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Joseph LE TURNIER, prêtre mis à mort en 1796 par les colonnes mobiles
dans le territoire du diocèse de Vannes.

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402. — Bien que l’enregistrement des lettres de tonsure de M. Le Turnier l’indique fils de Jean et de Claudine Guillouzo, de Baud, c’est vainement que l’on a recherché son acte de baptême, tant à Baud que dans les paroisses avoisinantes. Ses parents s’épousèrent à Baud le 5 février 1760. Devant l’inutilité de ces fouilles multipliées, on a dû renoncer à les continuer. Par contre, on possède la série complète des ordinations de ce serviteur de Dieu. Tonsuré le 24 mars 1787, minoré le 28 mars 1789, il reçut le sous-diaconat le même jour, à Vannes, titulo patrimonii. L’orage révolutionnaire grondant un peu partout, on se hâta de lui conférer le diaconat le 19 septembre 1789 et la prêtrise le 20 mars 1790.

403. — Aussitôt reçu le sacerdoce, M. Le Turnier fut envoyé à Pluméliau pour desservir la chapelle Saint-Hilaire-des-Eaux. Le décès prématuré de M. Le Mercier, son recteur, valut à Pluméliau de voir un curé intrus venir s’installer dans son église dès le milieu d’avril 1791. La population l’accueillit fort mal. L’assermenté accusa naturellement les prêtres insermentés de Pluméliau de lui causer ces embarras sans cesse renaissants, si bien que, dès le 12 septembre 1791, les autorités du district de Pontivy ordonnèrent « de faire sortir M. Le Turnier ».

Les mesures ne furent pas pour bien longtemps mises à exécution. L'amnistie venait d’être proclamée le 21 septembre 1791 et les proscrits rentrèrent dans leurs foyers. Bientôt la lutte recommença, le clergé ne cessait de combattre le curé constitutionnel et de déclarer que les sacrements administrés par lui étaient nuls ou illicites. C’est alors que le maire de Pluméliau entra en scène à son tour. Il assembla son conseil le 27 mai 1792 et fit une charge à fond contre les réfractaires :

« Depuis longtemps, s’écrie-t-il, il règne dans cette paroisse une discordance entre tous les citoyens qui la composent, occasionnée par le fanatisme que ne cessent de propager les prêtres réfractaires à la constitution, en profitant de la faiblesse et de l’ignorance de nos concitoyens : ils leur suggèrent des idées atroces contre les devoirs les plus sacrés de la religion ; d’un côté, c’est une femme qui ne veut plus vivre avec son mari ; d’un autre, c’est un enfant qui refuse les derniers devoirs à son père ; ici, c’est une mère qui ne veut plus faire baptiser son enfant par un curé constitutionnel » (Arch. Morbihan, L 235).

A la suite de cette peinture, le corps municipal rédigea une délibération dans le but de solliciter du district l’éloignement de MM. Le Turnier, Talmon, Morvan, Busson et Le Clainche, clerc tonsuré, « éloignement d’autant plus urgent que le mal est à son comble et qu’il y a lieu de craindre que les deux partis formés dans la paroisse n’en viennent aux mains », expliquent ces excellents jacobins {Arch. Morbihan, L 246).

La délibération prise, on ne se pressa pas de l’envoyer à Pontivy. Mais Robo, le curé intrus, veillait. Le 10 juin. dimanche du sacre, il somma du haut de la chaire le maire, les municipaux et 22 trésoriers de chapelles de se rendre le mardi suivant au district et de confirmer de vive voix les accusations qu’ils avaient portées par écrit. Dix-sept citoyens, le maire en tête bien entendu, obéirent à ses injonctions et partirent pour Pontivy. Mais le Directoire ne trouva pas que la peine qu’ils réclamaient fût égale aux forfaits qu’ils dénonçaient : estimant que l’exil seul était capable de les expier, il écrivit le même jour à Vannes, demandant que les prêtres ci-dessus désignés, y compris le séminariste Le Clainche, « vivant ordinairement avec eux lorsqu’il ne vagabonde pas dans les villages », fussent condamnés à se retirer dans les 24 heures hors du district, dans trois jours hors du département et dans le mois hors du royaume. Un peu moins féroce, le Directoire départemental décida seulement qu’ils seraient saisis et conduits à la citadelle de Port-Louis, jusqu’à la promulgation de la loi relative à la déportation. Les prêtres furent avertis à temps et disparurent. (Arch. Morbihan, L 240).

