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L'épidémie en 1757

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Documents inédits sur l'histoire de Brest au XVIIIème siècle, relatifs à l'épidémie de 1757.

EPIDEMIE A BREST EN 1757

I

Lettre adressée par l'intendant de la marine, HOCQUART, à l'intendant de Bretagne, LEBRET.

A Brest, le 25 nov. 1757.

J'ai l'honneur de vous prévenir, Monsieur, que le nombre des chirurgiens que nous avons ici ne suffisant pas à beaucoup près au grand nombre des malades que l'escadre de M. le comte Dubois de La Motte nous a apporté (Note : elle arrivait de Louisbourg), j'en demande aujourd'huy dans les villes de Landerneau, Morlaix, Guingamp, Saint-Brieuc et Quimper, et pour cela, je m'adresse à MM. vos subdélégués, à qui je réponds de votre approbation : je me flatte, Monsieur, que vous voudrés bien remplir ma promesse. La circonstance est si pressante, que je n'ai pu me dispenser de recourir aux moyens les plus prompts.

II
Réponse de  l'Intendant.

Le 28 nov. 1757.

J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m'avés fait l'honneur de m'écrire, le 25 de ce mois, par laquelle vous me marqués que le grand nombre de malades que l'escadre de M. Dubois de la Motte a aporté, vous a mis dans la nécessité de demander des chirurgiens dans les villes de Landerneau, Morlaix, Guingamp, Saint-Brieuc et Quimper, ceux qui sont à Brest ne pouvant suffire pour le traitement de ces malades. La circonstance était sans doute assés pressante pour ne perdre aucun moment à vous procurer des secours aussi nécessaires. Je suis persuadé que mes subdélégués n'auront pas manqués d'exécuter les ordres que vous leur avez donné à ce sujet, et je leur recommande d'en user toujours de même, dans les occasions qui pourront s'en présenter à l'avenir. Au surplus, Monsieur, je ne doute pas que vous n'ayés la bonté de procurer aux chirurgiens qui vous seront envoyés des gratifications proportionnées aux services qu'ils auront rendus.

III

DEPREVILLE-MARTRET, Maire de Brest, à l'intendant LEBRET.

MONSEIGNEUR,

Vous avez, j'en suis persuadé, apris par le courier extraordinaire que M. Hocquart a envoyé à la cour, l'arrivée de M. du Bois de la Mothe et de son escadre, à l'exception de deux frégates la Bien-Acquise et l'Hermione, qui se sont séparées par le gros tems, et pour lesquelles on craint beaucoup, si elles n'ont pas pu gagner Rochefort, qu'elles soient ou perdues ou prises des Anglois. Mais vous ignorez peut-être l'état pitoyable dans lequel se trouvent réduits les équipages de cette escadre. Le nombre des malades est si grand que, quelque vaste que soit l'hôpital du Roy, il ne peut en contenir le quart. Dans cette circonstance, M. Hocquart pria les juges et nous de nous rendre à l'intendance, pour lui procurer des endrois pour établir des hôpitaux. Je proposay sur le champ d'abandonner les cazernes de Recouvrance, et de loger les volontaires étrangers chez l'habitant, et de laisser dans les cazernes les lits et toutes les couvertures pour l'usage des malades. On n'accepta pas lors mes offres en entier ; on décida que nos cazernes seroient vuidées des volontaires, et que ceux-ci seroient envoyés aux cazernes de la marine, et que les soldats qui y étoient, seroient envoyés à Quélern et au Maingant, parceque Messieurs de la marine craignoient d'empoisoner leurs cazernes. Cecy fut exécuté dez le lendemain de l'arrivée de l'escadre. On prit aussi, pour en faire des hôpitaux, les cours et église des Carmes et des Capucins, l'hôpital de Recouvrance, dont on a envoyé les pauvres à la Madelène, l'église Notre-Dame et de la Congrégation à Recouvrance, celles des Sept-Saints et de la Congrégation à Brest, et une partie du petit couvent, où l'on a transféré les pauvres de l'hôpital de Brest, où l'on a mis 140 malades. On a aussy pris les jeux de billard et de boule, en un mot tous les endrois où l'on a cru pouvoir mettre des malades, que l'on comptoient hier au nombre de 6,000, sans compter, ou plutôt, indépendamment de ceux qui sont morts ou meurent à tout instant. Tous ces endroits ne suffisant pas, et, pour surcroît, le Saint-Michel, l'Amêtiste et l'Atalente, qui sont de l'escadre de M. de Kersaint, arrivèrent hier au soir, avec aussi des malades et des blessés, par plusieurs canons qui leur sont crevez dans un combat qu'ils ont eu contre un corsaire anglois de 40 canons, qu'ils ont pris, et qui n'est pas encore entré. On nous assembla encore à l'intendance hier au soir, où l'on voulut prendre les deux églises paroissialles de Brest et de Recouvrance. Nous représentâmes qu'il convenoit de prendre tous les bâtiments de la ville, avant de prendre ces églises absolument nécessaires pour le service divin et l'administration des Sacrements. Pour les conserver, je proposay encore de faire déloger, les volontaires des cazernes de la marine, pour les loger chez l'habitant, et faire servir les cazernes d'hôpital. On eut de la peine à y faire consentir Messieurs de la marine. Après cependant beaucoup de contestation, ils y consentirent. En conséquence, je logeray cet après midy les volontaires chez nos habitants, quoique déjà accablés, car, outre ces soldats, il y a plus de six mil matelots, qui se portent bien, ou au moins en état de sortir, qui sont logés chez les habitans, chez lesquels il y a aussy beaucoup de malades. Dieu veuille que le nombre n'augmente pas, et nous préserve de la contagion ! Les médecins et chirurgiens disent que le mal n'est pas épidémique. La plupart a le scorbut, qui est cependant du nombre des maladies épidémiques, et les autres ont les fièvres putrides. Ce qu'il y a de certain est que les pauvres malades meurent pour ainsy dire comme mouches. On doit aujourd'huy bénir deux cimetières, hors l'enceinte des murs, l'un du cotté de Brest, et l'autre à Recouvrance, pour enterrer les morts. De là vous pouvez juger quelle est la situation de ces pauvres malheureux malades. Nous souhaiterions de pouvoir leur procurer quelque autre soulagement. Nous avons fait tout ce qui dépendoit de nous. Nous avons donné nos 80 lits complets et 160 paires de draps. Nous avons fait bannir et exhorter les habitans à porter dans les magasins du Roy des draps et chemises dont on leur payeroit la valleur, car il manque de linge dans les magasins. Jamais on n'a vu, depuis l'établissement de la marine, un si grand nombre de malades. Je me flatte, Monseigneur, que vous ne serez pas fâché que nous ayons livré, pour le besoin pressant, nos effets, et que vous ne désapprouverez les arrangements que nous avons fait et que nous pourions être dans le cas de faire pour le bien commun. Dans cette confiance, nous n'épargnerons rien pour concourir à fournir tous les soulagements que nous pourrons, pour éviter le cours du mal, et les progrès qu'il est intéressant pour la province de prévenir, s'il est possible.

