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EXPÉDITION DE LOUIS-LE-DÉBONNAIRE CONTRE LES BRETONS EN 818.

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Louis Ier (latinisé en Hludovicus ou Ludovicus) dit « le Pieux » ou « le Débonnaire », né en 778 à Cassinogilum (localisation incertaine) et mort le 20 juin 840 à Ingelheim près de Mayence, est roi d'Aquitaine jusqu'en 814, puis empereur d'Occident de 814 à sa mort en 840. Il est le fils de Charlemagne et de Hildegarde de Vintzgau, de la famille bavaroise des Agilolfing. Il succèda à son père Charlemagne mais  il n'avait pas l'énergie de son père. Les Normands ravagèrent ses états et ses propres fils prirent les armes contre lui. Il mourut de chagrin en 840. Ses fils Lothaire Ier, Louis le Germanique et Charles le Chauve conclurent entre eux le traité de Verdun.

Louis le Débonnaire.

Après la mort de Charlemagne, le 28 janvier 814, son fils Louis, tente de conquérir la Bretagne mais se heurte à une farouche résistance, en particulier de la part d’un chef du centre Bretagne, le roi Morvan. L’expédition de Louis Le Pieux nous est connu grâce au témoignage d’un chroniqueur franc, Ermold (ou Ernold) Le Noir, qui nous fournit quelques renseignements sur cet événement.

Louis-le-Débonnaire et son père Charlemagne. 

Louis-le-Débonnaire et son père Charlemagne.

A peine établis en Armorique, les Bretons se trouvèrent aux prises avec les Francs, les uns et les autres voulant assurer et même reculer leurs frontières respectives. La lutte entre ces deux peuples se poursuivit incessante et à peu près égale, jusque vers la fin du VIIIème siècle. Charlemagne, le premier, soumit la Bretagne tout entière et l'on dut croire qu'elle ne se relèverait jamais de ce coup terrible. Cependant, au lendemain même de la mort du grand empereur, son fils, Louis-le-Débonnaire, jugea nécessaire de conduire contre les Bretons une armée formidable et de les dompter une fois encore.

Peu d'années après, les grands succès de Nominoë, qui ont fait, à proprement parler, la Bretagne, plus tard, ceux d'Erispoë et de Salomon, enfin les victoires décisives des deux Alain sur les Normands, furent de larges compensations aux précédents échecs de nos pères. Et pourtant, il semble que le souvenir de leur soumission sous les Carlovingiens soit toujours resté présent à leur mémoire, aussi bien qu'à celle de leurs anciens vainqueurs. Ceux-ci y ont trouvé des arguments en faveur d'une suzeraineté qu'ils ont plus d'une fois revendiquée, ceux-là y ont puisé peut-être une tendance à accepter progressivement la supériorité féodale de la France, jusqu'au jour où elle est devenus la commune patrie des uns et des autres.

Sous ce rapport, les guerres soutenues par les Bretons à l'époque carlovingienne, ont une importance particulière et l'on ne saurait en trop bien connaître tous les détails. C'est ce qui explique et justifie la question du programme à laquelle nous allons essayer de répondre [Note : Cette question est ainsi conçue : Etudier aux points de vue chronologique, topographique, militaire et politique, la guerre de l'empereur Louis-le-Débonnaire contre Morvan, roi des Bretons, en 818].

Louis le Débonnaire.  Louis le Débonnaire. 

L'épisode qui aboutit à la mort de Morvan, roi élu des Bretons armoricains, est certainement l'un des plus pittoresques et des plus dramatiques de notre histoire. Aussi M. Augustin Thierry l'a-t-il jugé digne de figurer, d'abord dans ses Lettres sur l’Histoire de France, et plus tard dans son livre intitulé : Dix ans d'études historiques.

Eginhard, qui a noté, année par année, les faits et gestes de Louis-le-Débonnaire, dit très peu de chose de sa campagne en Bretagne ; il se borne à ces quelques lignes : « L'empereur conduisit lui-même en Bretagne une puissante armée et ce fut à Vannes qu'il tint l'assemblée générale (conventum). Etant ensuite entré dans cette province, memoratam provinciam, il s'empara des lieux fortifiés par les rebelles, et il eut bientôt, sans beaucoup de peine, non magno labore, réduit tout le pays sous son obéissance (in suam potestatem redegit). En effet, une fois que Morvan qui, au mépris des usages de son pays (proeter solitum Brittonibus morem), avait usurpé le titre de roi, eût été tué par les troupes impériales, on ne rencontra plus chez les Bretons aucune résistance. Pas un d'eux ne refusa d'exécuter les ordres qui furent donnés ou de livrer les otages que l'on exigea » (Traduction de Teulet).

Tel est le récit sec et sommaire dans lequel Eginhard affecte de donner à la Bretagne la qualification de province et trouve le moyen d'émettre une contre-vérité, lorsqu'il dit que Morvan avait usurpé le titre de roi au mépris des usages des Bretons. C'était, au contraire, une coutume ancienne chez eux de nommer un chef suprême, un roi, un Pentiern, suivant le mot de leur langue, dans toutes les circonstances graves où la nécessité de concentrer en une seule main le pouvoir et le commandement militaire se faisait particulièrement sentir. Les Bretons de l'île avaient élu Wortigem pour résister aux Pictes et aux Scots ; de même les Bretons de l'Armorique, à la mort de Charlemagne, élurent d'abord Jarnithin, puis Morvan ; et, quelques années plus tard, ils élevèrent aussi Wiomarch à la royauté.

Quoi qu'il en soit, si nous ne possédions que le passage des annales d'Eginhard sur l'expédition des Francs en 818, il nous serait difficile de justifier les épithètes que nous avons données plus haut à ce fait historique. Heureusement, un poëte du IXème siècle, Ermold Le Noir (Ermoldus Nigellus), nous a laissé sur la campagne de Louis-le-Débonnaire, les détails les plus curieux, les plus intéressants, et c'est d'après lui que M. Augustin Thierry a raconté cette campagne.

Ermold est un moine franc ; au moment où il écrit, il est exilé à Strasbourg pour on ne sait quel motif, et c'est afin d'obtenir sa grâce de l'empereur qu'il compose son long poème. A tous ces titres, il est naturel qu'il ne se montre pas complètement impartial dans ses appréciations. Franc, il attribue aux Francs tous les mérites, toutes les qualités, toutes les vertus et prête, au contraire, aux Bretons, tous les défauts et tous les vices. Exilé par l'empereur et soupirant après sa grâce, il épuise à l'égard de Louis-le-Débonnaire, les formules de la louange et de la flatterie, tandis qu'il fait de Morvan le portrait le moins séduisant. Mais à part ces taches qui s'expliquent par la nationalité et la situation personnelle d'Ermold, son poème a une véritable valeur historique. On y trouve, tout d'abord, sur l'armée franque, des indications qui donnent une idée de son importance.

« Bientôt, dit-il, accourent ces peuples connus de tout temps sous le nom antique de Francs.... Des milliers de Suèves, à la blonde chevelure, rassemblés par leurs centeniers viennent d'au-delà du Rhin ; on y voit les phalanges Saxonnes : elles ont de larges carquois et avec elles marchent les troupes de la Thuringe. La Bourgogne envoie aussi une jeunesse diversement armée, qui se mêle aux guerriers des Francs et en augmente ainsi le nombre. Mais redire les peuples et les immenses nations de l'Europe qui se pressent vers ce lieu, est une tâche que j'abandonne ; les nombrer serait impossible ». (Traduction de M. Guizot, collection des mémoires relatifs à l'Histoire de France).

Plus loin, Ermold nous montre l'armée en mouvement ; on la voit s'avancer à travers les bois et les marais, au son de la trompette retentissante, en venir aux mains avec l'ennemi dont la tactique est décrite, aussi bien que la configuration du pays [Note :  Ermold connaissait la Bretagne. Il y avait suivi Louis-le-Débonnaire, non en 818, mais en 822, et il paraît, que comme tant d'autres poètes, c'était un étrange soldat, il le reconnait lui-même dans les vers suivants au livre IV de son poème : Huc egomet scutum humeris ensemque revinctum - Gessi, sed nemo, me feriente, dolet. - Pippin hoc aspiciens risit, miratur et infit - Cede armis, frater, literam amato magis. « Moi-même j'ai porté le bouclier sur les épaules et ceint l'épée dans ce pays ; mais personne n'a souffert de mes coups, et Pepin qui le remarqua en rit et me dit dans son étonnement : laisse les armes, frère, et préfère les lettres »] ; mais reprenons les choses de plus haut, toujours d'après notre poète.

