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LES DÉBUTS DU GOUVERNEMENT DE CHARLES VIII EN BRETAGNE

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La collection de lettres et pièces originales formée par plusieurs générations de Harlay et léguée par l'un d'eux à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, d'où elle est passée à la Bibliothèque nationale [Note : Mss. fr. 15540-15584. Léop. Delisle, Le Cabinet des manuscrits..., t. II, p. 100-103], contient deux documents qui projettent une lumière fort utile sur une période assez confuse de notre histoire.

Il s'agit des lendemains du mariage de Charles VIII avec Anne de Bretagne. Les circonstances expliquent que certaines obscurités aient subsisté sur cet événement en dépit de sa célébrité et des nombreux ouvrages qui lui ont été consacrés. La cour de France, en effet, fut obligée de procéder avec une rapidité et un secret extrêmes afin que ses plans ne fussent pas éventés et ruinés par la perspicacité des mandataires de Maximilien présents auprès de la Duchesse.

L'une des conséquences de cet état de chose fut que, si l'on dressa un contrat de mariage en bonne et due forme entre Charles et Anne, nul pacte complémentaire ne régla le sort des institutions du duché, à la différence de ce qui se passa, quelques années plus tard, lorsque la même Anne épousa Louis XII [Note : Ces divers actes sont dans les Preuves de Dom Morice, t. III, col. 711, mariage de Charles VIII, c. 813, contrat avec Louis XII, c. 815, confirmation des privilèges de la Bretagne par le roi, sous forme de réponses, article par article, à une liste de requêtes].

Cette précipitation eût pourtant dû permettre qu'on se référât à des actes antérieurs qui, en quelque sorte, préparaient le terrain. Lorsque Anne, un an auparavant, avait écpousé Maximilien, les États de Bretagne avaient présenté toute une liste de vœux, auxquels les procureurs du roi des Romains avaient acquiescé. Ce programme lui-même n'était pas une nouveauté : il reproduisait, presque trait pour trait, les points de l'alliance que les barons bretons, alors révoltés contre le duc François II, avaient mis comme condition à leur alliance avec le roi Charles (traité de Montargis, 1484) [Note : Le traité de Montargis est dans D. Morice, Pr., t. III, c. 441 ; les demandes présentées à Maximilien sont analysées par A. Dupuy, Histoire de la réunion..., t. II, p. 226, d'après l'original aux archives de la Loire-Atlantique, E 14. Le traité de Châteaubriant conclu par les barons bretons avec Charles VIII, en mars 1487, n'est connu que par la Chronique d'Alain Bouchart, éd. Le Meignen, fol. 234 v°, et ne contient pas de clause visant le statut du duché. Il en va de même de la trêve de Francfort entre Charles VIII et Maximilien, qui tendait à régler le conflit breton (22 juillet 1489)].

D'autre part, le récent traité signé par Charles VIII aux faubourgs de Rennes, le 15 novembre 1491, quelques jours avant le départ pour Langeais [Note : Rappelons que le mariage de Charles VIII avec Anne y fut célébré le 6 décembre 1491], à un moment où l'on feignait de prendre encore au sérieux le mariage avec Maximilien, ce traité stipulait que le roi de France, maître de la Bretagne, en respecterait tout au moins les institutions judiciaires [Note : D . Morice, t. III, c. 710 : « La justice et sujets seront conduits audit pays et duché de Bretaigne selon les stiles, uz et coustumes gardées et observées cy-devant en icelui-pays »]. Seulement, cette convention, que la Duchesse ne ratifia pas (et pour cause), on pouvait la tenir pour caduque, du moment que son principal objet, le départ d'Anne pour l'Allemagne, avait été lui-même rejeté.

Si les conseillers de Charles VIII n'inscrivirent pas dans un texte formel la confirmation du régime constitutionnel de la Bretagne, c'est aussi, vraisemblablement, qu'ils le jugèrent inutile. N'était-il pas tout naturel que le roi continuât à gouverner la Bretagne, comme il le faisait depuis plusieurs mois, avant d'être le mari de la Duchesse et en vertu de ses « droits » personnels ? Depuis le jour de mars 1491 où Alain d'Albret lui avait ouvert les portes de Nantes, Charles avait affecté, en effet, d'administrer la Bretagne, comme si la Duchesse n'avait jamais existé et comme s'il avait été — c'était sa théorie — l'immédiat, le légitime et le seul successeur du duc François II.

Cette conception trop simple allait se heurter à un obstacle que l'on aurait pu prévoir : l'entourage de la Duchesse et particulièrement son conseiller des bons et des mauvais jours, Philippe de Montauban, son chancelier. Celui-ci considéra — au contraire des conseillers du roi — que la princesse devenue l'épouse du roi de France devait continuer à régir son duché comme elle le faisait lorsqu'elle était la femme du roi des Romains. Il y avait là deux logiques qui allaient s'affronter.

A vrai dire, il était impossible que le nouveau mariage d'Anne ne changeât rien aux institutions bretonnes. Plusieurs des rouages essentiels du gouvernement ducal s'en trouvaient altérés. Le Conseil surtout, organe le plus confident du pouvoir ducal, avait pour l'une de ses maîtresses occupations de délibérer sur les rapports entre le duc et le royaume, entre le duc et les puissances étrangères. Voilà tout un pan de ses attributions qui s'effondrait de lui-même dès que duchesse de Bretagne et roi de France ne faisaient plus qu'un. Le Parlement avait été l'objet d'une profonde réforme de la part de François II qui, à la fin de son règne, l'avait érigé en cour permanente [Note : Éditée par Marcel Planiol, à la suite de La Très ancienne coutume de Bretagne, p. 453, n. 108, constitution du 22 septembre 1485]. Cette ordonnance n'avait pas encore été appliquée. Allait-on la mettre en vigueur ou se maintenir dans les errements anciens ? Que deviendraient, en outre, ces organes qu'étaient une chancellerie de Bretagne, des États de Bretagne, une Chambre des comptes de Bretagne, et tout un haut personnel d'officiers de l'hôtel, de la justice ou des finances, alors qu'en France existaient des agents et des corps administratifs similaires ? Autant de problèmes qu'il était téméraire de résoudre par prétention.

