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BOUGUENAIS DURANT L'INSURRECTION VENDÉENNE

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LA COMMUNE DE BOUGUENAIS ET LA GARNISON DU CHÂTEAU D'AUX.

Entre toutes les communes des environs de Nantes que l'insurrection vendéenne exposa aux vengeances et aux mauvais traitements des troupes républicaines, celle de Bouguenais eut particulièrement à souffrir. Son territoire fut ravagé, les maisons furent pillées, les bestiaux enlevés, et plusieurs centaines de ses habitants perdirent la vie.

Tous ces excès furent l'œuvre de la garnison établie en 1793 à le Hibaudière, habitation importante, plus communément appelée le Château d'Aux [Note : E. de Cornulier. Dictionnaire des terres et seigneuries de l'ancien Comté nantais] du nom du riche gentilhomme qui la fit construire en 1774, et située à l'extrémité est de la commune de Saint-Jean de Boiseau, non loin de Bouguenais, sur le coteau de la rive gauche de la Loire qui domine Indret.

Ville de la Montagne (Loire-Atlantique) : château d'Aux.

I

Comme la plupart des paroisses du département de la Loire-Inférieure, celle de Bouguenais s'était soulevée le 10 mars 1793 à l'occasion du recensement des hommes de 18 à 40 ans, soumis à la levée des trois cent mille hommes ordonnée par le décret du 24 février de la même année.

« Toute la commune de Bouguenais se révolte, — écrivaient le 10 mars deux officiers municipaux au commandant de la garde nationale de Nantes — et les mauvais citoyens s'arment de toutes sortes d'armes. Ils se rassemblent en ce moment et s'excitent les uns les autres. Le tocsin sonne ; n'ayant pas de forces suffisantes, nous vous demandons de nous envoyer main-forte ». Une autre lettre annonce que les gens des différents villages menacent avec leurs fourches et leurs fusils de venir assommer la municipalité [Note : Lettres de MM. Assailly et Buaud au commandant Deurbroucq. (Dossier relatif à l'insurrection du 10 mars 1793. Arch. du greffe.) Le comtnissaire du District, qui était Kermen, recueillit cependant un certain nombre de listes d'habitants. (Son proc.-verb. Arch. départ.)].

Il ne s'agissait point à ce moment, ainsi que l'avancent tous les historiens qui n'ont pas pris la peine de lire la loi du 24 février 1793, de procéder à un tirage au sort, d'où sortirait la désignation des conscrits. Chaque commune devait fournir un certain nombre d'hommes de 18 à 40 ans ; et, comme on comptait surtout sur les engagements volontaires pour former le contingent, le moyen de le compléter était laissé au choix de chaque commune. La convocation du 10 mars avait pour objet de réunir les citoyens de la commune, de les recenser, et, en même temps, de les engager à s'enrôler ; à défaut seulement d'un nombre suffisant d'engagements, les citoyens, ainsi réunis, devaient, sans désemparer, délibérer sur le mode le plus convenable de fournir les hommes, et prendre leur décision à la pluralité des voix. Des commissaires envoyés dans chaque commune par les Districts étaient chargés de présider à cette opération [Note : Duvergier ; Collection de lois. Décret du 24 fév. 1793, t, V, p. 160. V. aussi Rousse, les Volontaires, p. 166, 226, et suiv.].

Le mouvement de Bouguenais se calma vite ; à la date du 14 mars un membre de la municipalité écrivait que « les gens de cette municipalité se sont assemblés, et sont convenus entr'eux, sur ce qu'il ne se trouve personne qui soit disposé à partir pour recruter l'armée, de payer une somme en forme de contributions pour solder le nombre d'hommes qu'ils doivent fournir » [Note : Déclaration signée Tourgouilhet, (Insurrection de mars, Déclarations.) (Arch. dep.)].

Treize hommes étaient demandés à la commune de Bouguenais, et ces treize hommes, d'âges divers, puisque l'un d'eux est indiqué comme ayant trente six ans et un autre dix-sept seulement, arrivèrent à Nantes le 8 mai 1793. La commune de Bouguenais avait montré plus d'empressement à obéir à la loi que la ville de Nantes elle-même, qui, sur les 463 recrues qu'elle devait fournir, n'en avait encore présenté que 28, à la date du 20 août 1793 [Note : Tableau dressé le 20 août 1793 des recrues fournies par les communes du District, et signé G. Selligne, agent militaire superieur du recrutement. (Arch. dep. L. Conscript. milit. Etats de recrues.)]. Un pareil nombre tendrait à faire supposer que l'on avait sursis à l'enrôlement des habitants de Nantes dans l'armée active, en considération du service fourni par eux dans les bataillons de la garde nationale, fréquemment envoyés en expédition dans les environs de Nantes.

Dès les premiers jours de l'insurrection des dispositions avaient été prises, par le capitaine d'artillerie Favreau, directeur de la fonderie d'Indret, pour la protection de cet établissement [Note : Lettre de Favreau, Journ. des Débats, 31 mars 1793. — Envoi à Indret de 30 hommes de régiment du Cap. (Lettre origin.)], et il est probable que l'une de ces dispositions avait consisté à occuper le Château d'Aux qui domine précisément Indret. Dans le courant d'avril, cinq cents hommes, venus à Nantes sous la conduite du général de Labourdonnaye, y furent envoyés [Note : Carresp. du Comité central. Lettres du 3 et du 15 avril 1793. (Arch. dép.)]. Ces hommes étaient, en grande partie, des volontaires des bataillons de Paris, formés de ce qu'il y avait de pire dans la démagogie parisienne, et telle fut leur conduite dans ce cantonnement que l'administration se crut obligée de les rappeler au bout de quelques jours.

Le 4 mai 1793, le Comité central demandait en ces termes, à la Municipalité de Nantes, de prendre les mesures nécessaires pour les loger :

« Citoyens,
L'administration, instruite
[Note : Le Département avait été instruit par une lettre du citoyen Tessier commandant le détachement des Nantais au Château d'Aux ; Tessier disait des volontaires dans cette lettre du 3 mai : « Ils desolent tous les environs de leur garnison »] des dilapidations et des pillages exercés par le détachement du 12ème bataillon de la République, en garnison au Château d'Aux, s'est décidée à le rappeler ; il arrive en conséquence aujourd'hui. Nous vous en prévenons, non pas pour leur procurer le logement dans la ville, mais bien pour les loger au Château. Il vous suffira, citoyens, d'inviter deux de vos membres pour aller choisir un local assez vaste pour contenir 300 hommes, qu'il suffira de garnir de paille pour les coucher. C'est avec une semblable énergie que l'on punit les fautes de ceux qui veulent se dire républicains et qui dégradent ce beau titre par des bassesses » [Note : Corresp. du Com. centr.].

Les administrateurs de Maine-et-Loire ayant aussi, le 25 avril 1793, rappelé un de leurs bataillons envoyé au secours de Nantes, le Château d'Aux resta plusieurs jours sans garnison. Canclaux fut vivement sollicité par le Comité central, auquel Favreau avait signalé ce danger, d'y faire revenir quelques détachements [Note : Correspond. du Comité central, 13 mai 1793]. Le 11 juin, le commandant d'un poste placé dans le voisinage, à Saint-Jean de Boiseau, amena ses hommes au Château d'Aux. Comme les gardes nationaux de tous les temps, ceux de Nantes, à cette époque, trouvaient qu'on mettait leur patriotisme à une bien rude épreuve en les employant comme de véritables soldats. A Indret, quelques jours auparavant, ils s'étaient plaints hautement de l'insuffisance de leur solde, et une lettre du citoyen Martin, commandant au Château d'Aux, témoigne de certains actes d'insubordination « qu'il est nécessaire de réprimer en faisant un exemple » [Note : Eod., 1er juin 1793]. Favreau écrivait de son côté que « 89 membres de la garde nationale l'avaient quitté pour diverses raisons ».

Le 19 juin, Beysser, qui venait d'arriver à Nantes, désireux d'aguerrir les troupes qu'il avait à commander, « sortit avec 2,400 hommes. Il se porta vers le Château d'Aux, qui était menacé d'une attaque ; il reconnut ce poste, sans éprouver aucun obstacle dans sa route, et rentra le soir au quartier Saint-Jacques, où il fit bivouaquer sa troupe ». Il fut moins heureux le lendemain du côté du Loroux, au lieu dit Lalouée où une fusillade mit la déroute dans les rangs de son armée [Note : Eod., 20 juin, 1793].

On sait qu'au siège de Nantes, le 29 juin 1793, jour de la Saint-Pierre, Charette dirigea son attaque du côté de Pont-Rousseau. Il canonna la ville pendant toute la journée, et ne connut que le soir l'échec de la grande armée. Il se retira du côté de Légé, « en commettant, dit Huet, l'irréparable faute ne ne pas emporter le Châtteau d'Aux qui n'était défendu que par quelques cents hommes de la garde nationale de Nantes » [Note : Recherches sur la Loire-Inférieure, an XI, p. 431].

« Les rebelles du voisinage venaient souvent insulter cette garnison, raconte Lucas-Championnière dans ses Mémoires inédits, mais rarement ils en venaient aux mains ». Le 10 août, un compagnon de Charette essaya de réparer la faute du 29 juin, et tenta l'attaque du Château d'Aux. Une lettre insérée dans le compte rendu de la Convention, séance du 15 août, et écrite par le représentant Gillet, contient un court récit de cette attaque. C'était la première fois que le fameux chef vendéen était nommé dans les journaux, et on connaissait à peine son nom qu'on écrivait Cheret ou Cherette [Note : Moniteur du 16 août 1793. Réimpression, t, XVII, p. 400. V. aussi Savary, Guerre des Vendéens et des Chouans, t. II, p. 33]. « Le 10 août, les patriotes de Nantes célébraient par une fête publique l'anniversaire de l'envahissement des Tuileries, et de la victoire remportée sur la royauté. Cheret avait annoncé qu'il troublerait la fête.... ».