404. — Cette disparition jeta le peuple dans l’angoisse. Comment pourrait-il remplir ses devoirs religieux ? Le 25 juin, quarante des principaux habitants, au nom de la majeure partie de leurs concitoyens, protestèrent vigoureusement contre la situation qui leur était faite :

« Nous avons une religion, et cette religion qui nous est chère, nous ne pouvons l’exercer sans ministres ; il nous en faut pendant la vie, il nous en faut à l’article de la mort... Nous demandons donc qu’il nous soit permis de les rappeler près de nous ». Mais toutes ces résistances aux oppresseurs demeurèrent inutiles. Les prêtres insermentés de Pluméliau durent cesser toutes fonctions publiques.

Cependant M. Le Turnier et M. Talmon, son confrère, surent se dérober à toutes les recherches, et les mesures persécutrices les plus cruelles purent être successivement prises, sans que ni l’un ni l'autre se préoccupassent d’autre chose que déviter leur application. Ils s’étaient donné complètement au service religieux de la vaste paroisse de Pluméliau. Leurs ouailles les protégeaient de leur mieux. Eux-mêmes, chaque jour, risquaient leur vie pour administrer à celles-ci les sacrements à cette époque si difficile.

405. — Ainsi se passaient les années 1793 et 1794. Puis vint l’essai de pacification d’avril-août 1795. En septembre, la persécution contre les prêtres reprit dans toute sa violence. Le 21 novembre 1795, on désignait MM. Le Turnier et Talmon parmi les prêtres « à arrêter ». Naturellement, dans cette pièce, on les qualifie de « fanatiques, de monstres souillés de sang, prêchant l’assassinat des jacobins ». C’était, du reste, l’usage à cette époque. Les persécuteurs sans vergogne invertissaient les rôles. La fable du Loup et de l’Agneau est de tous les âges.

Obligé donc de se cacher à nouveau, le chapelain de Saint-Nicolas échappa maintes fois aux soldats de la Révolution, tout en se tenant surtout sur le territoire de sa frairie, où le pieux trésorier de la chapelle, Joseph Le Strat, aimait à lui fournir un asile. Cependant quand le danger était trop grand, M. Le Turnier quittait cette maison hospitalière et allait s’enfouir dans une carrière abandonnée, entre Saint-Hilaire et Saint-Barthélémy.

406. — On le dénonça une fois de plus en 1796 et des troupes furent envoyées à sa recherche. C’était le 31 mai. M. Le Turnier, contraint de quitter sa cachette, se jeta dans un champ de seigle, puis essaya de passer dans une prairie voisine, mais il fut cerné et arrêté. Les soldats le ligotent, le conduisent à Saint-Hilaire, l’attachent à la margelle du puits et, quand ils ont fini de boire, l’entraînent dans la direction de Saint-Nicolas, soit-disant pour l’emmener à Pontivy. Mais arrivés à la croix de Boternau, ils s’arrêtent, et là, sur le bord d’un fossé, transpercèrent leur prisonnier avec leurs baïonnettes, puis l’achevèrent de deux coups de sabre en forme de croix sur le sommet de la tête. Il était dix heures du matin. Aussitôt la nouvelle du crime se répandit dans les campagnes environnantes ; les fidèles de tous les côtés accoururent, déposèrent le corps sur le socle de la croix et pendant toute la journée le gardèrent en priant. A la tombée de la nuit, ils le transportèrent jusqu’à la chapelles de Saint-Hilaire et l’inhumèrent « sous la corde de la cloche », suivant le conseil de M. Talmon, son confrère, afin que plus tard on pût facilement le retrouver. M. Le Turnier avait 32 ans lors de son trépas.

407. — A ce récit traditionnel de l’assassinat du serviteur de Dieu, dégagé de tous les accessoires qu’au cours de 130 années d’innombrables conteurs se sont plu à l’orner au cours des longues soirées d’hiver, voici ce qu’ajoute sur son meurtre un document officiel, le seul du reste que l’on a réussi à trouver : « Je vous mandais le 15 prairial an IV (3 juin), écrivait le 17 le commissaire du Directoire près la municipalité de Pontivy, que Le Galvé, prêtre, avait été tué. Je me trompais de nom : c’est Le Turnier, (prêtre) habitué de la frairie de St Hilaire de Pluméliau. Il fut pris dans un champ de seigle, conduit jusqu’à la croix de Boternau et passé au fil de la bayonnette. Dans la nuit, les paysans le portèrent à St Nicolas des Eaux et l’inhumèrent dans le cimetière. C’est la garnison de Baud qui a fait cette capture vers le 11 de ce mois » (Arch. du Morbihan, L 286).

L’acte de décès du serviteur de Dieu fut rédigé le jour même de son trépas, à la mairie de Pluméliau. On le dit « décédé à 10 heures de ce jour dans la Lande de Saint-Hilaire ». On y mentionne aussi la raison principale de sa mort en l’y qualifiant de prêtre « non sermenté ». L’un des témoins de l'Etat-Civil, Mathurin Lamour, résidait près la croix de Boternau ; l’autre, Michel Le Coroni, au village de Saint-Nicolas.

