà les Francs n'ont-ils pas commencé depuis longtemps leur « Drang nach Westen » ? Combien de fois leurs troupes n'ont-elles pas pénétré à l'intérieur de la péninsule ? Combien de fois leur diplomatie, n'est-elle pas intervenue dans les affaires purement spirituelles des Bretons, pour leur imposer des évêques ou des coutumes de Tours ? Enfin, alors qu'en Irlande et au Pays de Galles, le celtique prospère, ici cette même langue bretonne, héritée des ancêtres, est menacée elle-même par le roman qui vient de naître avec le serment de Strasbourg. Sur la Vilaine? la lutte n'est pas engagée seulement pour des biens matériels, elle s'engage aussi pour des biens spirituels. L'esprit celtique et l'esprit germanique vont s'affronter, l'esprit breton et l'esprit franc. D'un côté c'est l'idéalisme, le goût de la beauté, le sens de la personne ; de l'autre, c'est la force, la volonté de puissance, le culte de la masse. Chez les Celtes la harpe vaut l'épée, chez les Germains seule l'épée compte. 

De cet esprit témoigne Ermold décrivant les armées franques dans leur marche sur la Bretagne en 818 : « La campagne est remplie du bruit des trompettes, les bois en retentissent, et du creux des cors sortent des accents qui couvrent la région. On marche ; les forêts s'ouvrent à l'envahisseur jusque dans leurs dernières profondeurs ; les champs sont submergés par les soldats francs. On recherche les vivres que recèlent les bois et les marais et qui ont été dissimulés dans des fossés. On emmène hommes, moutons et boeufs : rien n'échappe ; aucune ruse qui ne soit éventée. Point de salut dans les marécages ; les fourrés n'offrent que de vaines cachettes : le Franc porte partout ses ravages. Les églises, comme l'Empereur l'avait recommandé, sont respectées : tout le reste est livré aux flammes. Quant à rencontrer les Francs en rase campagne, le Breton ne s'y fie point : l'ennemi si fier refuse le combat. Caché dans les buissons, dans les touffes de fougères, il se montre çà et là et borne son offensive à des cris. Comme les feuilles tombent du chêne à la première gelée, comme la pluie tombe en automne, ou l'averse un jour d'été : ainsi les malheureux Bretons jonchaient de leurs cadavres le séjour boisé des bêtes sauvages et les plaines marécageuses » (Carmen, III, v. 1594-1613).


Bretagne : bataille et victoire de Ballon

LA BATAILLE

Charles le Chauve n'a pas eu la possibilité de châtier Nominoë à la fin de l'été 43 ; il s'est contenté de le repousser vers l'ouest, pris qu'il était par les graves événements d'Aquitaine. Les mêmes événements l'empêchent encore en 44 de faire en Bretagne cette expédition qu'il veut décisive et donc importante. Nominoë profite de ce répit pour faire des incursions dans le Pays de Rennes et dans le Pays de Nantes, et même en Anjou au printemps 45. Cette fois le roi va riposter, maintenant qu'il est tranquille du côté de l'Aquitaine ; il vient en effet de régler avec Pépin à Saint-Benoît-sur-Loire les problèmes du midi (mai 45). Il peut désormais se retourner contre l'impossible « Dux » breton : par un dernier méfait celui-ci n'a-t-il pas brûlé récemment dans le pays des Mauges le magnifique monastère de Saint-Florent rebâti par Charlemagne ! Et cela, pour punir les moines trop pressés de remplacer, par la statue de Charles, la sienne propre qu'il leur avait enjoint de jucher au sommet de leur église, la face tournée vers l'est. Le 13 juin le roi est encore à Saint-Benoît, mais le 12 août le voici en Mayenne et le 19 octobre à Rennes (Note : La date fin juin donnée par les Annales de Saint-Bertin est démentie par la Chronique de Fontenelle et par une Charte de Redon. De plus elle ne laisse pas à l'armée franque le temps de franchir les quatre cents kilomètres qui séparent Saint-Benoît-sur-Loire de Redon). La saison est avancée, mais l'été de la Saint-Martin est proche et il faut profiter des derniers beaux jours, et surtout du calme général, pour en finir avec la question bretonne, avant que d'autres difficultés ne surviennent dans le royaume à peine pacifié. 

Le roi s'avance à la tête d'une forte armée composée de soudards de toutes les nations : Saxons, Francs, Gallo-Romains, Aquitains, Rhénans, aguerris par les récentes campagnes du Midi ou vétérans des expéditions de Bretagne. Ils ont laissé à leur droite la voie romaine de Rennes à Vannes — objectif de leur marche — trop peu sûre au milieu des forêts, pour suivre la route de Rennes à Nantes, protégés ainsi sur leur droite par la Vilaine et restant plus longtemps en pays gallo, moins exposés par conséquent aux coups de main des rebelles. La lourde armée s'avance dans l'air vif de novembre ; sous le pâle soleil d'automne les peupliers resplendissent encore comme des flammes dans la brume du matin ; les chênes commencent à se dorer et déjà dans l'aigre vent, tournoient les premières feuilles qui tombent. Dans la troupe, il est peut-être un officier des campagnes d'antan qui se redit les vers d'Ermold, goûtant d'avance la joie du carnage : Ut folium veniente gelu cadit arbore querna, Ut pluvia automno rosque calente die... 

Les cuirasses resplendissent ; les piques et les lances jettent des lueurs brutales ; les chevaux piaffent et se cabrent sous la main des rudes cavaliers. Cachés dans les bois, les manants frémissent au bruit sourd de l'armée en marche, que rompt le hennissement d'un cheval, le cri rauque d'une trompette ou la voix profonde du cor qui sonne déjà l'hallali de la Bretagne. 

