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LE VIEUX BREST INTRA-MUROS ET SES RUES |
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RUE D’AIGUILLON.
Il y a deux cent cinquante ans, la rue d'Aiguillon n'était qu'un chemin qui partait des carrières sur lesquelles fut tracé le cours Dajot, en 1775. Il passait devant les jardins du Petit-Couvent, longeait le talus qui entourait le Champ-de-Bataille, nouvellement aplani, et s'arrêtait à la rue Saint-Yves devant un mur qui fermait l'entrée d'une sorte d'impasse, à laquelle une porte donnait accès.
L'IMPASSE DE LA COMÉDIE.
En 1765, pour flatter le gouverneur de la province et à l'ocrasion de son arrivée à Brest, on donna à l'impasse le nom de rue d'Aiguillon.
L'impasse prit l'année suivante, après la construction du théâtre, le nom d'impasse de la Comédie et, dès cette époque, la ville songeait à la prolonger jusqu'à la rue de Siam, pour, non seulement faciliter les communications, mais aussi pour faire disparaître ce cul-de-sac, véritable repaire de vagabonds et de malfaiteurs. Le projet ne fut réalisé qu'en 1822.
LE THÉÂTRE.
Le premier théâtre à Brest date de 1766. Jusque-là, on ne connaissait, dans le grand port, que les spectacles donnés sur les tréteaux par les danseurs et baladins, ou, dans une construction en bois qui menaçait ruine, par les comédiens nomades.
En 1764, le commandant de la marine à Brest, M. de Roquefeuil, demandait au ministre Choiseul l'établissement d'un spectacle permanent : « La comédie est nécessaire à Brest, écrivait-il. Elle détourne les jeunes officiers du jeu, de la table et des querelles ; elle leur donne également l'éducation et les dialogues du monde ».
Le 12 janvier 1766, le roi autorisait la construction de la salle de spectacle, rue d'Aiguillon, dans le jardin de l'hôtel Saint-Pierre. Il prenait à sa charge les fondations et les murs.
Quant aux autres frais, estimés à 23 000 livres, les officiers de marine du port de Brest avaient pris l'engagement de les couvrir, moyennant une retenue mensuelle, pendant deux ans, sur leur solde, à raison de 4 livres par capitaine de vaisseau ; 3 livres par lieutenant ; 2 livres 10 sols par enseigne et 1 livre par garde.
La première représentation eut lieu en présence du duc de Praslin, ministre de la Marine, le 7 décembre 1766.
Cette salle de spectacle, dont les plans avaient été dressés par le célèbre ingénieur Choquet de Lindu et qui pouvait contenir 1 300 personnes, fut longtemps considérée comme une des plus belles de France.
En 1791, elle devint propriété nationale et, malgré les récriminations de la marine qui revendiquait la possession d'un théâtre qu'elle avait fait construire à ses frais et qui faisait partie de « ses terrains et établissements », la salle fut vendue, en 1798, comme « bien national ».
Des particuliers l'achetèrent pour la somme de 960 000 francs en assignats, représentant 35 000 francs en numéraire — un peu plus du septième du prix de la construction. En 1817, la ville l'acquérait au prix de 100 000 francs.
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Un siècle, presque jour pour jour, après son inauguration, — le dimanche 11 mars 1866, — le théâtre de Brest fut détruit par un incendie qui éclata à trois heures de l'après-midi, peu après la répétition du Bossu.
Sur son emplacement fut construite, en 1868, une magnifique salle de spectacle, comportant 1 130 places, qui fut inaugurée en 1871 et restaurée en 1897.
Le 4 mai 1919, le théâtre était une troisième fois anéanti par le feu qui prit vers midi, sur la scène, après une répétition. Il n'y eut pas de victimes. Seuls, subsistèrent les murs en pierres de taille et la splendide façade en granit de Kersanton qui a résisté aux trois incendies.
En 1923, la ville a vendu aux enchères, sur mise à prix de 200 000 francs, le terrain, d'une superficie de 930 mètres carrés, sur lequel était situé le théâtre de Brest, en plein centre de la cité.
OUVERTURE DE LA RUE D'AIGUILLON.
La ville acquiert, en 1822, moyennant 40 000 francs à MM. Gillart, notaire royal, et Guesnet, chef de bataillon du génie, ingénieur en chef de la place, les deux maisons qu'ils possédaient rue de Siam et dont les jardins et dépendances s'étendaient sur une profondeur de 40 mètres dans l'impasse de la Comédie.
Elle vend, d'autre part, un terrain vague, bordant la préfecture maritime, sur lequel furent construites les dernières maisons actuelles de la rue d'Aiguillon.
La démolition des deux maisons de la rue de Siam et les travaux de nivellement commencèrent aussitôt. Il fallut enlever plus de trois mètres de terre pour ménager la pente de la nouvelle rue et ce travail fit découvrir, entièrement enfouie dans le sol, une porte pratiquée dans le mur du théâtre.
Les architectes de la salle de spectacle, qui prévoyaient, en 1766, le percement de l'impasse, avaient établi cette ouverture, en cas d'incendie.
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C'est à l'emplacement actuel du n° 34 de la rue d'Aiguillon que se trouvait le corps de garde appelé communément « le violon ». Il avait été construit en 1776, pour obéir à l'ordonnance royale, qui prescrivait l'établissement d'un corps de garde sur les places d'armes des villes de guerre, et disparut en 1886.
Tout à côté, fut fondée, en 1835, la première école de musique vocale et instrumentale que dirigeait M, Lécureux, chef d'orchestre du théâtre.
LE CAFÉ DE LA COMÉDIE.
En même temps que le théâtre, fut construit en 1766 l’immeuble du Café de la Comédie, à l'encoignure des rues d'Aiguillon et Émile-Zola. Il était pourvu d'un matériel entretenu par la marine et servit, pendant plusieurs années, de lieu de réunion aux officiers.
Vers 1825, le Café de la Comédie devint le Café Laplanche, qui conserva ce nom jusqu'à la fin du siècle dernier, pour faire place à la Brasserie de la Marine. Il y a cinquante ans, la Brasserie était le pôle d'attraction de la gaieté brestoise. C'était le rendez-vous des « petites alliées » tendres, désintéressées, honnêtes, qui faisaient le bonheur des jeunes promotions. « Elles s'efforcent gentiment, à écrit Claude Farrère, d'adoucir la vie aux pauvres hommes et de mêler un peu de miel à leur absinthe ».
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Pendant la Révolution, la rue d'Aiguillon s'appela rue de la Fraternité.
RUE D'ALGER.
La rue d'Alger était autrefois une rampe sans nom qui aboutissait au terrain vague de Parc-ar-Meazou sur lequel a été établie la place du Château. Elle fut ainsi nommée en 1830, après la conquête d'Alger.
RUE D'ALGÉSIRAS.
La rue d'Algésiras reçut de Vauban, en 1694, le nom de rue du Cimetière, échangé, en l'an II, contre celui de rue du Repos.
L'ANCIEN CIMETIÈRE.
C'est qu'en effet, de 1689 à 1794 — date de l'achat du terrain du cimetière de Brest — toutes les sépultures eurent lieu dans le champ de « Parc-ar-Vennic », qui était situé près des fortifications, sur l'emplacement actuel des maisons numérotées de 17 à 23.
L'arrêté préfectoral du 5 novembre 1811 lui donna le nom de rue du Rempart, mais afin d'éviter la confusion entre les rues de Brest et de Recouvrante qui, longeant les remparts, portaient le même nom, la rue du Rempart, du côté de Brest, fut appelée en 1869 rue d'Algésiras, en souvenir de la victoire navale de l'amiral Linois sur une flotte anglaise, en 1801.
LE « GRAND MONARQUE ».
Il y a cent soixante-dix ans, l'angle de la rue Algésiras et de la Grand'Rue était occupé par l'un des hôtels les plus importants de la cité : la « maison du Grand Monarque » qui devint, plus tard, « Hôtel du Grand Turc ».
C'est là que se trouvaient le bureau des messageries et la poste aux chevaux.
De la maison du Grand Monarque, partait, tous les deux jours, une diligence « à quatre roues et bien suspendue » qui arrivait à Rennes le quatrième jour et, le huitième, à Paris.
Tous les deux jours également, une petite voiture à six places faisait en quatre jours le service de Nantes, par Quimper et Lorient.
RUE AMBROISE-THOMAS.
C’est en 1907 que le nom de l’immortel auteur de « Mignon » fut donné à la rue de Crée, l'une des plus anciennes rues de notre ville. Elle figure sur le plan de 1694, de Vauban, mais sans nom bien défini. En 1716, on l'appelle Haut bout de la rue Kéravel ; en 1720, rue derrière la Teste Noire ; en 1721, rue du Greff ; en 1762, rue de Cray.
Elle fut enfin nommée rue de Crée en 1772.
On a pensé que le nom de Crée pouvait être une altération de Crec'h, Creac'h, en breton tertre, nom justifié par la situation topographique de cette rue.
Mais la désignation rue du Creff que nous relevons, en 1721, alors qu'un Jacques Le Creff, frère du sénéchal de Landerneau, se trouvait propriétaire de terrains dans cette rue, peut faire supposer, avec quelque vraisemblance, que les terres de Jacques Le Creff ne sont pas étrangères à cette appellation.
RUE AMIRAL-LINOIS.
Le nom du Brestois comte Durand de Linois qui, capitaine du Formidable, en 1795, « combattit en héros » la flotte anglaise à l’île de Groix, a été donné à la belle et large rue tracée, il y a quelque soixante ans, à travers le quartier des Sept-Saints.
LE QUARTIER DES SEPT-SAINTS.
Ce quartier des Sept-Saints, que nous voyons figuré sur le plan de 1670, était le plus ancien de Brest. Il comprenait : la rue Haute-des-Sept-Saints, qui commençait au Petit-Marché (place Sadi-Carnot) et aboutissait à la rue du Couëdic.
La place des Sept-Saints, au carrefour actuel des rues du Petit-Moulin et Amiral Linois. Sur ce placitre, appelé place du 31 mai, en 1793, se dressait, depuis 1728, la « Croix des Sept-Saints » qui disparut à la Révolution.
L'Escalier des Sept-Saints, rue coupée de marches, descendait à pic le coteau et conduisait à la rue Basse.
La rue Basse des Sept-Saints (autrefois rue du Four), désignée aussi sous le nom de Rampe du quai, menait à la rue de la Rive ou quai de Brest.
Cette rue Basse des Sept-Saints était autrefois, avec la Grand-Rue, l'artère la plus commerçante de la ville. On y trouve, dès 1750. les boutiques les plus variées. Sur 115 professions différentes, que nous rencontrons à Brest, à cette époque, une quarantaine ont des représentants rue du Quai et quartier des Sept-Saints.
C'est que la Grand'Rue et la rue Basse étaient alors les seules voies de communication avec le port marchand, mais la rue avait une telle déclivité qu'un cheval vigoureux pouvait à peine y remonter une charrette vide. Elle était dangereuse pour les passants et, chaque jour, on assistait au douloureux spectacle des attelages de cinq et six chevaux qui n'arrivaient pas à gravir la rampe, quand ils traînaient une voiture pesamment chargée.
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Le quartier des Sept-Saints était, à la fin du XVIIIème siècle, celui de l'aristocratie brestoise.
Mlle Louise de Penancoët de Keroual, duchesse de Portsmouth, célèbre par sa beauté et ses amours avec Charles II, roi d'Angleterre, avait son hôtel en face l'église des Sept-Saints et partageait cette noble demeure, avec le magnifique château de Keroual, prés Guilers, où elle naquit en 1649.
Notre excellent ami François Ménez a conté les charmes et les tendresses de la petite Bretonne, dont « le ruban de soie qui serre la taille unit la France à l'Angleterre », a écrit Saint-Évremont.
Le maréchal de Tourville habitait tout près de l'hôtel Kéroual.
En 1750, nous trouvons là les demeures des plus importants notables et négociants : MM. Kerdréoret, sénéchal ; Lizac de Keréder, notaire ; Gillart et Ferrière, avocats ; Mlle Le Borgne de Kerambosquer ; le traiteur Lecluse, le confiseur La Biche ; Mme Vve Trémilla, matrone, etc.
Mais vers 1776, avec les approches de la guerre d'Amérique. l'abondance des troupes à Brest favorise l'industrie des filles de mauvaise vie. Le quartier de l'aristocratie devient le quartier « réservé ».
L'ÉGLISE DES SEPT-SAINTS.
La rue Basse des Sept-Saints passait devant une église dont l'existence est attestée dès 1506. C'était, à l'origine, un prieuré relevant de l'abbaye de Saint-Mathieu qui fut érigé en paroisse, par Henri II, en 1549.
L'église était dédiée aux sept enfants martyrs de sainte Félicité, martyre elle-même de sa foi, sous le règne de Marc-Aurèle.
Voici la touchante légende qui se rattache à cette église :
Autrefois, à Landévennec, au village de Seiz-Kroas, demeurait un forgeron dont la femme, extrêmement pieuse, allait, tous les matins, entendre la messe à l'abbaye, ce qui déplaisait fort à son mari. N'allait-il pas jusqu'à lui dire que les moines l'attiraient beaucoup plus que le monastère !
Devant cet outrage, la femme répond à son époux :
— Je suis aussi certaine de mon innocence que de pouvoir tenir entre mes mains le soc de charrue que vous forgez en ce moment !
— Eh bien ! porte-le à Landévennec, lui réplique son mari, en jetant à terre le soc incandescent.
Pour toute réponse, la femme le prit à deux mains et le porta au bourg, distant d'environ une demi-lieue. On cria au miracle, et le soc fut placé entre deux saints, dans le chœur de l'église de l'abbaye, où il resta jusqu'à la Révolution.
Quelque temps après, la femme du forgeron donna le jour à sept garçons. Le mari, furieux de cette paternité multipliée, les mit tous les sept dans une maie à pâte et, dans l'anse de Penforn, les abandonna à la merci dos flots.
Après avoir été longtemps ballottés par les vagues, les sept orphelins arrivèrent enfin sous le château de Brest. Ils sont recueillis et transportés dans une maison voisine, mais ils meurent quelques jours après et leurs corps sont inhumés par des anges.
Cette maison fut démolie et c'est sur son emplacement, dit la légende, que l'on bâtit une église en leur honneur, sous le vocable des Sept-Saints.
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L'église paroissiale des Sept-Saints, dépendance de Lambézellec jusqu'en 1680, cessa d'être consacrée au culte, à la Révolution. Vendue comme bien national, en 1793, elle fut convertie en maison d'habitation et disparut dans l'incendie du 10 juin 1841, qui faillit brûler tout le quartier. Le feu avait pris, en effet, dans les mansardes remplies de pièces d'artifice que M. Hurten, entrepreneur des spectacles populaires, préparait pour l'anniversaire des journées de juillet.
L'emplacement de l'église des Sept-Saints a été comblé en 1886 et se trouve aujourd'hui enfoui, à près de dix mètres, sous le carrefour des rues de la Banque et Amiral-Linois.
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Quand, en 1865, le pont impérial assura la communication entre Brest et Recouvrance, les deux quais de la Penfeld furent attribués à l'arsenal et la marine fit construire, sur l'emplacement de la rue de la Rive, un boulevard qui prit le nom de Lacrosse, à la mémoire de l'ancien député de Brest, devenu sénateur et ministre des Travaux publics, né dans notre ville et mort à Paris, le 28 mars 1865.
En 1880, la ville commença l'établissement d'un autre boulevard pour relier le grand pont et la rue de Siam avec la voie conduisant au nouveau port de commerce. Ce fut le boulevard Thiers et le boulevard Lacrosse fut appelé boulevard de la Marine.
Les premiers coups de pioche furent donnés en 1881, dans l'escalier des Sept-Saints, pour ouvrir, jusqu'à la place de la Halle, une belle voie, large de 14 mètres, la rue Amiral-Linois.
Ainsi disparut ce vieux quartier des Sept-Saints, où, dans des ruelles étroites et abjectes, s'exerçait la prostitution la plus éhontée.
RUE AMIRAL-RÉVEILLÈRE.
Elle fut tracée par Vauban, sous le nom de rue de la Poterne, et aboutissait au chemin de Saint-Sébastien (rue Voltaire), au pied d'un petit bois appelé la Pépinière du Roi qui fit donner au corps de garde du haut du Cours Dajot le nom de corps de garde de « la Pépinière ».
LA POUDRIÈRE.
Tout près se trouvait le magasin à poudre, construit en 1774.
Cette poudrière fut, pendant tout le siècle dernier, le cauchemar des habitants de ce quartier de la ville et, presque tous les ans, nos anciens édiles réclamèrent — toujours en vain — le déplacement de la poudrière « qui renfermait 70 000 kilos de poudre et se trouvait à huit mètres des dernières maisons de la rue de la Rampe et à proximité de cinq caisses publiques, de la sous-préfecture, des tribunaux, de la direction du génie et de l'état-major de la place ».
En 1807, la municipalité demande au général sénateur d'Aboville d'appuyer sa requête à l'Empereur : « C'est un service bien important, écrit-elle, que vous rendrez à une ville qui vous a vu naître, et au sort de laquelle vous avez toujours témoigné tant d'intérêt ».
En 1826, les alarmes se renouvellent, plus vives. Le conseil municipal offre de contribuer, pour 25 000 francs, dans le déplacement de la poudrière. Mais la réponse du ministre de la Guerre est toujours la même :
« Lors de la construction du magasin, toutes les précautions de sûreté ont été prises. A cette époque, il était éloigné de 4 à 600 mètres de toute habitation. S'il présente actuellement des dangers, ce sont les habitants qui s'y sont exposés, en construisant des maisons qui n'en sont qu'à huit mètres. ».
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La rue de la Poterne reçut le nom d'Amiral Réveilière, en 1908, pour commémorer le souvenir du glorieux marin doublé d'un profond philosophe. qui mourut le 26 janvier de cette même année, dans la maison de la rue de la Poterne, où il naquit le 27 mai 1829.
RUE DE LA BANQUE.
La rue de la Banque date de la réfection du quartier des Sept-Saints et figure, pour la première fois, sur l'annuaire de 1888.
La succursale de la Banque de France qui, depuis 1860, fonctionnait an n° 2 bis, de la rue de la Mairie, vint, cette même année, s'installer dans son hôtel et donna son nom à la nouvelle rue.
La vieille église des Sept-Saints occupait l'emplacement des maisons contiguës de la Banque de France.
RUE DU CHÂTEAU.
La rue du Château, tracée par Vauban, pour avoir l'étendue qu'elle présente aujourd'hui, fut ouverte en plusieurs tronçons :
En 1702, elle est tracée depuis les remparts, rue Amiral-Réveillère, jusqu'à la rue Jean-Macé et forme la rue Neuve-du-Château.
En 1712, elle est prolongée sous le nom de rue de Plœuc [Note : René de Plœuc, capitaine de vaisseau, décédé à Brest, le 27 novembre 1739, était propriétaire d'un terrain dans cette rue], jusqu'à la rue d'Aiguillon ; puis, en 1748, jusqu'à la rue Traverse.
Enfin, en 1783 et 1796, le Génie, ayant cessé de considérer le bas de la rue du Château comme faisant partie de la zone militaire, des maisons s'élevèrent dans cette dernière partie de la rue.
LE PETIT-COUVENT.
La première maison de la rue actuelle du Château fut construite vers 1690, par Jean Gaillard, sieur de Portarieu, écrivain du Roi, dans le champ appelé la Grange de Quilbignon, bordé au sud par le chemin menant à la chapelle Saint-Sébastien (rue Voltaire) et au nord par le Champ-de-Bataille qui n'existait point encore.
Cette propriété et ses dépendances furent acquises, en 1695, par Mme de Penfeunteun, qui venait de fonder une communauté « pour donner une éducation chrétienne aux petites filles pauvres, leur apprendre à lire, écrire et travailler, et offrir un asile aux femmes et aux veuves de qualité sans fortune ».
Cette communauté qui occupait alors une maison de la rue de Siam « peu convenable pour servir de refuge à des jeunes filles, en raison de sa situation au cœur d'une ville de guerre et dans la plus grande foule du monde », vint s'établir dans le logis de M. de Portarieu « endroit reculé qui était une espèce de solitude ».
Les terrains et édifices des « Dames de l'Union chrétienne » appelés Pedit-Couvent, par opposition au Grand Couvent des Carmes, prirent une telle extension qu'en 1789 la communauté possédait tout l'îlot compris entre les rues du Château, Voltaire, Jean-Macé et Aiguillon.
Devenu propriété nationale, le couvent fut converti, en 1792, en hôpital militaire, puis remis en 1801 au génie militaire.
Un nouvel arrêté consulaire de 1803 décida qu'une portion des terrains de l'ancienne communauté serait accordée à la marine pour y établir les bureaux de l'inscription maritime, l'école d'application du génie et celle d'instruction des aspirants, mais la marine n'en fit jamais usage. C'est sur ce terrain des anciens jardins du couvent que le Lycée a été construit de 1845 à 1848.
Quant aux vieux bâtiments donnant sur le Champ-de-Bataille — toujours appelés le Petit-Couvent — ils furent longtemps réservés aux logements du directeur du génie, du commandant de la place et de son état-major, ainsi qu'aux bureaux du génie militaire et de la sous-intendance.
LA BOURSE DE COMMERCE.
Une chapelle contiguë au Petit-Couvent fut édifiée en 1736. Tous les dimanches, une messe y était dite, à onze heures et demie, après le défilé des troupes de la garnison sur le Champde-Bataille.
Elle fut concédée, en 1801, au commerce de Brest, pour y établir la Bourse au-dessus de laquelle ont été édifiées, à deux reprises, les parties de ce corps de bâtiments à l'usage du Tribunal et de la Chambre de commerce.
La Bourse était l'unique salle de réunion que possédait Brest. Ses murs séculaires ont connu, jusqu'à la guerre de 1914, les plus jolies expositions, les plus brillants concerts et aussi les vives clameurs des réunions publiques.
L'ancienne chapelle fut ensuite convertie en Restaurant municipal. Depuis juillet 1941, une « cuisine d'aide à la défense passive » est installée dans ce local. On y sert 1500 repas par jour, à dix francs, vin compris.
ÉTABLISSEMENTS DE BAINS.
Parmi les établissements particuliers et publics que cette rue renfermait au siècle dernier, nous citerons :
La maison de bains installée dès 1776, au n° 5 de la rue du Château.
Autrefois, du temps des corporations, les perruquiers possédaient, en outre des droits inhérents à leur profession, ceux de baigneurs et étuvistes. Seuls, ils étaient en possession de pouvoir élever, soit à Brest, soit à Recouvrance, des maisons de bains publics.
En 1776 — antérieurement, il n'y avait à Brest aucun établissement de ce genre [Note : On ne prenait, sans doute, des bains qu'à la mer sur les grèves de Porstrein et de La Ninon, ou aux cales du Passage, Sur une curieuse estampe de 1750 (collection du Dr Corre), des hommes prennent des bains au niveau du passage de Brest, à Recouvrance ; plusieurs, qui s’apprêtent à se jeter à l'eau, sont nus, sans la moindre vestiture : cela n'offusquait alors personne] — un sieur Courtois, musicien de marine, « sollicité par plusieurs officiers », conçut l'idée de cette création, et la communauté des perruquiers lui accorda l'autorisation de « tenir pendant neuf ans, bain et étuves, moyennant paiement, entre les mains du trésorier de la communauté, de la somme de 90 livres par an ».
Courtois installa son établissement rue du Château, dans une maison dont « il a grand'peine à défendre les approches contre la malpropreté des voisins ». Il n'eut d'abord que quelques baignoires, alimentées d'eau que l'on transportait à bras ; l'année suivante, il obtint de la municipalité la concession d'un filet d'eau.
Le premier établissement de bains subsista jusqu'en 1880. Il était concurrencé, depuis 1825, par les bains publics Huyot, au ne 15 de la même rue.
HÔTELS ET ÉTABLISSEMENTS DIVERS.
La Caisse générale du Trésor s'installa, vers 1820, dans l'hôtel de la sous-préfecture actuelle, et fit place, en 1860, à la succursale de la Banque de France.
L'immeuble actuel de la « Société Bretonne », ancien hôtel du « Comptoir du Finistère », fut édifié en 1865. Il occupe l'emplacement d'une maison dont le rez-de-chaussée était habité, en 1836, par le vicomte de Proteau, maréchal de camp en retraite. Dans la cour, était le Temple protestant.
Notre lycée de jeunes filles fut, pendant de longues années, le pensionnat des Religieuses de la Mère de Dieu. Il devint succursale du lycée de garçons en 1882 et lycée de filles, en 1898, date de l'achèvement du Petit lycée de la rue d'Aiguillon.
Le n° 28 de la rue du Château (au coin de la rue Jean-Macé), fut le siège de la sous-préfecture, pendant trente ans, de 1860 à 1890. Quatorze sous-préfets, dont M. Paul Deschanel, habitèrent ce vaste immeuble. Leurs vingt-deux prédécesseurs logèrent un peu partout : aux nos 34 et 40 de la rue du Château, rue Voltaire, rue de la Banque, rue Duguay-Trouin.
L'hôtel des Postes, transféré, en 1890, de la rue Traverse sur le Champ-de-Bataille, était autrefois l'Hôtel de Nantes, qui prit le nom d'Hôtel Lamarque, en 1866, lorsque Brest devint escale des transatlantiques.
Au n° 48 de la rue du Château se trouvait l'institution Goez, fondée en 1834. qui fut longtemps le seul établissement scolaire préparant aux écoles spéciales.
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La rue du Château fut nommée, pendant la Révolution, rue de l'Égalité.
CITÉ D'ANTIN.
Cette rue a été tracée sur le terrain de l'ancien Observatoire de la Marine, acheté par le roi, en 1783, aux Dames de l'Union chrétienne, pour la somme de 40 000 livres.
L'OBSERVATOIRE.
L'observatoire, suivant les vœux de l'Académie royale de marine, devait réunir d'autres établissements scientifiques, mais, après dix ans d'attente, on se borna, en 1797, à construire un kiosque en bois, et, pour empêcher l'éboulement des terres sur lesquelles il était assis, la marine établit les murs de soutènement et la rampe qui met en communication la rue d'Aiguillon et le cours Dajot. Ce kiosque ne servit que très peu de temps. On ne tarda pas à reconnaître qu'on n'y obtenait point la stabilité voulue pour opérer avec précision, et il fut remplacé par un cabinet situé dans l'orangerie de la Préfecture maritime.
L'observatoire fut installé, en 1819, sur le pavillon central de la caserne Fautras. Tous les jours, autrefois, du haut de l'observatoire, on signalait l'heure de midi à la rade et à la ville, au moyen d'un pavillon mâté pendant trois minutes et subitement abaissé.
Le terrain de l'observatoire a été vendu par le Domaine, le 10 novembre 1853, au prix,de 133 000 francs, à une société dont l'un des acquéreurs, M. Camille Michel, dressa et publia un plan d'après lequel on aurait élevé sur ce terrain d'élégantes constructions dont l'ensemble eût fait de cette cité le plus beau quartier de la ville.
Plusieurs années s'étant écoulées sans que ce projet se fût réalisé, les acquéreurs aliénèrent à diverses personnes des portions de ce terrain dont l'une a servi à la construction du Temple protestant, en 1858.
Et, à l'instar de Paris qui donna, au plus élégant de ses quartiers le nom du plus raffiné courtisan de Louis XIV, cette rue fut appelée Cité d'Antin.
RUE COLBERT.
Dès 1680, la ville avait fait construire un abreuvoir dont l'emplacement se voit encore de nos jours, dans le bas-fond situé à l'encoignure des rues Colbert et Émile-Zola, et Vauban assigna le nom de rue de l'Abreuvoir au chemin qu'il venait de tracer, le long des fortifications, entre la rue du Château et la porte de Landerneau.
LE BOIS D'AMOUR.
On l'appela bientôt après rue du Bois-d’Amour, en souvenir des bosquets qui occupaient autrefois cette partie de l'enceinte et qui étaient le rendez-vous des laquais et des soubrettes de l'époque.
A la fontaine — qui existe toujours — longtemps, souvent, on attendait son tour, ce qui procurait aux jeunes filles le loisir de causer avec leurs amoureux, à l'ombre des arbres du petit bois, et la fontaine prit tout naturellement le nom de « Fontaine du Bois d'Amour ».
Elle devint rue de la Poste, en 1760, quand la ville ayant acquis, pour 3 000 livres, un terrain situé prés de l'Abreuvoir, y fit construire une maison et des écuries pour le service de la « Poste aux chevaux ».
Mais l'arrêté du 5 messidor an II, confirmé par l'arrêté préfectoral du 5 novembre 1811, rendit à cette rue son nom de Bois d'Amour, et elle le conserva jusqu'au pudibond arrêté de 1869 qui lui donna celui de Colbert.
LA POSTE AUX CHEVAUX.
La « Poste aux chevaux » ayant été transférée dans une maison de la rue Algésiras (en face de la rue Duquesne), ses édifices furent vendus nationalement, en 1789, à M. Tarpont et formèrent, plus tard, l'ancien « Hôtel de la Tour d'Argent » qui n'a disparu qu'en 1896.
C'est de « la Tour d'Argent » que l'entreprise Boursicaut faisait partir, tous les jours, à l'ouverture des portes, une diligence pour Morlaix, qui s'arrêtait au Lion d'Or, sur la place de Viarmes, et, tous les matins, à sept heures, une voiture « suspendue » pour Landerneau.
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La rue du Bois-d'Amour était presque impraticable aux voitures et dangereuse pour les piétons, tant sa pente était rapide (près de 0m,85 par mètre). On arrêta, en 1860, d'établir la communication entre les rues de Siam et Saint-Yves, par une voie large à douce déclivité.
La vente du terrain de l'Abreuvoir, à raison de 65 francs le mètre carré, fut effectuée en 1866 ; puis, en 1880, la ville entreprit les travaux de réfection de la rue Colbert et la construction du mur de soutènement que nous voyons aujourd'hui près de la rue Émile-Zola. Ce mur limite l'ancien terrain de l'Abreuvoir.
RUE DU COUËDIC.
