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LES GÉNÉRAUX DES PAROISSES BRETONNES

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LE GÉNÉRAL DE PAROISSE.

Vers la fin de l'Ancien Régime, un avocat au Parlement de Bretagne, docteur en droit des facultés de Rennes [Note : POTIER DE LA GERMONDAYE, Introduction au gouvernement des paroisses, suivant la jurisprudence du parlement de Bretagne, seconde édition, Rennes, 1788], ouvrait en ces termes un traité du sujet qui nous occupe :

« On distingue deux sortes de gouvernemens des paroisses : le Spirituel et le Temporel. Le premier consiste dans la célébration du service divin, l'administration des sacremens, la prédication, l'instruction, et les cérémoines de la sépulture. Il est confié au curé que l'evêque a institué pour conduire le peuple d'une paroisse.

Le gouvernement temporel a pour objet l'administration des biens et revenus de la Fabrique, les réparations de l'église, la fourniture des ornemens, livres et vases sacrés, et de tout ce qui est nécessaire pour la célébration du service divin. Ce gouvernement est confié au général de la paroisse » (POTIER, loc. cit., p. 1).

Le même auteur dit encore :

« Le Général doit se conduire avec la discrétion et la prudence d'un père de famille, sans jamais perdre de vue et le bien de l'église, dont il est le défenseur, et l'intérêt des paroissiens, dont il est le procurateur légal (Eod. loc., p. 169)… Au Général seul appartient le droit d'administrer les biens et les revenus de la Fabrique, des Confrairies, des Fondations, de régler l'emploi des revenus, suivant leur destination naturelle (Eod. loc., p. 172)… A lui seul appartient encore le droit de pourvoir aux offices et emplois de l'eglise, de nommer les chantres, le sacriste, les enfans de choeur, les bedeaux (Eod. loc., p. 173… ».

Outre la question de la Fabrique, qui comprend les revenus et les dépenses de l'église ; dans les endroits où n'existait pas une communauté de ville, ou municipalité, le général devait s'occuper des charges et des droits des habitants, en tant que citoyens. Ces charges étaient les levées de deniers et d'impôts divers. Ces droits étaient ceux de la paroisse sur les communaux, les bois, les pêcheries, la cueillette du goémon [Note : Eod. loc., p. 313 et suiv. — Le général de Saint-Enogat poursuit ceux qui recueillent le goémon en temps prohibé (l'autorisation s'étendait du 1er septembre au 3 avril), ou les habitants des paroisses voisines qui empiètent sur les côtes (Annal. de la Soc. Hist. de Saint-Malo, année 1902, p. 41). — Dans son analyse manuscrite des papiers du général de Saint-Servan, que M. Jules Haize, mon collègue, m'a communiquée avec une bienveillance tout amicale, je lis : « 2 août 1778. Requête d'habitants de la campagne, qui demandent l'exécution de l'ordonnance de 1681, touchant la coupe du goémon. On crée des gardes-goémon, qui seront tenus de s'opposer à l'enlèvement du varech par d'autres habitants que ceux de la paroisse »].

Parmi les ressources du général, il faut placer aussi certaines amendes. J'en découvre un exemple assez curieux à Baguer-Morvan. Des jeunes gens du pays s'étaient unis pour enlever « clandestinement » une jeune fille. Ils voulaient forcer ainsi le fermier à la donner en mariage à leur ami Bachelot. Ils la conduisirent au Mont-Saint-Michel. L'affaire était grave. Pourtant les choses s'arrangèrent. Les ravisseurs consentirent à payer une somme de 500 livres : « au profit de la fabrique de Baguer-Morvan, pour estre employée à tel usage qu'il plaira au général fixer », sans compter d'autres sommes destinées à réparer le scandale et à indemniser Julien Ruaux des courses qu'il fit afin de retrouver son enfant (Archives Départementales de Rennes, Notaires, Fonds Rouault, pièce du 16 février 1784).