Charette n'assistait pas à cette affaire, sur laquelle les Mémoires de M. Lucas-Championnière fournissent des détails plus complets et plus précis : « 10 août 1793 : De tous côtés cette journée fut pour nous malheureuse. M. de la Cathelinière, ennuyé du voisinage des troupes du Château d'Aux, résolut enfin d'en former l'attaque. La prise de ce poste était plus importante qu'an ne semblait le croire ; maîtres des hauteurs où il est situé, nous eussions intercepté les vivres qu'on conduisait à Nantes, et le château d'Indret, infiniment plus bas, n'aurait pu faire une longue résistance. Mais nous avions laissé le vrai moment, de l'attaquer : c'était le jour du siège de Nantes ; la garnison isolée, et ne sachant ce qui se passait dans la ville assiégée, se serait sûrement rendue, si on l'avait un peu pressée. M. de la Cathelinière craignit de dépenser le peu de poudre qu'il avait, et de ne pouvoir après défendre son poste dans le cas d'un mauvais succès. Quoique ses moyens fussent toujours aussi faibles, à la prière de tous les gens du pays, on marcha sur le Château d'Aux avec une pièce de quatre seulement. La garnison était de six cents hommes, et suffisait pour garder une enceinte entourée de murs très forts, impénétrables à nos faibles boulets. Nous approchâmes fort près des murailles. Lapierre, qui avait été domestique dans la maison, s'avança, lui seul, pour enfoncer une porte, mais un mur de terre l'appuyait ; nous tirâmes un grand nombre de coups de fusil, et nous nous dîmes force injures de part et d'autre. Les républicains à couvert bravaient nos coups ; il n'en était pas ainsi de nous ; quoique garantis par les arbres environnants, il en tombait toujours quelques-uns. M. de la Cathelinière, voulant visiter un endroit qu'il croyait favorable, fut blessé à l'épaule ; personne n'étant dans le cas de le remplacer, on ne s'obstina pas davantage, et nous reprîmes tranquillement le chemin du Port-Saint-Père, sans que la garnison osât sortir. Nous eûmes douze hommes tués et beaucoup de blessés dangereusement ».

Il était moins périlleux de sortir pour aller piller les églises. C'est ainsi que le lieutenant-colonel Martin avait pu expédier, peu de jours auparavant, quelques vases sacrés pris dans les églises du Pellerin et de Boiseau [Note : Lettre de J.-B. Martin. Corresp. des généraux, fond du Département (Arch. dép.)], et que le tambour-major de la Légion nantaise s'était fait donner par le Département, pour en orner sa canne, une chaîne d'encensoir trouvée dans l'église de Bouguenais [Note : Proc.-verb. du Dép. Série Q, 22 juin 1793].

Les soldats ne se contentaient pas de piller les églises ; ils ne respectaient pas davantage les propriétés particulières. Un administrateur du district de Nantes, nommé Ramard, rapporte dans un procès-verbal, qu'étant allé à la Basse-Motte, maison de M. Codrosy, il vit deux soldats, dont l'un portait du vin, et dont l'autre tira un coup de fusil dans la maison de Mme Boudet, qu'il reconnut avoir été pillée et dévastée. Il vit ensuite un détachement de dix à douze hommes, du 2ème bataillon d'Ille-et-Vilaine, armés et marchant sous les ordres d'un chirurgien, qui se disposaient à enlever des alambics et des chaudières en cuivre. Sur ses observations, « le chirurgien déclara qu'il avait gagné ces effets, qu'il y avait assez longtemps que la nation s'emparait de tout, et que ce qu'ils prendraient désormais serait pour eux » [Note : Procès-verbal de Ramard. (Arch. du greffe.)].

De pareils faits aident à comprendre comment un curé constitutionnel, s'intéressant à l'un des membres d'un comité royaliste de la région, amené à Nantes pour y être jugé, à pu écrire : « Je mets en fait, et toute la paroisse de Bouaye l'attestera, qu'il y a eu moins de pillage pendant les quinze jours qu'a duré le prétendu comité, qu'il y en a eu avant et après » [Note : Lettre de Brunet, curé constitutionnel de Bouaye, du 18 juillet 1793 (Arch. du greffe). Brunet, qui avait été curé de Sainte–Mélaine, avait été élu à la cure de Bouaye, le 15 octobre 1792].

Dans sa marche sur Machecoul et Légé effectuée au mois de septembre, conformément au plan de Canclaux, Beysser campa le 9 au Château d'Aux.

 

II

Le moment approchait ou la guerre civile allait entrer dans une phase nouvelle. La Convention s'impatientait des résistances qu'elle rencontrait à l'extérieur et à l'intérieur, et le 1er octobre 1793, sur la proposition de Barrère, elle décrétait que, « le 1er novembre suivant, elle décernerait des honneurs et des récompenses aux armées et aux généraux qui auraient exterminé les brigands de l'intérieur, et chassé sans retour les hordes étrangères des brigands de l'Europe ».

« Il faut, portait la proclamation à l'armée révolutionnaire de l'Ouest, que les brigands de la Vendée soient exterminés avant la fin d'octobre » [Note : Moniteur du 2 octobre 1793, Reimpression, t. XVIII, p. 16]. On ne demandait pas seulement aux armées de vaincre les rebelles ; on leur demandait de les tuer. N'est-ce pas à Merlin de Thionville, proposant d'établir des colons patriotes sur les héritages confisqués, que Fayau répondait : « On n'a point assez incendié dans la Vendée ; la première mesure à prendre est d'y envoyer une armée incendiaire ; il faut que, pendant un an, nul homme, nul animal, ne trouve de subsistance sur ce sol » [Note : Séance du 17 brumaire an II — 7 novembre 1793. Reimpression du Moniteur, t. XVIII, p. 377].

Les troupes établies dans les divers cantonnements reçurent l'ordre de faire des battues dans les communes environnantes. Le 11 brumaire (1er novembre), Haxo écrivait au Département « de mettre à la disposition du commandant du Château d'Aux des bateaux pour le transport à Nantes des subsistances et autres objets qu'il pourrait recueillir dans les expéditions qu'il se proposait de faire dans les communes voisines de ce poste » [Note : Dir. Dép. Sér. L, brumaire an II, f° 80]. On envoyait à Nantes les prisonniers saisis dans ces expéditions ; (quinze femmes, envoyées par le commandant du Château d'Aux, furent enfermées à la prison du Bon-Pasteur par ordre du Comité révolutionnaire [Note : Pr. verb. de la séance du 4 brumaire an II — 25 oct. 1793]. Ces prisonniers étaient, comme rebelles, traduits devant le tribunal révolutionnaire, ou devant les commissions militaires. C'est ainsi que Lenoir, président d'une Commission établie à Nantes, par arrêté de Carrier et Francastel, en date du 10 brumaire (31 octobre 1793), écrivait à Muscar, commandant du château d'Aux :

« Nous avons reçu ta lettre du 18 frimaire (8 décembre 1793) ; les quatre brigands sur lesquels elle contenait des renseignements ont été jugés de suite. Ils subiront ce jour la peine due à leurs crimes ; quand tu nous enverras des renseignements sur les cinq derniers, prompte justice sera faite, .. Sois tranquille, la tête des coupables tombera ; nous en avons hier condamné sept. Vive la République ! » [Note : Cahier de correspondance de la Commission Lenoir. (Arch. du greffe.)].

Ce commandant Muscar, qui vient d'être nommé, était un ancien fourrier du régiment du Vivarais ; soupçonné d'avoir été le principal moteur d'une insurrection qui, au mois de janvier 1790, avait éclaté à Verdun dans son régiment, il avait été emprisonné par ordre du ministre de la guerre, et, selon un usage qui n'est point aboli et qui veut qu'en temps de révolution la profession publique de l'opinion dominante l'emporte sur les intérêts de la discipline, le soldat insurgé avait rencontré des défenseurs parmi les membres de l'Assemblée nationale [Note : Moniteur des 17 et 19 avril 1790. Réimpression, t. IV, p. 133 et 149]. Un décret du 4 juin 1791 lui ayant conféré une véritable réhabilitation [Note : Eod., t. VIII, p. 585], il avait continué de suivre la carrière militaire, et il était, en juillet 1793, premier commandant du bataillon de l'Union, recruté dans le département du Bas-Rhin. En cette qualité, il signa, ainsi que beaucoup d'autres volontaires du même bataillon, parmi lesquels on remarque le nom de « Brutus Hugo, adjudant major », une adresse à la Convention pour la féliciter de la nouvelle constitution, et lui promettre « de répandre jusqu'à la dernière goutte de leur sang, pour écraser les tyrans, les fanatiques, les royalistes et les fédéralistes » [Note : Pièce originale, datée du Camp sous Angers, le 10 juillet 1793. (Collection de M. Gustave Bord.)]. La lettre de Lenoir, qui a été citée tout à l'heure, nous a appris qu'au commencement de décembre 1793, Muscar avait le commandement des troupes du Château d'Aux, composées vraisemblablement de son bataillon et d'une centaine d'hommes de la garde nationale de Nantes [Note : Fournier, Histoire lapidaire de Nantes. Minute n° 1, f. 337. (Bibliothèque de Nantes.)]. Les événements que je vais raconter montreront combien Muscar était sincère en promettant d'écraser « les fanatiques et les royalistes ».

A ses côtés se trouvait un homme, ou plutôt un monstre, la terreur et le fléau de toute la région, nommé Joseph Beilver. Ce personnage, peu connu, serait certainement célèbre si la cruauté pouvait suffire à procurer la renommée.