IV

DUVAL–SOAREZ à l'Intendant.

Brest, le 2 déc. 1757. MONSIEUR,

Je reçois à l'instant la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 30 du mois dernier, par laquelle vous me marqués que M. Hocquart vous a prévenu qu'il recevoit, tant de ma part que de celle de la communauté, tous les secours dont il a besoin. Nous n'avons en cela, Monsieur, aucun méritte ; l'humanité seule nous porteroit à faire ce que nous faisons, quand même nous n'y serions pas engagés par état. La situation de ces pauvres misérables faisoit horreur et excitoit la pitié. Vous sentez, Monsieur, qu'il a fallu nous donner des soins pour trouver place à loger 4,000 malheureux, dont il n'a pu entrer que 900 à l'hôpital du Roi. Les casernes, tant des troupes de terre que de la marine, les communautés des Carmes, des Capucins, du petit couvent, leurs églises, celles des pères jésuites, celles des congrégations, des jeux de boules et de billard et nos hôpitaux, ont à peine suffi. Malgré cela, Monsieur, il eût péri un bien plus grand nombre de ces malheureux, s'ils n'avoient eu de secours que de la part du Roy. Je puis dire à la louange du peuple de Brest, qu'il montre en cette occasion toute l'humanité et l'attachement imaginables pour le service du Roi et la conservation de ses matelots, espèce d'hommes rare. Cinquante maisons au moins de particuliers font bouillir la marmite, et font des bouillons et consommés pour ces équipages épuisés et affaiblis par la faim et la misère. Tous les hôpitaux sont continuellement pleins de femmes, qui ne s'occupent qu'à leur porter de bons bouillons, de la soupe, de bon pain, de la viande, de la tisane, des confitures et du vin blanc. Cela est beaucoup supérieur à ce qui leur est fourni par le Roi, dont les soins n'auroient pu suffire pour tant de monde. Quantité même de nos dames se sont consacrées au service de ces pauvres malades, et ne sortent point des salles. Les particuliers mêmes leur fournissent des draps, des chemises, et tout ce dont ils ont besoin. A l'égard de la communauté et moi, nous faisons de notre côté tout ce que notre état et l'humanité exigent, et tout ce que nous voudrions qu'on fît pour nous en pareil cas. Nos soins prospèrent, par la grâce de Dieu, et la mortalité n'est pas aussi considérable qu'il y auroit lieu de le craindre ; la maladie même n'est pas épidémique, et ne se communique pas, à l'exception de celle que les deux premiers vaisseaux, le Bizarre et le Célèbre, avoient apportée. Plusieurs particuliers de la ville l'ont gagnée, et en sont morts ; il y a une quarantaine d'officiers et gardes de la marine malades, mais jusqu'à présent, aucun n'en est encore mort, et la maladie diminue considérablement. Elle eût été beaucoup moindre encore, si on avoit pu mettre à terre les pauvres malades à l'arrivée des vaisseaux. Mais, outre que tout n'étoit pas prêt pour les recevoir, il a fait les trois premiers jours des temps si affreux, que les chaloupes et les canots ne pouvoient naviguer dans la rade, et qu'il n'étoit pas possible d'y porter des secours, ce qui a aggravé beaucoup le mal.

Vous me chargez, Monsieur, des fonctions de commissaire des guerres. Je les ai déjà faites jusqu'à présent, sans attendre vos ordres dans les cas pressés, et j'exécuterai avec zèle ceux que vous me donnez à cet égard. Peut-être les opérations ne seront pas aussi bien faites que je le désirerois, n'étant pas au fait de ce travail. Je ferai de mon mieux.

Faites-moi le plaisir, Monsieur, de me marquer où est le régiment de Languedoc en garnison, afin que je puisse écrire au major, pour répéter quelque argent que j'ai avancé à des soldats partis d'ici avec des billets d'hôpitaux pour rejoindre, et qui n'avoient pas de souliers.

V

Lettre de l'intendant LEBRET à l'intendant de marine HOCQUART.

Le 7 déc. 1757.

Je viens, Monsieur, de recevoir la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 5 de ce mois, par laquelle j'apprends avec peine que le nombre de vos malades n'a point encore diminué, qu'ils continuent à être fort mal, et que les chirurgiens que vous avez à Brest tombent aussi malades de fatigue. Je vais donner des ordres pour vous, envoyer, comme vous le désirez, et le plus promptement qu'il sera possible, des aides et garçons chirurgiens des villes de Rennes, Saint-Malo, Dinan, Nantes, Lorient et Vannes, et je leur ferai payer une conduite convenable pour les mettre en état de se rendre à Brest.

VI
Extrait de la lettre du Subdélégué de Brest.

Du 14 déc. 1757.

La maladie continue plus fortement que nous ne comptions. Il meurt beaucoup d'équipages ; même des officiers et gardes de la marine tombent malades depuis leur retour, et, ce qu'il y a de fâcheux, c'est que la maladie a gagné les chirurgiens, les infirmiers, prêtres et religieux, et même les habitants, dont il meurt un grand nombre.

VII
Le sieur DEMONTREUX à l'Intendant.

Le 14 déc. 1757.

Le mal est épidémique, et les deux tiers de ceux qui approchent les malades, le gagnent. Les soldats de la garnison, qui gardent onze hôpitaux extraordinaires, qu'on a été obligé d'établir, tombent malades. Il en est entré quinze à l'hôpital, du même mal, d'hier à aujourd'hui. Il y a déjà plus de cent chirurgiens de malades, et au moins autant d'infirmiers.

VIII

DEPREVILLE-MARTRET à l'intendant LEBRET. Brest, ce 16 déc. 1757.

