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LE VIEUX BREST INTRA-MUROS ET SES PLACES

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PLACE ANATOLE-FRANCE.

PORTES ET PONT-LEVIS.

Pendant plus d'un siècle, Brest et Recouvrance, enfermés dans leur cercle de pierre, n'eurent que deux issues : la porte de Landerneau, dans le haut de la rue de Siam, et la porte du Conquet.

L'ouverture d'une seconde porte, contiguë à celle de Landerneau, fut autorisée par décret impérial du 24 mars 1808, mais — faute d'argent — les travaux, exécutés par le génie, ne commencèrent qu'en 1820.

La porte, inaugurée le 25 août 1821 — jour de la fête du Roi — fut placée sous le vocable de Saint-Louis.

Jusqu'en 1833, les ponts-levis étaient levés et les portes fermées chaque soir, une heure et demie après la retraite. De sept ou dix heures du soir à quatre ou sept heures du matin, suivant les saisons, ni voitures, ni piétons, ne pouvaient rentrer en ville, ou sortir de Brest.

La municipalité obtint, en 1833, la faveur d'un guichet aux portes de Landerneau et du Conquet, pour la libre circulation des piétons. Il était bien gardé. Placé près d'un corps de garde de vingt-cinq hommes, on ne le franchissait qu'un à un, sous l'œil vigilant d'une sentinelle, d'un garde de la mairie, d'un employé de l'octroi et d'un agent du bagne.

L'HÔTEL DU GRAND-MONARQUE.

La place des Portes s'appela tout d'abord place de le Porte. On y voyait autrefois, au n° 1, la meilleure hôtellerie de la ville : l'hôtel de l'Empereur, où le duc de Chartres descendit pendant son séjour à Brest, en 1772.

La maison changea d'enseigne vers la fin du XVIIIème siècle, prit le nom d'hôtel du Grand-Monarque, et la place de la Porte devint la place du Grand-Monarque.

C'est dans le magasin et les écuries de cet immeuble que s'installèrent les premières « messageries nationales ». Dès 1796, une diligence à quatre roues partait tous les deux jours du « Grand-Monarque », pour Paris.

Le voyage durait huit jours, avec arrêt à Rennes, dans la nuit du 4ème au 5ème jour.

L'auberge et une petite maison y attenant, du côté de la Grand'Rue, tombaient en ruines, quand M. Halligon en devint acquéreur, en 1826, pour la somme de 34 900 francs, et un long procès s'engage alors avec la ville.

La municipalité, conformément à la loi de 1807, avait dressé un nouveau plan régulateur, sanctionné par ordonnance royale de 1822, et ce plan prévoyait le rescindement de l'hôtel du Grand-Monarque « pour donner à la place une régularité et une beauté dignes de l'aspect monumental des deux portes de ville ».

Le propriétaire Halligon soutenait, de son côté, que la Charte avait abrogé la loi de 1807 ; que la place, dans son état actuel, était assez spacieuse pour servir de stationnement aux voitures — l'un des motifs invoqués par la ville — et il demandait la modification du plan régulateur ou le remboursement du prix de son acquisition.

M. Halligon eut gain de cause, sous réserve de réédifier l'immeuble, avec façade dont le plan lui serait fourni.

La Grand Monarque, place des Portes, n°1, était l'un des cinq hôtels que Brest comptait en 1830 : l'hôtel de France, rue d'Aiguillon ; l’hôtel de la Tour d'Argent, rue du Bois d'Amour (Colbert) ; l'hôtel de Provence, rue de Siam, n° 20, et le Grand Turc, au coin de la Grand'Rue et de la rue Algésiras, d'où partaient les voitures pour Landerneau, Lesneven et Argenton.

Quelques années plus tard, l'enseigne du Grand-Monarque fut transportée au n° 18 de la rue Saint-Yves, et on voyait établis nu n°1 de la place des Portes : une cabaretière, un boulanger, un sellier-carrossier et un perruquier.

Le tribunal civil occupait le premier et le deuxième étage de l'immeuble ; au troisième, se trouvait la direction des télégraphes.

LA DÉMOLITION DES PORTES.

Après de multiples démarches de M. Sanquer, adjoint-maire, la municipalité obtint, en 1888. l'élargissement de la voie d'accès de la porte de Landerneau, ce qui supprimait le pont-levis et l'étroit tunnel conduisant à la place de la Liberté.

L'année suivante, le ministre de la Guerre autorisait la démolition des deux portes et du rempart qui les reliait, à condition que la voie serait barrée par une grille, « recouverte, sur une hauteur de deux mètres, d’une tôle de deux millimètres d'épaisseur, de façon à pouvoir résister aux balles ».

Une belle grille en fer forgé ferma la large percée pratiquée dans l'enceinte des fortifications. Puis, quand elle disparut, il y a une quinzaine d'années, la place fut appelée Anatole-France.

LE MONUMENT AUX MORTS.

Un petit square avait été tracé dans l'ancienne avancée de la porte de Landerneau et à l'ombre de palmiers fut élevé le monument aux soldats et marins bretons morts pour la Patrie, œuvre du jeune sculpteur Auguste Maillard, qui avait pu être réalisée grâce à une souscription publique ayant rapporté 20 000 francs et à une subvention de 6 000 francs votée par le conseil municipal.

L'inauguration du monument eut lieu le 1er novembre 1900 ; elle fut présidée par le général André, ministre de la guerre, entouré de MM. Collignon, préfet du Finistère ; Berger, maire de Brest ; vice-amiral Barrera ; Pichon, sénateur ; Isnard, député, et Verne. sous-préfet.

PLACE DU CHÂTEAU.

L'emplacement actuel de la place du Château n'était autrefois que carrières « où il se commettait journellement toutes sortes de désordres — plus de mille hommes pouvant s'y dérober à la vue des patrouilles — et dans lesquelles on versait les vidanges, ce qui infectait l'air ».

Pour l'assainissement et la sécurité de la ville, on commença le comblement des carrières en 1770, et, peu de temps avant la Révolution, la place se trouva nivelée dans la partie comprise entre le cours Dajot et le square qui — il y a quarante ans — était encore « le trou de la place du Château ».

LE CHÂTEAU DE BREST.

Le Château est bâti sur les fondements d'une forteresse gallo-romaine.

A la base des courtines qui défendent l'entrée, sur toute la face qui regarde la ville, se montre l'appareil romain, tranché horizontalement, de distance en distance, par des cordons de briques. Dans cette partie des murailles, on distingue, en outre, certaines coupures verticales d'une maçonnerie moderne, où l'on a reconnu les arrachements de tours demi-cylindriques, supprimées par Vauban en 1689.

L'histoire et la légende attestent l'existence de la forteresse de Brest, depuis le IVème siècle.

Le prince Even y tenait sa cour en 537. Il était le père de la belle Azénor, dont l'histoire est une des plus gracieuses légendes de la « Vie des Saints », d'Albert Le Grand.

LA LÉGENDE D'AZÉNOR.

Azénor, fille unique d'Even, issue du sang des anciens rois de Bretagne, « était de riche taille, droite comme une palme, belle comme un astre, et cette beauté extérieure n'était rien en comparaison de son âme ». Elle épousa un comte de Goëlo. vers l'an 537, et les jeunes époux choisirent pour demeure un beau château, assis sur une petite colline, « lequel pour avoir été bâti autrefois par le roi Dudren, en a retenu le nom de Châtelaudren, situé justement entre les deux comtés de Tréguer et Goëlo ».

Moins de deux ans après, Even devint veuf, « épousa une dame de grande maison, mais qui avait l'esprit malicieux, noir, sombre et malin ». Elle avait juré la perte d'Azénor et l'accusa d'adultère.

Le comte de Goëlo crut à cette calomnie et la pauvre Azénor fut enfermée, par son père, dans une tour du château, en attendant qu'on lui fit son procès.

Des juges, gagnés sans doute, la condamnèrent, quoiqu'elle fût innocente, à étre placée dans un tonneau et jetée à la mer.

Le tonneau, livré au gré des vents et des flots, errait à l'aventure. Chaque jour, un ange visitait la fille du prince de Léon et lui apportait le nécessaire pour sa nourriture et son entretien. Au bout de cinq mois de sa périlleuse navigation, elle accosta au rivage de Beauport, en Irlande, et donna naissance à un fils, qui reçut le nom de Budoc « sauvé des eaux », et devint un grand saint.

Les panneaux de la chaire de l'église de Plourin-Ploudalmézeau retracent des scènes de la vie d'Azénor et de son fils, Saint-Budoc. La tour où fut emprisonnée la malheureuse princesse conserva son nom et l'a transmis à celle qui l'a remplacée au XIIIème siècle : la jolie tour d’Azénor, si élegante avec sa gracieuse couronne de créneaux et de mâchicoulis, qui fait partie du Donjon.

LA CHAPELLE DU CHÂTEAU.

En 1064, Conan II fit ériger dans le château une chapelle dédiée à la Sainte-Trinité.

L'église de le Trinité fut la seule paroisse de Bret jusqu'à la construction de celle des Sept-Saints, et sa fréquentation demeura commune aux habitants et au personnel du château jusqu'en 1790. Cette chapelle, restaurée an 1742 par le directeur des fortifications Frézier, a été démolie en 1819 ; elle était située entre la caserne de Plougastel (bâtie sous Henri III) et la courtine langeant la rade, sur l'emplacement actuel des cuisines.

LA PORTE ET LE DONJON.

La porte d'entrée fut construite en 1464, sons le duc François II : elle était autrefois à plein cintre et tout à côté se trouvait un guichet en ogive. Une herse et des ponts-levis défendaient le passage.

Porte charretière et poterne ont été remaniées, mais conservent les rainures des bras des ponts-levis.

Du portail partent les courtines ; celle de droite, menant au Donjon, est du XVIIIème siècle ; celle de gauche, aboutissant à la tour de la Madeleine, est du XVIème.

Toutes deux renferment de remarquables débris de constructions romaines et la trace des petites tours dont elles étaient munies.

Au nord de la courtine de droite se trouve le Donjon, véritable forteresse que son pont-levis rendait indépendante du château et où les assiégés pouvaient encore résister et se défendre après la reddition des autres parties de la place.

Cette citadelle paraît avoir compris au XVème siècle, comme aujourd'hui, trois tours, réunies par des courtines autour d'une petite cour, munie de son puits.

LES TOURS.

La tour d'Azénor qui remonte au XIIème s, ou XIIIème siècle ; la tour de la Duchesse-Anne, du XVème siècle, ainsi sans doute appelée parce qu'elle servit de demeure à la « Bonne Duchesse », lors de son séjour à Brest, en 1505 ; enfin, la puissante tour du Donjon, bâtie par Sourdéac, en 1597, sur l'emplacement d'une vieille tour romaine, sous laquelle il avait trouvé, dit le chanoine Moreau, une plaque de cuivre à l'effigie de César.

C'est dans le donjon proprement dit que se trouvaient les appartements des anciens gouverneurs. On y voit encore la salle d'honneur, la chapelle particulière des ducs, la salle à manger et les cuisines seigneuriales.

Sous le donjon, de vastes souterrains conduisent, par une pente assez rapide, aux « oubliettes » du Château, gouffre profond dans lequel on descendait avec des cordes les malheureux condamnés. Une pierre plate, glissant dans une rainure, fermait autrefois l'unique orifice sur les ensevelis vivants dans ce cachot, où ils attendaient une mort lente, au milieu de toutes les horreurs du désespoir et de la faim.

« On ne peut douter que plus d'une victime n'y ait terminé son existence, écrit M. de Fréminville, car lorsqu'en 1824 M. Legentil de Quélern, directeur des fortifications de Brest, fit nettoyer et déblayer toutes les parties souterraines du château, on trouva dans l'oubliette des cheveux et les ossements blanchis de deux squelettes humains ».

« LE FER A CHEVAL ».
Le château de Brest a la forme d'un trapèze dont la grande base regarde la ville.

L'un des côtés donne sur la Penfeld ; c'est la haute et longue courtine qui relie la tour d'Azénor, à la grosse tour de Brest, bâtie au XVIème siècle. Au bas de la courtine existait autrefois un ouvrage appelé « fer à chevale » ; il couvrait une porte de secours ou poterne, donnant accès à la rivière, par laquelle, en cas de siège, on pouvait par mer ravitailler la place.

Le fer à cheval, dont il reste encore quelques vestiges, fut démoli, en 1788, lors de la construction des quais, par la marine.

L'ANCIENNE « POINTE AUX BLAGUEURS ».

Une muraille formant la petite base du trapèze réunit la tour de Brest à la tour Française, devant une petite esplanade nommée le Parc-au-Duc. Dans cette courtine est la tour César, du XIIIème siècle, qui a conservé ses créneaux et ses mâchicoulis. Près d'elle, une poterne — jadis la porte de sortie du château que fermait un pont-levis — conduit au sémaphore du Parc-au-Duc, l'anciennes « Pointe aux blagueurs ».

Le public n'a plus accès, depuis longtemps, sur cette pointe fameuse dans les annales de la cité.

Elle était le rendez-vous des « flâneurs » et des vieux marins qui venaient là, chaque jour, devant le grandiose panorama de la rade, apprécier et critiquer les mouvements des navires et les manœuvres à bord ; discuter le nom et la provenance d'une voile qui se montrait, dans le goulet, à l'horizon.

Mères, enfants et fiancées venaient là guetter l'arrivée d'un navire impatiemment attendu des mers lointaines et bien des cœurs ont battu autrefois sur la Pointe aux blagueurs.

***

Enfin, partant de la tour Française, une longue courtine dominant la rade vient rejoindre la tour de la Madeleine. Cette tour, dont les dimensions sont très vastes et les murs d'une épaisseur de cinq à six mètres, sert d'enveloppe à une autre plus petite et plus ancienne qui formait jadis l'angle de la fortification.