Quelle était la composition du général ? Cette « assemblée politique » comprenait douze paroissiens qui avaient été trésoriers et dont les comptes avaient été « rendus et soldés » ; de plus, deux trésoriers en fonction. A ces quatorze membres se joignaient « le Recteur et les Juges de la juridiction » d'où l'église relevait. L'association délibérait « dans la sacristie » ou dans une chambre destinée à cet usage [Note : Eod. loc. p. 167, 168. — Dans son Histoire de Saint-Servan, qu'il a rédigée et imprimée, M. J. HAIZE. (1900, p. 166) écrit : « Le Général de Saint-Servan était composé du recteur et de ses deux vicaires, du sénéchal, du procureur, du premier capitaine, des trésoriers en charge, de douze anciens trésoriers délibérants, et de six notables ayant voix consultative. — Quand il s'agissait d'affaires intéressant directement l'église, le recteur exposait ses motifs, puis devait se retirer. — Les séances furent publiques jusqu'en 1755 ». A Saint-Martin de Vitré, les membres de l'assemblée, obligés de s'absenter, pouvaient se faire remplacer par des parents ou des amis ; le fils représente plusieurs fois son père. Au besoin, si le nombre n'est pas complet, le général nomme un délibérant, qui est forcé de venir à la séance (voir, par exemple, les délibérations des 24 juin 1770, 12 juillet 1772, 31 août 1777, 30 mai 1779). Saint-Servan était la paroisse rurale, à côté de Saint-Malo, qui jouissait d'une communauté de ville ; comme Saint-Martin était la paroisse rurale, à côté de Notre-Dame de Vitré, qui jouissait également d'une communauté de ville. De là une situation particulière. Ces généraux de banlieue deviennent plus puissants à mesure que se développent les faubourgs, et sentent plus vivement leur sorte de tutelle vis-à-vis du voisin privilégié. Le cas de Saint-Servan, — ancien établissement romain du nom d'Alet, - est même excessivement curieux (DUCHESNE, Les anc. catalog. ép. de la prov. de Tours, 1890, p. 89)].

Toutefois, quand il s'agissait d' « affaires majeures », pouvant donner lieu à des « levées de deniers considérables », la Cour demandait avec sagesse « la convocation d'une assemblée générale des habitans notables, possédans biens dans la paroisse, afin de scruter le voeu général ». Parmi les choses d'une importance plus particulière, on rangeait « la démolition d'une église, sa reconstruction, sa translation d'un lieu à un autre  » (POTIER, Eod. loc., p. 171).

La force du général réside dans l'appui que lui prête le Parlement, c'est-à-dire la justice royale, tantôt contre les « seigneurs et gentils-hommes », qui gênaient les habitants dans l'examen de « leurs affaires politiques » (Arrests du Parlement de Bretagne concernant les paroisses, troisième édition, Rennes, 1731. — Arrêt du 24 novembre 1664, pour Cléder, p. 21), tantôt contre les recteurs, qui commettaient des abus et voulaient s'introduire dans la comptabilité (Eod. loc. — Arrêt du 4 avril 1665, contre le recteur de Paramé, p. 22-28. — Arrêt du 31 août 1718, contre des prêtres de trois paroisses basses-bretonnes, p. 332, 333, 334. — Arrêt du 29 octobre 1718, contre le recteur de Saint-Germain-en-Coglais, p. 339-341) ; tantôt contre les membres eux-mêmes de l'assemblée, qui, au moment de l'élection des trésoriers et autres officiers de la paroisse, pratiquaient « des brigues et sollicitations » et se concertaient « dans les cabarets » (Eod. loc. — Arrêt du 16 avril 1655, relatif à Saint-Etienne de Rennes, p. 8. — Arrêt du 27 avril 1691, p. 145, 146).

Tandis que plusieurs espéraient faire leurs affaires en faisant celles de la paroisse [Note : Les statuts du diocèse de Tréguier, édition de 1685, insèrent, à la page 27, l'article suivant : « Pour détruire la malice de ceux qui tâchent par artifice de s'exemter de payer ce qu'ils doivent aux Fabrices, et pour disposer du bien se font nommer Marguilliers ou en élire d'autres qui leur conviennent : défences sont faites à toutes personnes sur peine d'excommunication d'empêcher soit par menaces, violences, promesses ou autres voyes illegitimes, que l'élection des tresoriers, oeconomes des Fabrices, et auditeurs des comptes, ne se fasse avec la liberté et franchise requise »], d'autres n'éprouvaient aucun attrait pour des honneurs qui engageaient leur responsabilité ; ces amis d'une vie « glissante, sombre et muette », comme dirait Montaigne, attendaient un procès avant d'accepter le titre proposé, et parfois offraient de l'argent pour être délivrés de leur mandat [Note : 24 avril 1735. Assignation devant le Présidial du sieur Rivière qui refuse d'occuper le poste de trésorier en charge, auquel il a été nommé (Notes manuscrites de M. HAIZE sur le général de Saint-Servan). En 1692, à Ploërmel, le notaire Gayol paya 45 livres, afin d'être « déchargé des fonctions de fabrique » (S. ROPARTZ, Notice sur Ploërmel, 1864, p. 73)].