La rue du Couëdic était le chemin militaire qui bordait les premières fortifications de 1655.
Elle commençait, comme de nos jours, à la rue Haute des Sept-Saints (rue Amiral-Linois) et se terminait à la rue des Mal-chaussées (actuellement Kléber), en face d'un escalier qui descendait dans la Grand'Rue et que l'on voit encore au n° 84, d'où lui était venu le nom de rue Traverse du Vieux-Escalier.
C'est dans la maison du citoyen Gaudelet, rue Traverse du Vieux-Escalier, que logèrent, en 1794, le président et les membres du Tribunal révolutionnaire. Et, pour procurer tout le confort à ces importants magistrats, on prit les meubles de M. Halna du Fretay, dont la maison (rue Jean-Macé, 35) avait été mise sous séquestre, comme appartenant au père d'un officier émigré.
LE COMMANDANT DU COUËDIC.
L'arrêté préfectoral du 5 novembre 1811 donna à cette rue le nom de l'héroïque commandant de La Surveillante.
On sait que, le 6 octobre 1779, le lieutenant de vaisseau du Couëdic rencontrait, au large de Brest, la frégate anglaise Le Québec chargée d'épier les mouvements de la marine française. Du Couëdic la fit sauter après avoir perdu presque tout son équipage ; sa frégate, totalement désemparée, put rentrer à Brest et il fut fait capitaine de vaisseau ; mais, couvert de blessures, il mourut peu de mois après, le 7 janvier 1780.
Son corps fut inhumé derrière le maître-autel de l'église Saint-Louis, et le roi, pour perpétuer la mémoire de ce brave officier, ordonna qu'on érigeât sur sa tombe un monument, sur lequel il fit graver ces mots : « Jeunes élèves de la marine, imitez l'exemple du brave du Couëdic, premier-lieutenant des Gardes de la Marine ».
RUE DUGUAY-TROUIN.
Cette rue, il y a un siècle, n'avait que deux ou trois maisons à son point d'intersection avec la rue Voltaire et n'aboutissait qu'à la rue du Château.
Elle était séparée de la rue Saint-Yves par une ruelle appelée rue des Quatre-Vents, qu'obstruaient une maison et un magasin adossé à l'hospice civil.
L'élargissement de cette ruelle avait été arrêté en principe, dès 1783. par la municipalité, mais la Révolution avait empêché l'exécution de ces projets.
La maison et le magasin, appartenant à M. Demontreux, furent achetés par la ville, en 1818, au prix de 9 000 francs, et la rue Duguay-Trouin fut alors prolongée jusqu'à la rue Saint-Yves.
Le n° 4 de la rue Duguay-Trouin fut, de 1838 à 1841. le siège de la sous-préfecture.
RUE DUQUESNE.
La rue Duquesne s'appelait autrefois rue de la Congrégation. Elle tirait son nom de la chapelle édifiée en 1718, sous le vocable de Notre-Dame de la Miséricorde, qui était la propriété de la Congrégation des Artisans de la ville.
LA CONGRÉGATION DES ARTISANS.
Cette congrégation, fondée par les Jésuites, peu de temps après leur arrivée à Brest, avait un but exclusivement religieux et subsista jusqu'à la Révolution.
La chapelle servit les 3, 6 et 7 avril 1789, de lieu de réunion à l'assemblée générale du Tiers État, pour la rédaction du Cahier commun des doléances et la nomination de trente députés électeurs qui devaient concourir, avec les autres villes et paroisses de la sénéchaussée de Brest, aux élections des deux députés aux États généraux.
Vendue comme bien national, elle servit longtemps de magasin aux lits militaires et, sur son emplacement, fut élevée, en 1872, la chapelle Saint-joseph, succursale de l'église Saint-Louis.
L'arrêté du 5 messidor an II assigna à la rue de la Congrégation le nom d'Unité, et celui du 5 novembre 1811 lui attribua celui du célèbre chef d'escadre.
RUE DE L'ÉGOUT.
Avant la Révolution, cette rue s'appelait : Derrière le jardin de l'Intendance. Elle reçut, en l'an II, comme la rue Kéravel, le nom de rue du Peuple et l'arrêté de 1811 lui donna le nom de rue de l'Égout.
L’ECHAFAUD, RUE DE L'ÉGOUT.
L'échafaud fut dressé, à deux reprises, sur la place de l'Égout : en 1839, pour l'exécution du matelot Bellegou et, en 1841, pour celle de Bescond et de la femme Castel.
L'AFFAIRE MARSAUD (1837).
Le 10 juin 1837, le navire de commerce l'Alexandre, capitaine Bouet, 17 hommes d'équipage, partait de Bordeaux à destination de Batavia. Il quittait ce port, le 15 novembre, avec une cargaison d'environ 600 000 francs, et le 27, dans le détroit de la Sonde, une révolte éclata sur le pont, vers cinq heures du matin.
Le capitaine, qui est de quart, est tué d'un coup de pistolet et jeté par-dessus bord. Le lieutenant Morpain est pris au sortir de sa chambre et « poussé dans la mer ».
Le maître Hervé soutient la lutte contre quatre assaillants, mais, criblé de coups et acculé sur la dunette, exténué de fatigue, il s'écrie : « Vous pouvez maintenant me jeter à l'eau », et on le noie immédiatement.
Trois marins de l'équipage subissent le même sort.
Le matelot Marsaud prend alors le commandement de l'Alexandre et se rend à Newport, dans l'espoir d'y vendre le navire et sa cargaison, mais, contre son attente, il trouve là un consul qui, pris de soupçons sur sa conduite, le fait mettre en prison.
Condamné à mort par le Tribunal de Brest, Marsaud fut exécuté le 11 mai 1839, à trois heures de l'après-midi, sur la place du Château et, sur réclamation du Génie militaire qui vit là une « usurpation de l'autorité maritime », son complice Bellegou qui, déserteur, n'avait pu être jugé qu'au mois de septembre, expia son crime place de l'Égout.
« Midi était l'heure fixée pour l'exécution, nous rapporte le chroniqueur du temps. L'instrument avait été dressé sur la place qui longe le mur d'enceinte extérieure du port, derrière Kéravel. Des troupes nombreuses de terre et de mer parvenaient à peine à contenir les flots de curieux qui se pressaient à toutes les issues conduisant à cette place.
Pour abréger le trajet et éviter l'encombrement de la rue de la Mairie, l'autorité avait réglé que Bellegou (en traitement à l'hôpital de la marine), passerait par la grille du bagne, peu éloignée du lieu du supplice. Lorsque l'escorte alla le prendre, il pria de le laisser fumer un peu de temps. Il marcha d'un pas toujours ferme ; sa pâleur marquait seule son trouble.
Après avoir reçu, sur l'échafaud, les dernières exhortations de son confesseur, il témoigna le désir de parler à M. le Greffier des tribunaux maritimes qui, pensant que le condamné avait quelque révélation à faire, donna ordre de le faire descendre. Bellegou lui dit qu'il n'avait rien de secret à lui dévoiler ; « mais, ajouta-t-il, sans être innocent, je ne suis pas coupable » comme Marsaud ; je sais mourir ; ma seule affliction est d'être confondu avec Marsaud ». Il lui a été répandu : « Vous reconnaissez vous-même que les hommes n'ont pas été injustes ; votre aumônier vous a appris que vous n'avez plus à vous occuper que du ciel, où il est surtout tenu compte du repentir ».
Une minute après la foule s'écoulait, déplorant qu'un si grand courage n'eût pas animé une plus belle vie ».
L'AFFAIRE CASTEL (1841).
L'affaire Castel se déroula devant la Cour d'assises du Finistère, en janvier 1841.
Castel était un serrurier de la Grand'Rue, qui mourut empoisonné par sa femme, sa fille et le nommé Bescond, amant de la femme Castel. Son cadavre fut trouvé enfoui dans le jardin de la maison de Bescond, à Keroriou. Vol, avortement, double adultère, empoisonnement, parricide, rien ne manquait à ce drame sanglant.
Bescond et sa maîtresse furent condamnés à la peine de mort et la fille Castel, âgée de quinze ans, à dix ans d'emprisonnement.
L'expiation eut lieu le 19 avril suivant, sur la place de l'Égout. Les condamnés, arrivés la veille de Quimper sous l'escorte de la gendarmerie départementale, et accompagnés de MM. Le Bras et Naissaut, aumôniers des prisons, avaient été incarcérés au Château.
On avait fait appel, pour la circonstance, aux trois exécuteurs de Quimper, Rennes et Saint-Brieuc.
« De bonne heure, lisons-nous dans un journal de l'époque, la foule était si nombreuse que, sans les sages précautions prises par M. le commandant de la place, qui avait fait occuper les deux côtés des rues aboutissantes, et entourer d'un triple rang de soldats la place de l'Égout, où était dressé l'échafaud, le trajet des condamnés eût été impossible.
Toutes les boutiques étaient fermées sur leur passage, ce qui donnait un aspect de deuil à la ville.
A onze heures et demie, ils ont quitté la prison du Château et sont montés dans une voiture découverte, chacun accompagné de son confesseur.
La femme Castel avait sollicité la faveur de conserver, jusqu'à l'échafaud, le mantelet qui est le vêtement ordinaire des femmes de sa classe, en priant de le remettre, après sa mort, à une personne qu'elle a désignée.
Ils ont ainsi traversé le quai de la Mâture, le quai Tourville, la rue Royale, la rue Saint-Louis et la rue Kéravel.
Après avoir franchi sans aide et d'un pas ferme les marches de l'échafaud, la femme Castel s'y est agenouillée pour recevoir l'absolution, s'est relevée avec le même calme, et, pendant qu'on faisait les derniers préparatifs, n'a cessé de prêter l'oreille à son confesseur. Enfin, elle a embrassé une dernière fois Le crucifix et a livré sa tête au bourreau.
Le couteau s'est relevé ensanglanté. Bescond a invité les exécuteurs à ne pas mettre dans leurs préparatifs une lenteur aussi cruelle et, après avoir embrassé à plusieurs reprises son confesseur et le crucifix, a remplacé sa complice.
Lorsque le cadavre de la femme Castel a été retiré de l'échafaud, le sang qui en a jailli a couvert un gendarme et un jeune soldat, qui s'est trouvé mal !
Spectacle horrible et qui, cependant, ne produit pas tout le bien qu'on devrait en attendre », conclut notre gazetier.
RUE ÉMILE-ZOLA.
Dès 1506, du temps de la reine Anne, on voyait, dans le faubourg de la ville de Brest, une petite église dédiée à Saint-Yves. L'hospice, dont elle dépendait, était aussi placé sous le vocable du saint breton.
La rue où s'élevait cette église portait, en 1603, le nom de Monsieur Saint-Yves. Elle menait, en 1670, des glacis du Château à la rue Traverse la « porte secondaire de villes » qui conduisait au Château et disparut en 1691, se trouvait à peu près en face de la sacristie de l'église des Carmes.
Vauban donna, en 1694, à la rue Sains-Yves, son étendue actuelle : de la place du Château à la rue de l'Abreuvoir (Colbert). Nommée rue de le Liberté en l'an II, la rue Saint-Yves recouvra, en 1811, son nom primitif, et, depuis 1907, elle est appelée rue Émile-Zola.
L'ÉGLISE SAINT-YVES.
L'hospice et l'église de Saint-Yves existaient depuis plus de deux siècles quand, en 1650, des religieux de l'ordre des Carmes déchaussés sollicitèrent l'autorisation de venir à Brest établir un couvent.
Le chapitre de l'évêché de Saint-Pol de Léon et les habitants de Brest hésitèrent d'abord à accorder aux Carmes l'autorisation qu'ils demandaient ; mais M. de Castelneau, gouverneur du Château, ayant manifesté le désir de voir s'établir à Brest un couvent de cet ordre, les difficultés furent vite levées. Le gouverneur n'avait été que l'interprète des volontés du Roi.
Trois Carmes irlandais « chassés de leur pays par Cromwell », dit l'abbé Tresvaux, prirent possession de l'église et de l'hospice, le 12 décembre 1652, sous condition de « faire bâtir une chambre proche le couvent, pour servir d'hôpital aux pauvres et nécessiteux de la ville ».
L'église de Saint-Yves ou des Carmes tombait en ruines quand elle fut rebâtie, en 1718, sur les plans de M. Robelin, directeur des fortifications de Bretagne, et placée sous le vocable de Notre-Dame du Mont-Carmel.
Il paraît que de l'ancien édifice on ne conserva que le clocher ; le style et la pierre de ce clocher, très différents de ceux de l'église moderne, nous semblent confirmer ces conjectures.
L'église fut affectée, en 1793, à la tenue des assemblées de section, puis servit de magasin aux approvisionnements de la guerre.
En 1801, elle fut mise à la disposition de notre allié, l'amiral espagnol Gravina, pour permettre à son armée navale, qui séjourna pendant près de trois ans sur la rade de Brest, d'assister aux services religieux que célébraient quelques prêtres insermentés et, en 1803, la ville obtint la réouverture définitive de l'église des Carmes, qui devint succursale de l'église Saint-Louis, jusqu'en 1857, date où un décret impérial l'érigea en paroisse.
LE COUVENT DES CARMES.
Le Couvent des Carmes et ses dépendances occupaient, au moment de la Révolution, presque tout l’îlot actuel compris entre les rues Traverse, Amiral-Linois, Monge et Émile-Zola.
L'emplacement où s'élevait l'ancienne Halle, sur la place Sadi-Carnot, était un superbe jardin à terrasse.
En outre de ce vaste enclos, les Carmes possédaient sur la route de Brest à Guipavas une fort belle maison de campagne appelée « le Mont-Carmel ».
Supprimé le 15 juillet 1790, en vertu des décrets de l'Assemblée nationale, le Couvent fut affecté à la détention des prêtres qui refusèrent de prêter le serment constitutionnel, puis il servit de casernement aux gardes nationaux.
Il demeura ensuite établissement militaire, connu sous le nom de caserne d'Aboville.
LE PREMIER HÔPITAL DES PAUVRES (1655).
Nous avons vu que les Carmes, en s'établissant à Brest, en 1650, s'étaient engagés à recevoir les pauvres de la ville dans leur couvent. Quatre ans plus tard, ils se trouvèrent dégagés de cette obligation en rétrocédant à la ville deux petites maisons de la rue Neuve-des-Sept-Saints, que leur avait données « honorable femme Pochard, veuve Jacolot, moyennant une rente viagère de 24 livres et la célébration de trois messes à notes après le décès de la donatrice et à perpétuité ».
Ces maisons furent converties en hôpital en 1655, mais elles ne remplissaient pas le but qu'on s'était proposé et, en 1664, la ville, « pour réfugier ses pauvres » acheta, « en haut de la rue Saint-Yves, près la rue Traverse, une maison avec jardin derrière » , au prix de 250 livres tournois.
La maison fut incendiée, en 1667, par l'imprudence des soldats du duc de Beaufort, qui y étaient hospitalisés et, sur son emplacement, on construisit un édifice dont la première pierre fut posée, le 4 mai 1686, par la duchesse de Portsmouth.
RUE ÉTIENNE-DOLET.
Cette rue, en face l'église Saint-Louis, dont le tracé figure sur le plan de Vauban, avait été l'objet, en 1740, d'un plan très réussi de l'ingénieur Frézier, qui avait voulu en faire, avec la place et l'église, un ensemble monumental harmonieux.
La place et la rue devaient être toutes deux bordées de maisons régulières du style de l'église, et les rez-de-chaussée étaient garnis d'arcades circulaires doriques, qui devaient régner tout le long des édifices. jusqu'à leur débouché dans la rue Royale (Louis-Pasteur), servant de vestibule monumental à l'église.
On commença, en 1788, les expropriations et les démolitions nécessaires, mais la Révolution arrêta bien vite ces travaux ; puis, quand on les reprit, on se heurta à l'opposition des propriétaires des édifices à démolir. Dans l'exécution, on préféra les boutiques aux arcades et rien ne resta du beau projet de Frézier.
La rue prit, quand elle fut ouverte, en 1810, le nom de Napoléon, celui de Bourbon sous la Restauration, et celui d'Orléans, en 1830.
Après 1848, on l'appela tantôt rue de la Fraternité, tantôt rue de l'Église. Elle avait repris son nom d'Orléans depuis de longues années, quand nos édiles lui attribuèrent, en 1907, celui d'Étienne Dolet.
PASSAGE ÉTIENNE-DOLET.
On exécutait autrefois sur la place du Marché, là où il se réunissait le plus de monde, afin que la répercussion de l'exemple soit plus grande.
Mais la potence en bois n'était pas dressée en permanence et « pour continuer l'exemple », le cadavre était porté aux « fourches patibulaires, colonnes de pierre réunies en haut par une traverse à laquelle les condamnés à mort, après avoir été suppliciés, sont exposés à la vue des passants ».
Le nombre de ces colonnes ou « piliers » variait de deux à cinq, selon le titre et a qualité des seigneurs, propriétaires de fiefs et partant de la haute justice.
Le seigneur de Tronjo y, propriétaire des terrains sur lesquels furent édifiés l'église Saint-Louis, en 1702, et le marché couvert, en 1845, avait droit aux fourches patibulaires à trois piliers d'où le nom de rue des Trois-Piliers porté autrefois par le passage Saint-Louis, aujourd'hui passage Étienne-Dolet.
RUE FAUTRAS.
Cette rue qui, en 1688, s'étendait de l'Égout à la rue de la Mairie, s'appelait rue de la Corderie. Elle aboutissait, en effet, à la Corderie, qui occupait autrefois toute la longueur de la rue Kéravel, depuis la place Médisance jusqu'à la rue de la Voûte.
Quand cet établissement fut abandonné, vers 1700, la rue prit le nom de la Filerie, en raison de l'industrie qu'on y exerçait, et son prolongement, en 1771, jusqu'à la rue Algésiras, fut appelé rue des Casernes.
Mais, en 1785, la communauté de Brest donna à la rue des Casernes le nom de Feutras.
LE CHEVALIER DE FAUTRAS.
C'est qu'en effet André Bandeuil, chevalier de Fautras, major de la marine, avait droit à la reconnaissance des Brestois.
Les États de Bretagne venaient de voter, au mois de décembre 1784, l'érection d'une statue à Louis XVI et trois villes : Rennes, Brest et Nantes se disputaient l'honneur de la posséder. Le chevalier de Fautras avait été envoyé à Paris pour assurer le succès des vœux de la marine et de la ville, et cédant à ses sollicitations, le Roi s'était prononcé pour Brest, le 18 mai 1785.
Bien plus, quatre jours auparavant, M. de Fautras avait spontanément offert à la ville de solliciter pour elle l'obtention d'un arrêt du Conseil qui l'eût autorisée à construire des halles dans l'enfoncement du Pont-de-Terre (place La Tour-d Auvergne).
Dans l'effusion de la reconnaissance que lui inspiraient ces bons offices, la municipalité arrêta, le 19 septembre 1785, que le nom du chef d'escadre serait donné à la rue « allant de l'encoignure des casernes au carrefour de la rue de la Communauté » (rue de la Mairie).
Un arrêté de 1791 rétablit l'ancien nom de la Fileterie aux deux parties de la rue, mais le conseil municipal, en 1811, leur restitua celui de Fautras.
LES CASERNES.
La première aile des casernes fut élevée de 1730 à 1732 ; le pavillon central et la deuxième aile, en 1767. Les États de Bretagne fournirent, pour cette construction, 209 824 livres.
L'acquisition, en 1773, de trois petites maisons appartenant à M. de Riverieulx, donnant sur la rue Feutras, permirent de clore l'esplanade de ce côté.
Quant au mur longeant la rue de la Mairie, il fut construit, de 1786 à 1789, sur les ordres personnels du comte d'Hector, commandant de la marine et « sans la participation des ingénieurs des bâtiments civils », ce qui valut au commandant un sévère blâme ministériel.
Le vieux comte d'Hector, surnommé « Tire-Poil », connaissait le système D. Las d'attendre des bureaux de la Cour les fonds nécessaires à la construction de son mur, il trouva les moyens de le faire édifier à peu de frais.
Les pierres, il les prend dans l'arsenal, dans l'excavation de la montagne de Kéravel ; extraction et travaux de maçonnerie sont exécutés par les forçats du bagne. Quant au sable, il le découvre dans la cour d'une maison du quartier de Lanouron ; mais la propriétaire, veuve Picaud, goûta peu cette façon de procéder ; elle porta plainte au ministre et obtint 2 400 livres d'indemnité pour les 84 toises de sable qu'on lui avait enlevées.
LA POTENCE.
A peu de distance de la caserne, sur la petite place Fautras, on dressa, en 1743, une potence qui y demeura un certain temps en permanence.
Elle avait été plantée pour l'exécution, le 25 janvier, d'un sieur Louis Gourdéol, dit La Bonté, « chef et cause d'un tumulte arrivé au château de Mingant par les soldats de la garnison ! ».
Le maintien du gibet, après l'exécution, provoqua les observations du ministre ; l'intendant y répondit en ces termes :
« Ça a été après des peines infinies que j'ai fait faire cette potence, aucuns ouvriers n'y voulaient travailler, tant ça est en horreur parmi la population en ce pays. Il a fallu la faire en secret et, après qu'elle a été faite, personne ne voulait la transporter ni la planter. Enfin, à force d'argent et de nuit, on est venu à bout de la mettre en place. Il y aura autant de difficultés pour la mettre à bas et je ne puis vous répondre d'y parvenir ».
Dans sa lettre du 25 janvier, compte rendu de l'exécution, l'intendant écrit : « Le bourreau a eu de la peine à se sauver ».
LA GUILLOTINE ET L'AFFAIRE DU « FŒDERIS-ARCA ».
La guillotine a été dressée deux fois sur la place Feutras : en 1866, pour l'exécution de quatre pirates du Fœderis-Arca, et en 1898, pour celle du fratricide Malavoi.
Rappelons l'affaire du Fœderis-Arca.
Au mois de juin 1865, le trois-mâts Fœderis-Arca, de Marseille, capitaine Richebourg, capitaine en second Aubert, 12 hommes d'équipage, faisait route sur la Vera-Crue avec un chargement de vins et spiritueux.
D'abondantes libations — car l'équipage s'était ménagé les moyens de pénétrer dans la cale au vin, en dévissant un piton de fermeture du panneau — excitaient l'esprit d'insubordination.
Et, un soir, un complot est formé, des conciliabules s'établissent sur le pont ; l'arrêt de mort des officiers y est prononcé.
Les rôles sont distribués : les matelots Thepaut et Daoulas attaqueront le capitaine dans sa cabine ; Oillic et Carbuccia se chargeront du second.
La nuit, qui s'était faite, rendait le moment favorable. Oillic était à la barre ; on lui envoie le novice Chicot, qui le remplacera, sous un prétexte convenu, pour lui laisser la liberté d'agir.
Les couteaux sont préparés, choisis ; on en attache deux ensemble pour se faire une arme plus meurtrière.
Quelques instants après, le second s'avançant pour donner un ordre de manœuvre, Oillic le saisit par derrière. Thepaut, Carbuccia et Daoulas essaient de le jeter à la mer. Doué d'une vigueur peu commune, Aubert repousse ses agresseurs, qui le frappent alors de leurs couteaux, à coups redoublés. En vain appelle-t-il à son secours le maître d'équipage Lénard qui se promène sur la dunette et reste témoin impassible de cette scène de boucherie.
Aubert parvient cependant à leur échapper ; mais, saisi de nouveau et traîné sur le pont, on le jette par-dessus la lisse. Deux fois, il réussit à rentrer sur le navire. Les couteaux ne suffisant pas, on détache un lourd levier de pompe en fer, on l'en frappe. Il tombe presque inerte de la lisse sur le pont. Alors on s'acharne sur lui, on le frappe à tour de rôle on lui fracasse le crâne. Enfin, on peut le jeter à la mer et l'on entend encore un long gémissement. Il coule comme un plomb.
Aux cris de son second, Richebourg était sorti de sa cabine, ses pistolets à la main. Oillic, à sa vue, quitte sa première victime et désarme le capitaine.
On lui met une corde au cou pour l'étrangler, on le conduit à la lisse en lui portant des coups de couteau. Il demande grâce. Le maître Lenard crie, de la dunette : « Jetez tout à la mer ! ».
Le capitaine est aussitôt précipité par-dessus le bord et le navire continue sa route.
On pille les chambres des officiers ; mais où aller ? A l'unanimité, il est convenu de couler le Fœderis-Arca, de se mettre dans les embarcations en attendant le passage de quelque navire et de se donner pour victimes d'un naufrage accidentel.
Toutes les dispositions sont prises pour qu'il ne reste du bâtiment aucun vestige accusateur, et l'équipage se répartit dans deux chaloupes. Mais un témoin peut être gênant : c'est le mousse Dupré, enfant de onze ans.
Sur ordre de Oillic, Le Clerc le saisit « entre les jambes et le collet pour le jeter par-dessus le bord ». Mais le mousse se débat en criant ; Le Clerc le lâche et Oillic le prenant aussitôt par les jambes, le précipite à la mer.
« L'enfant nageait bien et implorait ses assassins. Pendant dix minutes au moins on l'entendit appeler à son secours sa mère et Dieu, puis sa voix s'éteignit. Personne ne le secourut. Un seul de ces hommes, Tessier, éprouva un moment de pitié et prétend s'être bouché les oreilles pour ne pas entendre ses cris ».
« Voilà le seul éclair d'humanité qu'on rencontre en face de tant d'atrocités ! ».
Quelques heures plus tard, un bâtiment danois recueillait les soi-disant naufragés et les débarquait aux îles du Cap-Vert ; puis la corvette le Monge les conduisit à Brest.
Ces crimes seraient restés impunis si l'enquête du frère du lieutenant Aubert n'avait amené les révélations du novice Chicot.
On retrouva huit hommes de l'équipage du Fœderis-Arca et, après de longs débats, Lénard, Oillic, Carbuccia et Thépaut furent condamnés à la peine de mort.
***
L'exécution eut lieu le 11 octobre 1866, sur la place Fautras, à six heures du matin.
Réveillés à quatre heures, dans leurs centiles de la prison de Pontaniou, les condamnés entendirent la messe à la chapelle, puis les exécuteurs de Caen, d'Angers et de Rennes (Deibler père), accompagnés de deux aides, procédèrent à la funèbre toilette.
A cinq heures et demie, le cortège se mettait en route et sortait de la maison d'arrêt par une brèche pratiquée, pendant la nuit, dans un mur de la cour donnant sur Recouvrance. Il était composé de deux voitures dans lesquelles les condamnés avaient pris place avec leurs confesseurs. Les exécuteurs suivaient à pied. La marche était ouverte par une brigade de gendarmerie à cheval ; puis venaient la gendarmerie à pied, deux compagnies d'infanterie de marine formant la haie et enfin une seconde brigade de gendarmes à cheval.
Plus de 8 000 personnes étaient massées sur la place, sur les remparts, aux fenêtres et sur les toits de la caserne et des maisons voisines, quand, à six heures, les voitures des condamnés arrivèrent, par les rues de Siam et Algésiras, au pied de l'échafaud.
« Lénard est descendu le premier, la démarche ferme, la tête haute ; il s'est agenouillé sur la plate-forme, a été béni par son confesseur, s'est relevé sans aide et s'est approché de lui-même de la fatale planche.
Puis est venu le tour de Thépaut, non moins ferme et non moins déterminé. Puis Carbuccia, froid et calme ; sa tête, au lieu de tomber dans le panier, roula à terre près des soldats formant le carré.
Enfin, Oillic monta presque en courant les degrés de l'échafaud. Au moment où on le couchait sur la planche, il s'est écrié : « Adieu la société ! ».
Cette quadruple exécution avait pris en tout sept minutes. Par un sentiment d'humanité, chaque condamné n'a été extrait de la voiture qu'après l'exécution de celui qui le précédait. Un bruit sourd lui indiquait seulement l'approche du moment décisif ».
Les corps, placés dans deux tombereaux, furent immédiatement transportés par des infirmiers de la marine à l'amphithéâtre de l'hôpital.
RUE FOY.
La rue Foy, qui rivalise de tranquillité avec la cité d'Antin fut ouverte vers 1830, dans le grand jardin de la Société des Vêpres.
LA SOCÉTÉ DES VÊPRES.
La Société des Vêpres, dissoute depuis quelques années, était le cercle littéraire le plus ancien de Brest. Elle avait été fondée en 1792 par les citoyens Massac, commissaire de la marine, et Torrec-Basse-Maison, négociant.
Son nom venait, suivant les uns, de ce que ses membres se réunissaient particulièrement à l'heure des vêpres ; suivant d'autres, parce qu'ils se rassemblaient le soir au moment de la « vesprée », autrement dit de la soirée.
La liste des journaux en lecture dans les cercles qui devait être adressée, tous les mois, à l'administration de la police, nous apprend que la Société des Vêpres était abonnée en 1820 au Moniteur, Journal de Paris, Censeur européen, la Renommée, la Quotidienne, le Journal des Débats, le Constitutionnel et le Courrier de Brest.
Elle comptait parmi ses membres des généraux, des magistrats, les citoyens les plus notables de la ville. « Elle n'achète aucun pamphlet, mais il arrive que parfois des sociétaires lui font hommage de ceux qu'ils possèdent ».
La Société des Vêpres, qui avait son siège dans le bel immeuble du numéro 21 de la rue Jean-Macé, possédait un grand jardin qui s'étendait jusqu'à la rue Voltaire et la rue de la Poterne.
Le percement de cette rue entraîna la démolition de quelques maisons de la rue de la Poterne et dans le tracé un vaste terrain, pour la construction d'un tribunal, avait été réservé à l'angle des rues Foy et Voltaire.
Les bureaux de la Caisse d'épargne occupent actuellement, dans la rue Foy, une partie de l'ancien Jardin des Vêpres.
LE GÉNÉRAL FOY.
Ce fut quelque temps après Ies funérailles du général Foy (28 novembre 1825) que la nouvelle rue fut ouverte au public et on lui donna le nom du célèbre tribun.