LES CASERNES.

En entrant dans la cour du château, le premier édifice qui frappe les regards est, à gauche, la caserne de Plougastel, vieux bâtiment construit sous le règne de Henri IV, surmonté d'une horloge à marteaux et orné de fenêtres sculptées. Il fut bâti par Sourdéac pour loger les officiers de la place.

Dans son prolongement se trouve la caserne Monsieur, élevée, en 1825, sur l'emplacement d'une très ancienne qui tombait en ruines. Au fond de la cour est la caserne César, construite en 1766 et à droite le bâtiment dit de « la salle d'armes », élevé en 1777 sur l'emplacement des anciens logements du lieutenant du Roi et du major de la place.

Les jardins, qui leur étaient contigus et s'étendaient jusqu'au rempart qui relie la tour de Brest au Donjon, forment aujourd'hui le Parc d'artillerie. De beaux et vastes souterrain parallèles entre eux et séparés par une épaisse muraille, ont été découverts en 1832, sous l'emplacement des jardins.

Construites par Vauban en 1689 et fermées en 1777, lors de la construction de la salle d'armes, ces galeries ont servi de magasins d'artillerie.

None aurons terminé la description succincte du château, après avoir signalé l'édifice situé immédiatement à droite de la porte d'entrée. Il fut bâti par la ville en 1822 pour servir de prison civile, à charge de le remettre à la guerre après un certain nombre d'années de jouissance, et ce terme arriva en 1859, lors de l'achèvement de la prison du Bouguen.

L'ANCIENNE PRISON.

Jusqu'en 1822, les deux grosses tours de l'entrée du château servirent de prisons aux militaires et aux détenus civils.

Filles, mendiants, déserteurs, simples prisonniers pour dettes ou voleurs et criminels étaient confondus dans la plus ignoble des promiscuités. « Il y règne une infection qui met à une cruelle épreuve la charité la plus courageuse, écrit l'évêque de Léon, en 1780, à l'intendant de Bretagne. Les filles de mauvaise vie y sont jetées avant d'être envoyées au dépôt et, chose horrible, on a trouvé dans leurs cachots des enfants morts, sortis du sein corrompu de ces créatures ».

Les prisonniers qui, « suivant la volonté du geôlier, ne recevaient que de très mauvais pain et de la paille brisée », virent leur sort amélioré par la municipalité brestoise, en 1801.

Celle-ci arrêta que les distributions se feraient dorénavant en présence d'un commissaire de police et que chaque détenu recevrait « tous les jours, une livre et demie de pain ; chaque décade, une livre et demie de viande pour faire trois fois de la soupe et vingt francs de paille par mois ».

La municipalité, malgré ses vœux réitérés, n'obtint pas l'autorisation d'établir une prison dans l'ancien couvent des Carmes, et militaires et civils continuèrent d'être détenus dans les tours du château jusqu'en 1822, date, nous l'avons dit, de la construction de la première prison civile qu'occupent aujourd'hui les bureaux de la place, de l'intendance et du recrutement.

PROJET D'ÉRECTION DE LA STATUE DE LOUIS XVI.

Dans notre chapitre consacré à la place du château, nous devons mentionner un grand projet, élaboré en 1785, qui devait complètement la transformer.

Les États de Bretagne, pour « tribut de leur amour et de leur reconnaissance au souverain », avaient voté l'érection d'une statue à Louis XVI et trois villes : Rennes, Nantes et Brest s'étaient disputé l'honneur de la posséder.

Notre maire, Raby, député aux États, avait naturellement plaidé pour Brest, « le plus beau port du monde, le dépôt le plus majestueux des forces navales, l'arsenal le plus formidable de la France et la colonne la plus solide du commerce et de la liberté des mers ».

Les vœux de la Communauté, chaleureusement appuyés par M. de Castries, ministre de la Marine et le chevalier de Fautras envoyé à Paris pour en assurer le succès, furent exaucés : le roi choisit Brest pour lieu d'érection de sa statue.

« On ne saurait rendre tous les transports de joie et de reconnaissance que cette flatteuse nouvelle fit éclater parmi les habitants », écrit Le maire dans un mémoire adressé aux États.

Il fut fait immédiatement appel aux architectes les plus renommés pour dresser le plan des travaux que commandait le monument et deux projets furent retenus : celui de l'architecte Nouvion, soutenu par la municipalité, qui plaçait la statue sur le Champ-de-Bataille qu'on appellerait place Louis XVI et celui de M. Jallier de Savault, très fortement appuyé par la marine.

M. Jallier voulait une position d'oû la statue commandât tout à la fois à la rade, au port et à la ville. Frappé du spectacle grandiose qu'offrait la situation du « Parc-au-Duc », il voulait y élever la statue de Louis XVI, et s'était arrêté au plan suivant :

Une place d'armes de forme ovale, plantée d'arbres ainsi que ses deux allées latérales, aurait été établie au bas de la rue du Château. De cette place une large voie appelée rue Royale, franchissant les fossés du château, aurait conduit, en ligne droite, jusqu'à proximité du Parc-au-Duc, à la Place de Roi, où, sur les fondements de la tour César, se serait élevée, à soixante pieds au-dessus de la mer, la statue confié au ciseau du célébre Pajou.

Aucune décision n'avait été prise lorsqu'au mois d'avril 1788 le comte d'Hector fit savoir que le projet de M. Jallier était inconciliable avec celui de la construction des magasins des subsistances de la marine sur le terrain du Parc-au-Duc qui, avec le château, venait de lui être concédé par la guerre.

La ville semblait done certaine de triompher : mais les événements politiques avaient refroidi son enthousiasme. La statue de Louis XVI ne fut pas édifiée et fut épargnée des outrages qui, certainement, lui étaient réservés.

FÊTE DU SERMENT CIVIQUE (14 JUILLET 1791).

La place du Château prit le nom de Champ de la Fédération après l'anniversaire du 14 juillet 1790 et c'est là que fut reçu, le 14 juillet 1791, le serment des chefs civils et militaires, à l'occasion de l'installation du maire, M. Malmanche.

Une curieuse gouache, due au pinceau de Desplaces, professeur de dessin de la marine à Brest, conservée au musée, représente la cérémonie.

Ce jour-là, à neuf heures du matin, l'ancienne et la nouvelle municipalité, précédées des brigades à cheval de la maréchaussée et de la prévôté de la marine et encadrées par la garde nationale, se rendirent de l'hôtel de ville à la place du Château, où un autel de la Patrie avait été élevé.

A l'arrivée du cortège, le recteur de Saint-Louis harangua successivement M. Malmanche, la nouvelle municipalité, M. Branda, ancien maire et président du Conseil général, puis entonna le Veni Creator, tandis que la garde nationale tirait une salve de vingt et un coups de canon et que les musiques exécutaient diverses symphonies.

La place du Château offrait un coup d'œil imposant. Les quatre brigades de la garde nationale, les régiments de Beauce et de Normandie, le corps royal des canonniers-matelots, la compagnie des invalides occupaient les trois côtés d'un carré, dont le quatrième ne pouvait suffire à la foule rassemblée, en amphithéâtre, sur une immense estrade.

Au centre de l'estrade s'élevait une rotonde, enguirlandée de lauriers et de lierre, soutenue par huit faisceaux de lances, « symbole de la force que produit l'union ». Au faîte était le bonnet, déjà emblème de la liberté.

Le recteur de Saint-Louis célébra une messe basse sur l'autel de la Patrie, qui n'avait pour tout ornement qu'un christ et deux lampes ardentes, et le maire Malmanche, faisant face au peuple, prêta sur le livre des évangiles le serment décrété par l'Assemblée nationale :

« Je jure fidélité à la Nation, à la loi, au Roi. Je jure aussi d'observer la Constitution ».

A ce moment, une nouvelle salve de vingt et un coups de canon se fit entendre, les cloches sonnèrent à toute volée, les tambours battirent et un défilé des troupes termina cette fête patriotique.

La municipalité brestoise qui entretenait une correspondance presque journalière avec ses députés à la Constituante, pour rendre compte des événements de la cité, leur écrit le 22 mais 1790.

« Nous ne pouvons que vous faire part de la cérémonie relative au serment prononcé, hier, sur l'autel de la Patrie, dressé avec goût et une simplicité imposante sur la place du Château. Toutes les troupes de la garnison : celles de la milice nationale étaient dans la plus belle tenue ; les canons de cette dernière troupe ont majestueusement grondé et, pour n'avoir pas été émerveillé, il faut savoir que la compagnie qui les faisait mouvoir est composée d'anciens artilleurs. Tout s'est passé dans le plus grand ordre et il est probable que la fête d'hier n'aura pas été imitée par quatre villes de la province ».

LE TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.

Le 7 mars 1794, le représentant du peuple Jean-Bon Saint-André installait à Brest un tribunal révolutionnaire régénéré, « imbu des vrais principes », composé de « trois bons juges » du tribunal révolutionnaire de Paris, le président Ragmey, l'accusateur public Donzé-Verteuil et son substitut Bonnet, le secrétaire du fameux Fouquier-Tinville.

Et, le même jour, le tribunal tint sa première séance pour juger Hervé Broustail, négociant, juge consulaire et administrateur du district de Morlaix.

Ce brave septuagénaire avait « décrié le papier-monnaie de la République, déploré la mort du dernier des tyrans, envoyé 17 300 livres au marquis de Kérouartz provenant de la recette des biens de cet émigré à Mayence ; il avait enfin formé le projet coupable d'une émigration personnelle, puisque, le 22 octobre, il écrivait à son fils, à Cadix, qu'il voudrait être où il était lui-même ».

Reconnu coupable de « conspiration contre la liberté et la sûreté du peuple français », Broustail fut condamné à mort et exécuté le lendemain.

LA GUILLOTINE, PLACE DU CHÂTEAU.

Guillotine, panier, charrette, tout était prêt, depuis plusieurs jours, sur la place du Château, devenue place du Triomphe du Peuple. Lisons d'ailleurs les recommandations du substitut Grandjean :

« Le citoyen agent national voudra bien faire appeler immédiatement l'exécuteur des jugements, logé à l'hôtel de la République (préfecture maritime), afin qu'il fasse faire toutes les réparations pour que la mort soit promptement donnée aux condamnés ; il est indispensable d'avoir un panier en osier, garni de toile peinte en rouge et à l'huile, pour y pouvoir déposer les cadavres, et il faudra le faire tel qu'il en puisse contenir au moins trois ou quatre.

Le citoyen agent national est également invité à donner les ordres nécessaires pour la construction d'une charrette, propre à conduire les condamnés au supplice, et capable de contenir huit personnes assises ».

***

Pour varier les genres d'accusation, on choisit, le 13 mars, comme seconde victime, un prêtre réfractaire : François Le Coz, ancien recteur de Poullaouen, âgé de quarante-huit ans.

Le 16 mars, François Prignot, ancien notaire à Troyes, qui a quitté la France en 1790 — pour se soustraire aux poursuites de ses créanciers — et a eu la fâcheuse idée de rentrer au pays natal sur un bâtiment américain, capturé en cours de route, est déclaré coupable d'émigration, condamné et exécuté le même jour.

Le 18, c'est le tour à Françoise Boëhhen, cinquante ans, née à Combrit (Finistère), couturière et commissionnaire, pour « avoir fait divers voyages à Guernesey et Londres, où elle aurait eu des rapports avec des émigrés, dont elle aurait été l'intermédiaire et l'agent en France ».

Le 31, Mlle Anne Pichot-Kerdizien, de Recouvrance, trente ans, demeurant à Quimerc'h, chez son oncle, ancien inspecteur de la forêt du Cranou, est traduite devant le tribunal pour avoir :

1° Participé aux dilapidations commises au préjudice de la République, en tirant, de la forêt nationale du Cranou, les bois de construction nécessaires à celle de leur maison, en Quimerc'h ;

2° Avoir voulu ressusciter sa noblesse en construisant vingt-quatre écussons armoriés d'un cygne, que la dite Anne Pichot avait déclarés destinés à orner son catafalque après sa mort ;

3° Avoir eu en sa possession le testament manuscrit de Louis Capet, tendant à faire regretter ce tyran, etc.

Anne Pichot ne peut échapper à huit chefs d'accusation comme « auteur et complice d'une conspiration contre la liberté du peuple français ».

Elle est condamnée à mort et exécutée à l'issue de l'audience.

***

Malgré toute son activité, le parquet ne pouvait fournir au tribunal une pâture journalière. Il y eut vacation de treize jours et, le 13 avril, deux prêtres réfractaires : Jean-Marie Habasque et Guillaume Peton, arrêtée dans la nuit du 8 chez des cultivateurs de Kerlouan, furent immolés le lendemain, sur la place de Lesneven.

Deux jours après, c'est l'exécution, après un interrogatoire rapide constatant l'identité de l'accusé, de Jean-Marie Branellec, de Guissény, ex-curé du Minihy, à Saint-Pol-de-Léon, Mme veuve Le Guen, de cette ville, qui l'avait caché chez elle, est condamnée à la déportation.

Le 17 avril, le soldat canonnier du 3ème bataillon de Loir-et-Cher, en garnison à Concarneau, Jean-Pierre Hippolyte, comparaît devant le tribunal révolutionnaire.

Les propos qu'il a tenus chez Mme Galabert, débitante à Concarneau, sont ceux d'un fou ou d'un homme ivre.

Il aurait dit, en tirant de sa poche un assignat de dix sols : « Je voudrais que celui qui l'a inventé fût brûlé ».

Il aurait dit encore « qu'au lieu de s'enrôler dans le bataillon de Loir-et-Cher, il eût mieux fait de suivre la grand'route et d'aller rejoindre les brigands ; qu’il em... la nation ; qu'il s'était échappé de Paris avec un chevalier de Saint-Louis ; qu'il était sorti de France avec onze ou douze mille livres en numéraire, pour aller à l'étranger, etc. ».

