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LES CALVAIRES EN BRETAGNE.

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Les Calvaires bretons tiennent une place spéciale et bien typique dans l'histoire de l'art religieux en France. Ces singuliers et multiples petits édifices de granit, dont nulle part ailleurs on ne trouve l'équivalent et qui se présentent à nous sous des formes diverses, portent, aussi fortement que l'empreinte du sol qui les vit naître, la marque morale du peuple qui les éleva. Afin de comprendre et leur genèse et l'évolution qu'ils suivirent, il est nécessaire de se reporter à bien des siècles en arrière d'eux et de rattacher leurs traditions aux traditions plus lointaines qui les précédèrent.

Il y a, dans l'histoire des religions, peu de pages aussi curieuses que celles de la transformation de la vieille Armorique païenne en Bretagne chrétienne. Jamais race ne fut plus Solidement attachée à ses croyances ancestrales et ce même christianisme moyen-âgeux, qui y demeure encore incrusté, n'eut pas moins de peine à se substituer jadis aux vieilles divinités autochtones qu'aujourd'hui l'esprit moderne à y pénétrer à son tour. Ce ne fut qu'en se fondant en quelque sorte avec eux que les autels du Christ parvinrent à se substituer lentement aux autels de Teutatès, jamais en les cormbattant en face, mais en acceptant bien souvent leurs superstitions mêmes et les rites de leur culte. Quand la légende et l'histoire ne seraient pas là pour nous l'attester, plus d'un monument, debout sur le sol, nous en servirait de témoin.

La plus ancienne religion qui ait régné sur la Bretagne, comme sur la Gaule, est celle que l'on nomme communément la religion druidique. Qu'il nous suffise de rappeler ici que ses Menhirs (pierres levées) et ses Dolmens (pierres couchées et formant toiture, portées par des pierres levées) remontent, en grande partie, à l'époque préhistorique et sont l'œuvre de races d'un nom inconnu, antérieures aux Celtes. Les spécimens de cette architecture toute rudimentaire, sont particulièrement nombreux en Bretagne, où le granit abonde, et où il suffisait de dresser sur le sol, à grand renfort d'hommes ou de bêtes de somme, les plus beaux blocs qui s’y trouvaient couchés ou légèrement enfouis. Moins qu'ailleurs aussi, ils y ont été détruits an cours des siècles qui suivirent. Ce culte de la pierre, de la pierre robuste, immuable et rude, que battent et flagellent en vain les formidables vents du large et les intempéries du ciel, s'était, semble-il, adapté à merveille à cet autre granit qu'est le cerveau breton, qui, inconsciemment avait trouvé là son symbole.

Les Romains, ayant conquis le pays. tentèrent, les premiers, d'y implanter leurs Dieux. Un monument singulier, intéressant entre tous, le fameux Menhir-autel de Kerdavel (Finistère), nous montre déjà que, comme plus tard le Christ, les Dieux nouveaux durent se mettre à l'abri des anciens autels et, pour s'y substituer, leur empruntèrent à eux-mêmes l'indéracinable respect qui les entourait. Ce menhir, qui s'érigeait autrefois à Kerdavel, petit village de la région de la Baie d'Audierne, voisin de Plobannalec, a été acquis, à la fin du siècle dernier, par le savant archéologue P. du Châtellier, qui l'a fait transporter, à quelques kilomètres de là, dans le parc de son Château de Kernuz, où on le voit aujourd'hui. Sculptés dans le granit du menhir, usés par le temps, mais dessinant nettement leur silhouette aux rayons frisants dit soleil, apparaissent un Mercure Psychopompe (Conducteur des Ames) un Jupiter Dispater Père des Dieux), un Mars Gaulois, avec des cornes, une Vénus et un Vulcain. La superposition d'une religion à l'autre est flagrante.