Les décisions du général se présentaient d'abord comme la résultante de trois pouvoirs concertés : le seigneur, le recteur, le populaire. Toute autorité a besoin d'un modérateur. Toute administration devient dangereuse si elle n'est surveillée. C'est pourquoi l'union des trois ordres dans la commune rurale pouvait produire un équilibre, précieux au bien public.

Par malheur, le seigneur ne crut pas aristocratique de se mêler cordialement à la vie de paroisse [Note : Sans doute, au XVIIème siècle, on pourrait citer des exemples de châtelaines compatissantes, que l'esprit du christianisme incite au bien ; sans doute, au XVIIIème siècle, il ne serait pas difficile de découvrir des seigneurs intelligents et généreux, chez qui l'on sent l'influence des idées philanthropiques ; toutefois, à part de rares exceptions, le manoir, dans les villages, se dresse comme un souvenir féodal, casqué d'orgueil, et bardé de privilèges qu'aucun service social ne justifie plus. Aussi, l'amour des paysans bretons pour les nobles de la paroisse est une légende. TAINE, L'Ancien Régime, chap. III. LAVISSE, Histoire de France, tome VII, première partie, p. 345-358. Henri SÉE, Les classes rurales en Bretagne, du XVIème siècle à la Révolution]. La caste des châteaux affectait même à l'église une tenue de mauvais goût, qu'elle considérait comme une marque de supériorité [Note : Dans un arrêt du 30 octobre 1666, on dit que « plusieurs personnes et la plupart de condition » perdent le respect qu'elles doivent à l'église, tournent le dos à l'autel, avec ostentation, au moment de la consécration, font dans le lieu saint des « conversations » profanes et s'entretiennent « de railleries » (Arrests du parlement de Bretagne, 3ème édit., 1731, p. 28-30). Un petit traité, qu'on attribue au duc de Luynes et qui parut en 1668, recommande aux seigneurs de ne pas faire attendre le prêtre qui doit dire la messe et d'assister aux offices avec modestie (BABEAU, Le village sous l'anc. rég., 2e édit., p. 182). A l'époque féodale, choisi par le seigneur, le prêtre rural devint son homme, souvent il fut son serf ou son recommandé (IMBART DE LA TOUR, Les paroisses rurales du IVème au XIème siècle, Paris, 1900, p. 232-233). Au surplus, le château considéra toujours la morgue vis-à-vis du clergé comme un privilège aristocratique. Avec les idées nouvelles, au XVIIIème siècle, le seigneur ne voit plus dans le recteur du village qu'un machiniste. C'est 1793 qui opéra les changements d'attitude. Aussi, le district de Dol, par exemple, écrivait au département: les nobles, qui, « avant la Révolution, n'assistaient point ou presque point aux cérémonies religieuses » et « méprisaient les prêtres » unissent aujourd'hui leur secte à la leur. L'intérêt politique de l'Ancien Régime exigeait cette pieuse métamorphose (Archives Départementales de Rennes, District de Dol, série L, n° 22 ; correspondance du procureur-syndic et agent national ; lettre du 17 messidor an III. — Lire AULARD, Hist. Politiq. de la Révol. Franç., 3e édit., Paris, 1905, p. 377)].