Hippolyte, condamné à la peine de mort, la subit le même jour « comme auteur et complice d'une conspiration tendant à anéantir le gouvernement républicain et à rétablir la royauté en France ».

Le 21 avril vit tomber la tête de deux charpentiers, Jean Levée, du Havre et Joseph Halagant, de Saint-Nazaire. Ils avaient été condamnés la veille pour avoir dit « qu'il était plus avantageux d'être au service des Anglais qu'à celui de la République ».

Le 30, la charrette fatale amène sur la place du Château le caporal d'infanterie Fabien Croy. Il a écrit au commandant de son bataillon, à Morlaix « qu'il désapprouve la nouvelle constitution et que, refusant le grade de caporal, il demande la faveur de continuer à servir comme simple fusilier ». Au crime d'avoir écrit cette lettre, Croy avait ajouté celui « d'avoir été trouvé nanti d'un Christ garni des deux côtés en nacre, de perles et de deux pièces, paraissant être de son écriture, qui respiraient partout le fanatisme religieux le plus absurde et renfermaient la critique la plus forte de la constitution civile du clergé ».

Les prêtres insermentés : Jean Drevès, de Plourriogner ; Augustin Clech, curé de Plestin ; Yves Mével de Rescoff ; Le Grall, curé de Lanhouarneau sont livrés au bourreau et plusieurs d'entre eux, nous apprend un procès-verbal, « furent saisis dans une grande lande où on les fit traquer à l'aide de chiens qui les éventrèrent ».

LA GUILLOTINE A MORLAIX.

Le 15 mai, la guillotine de la place du Château fut expédiée à Morlaix, en vertu de la réquisition suivante adressée aux administrateurs du district de Brest :

« Citoyens, un jugement de mort doit être exécuté demain à Morlaix, et il ne se trouve dans cette commune ni exécuteur ni instrument de supplice. Le tribunal criminel du Finistère vous requiert de donner des ordres pour que, sur-le-champ, il soit fourni une charrette attelée de deux chevaux, un voiturier pour la conduire, à l'effet de transporter d'ici à Morlaix pour cette exécution, la guillotine qui y est nécessaire, comme aussi de faire fournir pour le vengeur un cheval de selle ».

Deux jours après, guillotine et bourreau étaient de retour à Brest et on allait enfin s'occuper des administrateurs du Finistère, décrétés d'accusation le 19 juillet 1793 et pour la condamnation desquels le tribunal révolutionnaire de Brest avait été, en quelque sorte, ouvertement créé...

LES ADMINISTRATEURS DU FINISTÈRE DÉCRÉTÉS D'ACCUSATION (1793).

Élus membres du Conseil général du Finistère le 7 juin 1790, ces administrateurs étaient entrés en fonctions le 12 août suivant et s'étaient résolument adonnés à tout ce qui pouvait établir ou faire triompher le régime nouveau.

Dans certaines circonstances, ils avaient même devancé les mesures les plus décisives de la Convention et, quand celle-ci délibérait à l'égard des émigrés au des prêtres insermentés, ils les faisaient surveiller, ils allaient jusqu'à les faire arrêter par mesure de sûreté.

Par deux fois, les adminietrateurs du Finistère avaient mérité d'être signalés comme ayant bien « mérité de la Patrie ».

A l'appel de la Convention qui, par le décret du 24 mai 1793, déclarait la patrie en danger et mettait son indépendance et son intégrité sous la protection des départements, ils avaient répondu par l'organisation immédiate d'une « force armée de 400 hommes, à l'effet de se rendre sur-le-champ à Paris, pour y protéger la sûreté de la Convention, celle des personnes, des propriétés et de la fortune publique ».

On sait le reste. Les 31 mai et 2 juin 1793, les Girondins, dont Gomaire et Kervélégan, députés du Finistère, sont arrachés de leurs sièges et expulsés de la Convention.

Nos administrateurs, s'étayant du décret du 24 mai qui a fait appel à leur dévouement, décident la levée d'une nouvelle force départementale de 600 hommes qui fera route sur Paris « non pour combattre les citoyens de cette ville, mais pour s'unir à la saine portion de ses habitants, afin de cimenter ensemble l'unité de la République, la sûreté des personnes et des propriétés, la liberté, l'égalité sociale, le respect et l'inviolabilité des représentants du peuple ».

Mais la Montagne a vaincu la Gironde et, la Gironde vaincue, ses partisans doivent expier la défaite.

Les trente administrateurs du Finistère, détenus dans les prisons de Landerneau, de Carhaix et de Morlaix, vont être traduits devant le tribunal révolutionnaire sous la terrible inculpation « d'avoir conspiré contre la République ».

Et cependant, leur crime était de ne pas avoir été assez forts pour contenir les factieux.

« Oui, écrivent-ils de la maison d'arrêt de Landerneau, nous avons conspiré jour et nuit, mais pour le bonheur de la Patrie ! ».

***

Ballottés depuis de longs mois entre les illusions et le désespoir, les trente administrateurs du Finistère furent incarcérés, le 17 mai, dans les obscurs cachots du château, qu'on appelait alors « le Fort la Loi ».

C'étaient : François de Kergariou, ancien maréchal de camp ; Brichet, de Landerneau, homme de loi ; Aymez, de Brest, négociant ; Morvan, de Pont-Croix, homme de loi ; Guillier, de Douarnenez, marchand ; Pierre de Bergevin, de Brest, homme de loi ; Dubois, juge au tribunal du district de Landerneau ; Doucin, homme de loi à Quimper ; Derrien, de Saint-Thuriau, cultivateur ; Portic, de Scaër, cultivateur ; Cuny, négociant à Quimperlé ; Le Roux, marchand de toile à Landivisiau ; Le Prédour, juge au tribunal de Châteaulin ; Daniel Kersaux, de Penmarch ; Expilly, de Brest, ex-curé de Saint-Martin-de-Morlaix, ex-évêque constitutionnel du Finistère ; Herpeu, juge au tribunal de Pont-Croix ; Merienne, sous-chef des vivres de la marine, à Brest ; Malmanche, chirurgien, ancien maire de Brest (1790-1791) ; Banéat, marchand à Carhaix ; Lepennec, homme de loi à Carhaix ; Le Thoux, juge au tribunal de Quimper ; Déniel, marchand à Lannilis ; Moulin, militaire réformé, demeurant à Quimper ; Le Gac, homme de loi, à Plounévez-Porzay ; Piclet, juge à Pont-Croix ; Le Denmat-Kervern, homme de loi à Morlaix ; Bienvenu et Descourbes, notaires à Quimperlé ; Pruné, marchand à Poullaouen et Le Cornec, président du tribunal de Carhaix.

LE PROCÈS ET L'EXÉCUTION.

Le 19 mai 1794, à sept heures du matin, les administrateurs du Finistère franchirent les ponts-levis du château pour comparaître devant le tribunal révolutionnaire qui siégeait, nous l'avons dit, dans l'ancienne chapelle de la Marine, rue de la Mairie.

Toute la garnison était sous les armes. Conformément à la réquisition que l'accusateur public Donzé-Verteuil avait adressé au général Tribout, quatre mille hommes de troupes étaient échelonnés dans les rues que les accusés devaient traverser. Huit cents maratistes de l'armée révolutionnaire formaient l'escorte.

Élevés sur une estrade, au fond du sanctuaire, étaient assis les juges, coiffés du bonnet rouge. A gauche, avaient pris place Donzé-Verteuil et Bonnet et, derrière eux, les jurés.

Sur des gradins, en face, se trouvaient les accusés, placés chacun entre deux gendarmes, le sabre au poing, et éloignés de leurs défenseurs qui ne pouvaient communiquer avec eux.

Les débats devaient, occuper trois audiences. Les deux premières furent consacrée à la lecture de pièces dont les défenseurs entendaient parler pour la première fois, et à l'audition de quelques témoins, dont le premier, Nicolas Havard, imprimeur à Landerneau, fut arrêté séance tenante « pour avoir imprimé les adresses liberticides de la ci-devant administration du Finistère ».

Le troisième jour, Donzé-Verteuil développa son acte d'accusation et la parole — si l'on peut dire — fut donnée aux avocats.

Riou-Kersalaun, chargé avec Le Hir de la défense du plus grand nombre des accusés, commence à peine sa plaidoirie que le président Ragmey l'interrompt, en ces termes, d'un air menaçant :

« Avant que tu ailles plus loin, citoyen défenseur, le tribunal a besoin de cannaître tes opinions personnelles sur les arrêtés de cette administration, parce que, d'après ta réponse il aura peut-être des mesures à prendre à ton égard ».

Il fallut céder à la violence et les avocats furent réduits à n'invoquer d'autres considérations que celles qui militaient en faveur de la moralité personnelle de leurs clients.

A midi, en ce jour du 3 prairial an II, les débats furent clos et, quelques instants plus tard, tous les administrateurs du Finistère — à l'exception de Bienvenu, Descourbes, Pruné et Le Cornuc — étaient reconnus coupables de « conspiration contre la liberté du peuple français » et condamnés à la peine de mort.

La sentence fut prononcée dans un morne silence, interrompu seulement, dit Levot, par cette exclamation simultanée de Bergevin, de Guillier et de Moulin : « Scélérats, que notre sang retombe sur vos têtes ».

***

Cependant, le bourreau Ance s'impatientait. Dès le matin, avant de savoir si le tribunal lui livrerait des têtes, il avait requis les chevaux et les voitures nécessaires au transport des « condamnés ». Et à l'officier municipal Pérard, qui lui disait ingénument : « Comment, ne leur donnera-t-on pas au moins vingt-quatre heures pour arranger leurs affaires ? — Pas un quart d'heure, répartit Ance ; dès l'instant du jugement, ils sont à moi ».

A mesure que les vingt-six condamnés sortent du tribunal, Ance leur fait couper les cheveux, leur lie les mains derrière le dos et les entasse dans des charrettes. Et bientôt le funèbre cortège, précédé de la musique du bataillon révolutionnaire, se dirige, par la voie la plus longue, vers la place du Château où s'accomplit le dernier acte du drame.

L'échafaud se trouvait dressé à sa place habituelle, près de la porte orientale du château. Un vaste entonnoir, peint en rouge, était disposé près de la fatale bascule, et une trappe était ménagée sur l'échafaud même, pour faire tomber dans des charrettes la dépouille des administrateurs.

Le vénérable président Kergariou et un autre vieillard de soixante-douze ans, Le Thou, furent sacrifiés les premiers. Après avoir donné l'absolution à ses collègues, Expilly gravit, le dernier, la fatale plate-forme.

On a dit que le bourreau, au lieu de laisser tomber les têtes dans le panier destiné à les recevoir, les aurait rangées symétriquement sous les yeux des condamnés qui, face au sinistre appareil, attendaient leur tour. Nous ne pouvons affirmer si ce raffinement de cruauté eut réellement lieu — il n'aurait d'ailleurs rien d'invraisemblable de la part de Ance — mais il est certain que le bourreau fut déçu dans son espoir de faire faiblir les administrateurs, car leur dernière parole fut une invocation à la patrie, et plusieurs d'entre eux, en présence de la mort, chantaient la Marseillaise !

Une dernière injure devait être faite à la mémoire de ceux qui, pour tout crime, avaient défendu la loi et la juste inviolabilité de leurs représentants, et ce fut l'accusateur public, Donzé-Verteuil, qui s'en chargea.

Il eut la lâcheté d'écrire au Journal de Paris : « Avant-hier, vingt-six administrateurs du Finistère ont porté leurs têtes sur l'échafaud. Ces messieurs voulaient donner la Bretagne aux Anglais ! ».

Les corps, déposés dans une tombe ignorée du cimetière de Brest, furent fortuitement découverts en 1859, et les familles Le Roux, Le Denmat, Le Prédour et Bergevin firent élever, à la mémoire des vingt-six administrateurs, la haute pyramide en Kersanton que l'on remarque à droite, en entrant dans le cimetière.

LES DERNIÈRES EXÉCUTIONS.

Donné-Verteuil va maintenant livrer aux fossoyeurs ceux qui ont secondé ou approuvé la résistance du mois de juin 93, qui ont été liés, de près ou de loin, avec les anciens administrateurs, tous faits qualifiés, suivant la jurisprudence des tribunaux révolutionnaires, « de conspiration contre la liberté et la sûreté du peuple français ».

La première de ces nouvelles victimes fut Thomas Raby, âgé de vingt-trois ans, jeune étudiant ardent, d'un patriotisme qui lui faisait braver tous les dangers, et qui fut mêlé à tout ce qui se fit dans le Finistère, en faveur de la Révolution.

Témoin à Paris des événements du 31 mai, il était revenu soulever les Brestois contre la Montagne.

Le 22 juin, fut condamné et exécute Louis Kérébel, trente-six ans, cultivateur à Plouvien, pour avoir fait partie d'attroupement séditieux et avoir, plus d'une fois, crié : Vive le Roi ! Au diable la nation !

Cinq jours après, la peine de mort était prononcée contre deux vieilles femmes, retirées dans le château de Kerjean ; la marquise et la comtesse de Coatanscours. Le comité de surveillance de Saint-Pol de Léon les avait fait arrêter et conduire au château de Brest « pour n'avoir fréquenté que la caste nobiliaire et avoir manifesté des principes contraires à ceux de la Révolution ».

Le surlendemain, la charrette amena sur la place du Château Augustin Clech, prêtre à Plestin, âgé de cinquante ans, et trois femmes de Morlaix, coupables de lui avoir donné asile. Anne et Anastasie Le Blanc, exerçant la profession de tricoteuses, âgées, la première de quatre-vingts ans, la seconde, de trente-huit et une marchande nommée Anne Levron, âgée de vingt-cinq ans.

