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ETUDE SUR LES DANSES BRETONNES ET MUSIQUE |
Afin de présenter d'une manière convenable cette étude sur nos danses bretonnes, il me faudrait naturellement un accompagnement non pas de piano ou d'orchestre, mais de hautbois, bombarde ou biniou. Si j'avais à ma disposition un de ces jolis sonneurs, nous vous aurions peut-être donné envie de danser céans bal, gavotte ou jabadao ; mais ne disposant que de ma faible prose, je vais tout simplement vous donner les paroles ; la musique sera pour une meilleure occasion... On ne s'est guère occupé, ce me semble, ni de la musique, ni de la Chorégraphie bretonne, actuelle ou primitive. Je ne connais aucun ouvrage qui en traite d'une manière sérieuse ; et je dois avouer que, pour mon compte, je n'ai nulle prétention de faire ici, je ne dirai pas un traité de cette curieuse matière, mais même un article un peu complet, offrant des données précises, originales, sur ces anciennes traditions. On voudra donc bien me permettre d'inscrire, presque sans méthode, des notions purement pittoresques, de simples souvenirs que de longues années passées dans les villes et dans les campagnes de la Basse-Bretagne, m'ont laissés sur ce sujet intéressant. On pourrait peut-être diviser les danses bretonnes en plusieurs catégories : les danses de noces, celles des aires neuves, les danses des assemblées ou Pardons (ces beaux pardons de Basse-Bretagne où la danse succède souvent à la Procession). Nous laisserons de côté ces distinctions, à peu près inutiles, vu que ce ne sont guère que des occasions différentes des mêmes exercices. Nous dirons seulement que toutes les danses bretonnes sont publiques d'ordinaire et que la galerie a toujours le droit ou la permission de s'y mêler. Quant au caractère même de la danse : grave, joyeux, vif ou pesant, nous ajouterons qu'il paraît s'appliquer presque exclusivement à un pays, à un diocèse ou comté. |
Ainsi dans la Cornouaille, au pays de Quimper et de Quimperlé, la danse est toujours gaie, gracieuse, vive et animée. Dans le pays de Léon, c'est la gravité qui domine. Dans celui de Vannes, on saute plus lourdement, la mesure et la méthode font souvent défaut. Tels sont les principaux caractères de nos danses champêtres et populaires, publiques, à ciel ouvert. Nous ne dirons rien, pour le moment, des pays de Saint-Brieuc et de Tréguier, n'ayant pas de données suffisantes à cet égard.
PAYS DE QUIMPER.
Nous commencerons par étudier les danses actuelles de la Cornouaille, parce qu'elles nous paraissent résumer toutes les autres, qui n'en sont guère que des altérations malheureuses.
La principale danse du pays de Quimper, la gavotte est évidemment labyrinthique. Ce mot en caractérise la forme, le mode, le dessin. La gavotte n'est nullement une ronde monotone. Elle a une allure vive, sautante, capricieuse, mais pourtant régulière et d'un pas très-bien étudié. Les danseurs marchent de côté, du pied gauche d'abord ; ils font un, deux, trois pas, en chassant, pour ainsi dire. Pour tenir lieu du quatrième temps, ils sautent sur le pied gauche. Puis exécutant, sans interrompre la mesure, la seconde partie de la danse, ils partent du pied droit, cette fois (toujours avançant de côté). On fait ainsi trois pas successifs, et, pour le quatrième temps, on saute sur le pied droit, et ainsi de suite. Mais souvent pour le 1er pas de la 2ème partie on place le pied droit derrière le pied gauche. Ces détails sont peut-être un peu techniques pour intéresser, aussi j'abrège....
Le danseur tient sa dame par la main et tous les couples doivent aller au pas de manière à marcher et à sauter en même temps. Souvent les beaux danseurs et danseuses, brodés sur toutes les coutures, se donnent le bras, surtout quand on danse entre fiancés ou amoureux et la fête revêt alors un caractère pittoresque et peut-être théâtral qu'on ne saurait décrire.
Le pas le plus simple que nous avons indiqué, permet à ces beaux danseurs une foule de variantes et d'enjolivements ad libitum, selon la gaîté, l'audace et le talent du sujet, pourvu toutefois que la mesure ne soit pas altérée.
C'est le cavalier du premier couple qui conduit la danse : il doit s'appliquer à enrouler la chaîne qui le suit, par des sinuosités habiles, des méandres gracieux et imprévus, comme s'il voulait l'égarer, dans les dédales de quelque labyrinthe mystérieux ; puis il déroule, avec le même art et la même attention, la chaîne joyeuse qui se tord en sens inverse.
Au dernier couple seulement l'ordre est interverti, de manière que le cavalier termine la chaîne dont il doit modérer les ressauts souvent trop précipités. Après avoir dansé environ cinq minutes, à cette place peu agréable, le dernier couple en est récompensé en prenant à son tour la tête de la file.