Puis les Romains passèrent et le paganisme druidique demeura triomphant augmenté seulement de quelques autres superstitions. Du Vème au VIIème siècle, la Grande Bretagne (Angleterre actuelle, déjà attachée en partie au christianisme, entreprit la conversion de la Bretagne continentale, restée complètement en dehors du mouvement du reste de la Gaule, et lui envoya, par delà les flots, toute une série de saints personnages, qui apportèrent la bonne parole.

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La tâche était malaisée d'inculquer la douce religion du Christ à ces populations farouches, livrées aux vieux cultes de sang, aux croyances les plus fétichistes, et sur qui les derniers Druides et les dernières Druidesses, transformés en sorciers et en sorcières, avaient conservé tout pouvoir. Il fallut composer avec le passé et, comme les Dieux romains sculptés sur le menhir de Kerdavel, ce fut dans les pierres des menhirs et des dolmens que le christianisme dut, pendant des siècles, se tailler des images.

Sur les pierres levées les plus vénérées s'érigea la Croix, afin que la même vénération confondît le nouveau symbole et l'antique croyance. Tel le menhir de Brignognan (Finistère), le Men-Marz ou Pierre du Miracle, l'un des plus beaux, haut de dix mètres, qui porte, posé sur son sommet et gravé à s'a base, le signe du Christ. Tel le Menhir de Champ Dolent, près de Dol (Ille et-Vilaine), un des plus remarquables également, qui sert de piédestal au Crucifié chrétien. Telle encore, à Saint-Briac (Ille-et Vilaine), la Croix des Marins, dressée, comme à Carnac (Morbihan), sur un ancien dolmen, dont la table de granit servira en même temps de tribune au prêtre, pour prêcher la bonne parole. Élément que nous retrouverons tout à l'heure dans la composition du Calvaire.

Ici, c'est un menhir tout entier qui est sculpté en forme de croix (route de Belle-Ile-en-Terre à Locquenvel, Côtes-du-Nord). A l'église de Plouaret, près de Lannion (Côtes-du-Nord), la table elle-même du maître-autel n'est qu'un gigantesque menhir couché et taillé. Un peu plus loin, sur la route de Lannion, ce ne sont pas moins de Cinq Croix, d'allure étonnamment barbare, où subsiste une sorte d'atavisme des pierres levées druidiques, qui s'alignent devant le passant, sur un long bloc de granit. A Lanrivoaré, sur la côte nord de l'extrême Finistère, une croix de granit, surmontant un petit édicule qui servait d'autel et qui abrite, sous une arcade, une statue de la Vierge, domine gravement et sanctifie huit grosses pierres rondes, de calibre inégal, vieux fétiches druidiques, devenus huit Pains pétrifiés par saint Hervé, neveu de saint Rivoaré, pour punir un boulanger de lui avoir refusé l'aumône. Aujourd'hui encore, personne ne fait le tour de l'enclos sacré, que pieds nus et sabots à la main.

A la simple Croix, et afin de rendre plus sensible à la foule la religion nouvelle qu'on lui prêche, s'ajoutent bientôt, par les soins des premiers apôtres bretons, des figurations diverses. Sur le curieux Menhir de Saint-Duzec, près de Lannion (Côtes-du-Nord), sont représentés les Instruments de la Passion : l'Échelle, l'Éponge de fiel, le Marteau du bourreau, les Clous, les Tenailles ; la Vierge pleure, sous les pieds du Christ, entre la Lune et le Soleil, qui marquèrent, en se voilant, le deuil du monde ; un Coq rappelle le reniement de saint Pierre. C'est un aide-mémoire, un tableau parlant, à l'usage des passants.