***

Le jugement des vingt-six administrateurs ne laissait aucun doute sur le sort, de ceux qui, comme eux, avaient provoqué à Brest le mouvement fédéraliste. De ce nombre étaient ces trois accusés qui comparurent le 13 juillet :

Le Bronsort, greffier de la municipalité et juge au tribunal du district ; Rideau, ex-administrateur de l'Indre et Toullec, administrateur de l'hospice et du district de Brest.

« Le verdict n'ayant été rendu qu'après le souper des juges », l'exécution eut lieu à la lueur des torches et nulle, paraît-il, ne fut plus émouvante.

Au moment où les aides du bourreau abattent Toullec sur la bascule, soudain un coup de vent éteint plusieurs flambeaux. « Je n'y vois plus », dit Ance. Saisissant une des torches, Toullec se tourne vers l'exécuteur : « Regarde-moi bien, lui dit-il ; tu ne me verras pas pâlir ». Et, pour prix de cette fermeté, Ance eut le soin raffiné de laisser le fatal couteau tomber jusqu'à trois fois sur la tête de Toullec. Mérienne, l'un des vingt-six, avait subi la même torture.

Le neuf thermidor n'arrêta pas, à Brest, le fonctionnement du couperet national.

Le 30 juillet, trois jours après le coup d'État, il y eut ce que Donzé-Verteuil appelait une « fournée ». Douze femmes de Morlaix furent amenées ce jour-là à la barre du tribunal avec un vieux capucin, Yves Mével, âgé de soixante-cinq ans, qu'elles étaient accusées d'avoir caché pour le soustraire aux comités.

Le P. Mével et quatre des « conspiratrices » furent condamnés à mort, et l'une d'elles, Mlle de Forsanz, âgée de vingt-sept ans, qui « se caractérisait par l'agrément de ses traits et l'élégance de sa taille », subit — assure-t-on — la souillure d'un supplice posthume. Aussitôt après l'exécution, son cadavre, porté à l'amphithéâtre de l'hôpital de la marine, fut profané par le chirurgien Palis. un des juges du tribunal révolutionnaire.

Le 31 juillet, Gabriel Moreau, ancien juge du district de Morlaix, le père du célèbre général républicain qui commandait alors une division de l'armée du Nord, était amené sur le banc des accusés. On établit « qu'il avait correspondu avec les ennemis du peuple et qu'il avait fait passer des secours en argent à plusieurs émigrés, dont les intérêts lui avaient été confiés ».

La mort fut prononcée contre Moreau, bien que, très peu de jours auparavant, la ville entière de Morlaix, heureuse et fière des succès de son fils, se fût rendue près de lui, pour le féliciter du passage de la Sambre, si heureusement opéré par l'ancien prévôt de l'école de droit de Rennes.

Ce même jour, le tribunal révolutionnaire recevait la notification officielle de la mort de Robespierre et des événements du 9 thermidor, mais les juges ne suspendent pas leur corvée sanglante et, le 4 août, « la hache de la justice nationale » frappe Sébastien Malescot de Kérangoué, homme de loi à Morlaix, coupable d'avoir fait passer des secours en argent aux émigrés.

Le 6, Charles Delaporte-Belval, sous-chef des bureaux civils de la marine, neveu du maire de Brest, Berthomme, est condamné à la peine capitale pour avoir favorisé l'évasion des députés girondins. Belval était l'un des fondateurs et des membres les plus ardents de la société populaire ; il avait été député à Rennes, au mois de janvier 1789, pour y porter l'adhésion de la jeunesse brestoise au pacte d'union formé dans cette ville pour l'extinction de la noblesse bretonne.

Mais la nouvelle des événements qui se déroulent à Paris effraie Donzé-Verteuil et, le 9 août, il écrit à l'administration du district : « Citoyens, je suis convaincu que je ne fais que m'accorder avec vos intentions en vous rappelant qu'il est de toute convenance que l'instrument des vengeances nationales disparaisse, dès ce soir, avant le coucher du soleil ».

Et on démonta enfin la guillotine qui se trouvait en permanence sur la place du « Triomphe du Peuple » depuis de si longs mois.

***

La place du Château servit de lieu des exécutions capitales jusqu'en 1839 ; la guillotine était fournie par le bagne et le bourreau était alors un forçat.

Sur réclamations de l'administration de la marine et d'hommes de loi qui trouvaient « monstrueux que l'on ouvrit les portes de la ville aux forçats, pour leur permettre de prendre possession de la place du Château — terrain militaire — d'y porter l'échafaud du bagne, d'escorter et d'exécuter un condamné civil », on fit appel au bourreau de Rennes qui, avant « Monsieur de Paris », opéra rue de l'Égout.

La dernière exécution, place du Château, fut celle de Marsaud, coupable de piraterie ; elle eut lieu le 11 mai 1839, à trois heures de l’après-midi.

***

La place du Château servait, avant la guerre, de champ de manœuvre aux troupes casernées au château. Dans la partie nord, longeant la rue Amiral-Linois, un square avec jet d'eau a été aménagé en 1901, lors de l'Exposition organisée sur les terrains de la place du Château et les parties basses du cours Dajot.

A l'angle formé par la place et l'avenue qui conduit au château, le 26 juillet 1903, sous la présidence de M. Maruéjouls, ministre des Travaux publics, fut inauguré le monument d'Armand Rousseau, gouverneur général de l'Indochine, mort le 10 décembre 1896.

La statue en bronze d'Armand Rousseau — qui a été récupérée en 1942 par l'armée d'occupation — le représentait debout, tenant à la main une carte géographique sur laquelle étaient inscrits les noms de nos possessions d'Extrême-Orient.

Dans le socle en marbre blanc, sur la face principale, l'Indochine en deuil, symbolisée par une femme coiffée du casque colonial, venait au pied de sa statue inscrire le nom de son ancien gouverneur pour le transmettre à la postérité.

Ce monument, élevé par souscription, était dû au ciseau du sculpteur Denys Puech.

COURS DAJOT.

ÉTABLISSEMENT DU COURS.

Ce fut au mois de juillet 1769 qu'on commença, sur la proposition et les plans de M. Dajot, directeur des fortifications, l'établissement de la belle promenade qui porte son nom.

Des carrières qui appartenaient aux dames religieuses du Petit-Couvent et à un nommé Labiche, des jardins et des champs en friche en occupaient l'emplacement. Les rochers sur lesquels sont percées les rues d'Aiguillon et Traverse déclivaient jusqu'au rempart. A l'extrémité de la fortification, là où se trouve l'ancienne poudrière, était une vaste pépinière appelée la Pépinière du Roi, ce qui fit donner au corps de garde du haut du cours le nom de poste de la Pépinière.

Les soldats de la garnison, les pauvres de la ville, les forçats coopérèrent aux travaux de remblai et d'aplanissement, et, en 1771, on commença la plantation, mais la disette des finances municipales fit suspendre tous travaux en 1775. La promenade s'arrêtait alors au niveau de l'extrémité de la rue Voltaire et plusieurs années devaient s'écouler avant qu'on ne la terminât.

Ce n'est, en effet, qu'en 1800 que le maire Pouliquen, soucieux d'embellir la ville « et de procurer à ses concitoyens des promenades où ils puissent aller se défatiguer de leurs travaux journaliers et y respirer un air pur et serein », décida que le cours de la Réunion (ainsi appelé depuis 1793) serait prolongé, d'après les plans de Dajot, jusqu'au mur du Château.

La municipalité avait, d'ailleurs, obtenu le gracieux concours de la marine.

Le citoyen Caffarelli, préfet maritime à Brest, avait mis à la disposition de la ville plusieurs couples de forçats avec les gardes-chiourmes nécessaires à leur garde, et le citoyen Laurent, directeur du jardin botanique, avait offert de s'occuper du choix des arbres et de leur plantation.

LES STATUES DU COURS.

Dans sa sollicitude pour les embellissements de la cité, le maire Pouliquen avait sollicité du gouvernement consulaire deux statues ou groupes qui pussent ajouter à la décoration de la promenade. Le ministre Chaptal, désireux de propager les arts en province, accueillit favorablement cette demande, et le 4 avril 1801, il faisait savoir qu'il mettait à la disposition de la ville de Brest deux statues en marbre, de Coysevox, retirées du musée des monuments français. « L'une d'elles, disait-il, est un fleuve assis sur un cheval marin, et l'autre une rivière qui féconde la terre et provoque la végétation, exprimée par l'amour enfant, tenant une corne d'abondance arrosée des eaux qui coulent d'un vase sur lequel cette figure est appuyée ».

Au mois de septembre suivant, le ministre, sur les instances tant de son collègue Forfait que des députés du Finistère, accorda à la ville deux nouveaux groupes : une amphitrite assise sur un dauphin, sur lequel est appuyé un amour et un actéon poursuivant un cerf.

Ces statues, qui ornaient la grande cour du château de Versailles et la cascade de Marly, furent transportées au Havre et embarquées sur un navire à destination de Brest, mais on n'attendit pas leur arrivée pour en préparer le placement.

L'INAUGURATION DES PIÉDESTAUX.

La première pierre du piédestal de la statue du bas du cours Dajot fut posée le premier vendémiaire an X (23 septembre 1801), anniversaire de la fondation de la République.

Ce jour-là, M. Caffarelli, préfet maritime, l'amiral Villaret-Joyeuse, les généraux et les autorités civiles se réunirent à l'hôtel de ville, près du maire qui les avait invités à la cérémonie.

A dix heures, un imposant cortège sortit de la mairie et son arrivée sur la promenade fut saluée par l'ouverture de la Bataille de Marengo, à laquelle succédèrent des discours patriotiques et l'Hymne de la Liberté, chanté par les artistes du théâtre.

Puis le préfet maritime déposa sous la première pierre du piédestal de la statue de la Rivière une boîte en plomb qui renfermait, avec la constitution de l'an VIII et diverses pièces de monnaie du type républicain, une table en cuivre portant l'inscription suivante :

Donné par le gouvernement à la ville de Brest.

Bonaparte, Cambacérès, Le Brun, consuls de la République. Chaptal, ministre de l'Intérieur. Rudler, préfet du Finistère. La Paquerie, sous-préfet de Brest. Pouliquen, maire. Guilhem Ainé, Lamartinière, Le Breton, adjoints.

Et sur le revers : La première pierre a été posée par le citoyen Joseph Caffarelli, conseiller d'État, préfet maritime à Brest, le 1er vendémiaire an X de la République française.

Deux mois après, le 18 brumaire (9 novembre 1801), jour de la fête de la paix, la première pierre du second piédestal, au haut du cours, fut posée avec le même cérémonial, par le général Gravina, commandant l'armée navale espagnole, mouillée sur notre rade.

La boîte en plomb contenait comme la précédente une table de cuivre ; sur le droit, se lisait la même inscription que sur la première, mais sur le revers étaient gravés les titres du général Gravina et la date du 18 brumaire. Au lieu de la Constitution de l'an VIII, on y avait renfermé les traités de paix conclus entre la République française, l'Angleterre, la Russie, la Sublime-Porte et le Portugal.

Les statues arrivèrent à Brest peu de temps après. La Rivière et Neptune furent placés aux extrémités du cours.

L’« ACTÉON » ET L’« AMPHITRITE ».

Quant à l'Actéon, qui devait orner le Champ-de-Bataille et être posé près de l'Arbre de la Liberté, il fut réclamé par les habitants de Recouvrance qui voulaient avoir leur part de la munificence du gouvernement et demandaient que la statue fût élevée sur la place Saint-Sauveur.

Déposé provisoirement dans la cour de l'atelier de charité, en face l'église, l'Actéon y resta jusqu'en 1816, époque où il fut transporté sur le marché Saint-Louis, au-dessus de la fontaine, que la vasque en pierre de taille, dans le bâtiment central des Halles, a remplacée.

Dès 1826, le sculpteur en chef de la marine Collet signalait « l'état affreux de la statue et sa restauration impossible ».

Actéon, privé de ses bras, de ses jambes. de son nez, se trouve actuellement dans le vestibule de la bibliothèque municipale ; il ne présente plus qu'un torse, suffisant néanmoins pour donner une idée de la beauté de l'œuvre de celui qui avait tant ajouté à l'ornement des jardins de Marly, de Versailles et des Tuileries.

La quatrième statue, Amphitrite, fut mise, par la ville, à la disposition de la marine, en témoignage de la reconnaissance qu'elle devait au préfet maritime Caffarelli qui lui avait épargné une dépense de 8 000 francs, en faisant exécuter les fondations, les piédestaux et la restauration des statues du cours.

Elle fut érigée, en l'an VIII, sur la place du Magasin général de l'Arsenal.

***

La fontaine de la rue du cours Dajot fut établie, en 1801 « pour que les enfants puissent s'y désaltérer et, au besoin, offrir un secours prompt dans cette partie de la ville, contre les incendies que fait craindre le voisinage de la poudrière, placée à l'extrémité de la promenade ».

LES HALLEBARDIERS.

La même année, le maire obtient du commandant de la place le service quotidien, « du coup de canon du matin à celui soir », de deux hommes de la Compagnie des vétérans, qui avaient pour mission d’empêcher toutes dégradations à la promenade et pour cette surveillance, la ville octroie à la Compagnie une gratification mensuelle de 40 livres.

« Ces citoyens sont armés d'une hallebarde, afin de pouvoir être reconnus du public. Ils doivent se promener en tous sens, sur le cours, s'opposer aux dégradations qu'on voudrait commettre, arrêter les personnes qui s'y livreraient et les conduire aux postes les plus voisins ».

LES CONCERTS DU COURS DALOT.

Il y a cent ans, un concert était donné chaque jour sur le cours Dajot, ce qui portait, paraît-il préjudice aux études des lycéens, s'il faut en croire les doléances exprimées à cette époque.

