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LES DÉPUTÉS BRETONS à la Bastille en 1788.

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Le Parlement s'unissant à la commission des États, pour sauver les privilèges de la Bretagne face aux réformes de la Monarchie, envoya ses dernières remontrances à Louis XVI, en sa cour de Versailles, par MM. de La Houssaye, de Talhouet, de Kersalaun, Du Boisbaudry, Demué, de La Bourdonnaye, de Lucinière, de Combles, Du Bouëtiez, de La Bintinaye, de Lesguern, de La Noue, et le procureur-général de Caradeuc. Mais le Roi blâma cette démonstration par une lettre sévère, et l'on sut bientôt que les douze députés étaient arrêtés et enfermés en 1765 à la Bastille. Il s'agissait décidément pour les Bretons de plier ou de rompre.

Réunie de tous les points de la province à Vannes et à Saint-Brieuc, la Noblesse adresse à son tour douze députés au Roi en 1788 : MM. de La Fruglaye, de Guer, de Tremargat, de Carné, de Bédée, de Cicé, de la Bourdonnaye-Montluc, de La Rouërie, Du Bois de la Ferronnière, de Nétumières, Godet de Chatillon et de Becdelièvre. Ils arrivent à Paris, et font appel à tout ce qui porte un coeur breton. Les ducs de Rohan et de Praslin, les marquis de Boisgelin et de La Fayette accourent à leurs assemblées. Le ministère s'effraye, et masque sa peur de violence. Les députés bretons sont enlevés dans la nuit du 14 juillet, et jetés à la Bastille, tandis que leurs amis reçoivent la destitution de toutes leurs charges. Brienne se flattait qu'un si rude coup ferait reculer la Bretagne. Il ne la connaissait pas ! Toute sa conduite en cette affaire ne le prouvait que trop.

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Louis XVI régnait depuis près de 14 ans, son esprit de bonté et de justice avait, dès son avènement au trône, rappelé dans leurs foyers et rétabli dans leurs fonctions les magistrats bretons, défenseurs des libertés et des droits de leur province ; il avait, autant qu'il dépendait de lui, réparé vis-à-vis d'eux les injustices du précédent règne et les fatales conséquences de neuf années d'un arbitraire exil.

Cependant à la veille de la Révolution, son Gouvernement, obéissant au souffle centralisateur et aux tendances vers l'unité qui étaient dans l'air, s'attaqua lui aussi aux institutions séculaires de la Bretagne, et à ces franchises dont le maintien avait été juré par les rois de France lors de la réunion de la Bretagne à la couronne. Notre province attachait à juste titre le plus grand prix à ces institutions auxquelles elle devait sa prospérité, et qui lui assuraient, entr'autres avantages inappréciables, l'indépendance de la justice et le droit de n'être imposée qu'avec le consentement de ses Etats.

Pour défendre ces libertés, les magistrats Bretons avaient, sous Louis XV, bravé des menaces de mort, et souffert les rigueurs d'une dure prison, puis d'un long bannissement. Ils l'avaient fait avec un grand courage, soutenus du reste par les vives sympathies de la Bretagne entière.

Les édits de 1788 méconnaissant les mêmes droits, devaient soulever et soulevèrent en effet pareille résistance. Une députation de la noblesse bretonne fut chargée d'aller porter au Roi de justes doléances. Le Roi se refusant à la recevoir, elle s'efforça d'appuyer sa démarche sur des manifestations de l'opinion publique ; elle y réussit. Alors le ministère obtint un ordre pour faire enfermer à la Bastille les 12 députés, ce qui fut exécuté dans la nuit du 14 au 15 juillet 1788.

Le président de la députation bretonne était François-Gabriel-Marie comte de la Fruglaye. — Il a laissé à sa famille des Mémoires manuscrits racontant avec détail cet épilogue des luttes de la Bretagne, ce dernier effort qu'elle faisait pour défendre ses coutumes et ses libertés à la veille de la Révolution qui devait passer sur elles son inflexible niveau.

Ce récit par le prinçipal acteur de ce fait historique me parait offrir à l'histoire un document d'autant plus certain que le comte de la Fruglaye s'efforça constamment, en cette circonstance, de faire prévaloir des idées de modération, et que son récit en porte aussi le caractère incontestable.

Entre les faits qu'il raconte et le moment où il écrit, avaient passé d'ailleurs les années violentes de la Révolution.

Le torrent avait emporté à la fois et l'antique royauté, et les vieilles franchises bretonnes ; M. de la Fruglaye lui-même avait, pendant la Terreur, subi dans les prisons révolutionnaires une détention autrement dure que celle de la Bastille ; c'est donc avec l'accent d'une véritable impartialité historique et sans l'ombre d'amertume qu'il raconte cet épisode ancien de sa vie ses enfants :

« Je reprends, dit-il, la plume dans ma quatre-vingtième-année, âge auquel Young dit que nul homme n'ose écrire ; mais il entend sans doute : pour se faire lire du public ; moy je n'écris que pour mes enfants dans le souvenir desquels il m'est doux de conserver ma mémoire ; telle est mon unique prétention, et je compte que le sentiment excusera auprès d'eux mes négligences. Je ne puis désormais écrire que lentement et pesamment ; ma tète et mes yeux m'interdisent toute recherche et toute rapidité de style. Au reste un Mémorial domestique n'est pas un livre. ».

Serez-vous du même avis que moi ? — Il me semble que précisément parce qu'il est écrit sans préoccupation du public auquel dans la pensée de l'auteur il n'est pas destiné, et sans autre souci que celui de la vérité, un Mémorial domestique est par cela même un des documents les plus précieux pour l'histoire, et vous me pardonnerez pour cette raison, de vous lire dans toute leur simplicité quelques pages de ce mémorial de mon bisaïeul François-Gabriel-Marie de la Fruglaye :

« Le 9 mai 1788, M. le comte de Thiard, commandant en Bretagne et qui se trouvait à Rennes, envoya ordre à M. de Catuélan, premier président, de faire assembler le Parlement le lendemain à 7 heures du matin. Le Commandant ayant fait investir de troupes le Palais, y entra, accompagné de M. Bertrand de Moleville, Intendant en Bretagne, et suivi de ses gardes. Arrivé au parquet, il fit demander au Parlement l'entrée à la Grande Chambre où ce corps entier était rassemblé ; elle lui fut refusée qu'au préalable il n'eut exhibé l'ordre du Roy, ce qu'il ne voulut pas faire, et fit dire au Parlement qu'il en avait, en vertu desquels il venait ordonner l'enregistrement de plusieurs édits et déclarations du Roy.