Il ne faut pas oublier, d'ailleurs, que le mariage de Charles VIII avait causé quelques remous. Sans parler de Maximilien qui était loin, ni d'Alain d'Albret qui avait assouvi sa soif de vengeance en livrant au roi la ville de Nantes ; sans omettre le Pape, craignant que la victoire française n'entraînât l'extension de la pragmatique sanction au clergé de Bretagne et cherchant à la paralyser ; toutes choses qui relevaient de la grande politique, il faut aussi savoir que, depuis le mariage, s'était développé, parmi les sujets d'Anne, un courant de mécontentement plus ou moins déclaré. Le vicomte de Rohan, qui avait ambitionné pour son fils la main de la duchesse, était irrité ; les chefs militaires, qui, par l'effet de la démobilisation, voyaient casser leurs compagnies et cesser leurs emplois, murmuraient. Entre le roi d'Angleterre, allié traditionnel des ducs, ses affidés et des diplomates, des capitaines de place au service de la Duchesse, circulait une inquiétante correspondance, comme si rien n'avait été changé [Note : A. de La Borderie, Le complot breton de 1492 (Bibliophiles bretons, 1884). Complot est beaucoup dire. Le roi d'Angleterre n'eut qu'un affidé, ancien maître des requêtes de François II, Pierre Le Pennec. Celui-ci chercha des auxiliaires parmi les mécontents. Le plus compromis, le capitaine de Brest, qui n'était pas Breton, livra le dossier au prince d'Orange. Parmi les correspondants de Le Pennec, on trouve le procureur général Olivier de Coëtlogon, le capitaine des gardes de la Duchesse et capitaine de Morlaix, Maurice du Mené, Louis de Rohan-Guemené, sire de Rainefort. On aura idée du diapason des sentiments en lisant l'insolente lettre de Rohan à Charles VIII (26 mai 1492, ibid., p. 55, n. XXXVII) ou les propos tenus par du Mené (mémoire de Le Pennec, 26 mars 1492, ibid., p. 25, n. XVII)]. Par-dessus tout cela planait la menace de la guerre, Henri VII annonçant son débarquement comme imminent : et, de fait, après deux coups de main, l'un en Bretagne (mi-mai 1492) et l'autre en Normandie (16-17 juin), il apparaissait lui-même à la tête de son armée à Calais (6 octobre). Telles étaient les conjonctures au milieu desquelles on abandonnait assez étourdiment au hasard l'évolution des institutions bretonnes.

Dans le concret, après le départ d'Anne, deux hommes se partagèrent le pouvoir en Bretagne : le prince d'Orange, que Charles VIII y avait nommé son lieutenant général, et le chancelier de Montauban. Le premier était naturellement préposé aux affaires militaires, le second aux affaires civiles [Note : Jean de Chalon, prince d'Orange, était le cousin germain et l'héritier d'Anne de Bretagne. Si la reine, veuve de Charles VIII, ne se fût pas remariée, c'est lui qui aurait succédé au duché de Bretagne. G. Duhem, Un Franc-Comtois au service de la Bretagne [Bull. de la Soc. polymathique du Morbihan, Vannes, 1929). Lieutenant général le 7 décembre 1491, il fut institué gouverneur de la Bretagne le 2 novembre 1492, texte dans La Borderie, Complot..., p. 52, n. XXXIV]. C'est alors qu'il se produisit entre eux et les représentants directs du roi un conflit assez vif et que révèlent pour la première fois les deux lettres publiées ci-dessous.

Dès la première heure et probablement lors de son entrée à Nantes où il célébra la Pâques 1491 (3 avril), Charles VIII avait créé en Bretagne une haute administration financière avec un trésorier général, Thomas Bohier, et un contrôleur général, Jean Boudet. Le 23 avril, il institua au-dessus d'eux un général des finances, Jean François de Cardonne [Note : Charles VIII était à Nantes dès le 29 mars 1491 (Lettres, éd. Pélicier, t. V, p. 143). Voir l'inventaire des joyaux de Nantes, le 12 avril 1491, dans La Borderie, Complot..., p. 105. Institution de J. -François de Cardonne, arch. de la Loire-Atlantique, B 51, fol. 10]. Le 27 octobre, il avait convoqué les États de Bretagne à Vannes et chargé ses commissaires de leur demander le vote d'un fouage. Cette assemblée, qui devait s'ouvrir le 8 novembre, à une époque où les négociations avec Anne arrivaient au moment décisif, ne fut probablement pas réunie et la levée du fouage demeura en plan.

En face de cette administration royale naissante existait une administration ducale représentée, en matière de finances, par son chef le trésorier et receveur général Jean de Lespinay, que le duc François II avait institué le 14 avril 1488 et que la duchesse Anne avait maintenu dans ses fonctions. Nul ne se préoccupa du sort de ces financiers ducaux [Note : Jean de Lespinay appartint à la Chambre des comptes de Bretagne dès sa réorganisation par le roi, 3 août 1492 (D. Morice, t. III, c. 730)].

Néanmoins, ce ne fut pas de ce côté que vint l'opposition.