De ces productions, primitives et naïves, et du même système de figuration visible de l'Évangile, devaient naître un jour (XIVème, XVème, XVIème siècles) les « Croix Ornées ». Sur les bras multiples de la croix s'étagent divers personnages : la Vierge tenant Jésus enfant ; les Saintes Femmes; les Gardes à cheval du Tombeau du Christ ; des Anges recevant dans un ciboire le sang qui coule des plaies du Christ. A Melrand (Morbihan, région de Pontivy), une Croix Ornée nous montre à son sommet l'emblème de la Sainte-Trinité : Dieu le Père, avec le Saint-Esprit sur sa poitrine ; en dessous, le Christ crucifié. Tout le long du fût de la croix s'échelonnent en chapelet dix têtes d'Apôtres. Sur le socle, la Mise au Tombeau et le Christ portant sa croix.

La réunion, perfectionnée, de ces divers éléments devait produire un jour le Calvaire. Le plus ancien Calvaire que nous rencontrions dans sa forme type est le Calvaire de Tronoën (Finistère), qui semble dater des dernières années du XVème siècle. Côte à côte avec la Chapelle du même nom, qui appartient au plus fin gothique flamboyant et découpe sur le ciel ses trois clochetons ajourés, il s'élève sur une légère éminence, au milieu des solitudes sablonneuses qui bordent la Baie d'Audierne. Il se compose d'un soubassement quadrangulaire, massif et sans ornement, qui, sur la partie supérieure de ses quatre faces, nous montre en haut-relief, en deux rangées superposées, un alignement de figurines sculptées, d'un art naïf encore, mais charmant. Elles sont à demi-léprosées de lichens gris et jaunes, et le sable, soulevé par le vent, qui les fouette éternellement, en a rongé le granit à demi, leur donnant l'aspect de quelque débris antique. On reconnaît les différentes scènes de la Vie du Christ, que nous retrouverons sur tous les autres Calvaires, notamment la principale d'entre elles, le Portement de Croix. Jésus porte sur son épaule une croix énorme, précédé d'un Reître insolent, et lié par une corde. Les deux Larrons le suivent, portant aussi leur croix en forme de tau (T). Les trois Croix du Christ et des deux Larrons s'élèvent sur la plate-forme, qui est ornée également, à leur base, des statuettes des Saintes Femmes éplorées.

Avec le remarquable Calvaire de Guéhenno, près de Josselin (Morbihan), nous trouvons une date précise, 1550, en même temps que la signature de l'artiste : J. GUILLONIC. Nous en trouvons une autre, 1554, au Calvaire de Plougonven, village à une douzaine de kilomètres S.-0 de Morlaix, dans la région des Monts d'Arrée C'est un joli petit monument, aux lignes fines et bien équilibrées, et qui repose sur un socle hexagonal. Deux autres dates encore, 1581-1588, sont inscrites au Calvaire de Guimiliau, qui est, avec celui de Plougastel, le plus intéressant de ces petits édifices, le plus grouillant de vie de toute la Bretagne, et qui fut exécuté en sept années, sous le règne d'Henri III.

Guimiliau, humble hameau entre Morlaix et Landerneau (dix-neuf kilomètres de Morlaix, vingt-deux kilomètres de Landerneau), doit son nom à Miliau, roi de la Cornouaille, assassiné par son frère vers 531, et mis ensuite au rang des Saints. Le Calvaire fait partie, avec le Cimetière, l'Église et l'Ossuaire, d'un ensemble architectural, encerclé d'un mur, et où l'on pénètre par une petite Porte Triomphale. Sous l'influence de la Renaissance, parvenue tant bien que mal et fort en retard au pays breton, qui se l'assimile à sa façon, le soubassement carré du Calvaire s'évide de quatre arcades, de hauteur d'homme, en arc plein, ouvertes sous quatre contreforts qui rayonnent de la masse centrale du monument et en allègent les lignes, en même temps qu'ils offrent à la sculpture une plus grande surface. Sur la face principale, un portique élégant, encadré de deux colonnes doriques cannelées, abrite un Autel surmonté de la statue de saint Pol-de-Léon. Sur le linteau du portique on lit : AD GLORIAM, DOMINI 1581. CRUX. EGO. FACTA. FUI (A. La gloire. Du Seigneur. 1581. Moi. Calvaire J'ai été fait.).