A la nouvelle de l'approche du roi, Nominoë s'est retiré, derrière la Vilaine, sur un plateau sauvage cerné de marais déjà détrempés par les pluies d'octobre. Instruit par la défaite de son fils à Messac, il se garde bien de combattre avec le fleuve dans le dos. Sur ces hauteurs, il tient une position unique, appuyé à gauche sur la Vilaine et à droite sur l'Oust qu'il domine, avec liberté d'action complète pour se porter sur Rieux, au cas improbable où les Francs voudraient y traverser le fleuve par le vieux gué romain de la route de Nantes à Vannes déjà inondée depuis les marées d'équinoxe. Charles le Chauve, qui franchira la Vilaine plus au nord, devra de toutes façons passer à la portée de Nominoë pour rejoindre la voie romaine de Nantes à Vannes. C'est ce qu'attend le Breton pour engager la bataille décisive, qu'il espère victorieuse grâce à son excellente cavalerie, bien faite pour ce terrain dénudé et légèrement accidenté. Les calculs du chef breton étaient justes : selon toute vraisemblance, Charles, après avoir quitté la Vilaine à Langon, — célèbre encore par son temple romain —, débouche sur les landes de Bains à l'aube du 21 novembre. C'est là qu'eut lieu le choc décisif. Le combat, qui avait dû s'amorcer aux environs de Renac, se déroula sur la grande lande appelée aujourd'hui « lande de la Bataille », le long du ruisseau du même nom qui vit ses flots se changer en sang, dit la légende locale. Durant deux jours la bataille fut indécise. Malgré leurs attaques, les Francs ne purent forcer le passage de l'Oust et furent rejetés en désordre sur la Vilaine. C'était le 22 novembre, en la fête de saint Colomban le vieux saint irlandais... Voici comment la chronique raconte le dur combat : « Pour mater l'insolente audace des Bretons, Charles est entré en Bretagne avec une grande armée. Les Saxons enrôlés pour recevoir les attaques tournantes des cavaliers rapides sont placés en première ligne. Mais écrasés dès le premier assaut par les javelots des Bretons, ils se replient sur l'armée. Les Bretons, selon leur coutume, montés sur des chevaux dressés pour ce genre de combat, courent çà et là ; tantôt ils se précipitent sur la ligne serrée des Francs et de toutes leurs forces lancent en plein contre eux leurs javelots ; tantôt ils simulent la fuite et n'en fichent pas moins leurs javelots dans la poitrine de ceux qui les poursuivent. Les Francs, accoutumés qu'ils étaient à combattre de près, épée contre épée, restaient sans bouger frappés de stupeur, effrayés par la nouveauté de ce danger inconnu auparavant et incapables de poursuivre (l'ennemi), aussi bien que de se défendre en bataillons serrés. La nuit survint qui interrompt le combat. Parmi les Francs beaucoup avaient péri, un plus grand nombre étaient blessés, une multitude de chevaux avaient péri. Le lendemain, la bataille recommence, mais elle se termine par un plus grand désastre. A cette vue, Charles, démoralisé et terrifié, s'enfuit en secret, de nuit, à l'insu de son armée, abandonnant pavillon, tente et tous les ornements royaux. A l'aube, lorsqu'elle s'aperçoit de la fuite du roi, l'armée est en pleine panique et ne songe plus qu'à fuir. Les Bretons se précipitent avec de grands cris sur le camp des Francs qu'ils envahissent rempli de toutes ses richesses : ils s'emparent de tout le butin ; ils poursuivent l'armée des Francs dans sa fuite ; tous ceux qu'ils rencontrent ils les tuent ou les font prisonniers ; la fuite sauva les autres. Enrichis des dépouilles des Francs et équipés avec leurs armes, les Bretons rentrent chez eux »

Nominoë avait gagné la partie : Charles s'enfuit d'une traite jusqu'au Mans. On imagine aisément la joie des vainqueurs, le Te Deum chanté par saint Conwoyon au monastère de Redon, l'allégresse du bon peuple délivré du cauchemar de l'invasion, enfin le prestige du vainqueur... Par la suite, on éleva un monastère sur le lieu de la bataille, sans doute afin d'y prier pour les morts. Cette victoire, c'était la récompense de tant de sacrifices vaillamment supportés depuis des siècles par une foule de héros qui avaient donné leur vie pour que ne meure pas la patrie. C'était aussi la victoire du génie celtique sur l'esprit germanique, la victoire du mouvement sur l'immobilité, la victoire de la cavalerie bretonne sur l'infanterie franque. Cependant Charles cherchait à réparer son échec ; l'hiver ne lui permit pas de reprendre l'initiative de la guerre. On négocia, et l'année suivante ce fut le traité de paix qui consacrait la victoire de Nominoë et mettait fin à l'odieux tribut, symbole de l'esclavage. La Villemarqué, dans son fameux « Barzaz Breiz », a traduit en un poème farouche, « Le Tribut de Nominoë », la légende populaire qui célèbre la victoire du Breton.

I

L'herbe d'or est fauchée ; il a bruiné tout à coup. — Bataille ! — Il bruine, disait le grand chef de famille, du sommet des montagnes d'Arez ; — Bataille !  Il bruine depuis trois semaines de plus en plus, de plus en plus, du côté du pays des Franks. Si bien que je ne puis en aucune façon voir mon fils revenir vers moi. — Bon marchand, qui cours le pays, sais-tu des nouvelles de mon fils Karo ? — Peut-être, vieux Père d'Arez ; mais comment est-il et que fait-il ? — C'est un homme de sens et de cœur ; c'est lui qui est allé conduire les chariots à Rennes. Conduire à Rennes les chariots traînés par des chevaux attelés trois par trois. Lesquels portent sans fraude le tribut de la Bretagne, divisé entre eux. — Si votre fils est le porteur du tribut, c'est en vain que vous l'attendez. Quand on est allé peser l'argent, il manquait trois livres sur cent ; Et l'intendant a dit : « Ta tête, vassal, fera le poids ». Et tirant son épée, il a coupé la tête de votre fils. Puis il l'a prise par les cheveux, et il l'a jetée dans la balance. — Le vieux chef de famille, à ces mots, pensa s'évanouir : Sur le rocher il tomba rudement, en cachant son visage avec ses cheveux blancs ; Et, la tête dans la main, il s'écria en gémissant : « Karo, mon fils, mon pauvre cher fils ! ».