Le roi jugea opportun, quelques mois après son mariage, d'envoyer en Bretagne une commission composée en majorité de magistrats de la Chambre des comptes de Paris et qu'il investit de vastes pouvoirs d'organisation financière. Nous connaissons dans le détail, grâce aux documents publiés ci-dessous, sa composition et ses attributions.

Elle comprenait six membres. Toutefois le dernier, Charles le Coq, général des monnaies, ne suivit pas ses collègues dans l'épisode que nous allons relater. Les cinq autres commissaires sortaient tous du célèbre collège des notaires et secrétaires du roi. A leur tête était Olivier le Roux, qui pendant tout le règne de Louis XI avait joui de la confiance de ce monarque par lequel il avait été chargé de mainte mission en France ou à l'étranger. Il était alors maître des comptes ; à la même compagnie appartenaient les trois commissaires suivants, François le Bourcier, maître, Jean Gilbert, correcteur, Guy Aurillot, clerc et auditeur. Le dernier, Nicole Gilles, est le seul qui, grâce à ses Annales et chroniques de France, ait conquis une certaine renommée. Il était clerc et contrôleur du Trésor, c'est cette qualité plutôt que ses talents littéraires qui dut le faire choisir, ces derniers cependant lui ont peutêtre valu de tenir la plume au nom de ses collègues [Note : On retrouve ces noms dans les Lettres de Louis XI, éd. Vaesen et Charavay, et dans celles de Charles VIII, éd. Pélicier. La notice sur O. le Roux est dans Vaesen, t. III, p. 158. F. le Bourcier signait des lettres du roi depuis 1478, Jean Gilbert, depuis 1477, Aurillot, depuis 1475. Sur N. Gilles, voir A. Molinier, Sources, n. 4669].

De quoi ceux-ci étaient-ils chargés ? Cinq tâches leur étaient assignées. Comme nous l'avons dit, elles ne touchaient pas à l'organisation générale du duché, mais visaient à régler plusieurs points importants de l'administration financière. Ils devaient : 1° décider de l'allégement des fouages en faveur des contribuables les plus besogneux ; 2° s'informer des biens du domaine du roi qui auraient été aliénés et préparer leur réintégration ; 3° examiner et juger les comptes de tous les receveurs ; 4° faire inventaire des chartes et titres des ducs ; et 5° donner à bail les divers revenus publics habituellement affermés. Pour remplir ce vaste programme, les gens du roi se rendirent d'abord à Nantes. C'est là qu'ils reçurent une invitation du prince d'Orange les conviant à Vannes pour le 30 avril 1492, afin de donner leur avis au sein d'une réunion de notables personnages appelés par le prince à délibérer sur des questions graves, d'ailleurs non précisées.

Ils se mirent aussitôt en route et arrivèrent à l'heure dite, avant même le prince. En revanche, ils trouvèrent à Vannes le chancelier de Montauban. Ils lui firent part de leur mission en lui demandant de leur ouvrir les portes de la Chambre des comptes. C'est ce que le chancelier, à leur grande surprise et à leur vif mécontentement, refusa catégoriquement ou, du moins, différa jusqu'à l'arrivée du prince d'Orange, et même trois jours après, donc le 7 mai ; et c'est de quoi les commissaires envoyèrent aussitôt un récit au roi.

Dans ce rapport, qui forme la première lettre publiée ci-dessous, les agents du roi lui suggèrent d'enlever les archives des comptes tant de la ville de Vannes, qui ne leur semblait pas sûre [Note : Vannes se rendit aux Français le 5 juin 1487, puis au duc, en la personne du maréchal de Rieux, le 3 mars 1488. Elle fut reprise par les Français le 19 février 1489, reconquise par les Bretons le 7 avril suivant. Le 19 mai 1491, les nonces écrivaient de Nantes au Pape que Vannes s'était à nouveau ouverte au roi (Histoire de Bretagne de La Borderie et Pocquet, t. IV, p. 553, 541, 568, et ma thèse sur Les papes et les ducs de Bretagne, t. II, p. 894)], que de la ville de Rennes où certaines portions en avaient été transférées quand la duchesse Anne s'y était installée, et de regrouper le tout à Nantes où le château, avec son Trésor des chartes, offrait un asile indiqué et d'une absolue sécurité.

Les commissaires ne s'en tinrent pas à cette relation et à ce conseil. Un second document fut établi par eux. C'était, littéralement, une mercuriale contre le chancelier breton et contre les États qu'il avait pris l'initiative de réunir. On y reprochait au chancelier d'avoir suscité dans le sein des États une opposition scandaleuse contre les représentants du roi. Ce texte, plus long que le précédent, mérite d'être lu en entier. Dans la forme, c'était un projet de lettres royaux qu'on envoyait à Guillaume Briçonnet, général des finances de Languedoc et, à cette heure, conseiller le plus écouté du jeune roi, en matière de finances comme en d'autres. On attendait de lui qu'il résolût le conflit surgi et qu'il l'empêchât de se rouvrir ultérieurement en bridant Montauban et ses soi-disant États.