J'ai l'honneur de vous informer des arrangements que nous avons pris, de concert avec MM. les Commandants et Intendants et nos juges, pour soulager les malades de l'escadre de M. du Bois de La Mothe, en leur cédant nos casernes et nos chapelles pour servir d'hôpitaux, et en logeant chez les habitants les volontaires étrangers. Nous avons cru que la maladie, qui, à ce que l'on dit, n'a eu d'autres causes que la misère, auroit bientôt cessé par les soins de bonne nourriture qu'on donne aux malades ; mais nous voyons avec douleur qu'elle fait de trop grands progrès pour oser espérer qu'elle finisse sitôt. Notre ville est dans une triste situation ; le mal se communique, et augmente tellement qu'il n'est presque pas de maison où il n'y ait des malades, et en nombre. Quantité d'habitants, par état et charité, se sont dans les commencements portés à servir et soigner les malades des différents hôpitaux, qui sont tombés malades, et ont communiqué par là la maladie à leurs familles et à d'autres qui les vont soigner, en sorte que le nombre des malades est si grand, que les prêtres ne suffisent pour administrer les Sacrements, de jour et de nuit. Il en est quelques-uns morts du même mal, qu'ils ont attrapé. Les chirurgiens ne s'en sont pu garantir. Il en est beaucoup mort. La semaine dernière, on enterra des hôpitaux de Recouvrance seulement 202, et 69 des habitants. On porte deux à trois fois par jour à pleines charretées les morts aux nouveaux cimetières. Dieu veuille arrêter le cours d'une pareille désolation ! Jusqu'à présent, les volontaires ne nous avoient pas été extrêmement à charge : mais ils le sont actuellement si fort, que, du matin au soir, je ne fais que leur changer de logements, parce que, dès qu'il tombe quelqu'un malade dans les maisons où ils sont logés, ils demandent à cris à en sortir, et comme il n'est pour ainsi dire pas de maison où il n'y en ait, c'est un changement continuel, ce qui les gêne, et les habitants encore davantage. Dans cet état, nous ne pouvons espérer de soulagement, si vous n'avez la bonté de me protéger, en nous procurant le changement et renvoi des volontaires ailleurs. Il y a dans ces troupes une grande quantité d'officiers, auxquels j'ai une peine infinie à trouver des logements, par le grand nombre d'officiers de la marine que nous avons ici, et qu'il a aussi fallu loger. La plupart même en ont à l'année, ce qui fait notre difficulté à loger ceux de terre. Nous vous supplions instamment, Monseigneur, de vouloir bien écrire à MM. les commandants de la province, pour nous obtenir ce changement. C'est la grâce que nous espérons de votre bonté pour nous.

IX
Mémoire sur l'Epidémie.

A l'arrivée des vaisseaux, on versa pêle-mêle les malades dans treize hôpitaux différents, les regardant pour la plupart comme scorbutiques, ou gens qui, ayant beaucoup pâti, n'avoient besoin que de bons aliments, de linge et autres secours qu'on ne pouvoit leur donner sur les vaisseaux. Mais on n'a pas tardé à s'apercevoir qu'il régnoit une maladie que l'on caractérisera du nom que l'on voudra. Voici à peu près comme elle prend. Lorsque l'on se croit dans la meilleure santé, soit qu'on soit en convalescence, ou chargé de secourir les malades, on est pris tout à coup d'un frisson entre les épaules, d'une douleur aigüe à l'orifice cardiaque et l'estomac, la langue devient sèche, comme si on l'avoit grassée sur des charbons ardents, on ressent une douleur insupportable à la tête, au-dessus des sinus frontaux ; tous vomissent une bile porassée, et sont fatigués d'une toux convulsive, surtout dans le redoublement, à la fin duquel quelques-uns suent, ce qui est d'un fort bon augure. Quelques-uns sont d'un abattement général, et ressentent des douleurs très aigües aux reins et aux jambes ; ordinairement le délire prend du 4 au 5 de la Maladie, et plusieurs vomissent des vers. Tous ceux qui ont eu le bonheur d'être secourus à temps ressentent du soulagement des saignées de bras et de pied, de même que des effets des eaux de casse, avec la manne et le sel de Glober, et quelquefois aiguisés de quelques grains de tartre stibié, le tout secondé d'une boisson légèrement aciduleuse, soit de décoction de tamarin, de gelée de groseilles ou de limonade. Je parle pourtant ici de tous ceux qui ont contracté la maladie au service des malades ; car, des convalescents des hôpitaux, peu s'en retirent, à moins qu'il ne leur survienne une hémorragie par le nez, ce qui a toujours paru une crise salutaire.

Par l'ouverture des cadavres faite dans les différents hôpitaux, on a trouvé à la plupart les poumons gangrenés, de même que l'estomac et les intestins, et à tous un sang dissous et sans nulle consistance, à quelques-uns même, le velouté de l'estomac détruit, et le conduit intestinal rétréci contre nature en certains endroits.

L'air des hôpitaux est si infect, que presque toutes les plaies y deviennent gangreneuses. La plupart des chirurgiens-majors et les trois quarts des aides sont malades ; la majeure partie des religieux de la Charité, ainsi que des dames de Saint-Thomas, ont le même sort. Les religieux carmes, capucins et jésuites n'en sont point exempts ; les infirmiers n'y résistent pas huit jours, et, ce qu'il y a de plus affligeant, c'est que les hôtesses chez lesquelles plusieurs marins se sont retirés, ne les envoient aux hôpitaux que lorsqu'ils sont sans connaissance, et hors d'état de recevoir aucun secours. On s'aperçoit pourtant que depuis quelque temps le mal est moins vif, et, sans vouloir donner d'avis, l'on pense que, s'il étoit possible d'établir momentanément un hôpital de convalescents dans les terres, il en résulteroit plusieurs avantages : 1° plusieurs convalescents qui restent aux hôpitaux, ne pouvant s'en retourner chez eux par la grande faiblesse, n'y retomberoient pas malades ; 2° c'est que si le mal se communique, comme il y a toute apparence, ils risqueroient moins de le porter au loin ; 3° c'est que la dépense seroit la même, puisqu'on leur donne chez leurs hôtesses la subsistance en nature, soit en pain, vin et viande, dont la plupart usent mal ; ces gens sont volés ; l'hôte et l'hôtesse se découchent par l'appat du gain et tombent malades, et n'envoient les marins aux hôpitaux que lorsqu'ils sont hors d'état d'être secourus, comme on l'a dit plus haut, et tous dépérissent. La propreté des rues, où la plupart de ces malheureux se traînent pour leurs besoins, de même que la propreté dans les maisons, et les parfums ne devroient point être négligés.