Mais le regard, curieusement attiré, se porte surtout vers le grand drame de l'Evangile qui se déroule devant nous, espèce de Mystère immobilisé dans la pierre, leçon figurée d'histoire religieuse, que tous ces acteurs de granit rendent plus sensible à la foule. Voici d'abord, en frise, au premier étage, la série des hauts-reliefs, parmi lesquels nous reconnaissons sans peine : l'Annonciation, la Nativité, l'Adoration des Mages (au bas de ce groupé se trouve la seconde date : 1588, la Présentation au Temple, la Fuite en Egypte, l'Entrée de Jésus Jérusalem sur un bourriquot aux longues oreilles, la Cène (Judas tient à la main un gros sac d'écus ; sur la table, dans un plat, est l'Agneau pascal), le Lavement des Pieds, le Christ au Jardin des Oliviers. Le travail de cette première série de sculptures est fort inférieur à celui des statuettes de la plate-forme. Elles sont visiblement, et les dates, inscrites le prouvent, l'œuvre d'un second artiste, qui acheva avec un moindre talent, l'ouvrage commencé. A ce même étage, aux quatre extrémités des contreforts, sont assis les Quatre Evangélistes.

D'une exécution plus serrée, d'un art plus savant sont les acteurs de la plate forme supérieure et une âme trépidante les anime Quatre motifs principaux représentent : Le portement de Croix, où l'on voit Jésus, large face et corps robuste, accroupi pour se reposer, sur un petit piédestal qui lui fait dominer quand même, comme il sied à un Dieu, la soldatesque qui l'entoure ; ces soldats portent le costume militaire contemporain de l'artiste, la lance et le petit bouclier rond, la « Salade » de fer ou le haut feutre sur la tête ; ils sonnent de l'olifant ou frappent sur leurs longs tambours, avec une verve digne de Callot ; La mise an Tombeau, où s'allonge sur un drap le corps inanimé de Jésus, entouré de la Vierge, des trois Marie. de Joseph d'Arimathie ; de Nicodème et de Gamaliel, qui tient la couronne d'épines, ainsi que de deux autres personnages en bonnet et d'un autre en chapeau, qui assistent à la scène ; La Résurrection, qui nous montre le Christ, haut et droit, avec une grande allure de gentilhomme, surgissant du tombeau ; les Gardes endormis se sont réveillés en sursaut et sont, sur place, renversés d'épouvante ; l'un d'eux, plus d'aplomb, se sauve, en jetant vers le Christ un regard étonné ; un autre, bien cuirassé dans son armure, le chef sans doute, que rien ne démonte et qui semble une sorte de duc d'Albe, est seul à ne pas s'effarer et regarde, non sans quelque effronterie, le Fils de Dieu ressuscité. Parmi les motifs secondaires, dont quelques personnages semblent avoir été déplacés, on reconnaît, en noble dame, richement vêtue, sainte Véronique tenant le voile de la Sainte-Face. Mais une scène surtout est pittoresque, celle qui, à l'occasion de la Descente de Notre-Seigneur aux Enfers, nous présente un sujet accessoire, l'histoire terrible et longtemps populaire en Bretagne, de Catell-Gollet, on Catherine-Perdue, dont le sort affreux est offert en exemple aux femmes qui tenteraient de l'imiter. Servante dissolue, non seulement elle cacha en confession le honteux péché d'amour, mais déroba une hostie consacrée, afin de la donner au Diable, qui était son amant déguisé et qui la lui avait demandée pour la profaner. Elle fut, en punition, condamnée aux flammes éternelles et, le lendemain de sa mort, reparut dans un buisson de feu, le visage plein de serpents et des salamandres dans les yeux, pour annoncer sa damnation à ses compagnes :