Il convient de chercher maintenant quelles ont été les conséquences de ces actes et dans quelle mesure le conseil du roi est entré dans les vues de ses commissaires. Auparavant, cependant, nous devons signaler que le passage de la commission conduite par Olivier le Roux a laissé en Bretagne d'autres traces, inaperçues jusqu'à présent. Tout d'abord, lorsque des lettres patentes du 28 novembre 1493 accordèrent un allégement aux fouages, elles rappelèrent « la modération et rabat du nombre de feux qui leur fut faite (aux pauvres contributifs) par nos amez et féaux maîtres Olivier le Roux, notre conseiller et maître de nos comptes à Paris, et autres nos commissaires que envoyasmes à celle occasion et pour autres nos affaires audit pays » (Arch, de la Loire-Atlantique, B 51, fol. 30, acte du 28 novembre 1493). Nous indiquerons tout à l'heure ce que fit exactement Olivier le Roux sur ce point. Il est un autre texte plus explicite, c'est la confirmation par Charles VIII des privilèges accordés aux habitants de Saint-Aubin-du-Cormier par le duc Pierre Mauclerc, lorsqu'il y construisit une forteresse au XIIIème siècle. Les lettres de Charles datent du 6 mai 1492 et sont données à Vannes. Le roi y cite la prière de ses sujets invoquant : « notre nouvel avènement à la principauté de notredit pays et duché de Bretagne ». Ensuite, le roi évoque l'intervention des États : « Par avis et délibération de plusieurs gens des États de notredit pays et duché congrégés et assemblés en notre ville de Vannes pour aucuns nos exprès affaires en présence de notre très cher et très amé cousin le prince d'Orange, notre lieutenant général en icelui pays ». La mention des États de Vannes, l'allusion à la récente prise de possession du duché par le roi cadrent mal avec les conceptions que les gens du roi se faisaient du rôle de la royauté. Tout s'explique par la formule de datation : « Donné à Vannes, en notre chancellerie et conseil de Bretagne » [Note : On citera ici les propos que Maurice du Mené, revenant de la cour, tenait à un interlocuteur, le 26 mars 1492, à Pontivy : « Le chancelier Philippe de Montauban venoit à Rennes tenir chancellerie et conseil. Avoit pour gens de conseil maistre Allain Berart, Cojalu, l'ambaxade [ambassadeur] qui vint dernièrement d'Espaigne..., messire Morice de Guenekervelic pour gens à robbe longue ; à robbe courte Chambellan et Keranré ». La Borderie a identifié ces personnages (Complot..., p. 25-32, nos XVII et XVIII). Seul de ces « conseillers », Amaury de Quenec'hquivilly a fait carrière ; voir la note suivante. — Il est possible de jalonner le voyage du chancelier pour venir à Vannes, d'après les dates de ses lettres : il est encore à Rennes le 23 avril 1492 (D. Morice, t. III, c. 727), il est à Malestroit le 24 avril (La Borderie, Complot..., p. 51, n° XXXIII). Il dut arriver à Vannes le lendemain. Dans sa lettre du 24 avril, adressée au roi, il parle de « l'assemblée qui doit être... ». L'éditeur ne révèle pas pourquoi la phrase reste en suspens]. Cela prouve que les lettres en question ont été rédigées non par la chancellerie royale, mais en Bretagne, et expédiées par la chancellerie de Philippe de Montauban. Le roi ni ses secrétaires n'y ont été pour rien. Un complément plus intéressant encore nous est donné par les lignes finales de l'acte que nous citons. C'est la liste des personnages qui assistaient aux « États » réunis à Vannes à cette date, les invités de Montauban. On lit : « Par le Roi, en son conseil : le prince d'Orange, le seigneur d'Avaugour, les évêques de Rennes et de Cornouailles, les abbés de Redon, de Penpont et de Coëtmaloen, maistre Roland du Breil, président de Bordeaux, les sénéchaux de Rennes, Vannes, Ploermel, Cornouailles, Lantréguer, du ressort de Goëllo, et de Fougères, messire Amaury de Quenec'hquivillic, docteur ès droits et maître des requêtes dudit sire, les procureurs de Rennes, de la Chambre des comptes et autres présens. J. Guihart [Note : Arch. de la Loire-Atlantique, B 51, fol. 98. François d'Avaugour était le fils naturel de François II et d'Antoinette de Maignelais, il avait eu des velléités de succéder à son père. L'évêque de Rennes était Michel Guibé, qui avait célébré le mariage d'Anne avec Maximilien, celui de Quimper, Alain le Maout, l'abbé de Redon était Odet de la Rivière qui mourut dès le 7 septembre 1492, celui de Penpont, Michel le Sénéchal, celui de Coëtmaloen, probablement un Bertrand, vivant en 1489 et dont on ne connaît pas de successeur avant 1502. Sur Rolland du Breil, qui devint « président de Bretagne » en 1493 après avoir été passagèrement président au parlement de Bordeaux, par provision du 24 septembre 1489, voir J. de La Martinière, Le Parlement sous les rois de France, dans Annales de Bretagne, t. XXXVI, 1924, p. 272, et t. XXXIX, 1930, p. 200. Ibid., p. 201, sur Amaury de Quenec'hquivillic, successeur du précédent comme président de Bretagne de 1503 à 1519, et qui avait fait partie des Grands jours tenus en Bretagne par ordre de Charles VIII dans le carême 1493 et ensuite (D. Morice, t. III, c. 781). Le nom de Guihart, secrétaire de la Duchesse, se retrouve au bas d'un acte du 23 juillet 1491 publié par La Borderie, Choix de documents inédits..., 1902, p. 144, n° LXX. — Le procureur de Rennes, cité un peu plus bas, est le procureur du roi près la sénéchaussée de Rennes et non le procureur des Bourgeois de cette ville], et scellé en double queue de cire rouge ». Comme on le voit par cette énumération, aucun député des villes, aucun baron breton non plus ne figurèrent à ces États. La présence des seuls prélats et officiers ducaux leur donna le caractère d'un « grand conseil », tel qu'on entendait alors ce terme dans le duché, plutôt que celui d'États comptant des représentants des trois ordres.

La date de ces lettres patentes, le 6 mai 1492, tombe la veille précisément du jour où les commissaires du roi écrivirent leur lettre, elle suit de fort près la date, 30 avril, pour laquelle les États avaient été convoqués et celle (4 mai) à laquelle le prince d'Orange arriva à Vannes.