J'oubliois d'observer que la plupart ont des parotides qui ne viennent que difficilement à suppuration. Les vésicatoires produisent des effets surprenants, surtout lorsque les malades ont le bonheur d'être soignés et évacués dans les commencements.

La plupart des habitants se retirent, moyennant les secours indiqués par l'art, et c'est à tort qu'on prend l'alarme.

X

Extrait d'une lettre de sieur DEMONTREUX
à l'intendant LEBRET.

Le 19 déc. 1757.

Je puis vous dire ici qu'il ne meurt point autant de monde qu'on le publie. De 400 malades qui ont été commis à mes soins, il n'en est mort jusqu'ici que 22. Il est vrai que nous avons 12 infirmiers malades, 4 garçons chirurgiens, le sieur Lainé, de Landerneau, et 4 religieuses. Mais j'espère qu'ils s'en retireront tous. De 25 soldats qui sont tombés malades subitement en deux jours, il n'en est pas un qui ne donne l'espérance. Je vous observe, Monseigneur, qu'ils sont séparés du reste des malades, et que M. de Gonidec a donné des ordres bien précis pour éviter le mélange.

XI

L'intendant LEBRET à M. HOCQUART.

Rennes, le 21 déc. 1757.

Je reçois les deux lettres que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 19 de ce mois, par lesquelles vous me demandez un médecin de Rennes, et encore de nouveaux secours de chirurgiens. Je ferai de mon mieux pour vous aider. Mais je ne prévois pas que je puisse trouver beaucoup de monde sans trop dégarnir les villes ou les campagnes. J'ai eu l'honneur de vous l'annoncer par ma lettre du 19 de ce mois, et j'ai mandé ce matin à M. de Saint-Florentin que je ne voyais pas de meilleur moyen de vous secourir, que de vous envoyer des médecins et des chirurgiens de Paris. Je vais cependant faire assembler les chirurgiens de Rennes, et le collège de médecine, pour tâcher de vous envoyer provisoirement du monde. Plus je vois la maladie gagner ceux qui approchent les malades, plus je crains pour les habitants qui en ont chez eux. Le renvoi des convalescents me paraît encore une chose fort dangereuse, et je croirois que le plus sûr seroit d'abord de retirer tous les malades qui sont chez les habitants ; de former un hôpital particulier, qui fût uniquement destiné pour les convalescents, afin de ne les laisser se répandre dans la province que lorsqu'on seroit bien assuré de leur guérison.

XII
Bureau des Hôpitaux de Quimper.

Du mercredi 21 déc. 1757.

Monseigneur l'Evêque de Quimper, comte de Cornouailles, préside.

Sur ce qu'il a été remontré par le sieur Bonnet, administrateur de l'Hôtel-Dieu de Sainte-Catherine, qu'il y a dans ledit hôpital une si grande quantité de malades, tant soldats que matelots, que tous les lits sont remplis ; qu'il est cependant à la connaissance publique qu'il arrive journellement en cette ville des matelots venant du port de Brest, qui sont à l'extrémité, qu'il est de la charité et de l'humanité même, de pourvoir d'emplacement pour retirer ces matelots malades, et tacher de procurer la santé à des sujets aussi nécessaires pour le service du Roi et de l'Etat, que d'ailleurs il est très-intéressant pour le public et les habitants de cette ville de prendre des précautions pour prévenir ce qui pourroit causer la contagion.

Le Bureau a délibéré qu'il sera apporté les secours les plus prompts et les plus utiles pour retirer dans les hôpitaux de cette ville ceux des matelots passagers venant de Brest, qui sont hors d'état de se rendre aux lieux de leur destination ; que les administrateurs, aidés des charités que Monseigneur l'Evêque veut bien augmenter et renouveler en cette circonstance, feront tout ce qui dépendra d'eux pour procurer le plus prompt soulagement que faire se pourra, et pour faciliter les soins que l'on peut apporter, et les logements nécessaires. Le Bureau est d'avis que les soldats et dragons en quartier en cette ville, qui sont malades, et qui seront ci-après dans le cas d'être mis à l'hôpital, seront transférés à l'hôpital général de Saint-Antoine, pour y être traités et soignés de la même manière, aux mêmes conditions et conventions qu'ils l'étoient dans l'hôpital de Sainte-Catherine ; qu'au même hôpital de Saint-Antoine seront mis aussi les malades de la ville qui seront jugés être dans le cas d'avoir besoin de l'hôpital, de façon que tous les lits d'homme qui sont actuellement à Sainte-Catherine, seront réservés pour lesdits matelots ; qu'il sera de plus placé auxdits hôpitaux le plus grand nombre de lits que faire se pourra, auquel effet Monseigneur l'Evêque veut bien faire procurer aux­dits hôpitaux les lits nécessaires, et, pour subvenir à cette bonne oeuvre, engager les communautés qui donnent les retraites en cette ville, à fournir les lits dont on aura besoin. La présente délibération prise en présence de M. de Croonembourg , commandant des troupes étant dans ces quartiers.

XIII

Extrait d'une lettre de maire DEPREVILLE-MARTRET
à l'Intendant.

Brest, le 23 déc. 1757.