« Voici ma main, cause de mon malheur, - Et voici ma langue détestable ; - Ma main qui a fait le péché, - Et ma langue qui l'a nié. - Par Marie-Madeleine - J'ai été avertie, douze fois, - Qu'il fallait faire une confession - Sincère et complète, - Et que je serais pardonnée. - Un More [Note : Appellation commune du Démon] noir et gris, à longue queue, - Horrible, avec les griffes de ses pieds, - En me menaçant de me briser la tête, - M'a contrainte de rester bouche close. - Malédiction sur les mauvaises compagnies ! - Malédiction sur les bals et sur les danses, - Qui m'ont fait tomber dans le péché ! ».

L'artiste nous montre Catell, nue et les cheveux dénoués, saisie par des Diables que vomit une gueule énorme, qui est celle de l'Enfer ; l'un d'eux lui prend le cou dans sa fourche, un autre enfonce ses griffes dans la chair tendre de sa cuisse.

Nul doute, écrit à ce sujet Charles Le Goffic, qu'après l'explication de la Passion, le prêtre breton n'en vint à un enseignement plus direct et, comme il fait encore aujourd'hui dans les églises, ne fulminât contre la danse et les amusements profanes des jours de fête, en vouant les coupables aux flammes éternelles, à l'instar de cette malheureuse que l'on voyait là tordre sa bouche et clamer son désespoir. Il n'y a pas bien longtemps, un demi-siècle à peine, les prédicateurs bretons se servaient, toujours pour ce même enseignement des yeux, de tableaux peints qu'ils faisaient défiler durant leur prêche et où les Sept Péchés mortels étaient représentés par des animaux : l'Orgueil par un paon ; la Gourmandise par un cochon ; la Luxure par... Catell-Gollet [Note : L'église de Ploudalmézeau (Finistère), où nous les avons vus, possède encore des tableaux de ce genre, fort curieux, qui se roulent et se déroulent, et servent à l'éducation religieuse et morale des enfants de la paroisse. Les prêtres les emportent avec eux durant les tournées de catéchisme qu'ils font dans des villages environnants]. « L'un de ces prédicateurs, l'abbé Le Roux, s'était fait une spécialité de ce genre. Quand il arrivait à Catell-Gollet, retroussant sa soutane, il l'imitait entrant au bal et déployant ses grâces. Tout le monde, dans l'église, riait aux éclats. Mais bientôt survenait Belzébuth, qui s'emparait de sa proie, Catell se débattait en vain ; elle tombait en Enfer avec des rugissements si affreux que les auditeurs, glacés d'effroi, s'échappaient par toutes les portes, croyant avoir le Diable à leurs trousses ».

Telles devaient être exactement les prédications qui se faisaient sur la petite plate-forme du Calvaire de Guimiliau, où l'on monte par un escalier de quelques marches, pratiqué entre deux des contreforts. Le prêtre, circulant sur la plateforme, désignait avec une baguette les personnages ayant trait aux divers sujets qu'il commentait.

Une grande Croix Ornée s'élève du milieu de cette plate-forme, figurant à son sommet la Croix du Christ et au-dessous, sur deux autres bras, les Saintes Femmes. Le fût de la Croix Ornée, au lieu d'être lisse, est « épineux », comme un tronc d'arbre non écoté et qui a gardé l'amorce de ses branches. Or, la tradition conserve le nom de Croix de Peste (Kroaziou-ar-Vossenn) à toutes les croix épineuses qui furent érigées, principalement dans le Léon, à la fin du XVIème s, et au début du XVIIème siècle.

« La peste blanche est partie d'Elliant ; - Elle a emporté sept mille et cent victimes, - Cruel eût été le cour de celui qui n'eût pas pleuré - En voyant sept fils, d'une même maison, - Allant en terre dans une même charrette ! - La pauvre mère les traînait, - Le père suivait en sifflant ; - Il avait perdu la raison. - Sur la place du marché - On trouve partout de l'herbe à faucher. - L'église est pleine jusqu'aux seuils. - Et le cimetière jusqu aux murs. - On enterre tout le monde, grands et petits, - Et l'on ne trouverait plus un seul garçon. - Pour garder les moutons ».