II

Le grand chef de famille chemine, suivi de sa parenté ; Le grand chef de famille approche, il approche de la maison forte de Nominë. — Dites-moi, chef des portiers, le maître est-il à la maison ? — Qu'il y soit ou qu'il n'y soit pas, que Dieu vous garde en bonne santé !. Comme il disait ces mots, le seigneur rentra au logis, Revenant de la chasse, précédé de grands chiens folâtres ; Il tenait son arc à la main, et portait un sanglier sur l'épaule, Et le sang frais, tout vivant, coulait sur sa main blanche, de la gueule de l'animal. — Bonjour ! bonjour à vous, honnêtes montagnards ; à vous d'abord, grand chef de famille. Qu'y a-t-il de nouveau ? Que voulez-vous de moi ? ; — Nous voulons savoir de vous s'il est une justice ; s'il est un Dieu au ciel et un chef en Bretagne ? — Il est un Dieu au ciel, je le crois, et un chef en Bretagne, si je puis. — Celui qui veut, celui-là peut ; celui qui peut chasse le Frank. Chasse le Frank, défend son pays, le venge et le vengera ! Il vengera vivants et morts, et moi, et Karo mon enfant. Mon pauvre fils Karo, décapité par le Frank excommunié.  Décapité dans sa fleur, et dont la tête, blonde comme le mil, a été jetée dans la balance pour faire le poids !. Et le vieillard de pleurer, et ses larmes coulèrent le long de sa barbe grise, Et elles brillaient comme la rosée sur un lys, au lever du soleil. Quand le seigneur vit cela, il fit un serment terrible et sanglant : — « Je jure par la tête de ce sanglier, et par la flèche qui l'a percée. Avant que je lave le sang de ma main droite, j'aurai lavé la plaie du pays ! ».

III

Nominoë a fait ce qu'aucun chef ne fit jamais : Il est allé au bord de la mer avec des sacs pour y ramasser des cailloux, Des cailloux à offrir en tribut à l'intendant du roi chauve. Nominoë a fait ce qu'aucun chef ne fit jamais : Il a ferré d'argent poli son cheval et il l'a ferré à rebours. Il est allé payer le tribut, en personne, tout prince qu'il est. — Ouvrez à deux battants les portes de Rennes, que je fasse mon entrée dans la ville. C'est Nominoë qui est ici avec des chariots pleins d'argent. — Descendez, seigneur ; entrez au château ; et laissez vos chariots dans la remise ; Laissez votre cheval blanc entre les mains des écuyers, et venez souper là-haut. Venez souper, et, tout d'abord laver ; voilà que l'on corne l'eau ; entendez-vous ? — Je laverai dans un moment, seigneur, quand le tribut sera pesé. Le premier sac que l'on porta (et il était bien ficelé), Le premier sac qu'on apporta, on y trouva le poids. Le second sac qu'on apporta, on y trouva le poids de même. Le troisième sac que l'on pesa : « Ohé ! ohé ! le poids n'y est pas ! » Lorsque l'intendant vit cela, il étendit la main sur le sac. Il saisit vivement les liens, s'efforçant de les dénouer. — Attends, attends, seigneur intendant, je vais les couper avec mon épée. A peine, il achevait ces mots, que son épée sortait du fourreau, Qu'elle frappait au ras des épaules la tête du Frank courbé en deux. Et qu'elle coupait chair et nerfs et une des chaînes de la balance en plus. La tête tomba dans le bassin, et le poids y fut bien ainsi. Mais voilà la ville en rumeur : « Arrête, arrête l'assassin ! Il fuit ! Il fuit ! portez des torches ; courons vite après lui ! » — Portez des torches, vous ferez bien ; la nuit est noire et le chemin glacé. Mais je crains fort que vous n'usiez vos chaussures à me poursuivre. Vos chaussures de cuir bleu doré ; quant à vos balances, vous ne les userez plus. Vous n'userez plus vos balances d'or en pesant les pierres des Bretons. — Bataille ! ».

Le traité de 846 supprimait donc le tribut et ratifiait l'indépendance de fait du souverain breton, maintenu dans sa charge ; en revanche le Breton reconnaissait la suzeraineté théorique du roi qui gardait Nantes et Rennes sous son autorité. Une telle solution ne pouvait terminer le conflit qui demeurait latent, puisque la Marche était en grande partie soustraite au pouvoir de Nominoë. On ne peut s'empêcher de rapprocher ce traité de l'accord qui mit fin en 1921 au conflit anglo-irlandais. Ici et là le problème est à la fois économique, — annuités, tribut —, et moral, — autonomie —. Ici et là les Celtes se refusent à verser un impôt pour une terre dont ils se jugent les seuls propriétaires. Ici et là ils doivent reconnaître leur vassalité à l'égard d'un souverain étranger dans une patrie qui reste mutilée, — Ulster, Marche.