En conséquence, il entra aux Chambres assemblées et y fit lire et enregistrer d'autorité : Premièrement, ordonnance en soixante et quelques articles concernant l'administration de la justice ; création de 4 grands Baillages à Rennes, Nantes, Saint-Malo et Quimper, jugeant en dernier ressort jusqu'à la somme de 20 mille livres ; autorisant les juges présidiaux à juger en dernier ressort jusqu'à 4 mille livres. — Deuxièmement, édit portant suppression des tribunaux d'exception, chambres des domaines, élections ; démembrement des eaux, bois et forêts. — Troisièmement, déclaration touchant l'ordonnance criminelle. — Quatrièmement, édit portant établissement d'une cour plénière et unique, composée de la Grande Chambre du Parlement de Paris, d'un député de chacun des autres Parlements, de plusieurs grands seigneurs, deux archevêques, deux évêques et présidée par le Chancelier; LE DROIT D'ENREGISTREMENT ENLEVÉ AUX PARLEMENTS, et ladite Cour plénière devant enregistrer tout impôt provisoirement jusqu'à l'ouverture des Etats-Généraux. — Cinquièmement, édit portant réduction des Officiers du Parlement de Bretagne ; suppression de la 2ème chambre des enquêtes et de la chambre des requêtes ; établissement d'une Grande Chambre composée du premier Président et autres Présidents et de 28 conseillers ; la Chambre des enquêtes, composée de 20 conseillers, et présidée par deux Présidents du Parlement ; suppression de la Chambre des vacations. — Sixièmement, déclaration sur la vacance du Parlement qui demeurera sans activité jusqu'à ce qu'il ait été statué par te Roy ; defense au dit Parlement de s'assembler et de prendre aucune délibération sous peine de désobéissance. — Septièmement, édit établissant l'impôt Tymbre.

Ces édits portaient atteinte aux droits de tous les corps de l'Etat, surtout de la Magistrature ; ils étaient oppressifs pour toutes les classes de citoyens, ils allumèrent en Bretagne les premières étincelles de la Révolution.

M. le Procureur général de Caradeuc conclut avec autant d'énergie que de courage au retrait de ces Edits et Déclarations, à ce qu'ils fussent communiqués aux Etats en ce qui pouvait intéresser les droits de la nation et à ce qu'il fut fait au Roy dès remontrances sur tous et chacun d'eux.

Quelque modération que put mettre M. de Thiard à l'exécution de ce coup d'autorité, il excita dans la ville de Rennes une effervescence et une consternation générale ; le peuple s'attroupa aux Portes du Palais, et lorsque les magistrats en sortirent, la foule les applaudit et les reconduisit à leurs demeures en les comblant d'éloges et de bénédictions. Le Commandant et l'intendant, au contraire, furent hués, injuriés et même assaillis par quelques pierres, dont une atteignit M. Bertrand ; un officier de l'escorte fut aussi blessé, mais les troupes restèrent impassibles et se tinrent dans la plus grande modération. Cependant l'effervescence se propagea dans toutes les classes de la société à Rennes. Les étudiants en droit, qui y étaient nombreux, s'unirent à quelques jeunes gentilshommes et reprochèrent aux officiers de la garnison d'avoir soutenu des mesures oppressives. Quelques querelles particulières eurent lieu entre des chefs de corps et des gentilshommes. L'émotion se répandit d'autant plus rapidement dans la province que M. de Botherel, Procureur général-syndic des Etats, crut de son devoir de remettre à M. de Thiard une protestation au nom des Etats, contre les édits et leur enregistrement. Toute la Noblesse de Rennes et des environs s'empressa d'adhérer à cet acte conservatoire du droit des Etats, et cette adhésion, connue bientôt dans toutes les villes de Bretagne, y fut aussi souscrite avec empressement dans les termes qui suivent :

« Nous soussignés, Membres de la Noblesse des Etats de Bretagne, applaudissant au zèle qui a dicté à M. de Botherel, Procureur-général- syndic des Etats l'acte d'opposition et protestation déposé au Parlement conservatoirernent aux droits, franchises et libertés de cette province.

Déclarons adhérer :
1° Aux principes constitutifs énoncés et réclamés dans le dit acte ;
2° A l'arrêté pris par les Membres de notre Ordre, qui se trouvaient à Rennes à cette époque, par lequel ils ont déclaré infames ceux que pourraient accepter, soit dans l'administration de la Justice, soit dans les administrations des Etats, quelques places qui ne seraient pas avouées par les lois de la Province ;
3° Nous déclarons aussy adhérer et nous réunir de sentiment à la partie nombreuse de notre Ordre, qui, plus heureuse que nous et plus favorisée par la proximité des lieux, a pu être avertie à temps de se rassembler à Rennes pour y rédiger et signer un Mémoire au Roy, tendant à réclamer la conservation des droits, franchises et libertés de cette province, Mémoire remis à M. le comte de Thiard le 26 may ».

Cette adhésion de tous les Nobles de la province y répandit une fermentation générale ; la déclaration d'infamie qui y était prononcée contre ceux qui accepteraient quelques places dans les Corps établis d'après les édits, avait paru au moins inconsidérée aux gens sages, elle leur semblait un genre d'opposition outré aux volontés de l'autorité, et susceptible d'exciter une explosion très dangereuse dans ses conséquences ; mais les esprits étaient dès lors trop exaltés pour obéir aux conseils de la modération à Rennes surtout où la vue des événements avait échauffé toutes les têtes.

Telles étaient les circonstances, lorsqu'un des premiers jours du mois de juin, allant reconduire sur le chemin de Morlaix quelqu'un qui m'était venu voir à Kéranroux, je suis abordé par un homme inconnu qui me demande le chemin de Kéranroux, et s'il y trouvera M. de la Fruglaye. « C'est moy, lui dis-je, vous êtes à quelques pas de ma demeure. » « En ce cas, reprit-il, voilà un billet que je suis chargé de vous remettre, et je vous quitte ayant plusieurs autres commissions du même genre à faire ». Je me hâte d'ouvrir ce billet, j'y lis : « Vous êtes prévenu que la Noblesse de votre canton s'assemble le 13 de ce mois à Saint-Brieuc, faites en part à vos amis ». Mon adresse et pas de signature. Je revins chez moy fort occupé de cet avis et du parti à prendre, et envoyai sur-le-champ le billet à M. de Kérouartz, ancien officier d'infanterie à Morlaix, le priant d'y penser, et lui annonçant ma visite le lendemains 8 heures pour échanger nos réflexions. Je dormis peu, me consultai beaucoup, et en dernière analyse le chiffon de billet qui m'avait été remis me parut aussi important que décisif pour me rendre à l'invitation. Je connaissais les jeunes gens de Rennes dont on parlait le plus en ce moment pour des têtes ardentes ayant de grands moyens pour en enflammer d'autres, parlant avec facilité, écrivant de même, hardis et entreprenants ; je les soupçonnais capables d'avoir imaginé cette assemblée à Saint-Brieuc, et d'en avoir promulgué la convocation dans l'étrange forme sous laquelle elle m'était parvenue. J'allai à 8 heures faire part de mes conjectures à Kérouartz et luy dis : « Je pense que beaucoup se rendront à l'invitation ; l'expérience m'a appris qu'il faut un très petit nombre d'hommes de la trempe de ceux que vous connaissez comme moy pour en entraîner une multitude d'autres. Ignorant le parti qu'ils veulent persuader de prendre, je ne puis l'apprécier, mais, quel qu'il soit, ils le persuaderont si un certain nombre de gens sages et froids ne parviennent à balancer leur opinion ; il me semble donc de toute importance que tous les hommes capables de porter de la modération dans cette assemblée s'y rendent, et je pars. — Moi aussi, me dit Kérouartz. — « En ce cas, je vous propose d'indiquer un lieu de réunion à tous nos camarades de la ville et je vais envoyer leur en donner avis ». Nous nous trouvâmes 44 réunis, et à l'unanimité moins trois voix nous convînmes d'aller à Saint-Brieuc le 13. Nous rencontrâmes en route une foule de nos amis qui s'y rendaient de toutes parts sur des invitations pareilles à celle que j'avais reçue. Nous trouvâmes entr’autres à Saint-Brieuc, MM. le Chevalier de Guer, Trémergat, Carné, Bedé et Cicé arrivant de Rennes, où leurs opinions s'étaient déjà vivement prononcées. Dès le soir, à leur invitation, on se réunit en assez grand nombre chez M. de Tréveneuc. Il s'y établit une longue discussion sur le motif de la convocation, et nous apprîmes qu'une réunion semblable devait avoir lieu à Vannes le 19. Il fut convenu que l'assemblée générale du lendemain se tiendrait dans le parc de Bréhan à 8 heures du matin. Cinq à six cents personnes s'y rendirent ; un bosquet de charmille fut le lieu où on délibéra ; il s'y trouvait une table et quelques bancs ; aucune forme ne fut suivie pour l'ouverture de l'assemblée qui, suivant l'usage ordinaire, eut dû se faire par le doyen. M. le Chevalier de Guer fut le premier à prendre la parole. Après avoir exposé avec détail ce qui s'était passé à Rennes au sujet de l'enregistrement des édits, comme le motif ayant déterminé la convocation des assemblées de Saint-Brieuc et de Vannes, il émit l'avis de la rédaction d'un Mémoire au Roy au nom de la Noblesse de Bretagne, et de l'envoy de ce Mémoire par une députation de douze membres, chargée de l'aller remettre au Souverain.