Nous lisons en effet, dans le journal l'Armoricain du 4 novembre 1845 :

« Tous les jours, de trois à quatre heures du soir, les musiques exécutent des morceaux d'harmonie, sur le cours Dajot, en face des classes et salles d'études du collège Joinville. Plusieurs pères de famille nous prient de signaler l'inconvénient qui résulte pour les élèves d'une distraction aussi puissante : les devoirs ne se font pas, l'attention ne peut être soutenue, et bien certainement nos airs populaires : Vivent le vin, l'amour et le tabac, ou : Au plaisir, à la folie, etc., doivent l'emporter en attraits sur de froides dissertations grecques ou latines, Puisque des considérations futiles ont seules motivé l'envoi des musiques sur le cours Dajot, ne serait-il pas au moins utile qu'on les plaçât sur le plateau f saisant face au Gymnase ? Il ne résulterait plus de perturbations dans les études de nos enfants, et cette mesure nous ferait plus patiemment attendre l'époque plus éloignée où l'on assignera de nouveau aux musiques militairee la place du Champ-de-Bataille, comme point beaucoup plus central et, sous tous les rapports, infiniment plus convenable pour obtenir des effets d'harmonie ».

PLACE ÉTIENNE-DOLET.

La place devant l'église Saint-Louis avait toujours été appelée place Saint-Louis, mais en 1910 la municipalité socialiste de Brest la débaptisa pour lui donner le nom d'Étienne-Dolet.

LES JÉSUITES ET L'ÉGLISE SAINT-LOUIS.

Nous avons vu que les Jésuites avaient eu gain de cause en obtenant le déplacement de l'église Saint-Louis, à Keravel, pour qu'elle fût construite près de leur séminaire.

La première pierre de la nouvelle église fut posée par Mgr de La Brosse, évêque de Quimper, le 10 mars 1688. Les travaux furent poussés d'abord avec activité, mais bientôt surgirent de grosses difficultés financières et le ministre Seignelay donna l'ordre d'arrêter et de couvrir de paille les murs commencés.

L'interruption dura dix ans.

Les travaux étaient repris en 1698, quand la municipalité eut, un jour, la légitime curiosité de connaître les plans de l'édifice dont elle payait tous les frais de construction.

Et grand fut son étonnement d'y voir figurer deux sacristies : l’une pour le clergé de la paroisse, l'autre ayant un escalier communiquant de l'église avec le séminaire.

Quelles prétentions pouvaient donc avoir les Jésuites sur l'église qui se bâtissait avec les deniers de la ville ? Quels titres possédaient-ils ? C'est ce que trois de nos anciens édiles allèrent demander, le 12 mars 1699, au supérieur du séminaire.

On leur montra une sentence épiscopale du 25 juin 1688 qui réunissait la cure de Brest au séminaire. Sans tarder, la municipalité interjeta appel, comme d'abus, devant le Parlement de Bretagne, car les Jésuites, « religieux mendiants et incapables de posséder ni cure ni bénéfices » aux termes de leur institut, ne devaient s'établir à Brest que pour « fournir des aumôniers aux vaisseaux de l'État ».

L'instance dura six ans.

***

Bien qu'inachevée, l'église Saint-Louis avait été livrée au culte le 1er janvier 1702, et Mgr de la Bourdonnaye, évêque de Quimper, avait décidé, en attendant l'issue du procès, qu'elle serait desservie par le curé Roignant et dix prêtres. Il était permis aux Jésuites d'officier, dans l'église, aux heures et jours fixés par le recteur.

L'ÉGLISE SAINT-LOUIS DEVIENT PROPRIÉTÉ DES JÉSUITES.

Un arrêt du 28 novembre 1705 attribua définitivement l'église Saint-Louis aux Jésuites qui, par leurs ténébreuses intrigues, devenaient propriétaires, sans bourse délier, d'un édifice pour la construction duquel la ville s'était imposée près de 400 000 livres de charges extraordinaires.

L'arrêt portaît que l'église devait servir de paroisse à Brest, « en attendant que la ville en ait construit une autre sur ses deniers d'octroi ».

Vaine illusion dont la communauté n'était pas dupe ! Ses ressources, en effet, étaient épuisées ; les recettes étaient tombées de 28 000 à 9 380 livres et les dépenses ordinaires dépassaient 18 000 livres.

La construction d'une nouvelle église ne pouvait être envisagée et il fallait attendre prés de quarante ans avant que la ville ne songeât à faire de nouveaux sacrifices pour recouvrer la possession exclusive de l'église Saint-Louis.

En 1740, une transaction intervint entre la municipalité et les Jésuites ; moyennant une somme de 50 000 livres, qu'ils affectèrent à la construction de la chapelle du séminaire, les Jésuites renoncèrent à leurs droits sur Saint-Louis.

Le traité fut sanctionné par un arrêté du Conseil en date du 3 août 1741 et la ville de Brest devint ainsi l'unique propriétaire de son église.

RÉJOUISSANCES ET CHÂTIMENTS SUR LA PLACE DU VIEUX-MARCHÉ.

L'ancienne place Saint-Louis était autrefois connue sous le nom de Vieux-Marché. Elle était encombrée d'échoppes et de baraques qui disparurent quand an construisit le perron de l'église, en 1788.

Nous allons nous arrêter sur ce placître, car il fut, pendant tout le XVIIIème siècle, le théâtre des réjouissances et le lieu des supplices.

L'INSTALLATION DU MAIRE.

Suivant une vieille coutume, c'est sous le porche de Saint-Louis que commencent les curieuses cérémonies qui accompagnent l'installation d'un maire.

Avant d'entrer dans l'église, le nouveau maire s'agenouille au pied d'un prie-Dieu, vis-à-vis et en dehors de la porte principale ; la main sur le livre des Évangiles, il prête le serment de garder et conserver les droits et intérêts de l'église.

Après avoir entendu la grand'messe, il s'arrête devant une pierre « placée au niveau du pavé et percée d'un rond au milieu, censée le centre de la ville ». Il y pose le talon et prête, entre les mains du sénéchal, le serment traditionnel « de se bien et fidèlement comporter dans les fonctions de maire, de conserver les droits du Roy, les privilèges et immunités de la ville, comme aussi de protéger les pauvres, les veuves et les orphelins ».

LES RÉJOUISSANCES PUBLIQUES.

Tout heureux événement, tel que la naissance d'un prince, une victoire de nos armées, la conclusion d'un traité de paix ou encore l'entrée d'un prince du sang, d'un gouverneur et de quelque autre personnage, donne lieu à des fêtes publiques.

Et toute réjouissance débute par un Te Deum chanté dans l'église Saint-Louis, auquel assiste la municipalité — cérémonie parfois bruyante, s'il faut en croire l'ingénieur des ponts et chaussées Besnard, qui écrit au maire de Brest, le 20 septembre 1779 : « Je viens d'entendre votre Te Deum. Quel tintamarre, grand Dieu ; si j'étais Anglais, j'en aurais bien peur !... ».

Au sortir de l'église, la municipalité, précédée de son greffier, de ses hérauts et de ses archers, se dirige sur la place Saint-Louis, où un bûcher est préparé pour le feu de joie ; le commandant de la place reçoit des mains du maire une torche de cire blanche, et ces deux magistrats allument ensemble le bûcher, en criant trois fois : « Vive le Roi ! ». Ce cri est répété par le peuple, tandis que, sur les remparts du cours Dajot, l'artillerie tire trois salves de canon et que la milice fait des décharges de mousqueterie.

Un bal s'organise sur la place et la population danse au son d'un orchestre, composé, en 1781, de : cinq clarinettes, trois corps, un trompette, quatre bassons, deux hautbois, deux fifres, deux cymbales, un tambour de basque, un triangle et deux caisses, en tout vingt-trois musiciens qui, pour le feu de joie du 22 novembre, sont payés 138 livres.

Le soir, les habitants doivent, sous peine de prison, illuminer leurs maisons « de deux lumières au moins à chaque fenêtre, celles du rez-de-chaussée et des mansardes exceptées ».

Un dîner à l'hôtel de ville, offert par le maire aux officiers municipaux, ou pris sur les deniers de la Communauté, termine souvent la fête.

Te Deum, danses, feu de joie et feu d'artifice, repas, ambigus, décharges d'artillerie et illuminations, tel est le programme habituel des réjouissances publiques à Brest, comme dans la plupart des autres villes. « Qui n’a point vécu avant la Révolution, disait Talleyrand, n'a pas connu le bonheur de vivre ».

LA POTENCE.

C'est sur la place Saint-Louis qu'étaient accomplies, au XVIIIème siècle, la marque, la fustigation, les exécutions sur le vif, sur le cadavre ou en effigie, et les Documents de Criminologie rétrospective, publiés par MM. les docteurs Corre et Aubry, vont nous permettre de rappeler quelques affaires criminelles et causes célèbres d'autrefois, ainsi que les châtiments auxquels assistait, en foule, la population brestoise, sur la place du Vieux-Marché.

La potence était dressée sur l'emplacement actuel de la maison n° 6, qui, face à l'église, se trouve à l'encoignure droite de la place Saint-Louis.

Pour chaque exécution, potence et bourreau sont amenés de Quimper à Brest, et le prix d'une pendaison nous est fourni par une note d'honoraires de l'exécuteur de Quimper, en 1760 :

« Pour avoir tranché le poignet du supplicié : 21 livres.
Pour expédition du gibet : 30 livres.
Fourni le paroir (instrument qui a servi à trancher le poignet) : 4 l. 10 s.
Avoir descendu le cadavre du gibet et l'avoir mis dans le tombereau : 6 livres.
Cinq journées de voyage, avec son valet : 75 livres.
Façon et timbre du présent : 3 l. 2 s. 6 d.
Lesquelles sommes forment un capital de 139 livres 12 sols 6 deniers »
.

***

La marque est une peine flétrissante, mais prononcée aussi avec intention d'imprimer à certains criminels un stigmate indélébile, susceptible de les faire reconnaître en cas de récidivité. Elle s'appliquait avec un fer chaud portant en relief soit les armes de France (fleur de lys) ou de Bretagne (hermine), ou bien les lettres caractéristiques du genre de crime (V, voleur), ou de peine (GAL, galères). On marquait autrefois au visage ; avec le progrès de l'esprit public, on ne le fit plus que sur l'épaule, endroit du corps recouvert par les vêtements, mais facile à visiter. C'était comme le casier judiciaire sous l'ancienne monarchie.

L'AFFAIRE DE LA BELLE ISABEAU.

La peine de la marque et du fouet nous est fournie, en 1713, par l'affaire de la belle Isabeau, écrouée à Pontaniou avec plusieurs de ses compagnes, sous l'accusation de « maquerellage ».

Ces femmes avaient clientèle de jeunes officiers, et l'un d'eux, à la nouvelle que l'on a osé porter la main sur son adorée, se porte garant de son honorabilité (!) dans cette lettre naïvement insolente à M. Bergeret, homme de loi, forcé d'intervenir en l'affaire :

« Monsieur, vous seray sans doute surpris de mon procédé, mais comme je suis tout résolu de pousser la chose, pour laquelle vous avez esté aujourd'huy dans la place de Kéravel, jusqu'où elle pourra aller, je vous écris pour vous dire que, comme je prends intérest à la fille, si l'on continue à la poursuivre davantage et si on luy cause le moindre chagrin, que je vous prendray tous les deux à partie, le nepveu de M. le Sénéchal et vous, afin de rétablir l'honneur et la réputation de ces gens-là, que voilà ternie par vos mauvaises procédures. Faites réflexion à ce que je vous dis et faites en sorte au plus tost de faire cesser toutes ces poursuites, si vous ne voulez pas que je vous entreprenne vous-mêmes. Voilà tout ce que j'ay à vous dire à ce sujet et suis tout à vous. De Sainte-Marthe, à bord de l'Admiral, ce 26 septembre 1713 ».

Le cas se règle par-devant le siège royal de police, et, par arrêt du 22 décembre, la femme Isabeau Donnal est condamnée à la fustigation, à la marque et au bannissement.

Le 10 février 1714, la sentence reçoit un commencement d'exécution : Me Vincent Lucas, huissier du siège, certifie que l'exécuteur criminel de Quimper « a pris la femme Donnal aux prisons de Pantaniou, lui a découvert les espaulles. attaché un écriteau portant « maquerelle publique », l'a conduite et fouettée sur la place du Marché, puis ramenée aux prisons ».

Mais voilà que la condamnée doit garder le lit « à cause d'une enflure de la jambe ». Et le bourreau, dont les gages ont subi de trop longs arriérés, ne veut plus accomplir la seconde partie de la sentence. Vainement l'huissier le somme de remplir son office, et loin d'obéir, il répond « d'un air arrogant qu'il ne le feroit pas à moins d'estre payé d'avance et qu'il lui falloit vingt pistolles, à raison d'une pistolle par jour, luy ayant la dépense ».

L'exécuteur finit par consentir à continuer son oeuvre : la Donnal est repromenée et refouettée « en suite de quoy elle est amenée au pied de la potence, puis marquée sur l'espaulle dextre dam fer chaud coupé et taillé en façon de fleur de lis ou ermine. Ce fait, ladite Donal a esté conduite par ledit exécuteur hors de cette ville et faubourg de Brest, avec deffense d'y rentrer ».

L'EXÉCUTION EN EFFIGIE.

L'exécution en effigie est la « représentation » du genre de mort auquel l'accusé contumace a été condamné. Effigie et tableau portant copie du jugement de condamnation sont exposés sur la place publique.

Nous rencontrons ce genre d'exécution dans une affaire de duels — terminaison fréquente de querelles après boire, entre soldats — et cependant « très expressément défendus à tous ».