Néanmoins, les gentilshommes étaient avides de recevoir dans le sanctuaire les témoignages de la plus profonde déférence [Note : BABEAU, loc. cit., p. 196-199. — En 1685, l'évêque de Tréguier interdit de lire « à l'offertoire des grandes messes » ces longues « généalogies » que « quelques particuliers » remettent au prêtre « sous pretexte de prier Dieu pour leurs parens » (Statuts du diocèse de Treguier, nouvelle édition, Morlaix, 1685, p. 10)]. A cette vanité le général donnait le coup de boutoir, quand l'occasion était bonne [Note : 31 octobre 1734. Opposition formelle du général, signifiée au recteur, contre les prières nominales que le seigneur de Châteauneuf prétend avoir dans l'église de Saint-Servan (J. HAIZE, Notes mss. sur le général de Saint-Servan. Jadis, une grande partie de Saint-Servan dépendait féodalement de Châteauneuf ; le marquis de ce nom affirmait qu'il était, chez les Servannais, seigneur « supérieur, fondateur et prééminencier de l'église » (GUILLOTIN DE CORSON, Pouillé de Rennes, t. VI, p. 270)]. Que pouvait-il attendre de ces nobles, affreusement endettés, et que travaillaient les seules préoccupations du luxe et de l'étiquette ? Le catéchisme de Nantes enseignait : « Nulle paroisse ordinairement plus pauvre que celle où il y a plus de gens riches et de qualité » [Note : Catéchisme du diocèse de Nantes, 3ème édit., Nantes, Mareschal, p. 497 (cette édition date de 1707. La première est de la fin du XVIIème siècle)]. Au reste, certains généraux, comme celui de Saint-Servan, devenaient une puissance avec laquelle il fallait compter [Note : 22 janvier 1747. Arrêt du parlement de Bretagne, qui permet à la paroisse de Saint-Servan de nommer, de trois ans en trois ans, deux ou trois notables et capables habitants, pour y exercer la police et se faire donner main-forte par toute personne du lieu requise (J. HAIZE, Notes mss. sur le général de Saint-Servan). — M. ANT. DUPUY disait : « Au XVIIIème siècle, les généraux ne sont plus de simples conseils de fabrique ; ils sont devenus de véritables municipalités » (Etudes sur l'administ. municip. en Bret. au XVIIIème s., 1891, première partie, p. 9)]. Aux assemblées, le seigneur déléguait un officier [Note : Dans un arrêt du 27 avril 1691, la cour de Rennes spécifie « que les seigneurs des paroisses ou leurs procureurs d'offices » seront « appellez » aux réunions du général (Arrests du parlement de Bretagne concernant les paroisses, 3ème édit., 1731, p. 148). — A Saint-Martin de Vitré, en 1786, ces assemblées ont lieu « en présence de noble maître Jean-Baptiste-Olivier Beaugeard de la Morinay, avocat au Parlement, fesant fonction de juge de la jurediction du marquisat du Châtelet », ou bien « en présence de noble maître Bertier, procureur-fiscal du Châtelet »]. Mais la tendance du Parlement fut d'envisager celui-ci, moins comme suppléant « du seigneur haut ou moyen justicier », que comme agent « du public et de la police ». Si bien qu'une des clefs des archives paroissiales devait être aux mains du procureur fiscal du seigneur, sans pouvoir « jamais rester aux mains du seigneur » lui-même. Bien plus, ce dernier n'aurait pas eu le droit de « réclamer la présidence à l'exclusion de ses juges » (POTIER, loc. cit., p. 430-431).

