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L'église Saint-Louis de Brest, de 1815 à 1840 |
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L'église Saint-Louis de Brest, sous la Restauration, avec ses émeutes et troubles religieux. |
L'église
de 1815 à 1840
La
Restauration. — Les émeutes politiques et religieuses.
—
Troubles dans l'église
Le 8 juillet 1815, les Chambres et le Gouvernement provisoire, siégeant à Paris, proclamèrent roi de France le comte de Provence, devenu Louis XVIII. Aussitôt, les membres du Conseil municipal de Brest se réunirent, rédigèrent et signèrent l'adresse suivante, séance tenante : « Sire, vos fidèles sujets composant le Conseil municipal de Brest adressent à Votre Majesté l'hommage de leur soumission, de leur respect et de leur amour. Gardiens naturels du premier arsenal maritime du royaume, ils ont, au milieu de tous les genres d'agitation auxquels la Patrie vient d'être en proie, présenté l'attitude qui convenait à la fois à leur situation et à la sûreté du précieux dépôt des forces navales de Vôtre Majesté ».
On ne pouvait être ni plus enthousiaste ni plus soumis.
Puis, le dimanche 17 novembre 1816, jour désigné avec toute la solennité convenable, pour célébrer l'anniversaire de la naissance du roi et l'inauguration du buste qu'il accordait à la Ville de Brest, la plupart des maisons étaient dès le matin garnies de drapeaux blancs qui flottaient souvent à tous les étages ; et, le soir, la Ville était brillamment illuminée.
« Aucun incident, dit le procès-verbal officiel, n'a troublé cette fête de famille, dans laquelle les Brestois ont proclamé leurs sentiments de dévouement à la personne du roi, qui ne s'occupe que de les rendre heureux ».
Ainsi donc, si l'on en croit ce qui précède, la Ville de Brest aurait accueilli avec joie et reconnaissance la restauration des Bourbons sur le trône de France.
Au fond, il n'en était rien et bien loin de là même. Le nouveau gouvernement allait rencontrer dans les différentes classes de la société brestoise et particulièrement dans la bourgeoisie une sourde opposition et une malveillance non dissimulée.
La paix avait renouvelé la population de Brest. Bien des officiers en demi-solde, bien des soldats libérés des prisons lointaines, bien des Marins gardés des années entières sur les pontons anglais, étaient revenus, aigris, mécontents de leur sort et furieux des désastres de la Patrie. D'autre part, le gouvernement avait replacé, dans leur grade et dans leurs fonctions antérieures à la Révolution, bien des officiers de marine, nobles, émigrés au début de la tourmente, et souvent même il les avait favorisés d'un avancement qui faisait tort aux officiers de la jeune marine, combattants de la République et de l'Empire. Un certain nombre de vieilles familles monarchiques, les unes nobles, les autres établies à Brest par les lettres patentes de haute bourgeoisie décernées par Louis XIV et par Louis XV, avaient quitté Brest, remplacées par ce que nous appellerions aujourd'hui de nouvelles couches ; et une partie de cette population renouvelée n'avait pu traverser le feu de la période révolutionnaire, où il n'y avait plus ni instruction, ni culte, sans s'imprégner quelque peu des doctrines avancées des chefs du mouvement et de leur haine pour la religion catholique. Au fond, la Société des Amis de la Constitution vivait encore, dissimulée sous d'autres noms.
La main de fer de Napoléon avait su comprimer ces tendances pendant l'Empire, mais les mécontentements et les regrets causés par le règne des Bourbons allaient leur permettre de se manifester, grâce à l'appui des sociétés secrètes rayonnant dans tout le royaume.
C'est pourquoi la période de la Restauration fut singulièrement mouvementée à Brest. Les premiers troubles qui s'y produisirent eurent pour siège l'église Saint-Louis avec un caractère nettement antireligieux.
Il y eut, en effet, des missions dans cette église en 1818 et 1819, dont certains Brestois ne voulaient pas. En mars 1818, elles provoquèrent déjà à la paroisse certains désordres qui nécessitèrent la présence d'une garde militaire pendant les sermons.