Bretagne : bataille et victoire de Ballon

ROI DE BRETAGNE

Nominoë a réalisé la première partie de son programme : son autorité est reconnue par tous les Bretons et son autonomie vient de l'être par les Francs. Il reste maintenant à organiser le pays pour que dans tous les domaines cette autonomie ne soit pas un vain mot. Ce sera son oeuvre et celle de ses deux successeurs immédiats, Erispoë, son fils, et Salomon, cousin de celui-ci, qui porteront le titre de roi. Tout en organisant et en stabilisant son pouvoir, déjà royal de fait s'il ne l'est pas de nom, Nominoë s'efforce d'achever l'unité bretonne par l'assimilation de la Marche à l'avantage des Bretons, et non plus des Bretons à l'avantage de la Marche. Dès 847, il profite des embarras de Charles pour s'y installer ; mais des incursions normandes sur les côtes de la péninsule l'obligent à lâcher prise, d'autant plus que les trois frères royaux réunis à Meersen le rappellent à l'ordre. Un an plus tard, Charles rétablit à Nantes le comte Lambert, éloigné en 846 pour faire plaisir à Nominoë. Arrêté dans son expansion, le souverain breton se tourne vers les problèmes intérieurs ; il procède à l'épuration du clergé trop dévoué aux intérêts de Charles. Saint Conwoyon porte contre quatre évêques une accusation de simonie, grave accusation que l'on a voulu réfuter depuis ; quoi qu'il en soit, il semble bien que ces évêques offraient prise à la critique : ils reconnurent avoir reçu des « marques d'honneur » de prêtres ordonnés par eux... Les accusés protestèrent de leur innocence par l'intermédiaire de leurs collègues gallo-romains, Suzannus de Vannes et Félix de Quimper, tandis que Charles intriguait en leur faveur. De son côté saint Conwoyon se rendait à Rome pour appuyer le point de vue de son souverain auprès du pape saint Léon. Sans se prononcer sur les personnes, le pape condamna une fois de plus le crime de simonie ; c'était donner le champ libre à saint Conwoyon qu'il renvoya comblé de faveurs et de reliques pour son abbaye, marques évidentes de la bienveillance et de la confiance du Saint-Siège envers le moine breton et sa cause. Sans tenir compte de la demande de Charles que les accusés fussent jugés par une cour de douze évêques, — ce qui automatiquement donnait une majorité aux Francs, la Bretagne celtique n'ayant que quelques sièges —, l'abbé de Redon fait réunir un tribunal ecclésiastique au manoir ducal de Coëtleu, près de Saint-Congard, au printemps 48. Les accusés avouèrent leur forfait et furent déposés ; remplacés par des prêtres sûrs à tous points de vue, ils se réfugient auprès du roi franc. Une dernière mesure, plus délicate, restait à prendre pour assurer l'indépendance de l'Eglise bretonne : la séparer de la métropole de Tours qui ne ratifiait pas la déposition de Goëtleu. En 850, Nominoë envahit le Nantais, s'empare de Nantes et expulse l'évêque Actard, fidèle à Tours, et cherche peut-être dès lors à élever au rang de métropole, Dol, l'antique cité de saint Samson qui prend de plus en plus d'importance. Ainsi aux deux extrémités de la Bretagne, en lisière de l'impénétrable forêt centrale, sur les vieilles voies romaines toujours ouvertes aux invasions, se dressent désormais deux solides bastions du celtisme armoricain : Dol et Redon. 

La victoire de Redon commençait à porter ses fruits ; la Bretagne prenait figure de nation, organisée, — ironie du sort ! — sur le modèle carolingien, mais au profit du celtisme, déjouant donc le calcul et des activistes bretons et de centralisateurs francs. Nominoë travaillait ainsi à la fusion des éléments celtes et gallo-romains, tout en maintenant la suprématie des premiers. Dans ce sens il favorisait l'établissement de colons bretons dans la région de Nantes et de Rennes, préparant de cette manière l'annexion définitive de ces deux comtés. Il n'eut pas le temps de mener à bien l'organisation de ces territoires, conquis en 850 et aussitôt occupés. Le 7 mars 851, la mort le surprenait à Vendôme, au cours d'une campagne entreprise avec Lambert, rallié à sa cause, pour créer en faveur de celui-ci un état tampon : Maine-Anjou. Erispoë fut plus heureux que son père et put mener à bien l'incorporation de la Marche à la « Britannia ». Prenant sa revanche sur sa défaite de 43 à Messac, il gagna, grâce à sa cavalerie, la bataille des frontières à Segré, contre Charles le Chauve, revenu en hâte d'Aquitaine pour mettre à la raison les Bretons. La victoire du 22 août 851 couronnait celle du 22 novembre 845 et achevait l'oeuvre patiente de Nominoë. Par le traité d'Angers, Charles abandonnait au nouveau souverain, à qui était reconnu le titre de « roi », les comtés de Rennes et de Nantes avec le Pays de Retz au sud de la Loire, en échange d'un hommage que le roi breton devrait au roi franc. La Bretagne était constituée dans ses limites actuelles ; elle trouvait son équilibre physique, mais non encore son équilibre racial. Comme il arrive souvent dans les choses humaines, la Marche créée contre les Bretons avait servi leurs desseins d'unité, mais la conquête de la Marche introduisait dans cette unité un élément étranger. Cette dualité sera toujours la faiblesse de la Bretagne. 

Une période de prospérité s'ouvre maintenant pour la Bretagne qui a trouvé ses limites naturelles et son unité, non pas par la seule volonté acceptée d'un rassembleur de terres, ni par la seule politique patiente d'une dynastie , mais par l'élan d'un peuple qui a fait surgir de son sein durant des siècles des héros, heureux ou malheureux, qui ont maintenu l'aspiration de la race vers la liberté. Avec Nominoë la Bretagne a eu la chance, qui a manqué trop souvent aux peuples celtiques, de trouver un chef accepté, suivi, capable en même temps de la discipliner et de l'unir. C'est à l'absence de chef de ce genre qu'il faut attribuer l'effondrement précoce des Etats irlandais et gallois, qui se sont trouvés divisés en face de voisins puissants. Cette chance se maintint avec les deux premiers successeurs de Nominoë ; on put même espérer voir se fonder une dynastie bretonne autorisée par le prestige des grandes victoires et de l'oeuvre de son fondateur. Un crime, puis l'invasion normande vinrent compromettre cette espérance. Le règne d'Erispoè fut court en effet et s'effondra dans le sang : il mourut en 857, assassiné sous les coups d'une conspiration dirigée par Salomon, son cousin, qui lui succéda. Plus ardent encore que son prédécesseur et grâce à des alliances habiles avec les Normands, les seigneurs de Neustrie, ou les fils rebelles de Charles, Salomon réussit à étendre jusqu'aux limites du massif armoricain les frontières de l'Etat Breton (traités d'Entramnes, en 863, et de Compiègne, 1er août 867), décevant ainsi l'espoir qu'avait eu le roi, semble-t-il, en l'opposant à son cousin. Salomon sut ensuite se réconcilier avec Charles le Chauve, préparant des rapports de bon voisinage et même d'amitié entre les deux peuples, faits pour s'entendre un jour. Lui non plus ne devait pas jouir de son oeuvre : son autoritarisme le fit assassiner au Merzer, sur les bords du Scorff, en 874, par une main vengeresse. 