La grande majorité de l'assemblée adopta la rédaction d'un Mémoire au Roy, mais un très grand nombre rejeta l'envoy par députation. Partageant cette dernière opinion, je la défendis avec chaleur par plusieurs motifs, entr'autres par l'illégalité de la présente assemblée qui ne me semblait sous aucun rapport autorisée à députer vers le Roy. J'adoptais la rédaction d'un Mémoire et son envoy aux députés des Etats à la Cour, de la part de la Noblesse de Bretagne, avec instance de le mettre sous les yeux du Roy. Cet avis réunit la grande majorité.

Alors trois des gentilshommes arrivant de Rennes présentèrent différents projets de Mémoire dont la lecture fut écoutée ; mais aucun d'eux n'ayant réuni l'unanimité des suffrages, l'Assemblée décida de nommer une commission de dix de ses membres pour de ces trois Mémoires n'en faire qu'un et le présenter à la séance qui devait avoir lieu le lendemain matin à huit heures. Les rédacteurs des projets de Mémoires furent naturellement compris dans cette commission. Je leur fus adjoint avec six autres et notre travail se prolongea bien avant dans la nuit. De trois Mémoires médiocres il s'agissait d'en faire un bon qui agréat à l'Assemblée : cela était difficile en soi et le devenait d'autant plus que chacun des auteurs des projets eût désiré faire adopter le plus possible du sien. Cependant, à l'ouverture de la séance, me trouvant le doyen de la Commission, je donnai lecture à l'Assemblée de ce que nous avions rédigé. On l'adopta sans discussion. — Aussitôt grand nombre de voix s'élevèrent pour demander que ce Mémoire fût porté au Roy par une députation de douze membres dont six seraient nommés au scrutin dans la présente assemblée, et les six autres dans la Réunion qui devait se tenir à Vannes le 19.

Fidèle à m'on opinion de la veille à laquelle je connaissais beaucoup de partisans, je m'élevai contre le projet de députation et proposai d'adresser le Mémoire adopté aux Députés et Procureur général syndic des Etats à la cour, d'y joindre le procès-verbal de nos séances à Saint-Brieuc et nos vives instances de faire parvenir notre Mémoire au Roy. La très grande majorité s'étant prononcée contre mon opinion, d'après l'impulsion qui avait été donnée aux jeunes gens, la discussion fut interrompue et chacun ne s'occupa que de son billet de scrutin pour l'élection des Députés.

Voyant que quelques personnes me destinaient leurs voix, je priai avec instance l'Assemblée de considérer que mon âge et ma faible santé ne me permettaient pas de me charger d'une telle mission. Nombre de mes amis eurent égard à mes désirs, ce qui n'empêcha pas que je ne fusse élu député avec MM. De Marnière, Chevalier de Guer, Geslin de Trémergat l'aîné, de Carné Trécesson, de Visdelou de Bédé et Champion, Chevalier de Cicé.

Je ne crois pas possible d'être plus profondément affligé que je ne le fus d'une marque de confiance d'autant plus flatteuse pour moi que non-seulement j'étais le seul à ne pas l'avoir sollicitée, mais que j'avais fait l'impossible pour qu'elle ne me fût pas donnée ; de ma vie aucune circonstance ne m'a si douloureusement affecté.

Avant de quitter Saint-Brieuc, il fut convenu entre mes collègues et moy de nous réunir à Paris le 1er juillet suivant avec les six autres députés dont l'élection devait se faire le 19 à Vannes. Je revins chez moy en attendre le résultat, et j'appris le 21 qu'on avait élu MM. de la Bourdonnaye de Montluc, Godet de Chatillon, du Bois de la Féronnière, Tuffin de la Rouërie, de Ray, Chevalier des Nétumières et de Becdelièvre. Tous se trouvant moins âgés que moy, j'étais Président de droit de la Députation.

Je partis de Kéranroux le 23 juin ; j'arrivai le 28 à Paris. Tous mes collègues s'y trouvèrent pour le 1er juillet. Plusieurs d'entr'eux s'étant logés à l'hôtel d'Espagne, rue de Richelieu, nous convînmes d'y tenir nos séances ».

M. de la Fruglaye entre ici sur les travaux de la Députation, sur l'ordre qu'il y introduisit, sur les démarches qu'elle fit pour l'exécution de son mandat, dans des détails que pour abréger je me bornerai à résumer.

Elle reçut, dès sa première séance, la visite des Députés permanents des Etats à la cour : MM. le Chevalier de la Voltais et du Boberil de Cherville. Ces Messieurs lui annoncèrent avoir obtenu pour le lendemain une audience de M. le Baron de Breteuil, Ministre ayant la Bretagne dans son Département ; ils offraient, ainsi que le Comte de Boisgelin, Baron de la Province, d'accompagner à cette audience la Députation.

Tous, en effet, se rendirent ensemble le lendemain à Saint-Cloud et sous le titre : les Députés de la Noblesse de Bretagne furent annoncés et aussitôt introduits chez le Ministre. M. de la Fruglaye y porta la parole, exposa la mission qu'ils avaient reçue, et demanda au Ministre ses bons offices pour que la Députation fût admise à présenter au Roi le Mémoire dont elle était chargée. La réponse du Baron de Breteuil fut défavorable, comme M. de la Fruglaye l'avait pressenti lui-même, lorsqu'il cherchait à dissuader la Réunion de Saint-Brieuc, d'élire la Députation dont il se trouvait maintenant le Président ; cette réponse fut naturellement motivée sur l'illégalité des assemblées qui avaient nommé la Députation. Les Députés y répondirent par l'exposé du trouble dans lequel les Edits avaient jeté la Bretagne, par le tableau des derniers événements de Rennes, par l'urgence qu'il y avait à ce que le Roi apaisât cette effervescence, en donnant satisfaction aux justes représentations de la Bretagne ; sur le but légitime et patriotique qu'avaient eu seul en vue les Bretons en se réunissant et en députant respectueusement auprès du Roi.

Cette entrevue, d'ailleurs très courtoise entre le Ministre et la Députation, se termina par la promesse du Baron de Breteuil de mettre incessamment la demande d'audience sous les yeux du Roi, toutefois sans pouvoir flatter les Députés, non-seulement de l'espoir d'un succès, mais même d'une réponse, vu l'illégalité de leur mandat.