L'air de la gavotte est à 2/4, allégretto, plus ou moins animato, selon le caractère ou le talent des sonneur, et le génie chorégraphique plus ou moins développé de la paroisse où l'on se livre à ce plaisir champêtre ; nous avons réuni un certain nombre d'airs de danse bretonnes qui pourront servir d'appendice à ces notes sommaires.
Ah ! pour bien apprécier tout l'effet pittoresque de nos danses bretonnes, il faut avoir entendu Mathurin-l'Aveugle de Quimperlé, et son magique hautbois dont les échos de l'Isole et de l'Ellé répétaient les gais accents ; échos bien chers, (je crois pouvoir l'affirmer) au digne héritier des hardes qui dirige actuellement nos travaux !..
Le petit hautbois breton, appelé Bombarde, est toujours accompagné par le biniou, qui joue, à l'octave au-dessous, le même air, en le brodant de ses naïves fioritures, avec une basse ou bourdonnement continu. Le fameux air de Ann-hini-gouz, est, je crois, le plus ancien, le plus simple et surtout le plus national des airs de gavotte.
Cependant Mathurint-l'Aveugle lui préférait des motifs plus gais, plus nouveaux, souvent de sa composition. Après la gavotte vient le bal, dont la mesure est à 6/8, on le danse quelquefois sur cet air vulgaire et moqueur des petites villes de la Basse-Cornouaille. « C'est un pétra que je tiens, que je mène, - C'est un pétra que je tiens par le bras. - Danseras-tu, Bara-Ségal ? - Danseras-tu, fichu Pétra ? ». Cet air fut sans doute composé par des artisans qui voulaient rire aux dépens de nos bons paysans dont ils avaient adopté les danses dans la plupart des villes de Basse-Bretagne.
Le bal s'exécute moitié en marchant, moitié en sautant. Le plan général de cette danse est circulaire. Ici, les couples divisés, se suivent processionnellement, en se donnant le bras, on fait ainsi huit pas en avant ; tout à coup, au temps marqué par la musique, les danseurs se prennent les mains, deux à deux, et, se mettant alors en danse, ils avancent l'un sur l'autre, la dame en face du cavalier, pendant quatre mesures ; ils reculent de même, en faisant des pas innommés que chacun compose à sa guise et tire de la souplesse de ses jarrets ; à la dernière mesure, on fait ce que l'on appelle le tour de main, et la file se reforme pour recommencer.
La troisième danse de Cornouaille, est le jabadao, c'est la plus joyeuse et la plus hardie de toutes. C'est la danse bretonne par excellence. On commence par faire un tour circulaire, deux par deux, sur la place où se tient la fête, soudain, au signal donné, division complète ; les couples se séparent brusquement et semblent s'élancer dans l'arène pour le joyeux combat. Les danseurs passent une fois, ou balancent (pour employer une expression moderne) avec leurs danseuses, et continuant leur course rapide, vont repasser ainsi devant chaque dame, en sautant vivement et bien souvent (le bon cidre aidant) avec plus de vivacité que n'en exige la mesure. Cela dure jusqu'à ce que chacun soit revenu au point de départ. On dirait, au premier aspect, une course échevelée, une mêlée véritable.
Dans certains cantons retirés, cela ressemble à une réminiscence du sabbat. Il en est qui se démènent si terriblement à certains pardons, où la douce liqueur du pommier a coulé généreusement, qu'ils ont plutôt l'air de s'exercer à un combat qu'à une danse, et l'on serait tenté de le croire, si ce n'étaient les jolis costumes des paysannes, les gais accents de la bombarde et les cris de joie de toute la bande.
PAYS DE LÉON.
Ici tout est grave ou à peu près, grave comme la nature, comme la mer et les montagnes sombres qui servent de cadre au tableau. On ne danse pas à proprement parler ; on ne saute guère ; on promène. Voyez les danses des pardons aux environs de Morlaix, Ploujean, Lanmeur, Saint-Jean-du-doigt. Les rythmes de la gavotte labyrinthique, sont altérés, danse et musique.
Chaque canton, pour ainsi dire, a ses danses plus ou moins différentes, et dans les pays voisins de la montagne on ne danse même plus.
Du côté de Morlaix, la danse ressemble à une promenade tous les danseurs forment un immense cercle autour de la place ou du champ ; les hommes sur le même rang, en dehors, les femmes en face. On marche en sautillant quelquefois un peu, presque sans s'occuper de la mesure, que la clarinette et le tambourin marquent assez imparfaitement. De temps à autre, le cavalier (qui porte sous le bras le parapluie de sa danseuse, même par le plus beau soleil,) le cavalier paraît se réveiller ; il avance ; il recule d'un pas ou deux, puis il pirouette gravement devant sa danseuse qui fait également un tour avec non moins de gravité ; d'autres font le simple tour de mains ; mais chacun exécute cette pirouette, assez gracieuse du reste quand elle est bien faite, sans se préoccuper de son voisin ; d'où il suit qu'il y a une grande monotonie et peu d'ensemble dans les danses dont nous parlons.