Nous avons donc ici un ensemble de faits concordants. Il nous reste à rechercher quelles ont été les conséquences prochaines de ce choc entre les anciennes autorités ducales et les agents du pouvoir royal.

1° Sur le plan des objectifs clairement définis proposés à la commission, le travail de ses membres ne fut pas mutile s'il prépara, comme je le pense, l'élaboration d'édits qui, sans beaucoup tarder, vinrent régler la plupart des questions envisagées.

Parlons d'abord du premier article de leurs charges : la modération des fouages. Charles VIII, le 6 mai 1491, avec l'évidente intention de se rendre populaire parmi les Bretons, avait libéralement accordé aux contribuables une remise des paiements arriérés des fouages. Après le passage de la commission Olivier le Roux, cette mesure fut limitée aux deux fouages précédant immédiatement le mariage du roi (lettres du 27 décembre 1493). Olivier le Roux accorda, en outre, pour faire suite à la précédente, une exonération de moitié sur les fouages durant deux ans (probablement 1491 et 1492). Enfin, d'autres lettres patentes, du 28 novembre 1493, prorogèrent cette réduction pour trois années encore, soit 1493, 1494 et 1495 [Note : Morice, t. III, c. 702. Arch. de la Loire-Atlantique, B 51, fol. 12, 21 et 30. La remise de 1491 était générale : « Voulons que tous les manans et habitans... soient tenuz quittes et exempts de tous les foaiges qui par cy-devant ont esté mis... ». La fin, qui n'a pas été imprimée par D. Morice, vaut d'être connue : « Si vous mandons... le contenu en ces présentes faire lire et publier par toutes villes et lieux dudit pays de Bretaigne que besoing sera, à son de trompe et cry publicque ès lieux accoustumez en manière qu'aucun n'en puisse prétendre cause d'ignorance »].

2° Deux édits de la même date, 17 février 1493, essayèrent de remédier aux amputations du domaine, l'un en prescrivant la révocation des aliénations et la réunion des parties démembrées, l'autre en réduisant de moitié diverses catégories de dons (Arch. de la Loire-Atlantique, B 51, fol. 3, et B 116, fol. 4).

3° Un mandement du 27 décembre 1493 vint contraindre les receveurs des fouages, qui, pendant les années troublées, avaient levé des deniers pour le compte du sire d'Albret, du maréchal de Rieux, du vicomte de Rohan, des barons du Pont, de Quintin ou autres, à en rendre compte à la Chambre des comptes de Bretagne [Note : Arch. de la Loire-Atlantique, B 51, fol. 12. Le maréchal de Rieux avait été tuteur testamentaire de la duchesse Anne, le vicomte de Rohan, beau-frère du duc, avait été lieutenant général du roi en janvier 1489 (D. Morice, t. III, c. 617), puis reçut les mêmes fonctions pour la seule Basse-Bretagne, 1er septembre 1491 (D. Morice, t. III, c. 704). Les autres personnages avaient commandé diverses troupes ou places fortes. Le baron du Pont tirait son nom de la seigneurie de Pont-l'Abbé, le sire de Quintin était le frère du vicomte de Rohan]. Cette Chambre ne tarda pas à être transférée de Vannes à Nantes, comme l'avait souhaité la Commission [Note : Ce transfert fut décidé en 1495. H. de Fourmont, Histoire de la Chambre des comptes de Bretagne, p. 29].

Enfin, concernant les archives, un mandement du 30 mai 1496 obligea les héritiers d'Olivier de Coëtlogon, en son vivant, procureur général de Bretagne, récemment décédé, et de Nicolas de Kermeno, Jacques de la Villéon, Guillaume de La Lande et autres procureurs généraux, ses défunts prédécesseurs, ainsi que Jean de Cerisy, ci-devant contrôleur général, qui avait eu la garde des sceaux et registres de la chancellerie, à restituer à la Chambre des comptes de Vannes les lettres, chartes, registres, etc., restés en leur possession [Note : Arch. de la Loire-Atlantique, B 51, fol. 29. Il n'existe pas de liste des procureurs généraux de Bretagne, au temps des ducs. Olivier de Coëtlogon fut institué en 1488 au lieu de Guillaume de la Lande destitué (D. Morice, t. III, c. 578). Ce Guillaume exerçait ses fonctions en 1481 [Budget de P. Landais, publ. par La Borderie, Revue de Bretagne, 1885, II, p. 98). Nicolas de Kermeno était en charge en 1475 (La Borderie-Pocquet, t. IV, p. 488). Jacques de La Villéon, sénéchal de Rennes, devint chancelier en 1485].

Nous ne parlons pas du dernier article, le bail des fermes. Je n'ai pas trouvé trace de décision générale le touchant. Il est possible qu'aucune ne soit intervenue et qu'on ait procédé aux adjudications des baux selon les usages établis.

Cela dit, il faut reconnaître que l'incident sur lequel nous venons d'attirer l'attention avait largement débordé le strict terrain de la commission initiale. Par le projet de lettres dont ils proposaient au roi la rédaction, les commissaires touchaient à deux institutions du plus haut rang : les États et la chancellerie.

Quel accueil fut-il fait par la cour à cette suggestion ? Cet accueil fut, dans l'immédiat, parfaitement négatif. Les lettres proposées ne furent pas revêtues des formes solennelles nécessaires à leur existence. Et, ce qui est plus remarquable, ni Olivier le Roux ni aucun de ses collègues ne furent plus jamais employés dans l'administration royale de la Bretagne. En un mot, la politique qu'ils préconisaient fut désavouée.