Sur le sombre tableau que Lambert, comte de Nantes, a fait à Louis-le-Débonnaire de la Bretagne et de ses habitants, de leur turbulence guerrière, de leur refus de payer le tribut aux Francs, que sais-je, l'empereur se décide à attaquer les Bretons. Cependant comme il ne se dissimule pas les périls de toute sorte qu'offre une pareille expédition contre des populations aguerries et dans un pays hérissé de difficultés, il prend le sage parti d'essayer d'abord des moyens de conciliation [Note : Naturellement Ermold attribue à la magnanimité de l'empereur la démarche qu'il fit faire près de Morvan. Mais il nous est bien permis de croire que sa prudence y fut pour quelque chose. Ce qu'il y a de certain, c'est que le souvenir des guerres contre les Bretons était tel, quelques années plus tard, que les Francs, en 830, refusèrent de suivre l'empereur dans une nouvelle expédition. « Quod iter, » disent les annales de Saint-Bertin, « omnis populus moleste ferens propter difficultatem itineris, eum (l'empereur) illuc sequi noluerunt »].

Par hasard, se trouvait à la cour de l'empereur, à Aix-la-Chapelle, un moine franc du nom de Withcaire, qui possédait une abbaye et des biens considérables sur les frontières de la Bretagne. Louis-le-Débonnaire le charge d'aller trouver Morvan, de lui représenter les dangers auxquels il s'exposerait en bravant un souverain aussi puissant que celui des Francs, de l'engager dans son propre intérêt, dans l'intérêt de sa famille et de ses sujets à ne pas commettre une pareille imprudence, enfin d'employer, s'il le faut, la menace.

Withcaire monte à cheval. Il connaît Morvan, il connaît sa demeure, il y est bientôt rendu et introduit. Alors, avec l'art consommé d'un diplomate émérite, il s'efforce de toucher le roi breton, en le mettant en présence de ses devoirs, tels qu'il les comprend, puis il cherche à l'effrayer par un pompeux tableau de la puissance de l'empereur et des forces innombrables qu'il peut lui opposer.

Morvan qui avait écoulé le moine franc avec une attention soutenue, était visiblement ébranlé et peut-être sur le point de renoncer à ses projets belliqueux. Mais il avait compté sans sa femme (Ermengarde de Hesbaye, née vers 778, morte le 3 octobre 818 à Angers), dont l'arrivée subite eut bientôt changé ses dispositions. Après l'avoir couvert de caresses, pour mieux s'emparer de lui, elle lui parle à l'oreille avec une animation extrême, puis, jetant sur Withcaire des regards pleins de colère et de mépris, elle s'adresse à Morvan « Roi, s'écrie-t-elle, toi dont le bras a élevé jusqu'aux cieux le nom de tes ancêtres, de quel lieu vient un tel hôte ? Comment est-il parvenu jusqu'à ton château ? apporte-t-il des paroles de paix ou de guerre » (Traduction de M. Guizot).

Louis-le-Débonnaire et son épouse Ermengarde de Hesbaye.

Louis-le-Débonnaire et son épouse Ermengarde de Hesbaye.

Ermengarde de Hesbaye, épouse de Louis-le-Débonnaire.

Morvan, ému de ce langage, le laisse voir, tout en disant timidement à sa femme que les questions de paix et de guerre ne regardent que les hommes. Withcaire s'aperçoit de l'émotion du Pentiern, il en saisit la portée, et, comprenant que le temps est contre lui, il déclare qu'il lui faut une réponse immédiate. Mais, Morvan, hésitant, troublé, craignant de se montrer moins énergique qu'une femme, demande la nuit pour réfléchir.

La nuit, hélas ! il la consacre moins à des réflexions sérieuses qu'à d'abondantes libations, et, lorsque, à la pointe du jour, Withcaire se présente devant lui, il trouve un tout autre homme que celui de la veille. Morvan ivre, excité par les vapeurs du vin, se laisse aller à la colère et répond au moine franc « que ses champs lui appartiennent et non à l'empereur, et que si les Francs osent lui déclarer la guerre, il leur montrera que son bras n'est pas encore si faible » (Nec sua rura colo, nec sua jura volo. - Ille habeat Francos, Brittonica regmina Murmam).

Withcaire essaie vainement de convaincre Morvan de sa témérité ; l'emportement de celui-ci est à son comble. « Contre les traits dont tu me menaces, dit-il, il me reste des milliers de chars et, à leur tête, je m'élancerai bouillant de fureur, au-devant de vos coups, à vos boucliers blancs j'opposerai des boucliers coloriés » (Rite tenet, censum sive tributa vetat. - Bella cient Franci, confestim bella ciebo. - Neve adeo imbellis dextera nostra manet ! - Missilibus millena manent, mihi plaustra paratis - Cum quibus occurram concitus acer eis. - Scuta mihi fucata, tamen sunt candida vobis - ERMOLD, chant III).

Withcaire part alors et va reporter à l'empereur la réponse du roi breton. Sans perdre un instant, Louis le Débonnaire se met en marche à la tête d'une armée nombreuse et réunit toutes ses forces à Vannes qui était alors au pouvoir des Francs. Cependant, avant d'entrer sur le territoire breton, l'empereur veut tenter un dernier effort pour ramener Morvan à des sentiments pacifiques. Il charge un envoyé de lui répéter ce que lui a déjà dit Withcaire, espérant peut-être que l'imminence du péril produira sur l'esprit du Pentiern plus d'effet que des menaces faites à distance. Mais celui-ci se montre inébranlable, la guerre est engagée.

Nous serions tentés de raconter ici, à l'aide du poème d'Ermold, les premiers exploits des Francs contre les Bretons, embusqués dans les bois et dans les marais. Rien ne saurait donner une idée plus exacte de la stratégie de nos pères demeurée, suivant une observation très juste de M. de Courson, ce qu'elle était au temps de César, mais de trop nombreuses citations prolongeraient outre mesure une communication qui menace déjà de bien s'étendre.

Cependant l'armée de Louis-le-Débonnaire approche du château de Morvan (Avia lustra patent atque superba domus - ERMOLD, chant III) et s'apprête sans doute à en faire le siège. Mais, soit impatience. de combattre, soit, comme semble l'insinuer Ermold, besoin de ranimer le courage de ses soldats [Note : Ermold prête ce discours à Morvan : Cernitis, o juvenes, Francorum exercitus omnis - Vastat agros, homines et pecus omne trahit. - 0 patriae virtus, o quondam fama parentum ! - Nobilis, heu frustra, jam memorata pudet. ... Nusquam tuta fides ; ubi nunc promissa per annum - Dextera ? nunc Francos nullus adire volet], Morvan, au lieu d'attendre l'ennemi sur un terrain que l'art et la nature ont également fortifié, se jette dans la campagne à la tête de quelques guerriers d'élite. Ce ne sont pas des Bretons qu'il rencontre tout d'abord, ce sont des Francs, et l'un d'eux dont Ermold nous a conservé le nom (il s'appelait Cosel), ose l'affronter dans une sorte de combat singulier. Passons sur les discours plus épiques que vraisemblables, mis par le poète dans la bouche des deux champions au moment d'en venir aux mains, et jusque pendant la lutte, négligeons même, si vous le voulez, les péripéties d'un duel dont il nous suffit de connaître le dénouement. Cosel perce Morvan de sa lance et lui tranche la tête, mais il ne jouit pas longtemps de sa victoire ; un des compagnons du roi l'a bientôt vengé, Cosel est lui-même atteint mortellement [Note : Ermold ajoute que le serviteur, l'écuyer de Cosel, tua de sa main le meurtrier de son maître et que lui-même succomba à un coup que lui avait porté son adversaire mourant].

Ici se place un épisode qui aurait dû faire avouer au poète que la barbarie n'existait pas que chez les Bretons. La tête ensanglantée de Morvan est apportée dans le camp des Francs qui se la passent de main en main. Elle est horriblement mutilée ; mais Withcaire, qui se trouve là juste à point, atteste que c'est bien la tête de Morvan, après l'avoir lavée toutefois et avoir débarrassé la face des cheveux qui la recouvraient. Les Bretons sont à leur tour promptement informés de la mort de leur roi. Les plus intrépides alors perdent courage et tous, les parents de Morvan, les premiers, implorent le pardon de l'empereur [Note : Regia frena petunt Brittones, namque coacti - Jam sobolesque genus murmanis omne venit. - Mox Hludowicus ovans recipit Britonnica jura, - Dat jus, datque fidem ; pax requiesque datur].