Le recteur, qui y était particulièrement intéressé, suivait de près les délibérations. Tous sont respectueux de la hiérarchie et des principes catholiques. Non seulement le prêtre n'est pas entravé dans sa mission sacerdotale, mais encore il trouve un appui dans la loi pour l'exercice de son action religieuse. L'école du village est essentiellement chrétienne. Le pasteur a le droit de contrôler l'enseignement du pédagogue (POTIER, loc. cit., p. 387-391). Cependant le pouvoir civil veille à ce que les prêtres demeurent dans les limites les plus strictes de leurs attributions spirituelles [Note : POTIER (loc. cit., p. 13), dit formellement que « les recteurs n'ont aucune jurisdiction temporelle dans leurs paroisses ». L'intervention des évêques a des frontières, parfois étroites. Si des contestations, par exemple, s'élèvent entre ecclésiastiques sur les préséances dans les processions, ces contestations « sont de la seule compétence des Juges séculiers » (loc. cit., p. 59). D'autre part, dans son Dictionnaire de la police générale (nouvelle édition, Paris, 1771, p. 242), FREMINVILLE établit que : « les comptes des administrateurs des hôpitaux sont dans le même goût que ceux des Fabriciens, à l'exception que le Curé ne doit pas y être appelé, si ce n'est pas l'usage ; et en cas qu'il y soit présent, il n'y est que comme principal habitant »]. A la vérité, si les évêques, dans leurs visites pastorales, tiennent à recevoir les marguilliers et à parcourir les registres de la fabrique [Note : Les prélats maintinrent leur droit de surveiller les marguilliers, comme ils prirent des mesures pour assurer le bon ordre de leur élection. « Les marguilliers entrans et sortans de charge, dit l'évêque de Quimper, presteront le serment accoûtumé par devant Nous ou nos Commissaires » (Statuts de 1710, p. 120 ; voir de plus p. 119). « Les trésoriers ou receveurs des offrandes et revenus des confrairies, dit l'évêque de Saint-Brieuc, nous rendront un compte exact de leur gestion à l'endroit de nos visites ». Le même ajoute : « Comme il arrive assez souvent que des personnes injustes, pour s'emparer des biens de la fabrique, ou pour ne pas lui païer les rentes qu'elles lui doivent, font des brigues afin de se faire élire trésoriers, ou en faire choisir d'autres à leur gré, Nous défendons, sous peine d'excommunication, de troubler ou empêcher par menaces, violences, promesses ou autres voïes illegitimes, la liberté avec laquelle se doit faire l'élection des Trésoriers » (Statuts de 1723, p, 50, p. 241-242 ; voir en sus p. 249). L'évêque de Rennes fait remarquer en note que l'examen des comptes de Fabrique n'est pas de la compétence des juges royaux, mais est attribué aux seuls prélats, ou à leurs grands vicaires, faisant les visites régulières (Statuts de 1726, p. 64). — Consulter de plus les ordonnances synodales du diocèse de Saint-Malo, renouvelées et confirmées dans le synode de 1769 (édition de 1772, p. 215). — Dans le diocèse de Dol, comme dans celui de Saint-Malo, les généraux de paroisse nommaient des délégués, qui étaient interrogés par l'évêque, au cours de sa visite, et présentaient leurs observations (ROBERT, Urbain de Hercé, p. 45-46)], ils reconnaissent volontiers que les recteurs compromettent leur dignité sacerdotale en s'ingérant dans le maniement des fonds parois- siaux [Note : Les évêques de Bretagne savaient que le prêtre a tout honneur à ne point manipuler les fonds. Mgr de la Vieuxville Pourpris disait : « Le nombre et l'importance des fonctions ecclesiastiques sont plus que suffisans pour occuper les ministres de Jesus-Christ, et les discussions dans lesquelles il faut entrer pour exiger les droits et revenus des Fabriques, obligeant à comparoître souvent devant les Tribunaux seculiers, il convient fort que la regie des biens qui appartiennent aux églises de paroisses soit confiée à des laïques... » (Statuts de Saint-Brieuc, 1723, p. 241). Et Mgr de Hercé écrivait : « Pour éviter les plaintes et les soupçons que le maniement des deniers publics pourroit occasionner, Nous défendons à tous Recteurs et Curés d'office, de toucher ou de disposer à leur volonté des deniers apartenans aux Fabriques de leurs églises, voulant qu'ils en laissent l'administration aux Trésoriers de leurs paroisses, pour être employés suivant leur destination, et non autrement... » (Statuts de Dol, 1771, p. 46-47)]. Aussi bien, la puissance judiciaire de Bretagne est prête à augmenter la force du général contre l'envahissement du clergé. Les prédicateurs eux-mêmes subissent la surveillance. Ils seraient châtiés s'ils sortaient de leur domaine pour entrer dans celui de la politique (Voir dans FREMINVILLE, loc. cit., article : Prédicateurs. Et dans POTIER, loc. cit., p. 292). Louis XIV, le roi-soleil de la chrétienté, gardait cette maxime : « Les gens d'église sont sujets à se flatter un peu trop des avantages de leur profession et s'en veulent quelquefois servir pour affaiblir leurs devoirs les plus légitimes » (Passage des Mémoires de Louis XIV, cité par LAVISSE, H. de Fr., t. VII, I, p. 391) .

Bien plus, le gouvernement, comme nous dirions aujourd'hui, demande et impose à l'Eglise des actes qui nous étonnent. Que la puissance séculière veuille, par exemple, que le recteur ne néglige pas les registres des naissances, mariages et sépultures, c'est tout naturel [Note : Les évêques entraient volontiers dans les vues du parlement, au sujet de la bonne tenue des registres. M. de Vannes, dans ses statuts de 1693, écrit : « Il y aura dans chaque paroisse deux registres pour les baptêmes, mariages et sépultures, que les recteurs se procureront chaque année, aux frais de la Fabrique, dont les feuilles seront cotées et paraphées par le juge royal des lieux ; l'un servira de grosse et sera mis au greffe de la juridiction dont dépend la paroisse, six semaines après l'année expirée ; et l'autre demeurera pour minute entre les mains des recteurs ou curés » (Edition de 1695, p. 311). En Bretagne, le plus ancien règlement que nous connaissions, au sujet des registres de ce genre, appartient à Raoul de la Moussaye, qui fut évêque de Dol, de 1444 à 1456. Constatant que des difficultés naissaient relativement à l'âge et à la parenté des gens, tant dans les affaires ecclésiastiques que dans les civiles, il ordonna à son clergé de tenir des registres, où l'on consignerait, après le baptême, les dates précises de cette cérémonie, avec les noms et surnoms des nouveau-nés, de leurs père et mère, de leurs parrain et marraine ; ce registre devait être ramassé en lieu sûr et conservé avec soin ; les prêtres qui ne se soumettraient pas à cet article devaient encourir l'excommunication, et payer une amende de vingt sous, applicable en partie (15 sous) à la fabrique de la cathédrale, en partie (5 sous) à l'église du coupable (Collection de statuts synodaux de Dol, publiée en 1509, par ordre de Mathurin de Plédran, fol. 26-27 ; exemplaire à la Bibliothèque de Rennes). Mais, en fait, (jusqu'à nouvelle découverte), le plus ancien et le mieux conservé des registres de notre ancien état civil de Bretagne se rattache au diocèse de Saint-Malo. Nous possédons l'enregistrement des baptêmes de Paramé depuis le 15 octobre 1454 (PARIS-JALLOBERT, Anc. Regist. Par. de Bret., Paramé, Appendice)], ces documents faisant foi devant les administrations, mais qu'elle ordonne sévèrement de mettre à son service les châtiments spirituels ; que la justice du roi, et, parfois, la simple justice du seigneur prétendent forcer les consciences, au moyen des monitoires, des aggraves et des réaggraves, il est nécessaire, pour le comprendre, de se souvenir à quel point l'autorité ecclésiastique et la civile s'étaient enlacées au cours des âges ; encore faut-il ajouter, pour son honneur, que le clergé sentit l'odieux de cette corvée [Note : En 1789, un grand nombre de cahiers de clergé réclama contre « l'abus effroyable » des monitoires (BABEAU, Le village sous l'ancien régime, 2° édit., p. 122). Il est facile de fournir des exemples de la manière dont on prostituait l'emploi de mesures aussi graves. En 1701, Guillaume Chappé, sieur du Tertre, paroissien du Mont-Dol, demande, aux juges de la juridiction du chapitre de Dol, un monitoire, « au sujet du maltraitement fait à un de ses chevaux par un particulier voisin » (ARCHIVES DU PARLEMENT DE BRETAGNE à Rennes, Chapitre de Dol, procédures, G. 41)].