Foy, né à Ham (Somme), en 1775, avait fait toutes les guerres de l'Empire et était inspecteur général d'infanterie à Nantes, quand, « sans enthousiasme et sans espoir », il se rallia à Napoléon, au retour de l'île d'Elbe. Mis à la tête d'une division dans le corps du maréchal Ney, il combattit aux Quatre-Bras et reçut à Waterloo sa quinzième blessure (18 juin 1815).
Ce n'est d'ailleurs plus comme militaire qu'il devait acquérir ses derniers et ses plus beaux titres de gloire. La politique, qui l'avait toujours passionné, l'attirait de plus en plus. Patriote et libéral, les agissements des Bourbons le froissaient et l'inquiétaient.
Élu député, en 1819, par le département de la Somme, il défendit les libertés publiques et la cause de la Révolution avec une constance et un courage infatigables, un magnifique talent le classant au premier rang de nos orateurs parlementaires.
Sa mort fut regardée dans toute la France comme une calamité nationale. Cent mille personnes suivirent son convoi ; son cercueil fut porté à bras jusqu'au Père Lachaise. Comme il laissait cinq enfants sans fortune, une souscription publique fut provoquée en leur faveur par ses amis et, est en quelques mois, elle produisit un million.
RUE FRÉZIER.
M. Frézier, directeur des fortifications, traça cette rue en 1740, dans la venelle appelée Petite rue de la Tête-Noire, à cause de l'auberge du même nom qui se trouvait à l'encoignure actuelle de la rue Frézier et de la place Saint-Louis ; la Poste aux chevaux y était établie en 1755.
Jusqu'à l'ouverture de la rue d'Orléans, en 1810, cette voie était la seule qui donnait accès de la Grand'Rue à l'église Saint-Louis.
Le nom de Frézier a été longtemps écrit comme s'il dérivait du mot « fraise », et l'Annuaire officiel de 1850 mentionne la rue Fraisier, comme si elle devait son appellation au marché de fraises qui se tenait autrefois en ce lieu.
L'INGÉNIEUR FREZIER.
C'est cependant bien à l'ingénieur Frézier que la ville donna le nom de la nouvelle rue, en 1746. pour témoigner sa gratitude « au zélé citoyen qui apporta ses soins et son talent à l'embellissement de Brest et au perfectionnement de l'église Saint-Louis ».
Frézier est connu par les relations de ses voyages, ses travaux d'architecture et son fameux traité de la coupe des pierres. Il devint, en 1739, directeur du génie pour la Bretagne et, en 1752, membre de l'Académie de marine.
Frézier habitait dans la rue qui porte son nom et y mourut, en 1773, à l'âge de quatre-vingt-onze ans.
LES OZANNE.
La rue Frézier fut le berceau de la famille Ozanne.
Adrien Ozanne, le père de nos deux grands artistes brestois, avait épousé la fille de l'hôtelier de la Tête Noire, et c'est dans cette auberge que naquirent Pierre et Nicolas Ozanne.
On connaît leur œuvre, largement représentée au Musée de Brest et retracée dans le très bel ouvrage de M. le docteur Ch. Auffret [Note : Une famille d'artistes brestois au XVIIIème siècle : Les Ozanne, par le docteur Ch. Auffret, Rennes, 1891].
Le crayon des Ozanne a rendu toutes les grandes scènes maritimes de la fin du XVIIIème le et du commencement du XIXème siècle. Il a contribué à immortaliser les luttes héroïques de la Surveillante, du Formidable, du Guillaume-Tell, tous les hauts faits d'armes de ces brillantes escadres qui portèrent, bien haut, notre pavillon sur toutes les mers, de 1775 à 1810.
RUE GUYOT.
La rue Guyot fut ouverte en 1750 pour établir une communication entre la Grand'Rue et le quartier Kéravel.
Elle reçut d'abord le nom de rue du Passage, auquel ne tarda pas à être substitué celui de M. Guyot, trésorier de la marine, qui habitait la maison de la Grand'Rue, n° 51, à l'angle de ce passage.
De là, vient aussi qu'on l'appela longtemps rue du Trésor, puis rue de la Clet-d'Or, parce qu'un serrurier, établi sur la place depuis 1830, avait pris pour enseigne une grande clef de bois doré que ses successeurs avaient conservée.
La rue Guyot fut nommée, en l'an II, rue des Vétérans.
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Dès 1790, les citoyens commissaires, chargés du recensement de la population, signalent comme habitant au n° 11 « un aubergiste, un peu suspect, Geneviève Chevalier, soi-disant sa femme et huit filles de dix-neuf à trente-quatre ans, toutes filles mondaines ».
Mais cette rue n'est devenue mal famée que depuis la disparition du quartier des Sept-Saints.
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La Société maçonnique de Brest fit édifier sa loge, en 1867, au n° 4 de la rue Guyot, sur un terrain dont elle était propriétaire. Cet immeuble, qui portait à son faite l'écusson maçonnique, l'équerre et le marteau, fut transformé en café-concert, puis en atelier de serrurerie.
RUE DE L'HARTELOIRE.
Le terrain de la Harteloire, qui dépendait de la commune de Lambézellec, fut annexé à la ville de Brest en 1853.
Ce quartier tire son nom de M. François de Betz, comte de la Harteloire, lieutenant général des armées navales, ancien commandant de la marine à Brest, mort en 1726. Beau-frère de l'intendant Desclouzeaux, il avait pris, comme lui, des intérêts dans des armements en course, et les bénéfices qu'il en avait recueillis lui permirent d'acquérir, en 1683, un terrain sur lequel il fit construire une bastide qui prit son nom.
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En 1835, le département projeta d'édifier sur le terrain de la Harteloire : un palais de justice, une maison d'arrêt et aussi une mairie, ce qui aurait permis d'affecter ce dernier bâtiment à la sous-préfecture, qui n'avait pas de maison particulière. Mais le conseil municipal rejeta à l'unanimité le transfert de la maison commune dans un endroit aussi éloigné du centre de la ville.
RUE JEAN-JACQUES-ROUSSEAU.
Cette rue a été tracée, comme la rue Ornou, dans un grand terrain vague appelé Parc-ar-Cornou que nous voyons compris, sur un plan de 1670, entre les glacis du Château et les rues actuelles : Émile-Zola, Monge et Amiral-Linois.
Vauban lui donna, en 1694, le nom de rue des Carmes ; mais elle ne fut réellement ouverte qu'en 1762, sur la demande du commandant du Château, car, jusqu'alors, la Grand'Rue était la seule voie praticable aux voitures pour le service de la citadelle, « ce qui faisait un circuit d'un quart de lieue ».
La rue des Carmes prit, en l'an II, le nom de Jean-Jacques-Rousseau.
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Dès 1805, nous trouvons rassemblées, dans la rue J.-J.-Rousseau, les importantes maisons des négociants brestois : Larrue, Lorans, de Rivérieulx, Larrien.
C'est là aussi que l'imprimeur Pierre Anner, éditeur de plusieurs feuilles de nouvelles, en 1815, établit sa première imprimerie.
Pierre Anner dut, quelques années plus tard, transporter ses presses au n° 54 de la rue Royale (Louis-Pasteur). Son fils Édouard, fondateur, en 1832, du journal le Brestois, qui, l'année suivante, devint l'Armoricain (1833-1869) installa son imprimerie dans la cour du n° 32 de la rue Émile-Zola.
RUE JEAN-MACÉ.
Vauban avait assigné à cette rue le nom de rue de la Rampe, toujours incrusté dans le granit de la maison qui forme l'angle de la rue Voltaire. C'était, en effet, une côte rapide du vieux chemin qui, partant de Saint-Sébastien (rue Voltaire) descendait au domaine de Tronjoly (église Saint-Louis) puis conduisait, par devant les terrains de l'hôpital maritime, à Lambézellec et à Saint-Renan.
La rue fut d'abord ouverte de la Grand'Rue à la rue du Château et, jusqu'à la fin du XVIIIème siècle, on ne voyait, du côté est, que quelques hôtels dans son prolongement jusqu'au cours Dajot, longtemps appelé rue de la Rampe-prolongée.
A droite, en effet, s'étendaient jusqu'à la rue Voltaire les jardins du Petit-Couvent, puis, jusqu'au cours, un grand terrain vague qui servit aux ébats des enfants jusqu'à la fin de l'Empire.
LE CHAMP DE POMMES DE TERRE.
Cette place était connue soufi le nom de Champ de pommes de terre, en souvenir de la culture qu'y avait faite la ville en 1794.
En ce temps de « vie chère », le représentant Laignelot avait autorisé les administrations municipales à porter le maximum du prix des denrées de première nécessité aux prix de 1790, augmentés d'un tiers, et « pour apporter un prompt remède à la cupidité et à la malveillance des possesseurs de bestiaux » , il leur avait ordonné de cultiver le vingtième de leurs terres en pommes de terre, sous peine d'une amende double de leur contribution foncière.
Et, pour donner l'exemple de l'obéissance à cet arrêté, le conseil municipal avait décrété, le 8 germinal an II (28 mars 1794) que les terrains propres à la culture de la pomme de terre seraient mis en réquisition pour les besoins de la commune.
Ce n'est qu'en 1811 que M. Penaud, négociant, fit construire, sur ce terrain, la maison n° 14, occupée, jusqu'en 1877, par la Trésorerie générale.
VIEILLES MAISONS ET ANCIENS HÔTELS.
Plusieurs maisons de la rue Jean-Macé méritent d'être mentionnées dans nos recherches d'histoire locale.
L'immeuble actuel des religieuses de la Retraite qui, en partant du cours Dajot, forme, à droite, l'angle de la rue Voltaire, fut, jusqu'en 1850, le bureau de la poste aux lettres. Il n'y avait alors, à Brest, que quatre boites : au bureau de la rue de la Rampe, quai Tourville, place Médisance et au n° 59 de la rue de la Mairie.
Le courrier de Paris arrivait tous les jours, par malle-poste, de dix heures du matin à une heure de l'après-midi, en été, et de une heure à trois heures du soir, en hiver. Celui de Nantes arrivait à quatre heures du matin.
La Malle de Paris partait à midi et effectuait son trajet en cinquante-trois heures. Elle était disposée pour recevoir quatre voyageurs, qui payaient 1 fr. 50 par poste (soit 4 fr. 50) pour Landerneau, 11 fr. 25 pour Morlaix, 26 fr. 65 pour Saint-Brieuc, 43 fr. 90 pour Rennes, 116 fr. 65 pour Paris) ; chacun avait droit, franco de port, à un sac de nuit de 25 kilos.
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La maison n° 13 fut le domicile du célèbre ingénieur de la marine Choquet de Lindu, et sa construction remonte à 1768, date gravée sur le linteau de la maison contiguë.
Quelques pas plus loin, au numéro 21, nous rencontrons l'un des plus beaux immeubles de la ville, actuellement occupé par l'administration de la Caisse d'épargne. Cette maison et son grand jardin étaient la propriété du glorieux chef d'escadre La Motte-Picquet, qui y mourut le 11 juin 1791.
Vendue comme bien d'émigré [Note : La maison appartenait alors à l’émigré Duloup, lieutenant de vaisseau, héritier de La Montte-Picquet], elle fut achetée 48 000 livres, en l'an II, par M. Guilhem, négociant, qui occupa les fonctions de président du tribunal de commerce de Brest et de député du Finistère. L'Hôtel Guilhem devint ensuite le siège de la Société des Vêpres, jusqu'à la dissolution de ce cercle, en 1891.
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Au n° 25 — l'hôtel actuel de la Dépêche de Brest — demeurait, en 1789, la jolie Dorbigny, marchande de modes, ex-première actrice du theâtre de Brest, l'infortunée amante du chevalier de Coatlès ; et, l'année suivante, la maison fut louée à l'administration du Directoire du district, qui l'occupa jusqu'à son remplacement par le tribunal correctionnel, en 1795, et son transfert à l'hôtel Saint-Pierre.
La maison n° 35, ancien domicile de M. Halna du Fretay, capitaine de vaisseau, brigadier des armées navales, en retraite, fut mise sous séquestre, en 1793, comme appartenant à un officier émigré.
C'est dans cette maison que demeura Hugues, le fameux accusateur public du tribunal de Rochefort, dont l'arrivée à Brest fut signalée, en ces termes, par le contre-amiral Martin, au représentant du peuple Jean Bon Saint-André : « Les révolutionnaires de Rochefort l'ont vu partir avec chagrin. mais j'espère que ceux de Brest le verront arriver avec plaisir ».
Et, en effet. Hugues arrive à Brest le 8 février 1794. Le soir même, il écrit à la municipalité : « Envoyez-moi le charpentier de la commune ; je lui indiquerai l'emplacement de la Sainte-Guillotine ». Et, le lendemain, elle est montée sur le Champ-de-Bataille.
ANCE « LE VENGEUR DU PEUPLE ».
Un autre personnage habita, à partir du 11 juin 1794, cette maison n° 35 : ce fut Ance, l'exécuteur des jugements criminels, « le Vengeur du Peuple ».
Ance demeurait auparavant à l'Hôtel Saint-Pierre (préfecture maritime), qu'il dut quitter pour laisser la place libre aux représentants du peuple. Toutefois, pendant son séjour à Brest, il prenait ses repas à la table des Représentants et on connaît le propos tenu un jour par Jean Bon Saint-André à l'amiral Villaret-Joyeuse, qui éprouvait un sentiment de gêne du voisinage du fonctionnaire Ance : « Tu veux donc qu'il te coupe la tête ! ».
Nous ignorons si ce propos est authentique ; mais, ce qui est certain, c'est qu'après le combat de Prairial, un dîner fut servi à bord de la Montagne et Villaret, de bon gré ou à contre-cœur, y reçut « le Vengeur du Peuple ».
Ance était un muscadin. Sa chevelure ondulant avec grâce, sous un bonnet phrygien, coquettement posé, rehaussait des traits que les femmes enviaient, et Monteil rapporte dans sa Décade des clubs (Histoire des Français), que « le bourreau, à Brest, jeune homme de vingt et quelques années, élu président de la Société, fut aussitôt courtisé par tous les pères de famille qui avaient des filles à marier » (sic !).
L'HÔTEL DE VIENNE.
Au n° 38 de la rue Jean-Macé, s'élevait autrefois l'hôtel de Kerouartz qui devint, en 1712, hôtel de Vienne, lors du mariage d'une demoiselle de Kerouartz avec Étienne de Vienne, capitaine de vaisseau, en 1731, et commandant des Iles-sous-le-Vent. Cette maison était la propriété du seigneur de Poulpiquet de Coatlès, quand elle fut incendiée en 1790.
L'immeuble fut reconstruit après 1800 et son aspect actuel ne diffère guère de l'ancien : sur la rue, deux pavillons séparés par une grille ; une cour pavée qui était autrefois un parterre et, dans le fond, l'hôtel avec son jardin s'étendant jusqu'à celui de la préfecture maritime.
LES LIBRAIRES.
La rue de la Rampe était, au siècle dernier, la cité des libraires, Sur les treize libraires que compte Brest en 1840, nous en rencontrons cinq dans la partie comprise entre la rue Saint-Yves et la Grand'Rue.
Ce sont les librairies : Égasse, au n° 37 ; Le Pontois, n° 51 ; Lairan, n° 57 ; Giraud, n° 59 ; Philipot, dit Malibert, au n° 60.
LE CAPITAINE TARTU.
L'arrêté du 5 messidor an II donna à la rue de la Rampe le nom de rue Tartu.
Tartu était le capitaine de la frégate l'Uranie, de Rochefort, 40 canons, qui, faisant route sur Brest avec un équipage très réduit, livra combat, à quelques milles d'Ouessant, avec la frégate anglaise la Tamise, de 32 canons. Celle-ci, désemparée, fut prise, mais le capitaine de l'Uranie eut la jambe emportée par un boulet et, le lendemain, mourut de ses blessures.
Grande fut la joie des Représentants du Peuple à l'annonce de cette capture d'une frégate anglaise, et ils en profitèrent pour exalter l'ardeur de nos marins. Le pavillon de la Tamise est envoyé à Paris pour être suspendu aux voûtes du salon de la Liberté, dans le local de la Convention. L'équipage de l'Uranie est déclaré « avoir bien mérité de la patrie ». L'Uranie prend le nom de Tartu et l'arrêté de 1794, qui changea le nom de presque toutes les rues de Brest, donna à la rue de la Rampe celui du brave marin.
Mais elle reprit en 1811 l'appellation que lui avait octroyée Vauban et les vieux Brestois désignent toujours, sous le nom de rue de la Rampe, cette rue à laquelle nos édiles, en 1907, ont attribué le nom de Jean-Macé, fondateur de la Ligue de l'enseignement.
RUE JULES-MICHELET.
La rue Jules-Michelet n'a été ouverte qu'en 1907, après la démolition de la chapelle de la Marine et des vieilles écoles de l'Isle Kerléau, ce qui a permis d'agrandir la place du Marché et de tracer cette large voie dans le quartier Kéravel.
Rappelons brièvement l'histoire de ces monuments, aujourd'hui disparus.
LA CHAPELLE DE LA MARINE ET LE TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.
La chapelle de la marine fut édifiée, en 1741, par les Jésuites, avec les 50 000 livres que dut leur verser la ville pour rentrer en possession de son église Saint-Louis, ainsi que nous le verrons plus loin. Après la dispersion de l'Ordre, en 1762, la chapelle fut consacrée aux exercices du culte, et l'on y célébra plus particulièrement la messe pour les troupes de la marine.
1794. Elle devient le Temple de la Concorde, et sur sa façade on a gravé cette redoutable inscription : Justice du Peuple. C'est là, en effet, que le 21 pluviose (9 février), la municipalité installait sur leurs sièges ombragés de drapeaux aux trois couleurs les juges Grandjean, Le Bars et Palis, du tribunal révolutionnaire.
On connaît les détails de cette première journée :
A sept heures du matin, la Sainte Guillotine est dressée en permanence sur le Champ-de-Bataille, devant le n° 25 de la rue de la Rampe, et en face : la Sainte Montagne, un monceau de bûches de bois recouvertes d'une toile grossière qui, à l'aide de quelques couleurs, figure les accidents d'un roc escarpé.
A neuf heures, le tribunal fait comparaître à sa barre : le lieutenant de vaisseau Rougemont, l'enseigne Montecler et l'aspirant Le Dall-Keréon, inculpés de « complicité dans la trahison de la division Rivière, aux Antilles, en janvier 1793 ».
A midi, le procès est terminé. A cinq heures du soir, les trois condamnés sont traînés de la prison du Château au Champ-de-Bataille, dans un tombereau, que suivait Ance, le bourreau.
L'exécution eut lieu sous les fenêtres de la jeune femme d'une des victimes, Mme de Rougemont, et un roulement de tambours, des cris de : « Vive la Montagne ! » annoncèrent aux fidèles que « la patrie était vengée ».
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Après la Terreur, la chapelle de la marine servit de magasin des vivres à l'hôpital de la marine, qui avait été transféré à l'ancien séminaire des Jésuites (école des mécaniciens), et elle reprit, en 1814, son ancienne destination.
Cet édifice, construit dans le style jésuite, adopté par la Compagnie, n'offrait, à l'extérieur, rien de remarquable, mais son architecture intérieure était d'un bel effet.
C'était, sous le rapport de l'art, ce que Brest possédait de mieux en édifices religieux, et aussi, l'un des rares bâtiments que lui concéda la loi de séparation des Églises et de l'État.
La démolition de la chapelle de la marine a, certes, largement aéré le quartier Kéravel, mais elle a privé la ville — si pauvre en monuments — d'un solide édifice en pierres de taille et à socle de granit qui pouvait contenir plus de 1 200 personnes.
L'HÔTEL MONTLOUËT.
Les écoles communales de Kerleau, qui se trouvaient derrière l'église Saint-Louis et qui ont été remplacées par un nouveau groupe scolaire, occupaient le terrain d'une maison et d'un grand jardin que M. Claude de Kerleau, chevalier de l'Isle, capitaine de vaisseau, avait légués à l'hospice civil, en 1729, sous réserve d'en laisser l'usufruit, à sa mort, à un officier de marine.
L'officier désigné par le commandant de la marine devait verser à l'hôpital une somme de 1 000 livres et « faire dire, tous les jours, un De profundis pour le repos de son âme, par les pauvres, à la prière publique ».
M. de Montlouët, major de la marine, qui mourut chef d'escadre, le 12 avril 1772, avait été désigné, en 1741, pour jouir de cette maison et, pendant les trente et un ans qu'il l'habita, la population contracta l'habitude de l'appeler hôtel on maison Montlouët.
Ce n'est qu'en 1866 que le conseil municipal rendit à cet immeuble et à la petite place qui y donnait accès le nom de son donateur : « Lisle de Kerleau ».
La propriété fut achetée par la ville, en 1839, au prix de 25 000 francs, et sur le terrain qu'elle occupait furent construites deux écoles communales et l'école de dessin, commune à la marine et à la ville.
L'ASILE EUGÉNIE.
Dans le bas de la rue Jules-Michelet, en face l'ancien Marché aux Toiles, l'inscription suivante est gravée en lettres d'or sur une table de marbre noir, au-dessus d'une porte d'entrée : Asile ouvert aux enfants des marins de Brest par S. M. l'Impératrice Eugénie. 1859.
C'est l'établissement connu sous le nom de Salle d'asile Eugénie, fondé par l'impératrice lors de son voyage à Brest avec Napoléon III, en 1858. pour servir d'asile aux enfants et orphelins des marins et ouvriers du port.
RUE ET VENELLES KÉRAVEL.
Le terrain de Kéravel (lieu du vent) était autrefois la montagne boisée qui s'élevait au-dessus de la Grand'Rue et qui s'étendait du Jardin du Roi (caserne Guépin, rue de Lyon) jusqu'au bord de la Penfeld.
La terre et le village furent achetés par le Roi, en 1636, au seigneur Mesnoallet de Kerallan, pour y construire la Corderie du port, qui fut incendiée le 30 janvier 1744.
Ce bâtiment occupait tout le terrain compris actuellement entre les rues Louis-Pasteur et Kéravel, et se terminait, à la place Médisance, par un petit pavillon situé à l'angle formé par cette place et la rue Saint-Louis (Marcellin-Berthelot).
LES VENELLES KÉRAVEL.
Quand, en 1686, la marine entreprit la construction d'une nouvelle corderie « sur le rocher de Lanouron » (la corderie basse de l'arsenal), elle confia ces travaux à l'architecte Bedoy, auquel furent concédés, moyennant 24 900 livres, la vieille corderie et toute la terre de Kéravel.
Dès la signature du contrat, Bedoy fit établir les huit rangs de maisons séparées par les venelles, dont une transversale, que nous voyons encore aujourd'hui, et il trouva facilement acquéreurs pour ses terrains, car l'intendant Desclouzeaux fournissait gratuitement les matériaux nécessaires à la construction des maisons, et celles-ci n'étaient assujetties qu'à une redevance de trois livres par an.
La vente des terrains de Kéravel, qui rapporta à Bedoy prés de 50 000 livres, remédia à la crise et à la cherté des logements, dont — tout comme aujourd'hui — les Brestois de 1689 se plaignaient amèrement. Mais la crise avait alors une autre cause elle n'était due qu'au nombre trop réduit de maisons, depuis que les grands travaux de l'arsenal accroissaient chaque jour la population de notre cité.
« Le sieur de Coulombe, écrit le ministre Seigneley à Desclouzeaux, le 31 octobre 1689, me fait savoir que les logements sont devenus si chers à Brest qu'il est impossible que les gardes de la marine en puissent trouver, et comme il n'est pas juste que les habitants de ce lieu, qui gagnent assez d'ailleurs, par leurs denrées, se prévalent du nombre des gens que le service de Sa Majesté attire en cette ville, pour enchérir le loyer de leurs maisons, je vous envoie un ordre du Roi pour empêcher cet abus et pour défendre à ces habitants de les faire payer plus cher que l'année passée ».
En 1710, Bedoy s'était retiré à Nantes, et légua les venelles Kéravel aux hôpitaux de Brest, sous la réserve d'usufruit pour lui et sa femme.
A la mort de l'architecte, en septembre 1722, le bureau des hospices arrêta, en témoignage de sa reconnaissance, qu'un service solennel serait célébré, dans chacun des hôpitaux, pour le repos de l'âme du défunt, et que son décès serait annoncé dans toutes les rues.
La municipalité s'associa à ces témoignages de gratitude en donnant le nom de rue Bedoy à la rue du Marché-aux-Toiles, aujourd'hui disparue.
La rue Kéravel prit, en l'an II, le nom de rue du Peuple.
PREMIER EMPLACEMENT DE L'ÉGLISE SAINT-LOUIS.
Dès 1685, les Brestois réclamaient une nouvelle église, en raison de l'exiguïté de l'église des Sept-Saints, qui ne pouvait contenir que 400 personnes. Par lettres-patentes du 26 juin 1686, le roi avait ordonné l'augmentation des droits d'octroi, pendant neuf ans, de 8 livres par tonneau de vin et 4 livres par tonneau de bière.
Vauban, qui terminait alors ses fortifications, en avait désigné l'emplacement sur le terrain de Kéravel, d'où elle devait dominer la Penfeld, le port et la rade. L'architecte Garanjeau fut chargé de dresser les plans.
En ce moment, on commençait à construire, aux frais de l'État, le séminaire royal des aumôniers de la marine (actuellement « caserne Guépin », rue de Lyon) et les Jésuites qui le dirigeaient prétextèrent que l'emplacement de l'église, choisi par Vauban, « nuirait à la vue du jardin du séminaire, à l'extrémité duquel ils avaient l'intention d'établir un observatoire ».
De plus, les jésuites avaient besoin d'une vaste chapelle et, soi-disant pour éviter les frais de construction de deux églises, l'une pour la paroisse, l'autre pour le séminaire, ils proposèrent au roi l'union de la cure au séminaire, avec une seule église. La municipalité, appuyée par la population, s'opposa vainement au projet de déplacement. Louis XIV décida la construction de l'église unique sur le terrain du séminaire et, en février 1688, il donnait l'ordre de démolir les murs qui s'élevaient déjà à 6 ou 7 pieds dans Kéravel.
Dès que Vauban, alors à Strasbourg, apprit le déplacement de l'église, il ne put s'empêcher d'en témoigner son mécontentement à l'intendant, et il lui écrit le 21 mars 1688 :
« ... Ma foy, vous étes de vrayes poules mouillées, vous et tous ceux de Brest, de n'avoir pas mieux soutenu cela. Vous verrez, par les suites, ce qui en arrivera, et que cette église ne sera pas, à beaucoup près, si saine ny si commode qu'elle eust été en la laissant où je l'avais mise ».
BOUCHERIES ET TUERIES.
La place Kéravel, qui se trouvait à l'extrémité de la rue du même nom, servait autrefois de marché aux viandes et tous les bouchers de la ville étaient rassemblés dans ce quartier.
Un règlement de police de 1682, qui interdit aux habitants de « tenir et nourrir des cochons, en quelque endroit que ce soit de leur maison, sous peine de 30 livres d'amende et de confiscation du cochon », défend aux bouchers de « tuer ou saigner leurs bestiaux sur la rue, n'y faire aucun amas de sang, en quelque endroit que ce soit de la place Kéravel, mais d'exercer leur métier dans l'intérieur de leur maison, qu'ils auront soin de nettoyer tous les jours ».
L'installation des boucheries devenant de plus en plus défectueuse, bien qu'on en ait fait paver les abords en 1768, la municipalité décida, en 1787, d'établir des tueries sur le bord de la mer, à Porstrein, au-dessous du cours Dajot. Malheureusement, le 26 juin 1789, la partie déjà construite, appuyée sur des rochers trop peu consistants et minés par des pluies continuelles, s'écroula presque tout entière, et le projet fut abandonné.
RUE KÉRÉON.
Cette rue figure sur le plan de 1694, sous le nom de Tronjolyi parce qu'elle était située sur la terre de Tronjoly, séparée alors de celle de Kéravel par le chemin qui conduisait à Lambézellec.
Elle fut appelée Kéréon, en l'honneur de M. Yves Le Dall de Kéréon, échevin de Brest de 1693 à 1717, qui était devenu propriétaire du terrain de Tronjoly et habitait une maison sur l'emplacement actuel du n° 1 de cette rue.
Le nom de Kéréon qui avait été changé, en l'an II, en celui de rue des Cultivateurs, fut rétabli en 1811.
LA CORPORATION DES MARCHANDS.
C'est dans la maison de M. de Kéréon que vint s'établir, en 1771, la Corporation des Marchands, puissante association des drapiers, merciers, joailliers et quincailliers de la ville.
Les statuts de cette confrérie, fondée depuis 1715, portaient qu'aucun marchand ne pouvait ouvrir boutique s'il n'était catholique, français de nation, et s'il n'avait fait le serment, devant les maîtres élus, d'observer les ordonnances de police et constitution de son état.
On ne pouvait ouvrir plus d'une boutique dans la ville et les clauses prohibitives contre les autres marchands n'étaient point oubliées dans ces statuts :
Défense aux forains de vendre ailleurs que sur la place du Marché, et seulement le premier lundi de chaque mois, jour de foire, et aux marchés du vendredi de chaque semaine, sans qu'ils puissent aller vendre dans les auberges et maisons particulières, sous peine de 100 livres d'amende.
Défense aux revendeurs de porter dans les rues aucune marchandise vendue par la Corporation.
Défense aux tapissiers de tenir chez eux aucune étoffe pour ameublement ; aux brodeurs, de vendre du velours et du satin ; aux tailleurs et lingères, de faire commerce d'étoffes, qu'ils ont seulement le droit de confectionner.
Pour l'exécution de ces prescriptions sévères, les maîtres élus et les prévôts pouvaient « entrer de jour et de nuit dans les magasins, visiter les aunes, les poids et les mesures, faire transporter à leur maison tous les objets qu'ils jugeaient non convenables ».
On peut juger, par cette courte analyse des statuts, de la puissance de cette corporation et de l'autorité qu'elle exerçait sur les commerçants brestois.
Le « Bureau des Marchands » demeura dans la rue Kéréon jusqu'à son installation, quelques années plus tard, dans le bâtiment de la rue de la Mairie, occupé actuellement par une école communale.