Tel est, en substance, le récit que nous a laissé Ermold Le Noir de la campagne de Louis-le-Débonnaire contre Morvan. Si détaillé qu'il soit, il l'est trop à certains égards, on y remarque cependant plus d'une lacune. Ainsi le poète franc ne nous dit pas où eut lieu la rencontre dont l'issue termina si brusquement une guerre qui s'annonçait comme devant durer longtemps ; mais il résulte d'un passage de son poème, que le théâtre de cet événement si important par ses conséquences, n'était pas éloigné de la demeure du roi breton, puisque celui-ci, d'après Ermold, dit à sa femme, au moment de franchir l'enceinte de son château, qu'il reviendra avant la nuit et qu'il rapportera ses javelots teints du sang de ses ennemis [Note : Conjunx aure cape quae tibi verba dabo. - Lanceolas quas cernis, ait, manibusque reflexat - Murman, amata, tuus laetus laetus equo residens ; - Si mihi certa files, Francorum sanguine tinctas - Aspicies hodie me redeunte domum. - Ermold NIGEL. Précédemment Ermold avait mis dans la bouche de Morvan ces paroles : « Vous, ma femme, mes enfants et mes serviteurs, restez sans crainte dans vos demeures ombragées par les bois. Quant à moi, suivi d'un petit nombre de guerriers, je vais me rendre aux lieux où je pourrai plus sûrement passer la revue de mes bataillons, et bientôt, je l'espère, mon agile coursier me ramènera couvert de trophées et chargé de dépouilles sous mon toit domestique » (Traduction de M. GUIZOT)]. La question revient donc à déterminer où était la résidence de Morvan, cette maison superbe ou plutôt orgueilleuse, superba domus, où Withcaire était allé lui porter les avertissements et les menaces de l'empereur.

Cette question, des écrivains de notre siècle, plus remarquables par l'imagination que par la science, l'ont obscurcie comme à plaisir. M. Le Miorcec de Kerdanet, le premier, dans un article du Lycée armoricain, publié en 1823, et dans ses notes sur Albert-le-Grand, affirme sans hésitation que Morvan, comte de Léon, avant d'être élevé à la royauté, habitait le château de la Roche-Morice ou Roche-Morvan, à une lieue environ de Landerneau, et que c'est près de ce château « qu'il trouva la mort ». M. de Freminville, quelques années après, se prononce avec non moins d'assurance dans ses Antiquités de la Bretagne :

« Cette antique forteresse (la Roche-Morice), dit-il, dont les ruines s'élèvent encore sur la crête d'un roc escarpé, n'était pas, comme le dit l'auteur de l'itinéraire du Finistère (Cambry), un repaire de voleurs et de brigands, elle était le séjour des rois. C'est dans son enceinte, actuellement déserte et silencieuse, que les princes de Bretagne rassemblaient leur cour belliqueuse et brillante. Morvan, roi de Léon et Cornouailles mort en 819, en fut le fondateur et lui a laissé son nom », etc., etc.

Ces assertions purement gratuites de MM. de Kerdanet et de Frerninville ont été reproduites par plusieurs écrivains, et ont tellement fait école, qu'au Congrès de Landerneau, on nous avait annoncé la lecture d'un mémoire où l'on devait nous montrer, champ par champ, toutes les évolutions de l'armée de Louis-le-Débonnaire.

Le mémoire n'a pas été lu, mais l'opinion reste. Sur quoi se fonde-t-elle ? on se le demande, puisque ceux qui l'ont émise les premiers, ne l'ont appuyée d'aucune preuve. Il est à croire cependant que le raisonnement de ceux qui la partagent se réduit à ceci : Morvan étant comte de Léon, le château de la Roche-Morvan qui appartenait aux comtes ou vicomtes de Léon, ou du moins un château plus ancien, situé sur l'emplacement des ruines actuelles, devait être le sien et lui a emprunté son nom. La description de l'assiette du château de Morvan faite par Ermold Le Noir s'applique d'ailleurs parfaitement au site de la Roche-Morice. Le poète franc nous parle, en effet, d'un lieu entouré d'un côté par des bois, de l'autre par une rivière, enfin par des retranchements et des fossés et au milieu d'un marais [Note : Est locus hinc silvis, hinc flumine cinctus amœno - Sepibus et sulcis atque palude situs. - Ermoldus NIGELLUS, lib. III. Ailleurs, Ermold énumérant les obstacles que Morvan peut opposer à Louis, parle d'un rempart vallo et de marais au sol mouvant tremulae paludes. Les mots, sepibus et sulcis ont été traduits plusieurs fois par haies et fossés. Nous çroyons, nous, que Sepibus placé près de Sulcis signifie plutôt par opposition, un talus, un rejet de terre. Le mot sepes, du reste, même dans la bonne latinité, a quelquefois cette signification, et est alors synonyme de septum].

A cette argumentation la réponse est facile. Morvan était-il comte de Léon ? Ce n'est pas certain. Pierre le Baud le dit, il est vrai, dans son histoire et d'Argentré le répète, mais ni l'un ni l'autre n'appuient leur assertion d'aucun document. Quant au nom même de la Roche-Morvan, il ne prouve rien. Les noms de lieux où figure le nom de Morvan sont innombrables en Bretagne. Il a eu d'ailleurs au XIème siècle un Morvan comte de Léon, et ce pourrait bien être lui qui a donné son nom au château dont il s'agit (Contemporain d'Alain Canhiart par qui il fut vaincu. D. Mor., Preuves, I, 377).

L'argument que l'on tire du site de la Roche-Morice n'est pas plus concluant que le précédent. L'éminence sur laquelle reposent les ruines actuelles est bien entourée, d'un côté par une rivière à laquelle convient à merveille l'épithète amœno, agréable, charmante, dont se sert le poète Ermold, mais à combien d'autres cours d'eau de notre province cette qualification ne s'applique-t-elle pas aussi bien ? Les bois, que l'on chercherait en vain aujourd'hui, pouvaient, nous l'accordons, exister au IX siècle, car la Bretagne n'était alors qu'une immense forêt ; les retranchements, eux aussi, ont pu disparaître, mais la vallée étroite et encaissée de l'Elorn, en cet endroit, exclut l'idée de ces marais, dont Ermold signale l'existence. Qu'il y ait eu là des prairies humides, marécageuses, si l'on veut, avant leur assainissement par une agriculture améliorée, rien de plus probable ; mais des marais assez vastes pour créer des difficultés sérieuses à une armée envahissante et pour jouer un rôle important dans un système général de travaux de défense combinés avec des obstacles naturels, de tels marais n'ont jamais pu exister autour de la Roche-Morice. Or, ceux que mentionne Ermold présentaient bien, même à ses yeux, ce caractère. Dans la description de l'habitation de Morvan, il ne néglige pas, en sa qualité de poète, le côté pittoresque ; il est clair pourtant qu'il s'attache surtout à représenter ce château comme admirablement fortifié par la nature plus encore que par l'art. S'il signale en effet des talus, des fossés et même un rempart continu, il énumère, sans en oublier une seule, les défenses naturelles qui font du château du roi breton un lieu d'un accès difficile où Morvan se trouvait complètement en sûreté, Illi certa quies et locus aptus erat. (Sepibus et sulcis... cum nemore et vallo).

Ermold ne se borne pas à décrire le château de Morvan, il fait une peinture exacte et minutieuse de son assiette, de l'enceinte dans laquelle il était placé. Withcaire, dit-il, connaissait et la maison et le lieu, domus atque locus. Le lieu veut dire évidemment l'enceinte, et, d'après les expressions dont se sert le poète, elle était considérable. Elle comprenait des vallées ombragées, dumosis vallibus ; c'est sous ces bois qu'il conseille à sa famille et à ses serviteurs de demeurer tranquilles ; vos servate, leur dit-il ..., vestras frondigerasque casas. Cette enceinte est fortifiée, Withcaire s'adressant à Morvan lui représente que le sol mouvant de ses marais tremulae que paludes et le rempart qui entoure sa maison ne le protégeront pas (Nec te decipiant saltus tremulaeque paludes - Cum nemore et vallo sit tua septa domus) on y peut rassembler de nombreux combattants (.... Hinc inde recurserat armis - Forte repletus erat milite seu vario) et c'est si bien à la vaste enceinte du château qu'Ermold fait allusion, qu'après avoir dit ce que nous venons de rappeler, il nous montre Morvan sortant de ses fortifications et, à leurs portes, ante fores, donnant de longs baisers à sa femme et épuisant une coupe pleine de vin [Note : Et salit ante fores, potus praegrandia vasa - Ferre jubet solito, suscipit, atque bibit, - Conjugis amplexus, prolis, famulosque per omnes. - More petit hilaris, oscula lenta dabat].