Ce Chant de la Peste, encore populaire dans les villages des Montagnes Noires et des Monts d'Arrée, montre quel était l'effroi inspiré par la redoutable épidémie, qui se promenait dans toute la contrée, dévastant même Quimper, que l'évêque et son clergé étaient obligés de déserter. « Ce fut, dit le chanoine Moreau., en punition des péchés des hommes, qui étaient si débordés que l'on ne savait plus prier Dieu. La peste commença par les plus pauvres ; mais enfin elle s'attaqua, sans exception de personne, aussi bien aux riches nonobstant que c’était, disaient-ils, la maladie des gueux, et il en mourut des plus huppés ».

Il est donc permis de supposer que c'est à l'occasion d'un de ces fléaux, et pour en obtenir du Ciel la cessation, que fut élevé le Calvaire de Guimiliau. D'autant que l'on sait, d'une façon formelle, que c'est dans une circonstance analogue que fut exécuté, vingt et un ans plus tard, le proche Calvaire de Plougastel. Deux autres Croix, aujourd'hui détruites, celles des Larrons, accompagnaient sans doute la grande Croix, et deux autres bras de celle ci, disparus dans quelque destruction, portaient vraisemblablement les deux Gardes à cheval que nous retrouvons posés sur la porte d'entrée du Cimetière. La pierre employée est le granit dit de « Kersanton », le plus fin et le plus serré de grain des granits armoricains, qui s'extrait des carrières de Logonna-Daoulas, au fond d'une des anses profondes de la Rade de Brest. Toute la série supérieure de ces sculptures est, répétons le, œuvre de premier ordre, qui ne déparerait aucune de nos plus belles cathédrales. Et le voyageur s'étonne de trouver tant d'art et de charme dans ce coin perdu de Bretagne, où bien peu s'arrêtaient encore, il y a seulement vingt ans.

L'Église qui, dans le Cimetière, accompagne le Calvaire, appartient au gothique flamboyant et à la Renaissance fin du XVIème siècle et première moitié du XVIIème. L'Ossuaire, où, à mesure que s'emplissait le Cimetière, s'empilaient crânes et ossements, exhumés du sol, est accolé au côté gauche du porche. Une Chapelle Funéraire, datée de 1648 et du style de la Renaissance, avec chaire extérieure en pierre, pratiquée dans une fenêtre, entre deux colonnes, borde le Cimetière et complète l'ensemble architectural de Guimiliau.

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Le Calvaire de Plougastel fut érigé de 1602 à 1604, à l'occasion d'une peste qui sévit en 1598. Plougastel-Daoulas, situé sur les hauteurs pittoresques qui dominent la vallée de l'Elorn, ou Rivière de Landerneau qui forme entre Landerneau et Brest un vaste estuaire où remonte la marée, est également célèbre par la curieuse physionomie de ses habitants, industrieux et riches, moitié cultivateurs et moitié marins, qui ont gardé leur ancien costume aux couleurs violentes, bleues, jaunes, rouges et vertes chez les femmes. Les hommes portent des vestes bleues, à boutons d'or, et des culottes blanches ; quelques vieux ont conservé le bonnet rouge.