RUE KLÉBER.
Sur la ligne de rochers qui limitait autrefois le côté nord de Brest, un sentier, surplombant le vallon de la Grand'Rue, avait été tracé par les habitants.
Vauban le transforma en rue et l'appela rue des Malchaussés, qui aurait dû s'orthographier mal-chaussée, « mauvais chemin ».
Le nom de Malchaussés s'appliqua, jusqu'en l'an II, à toute la rue conduisant de l'Escalier Neuf (boulevard Thiers) à la place Médisance ; mais, à cette époque, la première partie — de l'Escalier à la rue Suffren actuelle — conserva seule le nom de Malchaussés et la seconde fut appelée rue du Bras d'Or, sans doute à cause d'un « bras d'or » qui était l'enseigne d'un commerçant de ce quartier.
En 1869, la rue des Malchaussés reçut le nom du général Kléber et le chef d'escadre bailli de Suffren donna le sien à la rue du Bras d'Or.
RUE LANOURON.
Lanouron était le nom d'un vaste terrain, relevant de la seigneurie du Chastel, à Recouvrance, qui s'étendait de la rue Fautras à l'emplacement actuel de l'hôpital maritime.
Il se divisait en deux parties : Lanhouron-Huelaff (le grand Lanouron), propriété, en 1664, de l'intendant de Seuil, et Lanhouron-Iselaff (le petit Lanouron), qui fut vendu, en 1684, à l'intendant Desclouzeaux.
Ces deux villages disparurent lors du tracé des fortifications de 1680 et, sur les terrains successivement achetés par la marine, furent établis l'hôpital, la caserne Fautras et sa place d'armes.
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La rue, tracée par Vauban, « le long du jardin aux simples », était autrefois une venelle qui conduisait de Lambézellec et Keranmarec (Moulin-à-Poudre) à Parc-an-Coat (porte d'entrée de l'hôpital). De cet endroit, on suivait le chemin appelé aujourd'hui la rampe du Bagne ou de la Corderie, on traversait l'allée d'arbres du Jardin du Roi (École des mécaniciens) et on arrivait au village de Kéravel, puis à Troulan (bas de la Grand'Rue), où se trouvait la porte principale de la ville.
La rue Lanouron fut appelée rue Franklin, en l'an II, et reprit son ancien nom en 1811.
L'INCENDIE DE L'HÔPITAL DE LA MARINE (1776).
C'est sur le terrain de « Parc-an-Coat », dépendance du Petit Lanouron, que fut construit, en 1684, l'hôpital de la marine, qu'un incendie détruisit entièrement le 21 novembre 1776.
Le feu se déclara dans un grenier, vers quatre heures de l'après-midi, et se propagea avec une telle rapidité qu'en moins de quatre heures tout fut consumé.
« Il n'était pas de force humaine qui pût sauver l'hôpital, écrit le commandant de la marine à l'intendant. La force du feu était animée par un vent impétueux qui a embrasé ce vaste bâtiment en trois heures de temps. Si vous aviez été témoin de cet affreux spectacle, vous auriez tremblé, comme nous, pour les forces navales du Roi et vous auriez trouvé heureux d'en être quitte pour la perte actuelle, quoique considérable.... ».
Trente et un forçats hospitalisés périrent dans les flammes : les autres furent transportés dans les greniers du bagne ; puis, escortés par cinq cents soldats, on les conduisit dans la cour du Château, où le commandant « les fit coucher sur le ventre, par terre, avec ordre de brûler la cervelle au premier qui lèverait la tête ». Quant aux cent cinquante-six malades libres, ils furent dirigés sur l'hospice de la ville.
La véritable cause de cet incendie demeura inconnue. On pensé que le feu commenca dans un grenier renfermant des bois de lit et des paillasses ; personne n’y était entré depuis plusieurs jours, mais, comme il était contigu aux étuves de la goudronnerie, l’opinion finit par prévaloir que des étincelles sorties de la cheminée de ces étuves avaient été projetées dans le grenier.
L'HOPITAL PROVISOIRE AU SÉMINAIRE.
Un hôpital de forçats fut alors aménagé dans les greniers du bagne, et le séminaire des Jésuites, qui servait de caserne aux gardes de marine, fut converti en hôpital provisoire.
Cet établissement d'un hôpital dans la rue de la Mairie ne fut point sans causer quelques alarmes à la municipalité.
« L'hôpital, dit le maire Le Normand, en 1776, est dans le centre de nos murs ; il est destiné à recevoir principalement les marins qui débarquent, presque toujours affectés de maladies putrides et pouvant se communiquer d'autant plus facilement qu'il faut, pour parvenir dans cet endroit, que les malades traversent une grande partie de la ville ».
L'hôpital du séminaire ne fut évacué qu'en 1834.
L'HÔPITAL CLERMONT-TONNERRE.
Pour remplacer les salles en bois construites, au début de la guerre de 1778, sur l'emplacement de l'hôpital incendié et à Pontanézen, on avait, à diverses reprises, présenté des projets d'hôpitaux restés sans exécution, lorsqu'il fut décidé qu'un bâtiment nouveau serait construit sur le terrain de l'ancien.
M. de Clermont-Tonnerre, ministre de la Marine, posa, le 6 octobre 1822, la première pierre du nouvel établissement et lui donna son nom, auquel a été substitué, en 1830, celui d'hôpital de la marine.
Commencé immédiatement en vue de contenir 1700 malades et la plus grande partie des services administratif, médical et pharmaceutique, il n'a été totalement occupé qu'en 1834.
L'hôpital de la marine, à Brest, est un des plus beaux établissements hospitaliers de France.
Mais sa chapelle à colonnes ioniques, en granit veiné de Laber — comparable, on le sait, aux plus beaux marbres et qui a servi à faire le soubassement de l'Obélisque, sur la place de la Concorde — présentait, à l'origine, certaines incommodités. Un perron de vingt-deux marches la rendait d'un pénible accès pour les malades, et elle ne pouvait guère contenir que 200 places.
Sur ordre de l'Empereur, dans sa visite de l'hôpital, le 10 août 1858, on rechercha les moyens de remédier le plus économiquement possible à ces inconvénients, et le rapport de l'ingénieur Verrier conclut à la reconstruction de l'édifice. Il a conservé la plus grande partie des éléments décoratifs de l'ancien, est aujourd'hui d'un accès facile et peut contenir 800 personnes.
La nouvelle chapelle fut bénie le 12 février 1863 par l'évêque de Quimper, en présence du vice-amiral de Gueydon, préfet maritime, et des autorités civiles et militaires.
LE JARDIN BOTANIQUE.
Un Jardin aux simples, pour la culture des plantes usuelles employées dans l'hôpital, avait été établi, en 1694, sur la demande de l'intendant Desclouzeaux, au moyen d'un prélèvement de 3 000 livres sur les 10 000, montant du « provenu des hardes des matelots et soldats, morts sans héritiers, pendant les guerres antérieures ».
Ce jardin, entouré de murs et s'étageant sur trois terrasses, était situé entre la cour de l'hôpital et la corderie neuve ; la porte donnait sur « la rue qui conduit à l'hôpital », c'est-à-dire sur l'extrémité de la rue de la Mairie, cédée par la ville en 1823, qui forme la cour précédant la Rotonde.
Ces terrasses s'étant, en partie, écroulées en 1736 et menaçant d'écraser la corderie, on rétablit le jardin en 1738. Mais le jardin botanique actuel, qui était, il y a quelque cent ans, l'un des plus beaux jardins de France, ne fut créé qu'en 1768.
Le botaniste jardinier en chef du Jardin des plantes de Brest était, en 1795, le citoyen Laurent qui, vers la même époque, planta les arbres du cours Dajot et du Champ-de-Bataille et fut nommé par la municipalité « directeur des plantations publiques », aux appointements de 400 livres, « en raison de ses talents, de son civisme, de sa probité et de ses besoins ».
De nouvelles acquisitions de terrains, en 1785 et 1816, permirent d'accroître successivement le jardin qui, depuis 1769, fut cultivé par MM. Laurent père et fils, Noël, Paugam et Blanchard, auquel succéda, en 1895, un botaniste très distingué, M. Y. Pondaven.
Le climat de Brest, en raison du très rare abaissement de la température au-dessous de zéro, favorisa les essais d'acclimatation de certaines plantes exotiques et une foule de végétaux du Japon et de la Chine, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Cap, des deux Amériques, se sont développés en pleine terre ; quelques-uns même y fleurissent et fructifient.
Des serres, assurant la conservation des plantes qui ne peuvent vivre sous notre climat pendant l'hiver ou qui ont même tonjours besoin d'une température supérieure à celle de nos étés moyens, réunissaient les principaux types de la végétation tropicale.
« L'art et la nature ne peuvent s'unir plus gracieusement qu'au jardin botanique, écrit un chroniqueur brestois en 1840.
Les plantes de tous les pays déroulent sur chaque plate-bande leurs corolles aux mille nuances. Les végétaux exotiques forment, de leur feuillage et de leurs fleurs peu connus, un charmant bosquet.
Ce rideau de verdure cache des maisonnettes où des animaux des zones torrides sont rassemblés pour aller bientôt enrichir la ménagerie royale. Deux oiseaux de proie s'y recommandent par leur plumage soyeux et lustré ; ils ont douze pieds d'envergure, leur œil respire le carnage et ils semblent convoiter de jeunes chiens du Groënland, qui aboient autour de leur cage, et un lama dont le calme et la douceur contrastent étrangement avec leur air farouche ».
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On remarque dans le jardin botanique un petit monument, surmonté du buste en bronze du docteur Jules Crevaux.
Ce monument a été élevé en 1883 par le corps médical de la marine pour perpétuer la mémoire de cet illustre explorateur de l'Amérique du Sud, qui fut massacré avec ses compagnons, par les Indiens Tobas, le 25 avril 1882.
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Le 1er janvier 1903, dans un but de compressions budgétaires, M, Pelletan, ministre de la Marine, supprima l'entretien officiel des jardins botaniques des écoles de médecine annexes de Brest et de Toulon.
Les plantes de notre jardin ne furent plus renouvelées ; les fortes gelées de 1917 causèrent de grandes pertes parmi les végétaux exotiques d'une serre insuffisamment chauffée.
Le jardin botanique n'a plus sa renommée d'antan. Il serait désirable — tant pour les officiers en traitement que pour la population brestoise, qui y est admise les dimanches et jeudis pendant la saison d'été — qu'il fût modifié par le tracé de grands parterres à la française et la plantation de nouveaux arbres exotiques qui se développent si bien sous notre climat breton.
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Au jardin de l'hôpital maritime, est annexé un musée où la botanique, la minéralogie et la zoologie sont largement représentées.
Par ordre de l'administration du district, tous les minerais, pierres et coquilles trouvés dans les maisons des émigrés, furent déposés en l'an II dans le cabinet d'histoire naturelle qui venait d'être créé.
Les grands froids de l'hiver 1788-1789 avaient, en effet, amené aux environs de Brest plusieurs espèces d'oiseaux qu'on n'y observe qu'à de longs intervalles, tels que les outardes, les cygnes, les hurles, les spatules et ce fut la capture de ces oiseaux qui avait suggéré à MM. Dubreuil, premier médecin et Billard, premier chirurgien en chef, la pensée de former une collection zoologique.
LE MUSÉE D'ANATOMIE.
Le musée anatomique, autrefois très réputé, grâce à de judicieuses acquisitions et aux nombreux dons des officiers de santé de la marine, à leur retour de campagne, date de 1830.
Il possède un grand nombre de monstruosités humaines et animales, ainsi qu'une collection de têtes de forçats, moulées en plâtre sur les sujets.
On remarque particulièrement dans cette galerie la tête de Marsaud et celle de Coignard, dit le comte de Sainte-Hélène.
LE FORÇAT COIGNARD.
Coignard est cet aventurier célèbre qui, après avoir été condamné, en 1801, à quatorze années de galères pour vols, et après avoir subi quatre ans de chiourme à Toulon, parvint à s'évader et à passer en Espagne.
Là, il connaît la famille Pontis de Sainte-Hélène, dont il fait bientôt, par des moyens ignorés, disparaître tous les membres jusqu'au dernier rejeton. Il usurpe la fortune, les titres, le nom de cette famille, obtient une sous-lieutenance dans les armées espagnoles, parvient au grade de chef d'escadron, se distingue au siège de Montevideo et est promu lieutenant-colonel.
Enveloppé dans une affaire de concussion, il est incarcéré deux fois et trouve toujours le moyen de s'évader. A la tête d'une bande courageuse de prisonniers français, il s'empare à main armée d'un brick espagnol, passe en France, et, sous la qualification de comte de Pontis, est nommé chef d'escadron dans l'état-major du duc de Dalmatie, puis chef de bataillon au 100ème régiment de ligne. Il se signale au siège de Toulouse, à Waterloo ; plusieurs blessures et des actes de courage lui valent les insignes de la Légion d'honneur.
Le duc de Berry, en 1815, le fait chevalier de Saint-Louis et, lieutenant-colonel de la légion de la Seine.
Mais la fortune se lassa de prodiguer aussi mal ses faveurs. Le comte de Pontis, assistant un jour sur la place Vendôme, en grand uniforme et comme chef de corps, à une dégradation militaire, est reconnu par un forçat libéré, son ancien compagnon de chaîne. Celui-ci l'appelle par son véritable nom, veut « le faire chanter » et comme Coignard s'y prête de mauvaise grâce, il le dénonce à la préfecture de police.
Le général Despinois donne ordre de l'arrêter ; quatre gendarmes s'en emparent et l'accompagnent à son hôtel où on lui a permis d'aller changer de vêtements ; mais là, Coignard saisit deux pistolets et brille la politesse à la maréchaussée.
Il est repris six mois après pour faux, meurtre et rupture de ban et condamné, en 1819, aux travaux forcés à perpétuité. Coignard mourut au bagne de Brest, où il exerçait, dit-on, une grande influence sur ses compagnons.
RUE LOUIS-PASTEUR.
Elle formait, il y a trois cents ans, le vallon de la Villeneuve qui séparaît Brest et son château des hauteurs de Kéravel, et on l'appelait le Grand Chemin.
L'ANCIENNE GRANDE-RUE.
La porte principale de la ville, nommée Porte Troulan, se trouvait au bas de ce chemin, orientée à peu près comme la grille d'entrée actuelle de l'arsenal ; elle donnait accès à la rue bordant le quai de la Penfeld qui conduisait aux glacis du Château.
En 1675, une première rue, parallèle au Grand Chemin, fut tracée de la porte Troulan à la crique du même nom (bassin Tourville).
Elle fut prolongée quelques années plus tard, jusqu'à la place Médisance.
Cette rue, qui passait devant la Vieille Corderie sur les terrains occupés aujourd'hui par les maisons et jardins bordant la partie droite de la rue Louis-Pasteur, du côté de la rue Kéravel, s'appelait rue de Seuil.
On lui avait donné le nom de l'intendant de marine Pierre Chertemps de Seuil, qui demeura à Brest de 1670 à 1680. C'est pendant son séjour que le port de Brest fut créé et c'est à lui que revient la principale gloire d'avoir secondé Colbert dans cette création.
Des édifices pour le service de la marine et quelques maisons bâties par les particuliers ne tardèrent pas à s'élever dans cette rue de Seuil. On y vit s'établir, en 1681, des Arméniens « vendeurs de café, gens tenant billards ouverts jour et nuit, jusqu'à des heures indues », souvent expulsés par l'intendant qui redoutait, pour les jeunes officiers de marine, la présence de ces commerçants.
Le Grand-Chemin est élargi en 1684 et rendu praticable depuis le port jusqu'à la place Médisance, et la rue de Seuil disparaît avec la cession, à Bedoy, des terrains de Kéravel.
La Grande-Rue qu'on prolongera, en 1686, de la place Médisance jusqu'à ta nouvelle porte Vauban, va devenir, suivant les prévisions de l'intendant Desclouzeaux, la principale artère de la ville.
La politique a fait subir bien des fluctuations au nom de la Grande-Rue que lui avait donné Vauban.
Rue de la République, en l'an II et en 1848 ; rue impériale, sous le premier Empire, les Cent-Jours et le second Empire ; rue Royale, pendant la Restauration, ainsi que sous le régime de Louis-Philippe, elle avait repris, depuis 1870, son nom de Grande-Rue, quand l'arrêté de 1907 lui donna celui de Louis-Pasteur.
L'INTENDANCE.
Aux maisons de la Grande-Rue se rattachent les souvenirs les plus intéressants de notre histoire locale.
Le bel immeuble de la direction de l'Intendance maritime fut construit, en 1690, pour M. de Béthune lequel le céda, quelques années plus tard, au chef d'escadre d'Aché de Serquigny.
Acquis par la marine, en 1751, au prix de 46 000 livres, l'hôtel d'Aché fut, jusqu'en 1771, la demeure des commandants de la marine, qui, pendant la Révolution, furent appelés commandants des armes et, en 1800, préfets maritimes.
L'intendant de la marine prit ensuite possession de l'hôtel d'Aché quand il dut quitter, en 1787, la vieille intendance édifiée, depuis 1667, au bas de la Grande-Rue, devant une petite place bordant la Penfeld et « splendidement ornée d'une galerie sur le port ».
Le bâtiment contigu, connu sous le nom de Rotonde, était autrefois la chapelle de l'intendant ; elle fut construite par l'ingénieur Trouille, en 1787.
LE CHEVALIER DE FRÉMINVILLE.
La maison n° 62 était la demeure de M. Paulin de la Poix chevalier de Fréminville — la chevalière, comme on l'appelait souvent — un marin, un savant, un excentrique, l'une des figures les plus originales et les plus curieuses.
Le chevalier de Fréminville, retraité, en 1830, comme capitaine de frégate, habitait, au deuxième étage, un appartement qu'il avait converti en un véritable musée. Les singes et les serpents naturalisés, nous conte M. Herpin [Note : Mémoires du chevalier de Fréminville (1787-1848), capitaine des frégates du Roi, publiés par E. Herpin-Paris, Champion, 1913], y coudoyaient les bahuts Renaissance et les belles armoires bretonnes. Les armures de chevalerie fraternisaient avec les carquois et les flèches de sauvages. Une magnifique collection de coquillages exotiques faisait surtout la juste admiration des visiteurs.
« Dans ce décor, vêtue d'une robe de soie à ramages, coiffée d'un chignon à la Maréchale, une mouche sur la joue généreusement fardée, la chevalière au menton bleu, rasé de près, et dissimulant ses favoris blancs sous les rubans roses d'une coiffure à fleurs, ornée de dentelles rares, recevait en minaudant.
Et le visiteur voyait arriver, sous cette toilette tapageuse, l'ancien loup de mer, perclus de rhumatismes et membre de la Société des antiquaires de France.
Plusieurs des voisins du chevalier, rapporte Hippolyte Violeau dans les « Souvenirs d'un oncle à ses neveux » , me disaient qu'ils le voyaient souvent à une de ses fenêtres, vêtu de soie ou de velours, couvert de dentelle et de bijoux, et coiffé — lui, vieillard aux traits rudes, à la peau tannée par ses voyages sur mer — d'un chapeau rose, orné de fleurs printanières.
Ainsi travesti, il se faisait appeler « Mlle Pauline » par ses domestiques et l'on assure que ses amis se prêtaient à la fiction, lorsqu'il lui prenait fantaisie de les recevoir dans cette ridicule toilette ».
« Mais ce n'était pas seulement, dans son intérieur, c'était à la promenade, au bal, au théâtre... que s'exhibait ainsi en costume féminin, le savant archéologue ».
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Et on lit, dans un petit ouvrage, aujourd'hui introuvable, intitulé : Essai sur l'influence physique et morale du costume féminin :
« Le 22 février 1828, le chevalier de Fréminville était au bal chez Mme de Saint-D..., élégamment coiffé avec des roses dans sa chevelure. Il avait une robe de mousseline à collerette de blonde très large ; cette robe était garnie en dessus de biais de trois rouleaux de satin rose, et il avait par-dessus un corset de même satin fait à pointe. Les manches de mousseline, très larges, avaient des poignets du même satin rose, et de petits souliers blancs prenaient son pied délicat. Dans cette toilette élégante, il attirait tous les regards... ».
« Au mois de décembre 1829, j'eus l'occasion de voir au spectacle M. de Fréminville. Il avait, ce soir-là, une robe de popeline jaune-serin, garnie d'un double rang de volants brodés de soie noire ».
« Au mois de juin, le chevalier erre, mélancoliquement, dans les allées du jardin botanique. Il est en robe blanche, ornée d'une ceinture rose et d'une écharpe de blonde noire. Sur la tête, un joli chapeau de paille de riz ; comme chaussures, des souliers de prunelle... ».
Et l'auteur de l'opuscule conclut :
« Chacun trouve à la vérité qu'il aurait grand tort de quitter ce costume, car il est si supérieurement bien en femme, qu'il est impossible de voir une illusion plus complète et plus étonnante. On sent bien qu'il faut que le physique du chevalier de Fréminville y prête beaucoup, et c'est ce qui a lieu. Il a les traits doux, réguliers, expressifs. La taille est parfaite et fort mince. les membres délicats, les mains petites, et il a surtout un pied si joli et si mignon, qu'il n'est pas de femme qui ne puisse l'envier...
Une grande délicatesse et une sensibilité exquise, tant au physique qu'au moral, est incontestablement la cause du penchant qu'ont certains hommes à s'habiller en femme, de la passion qui les porte à s'assimiler, autant que possible, avec un sexe dont ils sont idolâtres. L'élégance moelleuse des vêtements de la femme, l'idée qu'en les portant on se rapproche de ces êtres charmants, destinés par la nature à donner le bonheur, agissent délicieusement sur le système nerveux d'un être délicat, et lui font éprouver intérieurement des jouissances inconnues à ceux dont l'organisation est plus grossière ».
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Cet étrange ouvrage, dont le manuscrit faisait partie des collections de M. le docteur Ch. Auffret, directeur du service de santé à Brest, est signé : Caroline de L..., née de L... P..., ce qui signifie Caroline de La Poix.
Et son auteur est... Fréminville.
Pour comprendre, excuser cet écrit, il faut lire dans les Mémoires, publiés par M. Herpin, l'amour éperdu du chevalier pour Caroline, une délicieuse créole qu'il connut aux Antilles et qui mourut le lendemain de son départ.
Et on est enclin à pardonner à Fréminville son goût des falbalas pour mieux se rapprocher de l'être charmant, destiné par la nature à nous donner le bonheur.
Il mourut le 12 janvier 1848, à l'âge de soixante ans, et sa tombe a été retrouvée, il y a une vingtaine d'années, dans le cimetière de Brest.
L'ACADÉMIE DE MARINE.
Le bâtiment de la bibliothèque du port fut le siège de la célèbre Académie de Marine, fondée en 1752.
Elle comptait, parmi ses soixante membres : les directeurs des fortifications de Bretagne, Frézier et Duhamel du Monceau ; le commandant de la marine de Roquefeuil ; les chefs d'escadre Bigot de Morogues, d'Orvilliers et de Bory ; les ingénieurs Bellin et Choquet de Lindu ; les astronomes de la marine Pingré, Le Monnier, de Lalande et l'abbé Rochon ; les médecins Poissonnier-Desperrières et Courcelles, le lieutenant de vaisseau, chevalier de Borda, etc.
Cette compagnie, dont les membres avaient droit de séance à l'Académie des Sciences, accomplit, jusqu'en 1790, des travaux considérables en vue d'une encyclopédie de la marine qui devait embrasser, sous forme de dictionnaire, les diverses branches des sciences nautiques. Mais le premier volume de ses Mémoires fut seul imprimé en 1773.
La bibliothèque de l'académie qui, en 1793, renfermait environ 6000 volumes a formé le noyau de la bibliothèque du port de Brest.
VIEUX ESCALIERS.
Vis-à-vis de ce bâtiment, au n° 84, on voit encore les traces d'un escalier, construit en 1687.
Il aboutissait à la rue Traverse du Vieux-Escalier (aujourd'hui rue du Couëdic), et il fut clos par un mur, en 1791, car « c'était un précipice ouvert sous les pas des habitants ; journellement des enfants et des personnes ivres s'estropiaient en le descendant ».
Quelques vestiges d'un escalier plus ancien, qui partait de la rue Suffren (n° 35), se rencontrent au n° 68 de la rue Louis-Pasteur.
Il fut remplacé, en 1709, par les grands escaliers actuels du bas de la Grand'Rue. Une plaque de Kersanton, incrustée dans le mur, porte cette inscription : Jacques Lars, sieur de Poulrinou, maire, MDCCIX.
BOUTIQUIERS ET ARTISANS.
La rue Louis-Pasteur possède encore de nos jours plusieurs maisons de gros négoce — quelques-unes plus que centenaires — mais elle n'a plus son activité commerciale d'autrefois quand — avant la construction du grand pont — elle était la seule voie praticable qui conduisait au port marchand (sur la rive gauche de la Penfeld), et aux bateaux qui assuraient la communication entre Brest et Recouvrance.
La rue du Quai et la Grande-Rue étaient, au XVIIIème siècle, les deux artères les plus commerçantes de la ville, C'est là qu'on trouve les boutiques les plus variées. En effet, sur cent quinze professions différentes que nous rencontrons à Brest, en 1750, près de soixante-dix ont des représentants dans la Grande-Rue. Et ces boutiquiers, ces artisans exercent les professions les plus importantes et les plus rares.
Alors que dans toutes les rues, on trouve des tailleurs, des cordonniers ou des menuisiers, celle-là possède près de la moitié des perruquiers (huit sur vingt), des apothicaires (deux sur quatre), des marchands de drap (cinq sur neuf), les trois quincailliers, l'unique médecin, la plupart des gros négociants.
LES ORFÈVRES.
C'est dans la Grande-Rue que se trouvent rassemblées, en 1750, les six boutiques d'orfèvres de la ville et, sur, les vingt-cinq horlogers que compte Brest, en 1850, dix-sept y sont installés.
Les orfèvres se succèdent presque toujours de père en fils, ils font partie de la haute bourgeoisie et plusieurs ont occupé d'importantes fonctions publiques, tels : Féburier, maire de Brest de 1763 à 1766 ; Tourot, qui fut l’un des maires les plus actifs et les plus dévoués, sous le Consulat et le premier Empire.
Citons encore la famille des Rahier que l'on rencontre dès 1718, et dont deux descendants étaient établis, Grande-Rue, en 1830 : l'un, au n° 58 ; l'autre, au n° 73, dans le petit hôtel aux gracieux balcons de fer forgé et aux toits en éteignoirs. Trois grandes épées, à larges poignées d'or et d'argent, ornaient les montres de sa boutique, très connue de toute la marine, pour son assortiment en épaulettes, épées et objets d'uniformes.
On lui avait donné le surnom de Rahier Longue-Épée, pour le distinguer de son frère qui ne vendait que des objets religieux.
La corporation des orfèvres, fondée en 1744, sous le patronage de Saint-Éloi, fut dissoute le 21 octobre 1791. Elle avait pour armoiries : d'azur à une croix dentelée d'or, cantonnée aux 1er et 4ème quartiers d'une couronne royale d'argent et aux 2ème et 3ème d'un calice de même.
Les orfèvres de Brest ne forment qu'un seul corps avec ceux de Landerneau et de Lesneven et leur action corporative consiste surtout en luttes et procès contre les commerçants qui vendent des objets précieux : merciers, drapiers, joailliers ; procès très coûteux qui les obligent à un emprunt de 6 000 livres, en 1785. Ils ont aussi à lutter contre les chambrelans, compagnons qui travaillent en chambre. Aussi, épuisés par ces luttes, malgré un droit de maîtrise de 150 livres pour les fils de maître, de 300 livres pour les autres postulants, les orfèvres n'avaient-ils en caisse, en 1790, que 2 840 livres, et devaient-ils toujours les 6 000 livres empruntées en 1785.
VISITE DU DUC DE CHARTRES (1772).
Cette corporation, par suite de la situation aisée de ses membres, était également gardienne jalouse de ses droits honorifiques et de ses privilèges. C'est ce qui ressort de l'histoire d'une contestation qui s'éleva entre les orfèvres et le corps municipal, en 1772, Lors de la visite du duc de Chartres, à Brest.
La marine l'a envoyé prendre, par canot, à Landerneau, et le prince doit être reçu sous le dais, au quai de débarquement. Qui portera le dais ? Les questions de préséances entre les diverses catégories de citoyens sont alors agitées avec une âpreté singulière. Les orfèvres réclament cette faveur pour leur corps comme un droit acquis, parce que leurs confrères de Paris jouissent de cet honneur, aux entrées de souverains, « étant comme une des principales prérogatives du corps de l'orfèvrerie de porter le dais ou ciel sur la personne du Roy ».
L'un d'eux, Féburier, en informe le maire Le Normand, qui leur fait savoir le 4 mai, la veille seulement de la cérémonie, et à dix heures du soir, que quatre échevins porteront le dais.
Le lendemain, de bon matin, Féburier se rend à la mairie, y trouve quelques membres de la communauté, proteste, et obtient le dais pour les orfèvres.
Or, le 5 mai, vers cinq heures du soir, voici que le canon des vaisseaux sur rade annonce l'approche du prince.
Le corps municipal quitte l'hôtel de ville en robes et toques, précédé des quatre archers de ville, de quatre sergents de police et suivi de ses quatre hérauts. Il arrive devant le portail de l'église Saint-Louis, et y rencontre le clergé qui sort avec le dais, porté par les orfèvres Féburier, Le Stum, Chambart et Tourot.
Sur ordre du maire, les valets de ville le leur enlèvent, « en leur disant des injures » et le remettent à quatre échevins qui vont porter le dais jusqu'à la cale du quai, après avoir triomphalement descendu la Grande-Rue, entre une double baie de la milice bourgeoise et du corps royal d'artillerie appelés à rendre les honneurs.
Mais que de vaines querelles ! Le prince « ne voulut point recevoir » le dais que le recteur lui présenta à son débarquement.
De grandes fêtes furent données pendant les six jours que le duc de Chartres passa à Brest.