Sur les côtes, aux environs de Lesnevez et de Guisseny, la danse, de monotone, devient presque sombre. On dirait parfois une procession religieuse. Adieu gavottes et jabadaos. Les femmes s'avancent sur une file, à pas timides, les regards attachés à terre ; tandis que les hommes, la tête haute et l'air grave, marchent vis-à-vis, sur un seul rang, à peu près comme à Morlaix. De temps à autre, le danseur saisit vivement les mains de sa danseuse, fait un tour rapide avec elle, et tous deux reprennent leur place. Le plan de cette danse est circulaire, c'est une double ronde solennelle et recueillie. « On dirait un reste des danses sacrées des druides, avec leurs entrelacements réguliers, symbole du mouvement des astres, le calme modeste des jeunes filles, la gravité austère des danseurs, tout révèle la tradition antique et religieuse. A la voir se dérouler avec sa solennité muette, on devine que cette danse a du naître à l'ombre du sanctuaire et qu'une signification mystérieuse y était jadis attachée » (Emile Souvestre : Derniers Bretons, page 229).
Dans d'autres cantons plus éloignés des côtes, à Morlaix, par exemple, on exécute des Passe-Pieds qui ne manquent ni de mouvement, ni d'animation. Le Passe-Pied consiste à faire, presque en courant, quatre pas en avant, autant en arrière, en balançant devant la danseuse qui s'exécute de même et de telle façon que les pieds viennent jusqu'à se croiser. C'est d'ailleurs une sorte de variante du jabadao.
Quant à la musique, dans le Léonais surtout, elle est à mon avis peu bretonne, la mesure est à 2/4, allegro, des airs impossibles ou défigurés, exécutés par un violon ou une clarinette, rarement par la bombarde et le biniou, et toujours avec accompagnement du tambourin. Ce ne sont plus les mélodies bretonnes de la Cornouaille, et force nous est de convenir que les Léonards ne sont pas, comme on dit, taillés pour la danse.
PAYS DE VANNES.
Passant du Léonais au pays des vieux guénédés, nous retrouvons, il est vrai, plus de couleur bretonne dans les danses, mais combien elles diffèrent encore de celles de la Cornouaille.
Dans les campagnes des environs de Vannes, le paysan, au lieu de danser, exécute en sautant lourdement avec ses sabots ou ses gros souliers, un exercice aussi fatigant que peu gracieux. C'est bien encore une espèce de gavotte, mais dans la plupart des cantons, elle n'est point labyrinthique : tous les danseurs se tenant par les mains, tournent en cercle, sans variété, presque sans fin, jusqu'à perdre haleine, sur l'air d'Ann hini gouz ou autres rythmes assez mal rendus par le biniou, souvent même par un violon impitoyablement écorché par une rude main. On danse ensuite une ronde alternée : c'est à dire que l'on fait ensemble trois pas à gauche, trois pas à droite, en balançant les bras, et à chaque changement de côté, les danseurs font un saut accompagné de iou iou prolongés. Parfois cette ronde est chantée et n'est pas toujours dépourvue de grâce ou de gaîté, souvent on danse autour des sonneurs (hautbois, violon ou biniou), ou bien autour d'une fontaine, d'un arbre, d'un rocher.
Pourtant, du côté du Faouët, nous retrouvons toutes les danses de la Cornouaille, ses mélodies même, et des sonneurs rivaux de ceux de Quimper.
Disons enfin un mot de la fameuse gavotte de Locminé, dont le rythme étrange et original a bercé l'enfance de tous les bretons de ce pays : Son, son, son, les gas de Locminé, - Qui ont de la mayette, sens dessus dessous, gai ! - Son, son, son, ... etc. Ce refrain plus gallo que breton indique avec quelle pesanteur on pile la terre avec les lourdes galoches ferrées.