Le tambour Guillaume Mussart, de garde avec le caporal Brocq, provoque ce dernier. Tous deux mettent l'épée à la main, et le premier tue son adversaire. L'affaire est jugée d'office. Le meurtrier, qui est en fuite, est déclaré contumace et condamné à être pendu, son corps jeté à la voirie ; « l'exécution aura lieu en effigie ».

Le cadavre du caporal « sera, par les soins de l'exécuteur de la haute justice, attaché par les pieds au derrière d'une charrette, traîné sur une claie, la tête en bas et la face contre terre, au travers des rues, jusqu'à la place du Marché, où il sera pendu par les pieds, puis, au bout de vingt-quatre heures, porté à la voirie ».

L'EXÉCUTION DU CADAVRE.

Les sentences prononcées contre les cadavres étaient-elles exécutées ?

L'affaire de l'espion Legrand, jugée à Brest en 1696, fut l'objet, à cet égard, d'une lettre de l'intendant de la marine Desclouzeaux, que nous lirons plus loin.

Legrand, employé dans l'administration des vivres, se disant protégé du maréchal de Villeroy, et se faufilant, à la faveur de cette prétendue protection, parmi les officiers de marine dont il recueillait des renseignements sur l'état de nos flottes, entretenait une correspondance secrète avec un calviniste réfugié à Rotterdam.

Arrêté et emprisonné au château, cet homme se jette, un matin, par une fenêtre du premier étage de la prison. On le relève très grièvement blessé, et M. Ollivier, médecin de marine. emploie tous les moyens de la science d'alors pour lui conserver la vie, jusqu'à « faire abattre et écorcher des moutons dont la peau sert à l'envelopper et à ranimer ses forces épuisées ».

On ne parvient qu'a retarder la mort de quelques heures et en attendant des ordres supérieurs, l'intendant prescrit de « saler le corps du prisonnier et de le mettre dans un coffre ».

La procédure suivit son cours habituel, et sentence fut rendue contre le cadavre de Legrand. Mais, sur une dénonciation anonyme, on crut, à la Cour, que le cadavre d'un pauvre diable de l'hôpital avait été substitué à celui de l'espion, et le ministre, M. de Pontchartrain, écrivit à ce sujet une lettre un peu acerbe à l'intendant Desclouzeaux, qui fit la réponse suivante :

« Sy l'on pouvait scavoir qui a donné l'advis au roy que le nommé Legrand n'est point mort, l'on pourroit juger pourquoi il avait donné un advis contraire à la vérité. L'on juge que l'escriture du billet que Monseigneur m'a fait l'honneur de m'envoyer est escrite de la main gauche. Je le supplie très humblement d'assurer Sa Majesté que ce Legrand est bien mort, qu'il s'est jetté par la fenestre d'une des chambres du chasteau, que je l'ay fait mettre dans des peaux de moutons que j'avais fait écorcher tous en vie, croyant que cela le pourrait sauver, estant tout meurtry et fracassé... Tous les gens de la ville sont témoins qu'il a esté traisné sur la claye, ensuite pendu. M. de Chateaurenault, auquel j'en viens de parler, a vu faire cette exécution. Il le connaissait pour l'avoir vu servir M. le marquis de la Porte. Il fut ensuite jetté à la voyrie, où les chiens le mangèrent ».

LA QUESTION.

Parmi les exécutions sur le vif, nous signalerons celles, en 1707, de deux espions : Marquis et Jouslain [Note : Jouslain, marchand corroyeur, habitait la petite maison située à Lanninon, connue sous le nom de maison, de l'Espion. Il en avait fait un poste d'observation des mouvements de la rade et du port, mouvements dont il donnait connaissance à des Français que l'édit de Nantes avait contraints à s'expatrier] qui, avant d'être pendus, durent subir la question.

La question pouvait être préparatoire, « pour savoir vérité ». C'était le moyen de forcer la mémoire ou l'aveu au cours d'une procédure, et lorsque le crime, passible de peine capitale, était reconnu « certain et constant ».

La question définitive qui venait après la chose jugée, avait pour but d'amener un condamné « à révélation de complices ». Cette coutume barbare qui ne fut abolie en France qu'en 1780, était une torture ajoutée à un supplice capital, une épouvantable aggravation de la peine suprême. En Bretagne, la question se donnait par le feu : on approchait les pieds du patient, chaussés d'escarpins de fer, d'un brasier ardent, un plus ou moins grand nombre de fois, selon que la question devait être ordinaire ou extraordinaire.

Après que les deux condamnés Marquis et Jouslain eurent entendu, dans la sacristie de la chapelle de Pontaniou, la lecture de leur sentence, ils furent déshabillés et placés par « le juge questionneur » sur un siège, auquel ils furent liés par les bras et par les jambes, puis soumis itérativement de dire la vérité. Cette sommation fut renouvelée avant chacune des six applications du feu qu'ils eurent à subir.

Le supplice de la question avait commencé à onze heures du matin, A six heures du soir, les deux condamnés étaient remis entre les mains de l'exécuteur du présidial de Quimper, et conduits devant la porte principale de l'église Saint-Louis. Là, en présence de toute la population, ils font l'amende honorable, « la tête et les pieds nus, en chemise, une torche à la main, avec deux écriteaux portant les mots : traître et espion, l'un sur la poitrine, l'autre sur le dos ».

Ils sont ensuite pendus sur la place du Vieux-Marché.

L'EMPOISONNEUR JEAN MOR.

L'exécution sur le vif, souvent précédée de la « question », est parfois suivie du « brûlement » comme dans la tragique aventure du nègre empoisonneur Jean Mor, en 1764.

Jean Mor, originaire de la Martinique, est depuis sept mois, à Brest, au service d'un jeune enseigne de vaisseau, M. de Niort. Il a la passion de l'indépendance et pense à se débarrasser de son maître par un empoisonnement, afin de profiter de l'occasion d'un petit convoi de rapatriement, aux îles, de nègres affranchis, parmi lesquels il se glissera subrepticement.

Sur le conseil d'un mulâtre, Louis Rodin, cuisinier du comte de Grasse, qui lui avait remis des graines vénéneuses venant de Cayenne, dites « liane à poison et qui donnent un goût exquis de la volaille », il mêle la râpure de ces « semences » à la farce d'un poulet destiné au repas de son maître.

Celui-ci mange du plat sans défiance, ainsi qu'une demoiselle Plusquellec, habitant la même maison, et tous deux éprouvent bientôt des symptômes très inquiétants.

L'officier, initié aux mœurs d'outre-mer, n'a pas un instant d'hésitation sur la nature et les causes de l'accident. Jean Mor, son domestique, a voulu l'empoisonner. Il appelle l'esclave, en obtient des aveux. Jean Mor et Louis Rodin sont arrêtés.

L'information est lente, malgré l'ordre du ministre, qui écrit à l'intendant de la marine « de recommander aux juges de suivre cette affaire avec autant de précaution que d'activité ».

Mais il y a eu l'intervention des hommes de l'art, et les quatre médecins experts ne peuvent pas arriver à donner leur avis sur l'espèce et les propriétés réelles des « cinq » graines incriminées.

« M. de Niort a éprouvé, deux heures après avoir mangé de la poule farcie, un grand feu dans l'œsophage, de la chaleur et de la pesanteur à l'estomac, des nausées, quelques battements et espèces de mouvements convulsifs, suivis d'accablement et d'une nuit sans sommeil ; le lendemain, son mal a augmenté ».

« La demoiselle Plusquellec, qui a mangé une cuisse de la volaille et pas de farce, a été moins éprouvée : elle a vomi considérablement, a rejeté des glaires teintées de sang, a eu des faiblesses, puis de l'abattement ».

Et les experts rapportent que « quoiqu'ils aient fait plusieurs voyages à l'Amérique, ils ne reconnaissent en aucune façon l'espèce et le nom de la dite graine, qu'ils doutent même que l'effet de cette graine puisse servir à empoisonner aucune espèce d'animaux, et que, quand l'effet en serait tel, la quantité de graine est trop modique pour pouvoir produire aucun effet sur un chien ni autre espèce de brette... ».

Mais il n'y a pas à mettre en doute la tentative d'empoisonnement. Jean Mor a avoué et il va quand même être soumis à la « question préparatoire avec réserve de preuves ».

Voici quelques extraits du procès verbal de cette torture :

« Fait chausser le nommé Mor d'escarpins de soufre et attacher sur le tourment [Note : Les escarpins appliqués étaient de cuir soufré. Le tourment était une table, sur laquelle en étendait le patient].

Fait approcher du feu pour la première fois, et retiré.

Interrogé... — Répond que son maître ne l'a jamais maltraité, mais qu'il est vrai qu'il lui a souvent demandé de le rendre libre et qu'il l'a toujours refusé.

Interrogé de ce que Rodin lui répondit lorsqu'il l'entretenoit du refus que son maître faisoit de le rendre libre.

Fait approcher du feu pour la deuxième fois et retiré.

Répond que le mulâtre lui dit qu'il devait passer incessamment aux isles et qu'il falloit que lui y eût passé avec luy.

Interrogé... — Répond que Rodin lui dit avoir apporté les graines de Saint-Domingue, qu'il lui dit que c'était de la graine de Piment de Bouc et propre à empoisonner ; que ce fut le 13 janvier dernier qu'il en fit le premier essay, en ayant mis plusieurs dans un poulet qu'il fit rôtir pour le souper de son maître ; qu'il en fit un deuxième essay le lendemain et, la troisième fois, le 17, eut la précaution d'écraser les graines, afin que leur substance malfaisante se fût répandue avec plus de succès dans la farce d'une poularde, qu'il apprêta le soir de ce jour pour son maître.

Fait approcher du feu pour la troisième fois et retiré.

Fait approcher du feu pour la quatrième fois et retiré.

Répond qu'il est vrai que son maître et la demoiselle Plusquellec éprouvaient tous les accidents que nous venons de lui expliquer ; qu'il a porté à son maître, pendant les trois jours de maladie, les remèdes dont il a été obligé de faire usage, et avoue que ces accidents doivent leur avoir été occasionnés par les graines qu'il avait mis dans la poularde.

Fait détacher de dessus le tourment et asseoir sur une chaise ».

L'exécution de Jean Mor eut lieu le 2 juin, sur la place Saint-Louis, en présence du sénéchal et du procureur du roi.

Escorté par les cavaliers de la maréchaussée de Landerneau, le nègre, qui a été écroué au Château, est conduit par l'exécuteur de Rennes devant la porte de l'église et là, « en chemise, teste nue, la corde au col, tenant en ses mains une torche ardente du poids de deux livres, l'exécuteur de la haute justice attache devant luy et au dos un placar où est écrit en gros caractères : Empoisonneur ; puis, estant à genoux, il fait l'amende honorable, déclarant que méchamment il a tenté à plusieurs reprises d'empoisonner son maître, dont il se repent et demande pardon à Dieu, au roi et à ia justice. Ce fait, il est mené à la place publique pour y estre étranglé et brûlé, son corps réduit en cendre et icelle jettée au vent, devant les juges de la sénéchaussée de Brest ».

L'ESPION ANGLAIS GORDON.

La décapitation est réservée aux nobles et gentilshommes. Nous en trouvons un exemple, à Brest, dans la célèbre affaire de l'espion Gordon.

Alexandre Gordon de Wardhouse, gentilhomme écossais de vingt-deux ans et officier au service de l'Angleterre, fut arrêté chez un traiteur de la place Médisance, le 1er juin 1769.

Sur conclusions du procureur du roi Bergevin. Gordon est « convaincu d'avoir tenté de corrompre et d'avoir corrompu, en effet, la fidélité des sujets du Roi en les engageant, par écrit et à prix d'argent, de lui fournir tous renseignements, tant sur le nombre et la force des vaisseaux du Roi en ce port de Brest et le nombre des ouvriers qui y travaillent, que sur les ports et anses qui peuvent se trouver le long des côtes de Saint-Malo à Brest, et spécialement de lui marquer les endroits de la côte voisine de Brest les plus propres à y faire des descentes avec sûreté ».

Gordon est condamné, le 24 novembre « à avoir la tête tranchée par l'exécuteur de la haute justice, sur un échafaud qui sera, pour cet effet, dressé sur la vieille place du Marché ».

Lecture de la sentence est donnée au gentilhomme dans la prison de Pontaniou et il prend immédiatement ses dispositions testamentaires, parmi lesquelles nous relevons : « 120 livres de gratification au perruquier Denis, qui l'a accommodé pendant sa détention ; 150 livres au geôlier et à sa femme ; une croix d'or qui sera donnée à une bonne vieille femme âgée de soixante-seize ans, nommée Marie Creuzel, laquelle, le voyant passer, peu de jours avant son arrestation, près du parc d'entrée des vivres, s'était écriée : « Ah ! le bel homme ! si j'étais jeune, je voudrais qu'il fût mon mari !... ».

Le 29 novembre, à quatre heures de l'après-midi, Gordon sort de l'arsenal, encadré par un détachement de la garnison. Il est vêtu de noir et porteur de son écharpe, car il doit être exécuté « avec toutes les marques militaires ».

Il monte la Grand'Rue « d'un pas ferme et la tête haute, sans affectation, saluant tout le monde, principalement les dames qu'il voyait en grand nombre aux fenêtres. Parvenu sur la place Saint-Louis, où 450 hommes de troupes étaient sous les armes, il regarda l'échafaud sans qu'aucune émotion se décelât en lui ».

Il s'entretint avec le plus grand calme pendant un quart d'heure environ, avec M. Siviniant, greffier de la prévôté, et pendant la lecture de sa sentence, qu'il entendit la tête couverte et un genou posé sur une pierre, toujours impassible, il se montra très attentif à l'énumération des griefs articulés contre lui.

Il marcha ensuite vers l'éçhafaud et le gravit avec la plus grande légèreté. Parvenu sur la plate-forme, il salua les assistants à trois reprises, avec une noblesse exempte de recherche et se borna à dire : « Voyez, messieurs, mourir un homme à vingt-un ans ».