Les monitoires étaient des avertissements et commandements que l'Eglise adressait aux fidèles de révéler ce qu'ils savaient sur les faits y mentionnés, sous peine d'encourir l'excommunication, s'ils refusaient d'obéir dans le temps marqué. Sauf dans les cas qui exigeaient un prompt remède, — telle une trahison des citoyens devant l'ennemi, telle une conjuration contre le prince, — on devait répéter trois fois la monition, avec intervalle d'une semaine entre chaque publication. Pour frapper l'imagination de leur troupeau, quelques prêtres employaient des procédés de théâtre. Si l'excommunication ne produisait pas d'effet, — et ce n'était pas l'excommunication mineure, qui ne fait que priver de la participation des sacrements, mais la majeure, qui retranche de la communion des saints du ciel et des fidèles de la terre, abandonnant l'âme à Satan, — alors on prononçait l'aggrave, puis la réaggrave, avis nouveaux qui rendaient plus coupables ceux qui s'opiniâtraient dans le silence [Note : Je suis ici le Traité des monitoires, publié à Paris, en 1740, par ROUAULT, curé de Saint-Pair (au diocèse d'Avranches). L'auteur, dit l'Approbation, « a ramassé tous les principes de la matière avec beaucoup d’érudition, et enseigné la manière d'en faire l'application dans notre usage présent ». Il s'est particulièrement intéressé à la jurisprudence bretonne et aux usages de Normandie]. En 1717, « pour la conservation des droits du Roy, au sujet du bris et pillage d'un vaisseau hollandois, nommé le Saint Jacques de Rotterdam », l'amirauté de Quimper réclama « des monitoires et réagraves en quinze paroisses » (Arrests du Parl. de Bret., 3ème édit., 1731, p. 318) . L'Etat cherchait à confisquer à son seul profit, et gratis, ce système de dénonciation [Note : Les recteurs demandaient « trois livres » pour la publication des monitoires ; eod. loc., p. 165-166, p. 318-319. Et les magistrats de condamner cette « avarice sordide ! ». Refuser un légitime salaire à l'ouvrier pauvre, mais vêtu d'une soutane, c'est un effet très suave de la vertu de ces Catons, qui vivaient d'épices. M. LAVISSE a prononcé le mot juste : « la magistrature était anticléricale » (Hist. de Fr., t. VII, fascicule 5, 1906, p. 16)]. D'une part, en effet, les bulles et lettres de Rome avaient besoin du visa laïque. Un doyen de Nantes, voulant se défendre contre un chanoine de Léon, eut recours au Pape. Mais il fut menacé dans ses biens par le parlement de Bretagne. D'autre part, comme l'excommunication d'une personne entraînait pour celle-ci plusieurs conséquences dans la vie civile, la puissance judiciaire se réservait le droit de ratifier la sentence ecclésiastique. Dans une circonstance, le parlement de Bretagne obligea l'évêque de Rennes à gratifier de l'absolution « la nommée Barbe Raoul », qui avait été excommuniée [Note : ROUAULT, loc. cit., p. 40-41, 93, 295, 301. — Au XVIIIème siècle, le parlement de Bretagne s'attaque résolument aux évêques. En 1744, il casse un mandement de Mgr de Jumilhac, évêque de Vannes. Le prélat eut recours au Conseil d'Etat, qui réforma le jugement passionné de la Cour de Rennes. Successeur du précédent, Mgr Berlin, frère d'un ministre, eut a soutenir une véritable lutte contre le même parlement de Bretagne, à propos d'affaires jansénistes. Il fallut l'intervention de Louis XV pour calmer les esprits (TRESVAUX, L'Eglise de Bretagne, p. 176, 177). Si les chefs de diocèse n'avaient pas fait partie de la noblesse et n'avaient pas formé un corps puissant, ils eussent été liés dans leurs moindres mouvements par la magistrature].