Quelques jours se passèrent pendant lesquels la Députation rendit visite aux Princes du sang, aux Maréchaux de France, aux Ducs et Pairs qui avaient siégé le 8 mai à une Assemblée où le Parlement de Paris avait pris fait et cause pour les réclamations des Bretons; puis cinq jours après la première audience du Baron de Breteuil, elle décida de se rendre encore une fois près de lui pour demander la réponse du Roi.

« M. de Breteuil, rapporte le Comte de la Fruglaye, nous répondit nettement que le Roy ne nous recevrait pas, que Sa Majesté l'avait chargé de nous le dire ; qu'individuellement aucun obstacle ne s'opposait à ce que nous fussions tous admis à luy faire notre cour, mais que réunis en corps de Députation, vu l'illégalité des assemblées qui nous avaient élus, le Roy ne voulait ni nous voir, ni nous entendre. Consternés de cette réponse, plusieurs Membres de la Députation prirent la parole, et exprimèrent avec énergie les raisons impérieuses qui nous prescrivaient de ne renoncer à remettre au Roy le Mémoire dont nous étions chargés, qu'après avoir épuisé tous les moyens que nous suggéreraient et notre patriotisme et notre zèle pour la cause que nous venions défendre.

En opposition au reproche sur l’illégalité des assemblées dont nous tenions nos pouvoirs, nous établîmes qu'il n'existait aucune loi que défendit à la Noblesse du Royaume de s'assembler, qu'elle avait usé de ce droit sous Anne d'Autriche pour une affaire de préséance, qu'elle avait député vers le Roy des Députés qui avaient été reçus et qu'il avait été fait droit à leur demande, que nous avions droit à la même justice dans une affaire si importante en elle-même qu'elle ne souffrait aucun parallèle avec un objet purement de forme et d'étiquette ; qu'au surplus nous redouterions de rentrer dans notre province sans y rapporter une réponse du Roy à notre Mémoire, justice que des sujets fidèles ont toujours droit d'attendre lorsqu'ils recourent avec toute soumission et confiance à leur Souverain.

M. de Breteuil ne se livra à aucune discussion ; il s'en tint à nous faire connaître l'expression des ordres du Roy et à nous laisser entendre que l'effet de notre présence à Paris comme Députés de la Noblesse de Bretagne pourrait devenir tel qu'il nous procurat l'ordre d'en sortir. Il ajouta que quelques raisons que nous pussions alléguer, et quelques démarches que nous pussions faire, Sa Majesté ne nous recevrait pas. « Voyez, nous dit-il, M. l'Archevêque de Sens, de Loménie de Brienne, alors premier Ministre, il a l'ensemble des affaires et pourra vous en dire plus ».

Cette audience ne nous laissant aucun espoir d'arriver au Roy par M. de Breteuil et, la principale objection qui nous était faite portant sur l'illégalité de nos pouvoirs, nous décidâmes d'accélérer autant que possible la rédaction d'un Mémoire tendant à prouver par des autorités et des exemples le droit de la Noblesse française de s'assembler. Ce droit étant inhérent à la liberté de tous les corps politiques en France, elle ne pouvait en être déchue que par une loy qui l'eût expressément abrogée.

Mais l'exécution de ce plan exigeait un certain temps et, craignant d'être soupçonnés d'une inaction que la nature et l'importance de notre mission eût rendue inexcusable, nous nous résolûmes aussi à inviter tous les gentilshommes bretons se trouvant à Paris, à se réunir à jour indiqué au lieu ordinaire de nos séances.

Afin que notre projet ne fût pas traversé par l'autorité ministérielle que nous croyions susceptible d'en prendre ombrage, nous nous chargeâmes individuellement d'un certain nombre de billets de simple invitation, sans énonciation de motif et nous les remîmes à la demeure de chacun des Membres de notre Ordre le matin du jour où nous devions les recevoir. Chacun s'y rendit avec empressement ; à six heures du soir nous nous trouvâmes réunis, à l'hôtel d'Espagne, rue de Richelieu, environ 80 gentilshommes Bretons ou propriétaires en Bretagne, qui tous, dès notre arrivée à Paris, s'étaient empressés de venir signer le Mémoire que nous étions chargés de remettre au Roy.

J'ouvris la séance comme Président de la Députation :

« Messieurs, leur dis-je, à l'extrême satisfaction que nous a fait éprouver votre empressement à adhérer aux sentiments de nos compatriotes résidant en Bretagne, nous avons cru devoir ajouter celle de nous voir réunis quelques instants avec vous. Non-seulement nous avons fort à coeur de vous donner ainsi un témoignage du zèle qui nous anime pour l'exécution des ordres dont la Noblesse, résidant en Bretagne, nous a fait l'honneur de nous charger, mais nous avons cru vous devoir rendre compte des démarches que nous avons déjà faites, de la position où nous nous trouvons et des projets que nous formons pour vaincre les obstacles qu'opposent les Ministres les plus accrédités au succès de notre mission ».

Nous instruisimes l'Assemblée des différentes démarches de la Députation depuis son arrivée à Paris ; ensuite, traitant de l'illégalité de pouvoirs qui nous était reprochée, nous exposâmes les principales raisons historiques dont nous devions faire la base de notre Mémoire pour prouver la légalité des assemblées tenues à Vannes et à Saint-Brieuc et dont nous tenions nos pouvoirs.

Si nous avions eu besoin d'encouragement à notre zèle, nous en eussions trouvé dans l'énergie des sentiments animant les Membres distingués de cette nombreuse assemblée, où se trouvaient entr'autres M. les ducs de Chabot et de Praslin, le comte de Boisgelin, le marquis de la Fayette.

Cette journée fut très flatteuse pour nous, mais irrita les Ministres qui en redoutèrent les suites. Leur crédit décida le Roy à donner l'ordre de nous faire arrêter et constituer prisonniers d'Etat au château de la Bastille, ce qui, fut exécuté dans la nuit du 14 au 15 juillet. Des officiers du guet de Paris, accompagnés d'exempts de police, se rendirent à nos demeures vers 2 heures du matin et nous notifièrent l'ordre signé du Roy et du baron de Breteuil, Ministre de l'intérieur, ayant la Bretagne dans son Département. Nous nous trouvâmes tous les douze presque en même temps réunis à la Bastille. Suivant l'usage de cette prison, on exigea de nous le dépôt et inventaire de notre argent, de nos bijoux, etc., entre les mains de l'officier major et nous fûmes enfermés dans des chambres séparées, sans communication possible entre nous. Nous restâmes quinze jours ainsi, chacun de nous ne sortant qu'accompagné d'un officier d'état-major pour prendre l'air sur le bastion ou le donjon de la Bastille. Lors de la disgrâce de M. l'Archevêque de Sens, Brienne, notre sort fut très adouci. On nous permit de dîner et de nous promener trois ensemble et aussi de recevoir, de temps en temps, mais toujours en présence d'un officier, nos parents accourus à Paris.

Mon fils avait été un des plus empressés à y arriver et à solliciter la grâce de s'enfermer avec moi pour me donner les soins que mon âge et ma santé pouvaient exiger ».