1-Premiers troubles religieux.
En octobre 1819, les troubles devinrent plus sérieux. Le dimanche 24, à l'issue du sermon, vers neuf heures du soir, une foule d'un millier de personnes s'assembla sous les fenêtres du presbytère, où logeaient l'évêque de Quimper, Mgr. Dombideau de Crouseilhes, et les missionnaires, et cette foule s'y livra à une déplorable manifestation pleine des menaces les plus graves.
Le lundi, les exercices religieux continuèrent, mais en présence des troubles probables, le vicomte de Raismes, sous-préfet de Brest, avait écrit au maire pour l'inviter à prendre les mesures nécessaires au maintien de l'ordre.
Le soir venu, la foule doubla devant le presbytère, et les cris de la veille retentirent plus violents et plus menaçants, sous l'oeil bienveillant de la police impassible.
Le maire et les conseillers restaient invisibles.
Mais, le
lendemain, le Conseil municipal se réunit, et un groupe de pères de famille se
présenta à l'Hôtel de Ville, et il demanda, pour éviter une aggravation de
troubles, le prompt éloignement des missionnaires. Le Conseil partagea leur
avis, et une délégation, présidée par le maire, M. Henry (1816-1819), se
rendit chez l'évêque. Celui-ci, effrayé par les plus sinistres prédictions,
consentit à l'éloignement des missionnaires et adressa au maire Henry la
lettre suivante :
Monsieur
le Maire,
«
D'après l'assurance que vous m'avez donnée, avec tous les membres du Conseil
de la commune, qu'il était impossible de maintenir la tranquillité publique si
les exercices de la Mission avaient lieu ; d'après le voeu d'un certain nombre
de pères de famille et de citoyens paisibles de la Ville de Brest, assemblés
à l'Hôtel de la Mairie, j'ai cru devoir ordonner la suspension de la Mission.
«
Je dois, Monsieur le Maire, déplorer que la principale religion de l'Etat ne
puisse jouir à Brest de la liberté que la charte garantit à tous les cultes
et que cette Ville, qui fut toujours l'objet de notre plus tendre sollicitude,
soit ainsi privée d'un si grand moyen de salut.
«
Je crois vous avoir prouvé, Monsieur le Maire, ainsi qu'au Conseil municipal,
qu'aucune crainte personnelle ne pourrait m'arracher une pareille détermination,
mais lorsque les magistrats de la Ville m'assurent qu'ils ne, peuvent répondre
de la tranquillité publique, je dois, en gémissant, céder à l'impérieuse nécessité
:
« Je vous prie, Monsieur le Maire., d'agréer l'assurance de ma respectueuse considération : P. V., évêque de Quimper ».
Les missionnaires durent quitter la Ville, et le soir même le Tartufe était joué au théâtre aux applaudissements effrénés de l'auditoire.
L'évêque avait cédé par charité, par esprit de paix et par prudence, mais le Gouvernement trouva que la Municipalité n'avait pas rempli ses devoirs et avait absolument manqué de courage en cédant aux premières injonctions d'une émeute.
C'est pourquoi le sous-préfet, taxé de faiblesse, fut appelé à Paris pour rendre compte de sa conduite ; M. Gillart, qui le remplaçait par intérim, reçut l'ordre d'annuler les délibérations du Conseil municipal. Le maire, désavoué et blâmé, fut réduit à donner sa démission. Il fut remplacé par M. Ymbert.
D'autres troubles, mais entièrement politiques, eurent encore lieu en juin 1820, à l'occasion des élections des députés Manuel et Daunou, et, enfin, en août, éclataient de violentes manifestations contre les procureurs généraux Bellard et Bourdeau.
Epouvanté et découragé par tous ces désordres, le maire Ymbert donna sa démission. Il fut remplacé le 3 janvier 1821 par M. Joseph-Marie Kerros.