Beilver était un petit marchand qui habitait le bourg de Bouaye avant la révolution ; il faisait mal ses affaires, et avait été emprisonné pour dettes en 1788 ; deux ans plus tard, il commettait un faux, et la sentence du Consulat de Nantes, du 31 juillet 1790, réservait au Sr Chiché, dont la signature avait été imitée, le droit de poursuivre ce faux [Note : Registre d'écrous pour dettes, f. 74 et 98 et la feuille y jointe. (Arch. dép.)]. Attaché aux armées en qualité de guide, Beilver avait été chargé par Carrier de diriger des commissaires qui avaient reçu mission d'aller chercher des fourrages dans les prairies de Buzay [Note : Reg. du Conseil de Départ., 6 brumaire an II (27 octobre 1793), f°. 103. (Arch. dép.)]. Le métier de guide des armées dans les cantons insurgés, exercé par des hommes du pays qui avaient embrassé la cause de la république, les signalait à la haine de leurs concitoyens, et leur fournissait en même temps de fréquentes occasions de vengeances. Il était naturel, en effet, que les chefs des détachements allant à la recherche des rebelles, s'en remissent à la désignation de leurs guides pour discerner les dispositions hostiles des habitants ; souvent il dépendait de cette désignation que des familles entières fussent massacrées, ou, ce qui ne valait guère mieux, faites prisonnières. Quelle modération pouvait-on espérer d'hommes de cette sorte, quand des représentants ne craignaient pas d'écrire publiquement : « La Vendée sera dépeuplée, mais la République sera vengée et tranquille » [Note : Lettre de Francastel à la Société des Jacobins, Moniteur du 16 nivôse an II (5 janvier 1794). Réimpression, T. XIX, p, 127].

Carrier a prétendu, faussement, je crois, que des prisonniers auraient été noyés au Château d'Aux [Note : Journ. des Débats du 1er frimaire an III, n° 801, p. 1050 et 105] ; ce qui paraît beaucoup plus vrai, c'est qu'à Nantes les gens du peuple, jouant sur le mot, disaient, en parlant des gens qu'on allait noyer, qu'on les conduisait au Château d'Aux [Note : Pièces remises à la Commission des vingt et un, p. 78. Bulletin du Trib. révol., VIIème partie, p. 54]. A une époque que les témoins ne précisent pas, Carrier aurait fait une visite à Muscar, et son voyage aurait duré trois jours. Il avait emmené avec lui la femme du directeur de l'hôpital de l'Egalité (bâtiments du lycée), et un témoin se rappelait ce détail, qu'au moment du départ, la dame, entendant venir le représentant qui venait la prendre dans sa voiture, descendit à moitié habillée, et tenant dans sa main le portrait de celui-ci qu'elle n'avait pas eu le temps de se mettre au cou [Note : Déposition nanuscrite d'Olive Recapet, cuisinière chez Normand ; Déclaration n° 41. — Louise Courant, lingère, n° 62. Pièces remises à la Commission des vingt et un, p. 91]. Ce détail est le seul que j'aie rencontré se rapportant au voyage de Carrier au Château d'Aux.

Carrier était encore à Nantes lorsque Muscar y envoya cent cinquante brigands saisis dans la commune de Saint-Aignan [Note : Procès-verb. du Comité révolutionnaire. Séance du 2 pluviôse an II (21 janvier 1794)], mais il avait quitté cette ville quand parvint au Comité révolutionnaire « une dénonciation très-étendue contre Muscar, commandant du château d'Aux », laquelle, porte le procès-verbal, fut communiquée aux représentants [Note : Eod., Séance du 14 ventôse an II (4 mars 1794)]. L'un de ces représentants était Prieur de la Marne, et il ne paraît pas qu'une suite quelconque ait été donnée à la dénonciation dont le texte a échappé à mes recherches.

De quel méfait, sérieusement reprochable aux yeux de Prieur de la Marne, Muscar pouvait-il se rendre coupable ? Prieur de la Marne, qui avait mis en mouvement la fameuse Commission Bignon, ne pouvait avoir que des louanges pour un commandant qui écrivait, le 8 nivôse an II (28 décembre 1793), aux membres d'une autre Commission militaire :

« Encore sept brigands de fusillés hier. Tous les jours, ce jeu patriotique va se reproduire, bien décidé à donner la chasse à mort à tous ceux qui infectent encore ces environs ; j'espère qu'aucun n'échappera à mon activité et à ma haine implacable contre tout ce qui ose fouler aux pieds les lois saintes de la république » [Note : Lettre originale, de la main de Muscar (Arch. du greffe)].

 

III

« Le jeu patriotique » de Muscar était celui de la plupart des chefs qui commandaient les colonnes dites infernales [Note : Voir une lettre de Turreau au ministre, du 18 mars 1794, dans laquelle il annonce avoir détruit 2,500 brigands « dans l'infâme pays du Loroux », et avoir eu seulement un volontaire tué et un autre blessé. Savary, t. III, p. 296] ; mais il y eut cependant au Château d'Aux, dans les premiers jours d'avril 1791, une fusillade de prisonniers qui a particulièrement attiré l'attention des historiens, et dont les détails, mal connus, ont donné lieu à des récits plus ou moins inexacts.

Certains auteurs, ayant trouvé dans la vie de Carrier écrite par Babeuf la reproduction d'une pièce émanant d'un certain Romagné, ont répété que deux seuls monstres, Beilver, de Saint-Pierre-de-Bouguenais, et Muscar, de la Basse-Indre, ont fait périr arbitrairement, entre eux deux, plus de huit cents individus » [Note : Vie de Carrier par Babeuf, p. 126, et Pièces remises à la comm. des vingt et un, p. 63. Romagné signale, dans cette pièce, une exécution importante de prisonniers, qui eut lieu à Paimbœuf, et dont aucun auteur, à ma connaissance du moins, n'a parlé ; il faisait sans doute allusion aux fusillades des 7, 8 et 9 ventôse, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19 et 20 germinal, dont les victimes sont nominativement portées au nombre de quatre-vingt-neuf, sur une liste, dressée le 30 messidor an II, par Pierre Fouché, concierge de la prison de Paimbœuf. (Arch. départ.)]. Un passage du compte rendu du procès de Carrier, où le président du tribunal dit à un témoin, qui venait de parler du Château d'Aux : « Il paraît constant que le nombre des habitants de la campagne fusillés se monte à huit cents » [Note : Bull. du Trib. révol., VI, n° 97, 400], a probablement contribué à accréditer l'opinion que Carrier avait ordonné ces massacres, bien qu'avec un peu d'attention on eût aperçu qu'ils eurent lieu plusieurs mois après le départ de Nantes de Carrier.

D'autres auteurs, mieux informés, ont réduit considérablement le nombre des victimes, et, replaçant le fait à sa véritable date, ont adopté aveuglément le récit qu'en a donné dans ses Mémoires le général Hugo. Mais, comme on le verra tout à l'heure, il s'en faut que ce récit soit exact et complet.

Le général Hugo, qui a cela de commun avec tous les faiseurs de mémoires, de n'avoir point écrit pour se déprécier, rapporte que, la cavalerie du poste du Château d'Aux ayant eu à souffrir d'une attaque des habitants de Bouguenais, « l'officier supérieur, qui commandait la colonne dont elle faisait partie se retira, mais, au lieu de rentrer au Château, revint de nuit, sur Bouguenais, et y prit deux cent soixante-dix hommes et vingt-deux jeunes filles qu'il amena » [Note : Mémoires du général Hugo. T. I, p. 37 et suiv. A la page 20 on trouve la désignation de plusieurs des corps qui composaient la garnison du Château d'Aux]. Le général Hugo dépeint ensuite l'embarras de Muscar à la vue de ce « douloureux » trophée, et ajoute que, celui-ci ayant écrit à Nantes, il lui fut répondu qu'on lui enverrait des juges pour examiner la conduite des prisonniers.

En effet, peu après, des juges furent envoyés de Nantes. Hugo assure qu'il osa leur demander de ne pas condamner à mort des malheureux qui pourraient être employés utilement à des travaux dans l'intérieur de la France. Les juges répondirent qu'ils n'étaient pas autorisés à agir ainsi, et les deux cent soixante-dix habitants de Bouguenais, ayant été condamnés après quelques questions de pure forme, furent conduits par petites troupes à la mort, « qu'ils reçurent avec calme, à côté des fosses ouvertes pour les recevoir ». Cela fait, — toujours d'après le récit du général Hugo, — le tribunal retourna à Nantes, et, le président ayant prié Muscar de faire juger les jeunes filles par une autre Commission militaire, cet officier, désirant les sauver, le pria, lui, Hugo, de la présider malgré sa jeunesse. Les jeunes filles furent sauvées. « Muscar vint alors remercier le tribunal de sa généreuse conduite et exprimer le regret que les deux cent soixante-dix prisonniers n'eussent pas été soumis à un arrêt aussi doux que le nôtre. Cependant, ajoute encore Hugo, qui le croirait ? Des hommes prévenus ou mal informés ont fait planer sur ce brave officier l'accusation d'avoir lui-même formé le tribunal à qui Bouguenais doit sa dépopulation » [Note : Eod., p. 41].

D'après ce récit, l'enlèvement des habitants de Bouguenais n'aurait été qu'un simple fait de guerre, une capture de rebelles pris les armes à la main, suivie d'une condamnation prononcée contre les prisonniers, conformément aux usages de la prétendue justice révolutionnaire. En réalité, cette exécution eut un caractère bien autrement odieux.

Que Muscar eût formé le tribunal « auquel Bouguenais doit sa dépopulation », ou qu'il ait demandé à limites une Commission pour condamner les habitants enlevés, la chose importe assez peu à l'honneur de la mémoire de cet officier, quand il est facile d'établir qu'il avait au Château d'Aux une Commission militaire devant laquelle il traduisait ses prisonniers et les faisait condamner à mort. Cet homme que Hugo montre si désolé à la pensée de voir condamner à mort quelques jeunes filles, trouvait tout simple de faire fusiller des mères de famille qu'il avait au préalable traduites devant sa Commission.