Ici se rencontre un épisode ayant plutôt le caractère de souvenir de famille que celui de fait historique : la démarche de Paul-Emile de la Fruglaye pour obtenir d'être enfermé à la Bastille avec son père. — Cependant, ce sujet privé se rattache si intimement au sujet de notre étude, cette démarche spontanée pour devenir l'hôte de la célèbre prison d'Etat s'est présentée si rarement, si toutefois elle s'est présentée jamais, que vous trouverez peut-être presque autant d'intérêt que moi à en suivre le récit mouvementé et sans apprêt que nous en a laissé son auteur, Paul-Emile de la Fruglaye, devenu plus tard le Général de la Fruglaye, Pair de France. Il était alors Sous-Lieutenant de cavalerie, et âgé de 22 ans.

« L'annonce, écrit-il, de l'emprisonnement des Députés parvint promptement en Bretagne où elle jeta la consternation. A peine en suis-je instruit que je me jette aux genoux de ma bonne mère et la supplie de me permettre de partir à l'instant pour Paris, afin d'essayer d'y être utile à mon respectable père ». « J'allais vous l'ordonner, me dit-elle, si vous n'en aviez pas eu la pensée spontanée. Je n'ai qu'un regret, c'est que ma santé s'oppose à ce que je vous suive. Puissent les portes de la Bastille qui se sont fermées sur mon père, mon frère (MM. de la Chalotais et de Caradeuc) et mon mari, s'ouvrir pour vous, afin d'être utile à votre père. Partez, me dit-elle, en m'embrassant avec effusion, et ne revenez qu'avec lui ».

Peu d'instants après j'étais à franc étrier sur la route de Paris, où je me rendis avec toute la célérité possible.

Arrivé à l'hôtel de Rohan-Chabot, rue de Varenne, où j'espérais trouver M. le duc et Mme la duchesse de Rohan qui avaient eu la bonté de me tenir sur les fonds de baptême et qui à ce titre me comblaient de témoignages d'intérêt et de bienveillance, j'appris qu'ils habitaient Saint-Mandé avec l'abbé des Fontaines, l'ami intime de mon père. J'y cours, on m'annonce, la surprise est extrême : « Quoi ! vous ici, me dit le duc de Rohan, en me tendant la main, comment avez-vous pu vous déterminer à quitter madame votre mère dans sa profonde affliction ? »« C'est elle qui me l'a ordonné, monsieur le duc, et pour venir en aide à mon père, s'il est possible. ». Ma bonne marraine s'étant aperçue de l'impression qu'avaient faite sur moi les paroles de son mari, me sourit, et me permit de luy baiser la main, en me disant : « Le coeur fait souvent des démarches avant que le jugement y ait pris part ». « Mais ne condamnons pas sans entendre », reprit l'abbé des Fontaines, dans les bras duquel je m'étais jeté, et à qui je demandais des nouvelles de mon père. — « Parlez, Paul-Emile, me dit la duchesse, quels sont vos plans, vos vues, vos projets pour atteindre le but que vous vous proposez ? »« Ils sont bien simples, madame la duchesse, mon seul but est de porter secours à mon père, et d'entrer à cet effet à la Bastille ». — « Mais vous ne savez donc pas qu'il est même impossible de communiquer avec les prisonniers, qu'on n'entre à la Bastille que lorsqu'on ne le veut pas, et que Dieu sait quand on en sort ? ». — « J'ai mis toute ma confiance dans l'humanité, dans la bonté du Roy ; je lui écrirai, je solliciterai de sa paternelle bonté, la grâce, la faveur d'être enfermé avec mon père ».

Mme de Rohan ne put s'empêcher de sourire à ma naïveté, mais ma parole était si pleine de feu, tellement empreinte du sentiment qui dominait mon coeur et mon âme, qu'elle partageait ma vive émotion, et se retournant vers l'abbé des Fontaines, elle lui dit : « Mais ce n'est pas si mal pensé. Pourquoi ne tenterait-il pas l'aventure ? Il se passe dans ce temps-ci des choses si étranges, si bizarres, qu'il ne serait pas impossible que le jeune sous-lieutenant de vingt ans obtint une réponse favorable du Roy et de son Ministre, tandis que j'en attends une de M. de Brienne depuis six semaines. — Eh bien, l'abbé, voulez-vous être en aide à ce jeune homme peu accoutumé, je pense, au style de la cour ? Mettons-nous à l'oeuvre, chacun de notre côté. Prenons la plume, écrivons au Roy, et nous ferons une lettre de l'ensemble de nos meilleures idées ; soyons courts ; n'ayons d'autre ambition que de parler au coeur du Roi, sensible à toutes les infortunes ».

Aussitôt je saisis une plume, j'écris avec la rapidité de la pensée. Un instant m'a suffi, je me lève et m'écrie : « C'est fait ! » — « Quoi déjà ! dit Mme de Rohan ». — « C'est impossible, cher enfant, dit l'abbé des Fontaines, à peine ai-je eu le temps de placer mes lunettes ». — « Je suis loin de vous donner mon oeuvre comme suffisante. Madame la duchesse a surtout recommandé d'être court, cet éloge, à défaut d'autre, ma lettre le mérite ». — « Voyons, lisez, Paul-Emile, vos juges vous écoutent ».

Je lus, non sans émotion, la lettre qui suit :
« SIRE,
Le comte de la Fruglaye, mon père, doyen de la Noblesse de Bretagne, Député près de Votre Majesté, est enfermé à la Bastille.
Je sollicite de vos bontés la permission de le voir. Sa santé faible et délicate exige des soins que le sentiment filial seul inspire, et qu'il n'appartient qu'à lui de remplir. Daigne Votre Majesté permettre que ce soit moi qui les lui rende.
Il a près de lui un domestique. Je demande, je supplie V. M. pour toute grâce de me permettre de le remplacer »
.
« En vérité, cela peut aller ; c'est bien le langage d'un bon fils. Qu'en pense l'abbé ? » dit la duchesse de Rohan. « Je suis parfaitement de votre avis, en pareil cas le naturel tient lieu d'éloquence ; mais vous n'avez pas fini, mon cher enfant, il faut une lettre au Cardinal pour le prier de vouloir bien remettre votre supplique sous les yeux du Roi ». « Oh ! pour celle-là, elle ira grand train ; le plus difficile est fait ».

La bonne duchesse m'indiqua le protocole à suivre. Mes dépêches furent promptement expédiées. Un écuyer les attendait et fut les porter au Ministre. Impossible de peindre l'anxiété avec laquelle j'attendis une réponse.

Cependant, impatient de me rapprocher du lieu qui renferme mon père, je me transporte sous les murs de la Bastille. J'ai le bonheur de l'apercevoir se promenant sur le donjon. Je bondis ; mon coeur, mes bras s'étendent vers lui. En ce moment, un homme passant près de moi s'écrie : « Tiens, vois donc là-haut ces pigeonneaux, les têtes chaudes de Bretagne ». Sans réflexion, je saute sur lui, un grand coup lui enfonce sur la tête son chapeau de forme profonde. N'y voyant plus et voulant courir, aidé d'un violent coup de pied, il va rouler à plusieurs pas. Dans ma vive colère j'allais redoubler la correction, mais on m'arrête, et des éclats de rire fous poursuivent au loin le malheureux fuyant sans direction, n'ayant qu'à grand'peine pu sortir se tête de son chapeau et ne demandant pas son reste.

Cette histoire, rapportée à Saint-Mandé dans toute la fraicheur et presque dans l'actualité de l'action, égaya beaucoup la réunion et fit sourire jusqu'à la jeune et aimable veuve, la vicomtesse de Wall., dont le mari était mort si malheureusement assassiné dans la forêt de Fontainebleau, quelque temps auparavant.