Ce règne de quinze ans fut un grand règne, une ère de richesse, de gloire et de civilisation, où le génie breton put s'affirmer. Salomon s'intitule : « Gratia Dei totius Britanniae magnaeque partis Galliarum princeps » ; on le voit adresser au pape Adrien des cadeaux royaux, une statue en or de sa taille enrichie de pierreries, avec d'autres objets d'art : une mule splendidement harnachée, trente tuniques, trente pièces de drap, trente peaux de cerf, soixante chaussures de luxe et trois cents sous d'or ! Tous ces présents étaient confiés à Jérémie, évêque de Vannes, chef d'une mission dont le but était d'entériner à Rome la déposition des évêques simoniaques opérée par Nominoë. Cependant les monastères de Redon et de Landevennec, ainsi que l'église de Dol, deviennent de véritables centres de culture : on écrit, ou réécrit, des vies de saints, fêtés sur les deux rivages de la Manche ou propres à la Petite-Bretagne. Sous la forme latine l'esprit de Brocéliande, l'esprit celto-armoricain, anime ces vieux récits aux merveilleuses légendes : vie de saint Samson déjà écrite deux siècles plus tôt et rédigée à nouveau au IXème ; vie de saint Malo par Bili de Landévennec, composée vers 880, vie de Paul Aurélien par Wrmonoc en 884, vie de saint Hervé de la même époque mais remaniée au XIIIème siècle, enfin la Geste des Saints de Redon écrite dans le monastère ou repose le corps du vainqueur de Ballon. D'assez nombreuses réminiscences classiques illustrent ces vies et témoignent d'une certaine connaissance de l'antiquité : réminiscences de Virgile, de Fortunat, d'Ovide, d'Horace, de Stace, de Lucain, connus dans ces monastères au moins par des anthologies. En dépit de ces souvenirs classiques, ces vies restent bretonnes, non seulement par l'emploi de quelques celtismes, mais surtout par le goût du merveilleux, le sens de la nature, la prédilection pour le lyrisme biblique fort à la mode dans les monastères de Grande-Bretagne, et par un certain humour qui n'a pas peur du cocasse, même dans les choses saintes. 

Entre les deux Bretagnes les relations étaient suivies certes : l'Irlande est d'autre part le foyer où s'allume l'ardente clarté que répandent les grands monastères ou les grandes églises celtiques. Les moines irlandais ou « scots » ont parcouru l'Occident et y ont fondé de nombreux centres d'évangélisation et de vie spirituelle. Le récit du voyage de saint Brandan témoigne de cette activité et du génie celtique avec toute cette ambiance typique de navigations, de miracles, de naturisme où se complaît l'imagination des Celtes. La vie bretonne de saint Malo n'est  pas sans évoquer pareille atmosphère. Est-ce à dire que la culture se soit limitée à ces maigres productions de caractère édifiant ? Il n'est pas téméraire de penser, avec des savants autorisés, que l'inspiration celtique ne s'est, pas épuisée à ces seules réalisations et qu'à côté d'une littérature pieuse, précieusement conservée dans les monastères, s'est développée une littérature profane, analogue à celle de l'Irlande, faite de récits épiques ou lyriques et qui aurait disparu dans la tempête des invasions nordiques. Cette hypothèse explique mieux que toute autre la vogue et la vitalité de cette « matière de Bretagne », colportée aux siècles suivants par des chanteurs armoricains dont parle Marie de France. De plus elle correspond au goût invétéré des Bretons pour ces chants populaires dont Hersart de la Villemarqué se fera au XIXème siècle l'éditeur génial. 

On ne se contentait pas d'écrire, on construisait : à la faveur de la paix, les églises et les abbayes se multiplient, signe indubitable d'une renaissance du pays. Si, à la rigueur, les écrivains peuvent encore produire en des époques de trouble et de décadence, construire suppose non seulement la paix mais l'ordre, la richesse et aussi un certain sens du beau qui ne se développe qu'avec la civilisation. On commence à élever des édifices en pierre ; jusque-là, faute de chaux et d'outils assez bien trempés pour tailler le dur granit armoricain, les Bretons avaient gardé la coutume insulaire de construire en bois leurs églises et leurs demeures, comme en Scandinavie. Maintenant, grâce à la paix, on peut se procurer chaux et fer ; les nouvelles constructions seront donc de pierre, sauf la charpente qui reste de bois dans ce pays riche en forêts, ainsi que les voûtes que le style romano-byzantin, alors à la mode, rend difficilement exécutables en pierre, par suite de la largeur qu'il leur donne. En effet, malgré « la farouche indépendance » qu'il conservait, le clergé breton, grand bâtisseur dès cette époque, subissait d'heureuses influences extérieures : influences galloises, visibles dans la construction des monastères armoricains bâtis sur le modèle des abbayes d'outre-mer, et influences orientales, comme à Nantes dès le VIème siècle ou comme à Landevennec, dues à des moines égyptiens ou arméniens fuyant devant l'Islam victorieux et réfugiés en Grande-Bretagne. Avec la paix ces influences peuvent s'exercer plus librement, l'architecture religieuse prend son essor : l'église de Guérande est reconstruite et mérite le qualificatif de « magnifica basilica » maintenant que Salomon vient de l'élever au rang de collégiale ; Saint-Philibert de Grandlieu s'enrichit d'une crypte et d'un choeur quelques années plus tôt. Landevennec est rebâti à la fin du règne de Salomon et l'on restaure Saint-Sauveur de Redon qui garde le tombeau de Nominoë : à l'église modeste de Saint-Conwoyon succède un vaste édifice, nef de vingt et un mètres et transept de trente-quatre. Moins grande l'église de Maxent, où reposent saint Conwoyon et Guenwrith, épouse de Salomon, est dite « mirabile facta » avec son narthex et son choeur entouré d'un déambulatoire. Partout on se met à élever ou à relever de petits monastères qui font pénétrer au fond des campagnes la foi et la civilisation, fruits de la victoire et de la paix : voici Gaël, Saint-Gudual, Wrhasoni, Saint-Congard, Quimperlé, Saint-Gildas de Rhuys, Locmajean, Gouesnou, Frossay... 