« Après un bal offert par la marine, le prince, prenant des dames par la main, les conduisit sur le Champ-de-Bataille que l'on, avait illuminé, et où l'on avait dressé des estrades occupées, les unes par des ménétriers et joueurs de biniou, les autres par des vins et des viandes pour le peuple. Il dansa avec les dames et fit une partie de barres avec les officiers qui furent fort touchés de cet honneur ».
Le duc de Chartres quitta Brest le 11 mai et retourna en canot, à Landerneau, où l'attendaient ses voitures.
LES lMPRIMEURS.
C'est aussi dans la Grand'Rue que viennent s'établir les premiers imprimeurs.
L'imprimerie avait à Brest une importance assez considérable, par suite de la publication de nombreux travaux concernant la marine, auxquels venaient s'ajouter de nombreux livres de dévotion en français et en breton.
Guillaume Camarec installe ses presses en 1686, dans une maison du bas de la Grande-Rue qui a disparu, en 1866, lors de la construction du boulevard Thiers, L'imprimerie Camarec avait fait place, en 1735, à la librairie Jérôme Derrien.
La même année, Romain Malassis vient s'établir au n° 65.
La famille Malassis comptait parmi les plus notables de la ville et a constitué une véritable dynastie d'imprimeurs, dont le dernier représentant, Auguste Poulet-Malassis, mort à Alençon le 11 février 1878, est un des noms les plus illustres dans l'art de la typographie.
L'enseigne des Malassis subsista dans la Grande-Rue, de 1686 jusqu'en 1812, date de la vente de cette maison à J.-B. Le Fournier [Note : L'imprimerie Le Fournier était installée, depuis quelques années, 11 rue Kléber, quand elle fut vendue, en 1877, à la société du journal l’Océan que Le Founier avait fondé en 1846].
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Il y a cent ans, sur les cinq pharmaciens que comptait Brest, trois tenaient leur officine dans la Grand'Rue : au n° 11, la pharmacie l'Évêque ; au n° 38, la pharmacie Durand, fondée dès 1738, et, en face de la rue de la Voûte, la vieille officine Fleury et Billard, qui disparut en 1875.
RUE DE LYON.
Cette rue fut appelée rue Saint-Louis, quand elle fut tracée par Vauban, en 1694, mais ses diverses parties ne tardèrent pas à recevoir des noms distincts :
Rue du Pont-de-Terre, depuis les remparts jusqu'à la Grande-Rue ; rue de la Tête-Noire, de la Grande-Rue à la rue de Crée ; rue des Jésuites, de la rue de Crée à la rue Fautras et rue de l’Hôpital, ouverte en 1727, de la rue Fautras à l'Hôpital maritime.
L'extrémité de cette dernière rue qui forme aujourd'hui la première cour de l'hôpital, était devenue, après l'incendie de 1776, « le repaire des filles publiques et le rendez-vous des duels entre soldats ». La marine ayant manifesté le désir de la comprendre dans ses projets de reconstruction de l'hôpital, cette portion de rue lui fut cédée par la ville, en 1823, en échange de divers filets d'eau.
Après la suppression des jésuites, le nom de Saint-Louis fut donné à l'ancienne rue de la Corderie et la rue, dans tout son parcours, des remparts à l'hôpital, fut désignée sous le nom de rue de la Communauté.
La Révolution l'appela rue de la Constitution et, depuis 1811, cette grande artère de notre cité portait Le nom de rue de la Mairie. Au mois de mars 1943, la délégation spéciale de Brest lui donna le nom de rue de Lyon, en témoignage de la reconnaissance de Brest pour sa dévouée et généreuse marraine.
ANCIENS HOTELS DE VILLE.
Les premières réunions de la Communauté, en 1681, se tenaient au premier étage d'une maison, située sur l'ancien quai Tourville, loué 200 livres par an.
A partir de 1694 et jusqu'en 1726, la Communauté siège dans une chambre de la maison du maire en exercice, auquel il est alloué la méme indemnité de 200 livres, mais plus d'une difficulté surgit quand le maire habite Recouvrance.
Lors d'une procession générale, en 1725, les échevins n'ont pas jugé à propos de franchir la Penfeld et, contrairement à l'usage, ne sont pas allés chercher le maire. M. Marion de Penanru, à son domicile, sur le quai de Recouvrance. Ce dernier, dans une assemblée de ville du 11 août, prévient les officiers municipaux que « faute à eux de se trouver par exprès chez lui le 15 de ce mois, pour de là, aller en corps assister à la procession, il se pourvoira près l'intendant ». Les membres de la Communauté consentirent à se rassembler chez M. de Penanru « mais pour cette fois seulement, sans que cela puisse tirer à conséquence pour l'avenir ».
Pour éviter ces différends, la municipalité loua, en 1726, le premier étage d'une maison sur le quai de Brest « vis-à-vis la Pompe » ; il comprenait deux chambres, un cabinet et une cuisine.
C'est dans la plus grande des chambres de cet appartement que nos anciens magistrats délibérèrent, pendant trente ans, autour d'une table couverte d'un tapis de drap bleu, bordé de blanc et orné des écussons de la cité.
PROJET D'ACHAT DE L'HOTEL SAINT-PIERRE.
Depuis longtemps, la Communauté cherchait à acquérir un hôtel de ville, tant pour la tenue de ses séances que pour le logement des officiers généraux de passage à Brest, auquel elle devait pourvoir.
En 1750, elle songe à acheter l'hôtel Saint-Pierre (préfecture maritime) et, bien que ses fonds soient épuisés, elle consent à le payer 36 000 livres, mais son propriétaire, le marquis de Crèvecœur, préfère les offres de la marine.
Une nouvelle occasion se présente en 1756. On a justement à loger M. de Balleroy, colonel du régiment d'Orléans, qui doit séjourner à Brest pendant tout l'hiver et qui se refuse à habiter la seule maison disponible, la maison Grivart, près le Pont-deTerre, car « il en connaît l'humidité ».
ACHAT DE L'HOTEL CHAPIZEAU (1757).
Or, l'hôtel Chapizeau, situé vis-à-vis la chapelle des Jésuites, se trouve « vide par la mort de M. Chapizeau, commissaire de la marine », et les héritiers sont disposés à le vendre pour 26 000 livres.
C'est une maison à deux étages et quatre caves voûtées, comprenant : au rez-de-chaussée, une grande cuisine, une boulangerie et un office ; sept pièces à chaque étage ; des mansardes et greniers. Une cour close — avec porte cochère et, d'un côté, une remise, de l'autre, une écurie et une orangerie — donne sur la rue des Jésuites. Derrière, deux grands jardins : un parterre et un potager, ouvrant sur la rue du Cimetière.
L'affaire est conclue et, le 12 septembre 1757, la Communauté prenait possession de l'hôtel Chapizeau. Elle faisait placer au-dessus de la porte cochère de la cour « un tableau aux armes de la ville qui sont my partie France et de Bretagne, au bas duquel est écrit en gros caractères moulés Hôtel de ville et de police ».
La question la plus difficile à résoudre semble être celle de l'ameublement. La Communauté a acheté 1 050 livres : un lit garni de son impériale, douze chaises et fauteuils, une glace, une table de marbre et des tapisseries. Mais ces meubles sont insuffisants pour recevoir des officiers tels que M. de Balleroy qui vient à Brest, en 1758, et demande : un cabinet et une chambre pour lui ; un salon, une chambre pour sa femme ; une pour la femme de chambre ; un lit garni pour son secrétaire et quatre lits pour ses domestiques.
Il faut encore acheter pour 2 040 livres de nouveaux meubles. La communauté se trouve enfin pourvue d'une maison en bon état, convenablement aménagée mais les locaux ne tardent pas à être jugés insuffisants.
Faute de place, on est obligé de tenir les assemblées générales aux Carmes et de loger à grands frais les généraux. De plus, la chambre où se rend la justice est trop petite. La prison est au Château, sous les ordres du commandant, les juges n'y ont pas le droit de surveillance, ce qui favorise les évasions, particulièrement celles des prisonniers pour dettes.
PROJET D'UN NOUVEL HOTEL DE VILLE.
Et l'on commence, en 1775, à parler de construire, en façade sur la place du Champ-de-Bataille. un monument digne de la cité. C'est l'ancien maire Jourdain qui prit l'initiative du projet :
— Vous savez, messieurs, dit-il, que la ville de Brest n'était presque rien dans son principe, que ce n'est que depuis qu'il a plu au gouvernement de fixer ses regards sur notre port qu'elle s'est agrandie, qu'elle forme déjà une ville des plus importantes et que, par sa situation avantageuse, elle va devenir une des plus considérables du royaume… On a construit une église paroissiale..., des quais pour l'embellissement du port, mais l'hôtel de ville est trop petit.
Jourdain propose de construire la mairie, l'auditoire et la prison sur le Champ-de-Bataille au Petit-Couvent.
Pour y arriver, on demandera le secours du roi ; il sera prié d'accorder des matériaux gratuits à prendre dans l'arsenal et de permettre la perception de nouveaux droits d'octroi.
Ce projet de construction aurait coûté 150 000 livres. Devant l'impossibilité de trouver cette forte somme, la communauté renonça, en 1781, à réaliser un projet aussi grandiose et dut se contenter des réparations courantes.
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Il y a près de deux siècles que la mairie de Brest est aménagée dans la maison de M. de Chapizeau. Restaurée maintes fois, augmentée d'ailes et de pavillons, elle ne pouvait plus, depuis longtemps, suffire à l'installation de ses services.
Ceux-ci ont été transférés provisoirement à l'école pratique des jeunes filles de la rue Danton ; il n'est guère probable qu'ils retourneront dans le vieil et insuffisant immeuble de la rue de la Mairie qui a d'ailleurs été débaptisée.
Et bientôt, espérons-le, la municipalité pourra entreprendre la construction d'un vaste hôtel de ville, réclamé par nos ancêtres depuis près de cent soixante-dix ans et prévu dans le plan d'agrandissement du nouveau Brest.
Cet hôtel de ville ne manquera pas d'être un monument vraiment digne de notre grande cité.
L'ANCIENNE COMMUNAUTÉ DE VILLE.
La municipalité brestoise, qui ne fut réellement constituée qu'en 1681, demeura composée jusqu'à la Révolution de : un maire, deux échevins, un procureur syndic, quatre conseillers, un conseiller garde-scel, un substitut du Procureur du Roi et un greffier.
ÉLECTION DU MAIRE.
Le maire est le personnage le plus important de la Communauté.
Élu en assemblée générale, il est pris dans une liste de trois membres du corps municipal, dressée par celui-ci, Il reste en charge pendant trois ans et peut être réélu, mais doit être choisi, deux fois sur trois, parmi les habitants de Brest, et la troisième fois parmi ceux de Recouvrance.
La liste des trois candidats, souvent difficile à établir, par suite du peu d'empressement que mettent les officiers municipaux à accepter une charge aussi lourde et aussi onéreuse, est soumise à l'approbation du gouverneur de la province. Elle revient à Brest souvent réduite à deux noms, quand l'un des proposés a réussi à se faire rayer par le gouverneur.
La liste des candidats est alors soumise à l'assemblée générale qui comprend : les officiers municipaux anciens et nouveaux, les juges, avocats, procureurs et huissiers de la Cour royale, les officiers de la milice bourgeoise, les recteurs et les marguilliers des paroisses et deux députés de chaque corps de métier, au total une moyenne de cent électeurs.
Le maire est donc élu par une partie de la population de Brest ; mais en fait les représentants des corporations ne peuvent avoir la majorité. Celle-ci appartient toujours à la partie la plus élevée du Tiers-État qui dispose ainsi des charges municipales et les partage entre ses membres les plus influents et les plus riches.
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L'avis de réunion du corps électoral et la date de l'élection ayant été annoncés dans tous les carrefours, par le tambour de ville et, dans les églises, par les recteurs, aux prônes de la grand-messe, l'assemblée générale se réunit dans le réfectoire du Couvent des Carmes puis, à partir de 1757, à l'hôtel de ville.
C'est une réunion assez souvent mouvementée. Maire, sénéchal, commandant du château se disputent la présidence de l'assemblée ; nobles, juges, prêtres, officiers municipaux se jalousent, soulèvent des questions de préséances et organisent des cabales.
Les incidents terminés, le greffier procède à l'appel des électeurs et, à mesure qu'ils donnent leur suffrage, met un trait sur l'une des trois lignes de la « feuille d'élection » qui porte le nom de candidats ; ce système de piques fut remplacé, en 1761, par des jetons et une boîte de scrutin.
Le candidat avant obtenu la majorité est aussitôt proclamé maire, aux cris de « Vive le Roi ! » puis une députation est envoyée prés du nouvel élu pour l'en avertir et l'inviter à faire connaître son acceptation. Celui-ci vient alors remercier l'assemblée de l'honneur qu'elle lui a fait et qu'il accepte. Suivant l'usage, l'assemblée s'ajourne au dimanche suivant pour procéder à son installation.
LES OFFICIERS MUNICIPAUX.
Les officiers municipaux sont choisis par les membres de la communauté, corps en exercice et ancien corps réunis et l'élection a lieu entre celle du maire et son installation, afin que les nouveaux élus puissent assister, en robe, à cette dernière cérémonie.
Tous doivent être de profession honnête, de probité intacte, d'une capacité qui les rende propres à remplir, avec un zèle éclairé, les diverses fonctions municipales.
Le choix du corps municipal se porte tout naturellement sur les parents ou amis des officiers en charge et, souvent, sur les membres de l'ancien corps qui reviennent ainsi prendre place dans le corps en exercice.
Les nouveaux élus prennent, en général, les places les moins brillantes, celles de quatrième conseiller, conseiller garde-scel ou substitut du procureur-syndic.
On accorde, au contraire, aux membres déjà en charge une sorte de promotion ; c'est ainsi qu'on passe conseiller, second échevin, puis premier échevin et maire.
INSTALLATION DU MAIRE.
L'installation du maire de Brest a ordinairement lieu le premier dimanche de janvier et comporte un certain nombre d'actes symboliques que nous trouvons relatés dans tous les procès-verbaux d'installation transcrits sur les registres des délibérations de la communauté.
Ce jour-là, dès huit ileums du matin, toute la population se presse aux abords de l'hôtel de ville, pour assister à la sortie de l'ancien corps municipal.
Maire, échevins et conseillers, en manteaux et toques, se rendent au domicile du nouvel élu, accompagnés des deux archers et des quatre hérauts, vêtus de leurs casaques aux armes du roi et de la ville, la hallebarde à la main.
Le nouveau maire, entouré des conseillers récemment nommés, reçoit les compliments de son ancien collègue et, après maintes congratulations, ce dernier prend la parole en ces termes :
— Monsieur, comme ayant été choisi et élu par la voix générale des habitants de Brest et de Recouvrance, pour entrer en l'honneur et qualité de leur maire, sous l'autorité du roi et Mgr le Gouverneur de cette place, nous sommes venus vous trouver pour vous conduire à la messe qui vous attend et se doit dire à votre réception.
Pendant ce temps, la compagnie colonelle de la milice est venue se ranger sous les fenêtres du nouveau magistrat et prend la tête du cortège, qui retourne à l'hôtel de ville. Les conseillers marchent deux par deux : les nouveaux à droite, les anciens à gauche de la chaussée. Quatre jeunes bourgeois portent une triple cage magnifiquement ornée, dans laquelle sont trois oiseaux. La milice bourgeoise est sous les armes et forme la haie sur le parcours.
A L'ÉGLISE PAROISSIALE.
De la maison de ville, nouveau cortège pour se rendre à l'église paroissiale, mais, cette fois, avec le sénéchal et les juges royaux, qui se mettent en tête de la communauté.
On arrive à la porte principale de l'église Saint-Louis. Là, devant tout le clergé, le maire s'agenouille et jure sur l'Évangile de « garder et conserver les droits et intérêts de l'Église, des veuves et des orphelins ». Le recteur lui offre l'eau bénite, et, clergé en tête, le cortège entre dans l'église au chant du Veni Creator. La communauté, suivie de la masse des fidèles, va se ranger dans Le banc qui lui appartient. Parfois, « messieurs les juges font l'honneur au nouveau maire d'une place dans le banc qui leur est réservé ».
A l'issue de la cérémonie, le maire, en quittant l'église, s'arrête sur la dernière marche du perron et met le talon dans le trou de la pierre ronde « censée le centre de la ville ». Il tourne sur lui-même pour montrer à la population que tous les intérêts devront converger vers lui ; puis, il prête serment entre les mains du sénéchal de « se bien et fidèlement comporter dans les fonctions de maire, de conserver les droits du roi, les privilèges, prérogatives et immunités de la ville ».
AU CHÂTEAU.
Précédé de la triple cage et de la compagnie colonelle de la milice, le cortège se dirige alors vers le Château, au son des tambours et des fifres.
Le gouverneur et son état-major attendent à la première porte de la citadelle. Échange de compliments : le maire atteste, au nom de la ville, que tous les bourgeois de Brest sont de fidèles sujets, attachés au service du roi ; le commandant promet de maintenir les droits et privilèges de Brest.
Puis, « pour marque des privilèges de la ville », le maire demande au gouverneur la liberté pour les trois oiseaux, prisonnier, symboliques. « Vous êtes le maître », répond le commandant. C'est alors que le premier magistrat de la communauté, consacrant la reconnaissance des prérogatives municipales, lui remet l'un de ces oiseaux, donne le second au sénéchal et garde le troisième. Les trois captifs prennent leur vol au triple cri de : « Vive le Roi ! » et la milice fait une décharge de mousqueterie.
Sur la demande du maire, le gouverneur donne ensuite la liberté aux prisonniers retenus au Château, autres que ceux détenus pour dettes ou crimes capitaux.
A midi, officiers, juges et membres de la communauté vont dîner à l'hôtel de ville aux frais du maire, pendant que la milice bourgeoise reconduit la triple cage au domicile de ce magistrat.
LE SAUT A LA MER.
Après le repas, vers trois heures, tout le monde officiel va prendre place sur un ponton, ancré au milieu de la Penfeld, où se trouvent réunis pour le saut à la mer, tous ceux qui, depuis trois ans, se sont mariés, ont fait construire une maison, ou sont venus résider à Brest.
En vertu d'un règlement de 1618, ces citoyens sont tenus de sauter ou de faire sauter à la mer, à peine de 3 livres d'amende au profit des hôpitaux. Ils ont été prévenus du bain réfrigérant qu'ils doivent à leur nouveau magistrat ; aussi, M. le procureur syndic ne manque-t-il point de faire l'appel et de prendre bonne note des absents, qui auront à paver l'amende.
Chacun, à l'appel de son nom, plonge par trois fois, dans les eaux de la Penfeld. Une quinzaine de chaloupes sont prêtes à secourir les mauvais nageurs tandis que la population, massée sur les deux rives, témoigne par ses rires bruyants tout le plaisir qu'elle prend à ce divertissement.
Les sauteurs se rassemblent ensuite sur le ponton et, au signal du maire, plongent une quatrième fois pour s'emparer de la « rondache », sorte de bouclier fixé au sabord d'un navire, distant de quelques brasses. Le vainqueur de cette joute nautique apporte la rondache au maire qui lui fait une offrande ; à tous les sauteurs, on remet une baguette blanche, et pour compensation honorifique de leur bain forcé, ils prennent place dans le cortège qui, toujours encadré par la milice, va reconduire le maire à l'hôtel de ville.
Ce saut à la mer, au milieu de l'hiver, était une cérémonie dangereuse pour la santé des patients. Il fut supprimé, en 1750, sur requête de la communauté.
MILICE BOURGEOISE.
Le maire est colonel de la milice bourgeoise, force armée recrutée parmi les habitants, qui coopère en temps de guerre à la défense de la ville et de ses environs, et qui, en temps de paix, fournit des patrouilles et des hommes de garde chargés de maintenir l'ordre.
Les miliciens assistent aux nombreuses cérémonies, feux de joie, processions, où se rend le corps municipal. Il faut croire que ce sont de bien médiocres soldats, puisque, certain jour de fête, ils ont perdu quinze baïonnettes, et un autre jour dix-huit fusils sur cent.
Tous les ans, au mois de mai, la milice bourgeoise est passée en revue par le commandant de la place et renouvelle, ce jour-là, le serment de fidélité au roi.
La cérémonie a lieu, presque toujours, le premier dimanche de mai, à quatre heures de l'après-midi. Les troupes se rassemblent sur l'esplanade du Château et le maire-colonel prenant la tête d'un détachement, se rend à la citadelle « tambours battant, drapeaux déployés ».
Il rencontre le gouverneur et son état-major à la première porte, le prie de recevoir la parfaite soumission des habitants aux ordres du roi et l'invite à assister à la plantation d'un mât, au haut duquel se trouve « un chapeau de fleurs où pendent six oranges », que les assistants doivent « enlever de belle guerre ».
LA PLANTATION DU MAI.
Un défilé de la milice clôturait cette fête annuelle, très goûtée par la population, qu'on appelait la Plantation du Mai.
Ce mât de cocagne, après lequel on montait au moyen de cordages, était dressé dans une pierre entaillée sur les glacis du Château. Les ordres les plus sévères étaient donnés pour que personne n'y grimpât, avant sa mise en place, mais la consigne était souvent enfreinte et la Communauté s'émut en 1757 des « fâcheux accidents qui arrivaient presque tous les ans ».
Elle décida, le 30 avril, la suppression de cette cérémonie qui n'était fondée, à sa connaissance, sur aucun titre et, pour la remplacer, elle demanda le rétablissement du papegault, concédé par Henri II, dès 1549, dont elle avait été déchue vingt ans plus tard, faute de n'avoir pu produire à la Chambre des Comptes les titres de ce privilège.
LE PAPEGAULT.
Le papegault, ancien nom du perroquet, était un petit oiseau de fer blanc, placé au haut d'une perche, et servant de cible à ceux qui s'exerçaient au tir de l'arc et de l'arquebuse.
Le vainqueur du tir annuel était proclamé roi de l'arquebuse ; il jouissait de certains privilèges, entre autres l'exonération des droits d'octroi de 40 tonneaux de vin, qu'il pouvait débiter à Brest et Recouvrance.
Ce divertissement, imaginé dans le but de former de bons tireurs, avait été vainement réclamé par la municipalité, en 1687. Lors de la guerre de Sept Ans, elle revint à la charge, voulant, disait-elle, concourir aux mesures que prenaient la marine et la guerre peur repousser une invasion anglaise.
En 1756, elle exposa à nouveau que le papegault était indispensable à Brest, seule ville de la province où il n'existait pas, ce qui était cause que la milice était moins exercée que partout ailleurs au maniement des armes. Mais cette demande ne fut pas accueillie par l'intendant et Brest resta, à tout jamais, privée de son papegault.
PRÉROGATIVES DU MAIRE.
Les prérogatives et les devoirs du maire sont énumérés dans les lettres-patentes de 1681 qui formèrent la base de la constitution municipale de Brest, jusqu'à la Révolution.
Le maire reçoit le serment des officiers municipaux ; responsable des archives, il possède l'une des trois clefs de l'armoire qui les renferme (les deux autres se trouvent entre les mains du premier échevin et du greffier).
Il allume les feux de joie. Dans les processions et cérémonies publiques, il marche à la tête du corps de ville, à gauche du sénéchal. Il occupe, à l'église, la première place dans le banc de la Communauté qui est revêtu de ses armes, et le pain bénit lui est présenté immédiatement après le sénéchal.
Il est exempt du guet, du logement des gens de guerre, de toutes charges et contributions, même des droits d'octroi.
Le maire a voix délibérative aux États de la province. Tous les deux ans environ, à partir de 1683, il assiste « l'épée au côté » à la tenue des États, pour défendre les intérêts de la ville et présenter les requêtes de la Communauté, mais il n'obtient le plus souvent que des promesses et espérances dont il est mortifié.
LA NOBLESSE DES MAIRES.
Il ne jouit pas, comme à Nantes, du privilège de la noblesse, mais en tant que bourgeois « vivant noblement », il a droit au blason et presque tous les maires ornent leur nom d'une particule de leur terre ou de leur maison, tels : Le Mayer de la Villeneuve, Le Gac de l'Armorique, Lars de Poulrinou, Marion de Penanru, etc..
M. Louis Le Guen, négociant qui, depuis 1771, était officier municipal et s'appelait Le Guen cadet, ayant été élu maire en 1775, et ne possédant aucun manoir, se contenta de renverser l'ordre des lettres des mots Le Guen, pour en faire Neugel, et devint Le Guen de Neugel, avec pour armes : Parti : au I, coupé au I : d'or à une cible de sable accompagnée de deux fers de pique de même et au 2 d'azur à six étoiles d'or ; au 2: d'azur à une chouette d'argent.
Un seul maire de Brest fut anobli par lettres royales ce fut M. Le Normand. Élu pour trois ans, en 1771, la municipalité lui avait continué en 1774 ses pouvoirs pour les trois années suivantes, et, quand il s'était retiré, en 1777, elle lui avait offert une magnifique épée, du prix de 657 livres, aux armes de la ville, et une gratification de 1 800 livres.
Mais, en 1780, dans des circonstances difficiles, la Communauté eut encore recours à Le Normand. Pénétrée de gratitude, le 27 janvier 1781, elle demanda pour lui des lettres de noblesse, pour récompenser ses longs et excellents services, et le roi les accorda.
Le maire reçoit une somme annuelle de 300 livres, à laquelle s'ajoutent 75 livres par an, pour le remboursement de ses frais d'installation et 50 livres par an pour la fourniture du bois, du papier, des plumes et de l'encre employés lors des séances de la Communauté.
On lui accorde une indemnité de 350 livres pour aller représenter la ville aux États pendant leur tenue, qui dure environ trois mois.
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Mais, à côté de ces prérogatives et de ces honneurs, que de charges incombent au maire !
Il supporte, seul, tout le fardeau de l'administration, n'ayant qu'un clerc pour l'expédition des affaires courantes. En temps de guerre, surtout, il est écrasé par le détail du casernement des troupes et la distribution des billets de logement. Les malheureux contribuables, forcés de fournir des lits et des draps aux casernes ou de loger des soldats de passage, sont exaspérés, se regardent comme victimes de criantes injustices et déchargent leur mauvaise humeur sur ce magistrat.
LA MÉSAVENTURE DE M. DE KERLIÉZEC.
Le 25 avril 1720, le maire de Brest, M. Le Dall de Kerliézec, était allé en compagnie de l'intendant de la marine et d'un ancien conseiller de ville, « disner chez le sieur Floch, prestre. ancien curé de Saint-Marc, au village du Forestou, distant d'un quart de lieue de la ville ». Le soir, il avait pris les devants sur ses compagnons, pour rentrer chez lui avant la fermeture de la porte, et il venait d'atteindre le lieu de Kéroriou, lorsqu'il crut entendre marcher derrière lui : presque aussitôt, il se sentit « frapé sur la teste et ayant détourné pour cognoistre celluy qui l'avait frapé, il remarqua que c'estoit nommé Dubois, maistre décolle de la ville de Brest, lequel dans le moment luy déchargea un second coup d'une canne qu'il tenoit à la main, sur le devant de la teste, dont il tomba par terre sur les ronces et épines ».
L'auteur de cette agression sauvage — qui ne devait guère offrir de beaux exemples à ses élèves — prétendait avoir à reprocher au maire de lui avoir envoyé un soldat à loger, depuis le 28 mars.
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En vertu de l'arrêt du Conseil du 11 juin 1763 il est interdit aux maires de s'absenter du lieu de leur résidence sans la permission de l'Intendant de la province. « Il est, en effet, nécessaire, écrit l'intendant de Flesselle, qu'un maire se tienne toujours prêt à donner des ordres convenables pour le bien de la ville et à exécuter ceux qui lui sont adressés ».
LES FONCTIONS DE MAIRE SONT UNE CHARGE ONÉREUSE.
Le maire est ainsi forcé d'abandonner ses propres affaires pour s'occuper des intérêts publics. La mairie est une charge fort onéreuse et les candidats font souvent de grands efforts pour en être dispensés.
« Ce serait pour moi un grand malheur que d'être nommé maire, écrit l'avocat Gillart, conseiller de ville, au duc de Penthièvre qui l'a désigné comme candidat, car cette place ne permet pas, à Brest, d'avoir d'autres fonctions ».
Il pense que le coeur paternel de Son Altesse Sérénissime n'exposera pas un père de famille à un tel désastre.
En 1774, les trois candidats à la mairie choisis par la Communauté sont : MM. Raby, Picand et Guesnet.
M. Antoine Raby, ancien maire, s'excuse en rappelant qu'il a déjà passé par toutes les charges publiques de la ville.
Le procureur-syndic Picaud « témoigne à MM. de l'Assemblée municipale sa reconnaissance des suffrages dont il a été honoré mais il se trouve réduit à regret à la supplier de le dispenser du concours à la mairie. Chargé d'une nombreuse famille et n'ayant pour la soutenir que les ressources de son état de notaire, il ne lui serait pas possible de supporter les dépenses d'usage dans cette place, si, par malheur, les suffrages lui tombaient. Il supplie MM. de l'Assemblée, de ne pas perdre de vue, ou en tout cas de se rappeler qu'il est père de dix enfants dont l'ainé n'a pas douze ans révolus et, par cette raison, de jeter les yeux sur un autre sujet plus digne et plus capable, en protestant qu'il ne cessera, dans toute occasion, de montrer les sentiments d'un véritable citoyen ».
Quant au conseiller Guesnet, avocat, il s'exprime en ces termes :
— Messieurs, les expressions me manquent, je n'en ai point d'assez énergiques, pour vous rendre combien je suis sensiblement pénétré de la distinction flatteuse et honorable que vous me ténmignez, en m'admettant à la concurrence pour la mairie du triennat prochain. Je vous prie d'en agréer mes remerciements et ma déclaration formelle de n'entendre concourir. C'est la modicité du faible patrimoine dont je jouis, qui me rend impossibles les dépenses multipliées et indispensablement attachées à la dignité de premier officier municipal de cette ville ; la nécessité de ces dépenses est de notoriété publique ; tous gémissent et réclament contre cette dure obligation. Détournez donc vos regards, messieurs. Fixez-les sur un citoyen riche, ou au moins plus aisé que moi, et recevez avec bonté mon unique et véritable cause.