L'affaire des Suisses. — Deux ans après, surgit, le 30 mars 1823, l'affaire dite des Suisses, grave conflit entre le régiment de Freuller, composé de Suisses, et une partie de la population, qui lui était hostile. Depuis longtemps des rixes se produisaient entre les habitants et les soldats, presque tous les soirs.
Ce jour-là, l'arrestation de quelques individus qui se battaient à l'avancée et sur la place des Portes et qu'on voulait conduire au Château, vers six heures du soir, dégénéra en véritable émeute au cri de : « A bas les Suisses ! ». On jeta des pierres aux soldats, de tous les côtés. Quelques-uns, affolés, firent feu, mais leurs balles n'atteignirent que deux guérites. Les officiers de la place et de la garnison, le maire enfin, s'interposèrent si bien qu'à neuf heures tout était rentré dans le calme.
Le lendemain, 31 mars 1823, M. Kerros adressait aux habitants la proclamation suivante :
«
Habitants de Brest,
« Des scènes
déplorables ont signalé la soirée d'hier. Plusieurs citoyens ont eu à se
plaindre de voies de fait exercées sur leurs personnes. Au mépris de la loi,
l'asile d'un citoyen a été violé, et ce citoyen a été frappé, dans son
domicile même, par la force armée chargée de le protéger.
« Vos magistrats ont pris sur cet acte de violence tous les renseignements
possibles, et vous pouvez compter qu'une justice sévère sera faite des
coupables.
« Soyez donc confiants dans leur sollicitude, écoutez leur voix paternelle et
conservez dans cette circonstance le calme et la sagesse qu'ils ont le droit
d'attendre et dont vous leur avez déjà donné tant de preuves.
« Evitez
surtout avec soin tout ce qui pourrait tendre à troubler l'harmonie qui doit régner
entre les habitants et les troupes de la garnison : votre but est le même,
c'est l'amour du roi et l'obéissance aux lois et aux institutions qui nous
gouvernent.
« Le
Maire, Joseph Kerros ».
Huit jours après, M. Kerros était révoqué et cinq des manifestants furent traduits devant le tribunal correctionnel, qui les condamna à des peines variables.
Les habitants protestèrent, et en témoignage de reconnaissance, ils offrirent au maire révoqué une coupe d'or avec cette inscription :
30 et 31
mars 1823
Les Brestois à M. Kerros, Maire !
On vit succéder rapidement à M. Kerros, MM. Collet, maire par intérim, le Chevalier de La Martre (3 septembre 1823 à 1826), et enfin le baron Barchou, nommé par ordonnance du 16 février 1826.
Pendant ce temps-là, la cure de Saint-Louis avait été occupée par l'abbé Denis-Luc Labous (1818), remplacé en 1826 par M. Joseph-Marie Graveran.
2-Les Missions en 1826. — Fin du règne de Charles X
En 1826, les pères de la Foi organisèrent une Mission dans toute la France. Malgré les événements précédents, qui indiquaient clairement l'état des esprits à Brest, ils n'hésitèrent pas à y envoyer une délégation composée de huit prêtres, sous la direction de l'abbé Guyon.
Le premier sermon eut lieu à Saint-Louis, le 27 août, sans incident. Les sermons se succédèrent ensuite tranquillement, tant à Brest qu'à Recouvrance. Le calme régnait partout, en ville et dans les églises.
Mais, subitement, à partir du milieu de septembre, sur un mot d'ordre des sociétés intéressées, des tumultes répétés éclatent à l'église ; les Pères sont interrompus dans leurs sermons et même pendus ou brûlés en effigie, et tout cela, au nom de la liberté de conscience.
Le 18 septembre, la manifestation fut même si violente, que le mobilier et plusieurs tableaux de l'église furent abîmés et que la police dut procéder à des arrestations.
Au théâtre, ce fut encore pis. Dès le début de la Mission, à chaque représentation, un groupe de spectateurs agités réclamait violemment le Tartufe. Le maire l'avait à peu près promis, mais ni le Gouvernement, ni le préfet, ni le sous-préfet n'en voulaient, si bien que le baron Barchou, s'appuyant sur leur refus, déclara cette représentation impossible.