Le Calvaire est, dans une allure plus froide, du même type que celui de Guimiliau, dont il s'inspire visiblement. La disposition générale est identique : socle évidé d'arcades, avec un petit Autel entre colonnes, sur l'une de ses faces : une ligne de hauts reliefs ; les statuettes sur la plate-forme. Les personnages sont moins prime-sautiers, plus réguliers d'allure, plus hiératiques. Nous retrouvons les mêmes scènes de la Vie du Christ et de la Passion et, en partie, les mêmes costumes. Sur l'un des motifs : l'Entrée de Jésus à Jérusalem, ce sont des paysans bretons, en costume national, qui précèdent le Christ, en jouant du biniou et de la musette. L'opération de la Circoncision est pratiquée par un évêque mitré, face au public. Les trois grandes Croix de la plate-forme ont été conservées : une Croix Ornée au centre, à fût épineux, portant sur deux bras superposés deux Gardes à cheval et les Saintes Femmes ; deux Croix plus courtes, en tau, avec les deux Larrons.

Le Cimetière, qui entourait le Calvaire, ainsi que l'Ossuaire et la Chapelle Funéraire qui s'y élevaient, n'ont pas survécu. L'Église a été reconstruite de nos jours, en style pseudo-gothique. L'ensemble. sur ce point, est donc beaucoup moins parfait qu'à Guimiliau. Le Calvaire a été restauré en 1870.

Avec un Calvaire Secondaire, c'est au contraire un ensemble des plus remarquables, supérieur même à celui de Guimiliau, que nous rencontrons à Saint-Thégonnec, petit bourg situé entre Guimiliau et Morlaix. La Porte Triomphale qui sert d'entrée au Cimetière est un délicieux et parfait édicule de 1587, orné de clochetons à boules. Ornementation que nous retrouvons aux toitures de la belle Chapelle Funéraire, qui est voisine, que flanquent des fines colonnes corinthiennes, et qui date de 1581. L'Église, plusieurs fois reconstruite, est un imposant monument, avec sa haute tour carrée de 1605, que coiffe un dôme à la lanterne de pierre et à galerie ajourée. Le Calvaire, de 1610, se compose, comme les vieux Calvaires, d'un simple socle rectangulaire, en pierre nue, portant sur sa table divers groupes d'un travail naïf, rappelant celui des artistes du moyen âge. On voit le Christ tombé à terre, sous le poids de la croix, et l'un de ses conducteurs le frappant d'un bâton, tandis qu'un autre monte à califourchon sur le bois de la croix, pour achever d'écraser sa victime. Les bourreaux, qui s'apprêtent à flageller le Sauveur avec leurs martinets, sont pris sur le vif, avec leurs mines de brutes féroces et leur courte culotte. D'autres personnages portent les manches et les bottes plissées, la moustache retroussée et la barbe en éventail, à la Henri IV. Dans une petite niche pratiquée dans le socle du Calvaire, au-dessus d'une table à offrandes, un groupe minuscule, très fruste, représente saint Thégonnec, que l'on invoque en faveur des bestiaux, et le bœuf, attelé à une charrette, qui aurait, selon la tradition, voituré les matériaux de l'église.

Tout l'effort décoratif s'est ici porté sur la Croix Ornée que supporte le Calvaire, et qui le domine de toute sa hauteur, en un merveilleux équilibre. Entre les deux Croix lisses des Larrons, sveltes obélisques de granit, elle dresse son fût, cette fois encore épineux, et sur deux bras superposés porte les Gardes à cheval et les Saintes Femmes, en grands personnages. Au fût, le Christ crucifié et deux Anges, qui recueillent dans des ciboires le sang de ses mains et de son flanc. C'est, à l'heure du crépuscule, au-dessus des tombes blémissantes qui commencent à s'estomper dans la nuit, un spectacle féerique que celui de cette Croix, détachant, parmi les clochetons à boule qui l'entourent, ses fines découpures, sur le ciel qui rosit, se dore ou s'empourpre.