Il est malaisé de juger à sa vraie valeur une renaissance dont les meilleures oeuvres ont disparu dans la tempête normande. De ces monuments il ne reste que des ruines, comme de la littérature il ne reste que de rares vies pieuses. Pourtant ces quelques témoignages suffisent pour nous garantir la réalité de la renaissance salomonienne et pour nous donner une idée de ses tendances et du génie breton. Qu'il s'agisse d'architecture ou d'hagiographie, apparaissent les mêmes traits révélateurs de l'âme celto-armoricaine : le goût d'oeuvres de moyenne importance, mesurées, pourrait-on dire, à la taille de l'homme ; la recherche de la fantaisie d'où une certaine prédilection pour le romano-byzantin et pour « les motifs vermiculés et les enroulements concentriques » que l'on retrouve dans l'église de Rhuys au siècle suivant, et où « la tradition celtique. se reconnaît » (Waquet). Le roman se prêtait mal à ces jeux de même que le latin à l'imagination de ce peuple ; il faudra le gothique à cette race éminemment douée pour l'architecture ; il lui faudra le breton ou le français pour exprimer toute sa poésie. Alors elle pourra donner sa mesure dans une multitude de petits chefs-d'œuvre, — chapelles, calvaires, fontaines, chansons tristes, chansons d'amour, chants héroïques —, riches des mêmes rêves, comparables pour la perfection et la profonde humanité. Dès ce IXème siècle, la Bretagne donne pourtant ce qu'elle donnera toujours : non pas de grands penseurs, ni de profonds politiques, ni d'habiles commerçants, mais des guerriers, des artistes, des poètes et des saints. 

Le règne de Salomon qui avait permis cet essor allait faire place à une terrible anarchie : une fois de plus la Bretagne va risquer sa vie pour n'avoir pas eu, au moment du danger, de chef capable de grouper autour de lui toutes les énergies du pays, vieux défaut mortel des Celtes. Salomon assassiné, Pasqueten et Gourvant, gendres, l'un de Salomon, l'autre d'Erispoë, se disputent le trône pendant que les Normands ravagent le pays ! Lamentable histoire qui se répétera cinq siècles plus tard durant la guerre de succession qui mettra aux prises Jean de Montfort et Charles de Blois et encore quand les Bretons, au lieu de s'unir pour défendre les droits et substantiels privilèges de la province, s'acharneront les uns contre les autres, divisés entre Chouans et Bleus selon une ligne de résistance où se heurtent souvent les deux éléments, celtique et armoricain. Maintenant c'est l'anarchie et la décadence : la Bretagne est coupée de la Celtie ; les monastères se vident devant les Normands, les moines fuient vers l'intérieur de la France et les grands se réfugient en Grande-Bretagne, l'oeuvre de Nominoë s'écroule.


Bretagne : bataille et victoire de Ballon

PAR LA HARPE ET PAR L'EPEE

L'oeuvre de Nominoë ne devait pas périr. La Bretagne est amoindrie, blessée peut-être, elle n'est pas morte. Elle va renaître grâce à un chef remarquable qui va l'arracher à son anarchie et à ses ennemis : Alain, fils d'Alain le Grand, l'ennemi mortel des Normands écrasés par lui un instant à Questembert en 890. Rappelé par son peuple, sur l'initiative de l'abbé de Landevennec, digne émule de Conwoyon, revenu lui-même depuis peu dans son monastère en ruines, Alain, qui s'était réfugié en Angleterre, débarque en Bretagne en 936. Trois ans plus tard, le pays était entièrement libéré, Nantes délivrée et les Normands définitivement chassés par la victoire de Trans près de Dol, le 1er août 939. Par une curieuse coïncidence cette date, dont l'anniversaire devint la fête nationale du peuple breton, devait, un millénaire plus tard, marquer dans la même région le début de la libération de la Bretagne occupée par les troupes allemandes ! La Bretagne renaissait, mais pillée, ravagée, déceltisée sur un large territoire où l'on a cessé de parler la langue bretonne ; enfin elle n'aura plus de roi, mais seulement un duc. 

C'est ici que l'on peut apprécier vraiment l'oeuvre de Nominoë : il fallait qu'elle fût solide, pour avoir résisté à la marée normande qui durant un demi-siècle a balayé le pays ! Il fallait aussi que l'union de la Marche au reste de la Bretagne fût dans la nature, pour que cette Marche, à peine conquise au prix de luttes sévères et pénibles pour elle, se soit donnée sans réserve au nouvel Etat breton, en dépit de l'attraction des provinces voisines ! Que l'on compare au contraire le sort de la Bretagne avec cette Galice qui, faute d'avoir su se créer à temps un Etat fort, se fond précisément à cette époque dans l'Ibérie, ne gardant de son passé et de sa race celtiques que son nom et la vague nostalgie de son âme blessée. Nominoë, puis ses deux successeurs, avaient créé des traditions solides que le duc libérateur n'eut pas de peine à retrouver et à restaurer. Grâce à la monarchie ducale, héritée de Nominoë, le peuple breton put contrebalancer ses désastreuses tendances à l'anarchie où l'inclinait tout le poids de la race. Faute de s'être élevée à cette conception romaine de l'autorité, l'Irlande va se trouver incapable de résister aux entreprises anglo-normandes ; de même le Pays de Galles, qui ne sut pas constituer non plus un pouvoir fort malgré la tentative d'Hywell le Bon. Par contre, le peuple écossais sut faire son unité autour d'une monarchie puissante en vertu du même principe romain qui marque sa législation ; lui dont l'histoire ressemble tellement à la nôtre : même celtisatian tardive, même lutte pour une Marche, — Lowlands —, même union à un puissant voisin par fusion dynastique. 

Grâce à ses ducs, la Bretagne conservera durant six siècles une semi­indépendance entre l'Angleterre et la France, subissant tantôt l'influence de l'une, tantôt l'influence de l'autre, et traversant tantôt des périodes sombres, tantôt des périodes éclatantes, au gré des événements extérieurs et selon la valeur des souverains, qui furent presque tous à la hauteur de leur tâche. Dans cette histoire il est toutefois une constante : c'est que, pour le duché, les époques de grandeur sont celles où, maître de la mer, il reste en relations avec le monde celtique d'une part et où, d'autre part, le duc sait dominer les rivalités toujours prêtes à renaître entre ses sujets. A ce prix la Bretagne connaîtra deux grands siècles : le XIIème et le XVème siècles. 