Il se dépouilla de son écharpe, de son habit, qu'il ploya, prit un mouchoir dans lequel il ramena ses cheveux, reprit son écharpe qu'il replaça comme s'il eût été de service, rabattit le col de sa chemise, demanda si elle était bien, mit un genou en terre, embrassa le poteau, et dit à l'exécuteur, en regardant le couteau [Note : "Cette funèbre relique, dit Levot (Bulletin de la Société académique, 1861), se conserve à la direction d'artillerie du port de Brest. C'est un large couteau renfermé dans une gaine en cuir, et fabriqué pour la circonstance. Il est droit, et sa lame en acier est large d'environ 0m07 sur toute sa longueur, qui est de 0m75. Le manche en corne, n'a que 0m18 de longueur et ne peut être manoeuvré que par une seule main. Le poids total de l'arme est de 1kg500. Il semble difficil que ce couteau, en raison de sa forme et de son poids, puisse trancher la tête d'un homme d'un seul coup"] qui devait lui porter le coup mortel: « Ne me manque pas ! ».

Le corps de Gordon ne fut pas jeté à la voirie, mais inhumé, sur ordre de l'intendant, dans le cimetière de la rue du Rempart.

PLACE LA TOUR-D’AUVERGNE.

Il y a cent ans, tout le terrain compris entre les remparts (rue Colbert) et la rue de la Rampe présentait une profonde vallée entourée de maisons dans une partie de la rue Saint-Yves, rues de Siam et de la Rampe.

L'ANCIEN CLOAQUE DU PONT-DE-TERRE;

Dans son milieu — rue de la Mairie — une chaussée appelée Pont de terre établissait une communication facile entre les rues de Siam et Saint-Yves et le nom de Pont-de-Terre (la place La Tour-d'Auvergne actuelle) était donné au précipice d'une quinzaine de mètres qui s'étendait de cette chaussée, à la rue de la Rampe.

Un chemin tortueux, où des flaques d'eau puante et des tas de fumier se rencontraient à chaque pas. coupait le ravin en diagonale et conduisait de l'encoignure des rues Saint-Yves et de la Mairie à la rue de la Rampe.

Là était le refuge de tout ce qu'il y avait d'immonde à Brest, « Le voleur, l'assassin, le forçat évadé y trouvaient un gite sûr et hospitalier ».

Quelques maisons basses et sordides qui bordaient, d'un côté, le sentier du Pont-de-Terre abritaient, chaque soir, moyennant cinq centimes, vagabonds et mendiants des deux sexes. On se livrait là à la plus dégoûtante prostitution et à la plus sale débauche.

L'ASSASSINAT DU LIEUTENANT PATRY.

Le ravin du Pont-de-Terre fut le théâtre d'un drame sanglant, le 23 juin 1791 :

C'était le jour de la Fête-Dieu ; il y avait foule sur le Champ-de-Bataille.

Vers cinq heures du soir, des citoyens apprennent qu'une caricature de l'autel de la Patrie, élevé sur la place — l'emblème vénéré qui consacre le divorce du peuple avec la vieille société — vient d'être affichée au premier étage du café de la Comédie.

La nouvelle se répand. La foule veut voir, envahit l'établissement ; et, en effet, dans la salle de billard, sur le panneau d'une armoire d'attache, s'étale un dessin « d'une obscénité révoltante », au-dessus duquel une main a crayonné ces mots : Autel de la Patrie ou de Patry.

L'inscription est à demi effacée. C'est une facétie de corps de garde. Mais les têtes sont montées. On y voit un « outrage à la Nation ». Et le tumulte grandit.

Sur l'ordre du maire, M. Malmanche, le procureur-syndic requiert la force armé. Les tambours battent la générale à travers les rues de la ville.

Quatre cents soldats, leurs chefs en tête, précédés du drapeau rouge et des officiers municipaux qui doivent proclamer la loi martial, arrivent bientôt au Café de la Comédie.

Mais un crime a été consommé.

Devant les vociférations de la foule, qui réclamait le nom de l'auteur du dessin, et pour éviter une collision terrible, imminente, un officier de vingt-deux ans, le lieutenant Patry — venu à Brest pour rejoindre son corps à la Martinique — s'est désigné aux colères des citoyens, en s'écriant : « C'est moi ! ».

Il est immédiatement criblé de blessures, traîné tout le long de la rue Saint-Yves, puis jeté dans le ravin du Pont-de-Terre. Là, il est immolé et sa tête, placée au bout d'une pique, est promenée dans toute la ville.

Quand, vers huit heures et demie du soir, la tranquillité fut rétablie, les officiers municipaux allèrent recueillir les membres épars du malheureux Patry et le firent porter au cimetière.

Souverain inviolable et sacré, le peuple ne devait compté à personne de ses sentences et les assassins de Patry ne furent pas recherchés.

***

Le bas-fond du Pont-de-Terre fut, à toutes les époques, l'objet de la sollicitude de l'édilité brestoise.

En 1762, on l'entoure d'un talus, du côté de la rue de la Mairie, et la haie vive, qui le bordait rue Saint-Yves, ayant été détruite par l'ouragan de 1770 « qui fit tomber la plupart des fenêtres de l'hôtel de ville », fut remplacée par une palissade.

Mais talus et barrière n'existaient plus sans doute en 1802, époque où l'on signale que « les carrosses se précipitent, dans ce fond, sans garde-fous — dangereux pour les voitures et les piétons », et où la municipalité décide l'élévation d'un mur, tout autour de la partie découverte du ravin.

Dès 1786, un arrêt du Conseil d'État en avait autorisé le remblaiement, pour construction de halles. Mais aucune décision n'avait encore été prise, en 1830, lorsque le 1er mai de cette année, M. Barchou, maire de Brest, présenta un rapport au conseil municipal, dans lequel il demandait à niveler le terrain pour y tracer une rue, à couverture vitrée, qui aurait rejoint la Rampe.

« On ne communique aux habitations du Pont-de-Terre, lisons-nous dans ce rapport, que par un sentier étroit, escarpé et dangereux. Les masures n'ont pour hôtes que quelques ouvriers malheureux, des femmes publiques, les mendiants de la ville, ceux du dehors et les vagabonds qui n'ont aucun domicile. Tous gîtent en confusion sur la paille. Entrepôt des vols, théâtre de la plus sale et de la plus dégoûtante débauche et de crimes, cette localité est pour ainsi dire inaccessible à la police ».

Ce tableau n'avait rien d'exagéré. Un rapport de police, de 1829, atteste en effet que parmi les habitants du Pont-de-Terre se trouvaient : douze condamnés et récidivistes libérés dont plusieurs avaient été condamnés pour vols qualifiés, un pour assassinat, une mère pour avoir prostitué sa fille, etc.

On conçoit aisément que parmi une population composée de tels éléments, les crimes fussent assez fréquents. Pas un habitant honnête de la ville n'eût descendu dans ce bouge, à moins d'une impérieuse nécessité, et encore n'aurait-on point voulu s'y aventurer seul, même dans le jour.

Les préoccupations qu'éveilla la révolution de 1830 déterminèrent l'ajournement de toute solution à l'égard du Pont-de-Terre.

Mais survint le choléra de 1832, qui causa à Brest un millier de morts et qui avait été chercher sa première victime parmi les habitants de ce cloaque.

Les questions de sécurité et de salubrité publiques se trouvaient alors liées. On ne pouvait conserver plus longtemps un pareil lieu d'infection au centre de la ville et M. Fleury, maire de Brest, fit reprendre l'étude des anciens projets.

Le conseil municipal arrêta, en 1832, qu'une somme de 125 000 francs serait employée à l'acquisition des terrains et maisons du Pont-de-Terre. Un concours fut ouvert et quatorze plans furent adressés sur la question de transformation de cette véritable « Cour des Miracles ». Aucun des projets n'ayant satisfait la commission, on se borna à décider que, pour le moment, le terrain serait aplani et mis au niveau des rues, « le but étant d'assainir tout d'abord ce quartier et d'effacer cette localité qui affectait tout à la fois les regards, la morale, la salubrité et la santé publique ».

Un mur de soutènement, très élevé, fut établi du côté de la rue de Siam et de la rue de la Rampe, en 1837 ; travaux de remblai commencèrent immédiatement et ils étaient terminés lorsque, le 9 février 1841. le conseil municipal décida que la place du Pont-de-Terre servirait d'annexe à la place Saint-Louis comme marché aux fleurs, fruits et légumes, et qu'une fontaine publique y serait établie.

Une délibération du 2 août 1841, approuvée par l’ordonnance royale du 17 octobre suivant, assigna à la nouvelle place le nom de la Tour-d’Auvergne.

LES PREMIERS MAGASINS.

L'adjudication des terrains aux particuliers eut lieu en 1842, sous la condition expresse de bâtir des maisons sur un plan uniforme donné par la ville et, quelques années plus tard, nous voyons s'établir à l'entour de la place :

Au n° 2 MM.Bonain, bonnetier et Delavier, bottier ; au n° 4: la fabrique de chocolats Le Coispellier, « fournisseur de S. A. R. Mgr le prince de Joinville, spécialiste des pralines du prince de Joinville, en chocolat et à la liqueur, à huit francs le demi kilogrammes » ; au n° 8 : Adam, fleuriste ; Tousseux, doreur-tapissier et l'imprimerie Egasse ; au n° 12 Mme Mangel, modiste ; au n° 14 : MM. Leloutre, tailleur et Floch, pharmacien.

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La place fut ornée et plantée de tilleuls et la première station de fiacres s'y établit en 1865 : « Brest, rapporte un chroniqueur, veut prendre les allures d'une grande ville. Près des bornes de la place La Tour-d'Auvergne se trouvent d'élégants coupés qui vous mènent soit à l'heure, soit à la course, où vas travaux ou vos plaisirs vous appellent. Un succès incontesté est atteint par ces voitures qui sillonnent la ville de tous côtés et chôment rarement à leur place ».

Chaque année, du 15 décembre au 15 janvier, la place de la Tour-d'Auvergne présentait autrefois une grande animation, car c'était là que s'installaient les baraques du premier de l'an et, le jour de la Fête-Dieu, on y élevait un superbe reposoir.

La place fut transformée en square en 1869. Il était, avant la guerre, fort bien entretenu et le quartier hideux — d'il y a cent ans — qui gisait au sein de la ville, comme une plaie honteuse, était l'un des coins les plus agréables de notre cité.

PLACE MARCELLIN-BERTHELOT.

Cette place était autrefois très fréquentée : située au milieu de la principale artère de la ville, elle était le rendez-vous des flâneurs et des commères, d'où lui vint le nom de place Médisance ou de la Médisance.

L'arrêté du 5 messidor an II l'appela place des Fontaines, et elle reprit son ancien nom en 1811, qu'elle conserva jusqu'en 1907.

LES ANCIENNES FONTAINES.

C'est sur cette place, à l'encoignure de l'ancienne rue Saint-Louis, que fut élevée, en 1748, l'une des premières fontaines de la ville.

L'approvisionnement en eau potable d'une cité comme Brest, dont l'accroissement était rapide fut l'une des grandes préoccupations de nos municipalités du XVIIIème siècle.

Alors que Brest ne se composait que de son château fort et de quelques maisons éparses au pied du bastion Sourdéac, l'eau servant à la garnison et aux habitants était prise dans deux puits creusés à l'intérieur de la forteresse et à la fontaine du quai, mentionnée dès 1676 : la fontaine du quai Tourville, rebâtie en 1783, « avec les armes de la ville sculptées, du côté des maisons celles de l'intendant du côté de la mer et des inscriptions gravées sur les deux autres faces ».

Armoiries et inscriptions, œuvre du maître sculpteur Lubet, furent martelées en 1791, et la fontaine du Quai, inutilisée aujourd'hui, est le dernier vestige de la partie la plus ancienne du Brest d'autrefois.

LA FONTAINE DE LA PLACE MÉDISANCE.

La fontaine de la place Médisance fut réédifiée, en 1752, au centre de la place, sur la lisière de la Grand'Rue, et c'est au pied de ce monument — un bel obélisque de Kersanton, dont le plan avait été dressé par le sculpteur du port Caffiery — que, les jours de marchés, l'huissier, assisté de ses deux témoins et du tambour de ville, donnait connaissance au peuple des arrêtés municipaux et des autres actes de l'autorité.

La fontaine fut une nouvelle fois démolie et déplacée en 1768, époque du premier pavage de la Grand'Rue, car on n'avait pas tardé à reconnaître les inconvénients de sa situation : la boue pendant l'été, la glace pendant l'hiver la rendaient souvent impraticable ; puis, lorsque le vent soufflait fortement, l'eau éparpillée de tous côtés en rendait l'accès fort incommode.

On l’adossa au muretin du bas de la rue de la Rampe, et elle vient de disparaître, il y a quelques années.

PLACE SADI-CARNOT.

L'ANCIENNE HALLE AUX BLÉS.

En 1820, la ville acheta à l'hospice, moyennant 50 000 francs, le terrain dit des Carmes, un superbe jardin à terrasses sur lequel fut bâtie la halle aux blés.

La première pierre de cet édifice fut posée le 4 novembre 1828 par le vice-amiral Duperré et la halle fut ouverte au public le 15 septembre 1833.

L'étalage y était obligatoire pour le pain, le blé, les farines, légumes et fruits secs ; pour la bourrellerie, la verrerie, la faïencerie, le lin, le fil, la toile et les cuirs.

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C'est dans la grande nef de cette halle, présentant une surface couverte de 1 600 mètres, qu'eut lieu, en 1842, le bal offert par la ville au duc et à la duchesse de Nemours, bal splendide, mais d'une magnificence bien inférieure au bal vraiment féerique auquel assistèrent l'empereur Napoléon III et l'impératrice Eugénie le 10 août 1858.