Tous les hôpitaux ne pouvant contenir le nombre de malades que l'on portoit aux portes des hôpitaux, et que l'on laissoit sur le pavé, les uns par esprit de charité, d'autres peut-être par intérêt, en on fait transporter chez eux. Les premiers jours, on s'empressoit à l'envi à secourir ces pauvres misérables dans les hôpitaux. Plusieurs en sont tombés malades, et ont communiqué le mal à leur famille. Il a fait de si grands progrès que nos prêtres ne peuvent suffire à administrer les Sacrements et enterrer les morts. Il y en a sept sur le grabat, et deux morts. On a envoyé demander au seigneur évêque des prêtres ou religieux. Il manque aussi des infirmiers dans les hôpitaux. Personne n'y veut aller, en sorte que M. Hocquart a été obligé de prendre 58 forçats, condamnés pour désertion ou faux-saunage, pour servir dans les hôpitaux, et leur a promis la liberté entière à la fin de la maladie, qui a paru être diminuée dans les hôpitaux, parce que le nombre des malades y diminuoit ; mais c'étoit par la mort, et les convalescents que l'on renvoyoit, et qui se réfugioient en ville chez l'habitant, et c'est ce qui a augmenté le mal, au point d'autant plus fâcheux, qu'il y eut hier seize enterrements d'habitants, seulement du côté de Brest, sans compter quatre à cinq charretées que l'on transporta au cimetière hors ville, et les morts du côté de Recouvrance. On fait cependant les derniers efforts pour devoir arrêter le cours de cette maladie. Nous prîmes, mercredi dernier, une délibération à la communauté, où assistèrent MM. le comte de Gonidec, notre commandant, et Duval-Soarez, notre sénéchal, pour faire faire par les commissaires et capitaines des quartiers une visite exacte dans toutes les maisons indistinctement, pour savoir le nombre et qualité des malades, et leur situation, afin de les renvoyer aux hôpitaux, à l'exception du mari, de la femme et des enfants, que l'on ne peut guère arracher à leur famille, pour par là diminuer, et peut-être arrêter le cours du mal qui, si Dieu n'a pitié de nous, pourra dégénérer en une véritable contagion. Le temps sec que nous avons depuis deux à trois jours pourra purifier un peu l'air. Dieu veuille que cela soit, et qu'il continue. Nous avons si peu de prêtres, qu'un seul fait plusieurs enterrements avec un choriste, et chante les messes. S'il ne nous vient pas quelques prêtres, l'office de Noel sera borné à la célébration des messes seulement. La maladie commence aussi à se répandre dans la campagne, et on n'en doit pas être surpris. Il y a dans le port quantité d'ouvriers qui ont soigné les malades aux hôpitaux, et quand ils se sont trouvés attaqués de la maladie, ils se sont retirés chez eux à la campagne, ce qui fait que l'on commence à craindre de venir en ville, et les denrées diminuent. Nous ferons tout ce qui dépendra de nous pour dissiper cette crainte. Ou vient de m'assurer que notre seigneur évêque doit être ici dimanche avec un cortège de prêtres, pour faire l'ouverture du pardon de Quarante Heures, qu'il a ordonné par un mandement qui fut lu et publié mercredi dernier.

XIV

Extrait d'une lettre de l'intendant HOCQUART
à l'intendant LEBRET.

Brest, 23 déc. 1757.

Le nombre de nos malades n'est plus si considérable : la mortalité diminue dans nos hôpitaux, et nous faisons tous les jours sortir nombre de convalescents. J'ai bien pensé, comme vous me faites l'honneur de me l'observer, qu'il seroit essentiel d'établir un hôpital particulier pour les convalescents : je destine à cet usage les casernes de la marine ; mais notre situation n'a pas encore permis de perfectionner ce salutaire arrangement. On me fait cependant espérer qu'il pourra l'être dans peu de jours. Quant aux gens que l'on a trouvés morts le long des chemins, je suis en état de vous assurer que le nombre en a été très-petit, et j'ajoute que le refus que l'on a fait dans les auberges de Landerneau et ailleurs, de recevoir en payant nos convalescents trouvés morts, a bien pu contribuer à ces accidents, et c'est pour arrêter un pareil désordre que j'en ai écrit à MM. vos Subdélégués à Landerneau, Landivisiau et Morlaix.

J'ai rendu compte à M. de Moras de la disette où nous nous trouvons de chirurgiens, malgré les secours que vous m'aviez procurés de la province. Si, dans cette circonstance critique, j'avois trouvé partout les sentiments dont vous êtes animé, Monsieur, je me flatte que j'aurois sauvé à l'Etat un grand nombre de ces hommes, dont l'espèce lui est si précieuse.

XV
Le sénéchal DUVAL-SOAREZ à l'intendant LEBRET.

Brest, le 26 déc. 1757.

J'ai reçu hier la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 23. Je l'ai communiquée à M. Hocquart, et en conséquence, nous eumes l'après-midi une assemblée pour délibérer sur les moyens d'établir un hôpital de convalescents dans les environs de cette ville, et après avoir jeté les yeux sur différents endroits, nous n'en trouvames point de plus grand ni de plus convenable que Le Folgoet, maison appartenant aux pères jésuites, située près Lesneven. Nous examinames les moyens les plus prompts pour mettre ce lieu en état de recevoir les convalescents ; mais l'éloignement du lieu, distant de près de cinq lieues de cette ville, l'obligation de transporter cinq ou six cents lits, des vivres, une pharmacie, des médecins, chirurgiens et infirmiers, et tout ce qu'il faut pour pouvoir soigner les hommes qu'on y enverroit, le transport même des malades par un long et fort mauvais chemin, tous ces préparatifs ne nous parurent pas pouvoir être terminés avant quinze jours ou trois semaines. Les Recollets de Landerneau, ainsi que l'hôpital de Saint-Renan, ne nous parurent pas convenables, le premier, égard aux approvisionnements du munitionnaire, auquel cela pourroit faire tort, et le second étant extrêmement petit, en sorte que, tout bien considéré, nous nous arrêtames au parti suivant : 

Nous avons ici des billards, où nous avons mis des malades. Comme ce lieu se trouve actuellement presque vide, il a été arrêté qu'on travaillera dès aujourd'hui à le vider entièrement. On le parfumera et enduira d'eau de chaux ; on brûlera les pailles des paillasses, on échaudera les couvertures et les draps ; cela fait, on y mettra les véritables convalescents, qui pourront y être au nombre de quatre-vingts ; on videra ensuite les casernes de la marine, dont on reversera les plus malades dans les autres hôpitaux ; on y fera la même opération qu'aux billards, après quoi on y établira pareillement les convalescents. Les deux endroits pourront en contenir un peu plus de quatre cents.

Voilà, Monsieur, le seul parti que nous ayons trouvé le plus convenable, auquel je joins de la part de l'Assemblée une prière instante pour vous, de nous faire passer, le plus tôt qu'il vous sera possible, des médecins, chirurgiens et aides, dont nous avons un très-grand besoin, en ayant beaucoup perdu, et beaucoup de malades.