La Communauté maintint ses propositions. « considérant que tous les candidats à la mairie auraient les mêmes raisons à alléguer pour se dispenser du concours ».
LE PROCUREUR-SYNDIC.
Le procureur-syndic est, après le maire et les échevins, le premier officier municipal, Il assiste à toutes les assemblées générales et particulières ; il prononce les réquisitoires, c'est-à-dire expose les questions soumises à la Communauté et celle-ci ne délibère qu'après avoir entendu ses conclusions.
Gardien des traditions et des coutumes, le procureur-syndic, en assemblée, joue le même rôle que le ministère public dans nos tribunaux. Il requiert contre les défaillants, rappelle la loi et réclame l'application de la peine édictée par les règlements.
C'est sur la remontrance du procureur-syndic Lenormand, que la Communauté décide, le 9 août 1766, que tous ses membres doivent assister aux séances, à moins d'excuse valable, sous peine de 10 livres d'amende au profit des hôpitaux. Mais cette pénalité n'est jamais appliquée et n'est prise au sérieux par personne.
Un arrêt du Conseil d'État du 20 août 1773 vint mettre un frein à l'inexactitude de nos anciens magistrats, en leur enjoignant « de se trouver aux assemblées toutes les fois qu'elles seront indiquées, sans qu'aucun d'eux puisse se dispenser, qu'en cas d'absence effective, maladie ou autre légitime empêchement, à peine de 10 livres d'amende contre chacun des défaillants, même d'être exclu pour toujours d'entrer aux assemblées, lorsqu'il aura été condamné deux fois en la même amende ».
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Si, lorsqu'il s'agit de séances d'affaires, sans éclat, les officiers municipaux montrent peu d'assiduité, par contre ils tiennent aux prérogatives de leur charge, et les procès-verbaux des délibérations nous font assister à des luttes héroï-comiques, soutenues contre les juges à propos de préséances.
QUERELLES DE PRÉSÉANCES.
Juges royaux de la sénéchausée et juges de l'amirauté ont droit de séance aux assemblées municipales et la place de chacun est fixée par le règlement du 27 juillet 1682 : « Celui des juges qui se trouvera à l'hôtel de ville sera dans une chaise sans bras, à la gauche du président : la municipalité en charge sera sur un banc, à droite le long de la table ; l'ancienne municipalité, à gauche ; le procureur du roi, dans l'angle et hors la ligne, sans avoir personne devant lui ».
Et, malgré ce règlement formel, le procureur du roi de Kermadec, soutenu d'ailleurs, par M. le bailli de Lesven, président de séance, en l'absence du sénéchal, suscite un violent orage à l'assemblée du 16 septembre 1683.
Le procureur du roi refuse la place qui lui est attribuée et veut s'emparer du registre des délibérations pour y inscrire sa protestation. Il va même « jusqu'à prendre le chapeau de dessus la tête du sieur Le Gac de l'Armorique, premier échevin, pour le jeter à terre, à cause qu'il lui disait qu'il était fâcheux de voir que MM. les Juges ne faisaient que troubler, insulter et menacer ceux qui composent le corps de ville ». Le bailli traite M. de l'Armorique « d'insolent et d'étourdi ». Le registre n'était demandé que pour y écrire leurs réclamations, « passé de quoi, on s'en fut essuyé le derrière, avec ce qu'il y avait dedans » ; auxquelles aménités M. de l'Armorique veut bien répondre que « Sa Majesté ne donnait point ses ordres et ne souffrait de les insérer sur un registre de la Communauté, pour en faire un tel mépris ».
La séance fut immédiatement levée et les deux parties portèrent plainte devant le Parlement et le Conseil d'État : gain de cause fut donné aux officiers municipaux.
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Un accord intervint, mais la sourde antipathie des officiers de ville et de justice se réveilla en 1750.
Le 16 mars, la Communauté était réunie, sous la présidence du sénéchal assisté du bailli, pour discuter sur l'achat de l'hôtel Saint-Pierre (aujourd'hui la préfecture maritime), qu'on voudrait convertir en hôtel de ville.
Comme le prix en paraît trop élevé, il est question de louer une partie de l'immeuble. Le bailli demande alors que la Communauté loue aux juges le second étage, où ils pourraient tenir leurs audiences, et M. Lapeyre, avocat du roi de la Communauté, de répondre :
— Il ne convient pas d'avoir des gens au-dessus de soi pour interrompre la Communauté.
Gros émoi dans le camp des juges ; le sénéchal demande qui sont ces « gens au-dessus de soi ».
L'avocat du roi explique « qu'il n'a jamais eu l'intention d'apostropher M. le Bailli ; il a seulement voulu parler des locataires qui, habitant au-dessus de la Communauté, l'auraient troublée dans ses délibérations ».
Mais le sénéchal a peine à le croire ; il s'ensuit une vive altercation au cours de laquelle le sénéchal parle de « faire coffrer » M. Lapeyre pour lui apprendre à le reconnaître pour son supérieur, et lui conseille de ne point venir aux assemblées après son dîner.
— Mon dîner, repartit vivement l'avocat du roi, ne m'a dérangé en aucune façon et, depuis vingt ans que je suis à Brest, on ne m'a jamais vu dans le moindre état de dérangement. Quant aux menaces de me faire coffrer, exécutez-les, vous verrez ce qui résultera.
Après cette scène d'invectives, le sénéchal ordonne à un archer d'appeler la garde ; mais le maire s'élève contre un tel ordre, engage les juges à se calmer et bientôt le sénéchal, suivi du bailli, quitte la salle pour n'y plus revenir.
La Communauté, se jugeant insultée dans la personne de M. Lapeyre, « lequel demande acte qu'il n'est nullement pris de boisson », décide de ne plus appeler les juges à ses séances, que le maire présidera désormais.
LES ARCHERS.
Brest, à l'instar des grandes villes, possède un certain nombre de serviteurs, tels que archers, hérauts et tambours.
Les trois archers nommés en 1684, aux gages de 30 livres, remplirent d'abord les fonctions de chaloupiers ; ils assuraient la communication entre les deux rives, des officiers et des magistrats municipaux.
La chaloupe officielle du passage de Brest à Recouvrance ayant disparu, en 1715, deux archers furent affectés spécialement au service de la mairie ; leur nombre fut porté à quatre en 1758, et leurs gages à 300 livres.
Les archers sont chargés de « faire assembler la Communauté, n'ayant pas de cloche, comme dans les autres villes » ; ils bannissent à son de tambour, aux marchés de Brest et de Recouvrance, les adjudications qui se font à l'hôtel de ville et accompagnent les magistrats municipaux dans les cérémonies publiques.
En temps de guerre et, même en temps de paix, lors du passage des troupes, ils ont à « garder la porte de la maison de ville, pendant la distribution des billets de logement, et à vérifier à domicile, les plaintes formulées par les soldats ou les habitants ».
Les archers portent la bandoulière en drap, aux armes de Brest en fil d'or et d'argent et reçoivent, comme les hérauts, un uniforme neuf tous les trois ans, le jour de l'installation du maire.
LES HÉRAUTS.
Les hérauts ne sont que des serviteurs de parade et n'ont d'autre fonction que d'escorter le corps de ville dans les marches publiques. Les deux hérauts de Brest, payés 10 sols par journée de service jusqu'en 1712, reçurent plus tard 45 livres par an.
L'éclat de leur uniforme rejaillit sur la Communauté, lorsque, maire en tête, elle défile aux jours de procession. précédée de ses hérauts, encadrée de ses archers et agents de police.
Les hérauts sont vêtus d'une casaque bordée de galons d'or et ornée de huit écussons (un devant, un derrière et trois sur chaque manche) représentant les armes de la ville. Ils portent la hallebarde garnie de frange de soie, l'épée à poignée de cuivre et le ceinturon de buffle, une toque de drap galonnée d'or.
LE TAMBOUR-MAJOR.
La Communauté n'avait primitivement qu'un tambour, à 20 livres par an. Celui-ci, devenu infirme, cessa ses fonctions en 1758, et le maire nous paraît s'être alors trouvé bien embarrassé pour le remplacer. Il a eu recours à Vincent Fortier, dit La Tulipe, qui a servi dans la marine, mais qui demande 50 livres par an, un habit neuf tous les deux ou trois ans, un logement et le droit exclusif de faire les bannies pour les particuliers.
Le maire expose tout cela à la Communauté, le 23 mars 1758, et ajoute que l'on a besoin de neuf autres tambours pour les compagnies de la milice bourgeoise, car « les capitaines sons obligés d'emprunter des tambours soit de la marine ou des troupes de terre, ce qui ne laisse pas de leur coûter ». La Communauté se range à son avis, et accorde 120 livres par an à La Tulipe qui sera tambour-major, et vingt-quatre livres à chacun des neuf autres.
Mais les exigences de La Tulipe grandissent tellement que, le 4 avril 1759, la municipalité se voit obligée de lui voter un traitement annuel de 200 livres, à condition qu'il enseignera aux autres tambours, sans rétribution, à battre de la caisse, et fera gratuitement les publications de la Communauté et de la police. Il recevra, pour les bannies des particuliers, 20 sois quand il les fera dans toute la ville, et 10 sols pour un côté seulement.
Le tambour-major était vêtu d'un surtout « à l'uniforme de la Communauté », blanc jusqu'en 1783 et bleu à partir de cette époque. Sa canne « avec garniture en argent et gravée » ne coûtait pas moins de 200 livres.
LA POLICE AUX XVIIème ET XVIIIème SIÈCLES.
La police municipale était autrefois exercée par la Communauté et les juges royaux. Le règlement de 1683 porte que le sénéchal et, en son absence, le bailli, ont la présidence des audiences de police, tenues chaque jeudi à l'hôtel de ville et auxquelles assistent le maire, les échevins et les conseillers.
Ce partage de la police entre la sénéchaussée et la municipalité fut une source intarissable de discussions qui partaient une sérieuse atteinte au maintien de l'ordre et de la sécurité.
« Les chemins des environs de Brest sont remplis de voleurs, écrit l'intendant Desclouzeaux, le 25 juillet 1687 ; tout le monde se plaint ici hautement du peu de police que font les officiers de justice... ».
Le roi est informé, en 1691, « qu'il n'y a aucune police dans la ville, que le pain et la viande se vendent au prix que les vendeurs veulent et que les regratiers vont plusieurs lieues, au-devant des denrées qu'on y apporte. Depuis que les intendants de la marine ne font plus la police à Brest, il n'y en a point eu, ou plutôt depuis que l'on a tiré la justice de Saint-Renan en cette ville ».
LE LIEUTENANT-GÉNERAL DE POLICE AVRIL.
Survient l'édit d'octobre 1699, créant dans chaque ville l'office de lieutenant-général de police, charge que vient occuper, à Brest, M. Avril, conseiller du roi, procureur à la Cour royale et conseiller du siège de l'amirauté de Léon, toutes fonctions qui lui font négliger la police municipale dont le désordre est signalé par la Communauté en 1712.
« Les rues sont si remplies de boue qu'elles sont souvent impraticables ; les libertines, qui viennent ici de toutes parts, corrompent et gâtent la plupart des matelots et soldats et ne se cachent pas de leur prostitution, au contraire, tiennent même des maisons ouvertes ; les cabarets restent ouverts les dimanches et fêtes pendant le service divin ; la police ne s'exerce que par deux ou trois malheureux sergents qui pillent, brigandent journellement sur le public ».
M. Avril, qui avait comparu devant le Parlement pour « faussetés, exaction et concussion », avait la réputation d'un homme hargneux et violent.
« La conduite du sieur Avril est en horreur, écrit à l'intendant, le 6 décembre 1717, M. Lars de Poulrinou, maire de Brest ; il ne respecte ni commandants, ni magistrats ; il prétend seul gouverner l'habitant. Ayez donc la charité, monseigneur, de nous délivrer au plus tôt de cet esprit brouillon, turbulent, avide et dangereux ».
M. Avril resta en fonctions jusqu'en 1723 et ce ne fut que vingt ans plus tard, quand la Communauté put faire le rachat de son office de lieutenant-général, que la police fut partagée, une nouvelle fois, entre la sénéchaussée et la municipalité.
LE TRIBUNAL DE POLICE.
Le tribunal de police est alors présidé par le sénéchal ou, en son absence, par le maire ; le siège du ministère public est occupé par le procureur du roi de la sénéchaussée, ou, à défaut, par le procureur-syndic de la Communauté. Les membres du corps municipal forment le reste de l'assemblée.
Vingt juges, dont deux officiers de justice et dix-huit officiers municipaux, constituent donc le siège de police. Mais les deux officiers de justice abandonnent la police, dont l'exercice est gratuit, pour s'occuper des affaires civiles qui rapportent épices et vacations. Les officiers municipaux ont « leurs » affaires et, « chacun se reposant sur le zèle de ses confrères, tous s'assoupissent dans l'inaction », les audiences sont désertes.
Les juges, trop nombreux, ont des ménagements réciproques ; l'impunité est générale, et le comte de Langeron, lieutenant pour le roi en Bretagne, trace de la ville, en 1777, ce tableau peu flatteur :
LE DÉSORDRE A BREST EN 1777.
« Dans une ville où la sûreté a été aussi négligée qu'à Brest, on ne peut pas être étonné de n'y voir aucune police. Les rues sont dépavées, quelques-unes ne l'ont jamais été, toutes ont des trous, des inégalités qui les rendent fâcheuses pour les gens de pied et affreuses pour les chevaux et les voitures.
La débauche, la contrebande, l'ivrognerie et la crapule sont portées à l'excès. Les matelots, les soldats sont infectés de scorbut et de toutes les maladies de l'Amérique et de France.
On peut s'imaginer quelles sont les moeurs d'une ville dont le peuple, hommes et femmes, s'enivre tous les jours, et souvent avant sept heures du matin ; où il y a 22 000 habitants, 6 000 soldats de terre et de mer, 2 000 et quelquefois 6 et 8 000 matelots ou ouvriers du port ; où il se boit par an 12 000 barriques de vin et 4 000 barriques d'eau-de-vie.
Chaque état a ses billards, ses cabarets, ses lieux de débauche, sans compter la rue Kéravel, le Pont-de-Terre et Recouvrance, qui y sont spécialement affectés.
Depuis quelques mois, l'état-major a arrêté et envoyé à Rennes trente-cinq filles, et il ne paraît pas qu'on en ait diminué le nombre. Dans les cabarets de soldats, il y a des fleurets affilés qui servent à vider les querelles des spadassins, lorsqu'ils sont ivres, Les faubourgs de Kérambécam et de Coatargueven, à la porte de Landerneau, sont le refuge des voleurs, des contrebandiers et des filles chassées de Brest ».
RÈGLEMENT DE POLICE DE 1754.
L'une des premières préoccupations du siège de police, reconstitué en 1754, fut l'élaboration d'un règlement de police qui mérite d'être analysé, car il vous initie à quelques détails curieux dont il reste encore certaines survivances.
Le règlement s'occupe d'abord de la police des cabarets ; défense à tous cabaretiers de laisser leurs établissements ouverts, pendant l'office divin et à tous habitants de s'y rendre sous peine de 10, 20 et 30 livres d'amende. Mêmes défenses après dix heures du soir. La salubrité publique est l'objet de dispositions nombreuses :
Chaque habitant doit balayer tous les jours le pavé au-devant de sa maison — trois livres d'amende, dont le maître aura reprise sur les gages de son domestique.
Défense de faire des ordures dans les rues, — 3 livres d'amende, et obligation pour propriétaires d'avoir, sous trois mois, des latrines dans leur maison — 100 livres d'amende. Défense de nourrir des cochons dans les maisons — 30 livres d'amende et confiscation du cochon. Défense de souiller les fontaines en y lavant du linge, des légumes, du poisson — 10 livres d'amende et confiscation des objets lavés. Défense aux videurs de latrines de jeter leurs immondices dans les rues ; ils devront les porter dans des carrières désignées, à peine d'âtre attachés au carcan pendant le jour de marché.
Pour faciliter la circulation, il est enjoint à tous propriétaires de remettre en état le pavage devant leurs maisons et jardins. Il est défendu de faire courir les chevaux dans les rues. Les charretiers doivent se tenir près du cheval de limon — 10 livres d'amende pour le propriétaire, prison pour le conducteur.
On prend des précautions contre la lie de la population ; les mendiants, vagabonds et gens sans aveu doivent sortir de la ville, sous vingt-quatre heures, et se retirer chacun dans sa paroisse ; les femmes, enfants ou parents des forçats ne peuvent venir à Brest, ceux qui leur donnent asile sont passibles de 50 livres d'amende.
Il est défendu de loger des filles de mœurs suspectes — trois mois de prison, literie jetée sur le pavé et ensuite brûlée par les sergents de police. Défense à tous clercs, facteurs, domestiques, de porter épée, canne, bâton ou arme à feu — confiscation du bâton ou de l’arme et un mois de prison.
Pour prévenir les incendies, les cheminées devront être ramonées tous les trois mois — 6 livres d'amende.
POLICE DES MARCHÉS.
Le marché est soigneusement réglementé. Tous les poissonniers doivent porter leurs poissons directement au marché, pour l'y vendre sans l'intermédiaire des revendeurs — 10 livres d'amende. Il est défendu aux revendeurs, cabaretiers, traiteurs « d'aller sur les chemins devancer les marchandes de légumes, beurre, etc., ni les acheter ou marchander qu'elles ne soient rendues au marché » — confiscation et 10 livres d'amende.
Le prix de chaque espèce de pain est réglé, chaque semaine, par le siège de police, sur rapport d'un commissaire appréciateur. Ce tarif est imprimé et « exposé à la vue de tout le monde ».
Les boulangers sont tenus d'avoir des poids et balances bien allivrés ; chaque pain doit porter leur marque particuliers et autant de trous ronds que le pain pèse de livres. Ils ne peuvent exercer leur profession « s'ils ne sont sains de corps et exempts d'ulcères ». Il leur est défendu de se servir de blé « vieux, eschauffé ou poussé ». Le pain doit avoir un degré de cuisson convenable, être bien façonné et ne contenir aucune matière étrangère, sous peine de 50 livres d'amende pour la première contravention, 100 livres pour la seconde et d'être procédé extraordinairement vers eux la troisième fois. Ils ne peuvent vendre les dimanches et fêtes, passé neuf heures du matin — confiscation et amende arbitraire.
Pour assurer l'exécution de ce règlement, on demandera six sergents de police (quatre pour Brest, deux pour Recouvrance) « avec attribution de gages de 300 livres à chacun, pour les mettre à l'avenir à l'abri de toute séduction ».
LE BUREAU DE SANTÉ.
C'est encore à la Communauté qu'il appartient de s'occuper de la police sanitaire, car le maire s'intitule juge royal de santé.
Le bureau de santé, établi dès 1709 « pour prévenir la communication du mal contagieux qui régnait dans le Nord », est situé à la Pointe, sur le quai de Recouvrance.
Il est composé de six officiers municipaux ou intendants, quatre chirurgiens et quatre interprètes, et fonctionne dès que « la contagion » est signalée.
Lorsqu'un navire entre dans le goulet, deux intendants, un chirurgien et un interprète, de service au bureau, prennent place dans la chaloupe de santé, fournie par la marine et montée par un patron et quatre matelots, portant à l'avant la bannière de Saint-Roch.
Ils se dirigent vers le bâtiment et, arrivés à bonne distance l'un d'eux appelle le capitaine avec un porte-voix et lui demande d'où il vient, où il a relâché, avec quels vaisseaux il a communiqué, quel est son chargement.
Si les réponses du commandant offrent toute sécurité, le chirurgien monte à bord du navire, s'assure qu'il n'y a pas de malades, et les intendants, après avoir pris les déclarations écrites du capitaine, permettent l'entrée dans le port.
Si, au contraire, il est reconnu que l'entrée doit être refusée. ordre est donné au commandant de ne laisser personne descendre à terre, sous peine de mort : un matelot de la chaloupe monte à bord du vaisseau pour empêcher toute communication ; les intendants vont présenter leur rapport aux officiers municipaux qui, « juges de santé », se réunissent sans retard à l'hôtel de ville et décident la mise en quarantaine du navire.
La quarantaine se tint tout d'abord dans la rade de Camaret et, en 1711, sur l'ordre du maréchal de Châteaurenault, elle fut transférée entre l'île Trébéron et la presqu'île de Quélern.
Un bâtiment du port, mis par l'intendant de la marine à la disposition de la Communauté, était chargé de veiller le vaisseau contaminé et de n'y laisser approcher que la chaloupe de santé qui, tous les huit jours, allait apporter des vivres à l'équipage.
LES SERGENTS DE POLICE.
La municipalité est chargée, concurremment avec le sénéchal, de la police de la ville. De ce chef, elle est astreinte à payer un certain nombre de fonctionnaires. Le plus rétribué est celui de ses membres à qui elle délègue ses pouvoirs judiciaires ; elle commence en 1777 par lui verser 1 200 livres, portées l'année suivante à 1 400 livres, et à partir de 1779 à 1 800 livres par an.
Pour assurer l'ordre la Communauté dispose de quatre sergents de police, aux gages annuels de 200 livres, de ses quatre archers et de deux gardes-quais qui ont pour mission d'empêcher le déchargement des marchandises « sujettes à immondices » à moins de six pieds du bord des quais, et de dresser procès-verbal à quiconque « jette immondice » dans le port, infraction punie de 100 livres d'amende.
M. Guesnet, procureur syndic de la Communauté qui occupa les fonctions de commissaire de police de 1776 à 1789, était assez mal secondé par ses archers et sergents.
Le service des billets de logement, des réquisitions de toutes sortes, absorbaient, d'ailleurs, une bonne partie de leur temps ; mais leur conduite n'était pas toujours exemplaire. En 1785, l'intendant écrit à la Communauté : « Il n'y a qu'un archer de ville et deux sergents de police qui remplissent bien le service, tous les autres sont des ivrognes qu'il faudrait renvoyer ». La municipalité promet qu'ils s'amenderont, mais en vain.
L'intendant formule les mêmes observations en 1787 et se déclare « disposé à les faire expulser s'ils ne changent pas de conduite ».
Enfin, la Communauté se résout avec peine à destituer « le nommé Bazile, archer de la ville, qui ne cesse de s'enivrer et s'est ainsi rendu incapable de faire son service ».
LE SÉMINAIRE DES JÉSUITES.
Un vaste édifice, connu sous le nom d'École des Mécaniciens et maintenant caserne Guépin, s'élève en face de l'hôtel de ville. La porte d'entrée est ornée d'un fronton représentant, avec leurs emblèmes, la Justice et la Religion, groupe en tuffeau, attribué au célèbre sculpteur Bouchardon.
Il fut construit à la fin du XVIIème siècle, quand les jésuites obtinrent, par lettres-patentes de mars 1686, l'autorisation de fonder à Brest un séminaire, où devaient être « instruits, logés et nourris, les prêtres séculiers qui serviraient d'aumôniers sur les vaisseaux de l'État ».
La construction du séminaire ne coûta pas moins de 300 000 livres au Trésor royal et les Jésuites, après avoir accaparé l'église Saint-Louis, ne consentirent à la rendre à la ville — elle en avait fait cependant tous les frais — que moyennant 50 000 livres, somme qui fut employée, en 1740, à la construction de la chapelle de la marine, aujourd'hui disparue.
On sait qu'à l'instar de la plupart des Parlements du royaume, le Parlement de Bretagne prononça, le 27 mai 1762, la dissolution de l'institut et ordonna aux Jésuites d'évacuer, le 2 août suivant, les collèges qu'ils tenaient à Rennes, Vannes et Quimper, ainsi que leur résidence à Nantes et le séminaire de Brest.
Louis XV céda et interdit la société de Jésus en France, par arrêt du conseil du mois de novembre 1764. Le séminaire de Brest, devenu propriété de l'État, fut remis à la marine.
L'ÉTABLISSEMENT DES PUPILLES DE LA MARINE.
Le séminaire servit de caserne aux gardes de la marine jusqu'en 1776, puis d'hôpital jusqu'en 1834.
Après avoir été affecté à divers services, il devint, en 1863, l'établissement des Pupilles de la marine.
Le décret impérial du 15 novembre 1862, qui avait fondé cette institution, pour ouvrir un asile aux orphelins de nos matelots, morts pour l'honneur du pavillon, et qui devait les préparer à suivre la noble carrière de leurs pères, excita, à Brest, un véritable enthousiasme. En moins de deux jours, les souscriptions ouvertes pour hâter la création de l'établissement, s'élevèrent à plus de 3 000 francs.
La France entière voulut participer à l’œuvre et, de tous les points du territoire, affluèrent des dons. Le chiffre qu'ils atteignirent permit d'acheter, au mois de juin 1863, une inscription de rente de 2 000 francs, qui assurait l'avenir d'une institution, à laquelle nous devons le meilleur recrutement de l'école des mousses, la vraie pépinière de la maistrance et des équipages de la flotte.
L'établissement des pupilles de la marine fut transféré, en 1883, à la Villeneuve, merveilleusement située dans une anse de la Penfeld, sur les deux versants d'un vallon ombragé.
C'était l'emplacement d'une ancienne usine, construite, de 1767 à 1770, par l'industriel Richard-Duplessis, et achetée par la marine, en 1772, pour servir à la transformation en fers neufs, des résidus de travaux de l'arsenal.
L'ancien séminaire devint alors l'École des mécaniciens et retrouva pendant la guerre, l'une de ses premières affectations en hôpital.
Ce vaste édifice servait avant la guerre au logement de quelques mutilés, aux bureaux des services de T. S. F. et de défense des côtes, et au garage des automobiles de la marine.
LA PHARMACIE CENTRALE.
La pharmacie centrale, dont le long mur s'étend dans la dernière partie de la rue de la Mairie, conduisant à l'hôpital, était autrefois la manufacture de toiles à voiles, construite par Frézier, en 1763.
Adossée au mur de clôture du bagne, elle fut convertie, en 1825, en caserne des gardes-chiourmes et ce fut après la fermeture du bagne que M. Riou-Kerhalet, ingénieur des travaux hydrauliques, l'appropria, en 1858, à sa nouvelle destination.
LE MARCHÉ SAINT-LOUIS.
Le marché couvert de la rue de la Mairie fut construit de 1844 à 1845. Depuis longtemps, on projetait de l'établir sur cette partie de la place Saint-Louis, mais l'état des finances et surtout les entraves apportées par la plupart de nos anciens édiles, qui ne voulaient pas qu'un marché masquât l'église, en retardèrent la construction.
Les idées s'étant modifiées sur ce point, et un excédent de recettes de 30 000 francs sur le budget de 1843, permirent à l'administration de M. Lettré d'effectuer les travaux.
Le marché fut édifié suivant les plans de M. Pouliquen qui rachetaient, par des perrons de hauteurs variées, les différences de niveau existant sur l'ancien terrain de Tronjolly, entre l'église et la rue de la Mairie.
Ses deux corps de galeries couvertes étaient, autrefois, séparées par une cour pavée et plantée, au centre de laquelle se trouvait la vasque, alimentée par une fontaine, qui servait au lavage des légumes. Cette cour fut elle-même recouverte en 1896.
LE BUREAU DES MARCHANDS.
Le bâtiment de l'école communale, situé au n° 16 de la rue de la Mairie, était autrefois une grande maison d'aspect sévère, presque lugubre : fenêtres à petits carreaux, très éloignées les unes des autres, et celles du rez-de-chaussée, garnies de lourdes barres de fer ; au centre, une haute et large porte s'ouvrant sur la rue. On pouvait se demander, en la voyant. si c'était une prison ou un hospice.
Cette maison était celle que l'on désignait encore, il y a trente ans, sous le nom de Bureau des marchands. Elle avait été construite, en 1772, par la puissante corporation des marchands de drap, merciers, quincailliers et joailliers, dont nous avons parlé, lors de sa première installation dans la rue Kéréon.
Le bureau était ouvert de sept heures du matin à midi et de deux heures à six. Toutes les marchandises de draperie, mercerie, joaillerie, quincaillerie, épicerie et droguerie qui étaient apportées à Brest et Recouvrance, tant pour les marchands de la ville que pour les forains, étaient obligées de passer au bureau pour y être vues, visitées et marquées par les gardes assermentés, comme « en bon état de bien fabriquées ».
A la dissolution des corporations, en 1792, la. maison fut déclarée bien national et donnée à la ville.
On y installa d'abord les juges du bureau de commerce et de conciliation, le bureau de paix du district, ainsi que les écoles d'hydrographie et de dessin, créées en 1791.
En l'an II, on y déposa les 26 000 volumes provenant de l'abbaye de Saint-Mathieu, du couvent des Carmes de Brest et des Capucins de Recouvrance, qui constituèrent la bibliothèque du district.
La bibliothèques « nationale », dirigée par MM. Duval Le Roy, professeur de mathématiques aux écoles du port et l'abbé Béchennec, bibliophile fort instruit, resta intacte jusqu'en l'an IX. Mais, à cette époque, des dons de livres faits par le préfet du Finistère à l'école centrale de Quimper et à diverses administrations civiles et maritimes, réduisirent les collections à environ 2 000 volumes.
Ils ont formé le noyau de la bibliothèque municipale actuelle qui en compte, aujourd'hui, près de 100 000.
Après l'an X, le bureau des marchands fut rendu aux écoles publiques et fut occupé, en même temps, par l'administration des douanes, puis par les prétoires des justices de paix.
Les s œurs de la Providence y tinrent ensuite leurs classes jusqu'en 1880, date de l'exécution, à Brest, des décrets concernant l'expulsion des Congrégations.
RUE MARCHÉ-POULIQUEN.
M. Pouliquen, négociant, fut nommé maire de Brest, par arrêté consulaire du 13 juin 1800 qui, conformément à la loi du 17 février, organique des municipalités, les avait soustraites à l'élection.
Le maire et les adjoints étaient à la nomination du Premier Consul ; les conseillers municipaux — au nombre de trente, pour Brest — étaient choisis par le préfet, pour trois ans, et susceptibles d'être continués dans leurs fonctions.