La chaire du village, — véritable gazette du temps, — proclamait aussi les impôts. Par exemple, pour les fouages, contribution territoriale, le recteur annonçait à la grand'- messe la somme afférente à la paroisse. C'était alors au général de choisir les égailleurs (ou répartiteurs), chargés de former le rôle de la perception sous leur responsabilité solidaire. Puis le recteur faisait connaître le dimanche ce que chaque feu (ou maison) devait payer. Ensuite le général nommait les collecteurs, qui recueilleraient l'argent. Ce mode de gestion était « essentiellement coopératif » et tous les intéressés pouvaient y participer à leur tour [Note : A. DU CHATELLIER, Des administrations collectives (in Séances et Travaux de l'Acad. des sciences morales et politiq., t. LXXXVIII, Paris, 1869)]. Mais, en pareille matière, le prêtre n'était que le trompette de la bourgade. On lui interdisait de se mêler de la confection des rôles de fouages, tailles, capitation, et autres impositions [Note : Arrêt du 29 octobre 1718 ; arrêt du 20 décembre 1731 (Arrests du P. de B., 1731, p. 339, 458). La taille était un impôt qui pesait exclusivement sur le peuple ; il était levé sur les roturiers en proportion de leurs biens et de leurs revenus. C'était à la fois un impôt personnel et un impôt territorial. Les prédicateurs protestèrent courageusement contre les pratiques odieuses qui pressuraient les plus humbles ; et les casuistes demandaient que les prêtres s'opposassent aux abus dans la mesure de leurs forces (JACQUES DE SAINTE-BEUVE, Résolutions de plusieurs cas de conscience, 1704, p. 633, 637, 639, 640, 644, 645).
La capitation était une contribution personnelle, qui se percevait sur chaque tête sans exception. Le dauphin lui-même y était soumis. Cette taxe datait de la guerre de 1695 et subsista, pour devenir aujourd'hui la contribution personnelle et mobilière (voir le mot Capitation, dans le Dict des Institut. de CHÉRUEL)].