Il est probable que le roi et Guillaume Briçonnet ne voulurent pas, en froissant trop rudement la susceptibilité du chancelier breton, en poussant les États à se solidariser avec lui, jeter de l'huile sur le feu. Avec une certaine lenteur, ils confirmèrent les privilèges des Bretons, leurs institutions, et satisfirent à leurs doléances, sans toutefois mettre tout à fait dans l'oubli l'incident de Vannes.

La Chambre des comptes fut reconstituée la première (3 août 1492), puis le Conseil (mai 1494) et, enfin, le Parlement (27 novembre 1495) tel que l'avait compris la grande ordonnance de François II. Les privilèges des Bretons furent consacrés et certaines plaintes apaisées par des ordonnances de juillet 1492 et de novembre 1493 [Note : D. Morice, t. III, c. 730, Chambre des comptes ; c. 756, Conseil ; c. 781, Parlement ; c. 728 et 742, privilèges du duché].

Je perçois néanmoins quelques indices d'une sorte de ressentiment demeuré chez les gens du roi, au souvenir de la contradiction rencontrée à Vannes : dans le libellé de cette ordonnance de juillet 1492, la première qui ait été promulguée pour maintenir le régime politique de la Bretagne, le roi recourt à des périphrases pour faire entendre qu'il a écouté favorablement les États de Vannes, mais sans prononcer ce nom d'« États » qu'il jugeait usurpé par l'assemblée de mai précédent [Note : D. Morice, t. III, c. 728 : « Comme puis naguères nos bons et loyaux sujets de notre pays et duché de Bretagne nous aient fait par leurs délégués et commis certaines remonstrances... nous, ce considéré et la grande loyauté de quoi sont de présent envers nous. . . les gens d'Eglise, nobles, bourgeois, manans et habitants de nostredit pays. ». On remarquera que ce dernier membre de phrase ne parle pas des sentiments manifestés par l'assemblée qui a présenté les doléances, mais de ceux qui régnent actuellement].

Ce furent les États régulièrement tenus au mois de novembre 1492 qui furent, désormais, considérés comme les premiers depuis l'inauguration de l'administration royale en Bretagne [Note : Ch. de Calan, Documents inédits relatifs aux États de Bretagne, de 1491 à 1589 (Bibliophiles bretons, 1908)].

Je rattache à la même pensée l'abolition de la chancellerie de Bretagne, le 9 décembre 1493. Philippe de Montauban resta, sans doute, « gouverneur et garde du scel en Bretagne et chef de notre conseil », mais le titre prestigieux et toujours perpétuel de chancelier lui était enlevé [Note : Morice, t. III, c. 756]. C'était une humiliation qui fut comprise par tous, notamment par la reine Anne dont le premier geste, aussitôt que Charles VIII eût rendu l'âme, fut de faire à nouveau de Philippe de Montauban le chancelier de Bretagne.

Ceux qui avaient conseillé à Charles VIII d'infliger cet échec au fidèle chancelier d'Anne sont probablement les mêmes que ceux qui firent subir à la reine sa part d'amertumes : son contrat de mariage avec le roi ne lui donna pas son titre de duchesse qu'elle avait si courageusement porté, mais la nomma seulement : « très noble princesse, madame Anne, fille et héritière seule et unique de feu de très noble mémoire François, duc de Bretaigne » (Morice, t. III, c. 715).

Puis, dès que le siège episcopal de Saint-Malo vint à vaquer, le roi y nomma Guillaume Briçonnet et déclara, en même temps, que la cité malouine était de l'ancien domaine royal, en vertu de la donation du pape Clément VII (Morice, t. III, c. 737, 13 octobre 1493). Contre cette donation, les ducs avaient protesté jusqu'au jour où Charles VI leur avait rendu la ville. Charles VIII conférait là au Saint-Siège une autorité sur le temporel du royaume dont il risquait de regretter un jour les conséquences. Dans l'occurrence, le roi gallican se faisait ultramontain [Note : La perspective du chapeau que Guillaume Briçonnet reçut le 16 janvier 1495 y était-elle étrangère ?].

J'ai pensé qu'il y avait quelque intérêt, à propos de documents caractéristiques, à suivre les premiers pas, légèrement hésitants, du gouvernement royal en Bretagne, à en imaginer les difficultés et les subtilités.

B.-A. Pocquet du Haut-Jussé.

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

I.

Lettre d'Olivier le Roux et autres commissaires du roi en Bretagne à Charles VIII.

Bibl. nat., ms. franç. 15541, fol. 81.

Vannes, 7 mai [1492] [Note : La date d'année résulte d'une part du titre de lieutenant général du roi donné par les auteurs de cette lettre au prince d'Orange, d'autre part du fait que la ville de Vannes était seulement alors paisiblement accessible aux gens du roi et à ceux de la Duchesse].

En ensuivant ce qu'il vous a pieu nous commander par vos lettres et commissions, nous sommes transportez en vostre pays et duché de Bretaigne, et nous estans en la ville de Nantes, en laquelle fut notre première arrivée audit pays, commençasmes à besongner au fait de nosdites commissions par certain temps pendant lequel Mr le prince d'Orange vostre lieutenant ès marches de par deçà nous rescrivit que nous trouvissions en ceste ville au lundi d'après Quasimodo derrenier passé [Note : Lundi 30 avril 1492], pour avoir nostre advis et celui d'autres notables personnages qu'il avoit mandé eulx y trouver, sur aucunes matières qui gravement touchoient vostre bien, prouffit et utilité et celui dudit pays ; ce que feismes.

Auquel lieu furent ouvertes plusieurs matières desquelles plus avant ne vous escrivons parceque croyons que par mondit Sr le Prince en estes assez advertis.