M. Pouliquen avait demandé à plusieurs reprises d'être déchargé du fardeau de la mairie. On finit par satisfaire à ses désirs et les regrets unanimes et mérités de ses concitoyens le suivirent dans sa, retraite.
D'importants travaux furent accomplis pendant les huit mois de son administration : l'achèvement et la plantation du cours Dajot, l'agrandissement du nouveau cimetière extra-muros, la construction du mur de clôture du Pont-de-Terre, etc.
Fils d'un tailleur de pierres, M. Pouliquen était né à Brest, le 26 juillet 1763, où il mourut le 19 avril 1814. Il s'était signalé, en 1793, par son dévouement en faveur des Girondins proscrits.
Son nom a été donné au quartier qu'il avait construit, en 1809, pour y établir les boucheries de la ville.
RUE MONGE.
La partie de la rue Monge, qui s'étend de la rue Kléber à la rue Amiral-Linois, s'appelait autrefois rue Charonnière et son prolongement, jusqu'à la rue Émile-Zola (Saint-Yves), était désigné sous le nom de rue du Four. C'est là, en effet, que se trouvait le four banal où les habitants allaient faire cuire leur pain.
Quant à la rue Charonnière, l'étymologie de son nom est restée très problématique.
Certains historiens brestois ont cru y voir l'ancien quartier des charrons, ce qui doit être une erreur, car en 1670, où nous trouvons déjà cette rue, la ville de Brest n'était ni assez grande ni assez peuplée pour qu'une rue, quelque courte qu'elle fût, pût être consacrée à une seule industrie, à moins qu'il n'y eût qu'un seul charron dans toute la ville.
M. Levot estime que la rue Charonnière pouvait devoir son nom au commissaire de marine Charonnier, qui résidait à Brest vers 1703, et qui, en 1712, servait à Toulon. « L'habitude locale de fortement accentuer l'r final des mots nous suggère, dit-il, cette conjecture ». Il est certain que l'usage était alors de donner aux rues les noms des hauts fonctionnaires de la marine. Mais M. Charonnier ne devait pas être un bien grand personnage en 1670 !
Une troisième étymologie a été donnée par M. Kernéis : il existait en cet endroit, dès 1595, un dépôt provenant des tueries, ce qui occasionnait une véritable infection.
La rue Charonnière était une ruelle fort étroite, surtout dans sa partie commençant à la rue Kléber. Elle n'était guère accessible aux voitures qu'aux environs de l'église des Carmes, et ce premier alignement nous est montré par la maison, faisant face à l'église, qui porte la date de 1675.
L'élargissement de la rue avait été commencé en 1703, mais les travaux étaient depuis longtemps suspendus, quand, en 1746, l'intendant manifesta à la ville son désir d'ouvrir largement cette voie, pour mettre le bas de la Grand'Rue en communication avec l'église des Carmes.
Quelques mois plus tard, l'ordre est impératif. On apprend en effet, en juillet 1747, que le duc de Penthièvre, gouverneur de Bretagne, va venir à Brest au mois d'août et il faut que la nouvelle rue soit tracée et mise en état pour le 15, afin que le duc puisse y passer en carrosse, s'il le désire.
VISITE DU DUC DE PENTHIÈVRE (1747).
Toutes les maisons avaient été abattues et les murs des nouvelles façades commençaient à s'élever, quand le prince fit son entrée solennelle dans notre cité.
Il descendit à l'hôtel Saint-Pierre, occupé alors par le chef d'escadre de l'Estourmel qui était allé loger, en face, dans une maison dont les locataires furent indemnisés.
En exécution des ordres intimés à la Communauté, on avait loué des meubles et tapisseries pour garnir l'hôtel, établi des écuries et des hangars pour remiser cent cinquante chevaux et treize à quatorze chaises ou carrosses.
On avait encore prescrit la construction d'une rôtisserie de 18 pieds de long, susceptible de recevoir deux rangs de broches, et la sollicitude pour les marmitons de Son Altesse allait jusqu'à ordonner de construire deux élévations destinées à les abriter pendant qu'ils tourneraient ces broches pantagruéliques, Mais, en raison de ses faibles ressources, la Communauté se contenta de faire réparer l'ancienne rôtisserie de l'hôtel Saint-Pierre.
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C'est dans la rue Charonnière, sur l'emplacement actuel de l'école communale de la rue Monge — désignée longtemps sous le nom « d'École Bergot », en souvenir de son premier et très distingué directeur — que les frères de la Doctrine chrétienne vinrent fonder à Brest, en 1743, la première école gratuite.
LES ÉCOLES AVANT 1789.
Jusqu'à cette époque, nous n'avons que très peu de documents sur les écoles et l'instruction publique à Brest.
« L'instruction des enfants, dans les plus humbles couches, est très rudimentaire, relate le docteur Corre, dans son étude sur « l'instruction publique et les écoles à Brest, avant 1789 » [Note : Bulletin de la Société archéologique du Finistère, 1895]. L'éducation est à peine ébauchée : on peut dire que celle-ci se réduit à ce que le prêtre enseigne au cours du catéchisme et les leçons morales, passagères, accidentelles, n'ont que trop l'occasion d'être effacées par le mauvais exemple, au sein de maintes familles.
Dans cette population brestoise, destinée, en si grande partie, à fournir à Sa Majesté d'excellents marins et soldats, les mœurs sont rudes et brutales ; la famille est condamnée à vivre au contact presque permanent des militaires, à une dangereuse promiscuité avec des hommes de toute provenance, aux allures peu raffinées et aux sentiments d'ordinaire sans scrupules — il n'y a point de casernes et les habitants sont obligés de partager avec les soldats leur logis, leur chambre, quelquefois leur lit unique ! Les petites filles restent à la maison, où elles grandissent sans être initiées à autre chose qu'aux menus travaux du ménage, heureux quand elles ne le sont aux habitudes du vice.
Les petits garçons vagabondent, crient, bataillent entre eux en dépit des sévères ordonnances du lieutenant-général de police Avril : « Trente livres d'amende contre les parents des enfants qui seront surpris à lancer des boules de neige ; — ordre aux sergents de police de constituer prisonniers, à Pontaniou, les enfants qui seront trouvés se livrant à des jets de pierres ; — ordre aux sergents de police d'arrêter les enfants qui seraient trouvés faisant ordures autour de l'église de Saint-Louis, et de les conduire aux prisons de Pontaniou, où ils seront fouettés par trois différentes fois ».
L'audience de police du 16 mars 1723 nous apprend qu'il existe, à cette époque, plusieurs écoles à Brest, et nous révèle aussi qu'il y a déjà comme un germe de division entre classes, entre les bambins du commun peuple et ceux de la bourgeoisie.
Le substitut du procureur du roi, M. Yves Millet, remontre, en effet, ce jour-là :
« Que les jeunes écoliers du quartier des Sept-Saints font une espèce de guerre à ceux de la haute ville, principalement aux sorties du catéchisme et des écoles publiques, ce qui fait que les enfants de la haute ville, poussés à bout par ceux du quartier des Sept-Saints qui sont, pour la plupart, mal élevés, sans éducation et de basse naissance, sont obligés de se défendre des poursuites importunes des enfants de la basse ville, tellement que, de part et d'autre, on les voit tous les jours s'assembler, tant sur les glacis du château, sur les remparts, au Champ-de-Bataille et dans différents autres endroits reculés de cette ville, pour se battre à coups de pierres qu'autrement ». Un enfant de onze ans a eu la jambe cassée d'un coup de pierre. Il est temps de mettre fin à ces désordres.
Le bailli, M. de Kersauson, ordonne aux sergents de police d'arrêter et de conduire les batailleurs aux prisons de Pontaniou, aux parents et maîtres d'écoles de surveiller les enfants et d'empêcher qu'ils ne s'attroupent, sous peine de trois livres d'amende, au profit de l'hôpital.
L'ÉCOLE DES FRÈRES DE LA DOCTRINE CHRÉTIENNE.
La Communauté se préoccupait, depuis plusieurs années, de l'organisation d'une école publique et gratuite, quand cette initiative vint d'un vieil officier de marine, le lieutenant de vaisseau Jean-Louis de Hennot, qui, en 1740, sur le point de mourir, désireux d'accomplir une bonne œuvre, résolut de consacrer une partie de sa fortune à la création d'une école des frères de la doctrine chrétienne, pour l'instruction des enfants du « menu peuple ».
Les frères de Saint-Yon, d'origine relativement récente, jouissaient déjà d'une renommée très favorable ; ils avaient des écoles fort appréciées en diverses villes du royaume ; ils apportaient pour la première fois dans l'enseignement primaire une règle, un programme systématique, nettement adaptés aux besoins des classes populaires, en même temps qu'ils lui donnaient une solide base éducative, celle des principes puisés dans l'idée chrétienne.
Les désirs de M. de Hennot ne pouvaient donc rencontrer dans l'opinion publique qu'un accueil enthousiaste et la Communauté de ville fut d'autant plus à l'aise pour y satisfaire, que la vente des effets mobiliers du généreux légataire mit à sa disposition une somme de 6 075 livres.
Dés le mois de novembre 1743, elle fit l'acquisition, au prix de 3 813 livres, de la maison de la rue Charonnière « en face l'Escalier Neuf » et l'école des frères fut ouverte le 14 mars 1746.
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La Révolution entraîna, on le sait, la constitution civile du clergé. Favorablement accueillie par la grande majorité de la population brestoise, elle le fut moins par nos frères des écoles chrétiennes qui ne voulurent plus assister à la grand'messe paroissiale, célébrée par des prêtres qui avaient juré fidélité au nouveau régime, et refusaient d'y conduire, suivant l'usage, les enfants confiés à leurs soins.
C'est alors que le Conseil général de la Commune, « considérant qu'il serait dangereux de confier plus longtemps l'éducation des enfants à des hommes dont le fanatisme se manifeste aussi publiquement », décida le renvoi des frères, dans sa séance du 26 mars 1791.
Et, en attendant les décrets de l'Assemblée nationale qui doivent fixer les bases de l'enseignement public, la municipalité, soucieuse de « procurer à la jeunesse les premiers principes d'éducation d'un peuple libre », transforme l'école des frères en école publique, sous la direction des instituteurs Sabatier et Bourson, aux appointements de 1 200 livres.
Les frères redemandés à Brest en 1809, 1814 et 1817 ne reprirent une existence officielle qu'en 1824.
Ils poursuivirent leur enseignement jusqu'en 1880, date où M. Bergot prit la direction de l'école communale de la rue Monge.
RUE NEPTUNE.
Cette rue, établie sur l'ancien quartier des Quatre-Vents, qui n'était autrefois qu'un terrain inculte, bouleversé par des carrières, ne fut ouverte qu'à la fin du XVIIIème siècle et n'avait aucun nom. Sur la demande des propriétaires des quelques maisons qu'on y voyait alors, le conseil municipal lui assigna, en 1802, celui de Neptune, pour commémorer le souvenir de l'une des statues du cours Dajot, dont la première pierre du piédestal venait d'être posée.
LA « PIERRE DU CONSEIL ».
Entre la rue Neptune et la rue Duguay-Trouin, s'élevait — il y a bien longtemps — un rocher appelé la Pierre du Conseil. Peut-être était-il ainsi nommé — dit Levot — parce que, placé sur un point culminant, il formait une sorte d'observatoire permettant aux marins de « prendre conseil » de l'état de la mer et de la direction des vents, avant de quitter le port.
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Le dispensaire de la rue Neptune fut construit en 1830, aux frais de la marine et de la guerre, sur le vaste terrain compris entre les rues Neptune et Traverse, acheté par la ville, en 1822, pour y établir la succursale de l'hospice.
LA LOGE « L'HEUREUSE RENCONTRE ».
C'est dans la maison portant le n° 9 de la rue Neptune que la loge « l'Heureuse rencontre » vint s'établir officiellement en 1791, suivant bail passé le 1er avril 1788, entre le F... Guilhem, propriétaire de l'immeuble, et le vénérable Jean-Tanguy Lunven de Coatlogan, avocat et procureur du roi.
Fondée dès 1745, cette société maçonnique comptait, parmi ses membres, les principales notabilités civiles et militaires :
L'intendant général de la marine, Arnaud de Laporte, qui devint intendant de la liste civile de Louis XVI et fut l'une des premières victimes de la Révolution ; le prince de Rohan, garde de la marine ; les célèbres navigateurs Lapérouse et Bougainville ; les amiraux Bruix, Ganteaume, Villaret-Joyeuse ; Bergevin, Guilhem, Clément de Ris, le baron de Lacrosse, membres de nos anciennes assemblées législatives ; la plupart des maires de Brest ; des ecclésiastiques, tels-que : dom Courtois, bénédictin, procureur de l'abbaye de Saint-Mathieu ; le F. Boutote religieux carme ; l'abbé La Goublaye, recteur de la paroisse Saint-Sauveur, de Recouvrance.
RUE DU PETIT-MOULIN.
Ce n'était, à l'origine, quand elle fut ouverte vers 1660, qu'une petite et courte ruelle qui s'étendait de la rue Monge à la place des Sept-Saints (carrefour actuel des rues du Petit-Moulin et Amiral Linois).
Elle s'appelait rue Cariou, nom du médecin et ancien avocat au Parlement de Bretagne, Christophe Cariou, sieur de la Tour, qui était venu s'établir à Brest et y mourut le 30 décembre 1687.
De 1670 à 1680, elle fut prolongée jusqu'à la rue du Vieil-Escalier (du Couëdic), où se terminait alors la rue de Siam, mais ne tarda pas à être débaptisée.
Le nom de M. Cariou, en effet, était devenu antipathique. On savait que, sans titre légal, l'ancien avocat était le conseil des PP. Jésuies, dans le procès soutenu par les religieux, en vue d'obtenir la réunion de l'église Saint-Louis à leur séminaire.
Les habitants nommèrent la rue Cariou : rue du Petit-Moulin.
Un vieux moulin datant de 1550, s'élevait, alors, à l'entrée de la rue. Plus tard, une maisonnette, connue sous le nom de « Petit-Moulin », fut construite sur son emplacement, et démolie en 1777. Elle occupait l'endroit portant actuellement le n° 101 de la rue de Siam.
Cette fraction de la rue du Petit-Moulin a été comprise dans la rue de Siam, lors de l'établissement de la voie d'accès au pont national, inauguré le 23 juin 1861.
M. HUGON DE BASSEVILLE.
L'arrêté du 5 messidor an II lui donna le nom de Basseville. Hugon de Basseville était ce secrétaire de la légation française à Naples, sous la Convention, qui fut chargé, en 1793, de se rendre à Rome pour y protéger nos nationaux et de faire porter à tous les résidents français la cocarde tricolore. Le lendemain, 13 janvier, à la vue des emblèmes républicains, la populace accueillit de ses huées Basseville, qui venait de sortir en voiture avec sa femme, le poursuivit à coups de pierres et le força à se réfugier chez le banquier Moulte dont la maison fut aussitôt assaillie. Frappé d'un coup de rasoir au bas-ventre par un barbier, Basseville expira quelques heures après dans d'atroces souffrances.
A la nouvelle de ce tragique événement, la Convention décida qu'elle tirerait une vengeance éclatante de cette violation du droit des gens, et elle accorda à la veuve de Basseville une pension de 1 500 livres, reversible sur son fils, qu'elle adopta.
La rue du Petit-Moulin reprit son ancien nom, en 1811.
RUE PORTZMOGUER.
LE COMBAT DE « LA CORDELIÈRE ».
Le capitaine Hervé de Portzmoguer, natif de Plouarzel (Finistère) dont la tradition a transformé le nom en Primauguet, s'illustra dans le fameux combat de la Cordelière, magnifique navire que la reine Anne avait fait construire à Morlaix et lui « avait cousté un gros argent ».
La Cordelière, « armée de 1 200 hommes de guerre et de 200 pièces d'artillerie, desquelles il y en avait 14 à roues, tirant grosses pierres de fonte et boulets serpentins », sortit de Brest le 10 août 1512, suivie de dix-neuf autres bâtiments, « pour châtier les Anglais qui commettaient de grands ravages ». Elle rencontre à Saint-Mathieu la flotte ennemie, forte de 80 voiles, disent les historiens français, de 45, affirment les Anglais.
Après un combat acharné, la Cordelière se trouve aux prises avec la Régente, aussi puissante qu'elle. Elle va succomber, quand, dans un suprême désespoir, le capitaine anglais Thomas Kernevet, qui vient d'être abordé par Portzmoguer, fait jeter des fusées d'artifice et des brandons sur le vaisseau breton.
L'incendie gagne bientôt toutes les parties de la Cordelière et la Régente fait de suprêmes efforts pour se dégager de l'étreinte de feu qui va l'étouffer, car les deux nefs « brûlent comme chénevottes ».
Mais Portzmoguer et son second Dholo, jugeant que tout est perdu, restent accrochés ; l'un de la grand'hune, l'autre de la hune de misaine, inondent la Régente de pierres, de soufre et de poix. Des combats corps à corps se livrent sur les ponts des deux navires.
Tout à coup éclate une formidable explosion. C'est la Cordelière, dont le feu a atteint les poudres, qui saute, entraînant avec elle, dans l'abîme, la Régente, attachée à son flanc.
L'ÉCOLE PRATIQUE.
Au n° 9 de la rue Portzmoguer fonctionnait, depuis 1900, l'École pratique d'industrie et de commerce qui comptait 650 élèves, en 1939-1940, sous la direction de M. P. Brohan.
Le matériel et les locaux de la section industrielle ont été détruits par les bombardements du 27 février 1943 et l'école a été repliée à Plonévez-du-Faou.
RUE DE SIAM.
Très peu de maisons bordaient la rue Saint-Pierre, quand son nom fut consacré par Vauban, dans son plan de 1694. Elle devait son appellation à l'hôtel Saint-Pierre, construit en 1632 — aujourd'hui la préfecture maritime — dont nous reparlerons plus loin.
Mais l'arrivée des ambassadeurs siamois à Brest, en 1686, et leur séjour à l'hôtel Saint-Pierre furent un tel événement que le nom de Siam ne tarda pas à être employé et à alterner avec celui de Saint-Pierre. Jusqu'en 1742. cette voie est mentionnée : rue de Siam, autrement dit de Saint-Pierre.
Un plan de 1762 divise la rue de Siam en trois parties : 1ère Siam, depuis la rue du Petit-Moulin, jusqu'à la rue Traverse : 2ème Saint-Pierre, jusqu'à la rue de la Rampe ; 3ème rue de la Porte, jusqu'à la porte de Landerneau.
Le plan de Nicolin, de 1770, lui donne dans tout son parcours le nom de rue de Siam, mentionné exclusivement dans l'arrêté du 5 messidor an II qui l'appela : rue de la Loi.
C'est, en effet, dans la maison de cette rue, portant aujourd'hui le n° 24, que siégeait le tribunal du district, comme plus tard, le tribunal civil, jusqu'à son transfert, en 1820, dans la rue de la Rampe.
Le nom unique de Siam fut rétabli, le 5 novembre 1811, à l'ensemble de la rue qui aboutit au pont national.
LES AMBASSADEURS SIAMOIS.
C'est le 18 juin 1686 que les vaisseaux l'Oiseau et la Maligne amenèrent à Brest trois ambassadeurs du roi de Siam, accompagnés de six mandarins, trois interprètes, deux secrétaires et une vingtaine de domestiques.
En dehors de nombreux présents, l'ambassade apportait la lettre du roi de Siam à Louis XIV. Elle était écrite sur une lame d'or et renfermée dans trois boîtes : la première était de bois verni du Japon, la deuxième d'argent et la troisième d'or. Toutes ces cassettes étaient recouvertes d'un brocart d'or. La « machine » ayant été endommagée dans le transbordement, les ambassadeurs ne voulurent descendre à terre que quand elle aurait été réparée, ce qui obligea l'intendant Desclouzeaux à leur envoyer des menuisiers, des peintres, des sculpteurs et des doreurs.
La réparation terminée, ils furent reçus solennellement à l'hôtel Saint-Pierre et le premier ambassadeur ne fut pas plus tôt dans la chambre qu'on lui avait destinée, « qu'il suspendit la machine à une hauteur fort élevée au-dessus de lui. Aucun des Siamois, par respect pour la lettre, ne prit de chambre au-dessus de celle du premier ambassadeur ».
Louis XIV qui voulait, en les faisant venir à Paris par terre, rendre plus excessive et plus éclatante la mission dont ils étaient chargés, avait envoyé pour les accompagner deux gentilshommes de sa chambre, MM. Torf et de Silly.
Les ambassadeurs durent donc, à grand regret, se séparer de la machine dont le transport par terre eût été difficile et incommode. Pour les y faire consentir, M. Desclouzeaux leur avait représenté, de la part de Seignelay, que ce mode d'envoi n'était pas séant, et qu'il convenait mieux qu'ils envoyassent la machine avec les présents et leurs bagages, par la voie du Havre ; que, quant à la lettre, ils pouvaient la porter eux-mêmes, et qu'à leur arrivée à Paris, où la machine serait avant eux, ils la replaceraient pour la présenter au roi.
Partis de Brest le 9 juillet, ils trouvèrent à Lanvéoc des litières et des chevaux, et rien ne fut épargné pour faire la conquête des envoyés de Siam. Partout où ils passèrent, les villes ouvraient leurs portes avec un pompeux empressement, elles avaient le mot d'ordre ; partout la foule se pressait pour les voir, les dames pour les faire danser, le magistrat pour les haranguer.
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Des soins tout particuliers furent donnés à leur table par le zélé M. Torf ; il avait, à cet égard, les prescriptions les plus formelles. Il devait s'assurer chez les hôtes de la France, par le confort et le délicat, par la recherche et l'abondance, par tous les moyens gastronomiques possibles, la reconnaissance de l'estomac, qu'on savait souvent la plus sûre et la plus durable.
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Et à ce propos, M. Gallois reproduit, dans le Moniteur universel du 29 août 1861, le menu d'une journée ordinaire qui ne laisse aucun doute sur le zèle de M. Torf à remplir la partie gastronomique de sa mission.
Service de table de MM. les ambassadeurs de Siam :
3 grands plats, 6 moyens et 4 hors-d'œuvre pour le soir et le matin.
A dînés, viande de boucherie, 120 livres à 4 sous 6 deniers la livre ; 6 ris de veau, 1 grande entrée de quartier de veau, 2 moyennes entrées de grosses viandes ; 2 grands potages ; 2 chapons gras, 8 pigeons. 2 entrées de rôtisserie ; 4 poulets, 2 lapereaux, 2 petits potages sans viande ; 4 hors d'œuvre de melons ou viandes, soir et matin.
Rôts à dîné : 1 cochon de lait, 2 lapins, 2 dindons, 6 poulets, 8 pigeons, 2 poulardes grasses, 2 perdreaux, 2 canards, 1 grande entrée de grosse viande et 2 petites ; 3 poulets pour le cuisinier de l'ambassadeur.
Rôts à soupé : 2 dindons, 2 poulardes grasses, 4 lapins, 8 pigeons, 6 poulets, 2 perdreaux ; des pieds et langues de mouton.
Entremets et fournitures pour le dîné et le soupé : 2 grands plats d'entremets et 12 moyens ; beurre, lard, saindoux, sucre, farine, épiceries, sel, 6 livres de riz et toutes les légumes ; 30 livres de glace ; fruit cru, confitures liquides, fleurs, salade, vin de table et vins de liqueur.
Le total de la dépense de cette journée ordinaire s'élève à la somme assez considérable pour l'époque de 262 livres 10 sols.
L’HÔTEL SAINT-PIERRE.
La préfecture maritime fut construite vers la fin du XVIIème siècle sur le terrain de Parc-Bras, qui s'étendait de la place Sadi-Carnot à la rue de la Rampe.
C'était alors l'une des plus importantes maisons de la cité ; elle appartenait à Charles de Castel, seigneur de Saint-Pierre, aide de camp du maréchal Vauban, et était connue sous le nom d'Hôtel Saint-Pierre. Vauban y descendait chaque fois qu'il venait à Brest et, quand, en mars 1695, il fut obligé de séjourner à Roscanvel, l'intendant, qui rendait compte au ministre de ce déplacement, ajoutait :
« Il ne trouvera pas en ce pays les agréments de la maison de Mme de Saint-Pierre ».
L'année suivante, M. de Saint-Pierre quittait Brest pour servir à la Cour et, à partir de ce moment, l'hôtel fut fréquemment loué par la Communauté de ville pour les officiers généraux, les commandants de la province et leur nombreuse suite, dont elle avait la lourde charge d'assurer le logement.
En 1746, la maison est la propriété du fils de M. de Saint-Pierre, le marquis de Crèvecœur, capitaine des vaisseaux du roi, premier écuyer de la duchesse d'Orléans, et est alors appelée : Hôtel Crèvecœur.
Quelques années plus tard, Mme. de Crèvecœur, devenue veuve, offrait sa maison, pour 36 000 livres, à la Communauté, qui recherchait un hôtel de ville.
SON ACQUISITION PAR LA MARINE (1752).
Si les finances municipales avaient été plus prospères, l'affaire eût été immédiatement conclue ; mais la ville atermoyait et, pendant ce temps, la marine qui, elle aussi, cherchait un immeuble. acquit l'hôtel Saint-Pierre, pour 40 000 livres, par acte du 10 août 1752.
L'état des lieux comportait à cette époque :
1° Un grand corps de logis formé d'un rez-de-chaussée, deux étages et mansardes, de 120 pieds de face sur 33 de profondeur ;
2° Une cour située sur la rue de Siam ;
3° Des deux côtés de la cour : une cuisine, une écurie et un pavillon ayant au bas une remise et au-dessus une chambre et deux petits cabinets ;
4° De petites maisons situées au-devant de la basse-cour, dans laquelle sont : un appentis, une rôtisserie, une glacière et un four ;
5° Un jardin ou terrasse, au midi de l'hôtel, de 286 pieds de longueur sur 120 de largeur ;
6° Un jardin potager de 180 pieds de long sur en 65 de profondeur.
L'hôtel Saint-Pierre servit tout d'abord de caserne aux gardes-marine et, pour augmenter la place d'armes, on acheta, en 1756, le terrain sur lequel ont été élevés l'aile gauche et les bureaux de la préfecture maritime [Note : L’aile gauche de la préfecture maritime a été démolie par les bombardements de 1941].
Les gardes-marine n'y restèrent pas longtemps, car l'hôtel Saint-Pierre dut être converti en hôpital, lors de la terrible épidémie de typhus de 1757.
L'ÉPIDÉMIE DE 1757.
Le 23 novembre 1757, l'escadre du comte du Bois de la Motte arrivait de Luisbourg avec 4 000 matelots atteints du « mal contagieux ». Dans l'affolement général, tous les malades qui peuvent être débarqués sont transportés « sans précautions, en chemise seulement, par un temps froid et pluvieux, dans des chaloupes qui les conduisent à terre, sans qu'il y eût de dépôts pour les recevoir ».
D'accord avec la marine et la municipalité, il est décidé que, outre les hôpitaux, on mettra à la disposition des malades une partie des églises, les casernes de Recouvrance, la maison des Billards (en face de l'hospice civil), le couvent des Carmes, le séminaire des Jésuites et l'hôtel des gardes de la marine ; des baraquements en bois sont construits dans le Petit-Couvent.
Les médecins discutent sur la nature de la maladie, mais, écrit le maire Martret, « ce qu'il y a de certain, c'est que les pauvres malades meurent pour ainsi dire comme des mouches ».
L'épidémie gagne de plus en plus la population urbaine. Pour ne pas alarmer le public, il est décidé « qu'on ne sonnera aucune cloche, tant pour accompagner le bon Dieu que pour agonie, annoncer la mort ou enterrement : aucune tenture ne sera posée ni à la porte des morts, ni à celles des églises ».
On voudrait retirer les malades des maisons pour éviter une plus grande extension de l'épidémie, mais les pauvres gens ont de l'hôpital une telle horreur qu'il faut faire des visites domiciliaires pour les arracher de leur grabat, et cependant « les voisins qui n'avertissent pas de la présence des malades sont condamnés à faire le service d’infirmiers ».
Dès le début de l'épidémie, pour suppléer au manque d’infirmiers, on avait employé les forçats à qui l’on promit la liberté : il en mourut 109 en décembre, 290 en janvier.
« Les pauvres forçats, dit le docteur Fonssagrives, chargés de l'opération dégoûtante et périlleuse du nettoyage des cales des vaisseaux, au fond desquelles on devait trouver non seulement une pourriture infecte, mais encore un certain nombre de cadavres, étaient considérés, par avance, comme des pestiférés, séquestrés dans un coin isolé de la chiourme ; ils travaillaient à leur besogne méphitique avec des vêtements spéciaux qu'ils déposaient avant de rentrer au bagne, recevaient une nourriture particulière et obtenaient, à titre de préservatif hygiénique et d'allocation supplémentaire, une gousse d'ail par jour et une ration d'eau-de-vie ».
Huit cent cinquante de ces misérables furent atteints, en même temps, par le fléau. Vers la fin de février 1758, le mal cessa : il était mort à Brest plus de dix mille malades.
A côté des médecins de marine et des chirurgiens, accourus en grand nombre de toute la Bretagne, à l'appel de l'intendant, le maire de Brest, Martret, auquel les États firent hommage d'une bourse de jetons et nos magistrats municipaux rivalisèrent de zèle et d'abnégation dans la lutte contre le fléau. L'un d'eux, le procureur-syndic Malassis, fut l'une des premières victimes de l’épidémie.
Deux conseillers : Mondenner et Le Coat de Saint-Haouen, furent les seuls qui, en s'abstenant d'assister aux séances de la Communauté et de prendre part aux visites domiciliaires, ne firent pas leur devoir : ils furent destitués et remplacés au sein du corps municipal.
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En 1769, les gardes-marine allèrent occuper l'ancien séminaire royal des aumôniers des vaisseaux, devenu libre par suite de l'expulsion des Jésuites, et le régiment de Beauce qui y était caserné fut évacué sur l'hôtel Saint-Pierre.
Deux ans plus tard, cette demeure fut attribuée au comte de Roquefeuil, commandant de la marine, et ce fut son successeur, le comte de Breugnon, qui y fit édifier une chapelle en 1773.