J'employai mes loisirs à écrire à ma bonne mère, assez heureux pour lui donner de bonnes nouvelles de notre cher prisonnier que j'avais vu de mes yeux.

Il y avait cinq jours depuis l'envoi de ma demande, lorsqu'une estafette du ministère arriva, et me remit en main la réponse du Cardinal. Dans mon émotion, à peine puis-je la lire à Mme la duchesse de Rohan, presque aussi empressée que moi d'en connaître le contenu :

Réponse du Cardinal de Brienne à M. P.-E. de la Fruglaye.

« J'ai remis sous les yeux du Roi, Monsieur, la demande honorable et touchante que vous m'avez adressée. — Sa Majesté daigne accéder à vos désirs. Ses ordres sont transmis au Ministère de la Police. Vous pouvez vous y présenter et M. de Crosne vous fera délivrer les moyens d'entrer à la Bastille près de M. votre père ».

Je cours, ou plutôt je vole, au Ministère de la Police. J'étais signalé, chose qui me parut étrange ; mais aussi peut-être était-ce la première fois, depuis la fondation de la Bastille, qu'on sollicitait avec ardeur la faveur d'être enfermé dans ce lieu si redouté. M. de Crosne, avec un bienveillant empressement, me remit l'ordre d'introduction à la Bastille, et un officier de la police vint m'y conduire.

Le gouverneur, M. de Launay, n'avait nul avis de mon arrivée, mais il m'accueillit parfaitement, et me donna de bonnes nouvelles de mon père : « Veuillez, je vous en supplie, lui dis-je, me faire conduire près de lui ». A l'instant il ordonne au major de satisfaire à mon impatience. Il serait impossible de rendre le bouleversement de tout mon être dans ce moment ; j'aurais voulu enfoncer ces portes qui s'ouvraient si lentement et qui me séparaient de ce que j'avais de plus cher au monde. Le portier brouillait les serrures, se trompait de clé, et par ses maladresses me faisait bondir.

Enfin la véritable porte s'ouvre, celle du cachot qui recélait mon père. Je me précipite dans ses bras, en l'étouffant de mes caresses avant même qu'il ait eu le temps de me reconnaître. « Qui donc êtes-vous ? me dit-il, qui m'amenez-vous ? dit-il au bon major ». — « Votre fils, lui criai-je, en l'embrassant de nouveau ». Alors il me rendit en témoignages paternels les tendresses filiales que je lui avais prodiguées. « Je ne reviens pas de votre présence ici ; — comment, par quel bonheur avez-vous pu franchir les murs de ma prison ? — Mais, avant tout, donnez-moi des nouvelles de votre bonne mère ». Je satisfis à son désir, « Maintenant, ce que je ne puis m'expliquer, comment êtes-vous parvenu jusqu'ici ? ».

« Vous le voyez, répondis-je, rien d'impossible quand le coeur d'un enfant sollicite au nom d'un père chéri, et quand un bon Souverain dispose des grâces ».

Je racontai les faits avec l'élan qui les avait dictés ; il en fut vivement impressionné, il me serra dans ses bras et ses larmes paternelles inondèrent mes joues brûlantes.

« Vous avez rempli le devoir d'un bon fils, me dit-il, mais je ne puis accepter le sacrifice de votre liberté que vous m'offrez si généreusement » ; puis, s'adressant au major, témoin de cette scène : « Je n'accepte pas dans toute son étendue, l'acte de dévouement de mon fils. Je le reçois à titre de visite qui me comble de satisfaction, mais je vous prie de trouver bon qu'il s'en retourne avec vous porteur de la lettre que je vais écrire au Ministre ».

— « Il n'en sera rien, mon père, vos ordres seront toujours sacrés pour moi, mais ici, je vous le déclare, s'il s'agit de vous quitter, je ne les suivrai pas ».

Mon père était un homme à caractère, habitué à se faire obéir, et imprimant fortement par les seuls traits de son visage l'impulsion de sa volonté à tous, à plus forte raison à ses enfants. Ne tenant aucun compte de ce que je viens de lui dire il prend la plume et écrit au Ministre.

Pour moi, dans un état d'exaltation impossible à rendre, je me promenais à grands pas ; au bout de quelques minutes il m'appelle et lit haut sa lettre. Je l'écoute, je la saisis de ses mains, et avec un frémissement qui attestait le désordre de tout mon être, je l'arrache à mon père, je la déchire et la précipite à ses pieds ; puis, levant les yeux sur lui avec la plus respectueuse assurance : « Pardon mille fois, lui dis-je, mais vous daignerez excuser ma démarche par la vivacité du sentiment qui ne m'a pas laissé le temps de la réflexion. Toutefois, mon père, mon parti est pris ; je suis militaire, les ordres du Roy me sont sacrés. J'y obéirai même avant les vôtres ; ma consigne est de rester auprès de votre personne, j'y resterai ».

Pour comprendre le caractère saisissant de cette scène, il faudrait se représenter tout ce que mon père avait d'imposant dans les manières, et qui portait à obéir à un mot, à un geste, à un regard. Mais telle fut sa surprise qu'il ne se manifesta en lui rien de violent ; ses sourcils, habitués à indiquer l'improbation ne se contractèrent même pas ; sa physionomie était empreinte de l'expression la plus évidente de la bonté, il me sourit, me prit par le bras avec mi sentiment particulier d'affection et me dit :

« Quelque peu mesurée que soit l'action que vous venez de faire, je l'excuse en considération du motif qui l'a dictée, et, loin de vous blâmer, j'approuve le sentiment énergique qui vous a porté à la résistance. Il me fait espérer que, puisque l'attachement filial domine aussi fortement votre âme, l'amour de la Patrie et de notre chère Bretagne ne sera pas moindre chez vous. Faisons donc tous nos efforts pour la servir ; l'occasion s'en présente, saisissons-la !

Vos succès du moment, dus aux judicieux avis de nos respectables amis, peuvent être utilisés de la manière la plus précieuse à l'avantage de la province ; gardons-nous de la laisser échapper. Par un bonheur tout providentiel, vous avez mis le pied dans la Bastille ; n'y restez pas ; ici vous ne seriez qu'un triste prisonnier de plus. Dans Paris vous serez le centre de nos relations, vous nous mettrez en communication directe avec tout ce que la capitale renferme de braves bretons, dévoués à notre cause. Voilà le but auquel vous devez tendre, l'utile mission que s'ouvre devant vous, la tâche que je serai heureux de voir remplie par mon fils. Jamais je n'ai douté des tendres sentiments de son coeur et je me plais à prendre confiance en son énergie. Rendez-vous digne du sang qui coule dans vos veines, d'une famille qui ne fléchit jamais sous les coups de la tyrannie, de votre grand'père de la Chalotais sur lequel la France a encore les yeux ouverts et qui montra ici-même, dans cette prison qui semble le rendez-vous de la famille, tant d'héroïsme, de fermeté, de courage. — Votre mère, si courageuse elle-même, a les yeux fixés sur vous ; vous lui obéirez ainsi qu'à moi en faisant ce que je vous prescris, ce qu'elle vous conseillerait, si elle était présente ».

— « Ah ! m'écriai-je, si je savais que ma bonne mère m'approuvât, je céderais à l'instant aux sentiments d'ardeur que vous avez fait entrer dans mon âme ; mais cette tendre mère je l'ai quittée, lui laissant pour consolation l'espoir que ma présence vous serait utile ; il serait indigne à moi de trahir sa confiance au moment ou réalisant pour ainsi dire l'impossible, j'ai pu obtenir de me réunir à vous ».