Impossible, on en conviendra, de se figurer à la Roche-Morice, le château de Morvan, et surtout cette véritable place d'armes que décrit le poète franc ; impossible sur ce rocher à pic, dominant une étroite vallée, sur ce piton qui sert de base au château de la Roche, de concevoir une grande enceinte contenant des bois et pouvant renfermer une armée nombreuse.

Comment d'ailleurs supposer que Morvan, laissant les Francs ravager la presque totalité de ses Etats, fût resté inactif et impassible à cette extrémité même de la Bretagne, qui a donné son nom significatif au département du Finistère, et qu'il eût eu l'imprudence de jouer son va-tout dans une impasse où le voisinage de la mer lui aurait coupé toute retraite. C'eût été se montrer bien peu digne du haut rang auquel l'avaient élevé les Bretons et du grand rôle qu'ils lui avaient confié.

C'est donc ailleurs qu'à la Roche-Morice, ailleurs que sur les bords de l'Elorn qu'était l'habitation de Morvan, et pour la chercher, nous n'aurons recours qu'à des documents d'une valeur historique indiscutable.

Dom Morice a publié au tome 1er des Preuves de l'histoire de Bretagne (Dom Mor., 1er volume des Preuves, colonne 314) des lettres patentes de Louis-le-Débonnaire par lesquelles celui-ci enjoint aux moines de Landevenec (Landevennec), dont l'abbé Matmonoc était venu le saluer dans son camp, de substituer la règle de Saint-Benoît à celle de Saint-Colamban qu'ils avaient suivie jusqu'alors. Ces lettres patentes sont empruntées aux actes de saint Guenolé, écrits par l'abbé Gurdestin, actes que se trouvent dans le cartulaire de Landevenec. Elles sont précédées d'un exposé qui se termine ainsi : « contigit ut idem serenissimus imperator (Louis-le-Débonnaire) prœdictus dum in eadem Britannia castra fixerat super fluvium Eligium, juxta sylvam quœ dicitur Brisiaci, » c'est-à-dire sur la rivière d'Ellé près de la forêt de Priziac.

Contre un document aussi formel et d'ailleurs d'une authenticité certaine, aucun système si ingénieux qu'il soit, aucune tradition ne sauraient prévaloir. Au surplus, dans la circonstance, la tradition est d'accord avec l'histoire contemporaine.

Au XVIème siècle, d'Argentré s'en fait l'écho en ces termes :

« Loys Débonnaire… délibéra de venir luy mesme en Bretaigue, et de fait ayant assemblé une grande armée, entra au pays, Aimoin appelle ce roy Normanus (il a parlé plus haut du roi des Bretons) lequel estant venu en armes au-devant dudit Débonnaire, comme il estoit a descouvrir une nuict les forces de l'ennemy, fut apperceu, surpris, et tué par les gardes, près la forest de Brizerac ».

C'est le jour et non la nuit qu'eut lieu le combat de Morvan contre Cosel. Les vers dans lesquels Ermold raconte le départ du roi breton de son château, ne laissent aucun doute à cet égard, mais, sauf cette légère inexactitude et une erreur de date, 819 au lieu de 818, le récit de d'Argentré ne dément en rien celui d'Ermold, Il ne contredit pas davantage celui de la vie de saint Guenolé, car Brizerac est bien évidemment une variante de Briziac, devenu aujourd'hui Priziac.

Avant d'Argentré, Pierre Le Baud écrivait ce qui suit dans son Histoire de Bretagne : « Et dit la chronicque de l'abbaye de Landevennec que l'an cinquiesme de l'empereur Loys, lequel an cette chronicque dit estre de l'incarnation 819 [Note : C'est à Le Baud que d'Argentré avait emprunté cette date défectueuse donnée d'ailleurs par Sigebert de Gemblou], il ficha ses tentes en ladite province de la moindre Bretagne, sur le fleuve Elé, jouxte la forest de Briziac auquel lieu luy alla au-devant avec sa puissance, espérant faire bataille contre luy ».

Ce passage de Pierre Le Baud a d'autant plus de valeur qu'il s'appuie sur une chronique aujourd'hui perdue et, suivant une remarque judicieuse de M. de la Borderie, distincte de la vie de saint Guenolé. C'était, sans doute, une de ces chroniques écrites, année par année, dans les monastères, au fur et à mesure des événements et qui ont été d'un si précieux secours à l'histoire.

Castra fixerat, dit Gurdestin ; et le seul fait de la visite de Matmonoc après la victoire de l'empereur, vient confirmer le sens précis du verbe employé par le pieux chroniqueur. Ce même fait, soit dit en passant, prouverait, si cela n'était superflu, que Louis-le-Débonnaire n'avait pas poussé jusqu'à la Roche-Morice, car, dans ce cas, les moines de Landevenec, très voisins de ce château, n'auraient pas pris la peine d'aller chercher l'empereur si loin.

Ainsi c'est sur les bords de l'Ellé, à Priziac, que Louis-le-Débonnaire était campé et, pour se rendre dans ces parages, il avait sans doute suivi la voie romaine, qui allait de Vannes à Carhaix (l'antique Vorganium), et passait à Plouïay, commune limitrophe de Priziac [Note : Ermold, racontant non plus l'expédition de 818, mais celle que fit encore Louis-le-Débonnaire en 822, dit qu'il conduisit les Francs par des chemins larges et frayés calles amplos qui, à cette époque, ne pouvaient guère être autres que les voies ouvertes par les Romains]. Et il ne s'agit pas ici d'un de ces camps où l'on s'arrête un jour et qu'on lève le lendemain, d'un camp volant ; il s'agit évidemment d'un établissement sérieux et durable, d'un camp statif, selon l'expression empruntée par le langage archéologique, à César lui-même (Castra stativa. Coes. de bello gallico), où devait être rassemblée l'armée franque tout entière, afin de frapper un coup décisif.

Mais, si le camp de Louis-le-Débonnaire était à Priziac, sur l'Ellé, c'est dans le voisinage, nous l'avons établi plus haut, que devait être la demeure de Morvan, et nous croyons en avoir découvert au moins l'emplacement.

Nous avions d'abord été frappé de trouver sur la carte d'était-major, feuille 33, section dite du Faouët, le nom de Minez-Morvan, c'est-à-dire montagne de Morvan. Ce nom avait d'autant plus attiré notre attention que le lieu qu'il désigne est à 7 ou 8 kilomètres seulement de Priziac et baigné par l'Ellé. Toutefois, il nous a paru bon de vérifier sur place les indications de la carte, surtout au point de vue de la nature du terrain, difficilement appréciable dans la topographie de l'état-major. En compagnie de MM. de la Villemarqué, de la Borderie et Ernault, jeune philologue qui promet à l'Association Bretonne un précieux auxiliaire, nous sommes allé voir ce qu'est et ce qu'a pu être Minez-Morvan ; et ce sont des impressions communes à nos compagnons d'exploration et à nous-même que nous consignons ici.

Sur la rive droite de l'Ellé, dans la commune de Langonnet, à 1.500 mètres environ de l'abbaye de ce nom, près de la grande route de Plouray, se trouve le village ou plutôt le tout petit hameau de Minez-Morvan. Et ce n'est pas seulement le village qu'on appelle ainsi, c'est un plateau tout entier, mesurant à peu près 2.400 mêtres de long et presque autant de large, sur lequel existent plusieurs hameaux, dont celui de Minez Morvan est de beaucoup le moins considérable [Note : Ce plateau, sensiblement orienté du sud-ouest au nord-est, a son point culminant à la côte 188]. Le plateau qui a plutôt donné son nom à cet ensemble de deux ou trois cabanes, qu'il ne le lui a emprunté, n'offre rien de remarquable au point devue pittoresque dans un pays qui abonde en sites ravissants. Et pourtant il a un nom, même très connu assez loin à la ronde. Ce fait n'est-il pas le résultat de souvenirs aujourd'hui éteints, mais qui se rattachent mystérieusement peut-être, au rôle qu'a pu jouer ce lieu à une époque reculée ?