L'HÔTEL DE LA RÉPUBLIQUE.
Avec la Révolution, l'hôtel Saint-Pierre devient l'hôtel de la République et sert de résidence aux Représentants du Peuple.
On rapporte que l'un d'eux, Prieur de la Marne, à la nouvelle des événements du 9 thermidor et de la mort de son ami Robespierre, mutila, dans un mouvement de colère, le buste de La Motte-Piquet, dont le sculpteur Balingant avait fait don aux officiers du port de Brest et qui, par ordre du ministre, avait été placé, en 1791, dans le salon Tourville de l'hôtel du commandant de la marine.
L'ancien hôtel Saint-Pierre est alors considéré comme propriété nationale, malgré les termes du décret du 12 mars 1791, qui « conservait à la marine la jouissance des maisons et terrains qu'elle possédait », et la municipalité cherche à l'acquérir, en 1793, pour y réunir : l'hôtel de ville, les tribunaux de district et de commerce, la justice de paix, l'arsenal de la commune, le dépôt des pompes à incendie et une maison d'arrêt.
Le tribunal correctionnel et le citoyen Mocaër, chargé de l'instruction contre les membres de l'ex-tribunal révolutionnaire, vinrent s'y installer en 1795. Mais, l'année suivante, le premier étage de l'immeuble fut mis à la disposition du vice-amiral Morard de Galles, commandant des armes, et le 23 septembre 1797, l'hôtel Saint-Pierre fut définitivement réservé aux commandants en chef du port de Brest.
LES PRÉFETS MARITIMES DE 1800 A 1940.
Nous terminerons l'historique du vieil hôtel Saint-Pierre, en rappelant les noms des préfets maritimes qui se sont succédé pendant le XIXème siècle, et en donnant quelques notes biographiques sur plusieurs d'entre eux qui ont leur place dans les gloires maritimes de la France.
Le comte de Caffarelli (1800-1810) fut le premier préfet maritime de Brest. Il trouva le port dans un état de dénûment complet.
C'est sous son préfectorat que furent construites la 4e forme de Pontaniou et la digue ou île factice, à l'embouchure de l'anse de la Villeneuve.
En témoignage de la reconnaissance qu'elle devait à M. Caffarelli, la ville fit hommage à la marine d'une des belles statues de Coysevox que venait de lui donner le Premier Consul : l'Amphitrite qui ornait la cascade de Marly fut érigée, en l'an XIII, sur la place du Magasin général.
Le comte Dordelin (1810-1811), né à Lorient le 13 mars 1764 et mort, dans cette même ville, le 22 novembre 1836.
Louis Léger (1811-1813), ancien préfet colonial des établissements français du cap de Bonne-Espérance.
Vice-amiral baron Bouvet (1813-1814), né à Lorient, le 23 avril 1754, mort à Brest, le 21 juillet 1832.
Bouvet naviguait, dès l'âge de douze ans, sur les bâtiments que commandait son père, capitaine de vaisseau de la compagnie des Indes, quand il entra, en 1779, dans la marine militaire. Nommé contre-amiral, en 1793, il commanda l'avant-garde de l'armée navale de Villaret-Joyeuse dans les journées du 10 et du 13 prairial an II. Le Terrible, qui portait son pavillon, rentra à Brest démâté et coulant bas d'eau, après avoir lutté glorieusement contre trois vaisseaux.
Baron Cosmao-Kerjulien (14 avril 1815) ; comte Truguet (7 août 1815). Vicomte Bernard de Marigny (1816).
Comte de Gourdon (1816-1826). L'hôpital de la marine et le premier bassin du Salou furent construits sous l'administration du comte de Gourdon.
L'amiral baron Duperré (1827-1830). Victor Duperré, né à La Rochelle, le 20 février 1775, était le vingt-deuxième enfant d'un receveur de tailles. Embarqué en 1793, comme sous-chef de timonerie, puis aspirant sur la Virginie, il prit part au glorieux combat que ce bâtiment soutint, en 1795, pendant plus de trois heures, contre trois frégates anglaises.
Capitaine de vaisseau, commandant la Bellone, Duperré défendit victorieusement l'Ile de France en 1810 et fut fait, à son retour, contre-amiral et baron (1811). Préfet maritime de Toulon, pendant les Cent-Jours, il dut à cette circonstance de rester en disgrâce jusqu'en 1818.
Après la guerre d'Espagne, où il eut à diriger le bombardement de Cadix (1823), Duperré fut nommé vice-amiral et, en 1830, il fut chargé du commandement de l'armée navale destinée à opérer contre Alger. La flotte, Composée de 105 bâtiments de guerre, dont sept à vapeur (c'étaient les premiers employés), et de plus de 500 navires de commerce, portant une armée de 37 000 hommes, partit de Toulon le 25 mai, débarqua trois semaines plus tard à l'ouest d'Alger et, dès le 5 juillet, Alger tombait en notre pouvoir.
Nommé amiral et pair de France, Duperré fut trois fois appelé, sous Louis-Philippe, au ministère de la Marine, et mourut à Paris, le 2 novembre 1846.
Son cercueil fut déposé aux Invalides, et sa statue en marbre fut placée au musée de Versailles.
Le nom de Duperré a été donné à l'une des rues du quartier Saint-Martin.
Amiral baron Roussin (1830-1831). Fils d'un avocat au parlement de Bourgogne, Roussin s'embarqua comme mousse à douze ans, pour sauver son père, détenu comme suspect (1793). Il prit part, en 1810, au combat du Grand-Port (Ile-de-France), à l'issue duquel il fut nommé capitaine de frégate.
Après son passage à la préfecture maritime de Brest, il fut envoyé en Portugal pour demander réparation d'insultes faites à des résidents français par dom Miguel, força l'entrée du Tage, regardée comme inexpugnable (11 juillet 1831), et obtint dans les vingt-quatre heures toutes les satisfactions réclamées.
Il fut, en récompense, élevé au grade de vice-amiral, et bientôt après à la pairie, avec le titre de baron. Nommé amiral, en 1840, il fut appelé, en même temps, au ministère de la Marine et mourut le 21 février 1854.
Vice-amiral Bergeret (1832-1834) ; vice-amiral baron Grivel (1834-1846) ; vice-amiral Le Blanc (1846-1852) ; vice-amiral Tréhouart (1852-1855) ; vice-amiral La Place (1855-1858) ; vice-amiral Odet-Pellion (1858-1861) ; vice-amiral comte de Gueydon (1861-1866) ; vice-amiral Dupouy (1866-1868) ; vice-amiral Reynaud (1869-1871) ; vice-amiral baron Didelot (1871-1873) ; vice-amiral vicomte Fleuriot de Langle (1873-1874) ; vice-amiral baron Méquet (1874-1878) ; vice-amiral Bourgois (1878-1879) ; vice-amiral Bonnic (1879-1882) ; vice-amiral Peyron (1882) ; vice-amiral Lafont (1882-1885) ; vice-amiral Duburquois (1885-1888) ; vice-amiral Zédé (1888-1892) ; vice-amiral de la Jaille (1892-1893) ; vice-amiral Besnard (1893-1895) ; vice-amiral Barréra (1895-1897) ; vice-amiral Fournier (1897-1898) ; vice-amiral Barréra (1898-1900).
Vice-amiral de Courthille (1901) ; vice-amiral Roustan (1901-1902) ; vice-amiral Gourdon (1903) ; vice-amiral Mallarmé (1903-1904) ; vice-amiral Péphau (1905-1907) : contre-amiral Boue de Lapeyrère, nommé vice-amiral le 13 janvier 1908 (1907-1909) ; vice-amiral de Marolles (1909-1911) ; vice-amiral Chocheprat (1911-1913) ; vice-amiral Berryer (1914-1915) ; vice-amiral Moreau (1915) ; vice-amiral Pivet (1915-1917) ; vice-amiral Le Bris (1917) ; vice-amiral Moreau (1917-1919) ; vice-amiral Salaün (1919-1920) ; vice-amiral Aubry (1920-1921) ; vice-amiral Schwérer (1921-1922) ; vice-amiral Fatou (1922-1923) ; vice-amiral Dumesnil (1923) ; vice-amiral Grout (1923-1925) ; vice-amiral Le Vavasseur (1925-1928) ; vice-amiral Pirot (1928-1930) ; vice-amiral Dubois (1930-1932) ; vice-amiral Laurent (1932-1935) ; vice-amiral Castex (1935-1936) ; vice-amiral Devin (1936-1938) ; vice-amiral Traub (1938-1940).
RUE TRAVERSE.
Nommée rue de l’Hôpital, sur le plan de 1694, la rue Traverse commençait à la rue de Siam et se terminait rue du Château, au mur de clôture de l'hôpital. Son prolongement jusqu'au cours Dajot ne fut effectué que beaucoup plus tard, vers 1770, lors du comblement des carrières et l'établissement d'une promenade le long du rempart qui borde la rade.
La rampe, qui conduit de la rue de Siam à la rue Suffren, aboutissait à un escalier permettant d'accéder au vallon de la Villeneuve, là où se voit aujourd'hui la maison n° 68, de la rue Louis-Pasteur.
Désignée sous le nom de rue Traverse-de-l'Hospice, par arrêté du 5 messidor an II, et de rue Traverse-de-l'Hôpital, en 1811, elle ne tarda pas à être appelée par abréviation : rue Traverse.
L'HOSPICE CIVIL.
Nous avons vu (rue Émile-Zola) que la duchesse de Portsmouth, qui avait un pied-à-terre à Brest, posa la première pierre de l'hospice, le 4 mai 1686, dans le jardin du couvent des Carmes, à l'encoignure des rues Traverse et Saint-Yves. Tout à côté, on édifia une chapelle en 1708 et la plupart des divers bâtiments furent élevés au cours du XVIIIème siècle.
Il est à remarquer que l'hospice, construit tout d'abord dans le faubourg de la ville, ne tarda pas à se trouver en plein centre de la cité et, pendant près d'un siècle, les municipalités songèrent à le bâtir en dehors des fortifications.
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Ce projet ne fut réalisé qu'il y a quelques années. Un magnifique hôpital vient d'être construit sur les terrains de Kerabécam, dans le quartier Saint-Martin.
LE « TOUR » DE L'HOSPICE.
C'est dans la rue Traverse, près de la porte d'entrée de la Maternité, que fut établi, en 1827, le tour pour les enfants trouvés et abandonnés.
Le tour, qui ne devint obligatoire en France qu'en 1811, existait à l'hospice de Brest, dès 1696, dans la rue Saint-Yves, près de l'ancienne porte de l'hôpital.
Il consistait en une petite fenêtre, percée dans le mur et garnie de deux portes, l'une extérieure, et l'autre intérieure. Entre ces deux portes et dans l'épaisseur du mur se trouvait un berceau. Dès qu'une personne, venant déposer un enfant, ouvrait la porte extérieure, le mouvement même qu'elle lui donnait agitait une sonnette et ce bruit appelait la religieuse de garde qui devait toujours se tenir dans la chambre intérieure.
Le vieux tour de la rue Saint-Yves fut maçonné en 1827 et transféré dans la rue Traverse.
Considérés par beaucoup d'économistes comme immoraux, les tours ne survécurent pas, dans la plupart des départements, à la grande enquête de 1861 et celui de Brest fut définitivement fermé le 1er août 1864. On y avait recueilli, depuis 1820, 12 720 enfants.
LES ENFANTS TROUVÉS.
On trouva alors, pendant quelque temps, nombre de ces petits êtres abandonnés à la pitié et à la charité publiques, sous le porche des églises, sur les marches de l'hospice, dans des entrées de maisons et même dans la guérite du factionnaire qui, depuis 1859, était de garde chaque nuit près du tour, et avait pour consigne de dire à la personne qui venait pour déposer un enfant, d'aller le porter au bureau d'admission établi à l'hospice.
L'aventure arriva un soir de septembre 1884 (le tour était fermé depuis un mois) à un factionnaire qui, s'étant éloigné quelques instants de son poste pour voir passer la retraite dans la rue du Château, trouva, à son retour, un nouveau-né dans sa guérite. Il fut inscrit à l'état-civil sous le nom de Danguérite.
PLEUREUSES ET CRIEURS.
Enfants abandonnés et orphelins entretenus par l'hôpital étaient autrefois employés à diverses besognes que nous croyons devoir relater, car elles apportent leur contribution à l'histoire de nos anciennes coutumes locales.
Jadis, quand une famille perdait un de ses membres, elle faisait bannir, annoncer à tous les carrefours de la ville, par des garçons de l'hospice, munis de clochettes, les noms et qualités du défunt.
Sur la demande de l'autorité municipale cette publication des décès fut supprimée en 1848.
Les enfants des deux sexes assistaient également aux convois funèbres et leur nombre variait selon le désir des familles, ou la classe plus ou moins luxueuse de la cérémonie ; les filles, vêtues de capes noires, étaient dites pleureuses.
Après chaque cérémonie funèbre et au retour du cimetière, les enfants se rendaient à la maison mortuaire, où on leur donnait à chacun un morceau de pain blanc beurré, qu'ils devaient rapporter intact à l'hospice. Plus tard, le pain et le beurre furent directement envoyés à l'hôpital et, quand cet usage tomba en désuétude, on se borna à payer les enfants qui assistaient aux enterrements : c'était un revenu annuel, pour l'hospice, d'environ 3 000 francs.
Une autre coutume qui datait de près de deux siècles, quand elle disparut, en 1870, était celle d'employer les enfants de l'hospice, comme crieurs dans les ventes publiques. Le garçon en permanence devant la porte de la maison où s'effectuait la vente attirait l'attention des passants par ses annonces monotones et modulées, sur un ton bien connu de la population d'alors.
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C'est en 1826, sur l'emplacement des baraques dont l'une servait de morgue et à travers lesquelles un étroit passage donnait accès à l'hospice, du côté de la rue Traverse, que fut édifié le pavillon servant d'entrée principale et où se trouvaient réunis les bureaux de l'administration, occupés aujourd'hui par le Conseil des prud'hommes.
La même année furent achevés les bâtiments de la maternité et du dispensaire, édifiés sur le vaste terrain compris entre les rues Traverse et Neptune, que la commission hospitalière avait eu l'autorisation d'acquérir avec le produit de la vente de l'ancien jardin des Carmes.
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Au n°1 de l'impasse de la rue Traverse qui se terminait autrefois à un parapet dominant le cours Dajot, était l'institution Saint-Georges, qui fut converti en ambulance pendant la guerre de 1870.
La pension Lacombe et Goëz était installée au n° 13 ; elle devint l'institution Goëz, de grande réputation pour ses succès dans la préparation aux grandes écoles et particulièrement à l'école navale.
Le cercle maritime se trouvait au n° 25 (aujourd'hui 39) et au n° 23, était l'un des deux seuls cabinets dentaires que Brest comptait en 1835. Il était tenu par Mme Soutanie, chirurgien-dentiste, dont l'adresse dans l'annuaire était suivie de l'annonce suivante :
« Elle prévient MM. les habitants qu'elle fait toutes les opérations relatives à l'art du dentiste. Elle extrait, cautérise, plombe les dents ; nettoie la bouche et, pose des dents artificielles. Jalouse de mériter les suffrages, elle mettra tous ses soins à satisfaire les personnes qui l'honoreront de leur confiance. Elle extrait gratis les dents aux indigents, depuis trois heures jusqu'à quatre heures ».
RUE VOLTAIRE.
La rue Voltaire, ainsi appelée depuis 1792, portait autrefois le nom de Saint-Sébastien, qui est resté gravé dans le granit de la maison sise 4, rue Voltaire. Elle avait été tracée, en effet, le long d'un chemin qui, commençant dans l'ancienne ville, au quartier des Quatre-Vents (rue Neptune), longeait la rade, passait en se courbant vers la gauche, sous la traverse voûtée du bastion de Daoulas (au nord de l'ancienne poudrière du cours Dajot) et aboutissait à l'avenue de Kéroriou, après avoir traversé un cimetière, sur le glacis au milieu duquel s'élevait le chapelle Saint-Sébastien.
En 1803, la sous-préfecture fut installée au n° 5 de la rue Voltaire et, jusqu'en 1867, la poste aux lettres se trouvait au n° 4, à l'encoignure des rues Voltaire et Jean-Macé.
LA POSTE AUX LETTRES.
C'est de là que partait, tous les jours, à sept heures du matin, la malle-poste pour Paris, par Landerneau, Morlaix, Saint-Brieuc, Rennes, Laval, Alençon, Dreux et Versailles, avec 41 relais.
Le voyage de Brest à Paris s'effectuait en cinquante-trois heures et le retour en quarante-huit.
La malle-poste comprenait trois places d'intérieur, mais, le mardi et le samedi, on ne pouvait accorder que deux places pour Paris, la troisième étant réservée pour le bureau de Rennes. Le poids du bagage de chaque voyageur ne pouvait excéder 25 kilogrammes et les malles ne devaient pas mesurer plus de 0m,70 de longueur, 0m,40 de largeur et 0m,35 de hauteur.
Le prix des places était tarifié à raison de 1fr.75 par myriamètre, ce qui portait le prix du voyage Brest-Paris à 108 francs.
Le bureau de la poste fut transféré, en 1867, au n° 17 de la rue Voltaire ; puis, en 1878, au n° 15, de la rue Traverse, où il demeura, jusqu'en 1890, date de son installation dans l'ancien hôtel Lamarque, à l'angle des rues du Château et d'Aiguillon.
FÊTE FUNÈBRE A LA LOGE, EN 1806.
La maison n° 17 de la rue Voltaire était autrefois le siège de la société l'« Athénée », qui offrit ses vastes salons, en 1806, à la loge « l'Heureuse rencontre » pour la fête funèbre célébrée, le 9 prairial an XIII, à l'occasion de la mort de l'amiral Bruix.
Un curieux mémoire — procès-verbal officiel de la fête — nous fait connaître la décoration du temple et les détails de la cérémonie :
« En entrant dans le Temple, l'âme des F. F ... s'abandonnait à de justes sentiments de vénération et de recueillement ; l'œil, étonné de ne se promener que sur des objets de deuil, s'arrêtait bientôt sur un cénotaphe imposant, élevé sur un monticule de gazon émaillé de fleurs. Le tombeau de marbre noir était surmonté d'une pyramide, dont les quatre faces présentaient les inscriptions ci-après :
Au grand capitaine. — Au marin distingué. — A l'homme d'État. — Au bon père de famille.
Au-dessus de ce monument planait l'aigle, symbole précieux à plus d'un titre, qui tenait, avec la foudre, les décorations militaires et maç ... du F … Bruix. Le grand cordon, la grande croix de la Légion d'honneur, le camail de S ... P… R... C ..., le cordon et le tablier de l'écharpe d'amiral, unis en trophée, se prêtaient un éclat réciproque.
Au pied de la pyramide, étaient le chapeau et l'épée de ce F… Des saules pleureurs, des couronnes de cyprès et des bouquets de fleurs entouraient le tombeau, aux angles duquel étaient des cassolettes pleines de parfums, des faisceaux d'armes et d'étendards.
Parmi ces derniers, on distinguait le pavillon de l'Éole, l'un des vaisseaux que montait le F ... Bruix.
Trois lampes funèbres permettaient seulement de distinguer ces objets.
L'Orient, décoré avec goût et majesté, présentait un trône soutenu par quatre colonnes de granit. Au milieu du frontispice s'élevait le buste du héros auquel la France doit son bonheur et sur la corniche on lisait ces mots :
La L ... l'Heureuse rencontre à S. M. I. et R. Napoléon Ier.
De chaque côté du trône, en avant, flottaient les pavillons du vaisseau amiral l'Impérial et du vaisseau le Républicain. Derrière le trône, était placé un sopha destiné pour le T ... R ... F... Ganteaume, amiral, G.. off … du G …. O …. de France, pour le R … F… Duplessis, beau-père du R … F … Bruix, et pour le V ... M … Guilhem aîné, président des travaux du jour.
Le reste du temple était couvert d'un grand crêpe noir, parsemé de larmes et d'inscriptions ; le haut était relevé par une guirlande de chêne et de laurier (emblème de la vraie gloire) et par une draperie blanche descendant en festons et artistement placée.
Les colonnes de l'Occident étaient dépouillées de leurs attributs de splendeur ; les bureaux de tous les dignitaires étaient aussi couverts de crêpes noirs et blancs, unis avec simplicité et mêlés de couronnes de fleurs.
Trois lustres concouraient à éclairer la voûte du temple, et de nombreux flambeaux triangulaires terminaient la décoration de ce lieu, destiné à pleurer sur la tombe d'un citoyen précieux et d'un Maç … chéri ».
Et l'extrait du « livre d'architecture de la R ... L ... de l'Heureuse rencontre, à l’O … de Brest, extraordinairement convoquée et réunie sous le point géométrique connu des vrais M … en ce 29ème jour du 3ème mois de l'an de la V ... Lum ... 5805 », nous livre tous les secrets de la cérémonie.
Les maîtres des cérémonies donnent tout d'abord l'entrée du temple aux FF ... visiteurs, étrangers à la Loge ..., et, parmi eux : les contre-amiraux Leissègues et Villaumez ; les généraux Lamarque, Darmagnac et Augereau ; le chef d'administration de la marine Rignac ; le chirurgien en chef Beauquet, etc.
Puis arrivent les délégations des régiments : la Parfaite Union, du 7ème et du 16ème ; les Élus de Minerve, du 37ème de ligne. En pénétrant dans le temple, elles passent sous la voûte d'acier, tandis que la musique fait entendre le quatuor de Lucile : Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille ?
« Les Ven … de ces L ... témoignent leur reconnaissance de l'accueil qu'elles reçoivent. Ils expriment les sentiments énergiques qu'ils éprouvent particulièrement, puisque, par état, susceptibles de parcourir divers OO ... français et étrangers, l'heureuse et sublime institution maçonnique leur fait trouver partout des FF ... et des amis. Le triple vivat de ces RR ... L ... est couvert par celui de l'Heureuse rencontre ».
La Loge des Élus de Sully, de Brest, fait ensuite son entrée, aux accents « d'un morceau de Mozart, relatif à la cérémonie » et le R ... F ... Vén ... Gréban, qui marche à sa tête, reçoit le baiser fraternel et une paire de gants.
Chacun est à son rang avec les honneurs et décorations qui lui appartiennent ; le calme et la douleur règnent partout. Si Bruix n'est plus, son souvenir est dans tous les cœurs ; ses décorations maçonniques, et celles militaires que lui méritèrent ses grands services, sont suspendues sur son catafalque ; l'encens brûle ; les lampes funéraires, qui jettent une lueur faible, laissent apercevoir les inscriptions qui rappellent sa vie glorieuse, ses vertus privées, et tout à la fois le terme des choses humaines.
La musique, qui exécute le chœur de Roméo et Juliette, entretient cette mélancolie expansive, mais elle est suspendue par l'approche du T … R ... F ... Ganteaume, amiral, conseiller d'État, grand-officier de la Légion d'honneur, commandant de l'armée navale et grand off ... du G ... O ... de France.
Une députation de vingt et un membres l'introduit dans le temple ; la triple voûte d'acier couvre sa personne et les FF ... de l'harmonie font entendre, pendant sa marche, l'ouverture de Démophon.
Arrivé à l'autel, le Vén ... lui offre des gants et veut déposer le maillet dans les mains de la grande lumière, afin d'en faire refluer les effets dans l'atelier. Le T ... R ... F ... Ganteaume improvise des remerciements infiniment honorables pour la L ... et son Vén … qu'il prie instamment de conserver le maillet.
Après avoir retracé les vertus privées et les services éminents de l'amiral Bruix, le Vén .... Guilhern termina ainsi son discours :
« O Napoléon ! toi qui, pour le bonheur de la France, as fondé sur des bases inébranlables le seul gouvernement qui lui convient ; toi qui, dès l'aurore de ton règne, as fait cesser les haines et les dissensions qu'entrain après elle une révolution délirante ; toi qui, en donnant une nouvelle vie à la religion de nos pères, as créé dans le même instant un Code civil qui passera à la postérité la plus reculée ; daigne agréer les vœux que nous adressons au Grand Arch ... de l'univers, pour qu'il veille sur tes jours, qu'il les prolonge et qu'il t'accorde, ainsi qu'à ton auguste épouse, sa protection toute-puissante. Allons maintenant, mes FF ..., rendre nos derniers devoirs au R … F … Bruix, qui avait toute notre affection. Que le silence, le recueillement, la vénération dirigent nos pas dans les trois voyages mystérieux que notre ordre nous indique ; et que les fleurs que nous déposerons sur son tombeau soient offertes par l'amitié, l'attachement et la reconnaissance ».
« Le premier voyage mystérieux commence dans un profond recueillement. Chaque F ... tient un glaive d'une-main et des fleurs dans l'autre.
L'harmonie exécute, pendant la marche silencieuse des F ..., le chœur de Roméo et Juliette et la marche de la Bataille d'Ivry.
Puis, le F ... Gleizes vient lire un discours sur la Maçonnerie que Bruix prononça à l'Heureuse rencontre, le 24 juin 1790. On le joint aux attributs déposés sur sa tombe, comme un hommage de plus à sa mémoire.
Un deuxième voyage est exécuté et le F ... Sibert-Cornillon a la parole pour l'éloge funéraire.
Puis, c'est le troisième voyage mystérieux autour du catafalque ; la tombe est couverte de fleurs, après quoi le Vén ... annonce que les devoirs funéraires dus à la mémoire de Bruix sont terminés ; qu'il faut laisser son ombre en paix et cesser les chants lugubres.
Un triple vivat termine la cérémonie ; les députations se retirent sous la voûte d'acier et le Vén ... ferme les travaux au sein de la paix et de l'union ».
LE COLLÈGE JOINVILLE.
Dans la rue Voltaire était l'institution Faure, fondée le 15 octobre 1833, par M. Faure, licencié ès sciences. Elle devint la pension Roudaut et, plus tard, le premier collège Joinville.
On sait que, grâce à l'activité de M. Lettré, maire de Brest, une ordonnance royale du 29 janvier 1839 créa dans notre ville un collège de première classe qui fut placé sous le haut patronage dn prince de Joinville, fils du roi, et à cette époque capitaine de vaisseau dans la marine française.
L'inauguration solennelle eut lieu, le 7 octobre suivant, dans les bâtiments de la pension Roudaut, dont l'une des façades occupait l'emplacement des maisons nos 1 à 7 de la rue Traverse actuelle qui, avant la construction de l'escalier, se terminait à un parapet.
L'autre façade donnait sur le cours Dajot et, à l'intérieur, une grande cour rectangulaire, plantée d'arbres, servait pour la récréation des élèves.
Une porte cochère, au-dessus de laquelle brillait en lettres d'or l'inscription : Collège Joinville, clôturait, sur la rue Voltaire, l'impasse de la rue Traverse qui formait une sorte de cour d'honneur au collège.
Cet établissement était insuffisant et n'avait, du reste, été acquis par la ville qu'à titre provisoire, Elle acheta, en 1844, pour 32 500 francs, une partie des terrains militaires dits du « Petit Couvent » et l'inauguration du nouveau collège devait avoir lieu pour la rentrée des classes d'octobre 1848 en présence du prince de Joinville, quand, au mois de février, éclata la Révolution qui renversait Louis-Philippe et instaurait la seconde République.
La municipalité profita des événements pour obtenir la transformation de son collège en lycée ; elle fut accordée par décret du 28 septembre 1848, et, le 3 octobre suivant, une imposante cérémonie marquait l'inauguration du lycée de Brest.
LE PALAIS DE JUSTICE.
Le Palais de Justice de la rue Voltaire fut édifié en 1845.
C'est dans le logement affecté au tribunal révolutionnaire — dans une maison de la rue de Siam portant aujourd'hui le n° 24 — que le tribunal civil siégea jusqu'en 1830, « un indigne galetas, écrit le procureur du roi de Keranflech, au maire de Brest, le 6 février 1829. Les membres du tribunal sont enfin décidés à faire tout ce qui dépendra d'eux pour obtenir la construction d'un palais de justice, car je ne saurais dire combien la dignité de la justice a à souffrir de l'indécence de ce local ».
La municipalité partage l'avis des juges et, dans sa séance du 1er mai, affirme « qu'il y a une sorte de honte à confesser à l'étranger qui vient visiter notre ville et son grand port, qu'il n'y a pour palais de justice qu'une chambre, garnie sans décence ».
Bien qu'elle n'y soit pas obligée — le tribunal devant être construit aux frais du département — elle décide de concourir pour un tiers dans la dépense et désigne comme terrain, propre à l'emplacement du palais de justice, l'ancien jardin des Vêpres (rue Foy), comportant une façade de 25 mètres sur la rue Voltaire.
D'autres projets furent mis à l'étude, entre autres celui d'édifier le tribunal dans le Petit-Couvent, à l'angle de la rue d'Aiguillon et de la rue du Château. Un seul fut retenu et le palais de justice, dû aux lignes sévères de l'architecte Bigot, fut construit sur le terrain dit « jardin de l'Observatoire », qui avait fait retour au domaine, après avoir été acheté par la marine, en 1783, pour y établir un observatoire de la marine.
Entre temps, le tribunal avait été transféré de la rue de Siam « en face les Portes », dans la maison Holley.
RUE DE LA VOUTE.
La rue de la Voûte fut ouverte vers 1691 sous le nom de Petite rue vers le Corderie. C'était un étroit passage qui conduisait à la Corderie, établie entre les rues Kéravel et Louis-Pasteur actuelles, depuis l'endroit occupé par l'horloge du port jusqu'à l'angle de la rue et de la place Marcellin-Berthelot.
Nous avons vu que ce bâtiment appelé Vieille Corderie, lors de la construction en 1687 de la corderie basse dans l'intérieur de l'arsenal, fut consumé par un incendie le 30 janvier 1744.
La corderie passait au-dessus de la ruelle, où on construisit un escalier voûté, en 1687, pour mettre en communication la ville basse et le quartier Kéravel. L'escalier fut reconstruit en 1719, et c'est depuis cette époque que, comme la rue et le prolongement de celle-ci jusqu'à la rue de l'Égout, il a pris le nom qu'ils portent l'un et l'autre.
(Louis Delourmel).
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