Auquel lieu de Vennes trouvasmes entre aultres mon Sr le chancelier de Bretaigne [Note : Philippe de Montauban, chancelier de François II, puis d'Anne de Bretagne] auquel communicasmes les matières pour lesquelles estions venuz de par vous audit pays, en luy présentant voz lettres closes servant à ceste fin, luy requérant qu'il nous voulsîst faire faire ouverture de la Chambre des Comptes estant illecques, ce qu'il différa jusques à la venue de mondit Sr le Prince, qui fut trois jours après, lequel venu [Note : Le prince d'Orange], non obstant aucunes choses alléguées par mondit Sr le chancelier contraires au contenu de vozdites commissions, nous bailla planière obéissance trois jours après sadite venue, et enjoignit à mondit Sr le chancelier nous faire ouvrir ladite Chambre, ce qu'il a lejourd'huy fait faire, et nous a dit iceluy Mr le Prince que, en obéissant à votre bon vouloir, il nous baillera et fera bailler tout confort et ayde touchant l'exécution de vosdites commissions et ce qui en despens, èsquelles avons intention de besongner en essuivant le contenu d'icelles, de tout notre pouvoir, au mieulx et le plus diligemment que pourrons.

Sire, entre autres choses vous nous avez donné charge de faire inventaire et bon registre de toutes les chartres, lestres et tiltres des droits et prérogatives de ceste duché, transportez et dispersez en plusieurs et divers lieux et villes d'icelle, à l'occasion des guerres qui y ont eu cours, et iceulx faire porter, ensemble les comptes généraulx et particuliers, en ladite Chambre des Comptes de Vennes. Mais pour ce qu'il nous semble que le lieu n'est pas bien seur, tant à cause de ce que la ville est fort foible de murailles, portaulx et fossés, à l'occasion des batteries et démolitions qui y ont esté faictes durant les sièges, tant d'un party que d'aultres, et que s'il venoit quelque descente d'ennemys, que Dieu ne veuille ! ils y pourroient faire quelque effort grandement préjudiciable par feu, transport ou autrement ; aussy que tous les comptes cloz et renduz du temps du feu duc François derrenier décédé et aultres choses ont esté, pour ladite cause, prins en ladite Chambre des Comptes et mennez en la ville de Rennes en laquelle jamais on ne fist audicion de comptes ne n'y a lieu propre à ce faire ; nous semble, Sire, pour plus grant seureté que le mieulx seroit de transporter le tout en vostre ville de Nantes, et iceulx mettre en vostre chastel illecques, où il y a lieu propre de toute ancienneté nommé le Trésor des chartres qui est bon et seur à la conservation de voz droiz pour le temps advenir. Si vous en advertissons, Sire, pour en faire et ordonner à vostre bon plaisir.

Sire, nous prions au benoist filz de Dieu qu'il vous doinct bien longue et bonne vie. Escript en vostre ville de Vennes, le VIIème jour de may.

Voz très humbles et très obéyssants subgets et serviteurs : Olivier le Roux, François le Bourcier, Jehan Gilbert, Guy Aurillot et Nicole Gilles. [Au dos :] Au Roy nostre Souverain Seigneur, les Commissaires du Roy estants en Bretaigne.

 

II.

Projet de lettres royaux rédigé par les commissaires du roi en Bretagne.

Bibl. nat., ms. franç. 15541, fol. 146.

[Mai 1492].

Charles etc. à notre très cher et amé cousin le prince d'Orange, nostre lieutenant général en noz pays et duché de Bretaigne, à nostre chancelier et garde de noz seaulx en icelluy pays, aux séneschaulx, baillifs, allouez ou lieuxtenans de Nantes, Rennes, Vennes, Dynan et autres nos justiciers, officiers et subgects oudit pays de Bretaigne, salut et dilection.

Comme puis naguères par grant et meure délibération des princes et seigneurs de notre sang et lignaige, gens de nostre conseil et de noz finances, nous ayons envoyé en icellui pays noz amez et féaux conseillers maistres Olivier le Roux, François le Bourtier, maistres ordinaires de noz comptes, et Gilbert, correcteur, Guy Aurillot, clerc et auditeur de nozdits comptes, et Nicolle Gilles, notre notaire et secrétaire et contrôleur de notre trésor, Charles le Coq, général de noz monnoies, et autres, pour pluseurs matières touchant le grant bien, prouffit et augmentation de notre domaine et finance et aussi le soulaigement de noz subgetz d'icelluy pays, dont nous leur avons donné charge ; c'est assavoir pour le rabais et moderacion des fouaiges à quoy sont imposez ceulx qu'ilz trouveront estre trop chargiez, dampnifiez et appouvriz ; pour eulx informer des choses aliénées de notre domaine ; oyr, examiner et clore les comptes des trésoriers généraulx et particuliers, receveurs ordinaires et extraordinaires et autres officiers comptables de cedit pays ; et aussi de inventairier les chartres et tiltres faisant mencion des droiz dudit pays et duché et bailler noz fermes d'icelluy pays.

Pour besoingner au fait desquelles charges icsulx noz commissaires se sont [Note : Ms. : soient] transportez audit pays, mais vous, Chancelier, leur avez fait et donné plusieurs traverses et empeschemens en l'exécution d'icelles noz commissions, en leur faisant fermer les huys de la porte et maison où souloit estre tenue la Chambre des comptes à Vennes, et pour du tout abolir et empescher lesdites commissions ainsi que avons esté avertiz.