Après cette esquisse imparfaite de nos danses bretonnes, je me trouve conduit tout naturellement en glissant sur cette pente pittoresque, à parler des ébats nocturnes de nos korrigans légendaires qui sont des danseurs par excellence. Les blous de Josselin, de Rohan, de Locminé et ailleurs, sont des garous danseurs que l'on entend, par les nuits sombres, battre la terre des carrefours avec leurs lourds sabots. Mais les plus intéressants et les plus répandus de ces êtres fantastiques, ce sont les poulpiquets, poulpikans ou korils, ainsi nommés des mots celtiques poull (mare), pika (fouiller), koroll (danse). Leur ronde mystérieuse, ou gavotte nocturne, se déroule par les nuits orageuses, sur les landes solitaires autour des menhirs et des dolmens. Ils font un tapage d'enfer qui se mêle au bruit de l'ouragan ; ils hurlent, plus fort que le vent, leur terrible chanson des jours de la semaine : « Lundi, mardi, mercredi... - Dilun, dimeurs, dimerher... etc. ». Malheur à qui, n'ayant pas la conscience pure, s'aventure la nuit sur une lande hantée, surtout au retour d'une foire où la chopine de cidre était à bon marché pour les paotred (garçons). La ronde infernale entoure le vagabond attardé, et l'enroule dans sa chaîne toujours plus rapide, plus tournoyante, plus serrée, c'est en vain qu'il crie grâce ! l'implacable essaim affolé, terrible, lui répond : Lundi, mardi, mercredi... Et avant la fin de la chanson, le malheureux, haletant sous l'étau d'une ivresse funèbre, tombe sur la lande et meurt sous d'innombrables piétinements.
On dit qu'un sonneur renommé de Riec, près de Quimperlé, après un pardon où de trop nombreuses libations avaient noyé sa prudence, fit le pari d'aller à minuit sur une lande déserte, auprès d'un dolmen hanté, en Clohars-Carnoët. Il voulait, disait-il, en sonnant de son biniou sans rival, apprendre aux Korrigans un jabadao nouveau. Il faut vous dire que le hardi sonneur avait auparavant frotté son instrument avec quelque louzou, cueilli un samedi, au clair de la lune, dans les conditions voulues. Notre homme se rendit en effet sur la lande hantée, vers le milieu de la nuit, ses camarades s'arrêtèrent à cinq cents pas du dolmen, et attendirent en silence. Pendant quelque temps, malgré les rafales qui gémissaient dans les bruyères et les rochers, ils distinguèrent les joyeux accents du biniou. Au coup de minuit, les sons devinrent confus et mélancoliques, puis sinistres, puis lugubres, incohérents, saccadés. On eût dit (pardonnez-moi cette comparaison) un biniou de l'enfer sonnant la ronde des damnés ! ... puis les sons étouffés ressemblèrent à un râle lointain, à un bourdonnement funèbre, et ce fut tout. Le lendemain, à l'aube, on trouva sur la lande, au pied du dolmen fatal, le corps inanimé du sonneur, et il fut, dit-on, impossible d'arracher d'entre ses dents le tuyau broyé de son biniou.
Nous ne finirons point par ce tableau, breton, peut-être, mais un peu trop triste assurément ; nous voulons chanter en terminant l'air national de la Basse-Bretagne, la gavotte par excellence, Ann hini gota, que nous n'avons fait que mentionner plus haut. Ce sône dont la mélodie suave comme un mineur d'Haydn, sert de signal aux enfants de l'Armor pour se reconnaître loin du pays. Ann hini gouz - e va douz, - Ann hini gouz - eo zur, - Ann hini jaonank - a zo koant ; Ann hini-gouz - en deuz arc'hant, - Ann hini gouz - e va douz, - Ann hini gouz - eo zur [Note : Ce breton n'est pas très-pur, ainsi gouz doit s'écrire koz ; douz pour amie, ne se trouve pas dans le Gonidec ; pas plus que zur pour certain]. Voici comment on pourrait traduire cette naïve poésie : I. La vieille est ma plus douce amie, - La vieille est mon trésor, - Pourtant la jeune est plus jolie, - Mais la vieille a des écus d'or ; - Ah ! la vieille est ma douce amie, - La vieille est mon trésor. II. La vieille a toute ma pensée... - Serai-je son amant ? - La jeune fille est plus sensée ; - La vieille préfère l'argent...- Non ! la jeune est ma fiancée, - J'aime son air charmant. On ne chante généralement, en breton, que la première strophe de ce sône si populaire. La traduction précédente contient une deuxième strophe, qui, si elle n'est pas authentique, me semble du moins avoir le mérite de terminer la chanson d'une manière plus heureuse, plus désintéressée. La répétition de ces mots Ann hini, à quelque chose de monotone à la lecture ; mais, chanté sur l’air du pays, ce son rappelle aux vrais bretons les accents aimés du biniou national. Nous terminons ici ces notes sommaires sur la chorégraphie bretonne, et nous exprimons le voeu que d'autres, en les complétant et rectifiant peut-être, viennent ajouter des détails intéressants à cette étude d'un art si populaire encore dans une partie de notre cher pays ; puis nous dirons avec le poète, tout en le parodiant pour la circonstance : « Bretagne, nous aimons tes naïves chansons - Les danses d'autrefois, toujours nous les dansons ! » ( Du Laurens de La Barre).
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