Aussi, le 12 octobre, comme le maire et le sous-préfet pénétraient dans la loge municipale, une épouvantable tempête se déchaîna. Le maire dut appeler les gendarmes de service, et devant leur impuissance, il fit venir un détachement du régiment étranger de Hohenlohe pour rétablir l'ordre et, au besoin, pour faire évacuer la salle.
Alors, s'engagea un vrai combat : les spectateurs se barricadent avec les bancs et les chaises et du haut des galeries jettent à la tête des soldats tout ce qui leur tombe sous la main. Les soldats, devenus furieux, ripostent à coups de crosse de fusil et la lutte ne cessa que par l'intervention des officiers de la garnison, qui, accourus en foule, calmèrent l'exaspération des hommes et décidèrent la sortie du public.
Celui-ci, groupé sur le Champ-de-Bataille, continua son tapage une partie de la nuit, en huant le maire et le sous-préfet.
Le lendemain, par arrêté du maire, le théâtre fut fermé jusqu'à nouvel ordre.
Quelques jours plus tard, vingt-trois arrestations étaient opérées. Le procès, connu sous le nom d'« Affaire du spectacle de Brest », commencé le 15 décembre, ne se termina que le 12 janvier suivant.
Huit des prévenus furent acquittés, les autres en appelèrent à Quimper. Le 19 mars 1827, le tribunal d'appel, réformant le jugement de Brest, acquittait dix des appelants ; les cinq autres virent leurs condamnations, réduites à un mois de prison, avec, en plus, cent francs d'amende pour l'un d'eux.
Pendant ce temps, la Mission avait pris fin. Mgr de Poulpiquet, évêque de Quimper, était venu la clôturer par la plantation d'une croix sur la place de Saint-Louis. Cette croix fut portée solennellement par dix-huit cents hommes, sans trouble, ni désordre, au milieu du concours de toute la population.
Finalement, le maire fut félicité et conservé par le roi, et le calme rétabli dans la Ville jusqu'en juillet 1830.
Au milieu de ces événements, le conseil de fabrique, réduit à ses propres ressources, avait continué les restaurations de l'église commencées sous le Consulat et sous l'Empire.
Après avoir remplacé la couronne impériale qui surmontait la chaire par l'ange du jugement sonnant de la trompette, il avait terminé la rampe de communion aux vantaux ornés de croix de saint Louis fleurdelisées d'or, en souvenir des chevaliers donateurs de la grille.
Après quoi, il avait décidé la confection d'un catafalque, la restauration des fonts baptismaux, complétés par les colonnes de l'ancien autel de la Vierge. Il avait achevé tous les travaux entrepris par M. Trouille, reconstruit les confessionnaux à moitié détruits depuis la Terreur, et exécuté une foule d'embellissements, trop longs à énumérer, parmi lesquels l'acquisition ou la restauration d'un grand nombre de lustres.
Dans cette même période, l'église avait reçu quelques cadeaux et entre autres une grande toile donnée par le roi Louis XVIII, représentant Moïse faisant jaillir l'eau du rocher. C'est une oeuvre d'un peintre de l'école de Lebrun. Ce tableau, qui n'est pas sans mérite, fut malheureusement détérioré, probablement dans les troubles de 1826, et il perdit son écusson royal en 1830. On lui fit subir, en 1832, une restauration qui coûta 400 francs. Il orne vers 1911 la chapelle de Notre-Dame des Victoires.
Du reste, le changement de règne n'allait en rien modifier l'oeuvre de réparation entreprise à Saint-Louis par le conseil de fabrique et les fidèles de la paroisse.
3-Le Gouvernement de Juillet et Mgr Graveran
La Municipalité et la bourgeoisie brestoise s'accommodèrent fort du gouvernement de Louis-Philippe qui, à certains points de vue, répondait à leurs aspirations. On fêta amplement les trois glorieuses, le retour du drapeau tricolore et aussi le rétablissement de la garde nationale, qui permettait à la jeunesse brestoise de parader en uniforme, de monter la garde, de faire la police de la Ville et surtout de jouer au soldat.