La maladie continue à faire ravage chez l'habitant ; elle gagne considérablement, et l'on en enterre journellement un très-grand nombre. Voici à peu près le nombre des morts depuis le 4 novembre dernier, jusqu'au 23 de ce mois inclusivement : gens de l'escadre, 1,360 ; habitants, 247, tant hommes que femmes, filles, prêtres, religieux, chirurgiens et infirmiers, et depuis le 23, il en est mort encore beaucoup. La terreur se répand dans les campagnes. J'ai commandé environ 300 hommes des paroisses circonvoisines pour venir travailler dans le port, où il manque de journaliers ; je reçois à ce sujet des représentations des habitants des campagnes, qui craignent de venir en ville, de sorte que je serai forcé pour le bien du service d'agir de rigueur contre les rebelles, et je me flatte que vous l'approuverez.

La consternation commence aussi à s'emparer des habitants de notre ville. Chacun y perd un parent ou un ami. Si Dieu ne nous secourt, il est à craindre que la contagion ne devienne générale, quoique nous voyons jusqu'à présent qu'il n'y a guère que les personnes qui ont eu des malades chez eux, ou qui les ont soignés dans les hôpitaux, qui ayent gagné la maladie.

XVI

Extrait d'une lettre du sieur DEMONTREUX
à l'Intendant.

Brest, le 27 déc. 1757.

Journellement cela va toujours de 30 à 40 morts par vingt-quatre heures, entre tous les hôpitaux, celui de la marine compris. Mais le mal devient plus grave vis à vis les habitants, et j'entrevois, si cela continue, que nous serons bien à plaindre. Nous avons perdu trois chirurgiens chargés en chef d'hôpitaux, et plusieurs aides. Les malades de la garnison ont considérablement augmenté. Le 10, nous n'avions que 39 malades, nous en avons 100. Tous mes garçons ont été au mouroir. Je tiens encore, mais c'est tout ce que je puis faire. Je n'ai perdu qu'un seul soldat jusqu'à ce jour, et tous me donnent des espérances. L'aumônier, la supérieure et cinq religieuses qui ont été au mouroir, se tirent, de même que le sieur Lainé.

XVII

Extrait d'une lettre du maire DEPREVILLE-MARTRET
à l'Intendant.

Le 28 déc. 1757.

Le nombre des malades est si grand, que le bon Dieu sort trente et quarante fois par jour, ce qui a tellement fatigué nos prêtres, qu'il n'en reste que cinq ; les autres sont morts ou mourants. On en a demandé au seigneur évêque, mais il n'en est encore venu aucun. Ils ne veulent pas y venir, de peur de la maladie. On avoit annoncé que le seigneur évêque devoit venir ici dimanche dernier, avec un grand nombre de prêtres, pour faire l'ouverture du pardon des Quarante Heures. Il n'y est cependant pas venu : la même crainte l'a sans doute retenu. On enterra lundi M. l'abbé Chambellan, grand vicaire de Léon, qui demeuroit ici, lequel, tant qu'il a pu résister, n'a pas quitté les hôpitaux, servant lui-même les malades, et leur donnant tous les secours spirituels et temporels.

Il est mort beaucoup d'habitants de différents états. On en compte, depuis le 1er jusqu'au 24 de ce mois, du côté de Brest, 180, et de celui de Recouvrance, 220. Depuis ce jour, jusqu'à celui, il en est encore mort plus de 40 de chaque côté, puisqu'il y a 15, 16, jusqu'à 20 enterrements par jour de chaque côté ..... 

Il nous arriva hier un médecin de Paris, qui a déjà attiré d'avance la confiance du public, qui le regarde comme un envoyé du Ciel pour arrêter le cours du mal. Dieu veuille que cela soit ! mais nous espérons plus du souverain médecin.

Le régiment de Lorraine partira demain pour se rendre à Landerneau, et les volontaires étrangers entreront au Château, ce qui soulagera infiniment nos habitants, qui en sont accablés... Plusieurs volontaires, profitant du trouble des familles où ils étoient logés, ont enlevé le peu d'argent qu'il y avoit dans les maisons, et les hardes de leurs hôtes. Quand je me suis plaint, on m'a dit que ces soldats ont déserté, satisfaction peu satisfaisante pour des pauvres habitants qui perdent. Il y eut hier 23 enterrements d'habitants.

XVIII
Les Officiers municipaux de Lorient à l'intendant LEBRET.

Lorient, le 28 déc. 1757.

La communauté se trouve dans un cas fort embarrassant. Il arriva ici de Brest deux matelots de l'escadre de M. Dubois de la Mothe. Ils se présentèrent dans une maison pour y loger. Ces gens paraissent malades, et dirent d'où ils venoient : on leur refusa le logement. Ils prirent le parti de se rendre au Port-Louis : l'un d'eux mourut mettant pied à terre. Il est arrivé un troisième des mêmes équipages qui est tombé dangereusement malade. Il a été visité par les médecins, qui l'ont trouvé dans un état dangereux, et que cette maladie se pourroit communiquer et être contagieuse. On ne peut pas, dans cet état, le mettre à l'Hôtel-Dieu, ni le laisser dans la ville. Cependant l'on prend des précautions pour mettre ce malade à l'écart. Comment, Monseigneur, la communauté, chargée par état de la conservation de la santé, doit-elle se conduire, et qui payera les dépenses nécessaires ? Outre qu'il y a plus de 20 soldats malades à l'Hôtel-Dieu, et que le reste des lits sont occupés par ceux de la ville, il y aurait à craindre la communication de cette maladie. La communauté attendra vos ordres.

XIX

Lettre de M. DE GONIDEC à l'Intendant.

Le 1er janv. 1758, Brest.

Nous vous sommes très-obligés de nous avoir envoyé un secours de médecins et chirurgiens. Ceux d'ici sont la plupart malades, et l'autre partie morts... Cette contagion commence à s'étendre dans la campagne. Je vous supplie de donner vos ordres pour que les vivres ne manquent pas dans cette calamité.

XX
Extrait d'une Lettre de Brest.

4 janv. 1758.

Il y a ici un nommé M. Desfeux, de Rennes, ayant la survivance du chirurgien major de Marbeuf, qui s'est réclamé de vos parents. Ce monsieur est fort mal ; il a offert jusqu'à 6 livres par jour pour se faire soigner dans une maison particulière. On n'a pu lui trouver une chambre. M. de Villeneuve, qui a le détail des hôpitaux établis dans les casernes de Recouvrance, lui a fait, à votre recommandation, ajuster un petit appartement, le plus commode qu'il lui a été possible. Il a environ 150 livres en or, une montre et quelques effets. Il a remis le tout au sieur Villeneuve, pour obvier au pillage. Comme, nous ne prévoyons pas qu'il puisse guérir, vous aurez la bonté de me marquer si je recueillerai ses effets pour les remettre à sa famille.