— « Oui, reprit mon pure, je vous en suis garant, votre mère approuvera votre démarche ; sa saine et judicieuse raison, son amour éclairé pour vous, ses sentiments élevés, bretons avant tout, vous sauront gré de votre obéissance. Partez, remettez au Ministre la lettre que je vais écrire ».

« Pardon, lui dis-je, encore un mot, un engagement de votre part, ou je reste, c'est mon invariable détermination. Promettez-moi, répétai-je, en pressant sa main sur mes lèvres, que vous m'appellerez à l'instant où votre santé aurait besoin de mes soins et que vous me permettrez en ce cas de remplacer prés de vous votre fidèle serviteur Smith ».

« Je vous le promets », me dit-il. Je me précipitai dans ses bras, mon coeur était satisfait. Je me complaisais dans la pensée que ma bonne mère applaudirait à ma démarche.

Le respectable major, témoin constant de cette scène touchante pour lui puisqu'il était père, se retournait furtivement pour essuyer de grosses larmes ».

Paul-Emile de la Fruglaye raconte ensuite avec des détails que nous nous bornerons à résumer : d'abord sa visite au lieutenant général de police, M. de Crosne, chez lequel il alla en quittant son père ; M. de Losme, le bon major de la Bastille, avait reçu ordre de l'y accompagner et d'y rendre compte du refus du comte de la Fruglaye de recevoir son fils, autrement qu'à titre de visite. L'entremise de cet introducteur sur lequel le dévouement filial du jeune sous-lieutenant avait produit une impression si bienveillante, ne contribua pas peu à disposer favorablement M. de Crosne, et quand, après s'être entretenu quelques instants avec le major, il fit introduire Paul de la Fruglaye, ce fut de la manière la plus prévenante qu'il l'accueillit. « Je ne puis qu'approuver votre démarche », lui dit-il. — « Et moi, je ne me la pardonnerai jamais, si grâce à votre bienveillance, je ne réussis à voir mon père dans sa prison ». — « Cette faveur dépend de M. le Cardinal. J'espère que ce ne sera pas chose impossible. Ecrivez-lui votre demande, je la lui remettrai ».

Puis vient le récit du retour de Paul-Émile de la Fruglaye à Saint-Mandé, son appréhension avant d'y arriver que les motifs de son obéissance à son père n'y soient pas approuvés par ses respectables amis, la scène d'étonnement qui a lieu quand on y voit revenir celui qu'on croyait enfermé à la Bastille, cette prison dont, malgré la grande longanimité du Gouvernement d'alors, les redoutables souvenirs inspiraient encore la terreur ; enfin, quand le jeune officier a retracé avec toute l'animation dont son âme est encore pleine, la scène dont nous avons lu le tableau : l'entrevue avec son père, le refus d'obéir à l'ordre de le quitter, la lettre déchirée, puis l'affection du fils se décidant enfin à céder aux sentiments de dévouement à la Bretagne que la parole paternelle a fait vibrer dans son coeur, l'émotion du narrateur se communique à tous ceux qui l'écoutent, et c'est avec un élan unanime que toutes les personnes présentes lui témoignent leur approbation.

Mais quel sera le sort de la demande qu'il a faite d'être admis à visiter son père ? Cette question se pose aussitôt à l'esprit de ses auditeurs. Cette seconde faveur demandée est bien plus étendue que la première obtenue. Paul de la Fruglaye enfermé à la Bastille avec son père n'est qu'un prisonnier de plus. Visiteur introduit de temps en temps auprès des captifs, il devient leur voie de communication avec le dehors, et comme une traînée de poudre établie entre l'intérieur de la Bastille et Paris où l'opinion publique s'agite et s'émeut en faveur des prisonniers. « Non, s'écrie l'abbé des Fontaines, il est impossible, qu'avec la meilleure volonté du monde, on accorde pareille grâce. Autant vaudrait accorder de suite aux prisonniers la liberté qui en serait la conséquence inévitable ».

Alors le vieux duc de Rohan, malgré son âge et ses douloureuses infirmités, se lève en pied, et d'un accent plein d'énergie et d'assurance : « Ne vous souvient-il plus, s'écrie-t-il, d'Henri IV ravitaillant Paris qu'il assiégeait ; la bonté des Bourbons va jusqu'à compromettre leur pouvoir. Moi, je vous le dis, Paul-Emile, la permission vous sera accordée, car le Roi y trouvera une occasion de satisfaire la bonté de son cœur ».

Ce fut le duc de Rohan qui eut raison et Paul-Émile de la Fruglaye reçut de M. de Crosne la réponse suivante :

« J'ai la satisfaction de vous annoncer, Monsieur, que Sa Majesté vous accorde la grâce que vous sollicitez.

Les ordres sont donnés à la Bastille pour que vous soyez admis à voir monsieur votre père deux fois par semaine, de 11 heures à midi ».

Dix heures sonnaient ; une heure après Paul-Emile de la Fruglaye était à la Bastille dont les portes s'abaissaient encore une fois devant lui, il se retrouvait dans les bras de son père, et devenait l'intermédiaire et l'organe des Députés prisonniers vis- à-vis de leurs nombreux amis du dehors. Cette mission prit promptement une grande importance. En effet, la sensation produite à Paris et en province par la détention des Députés Bretons allait s'accroissant et se généralisant de plus en plus.

Le Parlement de Bretagne nommait une députation de douze de ses membres, Président et Procureur général en tête, pour venir à la Cour demander la liberté des prisonniers. Les Commissions intermédiaires, établies dans les neuf évêchés de Bretagne, et composées chacune de neuf personnes appartenant aux trois ordres des Etats, députèrent dans le même but, cinquante-quatre de leurs membres. Enfin les provinces de Dauphiné, de Languedoc, d'Artois, de Provence firent cause commune avec la Bretagne qu'elles regardaient comme soutenant dans la circonstance les droits de tous, et envoyèrent à la Cour des chargés d'ordres, avec des mémoires d'adhésion à la cause des Députés Bretons, et des sollicitations pour leur mise en liberté.

Paul-Emile de la Fruglaye fut envoyé par les prisonniers au-devant de la députation du Parlement de Bretagne, avec mission de remercier cette députation et de lui exprimer combien les prisonniers se sentaient heureux de sa démarche et forts d'une si imposante adhésion. Il était en outre chargé de l'engager à agir avec prudence, à ne pas braver l'avis qu'elle avait reçu de ne pas entrer dans Paris sous peine de partager le sort de ses prédécesseurs. La députation du Parlement était arrivée à Houdan, pleine d'ardeur et de courage, disposée à passer par dessus l'avis et à franchir tous les obstacles. Le jeune envoyé la prévint qu'elle tenterait inutilement d'être admise auprès du Roi, que la résolution était prise d'arrêter ses membres, s'ils poussaient plus avant, et que, dans le moment même on préparait, il l'avait vu de ses yeux, leurs logements à la Bastille. — « Des changements prévus dans le ministère faisaient, ajouta-t-il, espérer des mesures conciliantes qu'il fallait craindre d'empêcher en heurtant les bonnes volontés par des démarches intempestives ».

Ces paroles, confirmées par les personnages les plus éminents venus aussi à Houdan, persuadèrent à la députation du Parlement de surseoir à toutes démarches ultérieures.