Le 7 germinal an II, 27 mars 1794, Muscar écrivait au général Vimeux : « J'ai dans les prisons douze brigandes qui ont, été condamnées à la peine de mort. Il y a dans ce nombre des mères qui ont des enfants à la mamelle ; c'est ce qui a fait suspendre l'exécution. J'ai consulté sur la conduite que j'avais à tenir les représentants ; ils ne m'ont pas encore répondu. Il est cependant urgent de tirer ces femmes de leur cruelle situation » [Note : Savary, t. III, p. 317. « Muscar, dit Savary en cet endroit, parvint à sauver ces infortunées »].

Les représentants avaient-ils répondu le jour même ? Je ne sais, mais, le lendemain, 8 germinal, dix de ces malheureuses avaient cessé de vivre, et Muscar l'annonçait lui-même en ces termes à ses amis de la Commission militaire de Nantes : « Je viens de faire fusiller dix brigandes ; une onzième, nommée Jeanne Bonneau, tout aussi coupable que les autres, étant femme d'un brigand et complice de son mari, est enceinte de cinq mois. Le conseil militaire assemblé pour la juger, craignant d'offenser la nature, en suivant le cours rigoureux de la justice, a cru devoir la renvoyer à votre tribunal. Votre sagesse saura concilier les égards qu'on doit à son état avec l'inflexible sévérité de la loi. — Le commandant temporaire de la Hibaudière, signé, MUSCART » [Note : Cette lettre de la main de Muscar porte sur l'adresse : « Aux membres composant la Commission militaire séante maison Pepin, à Nantes » (Arch. du greffe)].

Les représentants alors en mission à Nantes, ou plutôt en Vendée, étaient Hentz, Garreau et Prieur de la Marne, les deux premiers envoyés depuis un mois avec des instructions nouvelles pour terminer la guerre, et dont quelques-unes se trouvent consignées dans le rapport de Barrère du 24 pluviôse an II, 12 février 1794 [Note : Réimpression du Moniteur, t. XIX, p. 455]. Ils étaient, à la fin de ventôse (20 mars), fort irrités de la saisie par les rebelles de deux convois de subsistances, qu'ils attribuaient à la trahison, et l'on retrouve des traces de leur colère dans un arrêté daté du 5 germinal (24 mars), par lequel ils chargent la Commission militaire présidée par Bignon d'exercer toutes les poursuites nécessaires pour arriver à la punition des coupables [Note : Voir cet arrêté dans Savary, t. III, p. 310. — Garreau était un député montagnard, quoique représentant de la Gironde. Il se laissa faire inspecteur aux revues par Napoléon et ne fut repris qu'en 1815 de son ardeur libérale. Il avait eu l'idée saugrenue de former un corps de musiciens pour adoucir les mœurs des rebelles de la Vendée. (Mémoires d'un ancien administrateur des armées républicaines. Paris, Baudouin, 1823, p. 175)]. Quatre-vingts mandats d'arrêts furent lancés à cette occasion contre des habitants de Nantes, et il est vraisemblable que pour assurer la liberté des communications sur la rive gauche de la Loire, les représentants formèrent le projet, dont on retrouvera plus loin des traces certaines, de dépeupler par tous les moyens la commune de Bouguenais. Ce ne serait donc pas, comme l'a dit le général Hugo, par l'effet du simple caprice d'un officier de cavalerie, désireux de se venger d'un échec, que les habitants de cette commune avaient été fait prisonniers et sacrifiés par les troupes de Muscar.

Bien que ce chiffre de 210 habitants de Bouguenais mis à mort par la garnison du Château d'Aux, chiffre donné par Hugo, paraisse contredire celui de 209, porté au registre de la Commission Bignon qui les condamna et les fit exécuter, les 13 et 14 germinal, 2 et 3 avril, ce chiffre de 270, pour les premiers jours de germinal, n'est pas moins parfaitement exact. Hugo ne parle que d'une seule battue — c'est le mot, puisque les soldats agirent comme de véritables chasseurs, — et il y en eut deux, a quelques jours d'intervalle.

La première eut lieu le 1er germinal an II, 21 mars 1794 ; et c'est sans doute ce jour-là qu'avaient été capturées les brigandes que Muscar fit fusiller le 8 germinal. J'emprunte le récit de cette battue aux notes manuscrites de M. Verger sur l'arrondissement de Nantes, qui l'a copié sur un document que je n'ai pas retrouvé : « Une colonne infernale passe dans la commune (de Bouguenais) ; les soldats, dignes de ceux qui les commandent, entraînent les femmes sur le seuil de leurs portes ; ils les violent et les massacrent au milieu des cris et des lamentations de leurs enfants. Deux jeunes gens, Pierre et Jacques Lemesle [Note : Lire Lemerle], habitants des Couëts, sont trouvés dans leur lit, où les retenait la fièvre ; ils y sont hachés à coup de sabre par le commandant B.... [Note : Lire Beilver ; cet homme resta longtemps puissant dans le pays, et, pour cette raison, l'auteur de la note copiée par M. Verger n'aura pas osé le désigner en toutes lettres] et deux de ses volontaires. En un seul jour, 1er germinal (21 mars), soixante et quelques personnes périrent ainsi dans cette communes... » [Note : Bouguenais, an II. Arrondiss. de Nantes, f° 188. (Biblioth. de Nantes)].

La seconde battue, dans laquelle furent, saisis les hommes amenés au Château d'Aux, que l'on fit juger par la Commission envoyée de Nantes, eut lieu le 31 mars, 11 germinal. Cette date est consignée dans une pétition adressée par vingt-deux habitants des Couëts aux représentants, le 13 pluviôse an III [Note : Arch. dép. Guerre civile, Relation de brigandages — Le document, n°s 76 et 77, contient un récit de l'assassinat des frères Lemerle conforme à celui de M. Verger, où Beilver est nommé en toutes lettres]. Cette pétition, dont je donnerai plus loin des extraits, contient de nombreux détails sur les procédés odieux qui accompagnèrent l'enlèvement des habitants.

Le lendemain de la battue, le 12 germinal, 1er avril, Garreau qui en avait été instruit par Muscar, requérait « la Commission militaire établie au Mans à la suite de l'armée de l'Ouest, de se transporter de suite au Château d'Aux pour y juger les individus qui s'y trouvaient détenus » [Note : Lettre originale, arch. du greffe].

Conformément à cette réquisition, Bignon et ses collègues tenaient audience le 13 germinal au Château d'Aux ; ils condamnèrent, ce jour cent cinquante-deux détenus en deux séances, et, le lendemain 14, cinquante-sept autres détenus. Sur deux cent dix individus qui parurent devant la commission, un seul, Jean Loirent, àgé de 13 ans, fut renvoyé. Un des condamnés, Jean Herdot, n'avait que 15 ans ; trois n'avaient que 17 ans ; sept autres étaient âgés de 72 à 78 ans. Ces renseignements sont empruntés au registre de la Commission [Note : Arch. du Greffe].

Le brouillon des jugements, qui existe encore, présente quelques différences avec le texte du registre. Sept individus portés sur le registre comme ayant été condamnés à mort dans l'après-midi du 13 germinal, ont, sur le brouillon, leur nom suivi du mot renfermé ; ce qui, dans le langage de la justice révolutionnaire de l'époque, voulait dire « enfermé jusqu'à la paix » et équivalait quelquefois à un acquittement. De plus, sur le brouillon, la date du 14 est portée en tête des noms des condamnés qui figurent sur le registre comme ayant comparu à la séance du 13. Les greffiers étaient si occupés, qu'ils ne se croyaient pas tenus d'y regarder de bien près ; quant aux juges il est probable qu'ils signaient de confiance sur le registre sans prendre la peine de collationner les listes.

Dans le même dossier, aux archives du Greffe, se trouve une liste de soixante-quinze femmes, sans autre indication que celle de leurs noms. Tout porte à croire que ces femmes furent envoyées en prison à Nantes, et qu'elles furent, en même temps que d'autres femmes de la commune de Bouguenais, mises en liberté par ordre de Bo et Bourbotte, le 24 messidor an II — 12 juillet 1794 [Note : Registre vert des arrêtés des Représentants. (Arch. dép.)].

Une pièce datée du 13 ventôse an III (3 mars 1795), signée du maire de Bouguenais et d'un officier municipal, jointe à une pétition des femmes de Bouguenais, permet de compléter le récit de Hugo sur les opérations de la Commission :

« La Commission militaire et révolutionnaire écrivit au maire de se trouver au Château d'Aux pour reconnaître les bons sujets d'avec les mauvais, ce qu'il fit avec ses collègues. Quelle fut leur surprise lorsqu'en arrivant on ne fit aucun cas d'eux, et qu'ils voulurent réclamer les citoyens que les citoyens Muscar et Beilvert avaient fait prendre chez eux à leur ouvrage, lorsqu'ils cernèrent la paroisse ! La municipalité voulant faire quelques réclamations, le citoyen Cosson se leva, et dit que, si on voulait s'en rapporter aux municipaux, les insurgés se trouveraient tous patriotes ; on incarcéra de suite ladite municipalité, sous prétexte d'avoir donné un certificat de civisme à un homme d'environ soixante ans, que l'on avait toujours reconnu comme bon républicain, et qui éprouva le sort des autres. A cette époque, il n'avait pas paru une dizaine de ces innocents devant nous. Nous pouvons attester qu'il est faux qu'il y avait plusieurs passe-ports et certificats de civisme donnés à ces malheureux dont le nombre était d'environ deux cents et quelques » [Note : Déclaration originale signée Guiyo-Kerlegand, maire, et Assailly, officier municipal. (Arch. dép. I. Guerre, Commission civile et administrative)].