Il est rare qu'un de ces accidents de terrain peu prononcés, qu'un de ces mamelons qu'en Bretagne on qualifie abusivement de montagne, porte le nom d'un homme ; et lorsque cela se rencontre très exceptionnellement, si ce n'est pas un saint qui a donné son nom à la montagne, comme au Menehom, ce doit être au moins un personnage important. Serait-il donc téméraire de supposer que Minez-Morvan rappelle le souvenir du roi breton du IXème siècle et qu'il a été sa résidence :

La configuration des lieux tendrait à rendre plus probable encore cette hypothèse. Du château lui-même, plus de trace aucune ; mais à cela rien d'étonnant, tant d'autres édifices considérables ont entièrement disparu, puis il était peut-être construit en bois.

Ermold le qualifie, il est vrai, de demeure somptueuse, opina domus. Mais le luxe est chose relative, et il est reconnu que l'usage de la pierre, même dans les constructions les plus importantes, était encore peu répandu au IXème siècle. Viollet le Duc, se fondant à cet égard sur de nombreuses autorités, écrit ce que suit, au mot bois de son Dictionnaire d'architecture « Pendant les périodes mérovingienne et carlovingienne, les églises, les monastères, les palais, les maisons, les chaussées, les ponts et même les enceintes de ville, étaient en grande partie élevés en bois, ou du moins cette matière entrait pour beaucoup dans la construction ».

Des bois signalés par le poète franc on ne retrouve rien non plus ; mais les bois ont pu disparaître comme le château, subissant le sort commun des forêts qui ont jadis couvert notre province.

Ermold parle d'une rivière qui entourait l'assiette du château de Morvan, à l'est le plateau de Minez-Morvan est baigné par l'Ellé qui, elle aussi, mérite l'épithète d'agréable, de charmante, amœno ; il dit que la demeure de Morvan était placée au milieu d'un marais, la rive gauche de l'Ellé présente des prés humides qui autrefois l'étaient sans doute encore davantage, mais c'est au nord et à l'ouest, surtout, que se trouvent de grandes prairies marécageuses, inondées une partie de l'année par un affluent de l’Ellé, sur le bord duquel existe une petite chapelle dédiée à, Saint-Brandan [Note : Palude situs. Ermold parle ailleurs du sol tremblant des marais de Morvan. Withcaire admonestant celui-ci lui dit : Nec te decipiant saltus tremulœque paludes Cum nemore et vallo sit tua septa domus. Et ne t'abuse pas : ni tes bois, ni le sol mouvant de tes marais, ni cette demeure que défendent des forêts et un rempart ne te sauveront. Le poète parle-t-il en général des marais de la Bretagne ou de ceux dans lesquels était située la demeure de Morvan ? On dirait qu'il fait allusion à ces derniers, à cause du voisinage du mot vallo, lequel s'applique bien au rampart qui défendait la Maison elle-même et son enceinte].

Quant aux retranchements, talus et fossés, sepibus et sulcis, mentionnés par Ermold, la pioche et la charrue ont pu les détruire, mais elles ont laissé subsister deux mottes importantes qui avaient évidemment pour but de défendre le plateau du côté offrant une pente très douce, il eût été plus facilement accesible à l’ennemi. Ces deux mottes, qui supportaient sans doute des fortifications en bois, des bretesches, sont situées à peu près à l'ouest du vaste terrain compris sous le nom de Menez ou Minez-Morvan. L'une est voisine d'un hameau appelé Carven, l'autre qui lui servait de vedette, est à 200 mètres environ plus loin, sur le chemin de traverse menant au bourg de Langonnet.

En résumé, voilà un plateau étendu où l'on pouvait réunir une armée, ce qui, nous l'avons dit, eût été impossible sur le pic qui sert de base au chateau de la Roche-Morice, un plateau auquel s'appliquent parfaitement les principales indications topographiques données par Ermold et au bas duquel se voient encore deux restes imposants de fortifications anciennes, un plateau qui porte le nom de Morvan et qui ne peut guère être à plus de deux ou trois lieues de l'endroit où campa Louis-le-Débonnaire. Ne sommes-nous pas autorisés à penser que là, était la demeure de Morvan ? Bien d'autres à notre place n'hésiteraient pas à l'affirmer. Ce que l'on peut inférer en outre de la situation plus que probable du château du roi breton, c'est que ce prince était, non un comte de Léon, mais soit un comte de Cornouailles, soit un comte de Vannes, plus probablement un comte de Cornouailles.

Nous pourrions arrêter ici une communication déjà bien longue.

Louis le Débonnaire (crypte de l'abbaye de saint-Denis).

Cependant, entrant dans la pensée des rédacteurs du programme, il nous paraît intéressant d'examiner une question que notre savant ami, M. Aurélien de Courson, a peut-être tranchée d'une façon un peu brève, dans une note de son édition du Cartulaire de Redon (Prolégomènes du Cartulaire de Redon, page XXII, note 3). La victoire de Louis-le-Débonnaire, ou plutôt la soumission des Bretons, après la mort de Morvan, aurait-elle été chose aussi facile que le dit Eginhard (2) ? Est-ce que les Bretons n'auraient pas d'abord obtenu un succès sur les Francs ? Cette question, nous l'avions nous-même examinée et résolue, devant la Société archéologique d'Ille-et Vilaine, mais nous ne croyons pas qu'il soit inutile de la traiter de nouveau. N'est-ce pas une précieuse consolation pour des vaincus de pouvoir se rappeler les succès qu'ils ont eus avant leur défaite ? Les Russes, écrasés à Sébastopol, aiment à se souvenir du Mamelon vert ; les Français, après les désastres de la dernière guerre contre la Prusse, se plaisent à parler de Saint-Privat et de Coulmiers. Ce serait pour les Bretons battus par Louis-le-Débonnaire, une satisfaction analogue de savoir qu'ils ne l'ont pas été aussi aisément que le prétendent certains historiens, et qu'ils avaient, dans un premier engagement, repoussé les envahisseurs.

Eginhard ne mentionne pas ce fait d'armes, glorieux pour nos ancêtres, Ermold n'en dit rien non plus, mais la flatterie a bien pu leur fermer la bouche.

Un acte du cartulaire de Redon porte la date suivante : Factum est hoc sub die tertio nonas februarias, prima feria in loco vico Rufiaco tertio anno postquam exivit Donus (pour Domnus) Hlodowicus de Britannia ante Morman, regnante domno Lodowico imperatore, Iarnhitin machtiern et filius Portitoe et Worbili, Wido commite, Winhaelhoc episcopo, luna XXVI ; ce qu'il faut traduire ainsi : Ceci fut fait le troisième jour des nones de février, le premier jour de la semaine, dans le bourg de Rufiac, la troisième année après que le seigneur Louis sortit de Bretagne devant Morvan.... Le 26ème jour de la lune [Note : Inde memoratam provinciam ingressus, captis rebellium munitionibus, brevi totam in suam potestatem, non magno labore, redegit].

Si cet acte dit vrai, les Bretons auraient d'abord repoussé l'empereur des Francs au-delà de leurs frontières. Le tout est de savoir quel fondement on doit faire sur la charte en question.

En thèse générale, la critique bénédictine a établi qu'il existe beaucoup moins de chartes fausses, que ne l'ont soutenu les Papebrok, les Simon, les Lenglet, et cela pour bien des raisons. A quoi bon commettre un faux et s'exposer aux peines sévères, édictées particulièrement sous les Carlovingiens, alors que l'on acquerrait si facilement la prescription ? La fraude, dit-on, était facile dans des temps d'ignorance, mais si la science manquait pour la découvrir, elle faisait également défaut pour l'exercer. Aussi les faussaires se sont-ils toujours trahis de mille façons, soit en employant des formules relativement modernes, soit en mentionnant une coutume, un office, une dignité qui n'étaient pas du temps auquel ils rattachaient leurs prétendues chartes, soit en commettant dans leurs dates, souvent très compliquées, des erreurs et des contradictions évidentes. Il ne faudrait pas croire, au surplus, que la critique date d'hier, car les auteurs de la Nouvelle diplomatique citent plusieurs faux reconnus, soit au moment où ils venaient d'être commis, soit plus ou moins de temps après.

Tombeau de Louis-le-Débonnaire.

Tombeau de Louis-le-Débonnaire.

Les cartulaires des monastères d'après Mabillon et ses savants continuateurs, méritent une confiance particulière, et Lobineau, juge sévère s'il en fut, considérait ceux qui appartiennent à la Bretagne comme offrant, entre tous, les caractères d'une authenticité irrécusable.