Les Députés des Commissions intermédiaires arrivaient pendant ce temps jusqu'à Paris, mais ne réussissaient pas à y obtenir audience du Roi. Toutefois, l'éclat de ces adhésions agissait vivement sur l'esprit public qui se prononçait de plus en plus, à Paris et dans les provinces, en faveur des prisonniers bretons.

Leurs liens se relâchèrent insensiblement. Les captifs ne furent plu scomme dans le principe complètement isolés les uns des autres, et purent même dîner tous les jours quatre ensemble, à tour de rôle. Leurs femmes obtinrent la permission de les voir.

Enfin, Necker ayant remplacé au ministère le Cardinal de Loménie de Brienne, la mise en liberté des Députés Bretons fut décidée. Ce fut au mois d'octobre 1788, après deux mois et demi de détention. Necker fit annoncer à huit heures du matin à la duchesse de Rohan que ce jour-là même les prisonniers pourraient quitter la Bastille. Paul-Emile de la Fruglaye fut auprès d'eux le premier messager de cette heureuse nouvelle. A peine l'eût-il appris, que franchissant les murs du parc de Saint-Mandé, il s'élança sur la route de la Bastille et y arriva à temps pour annoncer le premier, non-seulement aux prisonniers, mais à l'état-major de la Bastille qui l'ignorait encore, la décision du Roi. Ce fut seulement vers la fin de la journée que l'annonce officielle leur en parvint.

« A quatre heures de l'après-midi, écrit le comte de la Fruglaye, M. de Crosne, lieutenant général de police, vint en personne dans mon appartement m'apprendre avec tout intérêt et obligeance que la liberté nous était rendue. Je l'en remerciai infiniment, lui disant aussi que mes collègues et moy y étions préparés depuis le matin 9 heures. — « Je ne l'ai su qu'à 11 heures, me répondit-il. Vous avez de bons amis »; Nos malles étaient faites, chacun ne songea qu'à se procurer une voiture pour sortir, empressement fort naturel de la part de gens très ennuyés de deux mois de détention ; mais M. de Crosne me pria de le modérer et d'engager mes collègues à différer leur sortie jusqu'à la fin du jour, afin d'éviter l'effervescence populaire qu'elle pourrait exciter.
La crainte qui lui prescrivait cette précaution avait pour base le vif intérêt que le peuple même de Paris avait témoigné aux détenus de Bretagne, se rassemblant chaque jour en foule sous les murs de la Bastille au moment de leur promenade sur les donjons. Nous nous conformâmes au désir de M. de Crosne. Je sortis le dernier ».
« Les cours de la forteresse, écrit Paul-Emile de la Fruglaye, se remplirent bientôt de nombreux équipages. Celui du duc de Rohan était venu chercher mon père, et Dieu sait si nous fûmes bien accueillis en arrivant à Saint-Mandé, où une nombreuse réunion attendait l'embastillé pour le complimenter et le féliciter de sa délivrance »
.

Chacun des prisonniers usa à son gré à partir de ce momento de la liberté qu'ils venaient de retrouver ; mais les témoignages publics d'intérêt dont ils avaient été comblés leur imposaient des devoirs de reconnaissance et de remerciement dont le comte de la Fruglaye, comme doyen de la députation, eut à s'acquitter vis-à-vis des Députés intermédiaires de Bretagne, dont le doyen était M. de Montmurand, et aussi vis-à-vis des Députés des provinces de Dauphiné, de Provence, de Languedoc et d'Artois.

« La Commission intermédiaire de Rennes, ajoute François-Gabriel de la Fruglaye, s'empressa de nous écrire de la manière la plus flatteuse, nous demandant de retourner en corps, et de lui indiquer le jour de notre arrivée afin de venir au-devant de nous nous convier à une fête splendide qu'elle nous préparait. J'eus l'honneur de répondre au nom de la Députation, en témoignant toute reconnaissance et nous excusant d'accepter. ........... Toutefois, chacun de nous retournant à son domicile, reçut les honneurs et les témoignages publics les plus flatteurs de ses concitoyens. Personnellement, j'en fus comblé. — A mon arrivée à Morlaix, le 19 novembre, tous les Corps administratifs et judiciaires vinrent me rendre visite. Une fête me fut donnée à la salle de la Comédie, et un feu d'artifice sur la place de Viarmes précéda un soupé suivi d'un bal général .......... Une chose ingénieuse et marquante du soupé, dont on m'avait chargé de faire les honneurs, fut une crocante servie devant moi et figurant la Bastille. Quand je l'ouvris pour en servir, 12 petits oiseaux s'en envolèrent, allusion aux 12 Députés Bretons remis en liberté. Cela ranima la joie des convives. Nombre de couplets analogues au sujet de la fête furent chantés. — J'ouvris le bal qui fut très brillant, et dura jusqu'au jour avec une gaité très soutenue ».

Tel fut l'épilogue des dernières luttes où la Bretagne eut à défendre les conditions de son traité d'union avec la couronne de France.

D'une bien moindre durée que celle soutenue sous le règne de Louis XV par les Procureurs généraux (résistance a laquelle le comte de la Fruglaye, gendre de M. de la Chalotais, avait aussi pris sa grande et noble part), la résistance au ministère de Loménie de Brienne, présentait moins de gravité et offrait aussi moins de danger, parce que l'arbitraire était alors tempéré par la bonté et l'équité personnelle du Roi.

Toutefois là encore la résistance eut son mérite. C'en est un grand de savoir défendre, en face d'une autorité qu'on respecte et qu'on aime, un droit et des lois méconnues.

Cette résistance, son unique mobile était l'intérêt et le droit de la Bretagne ; on le sentait si bien que, sans distinction de classe, toute la province s'associait aux gentilshommes, champions d'une si juste cause. La démarche remarquable et significative des Commissions intermédiaires des trois Ordres des Etats, en faveur des Députés de la Noblesse, enfermés à la Bastille, en est une preuve irréfutable. La cause que ceux-ci défendaient était donc regardée comme la cause de la Bretagne entière, et tous les Ordres s'y donnaient la main dans la plus intime et la plus sympathique union.

Hélas ! pourquoi cette union qui est la force des sociétés et la condition même de leur vie ne fut-elle pas de plus longue durée !

C'est en octobre et novembre 1788 que rentraient dans leurs foyers les délivrés de la Bastille. Dès le 24 décembre suivant, jour de l'ouverture de l'avant-dernière session des Etats, les trois ordres se montraient profondément divisés sur la question de la répartition des charges publiques ; les amères récriminations des uns contre les autres soulevaient bientôt dans la rue un violent contre-coup. Le 27 janvier 1789, les étudiants en droit s'attroupaient en armes ; plusieurs membres de la Noblesse étaient massacrés, la force armée se trouvait dans la nécessité de défendre la liberté des Etats et la sécurité personnelle de ses membres ; c'était au milieu de ces troubles incomplètement apaisés que se terminait la session et que la salle des Etats à Rennes se fermait pour la dernière fois.

Le 14 avril 1789, une dernière et courte session s'ouvrit à Saint-Brieuc ; il s'agissait de nommer des Députés aux Etats-Généraux. Les Etats de Bretagne, trouvant insuffisant le nombre de Députés attribué à la province, se refusèrent à les élire, puis se séparèrent pour toujours.

Les antiques libertés provinciales de la Bretagne avaient vécu.

(Comte de Champagny).

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