Les membres de la Municipalité furent en effet incarcérés au Sanitat, où la même Commission militaire, présidée par Bignon, se transporta pour les juger, le 19 germinal an II — 8 avril 1794, et les mit en liberté, en considérant qu'il y avait, dans le fait d'avoir délivré des certificats de civisme à des individus perdus de vue depuis treize mois, plus de négligence que d'intention de nuire, et surtout en prenant en considération leur civisme et leur arrêté du 3 nivôse an II, annulant les certificats de civisme délivrés jusqu'à ce jour, vu l'état d'insurrection de la Commune [Note : Registre de la Commission (arch. du greffe)].

Les malheureuses femmes de Bouguenais n'avaient, pas seulement, perdu leurs pères, leurs maris et leurs fils, elles avaient tout perdu : leurs mobiliers, leurs bestiaux, leurs récoltes, et quand, au commencement de l'an III, la marche des événements leur fit entrevoir la possibilité de recevoir quelques indemnités, elles adressèrent aux représentants de nombreuses pétitions. A l'appui de ces pétitions, divers habitants de la région, dans l'ignorance où ils étaient que les juges de la Commission avaient retenu sur leur registre les noms des victimes, essayèrent d'en reconstituer les listes avec le seul secours de leur mémoire. Deux de ces listes subsistent encore ; l'une, datée des Couëts, 13 pluviôse an III, est signée de vingt-quatre habitants ; elle est intitulée : « Noms des hommes et garçons qui ont été pris, liés en corde le 31 du jour du mois de mars dernier [Note : 11 Germinal an II], ensuite conduits au Château d'Aux, par une colonne de volontaires, leur promettant à tous des billets civiques afin d'être tranquilles à leurs travaux ; là rendus, on les a fusillés tous, à l'exception d'un petit nombre qui n'y ont pas été » ; l'autre, datée de Bouguenais, le 14 pluviôse an III, signée de quinze autres habitants de la commune, commence ainsi :

« Liste d'une partie des habitants, laboureurs et cultivateurs de la commune de Bouguenais qui ont été pris par la troupe du château, d'Aulx, sous prétexte de leur donner des billets de civisme, et qui, aprèsy être arrivés, ont été fusillés et mis à mort ». Dans ces deux listes [Note : Arch. dép.] assez mal orthographiées, et rédigées avec peu d'ordre, les divers villages de la Commune sont passés en revue ; toutes les deux naturellement contiennent des noms qui leur sont communs, et qui se retrouvent, pour la plus grande partie, dans les jugements de la Commission des 13 et 14 germinal, mais chacune d'elles contient aussi des noms qui lui sont propres. Sur les 98 noms de la première, on en trouve 50 qui figurent sur le registre de la Commission, et sur la seconde, qui comprend 117 noms, 72, dont beaucoup sont les mêmes que ceux de l'autre liste, se retrouvent sur le registre. D'où il faut conclure, et le texte des documents eux-mêmes en contient la preuve, qu'il y eut, au commencement de germinal, une soixantaine au moins d'habitants massacrés par la garnison du Château d'Aux [Note : Ces listes ne mentionnent que deux ou trois femmes fusillées, et sont muettes sur celles que Muscar fit fusiller le 8 germinal an II], en outre des 209 victimes des jugements des 13 et 14 germinal ; ce qui confirme l'exactitude du chiffre de 270 donné par le général Hugo. On rencontre aussi sur les listes quelques noms d'individus massacrés, soit avant, soit après germinal. Ayant eu, un moment, l'intention de publier le texte entier de ces documents, j'avais rédigé les trois listes de victimes selon l'ordre alphabétique, afin de faire mieux ressortir les ressemblances et les différences, mais leur étendue, et la répétition des mêmes renseignements qui accompagnent la plupart des noms, m'ont fait renoncer à la publication intégrale, et la citation des premiers noms rangés en ordre alphabétique suffira à faire connaître les abominables cruautés des soldats de Muscar.

Première liste ; individus jugés au Château d'Aux par la Commission militaire et dont les noms figurent sur son registre :

« Aguesse (Pierre), pris à tailler sa vigne ; lui promettant un billet civique et qu'il n'aurait pas de mal ; huit jours après sont revenus faire pillage chez lui ; lui ont emporté, par trois fois différentes, paille, bois et linge, et tout ce qui leur a fait plaisir ; a laissé sa femme avec cinq enfants ; il avait dans son portefeuille 24 liv. d'argent ».

« Aubin (Jean), étant, ainsi que Jacques Raboteau, et Jacques Visonneau, domestique du citoyen Forget ; pris à sa maison du Chatfault, même commune, à travailler au jardin, leur disant : nous voulons vous parler ; venez au bout de l'avenue parler au Commandant ; ensuite les ont liés ; quelques jours après ont pillé dans la maison ; ensuite la municipalité a fait enlever plusieurs effets ».

« Baudry (Honoré), pris en déjeunant ; le bourrent, ainsi que sa femme, à coups de fusil ; les maltraitent, leur disant que leur municipalité devait se trouver au bourg de Bouguenais, demeure du maire ; n'y étant pas, ils ont fait avaliser les hommmes au Château d'Aux ; quelques jours après ont fait pillage chez lui ; foin, paille, vin, linge, argent, cochons ; ont voulu tuer sa femme ; ayant sur lui 64 liv. ; laissé quatre enfants, l'aîné 13 ans, sans bien ».

« Berthaud (Charles), tisserand ; pris dans son jardin, tenant un enfant entre ses bras, lui demandent son billet civique, leur dit qu'il n'en avait pas ; lui dirent : viens au commandant, on t'en donnera un ; ensuite ont pris des cordes pour le lier ; ayant, dans son portefeuille la somme de 50 liv. en papier ; a laissé sa femme avec deux enfants ; l'aîné a 4 ans ; la mère âgée de 70 ans, sans bien ni revenu, incapables de gagner leur vie ».

« Berteaud (Jean) tisserand, pris à son travail ; lui dirent comme aux autres qn'on lui donnerait un billet civique ; que sa municipalité se touverait au Château d'Aux ; ayant quelques effets qui lui ont été pris ; a laissé deux enfants sans père ni mère à la merci de leurs parents ; l'aîné à cinq ans ».

« Bichon, (Pierre), prisé sa porte en chargeant un cheval de fumier pour mener dans ses terres ; ayant un billet civique ; quelques jours après ont pillé chez lui toutes sortes de choses ; sa femme ayant été le réclamer au château d'Aulx, les volontaires lui ont dit : « vous n'avez qu'à pleurer, il ne sortira pas d'ici ». Ayant sur lui 400 liv. ; quelques jours après, ont trouvé sa femme, lui ont ôté 60 liv. ; restée avec deux enfants ; très peu de bien, et incapable de le faire valoir ».

« Briant (Pierre), pris en travaillant dans du grain ; Beilver lui a dit : que fais-tu là ? — Je travaille à mon grain. — Viens avec nous, tu n'auras point de mal ; étant pour lors jardinier du citoyen Bureau, à sa maison nommée la Baronniere ; huit jours après sont revenus faire pillage ; ont ôté à sa femme ses anneaux, quelque argent qu'elle avait sur elle, et ledit Briant avait sur lui 50 liv. d'argent ; a laissé sa femme et un enfant qui a 9 ans ».

« Brisson (Jean), tisserand ; pris à travailler ; lui dirent comme aux autres qu'on lui donnerait un billet civique ; la femme leur demanda pourquoi on emmenait son mari ; les volontaires dirent qu'il fallait qu'ils eussent tous paru au Château d'Aux devant le Représentant du peuple, disant qu'ils avaient besoin de monde pour leur donner un coup de main ; ayant dans son portefeuille la somme de 60 liv. ; a laissé sa femme avec deux enfants dans la dernière des misères, très peu de choses ; et incapable de les faire valoir ».

Même liste ; individus dont les noms ne figurent pas sur le registre de la Commission militaire, et qui furent tués avant d'être amenés devant elle :

« Bessac (Pierre), du village de la Bouvre ; pris chez lui ; les volontaires lui dirent : viens avec nous au bourg de Bouguenais, ton maire doit s'y trouver, il te donnera un billet civique ; pillage ; a laissé sa femme sans bien ni revenu ».

« Bichon (Pierre), père et fils, pris à leur porte, allant à leur ouvrage ; leur promettant, comme aux autres, un billet civique.... a laissé sa femme avec sa fille qui, ayant été le réclamer, a été mise en prison pendant cinq mois ; la femme, âgée de 70 ans, incapable de gagner sa vie » (Trois Pierre Bichon figurent sur cette liste ; un seul fut jugé par la Commission, et, d'après l'âge de la femme du père ici désigné, comparé à l'âge de celui qui figure au registre de la Commission et qui avait 50 ans, il y a lieu de penser que ce sont les Bichon père et fils qui furent tués sans avoir comparu devant la Commission).

« Biton (Jean), père, un des notables ; ayant été au village des Couëts où était la colonne, pour réclamer ses voisins ; ayant un billet civique ; on l'a encordé comme les autres ; âgé de 75 ans, n'étant jamais sorti de chez lui pour courir le brigandage ; au contraire, d'encourager tous ses voisins d'en faire autant ; quelque temps après sa mort sont revenus faire pillage chez lui, foin, bois, etc. ».

« Cassard (René), pris à semer des pois ; on lui a pris sa bêche et ses pois, en lui disant comme aux autres, quoiqu'étant infirme d'entendement ; ci-devant veuf ; laisse deux enfants, un de dix ans ; huit jours après on lui a pris un cochon ».

Sur la seconde liste, je vais suivre également l'ordre alphabétique, en commençant par ceux dont les noms figurent au jugement de la Commission, comme j'ai fait pour la première liste :

« Angebault (Jacques), perreyeur ; pris à tirer de la pierre pour la république ; emmené et fusillé. (du village de la Regaudière) ».

« Bautru (Jacques), pris à tailler ; emmené et fusillé et pris cent livres dans son portefeuille. (du village des Bouquinières) ».