On a invoqué, il est vrai, contre l'opinion de ces savants bénédictins, celle de Dom Vayssière de la Croze. Le père Simon, très croyant en religion mais très sceptique en histoire, lui aurait, dans une lettre écrite à M. Duhamel, prêté cette assertion, que sur plus de douze cents chartes qui lui avaient passé par les mains à l'abbaye de Landevenec, il en avait trouvé au moins huit cents de fausses ; mais l'auteur d'une histoire de la vie et des ouvrages de La Croze, M. Jordan, s'explique ainsi sur ce point (Histoire de la vie et des ouvrages de M. Lacroze. Amsterdam, 1741, 2e part., in-8°) : « Il me paraît nécessaire d'avertir que ce fait est avancé fort à la légère, pour lie pas dire inconsidérément, comme le sont la plupart des choses renfermées dans cette lettre. J’ai deux preuves qui confirment ma remarque à cet égard : la première, c'est que le même fait, ayant été rapporté dans la Bibliothèque de Dom Phil Le Cerf, à la page 341, M. La Croze a mis en marge que tout cela était rapporté fort peu fidèlement. Ma seconde preuve est tirée du même ouvrage : au reste, dit l'auteur bénédictin, ces accusations vagues et odieuses prévinrent si peu les personnes éclairées, que M. Simon, en craignent les suites, les désavoua publiquernent, dans un écrit daté du 19 mars 1700, qu'il mit entre les mains de M. le cardinal de Noailles » [Note : Il ne serait pas étonnant que M. de La Croze qui avait dépouillé l'habit de Bénédictin et abjuré le catholicisme, eût, dans un certain esprit hostile à l'Eglise et à tout ce qui en dépendait, jugé sévèrement les documents conservés dans les monastères, mais le démenti donné par lui au Père Simon et le désaveu de l'opinion qu'on lui avait attribuée n'en ont que plus de poids].

Mais sortons des généralités et examinons dans ses diverses parties la charte dont nous n'avons, jusqu'à présent, cité que la date. C'est un acte constatant qu'un personnage du nom de Catweten a vendu à sa soeur Roiantken une propriété dite de Ranriantcar, située dans la paroisse de Rufiac.

Si l'on compare ce document, soit aux autres chartes de vente du IXème siècle, que contient en si grand nombre le cartulaire de Redon, soit aux actes de la même époque appartenant à des provinces autres que la Bretagne, on ne voit vraiment pas comment on pourrait en soupçonner la véracité.

La charte débute par cette adresse : « Magnifice femine et sorori meœ nomine Roiantken, ego enim Catweten ». On y trouve l'énumération des différentes espèces de biens qui constituaient la propriété faisant l'objet de la vente, sans en excepter les colons : Cum mancipiis, id est Aroimin et serine ejus, cum silvis pratis aquis aquarumve decursibus terris cultis et incultis ; on y remarque les expressions constat me ibi (pour tibi) vendidisse et ita vendidi....., totum et ad integrum,... rem proprietatis ; meœ,… sicut mihi bene complacuit ; le mot signum y précède les noms des témoins ; la souscription du notaire est au pied de l'acte sous cette forme : Haeldetwid scripsit.

Tous ces caractères, toutes ces formules sont, bien du IXème siècle. On les rencontre à chaque page, non-seulement dans le cartulaire de Redon, mais dans le recueil de formules connu sous le nom de formules de Marculfe. Toutefois il se trouve, en outre, dans notre charte, bien des particularités, bien des locutions que l'on chercherait en vain dans ce recueil, parce qu'elles sont exclusivement propres à la Bretagne.

Le mot fidejussores, si fréquent au IXème siècle y est traduit par dilisidos, du gallois ddilysid, l'expression sine censu par dicofrit du gallois di cyfrif ; il y est question d'un Mactiern, dignité inconnue ailleurs que chez les Bretons, et qui n'existait plus au XIème siècle, époque où a été écrit le cartulaire de Redon ; les noms de tous les témoins qui y figurent sont empruntés à la langue bretonne [Note : Ces noms que l'on retrouve très fréquemment dans le cartulaire de Redon sont les suivants : Portitoe, Catweten, Diloid, Noli, Anauran Howori, Menuili, Anauhi, Wintihern, Milcondois, Iohan, Haeldetwid, Tethwiu? Loies, Bidoe, Eusergit, Rihowen, Lathoiarn, Blenlini, Conwal] ; enfin on y remarque un bornage ou délimitation de terres rédigé en langue vulgaire, sauf les trois mots per lannam et ultra. Voici quel est ce texte, suivant nous bon à citer : « Finem habens a fine rann Melan. donroch dofos Matwor, cohiton fos doImhoir ultra Imhoir. per lannam dofois finran, dofhion, dofinran Hael Morin, cohiton, hifosan dorudfos, coihiton rudfos per lannam dofinran Loudinoc pont Imhoir, » ce qui signifie en français : « Depuis la portion de Melan jusqu'au rocher, jusqu'au fossé de Matwor, le long du fossé jusqu'à l'Imhoir, au-delà de l'Imhoir par la lande jusqu'au fossé de Finran, jusqu'à Fhion, jusqu'à la limite de la portion d'Hael-Morin, le long du petit fossé jusqu'au fossé rouge, par la lande jusqu'à la limite de la portion de Loudinoc, le pont Imhoir » (Aujourd'hui pont Emoi).

Ces détails originaux que nous venons de signaler, et bien d'autres, loin d'infirmer l'autorité de notre charte, ne la rendent que plus incontestable. Comment, en effet, un faussaire du XIème siècle, époque à laquelle remonte la transcription des actes de Redon, aurait-il employé ces mots de machtiern, de dicofrit et de dilisid qui n'étaient plus usités et sans doute plus compris alors ? Comment surtout aurait-il inventé ce bornage en langue vulgaire, chose rare, même dans le cartulaire de Redon, mais dont le fréquent usage dans les actes gallois est la meilleure preuve d'une authenticité irrécusable [Note : Le cartulaire ou livre de Landaf abonde en actes anciens où les bornes de propriétés sont indiquées en langue vulgaire. Nous citerons comme exemple le passage suivant d'une charte qui se trouve à la page 115 de ce cartulaire, publié il y a quelques années, et où l'on remarquera le mélange de quelques mots latins dans un texte d'ailleurs tout breton, particularité que présente également le passage précité du cartulaire de Redon. Finis istuis podi est Clongur per viam magnam usque ad cumulum frutmur, a cumula frutmur recte dirfos usque ad petram in quatuor confinibus ; Lech cihitan dital ircecyn, behet tal ir fos, o penn ifos usque ad fonte nigrum a fonte per silvam Diclour emimus tali fos cihitan, Clowric Diclour. (Liber Landavensis, Llytr Teilo LLandovery, MDDCCXL. pages 114 et 115).

Une supercherie aussi raffinée, aussi savante, serait assurément d'un très habile homme. Or toutes les personnes qui ont fait du cartulaire de Redon une étude attentive savent, au contraire, que ceux qui l'ont transcrit étaient des gens bien simples, bien naïfs, tranchons le mot, bien ignorants. Nous en pourrions fournir mainte preuve ; mais en voici une d'une telle force qu'elle dispense à la rigueur d'en donner d'autres. Dans un acte du cartulaire de Redon, à la date du 12 avril 1846, qui se termine par une de ces formules comminatoires si fréquentes au moyen-âge, on lit ces mots : « Solidos luna VI multa conponat », en français : Qu'il paie (il s'agit de celui qui enfreindrait les prescriptions de l'acte), qu'il paie, comme amende, six sols dans la lune. Impossible de contester l'exactitude de la traduction, et pourtant comment l'admettre ? Voici le mot de l'énigme. La charte originale portait Solidos quinquaginta sex, mais quinquaginta était écrit en abrégé, et comme l'abréviation de ce mot est la même que celle de luna, c'est-à-dire la, le scribe a mis la lune où il fallait un chiffre. Ceci est d'autant plus évident que l'amende était généralement double du prix de la vente dont elle garantissait le respect, et que, dans le cas présent, il s'agissait d'une vente au prix de 28 sols, moitié de 56, quinquaginta sex. Qu'on juge par cet exemple pris au hasard, si les transcripteurs du cartulaire de Redon étaient capables de ruses bien profondes.