408. — Il n’existe pas de serviteur de Dieu pour lequel la tradition du martyre soit plus solidement établie qu’à Pluméliau pour M. Le Turnier. « Tout le monde, dans cette localité, a conservé cette impression profonde, transmise d’âge en âge, que M. Le Turnier était un saint. Il a fait, dit-on, rude pénitence, il a beaucoup souffert, il a vécu bien des jours sans rien manger, ne vivant que pour Dieu et les âmes. — Jamais, disait-il aux fidèles, je ne vous abandonnerai. S'il faut mourir pour Dieu et pour vous, je suis prêt à sacrifier ma vie ».

Il y a 30 ou 40 ans, affirment les anciens, c’est de lui surtout qu’on s’entretenait le soir à la veillée, principalement dans la frairie de Saint-Hilaire, où il a travaillé et souffert et où il est mort. Nombreuses sont encore, dans ce quartier, les familles qui racontent, d'après une tradition plus que centenaire, les détails de sa vie cachée et de son trépas. Un peut citer les Le Strat de Guervaud, les Le Trouher de Kerguen, les Le Goff et les Moullec de Saint-Nicolas, les Le Bras. On a conservé longtemps une chemise du martyr chez Joseph Le Strat, à Guervaud.

Toutes ces personnes et bien d’autres témoignent au serviteur de Dieu un véritable culte privé. Nombreux sont ceux qui assurent avoir reçu de grandes faveurs par son intercession. Souvent, le dimanche, le clergé reçoit des offrandes en actions de grâces. Le récit de plusieurs guérisons, que l’on croit avoir été obtenues en priant M. Le Turnier, est annexé aux documents officiels de son dossier.

Un fait assez frappant a été signalé par Jeanne Morice, supérieure des Tertiaires. Elle était encore jeune et avait pour amie intime une demoiselle Le Goff, de son âge. Celle-ci souffrait beaucoup des yeux et devint presque aveugle. Elle consulte plusieurs médecins à Pontivy, à Vannes, à Lorient... sans succès. Elle était découragée. Cependant, quelque temps après ces consultations infructueuses, elle aborde son amie en lui disant : « Je vois très bien et je ne souffre plus des yeux ». — « Comment cela ? »« J’ai fait un pèlerinage sur la tombe de Monsieur Turnier, je l’ai prié et il m’a guérie ».

409. — Le clergé lui-même, dans la mesure où le lui permettaient les saints canons, s’est efforcé de rendre au serviteur de Dieu quelques honneurs qui lui semblaient légitimement dus. En 1845, il procéda avec l’autorisation de l’Ordinaire à l’exhumation de ses restes. On constata que le crâne portait bien la trace des deux coups de sabre en croix, tel que l’indiquait la tradition. On transporta les précieux restes dans le chœur de la chapelle où ils reposent encore actuellement. Plus tard, le 31 mai 1896, on célébra solennellement le centenaire de sa mise à mort. Pour ne pas devancer le jugement de l’Eglise, on décida de chanter un service funèbre ; puis on fit, en présence de la famille de M. Turnier, une éloquente homélie sur les vertus dont les prêtres qui avaient vécu à cette terrible époque avaient dû faire montre, ainsi que sur la reconnaissance que leur dévouement à la cause catholique méritait à leur mémoire. Une foule considérable, attentive et émue, assistait à cette belle cérémonie.

Après ce qu’on vient d’écrire, il paraît superflu d’ajouter quelle joie pour Pluméliau, si la S. C. des Rites permettait de transformer en culte officiel la vénération pieuse que cette paroisse tout entière porte à la mémoire du serviteur de Dieu, et si le Souverain Pontife déclarait que celui que l’on recherchait comme prêtre réfractaire, que l’on a arrêté et assassiné parce que tel, qui se déclarait « prêt à sacrifier sa vie pour Dieu et les âmes », a bien mérité par son cruel supplice l’épithète de martyr et le titre de bienheureux.

BIBLIOGRAPHIE. — Abbé Guilloux, Semaine Religieuse de Vannes, 18 juin 1896. — Le Strat, Béléan Pluniau epad er Revolusion. — R. P. Le Falher, Les Prêtres du Morbihan victimes de la Révolution, op. cit. (1921), p. 270-271. — E. Sageret, Le Morbihan et la chouannerie morbihannaise sous le Consulat, in-8°, Paris, 1910, p. 236-238.

(Sources : Archives du Morbihan, L 235, 240, 248, 263, 286).

(Articles du Procès de l'Ordinaire des Martyrs Bretons).

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