Le XIIème voit le triomphe de la « Matière de Bretagne » en même temps qu'un épanouissement de la vie sociale. De son côté l'Irlande est en pleine renaissance littéraire, — Livre de Leinster — ; les échanges se multiplient entre les deux Bretagnes à la suite de la conquête normande et à la faveur de l'avènement sur le trône ducal des Plantagenets que l'Armorique eut vite fait d'assimiler, comme elle le fera plus tard pour les ducs capétiens. L'un de ces Capétiens, Geoffroi, prépara cette renaissance du XIIème siècle par des réformes sociales qui améliorèrent la condition du peuple breton. Geoffroi mit un terme au pullulement des petites seigneuries par des prescriptions qui facilitèrent la formation de familles puissantes, capables de s'intéresser aux arts. Il améliora aussi l'état des classes populaires, grâce à la précoce abolition du servage (XIème siècle) et au régime de la tenure congéable. Cet usage, sans doute d'origine celtique, limité en tous cas à la région bretonnante, favorisait la paysannerie en distinguant entre le « foncier », maître de la terre, et le « domanier », maître des édifices et des champs, si bien qu'en cas de congédiement par le foncier le domanier avait droit à une indemnité. En même temps l'administration ducale s'organisait par la création de nouvelles divisions administratives mieux adaptées, les huit bailliages. De son côté, l'Eglise intensifie son oeuvre civilisatrice : les abbayes se multiplient avec les ordres nouveaux : Cisterciens et Prémontrés à Bégard, à Boquen (aujourd'hui restauré dans la primitive observance de saint Benoît). Les abus et les désordres, inhérents à la féodalité ou à la condition humaine, s'atténuent sous l'influence de cette floraison monastique, cependant que Dol s'efforce de légitimer son titre de métropole, malgré l'opposition de Tours. La renaissance des lettres suit celle de la société : Abélard, Etienne de Fougères, Robert d'Arbrissel, Maître Bernard, Guillaume le Breton et Bernard de Möellan illustrent la Bretagne, mais il serait bien aventureux de rechercher dans leurs ouvrages des traces évidentes d'esprit celtique, sinon une tendance commune à l'idéalisme. Par contre, c'est bien l'esprit celtique qui anime la « matière de Bretagne ». Marie de France compose vers 1155 les célèbres lais (« laid » en irlandais) qui l'ont rendue illustre Dans ces contes-romances s'exprime quelque chose de neuf : un amour tendre, simple, naturel, brutal aussi parfois, bien différent de la « cortésia » occitane, beaucoup plus cérébrale. Chose frappante, la plupart de ces lais mettent en scène des Bretons d'Armorique, et même portent parfois un titre en breton. A ce sentiment nouveau et à ce genre se rattache le roman de Tristan et d'Yseult qui réunit comme une série d'épisodes ou de lais sur le triple thème de l'amour, de la mort et de la nature, enlacés en des aventures merveilleuses riches d'héroïsme et d'humour. Ces thèmes, qu'il faut reconnaître comme celtiques, se répandent bientôt à travers tout l'Occident, grâce au talent d'un Gottfried de Strasbourg et d'un Chrestien de Troyes. Même sens du merveilleux, même fantaisie épique, dans la « Geste » de Wace, clerc de Bayeux qui traduit, renouvelle et amplifie la récente « Histoire de Bretagne » de Geoffroy de Monmouth. Dans tous ces ouvrages, il n'est qu'une Celtie où se fondent Grande et Petite-Bretagne, une Celtie de rêve où, dans le vent de la Mer et le bruissement de la Forêt passent les ombres d'Arthur, de Perceval, d'Iseult liés aux sites de Caerléon, d'Avalon, de Broceliande. 

La mort d'Arthur, assassiné en 1203, à peine âgé de quatorze ans, par son oncle Jean sans Terre, brisa les folles espérances que ce nom prestigieux avait fait naître chez ces Bretons toujours envoûtés par le souvenir du héros gallois. Le mariage de la duchesse Alix avec un Capétien, Pierre de Dreux, détourna le duché du monde anglo-celtique. Parallèlement le Pays de Galles perd son indépendance en 1282, tandis que les barons anglo-normands partent à la conquête de l'Irlande. Les relations sont de nouveau rompues entre la Bretagne et les Iles et cela au moment où ces échanges déterminaient un épanouissement culturel au Pays de Galles. De cet épanouissement il reste un précieux témoignage, les « Mabinogion », où se retrouvent les influences irlandaises et des influences armoricaines, celles-ci dues sans doute au séjour que le prince lettré Rhys ab Tewdur fit en Bretagne. Désormais l'esprit légiste et l'influence française dominent en Armorique. La première guerre de Cent Ans avec ses ravages multipliés par la guerre de Succession entre Montfort et Blois, mit fin à toute cette civilisation bretonne, pour ne laisser que des ruines. Enfin le triomphe de Montfort, candidat de l'Angleterre, avec la victoire de Jean IV le Conquéreur et l'avènement de Jean V le Sage, rendit au duché la paix et la grandeur. Les deux ducs avaient vécu en Grande-Bretagne où ils avaient trouvé un refuge, comme jadis Alain devant les Normands. Arrivés au pouvoir, ils reprirent les relations interrompues avec ce pays, par une habile politique d'équilibre entre la France et l'Angleterre qui épargna aux Bretons les horreurs de la seconde guerre de Cent Ans. Relations commerciales, mais aussi relations politiques avec l'expédition bretonne qui vint au secours des Gallois révoltés contre les Anglais. Cependant les écrivains bretons ne purent renouveler dans ce contact leur inspiration celtique, minée qu'elle était sans doute par le rationalisme naissant et la scolastique décadente ; mais surtout la source britannique était momentanément tarie par suite de l'oppression par l'Angleterre de l'Irlande et du Pays de Galles. 