Si ruse il y a, c'est dans la date qu'elle se trouverait, mais ce serait la plus grossière et la plus incompréhensible de toutes celles que l'on pourrait imaginer. Qu'un historien, qu'un chroniqueur, pour embellir ses récits et leur donner plus d'intérêt, cède à la tentation de broder, même d'imaginer un fait qui n'a pas eu lieu, cela vu et se comprend ; qu'une partie intéressée à faire valoir certains droits, plus ou moins contestés, comme l'auteur inconnu dela fameuse charte d'Alain, si naïvement admise par d'Argentré, ou comme certain clerc de Dol, produisant dans la querelle du pallium une prétendue bulle du pape Adrien II, au concile de Saintes, cela se conçoit ; mais qu'un simple copiste, reproduisant, dans un cartulaire, des titres de propriété, leur donne une date propre à faire révoquer en doute leur authenticité, cela ne tombe pas sous le sens. Or, dans l'espèce, c'est ce qu'aurait fait le scribe qui, au lieu de dater tout simplement une charte de l'année où elle a été rédigée, lui aurait attribué une date absolument contraire à l'histoire. Nous allons plus loin : le fait relaté dans la date fût-il vrai, on ne comprendrait pas que le copiste eût pris sur lui de l'y introduire, deux siècles après qu'il s'était passé, et alors qu'on ne s'en souvenait probablement plus, s'il ne l'avait pas trouvé dans la charte originale. Ce qui se comprendrait encore moins, c'est que le rédacteur de cette charte, le notaire, dont nous savons le nom, par parenthèse, trois ans seulement après un événement considérable, sous le regard des contemporains, eût eu l'effronterie de le dénaturer au point de transformer une défaite en une victoire. Si encore ce notaire, peu versé dans le comput, se fût trouvé à court de ces indications chronologiques que l'on prodiguait au moyen-âge, un peu, peut-être, pour faire montre d'érudition, mais surtout pour donner aux actes publics une grande solennité et un caractère de complète certitude ? Mais non, la charte est pleine d'indications de ce genre et de plus, vérification faite, ces indications sont d'une parfaite exactitude et d'une concordance irréprochable. Sans parler des noms de l'empereur Louis, du comte Guy (wido commite) et de l'évêque Winhaelloc qui figurent dans la date, elle porte que l'acte fut fait le 3e des nones de février, (sub die tertio nonas februarias), le premier jour de la semaine, c'est-à-dire le dimanche et le 26e jour de la lune (luna XXVI) ; or, tous ces détails chronologiques s'appliquent exactement à l'année 821, celle-là même que désigne la charte par ces mots tertio anno postquam exivit domus (pour domnus) Hlodowicus de Britannia ante Morman, car ce fait aurait eu lieu en 818. D'après le savant ouvrage qui fait loi en pareille matière, l'Art de vérifier les dates, la nouvelle lune de janvier, en 821., était le 9 du mois, le 26e jour de cette lune tombait le 3 février qui était aussi le troisième des nones, puisque les nones de çe mois sont le 5, et qu'il faut comprendre ce jour même, dans ce que diplomatistes appellent le comput rétrograde. D'autre part, en 821, Pâques tombant le 24 mars et la lettre dominicale étant E, le premier février était un vendredi et le 3 un dimanche, celui de la Quinquagésime. Sans entrer dans tous ces détails, fastidieux sans doute, mais utiles, M. de Courson conclut comme nous et fait observer que si les éléments chronologiques précités conviennent à l'année 821, ils ne sauraient se rapporter à aucune autre année voisine de celle-là (Prolégomènes du cartulaire de Redon).

Le rédacteur de la charte qui fait l'objet de notre discussion savait donc très bien son comput et il en a donné la preuve. Il pouvait, à tous les titres, se passer de la mention historique qu'il a consignée dans la date. Si cette mention n'était pas véridique, il faudrait par conséquent admettre que sans intérêt ou plutôt contre tout intérêt, même contre le sien, car il s'exposait gravement, cet officier public aurait commis un mensonge. Cette preuve, par l'absurde, de sa sincérité n'est-elle pas victorieuse, et au lieu de soupçonner gratuitement l'authenticité de la date tertio anno postquam exivit Hlodowicus de Britannia ante Morman, n'est-il pas plus raisonnable d'y voir, avec les auteurs de la Nouvelle diplomatique, une de ces dates qui comblent, de la manière la plus heureuse, les lacunes de l'histoire ?

Les dates historiques sont rares, nous le savons, au IXème siècle et même dans les siècles suivants, il en existe cependant [Note : Une charte de l'abbaye de Cluny de l'année 870 est ainsi datée : « Anno primo quo Lotarius rex filius et alio Lothario de ac vita transmigravit ». Recueil des chartes de l'abbaye de Cluny, documents inédits sur l'Histoire de France, imprimerie nationale MDCCCLXXVI, tome 1, pages 17 et 18] et en Bretagne plus qu'ailleurs. Ainsi le seul cartulaire de Redon contient deux chartes dont la première, de 846, est ainsi datée : « In ipso anno in quo prœlium fuit inter karolum et Nominoium » et dont la seconde (f° 120, v°) porte : Hoc factum est in illo anno et in illo tempore quando debellabant et persequebantur Pascuethen, et Gurwant ipsum Salomonem quem et perimerunt et postea ipsius regnum obtinuerunt.

Dans ces deux chartes, il est vrai, il s'agit de faits connus, rapportés par les historiens, à la différence du succès réel ou prétendu de Morvan. Mais Mabillon et les auteurs de la Nouvelle Diplomatique disent qu'il ne faut pas rejeter légèrement même les dates mentionnant un fait inconnu ; et, à l'appui de leur opinion, ils citent un diplôme de 1006, daté de l'année où eut lieu entre le roi Robert et Henri de Germanie une entrevue dont il n'est question dans aucun historien.

Ce n'est pas, du reste, complètement le cas de la date dont il s'agit. Éginhard et Ermold, par des motifs que nous avons indiqués plus haut, n'ont rien dit du succès qu'aurait obtenu d'abord le roi breton, mais on lit ce qui suit dans la chronique de Reginon, écrite à la fin du IXème siècle et au commencement du Xème, par conséquent presque contemporaine du fait qui nous occupe : « Britones… foedera violant et rebellare incipiunt contra quos imperator exercitum producit sed non adeo proevaluit, c'est-à-dire les Bretons violent les traités et commencent à se révolter. L'empereur conduit une armée contre eux, mais il fut loin de l'emporter » [Note : Notre ami, M. Aurélien de Courson, cite ce passage dans les prolégomènes dont il a enrichi son édition du Cartulaire de Redon, et le rapproche de la date tertio anno postquam, etc. Reginon, du reste, n'est pas le seul qui ait constaté l'échec de Louis-le-Débonnaire au début de la campagne de 818. Notre ami, M. de la Borderie dont l'obligeance égale le savoir, a bien voulu nous communiquer le passage suivant d'une vie de saint Frédéric, évêque de Troyes, écrite au XIème siècle, d'aprés les Bollandistes : tum jam dictus Tyrannus (Morvan) quasi arena maris collectis fortium militum copiis, quo patuit regnum Francorum est ingressus et urbes ac vicos capiens ac debellans est depopulatus atque in ore gladii innumerabile mactabat hominum genus, multisque ditatus spoliis, illœsus ad patriam suam est reversus. Quem imperater, tota fere in unum congregata Franciâ, insequens, cura eo bellum iniit sed minime prœvaluit, plurimosque de suis in prœlio perdidit principibus. Nous tenons encore de M. de la Borderie ce texte inédit de la Chronique de Saint-Brieuc : « Ludovicus imperator Augustus accessit ad urbem Veneticam et ibidem cum Britonibus conventum habuit et patriam subjugare nisus fuit, sed non prœvaluit »].

Reginon place ces faits en 836 ; il ne faut pas s'en étonner, car sa chronologie est, en général, très défectueuse, mais, à part ce défaut, il passe près des juges les plus sévères, Pertz par exemple, pour être bien renseigné et pour apporter une grande bonne foi dans ses récits. Il semble, d'ailleurs, qu'il soit particulièrement informé des événements qui ont eu notre province pour théâtre. C'est lui qui, entre tous, nous a laissé les détails les plus circonstanciés et les plus précis sur la lutte dramatique de Gurvant comte de Rennes, contre Pasquiten comte de Vannes, et d'Argentré n'a pas manqué de le faire remarquer. « Il est presque incroyable, dit le vieil historien, ce que escrit de cela Rheginon, porté par le bruict jusques en l'Allemaigne et pays du Tirol, en l'abbaye de cest abbé, ne se trouvant cette adventure si bien rapportée par les nôtres n'y autres. ».