LE BAL DE L'EMPEREUR (1858).

L'édifice de la halle avait été transformé, pour cette réception, en une immense salle de bal splendidement décorée, qui reçut près de quatre mille invités.

Au fond, sur une estrade, le trône impérial s'élevait sous un dais de velours rouge et de chaque côté étaient aménagés un salon d'été avec cascade, au milieu des plus jolis parterres, et un salon d'hiver orné des plus beaux meubles et des plus riches tapisseries.

L'accueil fait aux souverains à leur entrée dans la salle fut une véritable ovation.

« A neuf heures, rapporte M. Bizet, maire de Brest, dans son Compte moral de l'année 1858, Leurs Majestés furent annoncées. Après avoir été reçues, à leur descente de voiture, par le maire et les commissaires du bal, Elles entrèrent dans la salle. Oh ! alors, l'élan de la joie, de l'allégresse publique n'eut plus de bornes ; la musique puissante qui exécutait l'air de la Reine Hortense était complètement couverte par la grande voix de quatre mille personnes.

L'empereur portait l'uniforme de général de division et le grand cordon de la Légion d'honneur, L'impératrice, dont la grâce et la beauté modeste sont si vivement admirées, portait une robe bleue à paillettes d'argent et, sur le front, un diadème en diamants, au milieu duquel le Régent se faisait remarquer par son énorme volume et son vif éclat. L'impératrice s'était parée pour la première fois de ce précieux bijou ; elle en faisait les honneurs à la ville de Brest.

M. Chic qui, le matin, avait eu l'insigne honneur d'être décoré de la main de Sa Majesté, et M. Tréguier étaient les chefs d'orchestre.

Après le quadrille impérial, cinquante jeunes couples bretons, se tenant par la main, firent leur entrée dans la salle, précédés du hautbois et du biniou ; ils portaient les costumes les plus riches et les plus élégants du Finistère. En passant devant Leurs Majestés, les couples s'inclinaient, puis exécutaient leurs danses nationales. Cet intermède parut faire plaisir à l'impératrice qui, du geste, encourageait l'expansion de la joie répandue sur les physionomies de nos Bas-Bretons. L'empereur lui-même sourit à plusieurs reprises à certains passages de ces danses primitives...

Avant de remonter en voiture, l'impératrice voulut bien accepter un élégant album que lui présenta le maire de Brest ; il contenait les portraits à l'aquarelle des paysans bretons, en grand costume traditionnel, dessinés par le peintre brestois, M. Caradec.

Pendant le bal, les rues, les places, les édifices publics et les habitations particulières s'étaient illuminés ; dans les quartiers les plus retirés, l'empressement des citoyens à satisfaire aux invitations municipales se montrait digne des plus grands éloges ; toutes les croisées avaient leurs lampions, leurs verres de couleur ou leurs lanternes vénitiennes. Les splendeurs des Mille et une nuits renaissaient en réalité pont la ville de Brest ».

LA BIBLIOTHÉQUE MUNICIPALE.

La bibliothèque municipale fut installée, en 1853, dans une des galeries du premier étage de la halle.

Les premières collections de cet important dépôt furent constituées par la bibliothèque de la vieille abbaye de Saint-Mathieu, transportes en l'an II, rue de La Mairie, au « Bureau des Marchands », et par les ouvrages provenant du couvent des Carmes de Brest et des Capucins de Recouvrance.

Ce ne fut que vers 1843 que la bibliothèque communale prit un certain essor. En 1849, elle comptait cinq mille volumes et, sur la proposition du maire, M. Bizet, elle fut aménagée dans les combles de l'hôtel de ville, puis ouverte au public le 9 octobre 1850.

L'année suivante, la ville acquit plus de quinze mille volumes appartenant à M. Le Hir, jurisconsulte distingué, qui avait laissé en mourant de riches collections, et un nouveau local, plus spacieux, fut alors réservé, dans la halle aux blés, à la bibliothèque municipale, où le public fut admis, pour la première fois, le 5 juillet 1853.

LE MUSÉE.

Le musée installé, comme la bibliothèque, dans les galeries de la Halle, fut fondé au mois de mai 1875 à la suite d'une exposition artistique, à laquelle tous les Brestois, propriétaires de toiles et de tableaux de prix, avaient participé en mettant leurs richesses à la disposition de la ville.

LA SALLE DES FÊTES.

L'aménagement d'une salle des fêtes dans le bâtiment de la Halle, projeté depuis plusieurs années, fut décidé en 1892 à la nouvelle que le président Carnot devait faire l'année suivante un voyage en Bretagne et s'arrêter à Brest.

La splendide décoration de la salle et de ses abords, confiée à M. Diosse, était terminée en juin 1893, quand on apprit que l'état de santé de M. Carnot l'empêchait d'effectuer son voyage en Bretagne.

La salle des fêtes fut inaugurée le 10 avril 1894 par un concert exceptionnellement brillant qu'organisèrent les réputés professeurs Allègre et Tréguier.

La place de la Halle prit en 1896 le nom de place Sadi-Carnot.

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La salle des fêtes, la bibliothèque municipale, le musée et tout l'immeuble de l'ancienne Halle ont été incendiés par bombardements dans la nuit du 5 juillet 1941.

PLACE WILSON.

Le Champ-de-Bataille — aujourd'hui place Wilson — fut tracé par Vauban, en 1694, sur un terrain qui n'était alors qu' « une espèce de solitude, où l'on ne voyait que des champs cultivés ». Aplani, en 1704, il servit de champ de manœuvre aux gardes de la marine.

Un fossé, surmonté d'un petit talus, le séparait des rues environnantes et une rangée de grands ormes de haute futaie se dessinait à l'entour.

L'« ALLÉE DES SOUPIRS ».

Seule, l'allée faisant face au Petit-Couvent avait deux rangées d'arbres. C'était l'« Allée des Soupirs », chemin ombragé et solitaire, où les amoureux venaient, en ce temps-là, « soupirer » avec ou sans leurs belles. Elle était le pendant du « Bois d'Amour », le petit taillis près des remparts, au milieu duquel fut élevée, dans la rue Colbert, la première fontaine de la ville.

La marine, propriétaire du Champ-de-Bataille, en permit l'accès aux troupes de la garnison en 1752 et le génie militaire en prit possession en 1791.

Quelques années plus tard, la municipalité Pouliquen obtint l'autorisation d'embellir la promenade. Les vieux arbres furent abattus et, en échange du bois donné à la marine, celle-ci offrit vingt-cinq couples de forçats qui travaillèrent au remblai des fossés et à la construction d'une murette en pierres de taille : elle fournit également le fer pour les balustrades.

Les huit belles urnes « Médicis » qui surmontent les piédestaux des angles furent achetées par la ville en 1845, et le kiosque, qui coûta 12 127 francs, fut élevé, en 1890, sur l'emplacement d'une petite estrade dont on demandait depuis longtemps la disparition, car « elle est pourrie, écrit la municipalité, dès 1845, et elle ne peut contenir les musiques des régiments qui sont obligées de jouer sur le sol ».

Le Champ-de-Bataille fut acheté par la ville, au département de la Guerre, en 1901, moyennant la sonune de 200 000 francs.

L'AUTEL DE LA PATRIE ET L'ARBRE DE LA LIBERTÉ.

Nulle époque ne vit jamais plus de fêtes publiques que la Révolution et Brest les célébra toutes sur le Champ-de-Bataille.

Le 14 juillet 1791, c'est l'élévation, au centre de la place, de l'« Autel de la Patrie », entouré de gazons, de fleurs et de peupliers, auquel ouvrage tout le monde participa, même le commandant de la marine, M. de Marigny, et le chef d'escadre, M. de Balleroy, qui, pour donner l'exemple, voulurent rouler « les premières brouettes patriotiques ».

L'année suivante — le 14 juillet 1792 — alors que dans l'ivresse de la nation, tout n'est que candeur, espoir immense et fraternité universelle, on plante, près de l'Autel de la Patrie, l'« Arbre de la Liberté », un jeune chêne vigoureux provenant du mont Frugy et qui ne dépérit pas, comme beaucoup d'autres, car, en 1801, nos ancêtres « voyaient croître avec plaisir l'arbre sacré qu'ils avaient planté », et il était « magnifique » quand il fut abattu, une nuit, en 1816.

La cérémonie revêtit un grand éclat, et le Champ-de-Bataille devint la place de la Liberté.

Quelques jours plus tard — le 10 août — sonnait le dernier glas de la royauté, et la fête qui devait solenniser cet événement fut remise, par suite du mauvais temps, au 20 octobre.

Ce jour-là, une montagne, constituée avec tous les attributs mutilés de la royauté arrachés aux navires de la flotte et aux divers établissements de l'arsenal, fut élevée en face de l'arbre de la liberté. Les autorités civiles et militaires vinrent solennellement y mettre le feu aux cris de « Vive la République ! », au bruit de la mousqueterie et des canons des batteries de la rade.

LA SAINTE MONTAGNE.

1793. L'Autel de la Patrie est renversé et remplacé par un échafaudage, sur lequel est jetée une toile peinte représentant un roc escarpé.

C'est la Sainte Montagne. Au-dessus d'elle flotte un étendard portant en gros caractères :

Celui qui met un frein à la fureur des flots.
Sait aussi des tyrans arrêter les complots
.

La place de la Liberté est devenue place de la Montagne et, le 9 février 1794, la Sainte-Guillotine est dressée près de la Sainte Montagne, où elle resta en permanence pendant un mois.

LES FÊTES DECADAIRES.

Sous la Convention et le Directoire, une fête nationale, « ces fêtes après lesquelles le peuple soupire », proclamait la Convention, était célébrée sur le Champ-de-Bataille tous les 10 de chaque mois :

Fête des Époux, où venaient se rassembler, sur l'Autel de la Patrie réédifié, les nouveaux mariés et leurs épouses « vêtues de blanc, parées de fleurs et de rubans tricolores ».

Fête de la Reconnaissance, en l'honneur des soldats blessés, qui, avant d'être conduits en grande pompe sur la place d'Armes, recevaient à l'hôtel de ville une palme de laurier.

Fête de la Liberté, en mémoire du 10 août 1792, où citoyens et citoyennes, armés de sabres et de haches, faisaient écrouler un trône orné des emblèmes de la royauté, élevé, la veille, par le peintre Sartory.

Fête de l'Agriculture, cérémonie pastorale, au cours de laquelle laboureurs et gardes nationaux faisaient l'échange, devant tout Brest et les troupes rassemblées, de leurs instruments de travail et de leurs fusils.

A chaque fête, les artistes du théâtre, accompagnés par les musiques de la garnison, chantaient des hymnes patriotiques, tel celui à l'Être suprême :

Avant de déposer nos glaives triomphants,
Jurons d'anéantir le crime et ses tyrans.

Les chœurs entonnaient avec la foule assemblée l'hymne célèbre à la Liberté : Amour sacré de la Patrie !

Et, à cet instant, nous rapporte le compte rendu d'une fête de l'Être suprême, tout s'agite sur la place. On s'embrasse fraternellement ; les mères soulèvent dans leurs bras leurs plus jeunes enfants et les présentent en hommage à l'auteur de la nature ; les jeunes filles jettent vers le ciel des fleurs qu'elles ont apportées ; elles promettent de n'épouser que des citoyens qui auront bien mérité de la Patrie.

Le représentant du peuple, Prieur de la Marne — l'un des plus grands hâbleurs et charlatans de cette époque — prend un vieillard et « le couvre de ses baisers ».

Tous les dix jours, la place « est couverte de danses jusqu'à dix heures du soir » pour fêter :

La décade qui est par sa gaîté
L'âme de la liberté.

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Sur le Champ-de-Bataille — qui reprit son ancien nom en 1811 — les Brestois assistaient autrefois le matin, à onze heures, au défilé de la parade militaire, et, le soir, aux sérénades.

La place d'Armes fut toujours le théâtre des réjouissances et des solennités. Elle servait de lieu de réunion aux troupes passées en revue à l'occasion de l'arrivée de grands personnages — telles, à près d'un siècle de distance, la revue passée le 8 juin 1777 pax l'empereur d'Allemagne Joseph II, frère de la reine de France, voyageant sous le nom de comte de Falkenstein, et celle passée, au mois d'août 1858, par Napoléon III, qui, après avoir distribué des croix aux braves de notre armée, se plaça avec l'impératrice du côté de la rue Saint-Yves, et vit défiler devant lui les troupes de la garnison, aux cris de : « Vive l'empereur ! Vive l'impératrice ! ».

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On y organisa des festins patriotiques, entre autres « le banquet civique de mille cinq cent soixante couverts offert le 26 août 1830 par la municipalité aux troupes de terre et de mer en commémoration des journées de juillet et de l'union des sentiments nationaux des départements avec l'immortelle ville de Paris ».

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Le Champ-de-Bataille était autrefois parfaitement aplani et entretenu. Les musiques de la garnison y donnaient jusqu'à quatre concerts par semaine, quand Brest possédait la musique des équipages de la flotte, celle du 19ème de ligne et les fanfares du 2ème et du 6ème d'infanterie coloniale.

Par les beaux dimanches d'été, on se promenait autour du kiosque ; dames et demoiselles aimaient à faire admirer leurs jolies toilettes. On « faisait » le Champ-de-Bataille.

La mi-décembre ramenait chaque année les forains qui, jusqu'à fin janvier, venaient établir, place Wilson, leurs baraques et roulottes, chaque année plus luxueuses.

Toutes les fêtes nationales et les grandes réjouissances populaires avaient lieu sur le Champ-de-Bataille et le soir, au cours du concert, l'illumination des lampions de papier, puis plus tard des ampoules électriques, présentait un spectacle toujours féerique.

(Louis Delourmel).

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