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LES CHARPENTES DES ÉGLISES BRETONNES |
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En rassemblant ses souvenirs au retour d'une visite des monuments religieux de Basse-Bretagne, l'esprit est tenté de les classer en deux catégories.
L’une comprendrait des églises que leur situation dans un centre important, leur destination, l'ampleur de leurs proportions et la façon dont elles furent conçues et construites, rattachent directement, aux styles des grandes époques architecturales. Si les cathédrales de Quimper, de Saint-Pol et de Tréguier soutiennent la comparaison avec les autres cathédrales de France, il est aisé de retrouver aussi bien ailleurs la filiation d'églises comme Sainte-Croix de Quimperlé, celles de Dol, Pont-Croix, Guingamp, Dinan, Redon.
La seconde comprendrait toutes les autres églises qui sont légion.
Ces édifices font partie de tout un ensemble, cimetière, calvaire, ossuaire, fontaine sacrée, clôture et potiche d'entrée auxquels ils empruntent le plus accessible de leur signification. Bien souvent églises votives, sanctuaires plutôt qu'églises, dédiées à un de ces multiples saints bretons qui abordèrent, autrefois dans la péninsule armoricaine, élevées pour commémorer une légende ou pour abriter les foules venues à heure fixe au rendez-vous du pèlerinage, dues souvent aux libéralités du seigneur du lieu, chapelles ou oratoires, elles sont de dimensions moins amples, mais traitées avec l'ingéniosité la plus amusante, le plus complet dédain de la symétrie, et réservent chacune une surprise au voyageur qui va de l’un à l'autre des villages de Basse-Bretagne.
Quelles que soient leurs différences, elles n'en sont pas moins conçues suivant le même parti et pourraient passer sous le même gabarit.
Les deux murs généralement bas qui constituent l'enceinte sacrée semblent porter à eux seuls une ample couverture, comme serait une vaste tente.
Mais sous cet abri, deux murs frangés de colonnes, établis parallèlement aux premiers, viennent soulager la toiture. Entre eux c'est la nef, extérieurement à eux au nord et au sud, les bas-côtés. Aux deux extrémités, deux pignons : l'un à l'orient, percé d'une maîtresse vitre, l'autre au couchant, troué d'une porte d'entrée, et à cheval sur lui le clocher ou mieux la tour, comme on dit en Bretagne. Sur le mur du midi et en pénétration dans la couverture, le porche d'entrée, traité généralement de manière riche, et des fenêtres semblables à de grandes lucarnes à pignons ornés. Du côté nord, à l'opposé, quelques baies très simples.
Partout c'est le même parti adopté. Parfois il manque le bas-côté nord, rarement celui du sud. N'oublions pas que de ce côté le soleil est de la fête et qu'il sculpte de ses fortes ombres les pignons ornés qu'accusent encore les masses noires des trous du porche et des fenêtres. Au hasard et pour ne citer que les plus typiques : Plouaret, La Clarté, Grâces, Port-Blanc. Ces murs bas, cette vaste toiture qui semble s'arrimer au sol, pour mieux résister au vent violent du large, ou prête à rejeter sans tarder en dehors des murs les eaux des longues pluies d'hiver, la flèche de pierre qui fuse sur sa tour massive, tels sont les traits principaux que caractérisent bretonne.
Nous avons parlé de toiture, du toit de l'église, c'est assez dire qu'il s'agit de charpente sous ardoises, et que s'il y a voûte elle sera en bois. Ne sommes-nous pas en plein pays de bois et de forêts ? Disons tout de suite que la plus grande généralité des églises fut bâtie dans ce pays aux XVème siècle, XVIème siècle et XVIIème siècle : qu'elles remplacèrent ou se superposèrent à des monuments antérieurs romans qui se rattachaient directement aux modes de construction usités dans le reste du pays.
La grande toiture pourrait laisser supposer une charpente compliquée, comme le paraissent par l’enchevêtrement des pièces de bois celles des halles du Faouet ou de Laniscat, hier encore celles de Pontivy.
Un coup d’œil à l'intérieur montre qu'il n'en est rien. La difficulté est escamotée. Entre les deux murs de la nef, des fermes, serrées du pied dans un gros tirant, reposent lourdement sur ces murs mêmes et un lambris, inscrit dans l'angle du sommet, évoque l'idée d'un bateau renversé coiffant cette nef. Sur les bas-côtés, dans le prolongement de la pente de ces fermes, la même demi-solution se retrouve au nord et au sud.
Les portées sont réduites d'ailleurs et point n'est besoin de faire appel aux combinaisons savantes de l’art du trait pour franchir ces courts espaces. La largeur de la nef varie de quatre à huit mètres, celle des bas-côtés de la moitié.
Ainsi l'étude des charpentes n'est-elle pas besogne, compliquée. Les grosses fermes de la nef peuvent se passer d'un poinçon reposant sur le tirant. Leur entrait, est court et vient seulement passer sa tête à travers le lambris. Le poids même de ces fermes et la butée des pannes qui les relient dans les murs pignons dispensent, de contreventement latéral, qui est rare (Langast).
Si la construction manque d'originalité, l’ornementation, par contre, est variée et ingénieuse.
De la ferme, il n'y a de décoré que ce qui est apparent ; le tirant inférieur, l'about du poinçon.
Le tirant constitué par un tronc d'arbre est du même type, partout. Les deux portées dans les murs sont seulement équarries ; la partie, milieu est élégie.