Vous, chancelier, avez fait et poursuivy en notredite ville de Vennes certaine assemblée des troiz Estatz, des prélaz, barons, seigneurs, gens et procureurs des villes en grant nombre [Note : Les commissaires du roi donnent aux États une plénitude qu'ils n'avaient pas eue en réalité, soit par pure erreur, soit volontairement afin de les faire condamner plus complètement], sans ce que eussiez charge, mandement ne commission expresse de nous de ce faire, ainsi qu'il est requis en tel cas, dont nous merveillons.

En laquelle assemblée ont esté leuz certains articles et remonstrances, lesquelles, comme on dit, vous mesmes, Chancelier, avez fait et drecez et, entre autres choses, en ladite assemblée ont esté mis en délibéracion le contenu èsdites commissions, lesquelles, comme dit est, avoient esté solennellement, en nostre présence, délibérées et par nous commandées, par quoy il n'appartenoit à vous ne autre qui fust en ladite assemblée, en prendre aucune congnoissance. Ce néantmoins ceulx de ladite assemblée ont conclud et délibéré de non souffrir ne permettre l'exécution de nozdites lettres et commissions (voulant dire et maintenir qu'elles estoient notoirement contraires et dérogans aux anciens droitz, prérogatives, coustumes et usances d'icelluy pays [Note : Le passage entre parenthèses est rayé].

Et, soubz couleur de ce, iceulx noz commissaires ne peuvent entièrement mettre lesdites commissions à execution, qui est venir [Note : Ms. : venu] contre notre auctorité, à nostre très grant desplaisance, grief préjudice et dommaige ; et pourroit plus estre se provision n'estoit par nous sur ce faicte et donnée.

Pour quoy Nous, les choses dessusdictes considérées, eu sur ce conseil, advis et délibéracion, avons déclaré et déclarons de notre pleine puissance et auctorité royale que notre voloir, plaisir et entencion est que iceulx noz conseillers et commissaires mettent lesdites commissions et chacune d'icelles, du contenu èsquelles nous sommes encores bien recors et mémoratifs, à exécucion selon leur forme et teneur, nonobstant ladite deliberation ainsi faicte et prinse à la persuasion de vous, Chancelier, en ladite assemblée de Vennes derrenierement tenue en ce present moys de may [Note : « Ce présent moi de mai » donne la date de la pièce], par les eulx disans gens des trois Estats, laquelle, en tant que touche lesdites commissions et deppendances d'icelles, nous avons annulée et annulons, et ce sans prejudice toutesvoyes, pour le temps advenir des droiz et prééminances de notredit pays et duché de Bretagne en autres choses [Note : Ces trois mots ajoutés en interligne].

Si vous mandons, commandons et enjoignons à chacun de vous sur ce premier requis que à iceulx noz commissaires vous obéissez et entendez et faictes obéyr et entendre touchant le contenu esdites commissions, leurs circonstances et deppendances, sans ce qu'ilz soient tenuz surseoir ladite exécucion, pour quelque commandement ou deffense qui leur ayent esté, soyent ou pourroient estre faictes sous umbre de ladite délibération ne autrement, ne par vertu de quelconques lettres patentes scellées ne expédiées des seaulx de notredite chancellerie de Bretaigne, et dont à vous, Chancellier de Bretaigne, et à tous autres avons deffenduz et deffendons toute congnoissance.

En contraingnant par vous, seneschaux, baillifs, prévosts, allouez ou lieuxterians, ceux qui ont en leurs mains les lettres, registres, comptes, papiers et enseignemens d'icelluy pays et mesmement un Jehan Gelin [Note : La Borderie [Choix cité, p. 70, n. 31) a publié un mandement de la Duchesse, 26 juin 1490, ordonnant à Jean Geslin « aiant la garde des livres de la Chambre des comptes estans à Nantes de faire amener... enceste ville de Rennes les livres et comptes qu'il a... nécessaires pour la prochaine ouverture [session de la Chambre] qui est le second jour de juillet prochain ». Une note autographe ainsi libellée se trouve au bas du fol. 10 du premier livre des mandements de la Chambre des comptes (arch, de la Loire-Atlantique, B 51) : « J'ay esté payé pour le sallaire de l'escriture cy-dessus raportée dont je m'en tiens content. Fait le quart jour de juign 1494. Gelin. »] qu'on dit avoir la garde et charge des comptes, registres et chartres estans en notre ville de Rennes, à les bailler et délivrer à nozdits commissaires, par la suspension de leurs estats et offices, prinse et emprisonnement de leurs personnes, et les envoyant prisonniers devers nous à leurs despens, quelque part que soyons, se appréhendez peuvent estre, et, sinon, les adjourner par cry public à comparoir en personne pardevant nous et les gens de notre Grand Conseil estans lez nous, pour répondre à notre procureur général, en faisant, si besoin est, fraction et rompture des huys et portes où scaurez que sont lesdits comptes, lettres, chartres, et les délivrant à nosdits commissaires.

Le tout non obstant opposition ou appellations quelxconques pour lesquelles ne vous estre [sic [Note : On pourrait rétablir : « [ne devez-vous souffrir] estre aucunement, etc. »]] aucunement différé. En faisant, se besoing est, publier ces présentes, au vidimus desquelles voulons foy estre adjoustée comme à l'original en manière que du contenu en icelles on ne puisse prétendre cause d'ingnorance. Car tel est notre plaisir.

Donné à
[Plié, scellé d'un sceau de cire rouge. Adresse :]
A Monsr. le général de Languedoc [Note : Guillaume Briçonnet] et à monsr. le Trésorier de Bretaigne [Note : Thomas Bohier], [et plus haut une griffe qui pourrait être celle de Nicole Gilles, suivie des mots :] pour les commissaires de Bretaigne.

(B.-A. Pocquet du Haut-Jussé).

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