Stérile dans le domaine des lettres, le génie breton s'affirme du moins dans l'architecture. Il trouve dans le gothique des conditions idéales pour exprimer ses rêves. Il est remarquable que l'art breton accuse sa personnalité surtout dans la Basse-Bretagne, plus celtisée que le Pays Gallo. Cette personnalité domine toutes les influences étrangères —  normande, angevine, poitevine, voire italienne et flamande au XVIème siècle — au point de créer un véritable art breton, caractérisé par la recherche de la ligne, par la fantaisie ; art fruste et pourtant raffiné, ami des édifices moyens, mais surtout accordé aux exigences et à l'harmonie des paysages. Par sa dureté le granit impose des lois rigoureuses, mais il permet aussi des sculptures compliquées, véritable dentelle de pierre qui rappelle la complexité des miniatures irlandaises. C'est l'âge d'or de l'architecture bretonne qui voit surgir, à côté d'innombrables chapelles et seigneuries, les châteaux de Josselin et de Nantes, les cathédrales de Quimper, de Saint-Malo, la collégiale de Guérande, le Kreisker, le Folgoët, le Faouët, Kernascléden..., signe indubitable de la prospérité du pays, « duché sans pair, Bretagne plantureuse », célébré par le poète Meschinot. 

Les institutions se modernisent par ailleurs. A l'exemple anglais, le Duc n'a pas un pouvoir arbitraire : il est contrôlé par le Chancelier, secondé par le Trésorier général pour les finances, par le Président de Bretagne pour la justice, et enfin éclairé par les Etats sur les aspirations et les besoins du pays. Les Etats sont issus du Parlement général (1352) et ils sont convoqués maintenant tous les ans ; entre temps, le Duc est aidé par son « Grand et Privé Conseil », qui rassemble des notables, Bretons ou même étrangers. Ainsi s'instaure un régime libéral où prime, non pas le bon plaisir du souverain, mais, selon la formule de Jean V, « le bien présent et à venir du peuple ». Bien matériel avec le développement du commerce et de l'industrie, — chevaux, toiles, draps, pêche lointaine, transit des vins de Bordeaux, du sel de Bretagne avec l'Angleterre, l'Espagne, la Hollande … —, mais aussi bien intellectuel avec le développement des écoles et la création par François II d'une université à Nantes, bretonne d'esprit, avec la diffusion, dès 1474, de l'imprimerie qui édite en 1499 le premier ouvrage en breton, un dictionnaire, le « Catholicon », déjà manuscrit depuis 1464. Bien spirituel enfin, avec l'immense retraite que saint Vincent Ferrier prêche à travers la Bretagne à la demande de Jean V, renouvelant l'esprit de saint Yves, — le grand saint national dont la sagesse surnaturelle anime la « Très Ancienne Coutume » —, cependant que l'antique pèlerinage du « Tro-Breiz » prend une nouvelle vogue et rappelle aux fidèles les vieux saints venus d'outre-mer pour fonder la nationalité bretonne. 

Le monde évoluait ; sous la pression des faits économiques les petites nations devaient perdre leur indépendance au profit des puissantes monarchies. La Bretagne subit, bien plus qu'elle ne la voulût, la fatale échéance, conservant du moins une indispensable autonomie administrative, judiciaire et militaire, grâce à la clairvoyance et au courage de la duchesse Anne. La magnifique renaissance amorcée au siècle précédent continue encore quelque temps : calvaires et ossuaires sont autant de témoins de la vitalité et du mysticisme de la race, tandis que les meubles rustiques maintiennent de très anciens motifs celtiques et que le théâtre des mystères alimente le besoin invétéré des Celtes pour le drame et le rêve, sauvegardant aussi dans une pauvre mesure la langue et le génie bretons. Pourtant la Bretagne s'assoupit peu à peu : les luttes franco-anglaises et la Réforme séparent les Bretons de leurs frères de race ; le rationalisme cartésien porte un coup mortel à l'esprit celtique et les grandes familles ruinées par la défaite de 1488 ne sont plus à même de diriger le peuple, quand elles ne s'en détournent pas, envoûtées par le prestige de Versailles. Seule, avec le goût de l'histoire, la vie politique garde une certaine activité, grâce à la fidélité, souvent étroite, des Etats qui défendent les droits de la Bretagne contre l'absolutisme royal. La Révolution brisa cette ultime résistance : la Bretagne fut divisée en cinq départements, — résurrection des anciennes tribus armoricaines —, malgré les dispositions des cahiers de doléances qui demandaient le maintien des franchises bretonnes, et malgré la protestation du comte de Botherel, procureur des Etats. Les députés bretons qui votèrent la suppression des droits de la province, le firent avec cette réserve que les Etats devraient ratifier leur décision, pour qu'elle eût force de loi, selon la constitution, mais c'est le grand fracas de la Révolution où les Bretons, Blancs ou Bleus, se jettent à corps perdu... 

Morte politiquement, la Bretagne va renaître spirituellement, grâce au Romantisme et à la reprise de contact avec les Iles Britanniques. Plus d'un Breton émigré en Angleterre y retrouva l'inspiration celtique en pleine vogue, alors avec les fameux poèmes d'Ossian. Chateaubriand traduit des poésies erses de Smith, pendant que Le Gonidec apprend le gallois et se prépare à son rôle de grammairien rénovateur de la langue. Le congrès de Cardiff en 1838 réunit pour la première fois depuis des siècles les Celtes séparés à qui Lamartine adresse ses vers enflammés. L'année suivante paraît le célèbre « Barzaz Breiz », puis c'est l'histoire de Bretagne par Pitre-Chevalier et l'épopée de Brizeux : « Les Bretons ». Le grand souffle libéral de 1848 vient activer cette flamme patriotique ; après Brizieux et Lamennais, voici Renan, Tristan Corbière, Villiers de l'Isle Adam, mais surtout, plus proches de nous, Le Goffic, Calloc'h, Tanguy Malmanche, tous fidèles, en breton ou en français, au génie celtique dont l'ardeur a inspiré les vrais artistes que sont Méheut, Duhamel ou Langlais. En même temps des associations se sont fondées pour défendre la Bretagne menacée par la centralisation parisienne : « Ligue des Frères Bretons » avec La Rouërie sous la Révolution, « Association Bretonne » en 1843, « Union Régionaliste » en 1898 et « Gorsedd Bardique », où militent des poètes, des économistes, des artistes, des hommes politiques décidés à sauver le corps et l'âme de leur province. Ils ont leurs revues, leurs journaux, leurs congrès et, à la faveur de l'Entente Cordiale, se retrouvent en des réunions « panceltiques » avec leurs frères séparés pour affirmer leur communauté ancestrale et leurs aspirations vers une renaissance de leur droit.  

(IVON IVIN)

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