 

XXI

Billet du sieur BOYER, médecin et chevalier des Ordres du Roi (Note : Nous donnons comme curiosité ce billet, dont nous conservons l'orthographe. L'intendant avait envoyé de Nantes 50 médecins, chirurgiens ou infirmiers).

M. Boyer à l'honneur de mander à M. Hocquart qu'il vient d'ariver un des chirurgiens des deux qu'avoit promis M. Lebret, qu'ils partiroient de Nantes. Il n'a point entendu parlé de médecin qui dust arivé. Il nous a dit au contraire que la communauté des chirurgiens sétoit assemblée, et avoir arrêté qu'aucun maître ne partiroit, ce qui ne, seroit pas un grand mal. Car nous n'en avons pas besoing, il ne nous faut que des aides et quelles que apoticaire. S'il est encore temps, M. Boyer prie M. Hocquart d'envoyer ce bultin à M. Lebret, à qui il a eu l'honneur d'écrire ce matin, mais il ne savoit pas encore l'arrivée du chirurgien de Nantes.

A Bresle, à midy trois quart. Ce 2 janvier 1758. Nous venons du bagne et des jésuites.

XXII

Lettre du sieur DE LA BOUJARDIERE fils, docteur-médecin,
à l'Intendant.

Le 2 janv. 1758.

…. Nous avons été l'un et l'autre destinés pour l'hôpital royal de la marine, où nous avons par chaque jour environ neuf cents malades à voir : encore y en a-t-il presque un aussi grand nombre qui ne sont point visités, faute de médecins. De quatre qui étoient à Brest, lors de notre arrivée, il y en a trois de malades, dont deux à l'extrémité. Nous n'avons rien à ajouter au dernier exposé qu'on vous a fait de la maladie. C'est une fièvre putride maligne, qui se communique très-facilement presque à tous ceux qui environnent les malades. La maladie est très-répandue dans la ville, et y semble plus dangereuse que dans les hôpitaux, si nous en jugeons par la multitude des convois, et par les malades qu'on nous apporte dans les hôpitaux tous les jours, qui sont alors presque toujours sans ressource, faute d'avoir reçu les secours nécessaires dans le principe de leur mal. Il est vrai que l'habitant manque de secours, vu que les hôpitaux qui sont multipliés occupent tous les médecins et chirurgiens, et encore n'y en a-t-il pas pour cet ouvrage un nombre suffisant.

XXIII

Lettre du sieur BOYER, médecin ordinaire du Roi, à l'Intendant.

Brest, le 6 janv. 1758.

Ce que vous me faites l'honneur de m'annoncer dans votre lettre du 4 me fait beaucoup de plaisir, de même qu'à M. de Courcelle (médecin en chef de la Marine). Ce surcroît d'aides-chirurgiens et de médecins de différents endroits feront un grand bien, et accéléreront la fin du progrès de la maladie, et opéreront la guérison de quantité de malades de la ville, dont on ignore l'état, jusqu'à ce qu'ils soient près de mourir, et cela, sans avoir pu encore y mettre ordre, par la répugnance qu'ils ont pour les remèdes, qui leur fait cacher leur maladie, qu'on n'apprend que par l'église, à laquelle ils n'ont recours qu'à l'extrémité. J'espère qu'il en sera bientôt autrement, par les arrangements qui ont été pris d'envoyer aux hôpitaux de la marine les malades du peuple, qui croupissent chez eux dans l'ordure.

Je vous suis obligé, Monsieur, de la bonté que vous avez eue d'écrire à M. le comte de Saint-Florentin (Ministre de la maison du Roi) ; j'ai l'honneur de lui écrire à tous les ordinaires. Il nous est arrivé déjà plusieurs aides-chirurgiens de Nantes, la plupart desquels sont des enfants, sur lesquels on ne peut pas beaucoup compter ; mais les circonstances ne permettent point de refuser personne.

XXIV

L'intendant LEBRET à M. BOYER.

Rennes, 6 janv. 1758.

……. Il arriva vendredi ici six chirurgiens de Paris. Je n'eus que le temps, avant le départ du courrier, d'en donner avis à M. Hocquart. Il en partit quatre le même jour, pour continuer leur route. Les deux autres étant trop fatigués ont été obligés de rester à Rennes jusqu'à ce matin qu'ils sont aussi partis. Mais ne pouvant plus supporter la poste, ils iront à journées réglées. Je compte aussi vous envoyer quelques garçons apothicaires, tant d'ici que de Nantes.

XXV

Le sieur GELEE DE PREMION à l'intendant LEBRET. Nantes, le 8 janv. 1758.

Je n'ai reçu que le 6 de ce mois la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 3, sur l'envoi à Brest des médecins et chirurgiens de Nantes. J'en fis part aussitôt aux chefs de ces deux corps, ainsi que de celle du 5 au même sujet, par laquelle vous retranchez les quatre maîtres chirurgiens, comme n'étant pas nécessaires, et vous demandez quatre garçons apothicaires... Les deux plus faibles sujets de la Faculté, peu riches, et chargés chacun d'une femme et de cinq à six enfants, s'étant proposés, la Faculté les avoit choisis. Mais les membres les plus distingués s'en repentirent, en considérant l'importance du service, l'honneur du corps et l'intérêt des deux sujets. Ces deux messieurs avoient été avertis par mois dès le 4, qu'ils devoient être prêts à partir le 6 à midi. Ce même jour, à midi et demi, je leur propose de partir sur le champ ; ils répondent que ce ne peut être que le lendemain, et, quoique j'en paroisse révolté, ils persistent. Je m'en plains au doyen ; je lui représente que cette lenteur annonce fort peu de diligence dans la route, quoique elle doive être faite sans s'arrêter, et je le prie de substituer MM. du Plessis et Mailhos, non mariés, habiles et dans l'aisance. Ces deux derniers me viennent trouver à trois heures, me promettent de ne faire aucune pause, et partent à cinq heures du même jour.