Il y eut des réjouissances et des repas de corps. Et le 26 août 1830, les habitants de Brest offraient, sur le Champ-de-Bataille, aux corps militaires de terre et de mer, un banquet civique de 1.560 personnes, en commémoration des célèbres journées des 27, 28 et 29 juillet et de l'union des sentiments nationaux des départements avec l'immortelle Ville de Paris.
Mais l'enthousiasme des orléanistes fraîchement éclos, et plus orléanistes que le roi lui-même, ne s'arrêta pas à ces démonstrations inoffensives.
Manifestation des fleurs de lis. — Charles X était tombé, Louis-Philippe, son cousin, était au pouvoir. Certains exaltés en vinrent à regarder tous les emblèmes qui rappelaient la dynastie déchue comme dangereux et de nature à exciter des regrets, des récriminations et des troubles. De là, selon eux, la nécessité de proscrire absolument les fleurs de lis, tant dans les monuments que sur les uniformes et les toilettes. Pourquoi même ne pas interdire le port de la croix de saint Louis? Et les armes des Orléans n'ont-elles pas des fleurs de lis?
Par suite, sans réfléchir que dans leur inintelligent fanatisme, ils insultaient à la fois l'art et la vérité historique, ils adressèrent, dès le début d'août 1830, au curé de Saint-Louis, une lettre menaçante l'invitant à faire disparaître de toutes les parties de son église où ils apparaissaient, les écussons et les fleurs de lis rappelant la présence des Bourbons sur le trône de France. Il fallait dégrader les murs et les statues, abîmer le mobilier, souiller les autels et les tombeaux et même détruire à nouveau la grille de communion offerte par les chevaliers de saint Louis à l'église de Louis XV.
L'abbé Graveran. — La situation était difficile, mais le curé de Brest, l'abbé Graveran, était par ses vertus, son caractère, son savoir et ses talents à la hauteur de son rôle.
Joseph-Marie Graveran, né à Crozon le 16 mars 1793, avait fait de brillantes études au collège de Léon. On l'envoya alors pendant trois ans au collège Stanislas et au lycée Napoléon, pour compléter son instruction. Là, il eut pour compagnons de classe, Casimir Delavigne, Salvandy, Casabianca, Trognon, etc., et il y obtint de si brillants succès, notamment au concours général de 1811, que l'empereur lui fit proposer un brevet d'officier d'artillerie en le dispensant de passer par l'Ecole polytechnique. Le jeune mathématicien répondit qu'il avait le désir de poursuivre la carrière ecclésiastique et de répondre ainsi aux vues de son évêque sur lui.
L'empereur, touché de sa modestie, mit, pour toute une journée, à sa disposition, une voiture de la cour pour lui faire visiter les monuments de Paris.
Il fut alors nommé professeur de mathématiques au collège de Léon, puis, au bout de trois ans, l'évêque l'envoya à Paris étudier, à Saint-Sulpice, la théologie et les sciences ecclésiastiques.
Ordonné prêtre, il devint bientôt professeur de théologie dogmatique et directeur du grand séminaire de Quimper.
C'est là que vint le trouver, en juillet 1826, sa nomination à la cure de Saint-Louis, de Brest, la plus importante et la plus difficile du diocèse.
Malgré sa jeunesse, l'abbé Graveran avait déjà donné, lors des troubles de 1826, la mesure de sa charité, de sa fermeté, de son tact et de sa prudence.
Cette fois, il porta plainte au sous-préfet Boëlle, qui lui répondit qu'il avait donné des ordres pour qu'il ne fût, jusqu'à l'arrivée d'instructions supérieures, porté aucune atteinte à la décoration de l'église.