« Bautru (Jean), pris à tailler, toujours par Beilvert et sa troupe ; emmené et fusillé ; tout son ménage emporté, meubles et bêtes. (du village de la Ville au Denis) ».

Suivent, avec des mentions semblables, Bernard (Jean) ; Bernard (François); Blanchard (Laurent), Blanchard (François), âgé de 18 ans, porte le jugement, de 17 ans, selon son acte de décès, rédigé en l'an IV [Note : Registres de l'Etat civil de la commune de Bouguenais] ; Blanchard, François, âgé de 27 ans, et, restant toujours dans l'ordre alphabétique, je m'arrête ii deux notables :

« Boudaud (Jacques), ci-devant procureur fiscal de Bouguenais ; pris chez lui par Beilvert et sa troupe ; lié et garrotté ; ensuite emmené au Château d'Aux et fusillé. (du village du Brandais) ». L'acte de décès, rédigé en l'an V, lui donne la qualité de notaire à Saint-Jean de Boiseau.

« Boudaud (Jacques), son fils ; pris en même temps, avec cette différence que Beilvert l'embrassa, et lui dit : mon ami, viens avec nous, tu n'auras aucun mal ; malgré cette assurance, il fut lié et garrotté comme son père, emmené et fusillé, et tout leur ménage pillé et emporté. Cinq enfants. (du village de Brandais) ».

Mentionnés sur cette seconde liste, et ne figurant pas sur le jugement de la Commission militaire :

« Albert (Alexis), farinier, pris et fusillé par Beilvert et sa troupe ; pris 300 liv. dans son portefeuille. (du Brandais) ».

« Archin (femme de Pierre), née Marie Brisson ; prise chez elle et fusillée sur-le-champ et coupée à coups de sabre. Beilvert lui avait dit : Donne-moi tout ce que tu as d'argent et d'assignats et tu n'auras pas de mal. Malgré cette remise elle fut taillée en pièces. Il est à remarquer qu'avant de la tuer Beilvert la fit dévorer par son chien, mais, ennuyé, il dit à sa troupe : Tuez-moi cette b... là, mais ne tuez pas mon chien ; on tira pour lors, et la femme et le chien furent tués ; ce qui causa de grandes plaintes de sa part, en disant qu'il aurait mieux aimé perdre cent louis d'or. (de la Ville au Denis) ». — On trouve sur le registre de la commune de Bouguenais, an IV, f° 49 : « Marie Brisson, tuée par la force armée le 5 mai 1794-16 floréal an II, dans une vigne à la Ville au Denis ».

« Blanchard (Jean), père de deux enfants ; pris à son travail, et tué sur-le-champ par Beilver et sa troupe, et tout emporté de chez lui, meubles et bestiaux, jusqu'à son portefeuille. (de la Riegaudière) ».

« Blanchard, garçon de 21 ans, pris et fusillé par les mêmes, dans l'allée du Chaffault, et pris 150 liv. dans son portefeuille ».

« Blanchard (Mathurin), fils, pris à son travail ; emmené et fusillé. (de la Ville au Denis) ».

« Brossaud (Pierre), taillandier, pris par Bachelier, garde de forêt, et la garde du Château d'Aux, en lui disant viens avec nous tu n'auras pas de mal, on te donnera un billet civique ; ensuite fusillé, et sa maison pillée. Quatre enfants en bas âge ».

Ces citations qu'il serait facile de continuer en épuisant toutes les lettres de l'alphabet suffisent amplement à montrer l'horrible trahison au moyen de laquelle Beilver, désigné en divers endroits comme l'ami et le protégé de Muscar, amena au Château d'Aux les malheureux paysans qui furent mis à mort. La fusillade du Château d'Aux ne fut donc pas, comme tant d'autres, l'exécution cruelle de prisonniers de guerre ; ce fut un massacre préparé et exécuté de sang-froid, une série d'assassinats suivis de vols.

Dans leur fureur de pillage les volontaires prenaient tout ce qu'ils trouvaient, sans s'inquiéter des opinions de ceux qu'ils pillaient. Les membres de la Municipalité eux-mêmes n'étaient pas épargnés. « Plusieurs de notre municipalité, Mathurin Assailly, Jean Lefeuvre, François Clouet, municipaux, et Ordronneau, notable, ont vu des ventes considérables faites au Château d'Aux, comprenant plusieurs de nos effets, pris par les volontaires, et conduits au Château d'Aux. Un de nos membres voulut réclamer une bagatelle ; on le menaça de le faire fusiller... Tout a été enlevé, tant d'une part que de l'autre, sans distinction » [Note : Délibération du 13 ventôse an III accompagnant une pétition de femmes de Bouguenais réclamant leurs bestiaux, « à défaut de leurs maris et de leurs enfants massacrés qu'on ne peut leur rendre ». Cette délibération est signée Guiyo Kerlegand, maire ; Mathurin Assailly, officier municipal. (Arch. dép. Guerre, Commiss. civ. et administ.)].

Le général Hugo, on se le rappelle, parlait, dans son récit des événements du Château d'Aux, de vingt-deux jeunes filles qui furent renvoyées devant une commission militaire présidée par lui, et qui durent leur salut à la courageuse initiative avec laquelle il apitoya sur leur sort ses collègues de la Commission.

Le nombre des femmes et jeunes filles emmenées au Château d'Aux était de beaucoup supérieur à vingt-deux ; il existe parmi les brouillons de jugement des condamnés des 13 et 14 germinal, une liste dont j'ai déjà dit un mot et comprenant soixante-quinze noms de femmes de Bouguenais, qui furent épargnées, envoyées à Nantes, et, pour la plupart, enfermées à l'hôpital du Sanitat transformé en prison.

L'une d'elles, écrivant au Représentant, pour demander sa liberté, lui expose qu'elle fut saisie avec son mari et sa fille, et amenée avec eux au Château d'Aux, que son mari y fut fusillé et qu'un ordre étant arrivé d'épargner les femmes, elle fut, avec sa fille, amenée à Nantes et emprisonnée [Note : Requête de Jeanne Lesage, veuve Pierre Douaud, en date du 8 messidor an II, 26 juin 1794. — Les énonciations de la requête sont conformes aux renseignements de la première liste, qui signale Pierre Douaud comme ayant été pris au moment où il bêchait son champ pour y semer des patates ; Pierre Douaud ne figure pas sur le registre de la Commission. (Requêtes, arch. départ.)]. Une autre de ces femmes expose qu'elle fut saisie, au moment où elle venait apporter à manger à son mari au Château d'Aux ; elle ajoute qu'elle fut amenée au Sanitat avec les autres femmes de la paroisse [Note : Requête de Jeanne Moquard, dont le mari comparut devant la Commission militaire].

L'ordre d'épargner les femmes fut vraisemblablement donné par le Représentant Garreau, Son intention, irréalisable, paraît avoir été de dépeupler complètement la commune de Bouguenais, et d'envoyer ses habitants dans une autre région. Le 18 germinal an II, 7 avril 1794, le Comité révolutionnaire de Nantes fut prié, par les membres de la Commission militaire, « d'envoyer des Commissaires dans la commune de Bouguenais, escortés de la force armée pour y
ramasser toutes les femmes, enfants et les effets qui y sont »
[Note : Registre du Comité révolut. de Nantes, f° 25. Le 19 germinal, 8 avril, la Commission Bignon condamnait à mort André Figureau, Antoine Lesage, et Isabelle Chataigner, de la région de Bouguenais]. Le Comité révolutionnaire refusa, en disant qu'une expédition de cette nature regardait la Commission administrative des subsistances, mais divers documents démontrent que ce projet reçut un commencement d'exécution [Note : District de Nantes, 26 germinal an II, 15 avril 1794 ; Département, 1er floréal an II, 20 avril 1794]. En effet, une partie notable de la Commune émigra vers Nantes. Le District écrivait, le 2 floréal, 21 avril, à la Commission administrative : « Conformément à l'arrêté du Représentant du peuple Carreau, nous avons donné des ordres pour faire évacuer les femmes, les enfants et les vieillards de la commune de Bouguenais. Ces citoyens, à Nantes depuis hier, n'ont pu emporter leurs effets avec eux ; on les a même arrêtés aux barrières. Nous vous sollicitons, au nom de l'humanité, de prendre tous les moyens qui sont en votre pouvoir pour leur procurer les objets qui leur sont nécessaires » [Note : Reg. de Corresp. du District de Nantes, f° 55]. La municipalité de Nantes ne savait où placer tout ce monde, et, dans une délibération prise le lendemain, elle avoue son embarras à la nouvelle que Muscar vient d'envoyer à Nantes quarante-cinq brigands, saisis pour se venger du meurtre de deux patriotes [Note : Cons. gén. de la Commun. de Nantes, 3 floréal, 22 avril. Lettre de Muscar, Savary, t. III, p. 424].

La lettre de recommandation, envoyée par Muscar à David-Vaugeois, accusateur public de la Commission militaire, était ainsi conçue : « Je vous envoie une petite collection de brigands, au nombre de quarante-cinq, que j'ai fait prendre hier au Pont-Saint Martin. Vous en nourrirez la guillotine. Le citoyen Beilver, ce fléau des brigands, vous donnera des renseignements plus circonstanciés sur ces coquins. Que ne puis-je vous envoyer toute l'armée de Charrette » [Note : Lettre originale de la main de Muscar, datée de la Hibaudière le 3 floréal, 2 avril. (Papiers de la Commission Bignon, arch. du greffe)].