Les chirurgiens partirent à quatre heures ce même jour, sur des chevaux de poste que je leur fis donner. Je n'ai pu en rassembler plus de dix, quelques peines que j'aye prises. J'avois arrêté quatre jeunes maîtres, qui faisoient le nombre de trente-six ; mais votre lettre du 5 me les a fait abandonner. Je n'ai pu déterminer aucun maitre apothicaire à faire le voyage. Il ne s'est trouvé dans cette ville que quatre garçons de cette profession. La pharmacie est peu considérable ici ; elle est partagée par les chirurgiens et les épiciers. Un de ces garçons s'évada, sur l'avis qu'il eut de se rendre devant moi. Je le fis chercher toute la nuit. Il étoit sorti de la ville, et parti pour Paris ; je m'en suis assuré. Je n'ai pas cru devoir le faire arrêter dans la route : cela eut occasionné des frais, et il seroit sans doute arrivé trop tard à Brest...

XXVI

BULLETIN du 9 Janvier 1758.

Matelots malades aux différents hôpitaux : 2.398

Malades chez les particuliers : 528

TOTAL des Matelots malades : 2.926

Morts aux différents hôpitaux : 20

Morts chez les particuliers : 2

TOTAL des Matelots morts : 22

  Habitants morts (dont 9 femmes et 11 enfants) : 27

TOTAL des Morts : 49

XXVII

L'intendant LEBRET aux Maire et Echevins de Brest.

Le 13 janv. 1758.

Je viens d'être informé qu'il règne dans les rues de Recouvrance une si grande saleté, qu'elle y forme une espèce de cloaque, qui ne peut être que très-nuisible à la santé, surtout dans les circonstances présentes. Comme il est très important d'y remédier au plus tôt, je mande à mon subdélégué à Brest de veiller à ce que ces rues soient tenues propres, et je vous prie de ne pas manquer d'y employer incessamment un nombre suffisant d'ouvriers, qui seront payés des fonds de la communauté,

XXVIII

L'intendant LEBRET à MM. DE SAINT-FLORENTIN et DE MORAS.

Le 15 janv. 1758.

Suivant les nouvelles que je reçois dans le moment de M. Boyer sur la maladie qui règne à Brest, il paroît qu'il n'y a plus que le côté de Recouvrance qui mérite attention, et que cette maladie s'est grandement ralentie dans le reste de la ville. Il ajoute qu'au moyen de secours qui lui sont arrivés ; et des soins qu'il se donne, il espère que tout ira bien.

XXIX

L'intendant HOCQUART à l'intendant LEBRET.

Brest, 18 janv. 1758.

L'opinion générale est que la maladie se ralentit, et n'est plus si dangereuse que dans les commencements. Il ne mourut hier que quatre hommes et quatre femmes, et à Recouvrance, un enfant. C'est toujours beaucoup trop, mais nous vivons d'espérance que dans peu les choses reprendront leur train ordinaire. Mais il nous survient d'autres accidents également fâcheux : c'est le naufrage de deux vaisseaux du Roi, le Greenwich, près du Conquet, et l'Opiniâtre, qui s'est jeté sur la côte de Plougastel, la nuit du 13 au 14 de ce mois. On sauvera de l'un et de l'autre l'artillerie, des agrès ; les marchandises, tant celles appartenant à la Compagnie des Indes qu'à des particuliers, seront du moins bien avariées.

XXX

Le sieur BOYER à l'intendant LEBRET.

20 janv. 1758.

 …… Il sera établi deux bureaux où les médecins, en allant faire leurs visites, sauront les nouveaux malades et leurs demeures, afin de les aller visiter en même temps, et envoyer aux hôpitaux, comme on a déjà fait, les indigents, et traiter les autres chez eux… J'ai écrit aujourd'hui à M. l'Evêque de Léon, pour qu'il permette de faire gras pendant le Carême. La circonstance l'exige trop. D'ailleurs, il n'y a point de pêcheurs ; les oeufs sont chers ; reste la morue, qui ne peut point être la base de la nourriture pour des gens qui ont le sang à moitié corrompu par la terreur qui subsiste encore, malgré le meilleur état de cette ville.

XXXI

Lettre du sieur BOYER à l'intendant LEBRET.

23 janv. 1758.

J'aurai l'honneur de vous dire que, depuis la visite générale qui fut faite à Recouvrance, et la répartition de nos médecins dans les différents quartiers de la ville de Brest, ils trouvent en allant et en venant dans les maisons du bas peuple des nichées de malades, qui le sont quelquefois depuis plus d'un mois avec leur famille, dans l'ordure jusqu'au col, et dans la dernière misère. On ne peut point s'empêcher de transporter ces gens-là aux hôpitaux. Pour ceux qui peuvent rester chez eux, il y a aujourd'hui des marmites établies par M. Hocquart, où, selon l'ordonnance du médecin, on trouvera du bouillon et de la viande. M. Hocquart, pour cet effet, leur a remis des lettres cachetées. A l'égard de ceux qu'on transporte aux hôpitaux, comme il est nécessaire de purifier leurs maisons, dont je ne puis vous dépeindre ni les ordures, ni l'infection, on ne pourra se dispenser de brûler les haillons qui s'y trouvent. Il seroit nécessaire de faire fournir au peuple qui sortira de ces hôpitaux, des hardes neuves de quoi le vêtir. Ce sera un bien petit objet, parce qu'il n'en réchappera guère de ceux qu'on transportera aux hôpitaux, étant pour la plupart gens très-âgés, hors d'état de gagner leur vie. Ce qui s'en sauvera, ce seront les enfants, qui y trouveront de la nourriture. M. de Gonidec est si bien, qu'il me donne demain son repas de convalescence au Château.

XXXII

Brest, le 27 janv. 1758.

2.143 malades répartis dans quatorze hôpitaux.

499 malades chez les particuliers.

Total : 2.642 matelots malades.

4.610 congédiés aux hôpitaux et chez les particuliers de la ville, du 4 novembre dernier au 26 janvier compris.

2.171 morts aux hôpitaux et chez les particuliers de la ville, du 4 novembre 1757 au 26 janvier 1758.

Total : 9.423 matelots.

Habitants.

916 particuliers morts en ville, du 4 novembre 1757 au 25 janvier 1758.

19 particuliers morts le 26 janvier.

Total : 933 particuliers morts, et 2.171 matelots.

D'où un total de 3.104 morts du 4 novembre 1757 au 26 janvier 1758.

L'épidémie ne disparut complètement qu'au mois de février. Dès le mois de janvier, dans les derniers jours, M. Boyer, après avoir assuré la salubrité publique et le service médical, put retourner à Paris.

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