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CHARGES D'UN BON CITOYEN DE CAMPAGNE

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Le modèle qui a exercé l'influence la plus directe sur nos cahiers de doléances, ce sont les Charges d'un bon citoyen de campagne, dont, le premier, M. Emile Dupont a révélé l'existence et montré l'intérêt. La paroisse de Plestan, dans le diocèse de Saint-Brieuc, au lieu de rédiger un cahier original, s'est contentée de remettre à ses députés la formule imprimée qui avait été adressée à ses trésoriers en charge, en se bornant à en effacer une phrase ; voilà comment ce modèle est parvenu jusqu'à nous. Les Charges, qui s'inspirent directement des délibérations des 22-27 décembre surtout de la Lettre du 5 janvier, condensent, en quelque sorte, tous les manifestes antérieurs et expriment, avec une grande concision et une remarquable netteté, toutes les revendications essentielles du Tiers Etat de Bretagne. Comme l'indique leur titre, elles ont été rédigées spécialement pour les paroisses rurales : elles font une place aux doléances des paysans, dénoncent, en termes généraux, et sans entrer dans le détail, les abus de la fiscalité seigneuriale, les exactions des agents seigneuriaux, demandent le rachat des « corvées, servitudes et prestations féodales ». Ce modèle, qui pouvait être un canevas commode pour toutes les réclamations, se divise en deux parties de longueur inégale : les doléances et les voeux. Nous en reproduisons le texte, auquel nous aurons à nous référer presque à chaque page de notre publication :

« Le Roi a pris la résolution juste et bienfaisante d'entendre tous ses sujets, sans distinction de rang et de fortune ; il veut qu'ils concourent à nommer les représentants ou députés aux Etats généraux, qu'ils aient tous la faculté de faire connaître leurs souhaits et leurs doléances.

C'est le Roi lui-même qui nous y invite ; ainsi rien ne peut nous détourner de répondre à la sagesse de ses vues et à sa bonté paternelle : disons-lui avec confiance :

SIRE,

[1] Nous nous plaignons d'être seuls assujettis à la corvée des grandes routes, qui a dépeuplé nos campagnes de gens riches et augmenté notre misère ;

[2] Du sort de la milice, qui nous enlève des enfants utiles et souvent nécessaires ;

[3] Des corvées et servitudes féodales, trop étendues et trop onéreuses, et d'autant plus odieuses, qu'elles donnent lieu à la vexation des officiers des seigneurs, à la dévastation de nos campagnes ;

[4] Des établissements des fuies et des garennes ;

[5] De l'inégalité de la répartition des impôts, qui fait que nous sommes trop imposés ;

[6] De l'injustice des impôts particuliers à notre ordre, ce qui nous fait payer seuls les fouages extraordinaires, le casernement, les milices, les francs-fiefs, les droits sur les eaux-de-vie, liqueurs, etc. ;

[7] De n'avoir eu jusqu'ici aucuns représentants aux Etats de la province, d'où vient sans doute que les charges de l'Etat sont entassées sur nos têtes.

[8] Il nous reste à faire connaître nos souhaits, et nous croyons que nous pouvons dire avec vérité  :

[9] Sire, nous souhaitons conserver les droits de citoyen, et être admis, à l'avenir, à nous faire représenter à toute assemblée nationale ;

[10] Que dans ces assemblées nos représentants soient au moins en nombre égal à celui des ordres privilégiés, et que leurs voix y soient comptées par tête ;

[11] Que nos représentants ne puissent être, ni nobles, ni anoblis, ni ecclésiastiques, mais toujours de notre ordre ; qu'ils ne puissent même être choisis parmi les officiers et gens des seigneurs et ecclésiastiques ; ils seraient trop intéressés à suivre des impulsions étrangères ;

[12] Que, dans toutes nos assemblées, nul ne puisse nous présider qu'autant que la réunion des suffrages l'aura fait élire ;

[13] Que notre liberté soit aussi sacrée que celle de tous autres citoyens ; que tous enrôlements forcés soient supprimés, sauf à les remplacer par les enrôlements à prix d'argent ;

[14] Que toute loi qui nous exclurait de parvenir à tous emplois civils et militaires soit supprimée, de même que toute loi qui distingue, à raison de la naissance, les peines pour les crimes de même nature ;

[15] Que nos propriétés ne soient pas moins respectées que celles des autres citoyens ; que tous impôts soient à l'avenir supportés d'une manière égale, et par chacun, en proportion de sa fortune, sans distinction d'ordres ; qu'il n'y ait qu'un seul rôle pour tous, et qu'on supprime tous impôts particuliers, sauf à les remplacer, s'il est besoin, par des impositions générales ;

[16] Que l'ouverture et l'entretien des grandes routes ne soient plus à notre charge, mais que la dépense en soit faite par le trésor public, puisqu'elles sont utiles à tous ;