Une autre lettre extraite du même dossier peint encore mieux le personnage ; elle était également adressée à David-Vaugeois :

« Je t'envoie Beilver, pour vous donner des renseignements sur les brigands que vous allez juger. Il porte une pièce de conviction, trouvée chez eux : un habit de volontaire percé de balles et coupé de coups de sabre. D'ailleurs il ne faut pas de grands renseignements sur le compte de gens qu'on est moralement sûr d'avoir été avec les brigands ; le tact révolutionnaire doit plus faire dans ces procès que les formes. Les administrateurs du District de Nantes viennent de réclamer les prévenus, comme étant chargés par les adjudicataires de la forêt de Meilleray de l'exploitation de cette forêt. Vous verrez quels égards on peut avoir à cette réclamation. Toi et tes camarades vous vous souviendrez qu'après demain c'est décadi » [Note : Lettre originale (Eod. loc.)].

Je me suis vainement demandé pourquoi Muscar envoyait à Nantes certains prisonniers, à la Commission Bignon, alors que certains autres, prévenus des mêmes faits, étaient traduits devant le Conseil militaire de la Hibaudière. Pour ceux qui n'étaient pas républicains les questions de compétence ne se posaient même pas à cette époque, où tant de gens furent condamnés en violation flagrante de la loi du 10 mai 1793. Quoi qu'il en soit, il y avait certainement au Château d'Aux, dans le courant de floréal, une commission militaire qui prononçait des condamnations capitales, et c'est évidemment cette commission, dont le jeune officier Léopold Hugo, dit Brutus, faisait réellement partie en qualité de greffier, qu'il a transformée pour se faire valoir en une commission clémente dont il aurait été le président. Cette commission, dont je n'ai retrouvé que deux jugements, s'intitulait : Conseil militaire du camp de la Hibaudière ; les deux jugements, écrits sur la même feuille, concernent une femme et une toute jeune fille.

La femme, nommé Marie Brossot, épouse de Joseph Gauthier, de la Ville au Denis, fut déclarée convaincue de n'être point réfugiée, et de n'avoir pas de certificat de civisme ; en conséquence, elle fut condamnée à la peine de mort, mais, vu l'existence d'un enfant qu'elle allaitait, « elle fut renvoyée au tribunal révolutionnaire pour qu'en rendant sur elle un jugement, il prit des mesures pour faire subsister son enfant ».

Jeanne Onillon, âgée de 15 ans, de la Ville au Denis, avait porté le fusil d'un brigand, son oncle, dans un moment où celui-ci était ivre. « Le Conseil, considérant que cette fille, qui n'est âgée que de quinze ans, a été sous la dépendance de ses parents dont son âge lui a fait suivre l'impulsion, mais qu'elle n'est pas moins coupable que sa mère déjà condamnée à mort, arrête qu'elle sera renvoyée devant le tribunal révolutionnaire pour qu'il prononce sur les peines que la loi inflige aux personnes trop jeunes pour être punies de mort ». Signé : Simon, commandant, président du Conseil ; Brutus Hugo, faisant fonction de greffier, le 14 floréal an II, 3 mai 1794.

Je serais fort embarrassé également d'expliquer pourquoi ce commandant Simon, qui se jugeait compétent pour condamner des femmes, renvoyait le lendemain des prisonniers à la Commission militaire siégeant à Nantes. La chose est pourtant certaine ; une de ses lettres adressée aux juges de la Commission est ainsi conçue : « Je vous envoie par le citoyen Beilver, et sous une escorte de douze hommes, cinq individus arrêtés par les troupes de ce poste, et très suspects, pour les faire juger et punir conformément aux lois. La Hibaudière, le 15 floréal an II (4 mai 1794) » [Note : Lettre originale, eod. loc.].

Heureusement alors la Commission militaire, lasse de tuer sans doute, ne condamnait guère à mort que les accusés dont la participation à la guerre était avérée ; elle était d'ailleurs à la veille de cesser ses fonctions. Comme tous les ressorts trop tendus, ceux de ta terreur à Nantes commençaient à se relâcher, et, dans le courant de messidor (juin-juillet), la plupart des femmes de Bouguenais qui avaient été emprisonnées furent mises en liberté, comme je l'ai déjà dit, par ordre des Représentants Bo et Bourbotte [Note : Registre des arrêtés de Bo et Bourbotte, 12 messidor an II. 30 juin et passim.], auxquels il faut pardonner bien des crimes pour avoir mis en accusation le fameux Comité révolutionnaire de Nantes.

Je pourrais citer encore un certain nombre de meurtres commis sur des paysans de Bouguenais en 1793 et 1794, et dont j'ai relevé les mentions sur les registres de l'état civil, mais ces meurtres peuvent être rangés dans la catégorie des violences qui accompagnent inévitablement les guerres civiles.

Les veuves et les orphelins rentrèrent peu à peu dans la commune, et la pacification de l'an III aida à cicatriser toutes ces plaies saignantes. Néanmoins la tradition de ces événements s'est perpétuée, et une sinistre renommée est restée attachée au nom du Château d'Aux.

Beilver ne guida point le pays, et il continua pendant quelques années d'y faire haïr la république, et peut-être le lecteur nous saura-t-il gré de lui fournir quelques renseignements sur ce personnage.

 

IV

Un mois après les scènes du Château d'Aux, Beilver était dénoncé comme voleur au Comité révolutionnaire de Nantes, par un membre de la Commission civile des subsistances nommé Bachelier [Note : Registre du Comité, 16 floréal an II (Arch. du greffe)]. Une autre dénonciation anonyme suivit peu après ; le Comité crut devoir faire arrêter Beilver, qui fut écroué à la prison des Pénitentes. Le 17 floréal — 6 mai 1794, — deux commissaires du Comité, Vic et Jolly, furent chargés d'une perquisition dans son domicile, cour des Quatre-Nations, à l'Hermitage. Sauf sept à huit couettes, ce qui était beaucoup pour deux lits, et des « pochées de linge » qui furent trouvées, le procès-verbal des commissaires donne à penser que Beilver déposait ailleurs le butin de ses pillagas. Le Comité révolutionnaire considéra néanmoins qu'il y avait lieu de le poursuivre comme voleur [Note : Procès-verbal original. — Registre du Comité, séance du 19 floréal an I (Arch. du greffe)] et l'on sait assez que ce Comité avait de bonnes raisons de se montrer indulgent pour les faits imputés à Beilver. Muscar intervint en faveur de son compagnon d'armes, et il fit à Bachelier, le dénonciateur, de telles menaces que celui-ci crut devoir se présenter au Comité de surveillance de la Société de Vincent-la-Montagne, pour y maintenir son droit de dénoncer les actes « d'usurpation » commis par Beilver, en divers lieux, et notamment le 3 germinal, dans la maison du Bois-Guignardais [Note : Déclaration du 14 prairial an II, au Comité de surveillance de Vincent-la-Montagne (Arch. dép.). Le fait du 3 germinal qui était reproché à Beilver se rapportait évidemment aux scènes de violences dont on a lu le récit].

Beilver fut traduit devant le Tribunal criminel, mais le registre des dépôts du greffe de ce tribunal porte, à la date du 1er thermidor, la mention du retrait de neuf pièces contre Beilver. Pour un accusé de sa qualité, il y avait lieu d'observer les lois de la compétence ; il s'était souvenu qu'il était militaire afin de se faire renvoyer devant un conseil de guerre présidé par Bignon, assisté de David-Vaugeois, deux de ses amis, qui, après la suppression de leur Commission militaire, avaient été nommés juges au Tribunal du deuxième arrondissement de l'armée de l'Ouest. Bien lui en prit d'agir ainsi ; la réaction contre les terroristes commençait à s'affirmer à Nantes, et un sans-culotte, accusé de crimes de droit commun, aurait pu, à ce moment, être traité par le Tribunal criminel ordinaire comme il le méritait.

Bignon et David-Vaugeois le traitèrent au contraire comme un ancien collaborateur, ainsi qu'il appert du texte de leur jugement dont on remarquera les euphémismes : « Le Tribunal, ouï la déclaration du jury, portant qu'il y a eu des voies de fait commises envers différents habitants de la commune de Bouguenais ; qu'il est constant qu'il y a eu différents vols faits à ces mêmes habitants ; que les filles G. et. B. ont été violées ; que Simon Douaud a été assassiné [Note : La seconde liste des habitants tués à Bouguenais impute à Beilver l'assassinat de Simon Douaud, charpentier, tué dans son lit, et le vol de 810 liv. d'argent fait a sa femme], mais attendu qu'il n'est pas constant que Beilver en soit l'auteur, le renvoie, etc. » [Note : Registre du Tribunal criminel militaire, Registre B, 4 thermidor an II — 22 juillet 1794 (Arch. du greffe)].

Le 4 pluviôse an III — 23 janvier 1795, Beilver fut de nouveau arrêté sous la prévention de violences commises dans la commune de Saint-Aignan, à une date dont je n'ai pas trouvé l'indication, mais que je suppose devoir être à peu près contemporaine des faits du Château d'Aux. Il subit un interrogatoire ce jour même et, bien que cet interrogatoire, ainsi qu'un autre qu'il subit six mois plus tard, se rapporte à des faits déjà exposés, j'en transcrirai quelques fragments, parce qu'on y voit percer la vérité au travers des confusions, des dénégations, et des réticences d'un accusé qui se défend.

Interrogé sur l'affaire de Saint-Aignan, Beilver « dit qu'il a connaissance que dix-sept hommes de Saint-Aignan, arrêtés par ordre de la Municipalité, par un détachement qui n'était pas de la garnison du Château d'Aux, furent fusillés, et qu'il les a vus en la prison en revenant de Sainte-Lumine ; dit de plus qu'il ne sait pas si c'était la Municipalité qui les avait fait arrêter. ».