Cependant, après le pillage de Saint-Germain-l'Auxerrois et en présence de l'émotion résultante, le sous-préfet, M. Thiessé, lui demanda par écrit « l'enlèvement de l'église des emblèmes qui n'ont rien de religieux et qui, sans être utiles au culte, peuvent devenir le prétexte de scènes fâcheuses ».
« Il ne peut être question, ajoutait-il, de détruire ou même d'endommager une grille dont les ornements donnent à l'église Saint-Louis une couleur historique. Mais il est indispensable d'enlever au plus vite l'écusson royal du banc-d'oeuvre et celui qui surmonte le tableau donné par Louis XVIII. Ce sont les armoiries personnelles de ces deux rois, aussi déplacées dans l'église que leurs portraits eux-mêmes ».
Le curé fit alors disparaître, pendant la nuit, les écussons désignés, et il fit masquer, par une couche de peinture, l'empreinte des dégradations. On faisait la part du feu, espérant ainsi sauver le reste.
La croix de Mission. — Cependant, les mêmes hommes qui avaient demandé la suppression des fleurs de lis, s'en prirent à la croix de Mission elle-même et résolurent de la faire disparaître de la place, où elle se dressait à côté de l'église. Dans ce but, ils organisèrent une pétition, pour laquelle ils recrutèrent en ville toutes les signatures possibles.
Averti, le conseil de fabrique, présidé par le curé, se réunit le 25 septembre 1830, pour protester contre toute tentative faite pour enlever la croix de mission placée sur un terrain, appartenant à l'église. M. Graveran transmit cette protestation au sous-préfet, en l'appuyant d'une lettre éloquente et émue.
Ce fut en vain. L'autorité civile céda encore une fois à une coterie qu'elle n'osait braver. Et il fut décidé par le maire de Brest que la croix serait enlevée de son emplacement et détruite, sous prétexte de la soustraire aux attaques de la populace irritée.
Quelques jours après, vers six heures du matin, la garde nationale est appelée sous les armes. Le tambour bat le rappel dans les rues de la ville, et les soldats citoyens, fiers de revêtir pour la première fois leur uniforme flambant neuf, se rassemblent. Leurs rangs serrés s'étendent tout autour de la place Saint-Louis et ils y maintiennent avec peine une foule compacte et frémissante.
Un groupe d'hommes s'avance, armés de haches, de cordes, de poulies pour abattre, mutiler, profaner la croix.
Tout à coup, le curé de Saint-Louis, tête nue, se frayant un passage à travers la foule, apparaît, et entourant la croix de ses bras, proteste d'une voix forte et émue contre l'impiété gratuite qui va se commettre. Il déclare qu'il faudra lui enlever la vie, plutôt que de souiller l'emblème du salut. Son éloquence, son émotion, son courage impressionnent les ouvriers. Ceux-ci s'arrêtent, émus, honteux et troublés, et ils consentent à transporter respectueusement la croix dans l'église Saint-Louis, où elle restera exposée à la vénération des fidèles et où elle se trouve encore en 1911 dressée au fond de l'abside.
Le curé Graveran avait ainsi sauvé la croix de toute insulte et de toute profanation, mais il dut se résigner à faire disparaître les fleurs de lis qui en décoraient les bras, et, chose plus cruelle encore, on le contraignit à enlever d'autres fleurs de lis d'or qui complétaient les croix de saint Louis encadrées dans les vantaux de la grille de communion, ce qui constituait une véritable mutilation antiartistique.
Ses ennemis, du reste, ne lui pardonnèrent jamais sa vaillance et ils multiplièrent sous ses pas les ennuis et les tracasseries. Il les surmonta tous avec autant de tact que de sérénité.
A l'occasion même, il sut complimenter avec une bonne grâce exquise et une éloquence touchante le duc et la duchesse de Nemours visitant la ville de Brest.
C'est
pourquoi à la mort de Mgr de Poulpiquet, Louis-Philippe, qui appréciait la
vertu, les talents et le noble caractère du curé de Brest, le choisit-il pour
évêque de Quimper par ordonnance royale du 26 mai 1840.