[17] Que les lois qui rendent les corvées et servitudes et prestations féodales imprescriptibles et infranchissables, soient remplacées par une loi qui permette à chaque vassal de les franchir sur le pied de leur valeur fixée pur notre Coutume ; et que le franc-alleu soit de droit public : c'est le seul moyen de nous attacher à nos propriétés, et de nous sauver des suites ruineuses de la fiscalité des seigneurs ;

[18] Que la justice ne puisse être rendue qu'au nom de Votre Majesté ; que nous ne puissions être traduits que dans des tribunaux ordinaires, établis par elle, et auxquels seraient admis tous les citoyens, à raison de leurs talents, et sans qu'il puisse exister de tribunaux d'attribution ; que dans notre paroisse il soit seulement établi un greffier et un notaire ;

[19] Que nous soyons autorisés à choisir entre nous, chaque an, douze prud'hommes ou jurés, qui chaque dimanche s'assembleront à l'issue de la grand'messe, pour entendre les plaintes et demandes pour dommages de bêtes, injures et autres cas semblables, vérifier les faits et prononcer sans frais telle condamnation qu'ils jugeront convenable, laquelle sera exécutée sans appel, jusqu'à la somme de 30 l. par provision, à la charge d'appel pour les plus fortes condamnations ;

[20] Qu'il soit établi par chaque diocèse une caisse pour le soulagement des pauvres, et qu'il y soit versé un tiers du revenu de tous les biens ecclésiastiques, pour être réparti aux pères de pauvres de paroisses ;

[21] Que le sort de notre recteur soit amélioré et son revenu augmenté, par la réunion à sa cure d'autres biens ecclésiastiques, jusqu'à 2.400 l. au moins (article à supprimer, si le recteur n'est pas à portion congrue) ;

[22] Adoptons en général tous et chacun des articles de doléances et demandes qui seront contenus dans le cahier de la ville de Rennes, et qui n'auraient pas été prévus ou suffisamment développés dans le présent ».

(Charges d'un bon citoyen de campagne).

Par qui ces Charges ont-elles été rédigées ? C'est ce qu'il nous est impossible de savoir. Toutefois, un document très curieux nous montre dans quel milieu elles ont été élaborées. Dans une lettre, expédiée de Nantes le 11 avril 1789 (Arch. Nat., H 419, pièce 384), et qui n'était pas la première [Note : " J'eus l'honneur, dit-il, de vous exposer, par ma lettre du 31 mars dernier, le fâcheux état où les nouveaux nobles de Bretagne se trouvent et l'impossibilité où ils sont de participer aux nominations que les citoyens font de leurs députés aux Etats généraux "], un M. de la Roulière exposait à Necker que le Tiers Etat se refusait à admettre des anoblis dans ses assemblées électorales et demandait justice pour cette catégorie de citoyens. Pour justifier ses doléances, il envoyait au ministre « le témoin le plus irréprochable des basses intrigues de quatorze personnages, dont un, le sieur Baco, procureur du Roi au présidial de Nantes, n'a pas craint d'assurer l'authenticité par sa signature ». Il joignait à sa lettre une circulaire imprimée, qui était adressée à « Messieurs les généraux de paroisses », et dont le texte, sauf quelques modifications et additions, est identique à celui des Charges [Note : Impr. in-8°, de 8 pages, s. l. n. d. (Arch. Nat, H 419, pièce 385)]. Voici les noms des signataires de la circulaire et leur profession, qui nous est indiquée au verso du titre, par une note manuscrite de la main de M. de la Roulière :

Baco (voir la note qui suit), procureur du Roi au présidial de Nantes ; Giraud-Duplessis, avocat du Roi du présidial et syndic de la ville ; Blin, médecin ; Varsavaux, notaire ; Guinebaud, négociant ; Cottin, américain ; Jarry, propriétaire d'une mine de charbon de terre ; Chanceaulme, négociant ; Mellinet, meunier : Tellier, marchand de draps ; Louvrier, apothicaire ; Bridon, orfèvre ; Le Roux, tanneur ; Bernard, négociant.

Note : Baco s'était montré très ardent pour la cause du Tiers : voy. ibid., H 419, passim. — Sa signature est autographe. Il devait être nommé député de la sénéchaussée de Nantes aux Etats généraux, avec 6 des autres signataires du même document, savoir Giraud-Duplessis, Blin, Guinebaud, Cottin, Jarry, Varsavaux (BRETTE, Recueil de documents ..., t. II, p. 533).

Ces personnages n'ont-ils fait que reproduire les Charges, en y ajoutant quelques articles ? Ou, au contraire, leur lettre est-elle une première rédaction de ces Charges ? C'est une question qu'il nous a pas été possible de résoudre. Mais, en tout cas, les Charges, comme la lettre aux généraux de paroisses, émanent, sans aucun doute, des hommes qui ont mené avec tant d'ardeur la campagne du Tiers Etat contre les ordres privilégiés, et qui, dans leur lutte, tenaient à avoir l'appui des paroisses rurales. Et on peut admettre qu'elles ont été rédigées dans les dernières semaines qui ont précédé les élections aux Etats généraux.

H. E. Sée.

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