Le Calvaire de Pleyben, un peu plus au sud dans le Finistère, vers Châteaulin, reprend, en 1650, la tradition de Guimiliau et de Plougastel, et l'évolution continue. Au pied d'une belle Église, mi-Renaissance, mi-gothique, et dont la tour-clocher surtout est magnifique, en compagnie d'un charmant Ossuaire du XVème siècle, aux fines ogives, il se dresse aujourd'hui, isolé, au milieu d'une vaste place qui fut le Cimetière, dont le mur d'enceinte a seul subsisté. Son socle s'est haussé, ainsi que les arcades, qui maintenant n'en évident plus les contreforts, mais le centre même, et qui donnent nettement à l'édifice l'allure d'un petit Arc de Triomphe antique. Les sculptures se sont faites, en même temps, moins tassées, et les groupes se rangent et s'isolent, dans un effort décoratif plus recherché. Seuls les motifs principaux, Nativité, Cène, Portement de Croix, Mise au Tombeau, Descente aux Enfers (ou plus exactement aux Limbes), Résurrection, etc., ont été représentés. Leur naïveté disparaît, en partie tout au moins, devant plus de science et d'étude ; car nous sommes arrivés, ne l'oublions pas, à l'aube du règne de Louis XIV. Cependant, par un archaïsme voulu, les personnages conservent soit le vieux costume gothique, soit celui des contemporains d'Henri III ou d'Henri IV, en tradition des Calvaires précédents. Tandis enfin que nous ignorons le nom des artistes de Guimiliau et de Plougastel, nous trouvons ici la signature de l'architecte : YVES OZANNE, gravée sur la table de la Cène.

Les Calvaires fleurirent surtout en Bretagne au cours des XVIème et XVIIème siècles. Si nombreux sont-ils qu il serait difficile d'en dresser un répertoire complet. Dès le début du XVIIIème siècle, leur faveur fit place à celle des « Mises au Tombeau », en bois peint, terre cuite ou pierre peinte, aux personnages de grandeur naturelle, et où l'évolution de l'art est complète, en même temps qu'elles s'abritent des intempéries dans les Chapelles Funéraires ou dans les Cryptes des églises. Quelques Calvaires anciens, dont les personnages avaient été brisés, reçurent, comme celui de Comfort, entre Douarnenez et Audierne (Finistère), sur leurs soubassements gothiques, d'autres figures, dans le style classique. Du XVIIIème siècle également semble être un petit Calvaire d'autel, en terre cuite, que possède à Rennes, le Musée Céramique, et qui provient de Campénéac (Morbihan). Ses minuscules et délicieuses figurines ont une curieuse allure de terres cuites antiques.

Ajoutons que l'emploi du bois dans les Calvaires et les Croix, si fréquent dans d'autres pays, est fort rare en Bretagne. On peut citer : la Croix de Lanrivoaré, qui fait face, avec son beau Christ ancien, à la vieille Croix de granit et aux huit Pains dont nous avons parlé tout à l'heure : la Croix aux Outils, près de Paimpol (Côtes-du-Nord) ; celle de Plouézoc’h (Finistère), qui date de 1830 environ et qui est curieuse avec sa grande auréole, sur laquelle se détache le corps du Christ ; la Croix aux Épingles, dans la cour de l'ancien Couvent des Carmes, à Auray (Morbihan), à la base de laquelle les jeunes filles viennent piquer des épingles, pour obtenir un mari.

Gardons un silence prudent sur les Calvaires modernes qui, par l'initiative du clergé local, continuent à s'ériger de temps à autre, aux carrefours des routes bretonnes.

Mais veillons aux vieux Calvaires que nous a légués le passé. Sous la patine noirâtre du temps, leurs gentils bonshommes ont traversé les siècles et les révolutions, et l'on s'étonne de retrouver encore en place ces petits édifices, à peine mutilés, presque sous la main du passant qui les respecte. Ignorés et perdus dans leur calme bourgade, ils n'avaient rien à craindre. Mais ils voient maintenant défiler devant eux tant de visages nouveaux ! Il faudra bientôt, sans doute — car ils sont les pauvres, si confiants, si peu protégés ! — les garder prudemment contre le vandale inconnu ou le voleur, toujours possibles.

(PAUL GRUYER).

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