Dans
cette période, la Ville de Brest avait eu pour maires :
M.
Joseph-Marie Kerros, de juillet 1830 au 5 février 1832 ;
M.
Charles Fleury, du 11 février 1832 au 15 mai 1839 ;
M. François
Lettré, du 2 juillet 1839, devant démissionner en novembre 1847.
Pendant l'administration du curé Graveran, le conseil de fabrique avait été d'une activité sans égale. Il avait augmenté le nombre des lustres et sans compter une foule d'autres réparations, il avait acquis pour l'église un magnifique ostensoir en vermeil du prix de 2.534 fr. 40.
La restauration du maître-autel, le remplacement du tabernacle abîmé, l'acquisition d'une riche croix en vermeil avaient occasionné une dépense de 4.336 francs.
Et puis, il avait fallu refondre la grosse cloche qui était fendue : 3.000 francs.
Toutes ces dépenses n'empêchèrent pas la fabrique d'ajouter de nombreux tableaux : à ceux qui ornaient déjà les murs de Saint-Louis. Cette collection s'enrichit tout d'abord de deux grands tableaux payés 3.000 francs en mai 1840, ensuite vint la toile du Sacré-Coeur 524 francs, l'achat d'un tableau de Cotté 600 francs et, enfin, l'acquisition d'un grand tableau du sieur Blanchard, peintre français résidant à Rome.
Ainsi, chaque génération de fidèles et chaque curé apportaient leur pierre à l'édifice, et après en avoir réparé les ruines, travaillaient à lui rendre son éclat primitif et même à l'embellir davantage.
Mort et funérailles de Mgr Graveran. — Quant à Mgr Graveran lui-même, il inspira bientôt une telle affection à ses diocésains, que ceux-ci, presque à l'unanimité, l'envoyèrent, en 1848, siéger comme député du Finistère à l'Assemblée nationale.
Là, il arriva à une telle considération, qu'après la Mort de Mgr Affre, le nom du prélat breton fut agité dans les conseils du Gouvernement pour siéger à l'archevêché de Paris ; Mgr Sibour fut nommé. Alors, son mandat terminé, l'évêque Graveran retourna à la tête de son diocèse, où il mourut pieusement le 1er février 1855.
En mourant, il avait légué son coeur à son ancienne paroisse, l'église Saint-Louis de Brest. Un service funèbre eut lieu à cette occasion, le 15 février 1855, pour consacrer et célébrer le dépôt du coeur du pasteur dans son église tant aimée.
Cette précieuse relique est renfermée dans le pilastre du collatéral absidial faisant pendant à celui de du Couëdic.
Le monument érigé en l'honneur de Mgr Graveran est en marbre blanc et de style Renaissance. Sur le piédestal sont sculptées les armes de l'évêque, surmontées de la devise : Verbum crucis Dei virtus. Sur cette base se dresse un tronc de pyramide aiguë terminé par une simple croix posée sur une boule. Au sommet de la pyramide apparaît un coeur enflammé, sous lequel sont gravées les trois lettres D. O. M. et plus bas fait saillie, en relief, le portrait de profil du vénéré prélat.
Au-dessous,
on lit l'inscription suivante :
Hic ad
suos redux quiescit amans Cor
Illustriss. et revendiss. Domini Josephi-Mariae
GRAVERAN, Corisop. et Léon. Episcopi
Hanc pie pastor bonus annis XIV rexit ecclesiam
In finem dilexit redamentes in finem,
Congenito Crozone genitus, parochus erexit
« Ici repose, rendu à ses chers paroissiens, le coeur aimant de l'illustre et très révérend seigneur Joseph-Marie Graveran, évêque de Quimper et de Léon. Pendant quatorze ans, il fut le pieux et bon recteur de cette église. Il chérit jusqu'à la fin ceux qui ne cessèrent de l'aimer. Le curé de Saint-Louis, enfant de Crozon comme lui, lui a fait élever ce monument ».
A. DE LORME. Brest, le 18 juin 1911
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