Nous aurions éprouvé la même surprise que d'Argentré à voir un abbé de Prum, au pays de Trèves, aujourd'hui dépendant de la Prusse, tellement au courant des événements de notre province, si une charte du roi Breton Salomon ne nous avait appris que l'abbaye de Prum avait des possessions en Bretagne et par conséquent des relations avec notre pays.

Par cette charte datée de 860, Salomon confirme les possessions que le monastère de Prum a dans ses états, quœ in nostra potestate et regno videntur esse ; il ajoute que ses prédécesseurs ont reconnu les mêmes droits à cette abbaye « atque omnia, dit la charte, qucœ antecessores nostri, Reges videlicet et principes, ad jam dictum locum de eisdem rebus concesserunt ».

Comment, dans quelle circonstance l'abbaye de Prum était-elle devenue propriétaire de biens en Bretagne ? peut-être, par suite d'un pèlerinage d'un ou plusieurs Bretons à ce monastère, dédié, comme l'abbaye de Redon, au Saint-Sauveur, peut-être par suite de l'émigration de moines de notre pays dans celui de Trèves ? A cet égard, impossible de rien affirmer ; mais ce que est certain, c'est que le monastère de Prum avait des possessions en Bretagne et que l'abbé Réginon avait bien pu visiter notre province, comme son prédécesseur Ansbold, qui était venu en personne trouver le roi Salomon [Note : Notum sit, dit encore la charte de Salomon, qualiter abbas, nomine Ansboldus, de monasterio qui dicitur prumia, quod est in honore Domini et salvatoris mundi Jesu-Christi consecratum et constructum veniens ad nostram mansuetudinem, etc. (Dom Morice, tome 1 des Preuves, colonne 314)].

Réginon, nous l'avons dit, tout en confirmant la charte du cartulaire de Redon sur le fait particulier d'un échec essuyé par Louis-le-Débonnaire, assigne à ce fait, non la date de 818, mais celle de 836. Parmi ses nombreuses erreurs de chronologie, celle-là n'est peut-être pas complètement inexplicable.

Les diverses manières de commencer l'année au IXème siècle et pendant une grande partie du moyen-âge ont souvent fait confondre, par les historiens, deux années consécutives, l'une avec l'autre [Note : Les différents commencements de l'année dans la première partie du moyen-âge ont été Noël, Pâques, le 1er janvier, le 25 mars, soit 2 mois et 25 jours après le 1er janvier, soit 9 mois et 7 jours avant le 1er janvier de l'année civile suivante]. L'année 836 pourrait donc bien être, d'après un comput différent, l'année 837, et la chose serait d'autant moins étonnante que Réginon lui-même commet expressément cette confusion. Si en effet il attribue à 836 la défaite de Louis-le-Débonnaire, il place en 837 la mort de Morvan, faisant porter sur deux années l'expédition des Francs contre ce prince [Note : Anno dominicœ incarnationis 837 Murmanus, rex Britannorum moritur, etc. (Reginon apud Pertz)]. Et pourtant les phases diverses de cette campagne se sont, dans toutes les hypothèses, déroulées en une seule et même année. La charte du cartulaire de Redon s'accorde, sous ce rapport, avec Eginhard et les autres chroniqueurs, car si l'événement qu'elle relate ne s'était pas passé en 818, tous les détails chronologiques qui se trouvent dans la date et appliquent si parfaitement à la troisième année après 818, c'est-à-dire à 821, seraient en contradiction avec les données les plus certaines de la science.

Quoiqu'il en soit, étant admis que Réginon, qui a écrit 836 dans un premier paragraphe et 837 dans le suivant, eût peut-être, d'après un système chronologique différent, daté de 837 et la victoire et la mort Morvan, nous hasarderons cette pure hypothèse : entre 818 et 837 il y a juste 19 ans ; c'est-à-dire précisément l'intervalle qui existe entre les périodes successives que les computistes ont appelées Nombre d'or ou cycle lunaire, périodes à l'issue desquelles se reproduisaient, avec les mêmes chiffres, les éléments chronologiques que l'on nomme les réguliers, les épactes, les clefs des fêtes mobiles, le terme pascal et les nouvelles lunes [Note : Les réguliers sont des nombres invariables attachés à chaque mois de l'année, lesquels étant joints aux épactes, faisaient connaitre quel était le jour de la lune. On appelait épactes le nombre de jours qu'il faut ajouter à l'année lunaire pour la rendre égale à l'année solaire. On appelait clef des fêtes mobiles un nombre propre à chaque année et qui était compté à partir de certains jours fixés pour les différentes fêtes mobiles, indiquant l'époque où devaient tomber ces fêtes. Le terme pascal est le jour correspondant au 14ème jour de la lune de mars. Le premier dimanche qui suivait ce terme était le dimanche de Pâques]. Tous ces éléments sont les mêmes en 818 et en 837 ; dans ces deux années les réguliers ont le chiffre 1, l'épacte a le chiffre 11, la clef des fêtes mobiles (clavis terminorum) le chiffre 15, le terme pascal la date du 25 mars.

Cette analogie entre le comput de 818 et celui de 837 n'a-t-elle pas été la cause de l'erreur commise par Réginon ? On a fait des suppositions moins vraisemblables.

Quoi qu'il en soit, Réginon confirme le fait mentionné par le cartulaire de Redon et c'est là l'essentiel. Les Bretons ont pu s'exagérer la portée du succès de leur roi ; ce qu'ils ont nommé la sortie ou plutôt la fuite de Louis-le-Débonnaire ne fut peut-être qu'une courte retraite, promptement suivie d'un retour offensif. Mais, fuite ou retraite, on doit, suivant nous, tenir pour constant qu'à un certain moment, l'empereur franc, poursuivi l'épée dans les reins par les troupes de Morvan, crut prudent d'évacuer la Bretagne. Cette conclusion suffit à notre thèse.

Pour l'établir nous avons dû recourir à des recherches pénibles, accumuler des arguments d'une prolixité et d'une sécheresse fatigantes. Nous le regrettons pour ceux qui ont bien voulu nous prêter leur attention, mais, après tout, les travailleurs de l'Association Bretonne ne sont pas des bateleurs donnant des représentations historiques comme l'on donne des concerts. Leur but et leur devoir ne sont pas d'amuser mais d'instruire, et lorsqu'ils ont fait faire un pas à la science, ils ne croient, ni avoir perdu leur temps, ni avoir abusé de la patience d'un auditoire, avide lui-même de progrès historique.

En terminant, il ne nous reste plus qu'à répondre à une objection qui a pu se présenter à certains esprits. A. quoi bon, s'est-on dit peut-être, s'évertuer si longuement à rechercher si à un jour bien éloigné de nous, ce sont les Bretons qui ont battu les Français ou les Français qui l'ont emporté sur les Bretons ? A quoi bon, puisqu'ils ne forment plus, les uns et les autres, qu'une seule nation, et que les succès particuliers que peuvent avoir eu naguère ou ceux-ci ou ceux-là, sont aujourd'hui la gloire commune d'une même patrie ?

L'objection ne manque pas de valeur, mais à un point de vue qui n'est pas du tout celui des archéologues. Pour eux l'exactitude historique n'est jamais à dédaigner ; puis nous ne voyons pas bien comment la qualité de Français qui nous est si chère, ne nous permettrait pas de porter un intérêt spécial à cette partie de la France qui s'appelle la Bretagne, d'avoir pour elle une affection d'une nature particulière, plus intime, plus tendre, plus filiale.

Que la France aujourd'hui même, par exemple, que l'armée française réparent nos récents revers par un succès, nous battrons des mains avec l'enthousiasme du patriotisme vengé. Mais dites-le, si un régiment breton, cela s'est vu, si un général breton avaient la plus grande part dans cette victoire ; si l'un, par sa bravoure, l'autre par son habileté l'avaient déterminée, est-ce que dans votre joie il n'y aurait pas plus de vivacité, plus d'élan ?

A. plus forte raison, faut-il nous pardonner cette légère nuance de sentiments quand il s'agit des temps où Français et Bretons n'étaient pas un seul et même peuple.

Oui, pour le passé, mais aussi pour le présent, gardons notre petite nationalité qui ne nuit en rien à la grande. Nous sommes assez bons français pour avoir le droit de dire, non-seulement avec Brizeux, que nous sommes mais que nous serons toujours Bretons.

(Vincent AUDREN DE KERDREL).

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