Deux têtes d'animaux fantastiques, assez frustes d'exécution, semblent s'avancer l'une vers l'autre en avalant, ou retenant de leurs dents aiguës le restant de la pièce. Le dessous du menton qui regarde la nef est souvent orné de motifs géométriques (N.-D. de Pitié en Mellionnec), d'enroulements (Guimiliau, Grâces), quelquefois mieux enrichi de cartouches (Pleyber-Christ).
Le tronc au milieu est à pans coupés, mouluré de gorges ou tordu sur lui-même (Trinité de Melgven), avec au centre une partie épannelée seulement et destinée à recevoir une décoration de motifs d'ornements (Grâces, Le Quillio), ou d'angelots porteurs des armoiries du seigneur du lieu (Kerfaons, Grâces).
Détail plus particulier : à Saint-Titégonnec l'entrait, porte un Christ en croix assisté des saintes femmes. La même idée fut reprise après coup à Larnpaul au XVIIème siècle : on sculpta le tirant sur les trois faces visibles pour y raconter l'histoire de la Passion et représenter les évangélistes. Le tout est généralement bariolé de couleurs vives et de tons crus. Plus rarement l’entrait reçoit une décoration d'ornements peints (Pleyben), ou, un semis d'hermines (Le Quillio, Kerfaons).
Les abouts des poinçons, simples culots pendants, sont ornés de feuilles, d'enroulements, de têtes grimaçantes ou d'angelots, quelquefois d'animaux, d'oiseaux se tenant par les ailes (Guimiliau).
Le lambris est des plus simples. Sa seule décoration est picturale. Point de caisson ou de compartiments. Une grande surface unie avec des couvre-joints ne reçoit qu'un badigeon bleu clair ou foncé parsemé d'étoiles d'or ou d'argent.
Rarement y voit-on des essais assez frustes de composition à personnages. A Merléac, Châtelaudren, St-Gonery en Plougrescant, quelques moines ou amateurs essayèrent là un talent incertain. Ce qu'il y a de sûr, c'est que le mauvais état, dans lequel ces peintures nous sont parvenues, joint à la patine de quelques siècles, ajoute singulièrement à leur effet décoratif.
Les sablières, au contraire, sont très richement ornées. Entre celles de Commana ou de Langast, un peu barbares, et celles de Grâces, Bodilis ou de la chapelle de Kerjean, d'un art plus délicat et d'un goût plus sûr, il y a place à une très grande variété.
Les plus simples, les plus anciennes, sont d'une décoration clairsemée, fruits, feuilles de goémon (nef de Kerfaons), animaux, chiens, éléphants (Kervignac) ou têtes grimaçantes (Mellionnec).
D'une époque plus récente et d'un art plus souple sont toutes celles qu'on trouve dans chaque église. La décoration emprunte alors à la flore maritime l'enroulement de ses goémons (Plougasnou, Grâce, Bodilis) ou à la vigne ses pampres que viennent picorer les oiseaux. Des scènes de chasse (Confort), de la vie rurale, des théories de chevaux au labour creusant leur sillon, s'allongent au long des murs à Bodilis. A Grâces, une observation plus réaliste fait se replier sur l'étroite pièce de bois la représentation des péchés capitaux, de buveurs gourmands occupés à absorber le contenu des fûts éventrés, ou une charretée de moines entraînée par le diable en personne, des combats de lions et de licornes.
Plus tard, à l'époque de la Renaissance, les ornements deviennent des motifs architecturaux, enroulements de cartouches et de figures (Kerjean, Berven, Sizun) ou des ordres palladiens avec frises, corniches et entablements (Saint-Thégonnec).
Les blochets, enfin, ou petits tirants coupés des fermes intermédiaires, complètent cette décoration. Leur forme de moignon dégagé les désignait pour figurer des angelots porteurs de banderoles devises HINRI, I H S ou des attributs de la passion, l'échelle, les clous, la couronne d'épines (Saint-Thégonnec). Parfois ce sont plus simplement des moines, voire même des sujets profanes, un Breton en bragou-bras ou des femmes simplement drapées (Guimiliau). Parfois encore des animaux, un lion tenant sur un cartouche la Sainte-Face (Sizun).
Tels sont les éléments de la décoration des charpentes bretonnes. Dans chaque église on retrouve toujours l’un ou l'autre d'entre eux, quelquefois plusieurs à la fois, et il n'est pas rare de les y rencontrer tous ensemble (Plougonven, Tremel, Braspart, etc.).
Quelques-unes de ces charpentes sont datées ou signées, comme le porche de Saint-Martin de Lamballe daté de 1519, œuvre du charpentier J. Léné. Les dates nous renseignent peu sur le style de l'époque. D'ailleurs il y a eu souvent un mélange résultant d'apports successifs, et puis n’oublions pas que nous sommes en Bretagne et que les styles s'attardent volontiers d'une époque sur l'autre.
Il est impossible de mentionner toutes les charpentes intéressantes, l'énumération des quelques noms ou exemples choisis n'est ici qu'à titre d'indication. En tout cas, les omissions n'infirment en rien les données générales de la composition et de la décoration, qui restent partout les mêmes.
De cette courte étude, on doit tirer cette conclusion que la vraie originalité de ces églises leur vient de l'ensemble dont elles sont le motif principal, de leur adaptation aux conditions climatériques, de l'emploi des matériaux du pays, beaucoup plus que d'innovation dans la façon de construire ou d'invention dans la décoration.
(par M. G. LEFORT).
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