« Interrogé s'il n'a pas pris aux champs, dans la commune de Bouguenais, une grande quantité d'hommes et de femmes, répond que la troupe se porta sur deux colonnes vers Bouguenais, et qu'il fut saisi plusieurs centaines d'hommes et de femmes, qui furent liés et conduits au Château d'Aux ; que Muscar envoya une ordonnance à Nantes pour prévenir la Commission militaire qui se transporta par deux fois, à ce qu'il croit, au Château d'Aux pour les juger, et qu'il en fut fusillé une grande quantité ; que les hommes et les femmes furent jugés par la Commission militaire, les hommes à être fusillés, les femmes, condamnés à tenir prison au Sanitat, au nombre de plus de quatre-vingts. Interrogé s'il n'a pas senti que ces particuliers, répandus dans leurs champs, sans armes, et occupés à leurs travaux, n'étaient rentrés dans leurs foyers que sur la foi de l'amnistie qui leur avait été promise, et s'il a pu se dissimuler qu'en exerçant envers eux le meurtre et l'assassinat ce n'était pas les porter à la vengeance, et provoquer un soulèvement général ? Répond que son devoir se bornait à guider la force armée, et qu'il n'a pas fait autre chose ; ajoute, en parlant de l'ordonnance envoyée par Muscar, qu'il fut envoyé aux représentants du peuple qui, à ce qu'il pense, firent agir la Commission militaire » [Note : Interrogatoire du 4 pluviôse an III. Liasses des Tribunaux militaires. (Arch. du greffe)].

Beilver, interrogé de nouveau, le 5 thermidor an III, « s'il n'a pas commis d'excès et fait fusiller, sans autre forme de procès, Michel Jahan, Pierre Bretagne, Julien Bichon et autres, répond qu'il s'est toujours enfermé dans les bornes de ses fonctions ; qu'il n'était pas nécessaire de mettre la terreur à l'ordre du jour ; qu'elle y était pour lors ; que, s'il a fait saisir des habitants des communes environnant le Château d'Aux, c'est qu'il en avait les ordres, et que, les connaissant pour des brigands, il les désignait comme tels aux colonnes qu'il conduisait ; que, s'ils ont été fusillés, ce n'est pas lui qui en a donné les ordres, mais bien le commandant du Port-Saint-Père, d'après les renseignements qu'il prenait sur leur compte, ou d'après les jugements de la Commission qui siégeait pour lors au Château d'Aux..... que, quand bien même ils auraient été fusillés sur les lieux, il n'en serait pas responsable puisqu'en sa qualité de guide il n'avait aucun ordre à donner à la troupe ». Interrogé s'il n'a point tué Jean Bouyer à l'Epine, commune de Bouaye, répond « qu'il l'a fait conduire au Château d'Aux ; que Clair Bouyer s'évada et que les militaires lui lâchèrent un coup de fusil » [Note : Aucun de ces noms ne se trouve sur les listes dont j'ai donné des extraits]. Ce dernier fait, d'après une note écrite sur l'interrogatoire, serait du 22 mars an II, date qui répond au 2 germinal, c'est-à-dire au lendemain de la première battue dont j'ai donné le récit d'après les notes manuscrites de Verger. Quant aux autres meurtres, dont auraient été victimes François Bretagne et Martin 0llive, et qui auraient eu lieu en vendémiaire an III (sept. et oct. 1794), « répond qu'il a connaissance de ce fait ; que ces deux particuliers furent saisis chez eux avec des fusils, que le commandant du détachement, qui était un capitaine du 8ème bataillon du Bas-Rhin, les fit fusiller à deux cents pas de leurs maisons ». Beilver prétend avoir figuré dans quarante combats, et n'avoir jamais pillé ; d'ailleurs, ajoute-t-il, il a été jugé et acquitté pour tous ces délits.

Beilver échappa cette fois encore à une condamnation, mais nous pouvons le suivre à la trace de ses crimes jusqu'en l'an VIII, époque où le rétablissement de l'autorité lui inspira probablement la sagesse de se tenir tranquille. Que Beilver échappât aux poursuites des juges de ce temps-là qui tous avaient plus ou moins été les complices de la Terreur, cela va de soi, mais ce qui témoigne au plus haut point de la modération et de l'humanité des populations au milieu desquelles il vivait, et dément les accusations de cruauté portées contre elles par les écrivains révolutionnaires, c'est qu'aucun guet-apens n'ait mis fin à une pareille existence.

Beilver, en l'an V, avait une situation officielle, il était capitaine de la garde territoriale de Bouaye, et, le 15 frimaire de cette année, Mathieu, commissaire du Directoire près l'Administration municipale du canton de Bouaye, écrivait à Letourneux, commissaire central du département : « Si j'ai tardé à répondre à votre lettre du 6 frimaire, et à celle du général Avril du même jour, c'est que j'attendais de nouvelles preuves de l'arbitraire de Beilver ; les actes s'en multiplient de jour en jour... Toutes les familles sont dans la crainte et la terreur... Je me réfère à la lettre que vous recevrez demain, elle portera un grand jour sur la conduite de cet homme ». Beilver venait de justifier à point cette appréciation en ordonnant un emprisonnement arbitraire, et Letourneux écrivait aussitôt au général Avril : « Il paraît que Beilver n'est pas vu d'un bon œil dans le canton, et par la conduite qu'il y a tenues et par les souvenirs que son nom rappelle ». Le 1er nivôse an V, Mathieu écrit de nouveau à Letourneux : « Le trop fameux Beilver, las sans doute de la paix qui commence à renaître dans le canton, autrefois le théâtre de ses fureurs, se disant de nouveau chargé d'ordres du général Avril, se permet, depuis quelques jours, à la tête de dix à douze hommes et suivi de trois à quatre chiens courants, dans nos communes où le souvenir du passé répand encore la terreur et l'alarme, d'y effectuer, dit-il, un nouveau désarmement ». Le 20 nivôse an V, Mathieu écrit encore et cette fois pour dire que Beilver retient le prêt des soldats composant la garde territoriale de Bouaye [Note : Ces diverses lettres sont extraites des dossiers de la Police judiciaire an V, L Série (Arch. dép.)].

Ce n'est pas tout: à la date du 6 prairial an V on lit sur le registre du Tribunal criminel : « Affaire contre J. Beilver, prévenu de tentative d'assassinat avec deux ou trois quidams, dans la nuit du 19 au 20 floréal an V, 8-9 mai 1797, chez le nommé Lhommelet au Planty, commune de la Chevrolière, renvoyée devant le tribunal militaire de la Rochelle » [Note : Registre B, f° 23 (Arch. du greffe)]. Beilver était enfermé au Bouffay, et je ne saurais dire quand il comparut devant le Tribunal militaire de la Rochelle, mais l'observation faite par un des administrateurs de la commune de Nantes, le 7 thermidor an V — 25 juillet 1797, montre à quel point on le regardait comme un homme dangereux : « Le nommé Beilver, dit cet administrateur, à qui plusieurs habitants de la Vendée imputent plusieurs crimes, plus atroces les uns que les autres, est détenu dans la maison du Bouffay, et un jury vient de le mettre en état d'accusation... Ce citoyen a choisi pour son conseil le citoyen Coron, ex-procureur [Note : Coron était un des deux ou trois individus exerçant une profession libérale qui avaient accepté de faire partie à Nantes de la fameuse compagnie Marat], et tous deux se promènent dans l'enceinte de cette maison avec autant d'aisance que s'ils habitaient leurs propres demeures ; » or, ajoute-t-il, la prison du Bouffay est peu sûre, et il pourrait s'évader. L'administration arrêta que l'un donnerait sans délai des ordres au concierge du Bouffay pour que Beilver fût mis au secret [Note : Administr. municip. Présidence de Daniel Kervégan, J. M. Dorvo, commissaire du Directoire exécutif (Police judic., série L. Delits, arch. dép.)].

En ce temps de justice républicaine, on put vraiment croire que si Themis portait un bandeau sur les yeux, c'était pour l'empêcher de découvrir les crimes ; Beilver revint dans le pays, et trouva moyen de se faire employer comme espion, par les Administrateurs du Département. Le commissaire du Département écrivait à son collègue de l'Administration municipale, le 7 fructidor an VII (24 août 1799) : « Beilver de Bouaye sort de mon cabinet ; il m'a dit qu'il avait vu entrer aujourd'hui à Nantes plus de quarante chefs de brigands, qui y étaient venus pour se concerter sur le mouvement dont on menace pour demain plusieurs points du département » [Note : Registre de correspondance du Commiss. près le Directoire du pouvoir exécutif. N° 189 (Arch. dép.)].

Le dernier document que j'aie rencontré ou Beilver se trouve nommé est une lettre du Commissaire du Département au général Grigny, pour lui signaler des vols et des exactions de l'ancien camarade de Muscar. « Vous sentez, écrit le Commissaire au général, que les moyens arbitraires font nécessairement des mécontents et peuvent augmenter les troubles dont nous sommes environnés » [Note : Administration centrale. Lettres ; Réquisitions, an IV-an VIII, 7 brumaire an VIII — 29 octobre 1799].

J'ignore à quelle époque et de quelle façon mourut Beilver.

Muscar qui, au dire de Beilver dans l'un de ses interrogatoires, aurait été remplacé au Château d'Aux par un commandant nommé Gauthier, fut nommé général de brigade par Hoche, mais il n'accepta pas ce grade [Note : Mémoire du général Hugo, p. 58]. En 1798, il était encore commandant, et, il se trouvait à Ostende lorsque les Anglais tentèrent de s'emparer de cette place. Muscar, sommé de se rendre, répondit comme un héros : « Vous n'aurez ce poste que quand ma garnison et moi nous serons ensevelis sous ses ruines ». Le général Keller vint, à son secours et les Anglais furent repoussés [Note : Message lu au Conseil des anciens, le 5 prairial an VI— 24 mai 1798. Moniteur, N° 248]. On ne saurait nier qu'en ces temps d'enthousiasme révolutionnaire, la République avait des sectaires qui attendaient d'elle autre chose que des places et de l'argent. Muscar était de la race des Beysser, des Moulin, des Westermann et des Merlin de Thionville, sabreurs cruels et impitoyables qui ne reculaient pas devant la mitraille.

(Alfred Lallié).

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