Les paysans n'aiment pas à débourser. Quand ils pouvaient frustrer un peu le pasteur de la dîme qui faisait son revenu, ils n'y manquaient pas. En 1680, le recteur de Saint-Gondran est obligé de faire appel à la Cour de Rennes (Arrêt du 18 juillet 1680 - Arrests du P. de B., 1731, p. 73). Aussi bien, dans les paroisses pauvres, la situation du prêtre fut très dure. Jadis, aux beaux jours du monasticat breton, des religieux desservaient un grand nombre d'églises. Hélas ! les couvents perdirent la noblesse et la vigueur de leur institution première. Et le clergé séculier comprenait au XVIIème siècle un prolétariat, dont la triste condition explique les expédients. Comment, à cette époque, reprocher au clergé rural son ignorance ? Où donc aurait-il trouvé les moyens de s'instruire et les appuis nécessaires à la tâche intellectuelle [Note : Dans certaines campagnes, l'ignorance des pasteurs atteignait des proportions difficiles à croire. On prétend qu'en 1609, un aspirant à un canonicat nantais ne put traduire « nobis orantibus ». Le fait est vraisemblable (TRAVERS, Hist. de Nantes, t. III, 1811, p. 159). Quelques ecclésiastiques semblaient retourner à la barbarie des premiers ancêtres. M. de Kerlivio, grand vicaire de Vannes, faillit être tué d'un coup de pistolet, tiré par un prêtre dont il tâchait de corriger les désordres. Cependant, le XVIIème siècle breton fournit une floraison de recteurs zélés, de missionnaires admirables, et de saints laïques (LOBINEAU, Les vies des saints de Bretagne, 1725, p. 346-574; TRESVAUX, Les vies des saints de Bretagne, t. V, 1838, p. 1-330)] ? Son défaut principal fut de s'abandonner à la joie factice de méchantes habitudes bretonnes [Note : Tandis que, dans la première moitié du XVème siècle, l'évêque de Dol était obligé d'interdire aux prêtres, trop mêlés à la vie paysanne, de faire raison à leurs amis des santés que ceux-ci portaient, — ce que monseigneur Jean de Bruc appelait : jouer ad equales haustus, — les règlements de monseigneur de Hercé pouvaient se contenter d'inscrire les recommandations habituelles, sans insistance toute spéciale (collection de statuts, publiés en 1509, par Mathurin de Plédran, fol. 21. — Statuts pour le diocèse de Dol, publiés dans le synode de 1771, Dol, Caperan, p. 13). Toutefois, au XVIIIème siècle, la correction du clergé séculier n'était pas toujours irréprochable, à ce point de vue. Dans ses statuts de 1710, aux pages 17 et 18, monseigneur de Ploeuc, évêque de Quimper, écrit : « Nous voyons avec douleur que les Ecclésiastiques de nostre diocèse, qui doivent garder plus étroitement les régles de la tempérance, et de la sobrieté chrétienne, et par cette vertu soutenir et édifier les Laïques, leur sont devenus depuis long-temps un sujet de chûle et de scandale : c'est ce qui nous oblige à nous élever avec plus de force contre ces yvrognes scandaleux et criminels aux yeux mesme des libertins ». En 1777, l'évêque de Léon obtient du roi une lettre de cachet pour faire enfermer le sieur Le Goas, si grand buveur qu'on craignait que son cerveau « déjà bien aliéné » ne l'amenât à quelque meurtre ou à quelque profanation des saints mystères (ARCHIV. DÉPART. DE RENNES, C. 211). Mais un fait de ce genre, ou la répétition de quelques faits de ce genre, ne suffisent pas pour qualifier un diocèse pendant un siècle entier. Encore moins, de tels accidents atteignent-ils la valeur d'une doctrine religieuse. Dans cette espèce de dérèglements, l'aventure la plus frappante fut l'arrestation, en 1788, aux prisons de la marine, à Brest, d'un sieur Daulny, prêtre du diocèse de Quimper, qui, livré à toute sorte de désordres, avait fini par s'engager dans le corps royal des canonniers-matelots (ARCHIV. DÉPART. DE RENNES, C. 230)]. Le temple était misérable; parfois l'autel manquait de tabernacle [Note : L'un des hommes qui ont le mieux connu la campagne au XVIIème siècle, l'un de ceux qui ont fait l'enquête la plus exacte sur l'état moral de la France à cette époque, le Père LEJEUNE, disait : « és villages, le corps adorable de Jesus Christ est logé dans un ciboire de cuivre ; son sang precieux dans un calice d'estain plus noir que la tasse d'un valet de cuisine... il n'y a quelque fois qu'une chasuble toute déchirée, une aube qui fait pitié à la voir. » (Serm. pour les advents, IIème partie, Paris, 1664 ; Serm. XLVI, De l'honneur que la religion nous fait rendre aux églises, p. 138). Il est certain que, dans le diocèse de Dol, par exemple, de petites paroisses, — comme celle du Vivier ou de Hirel. — durent se relever difficilement des ruines radicales que la guerre de Cent-Ans y avait produites (DENIFLE, La désolation des églises en France vers le milieu du XVème siècle, t. I, 1897, p. 116-117). Mais la négligence des pasteurs doit aussi entrer en ligne de compte pour expliquer la détresse des églises, au temps de Louis XIV. Lorsque Mgr de Rosmadec, évêque de Vannes, nomma Charles de Gouandour à la cure d'Inzinzac, celui-ci « n'y trouva presque point d'ornemens nécessaires pour faire l'Office divin, et ce qu'il trouva étoit si mal propre qu'il en eut horreur ; les saints autels étoient trés-mal entretenus ; à peine s'y trouvoit-il quelque marque que ce fût la maison du Seigneur du ciel et de la terre ». Le charitable pasteur, Vennes, Guillaume Le Sieur, 1693. L'auteur de cet opuscule est Robin de Saint-Germain, prêtre de la même contrée. Au reste nous apprenons que Mgr de Rosmadec visita régulièrement son diocèse (de 1647 à 1671), y rétablit la discipline, en chassa « l'ignorance, l'ivrognerie et rusticité ». Il veilla spécialement à ce que le Saint-Sacrement fût gardé, traité, administré avec respect. « N'ayant trouvé à son entrée aucuns tabernacles en son evesché, il s'en est trouvé à ses dernieres visites plus de cent » (BIBL. NAT., Ms. fr. 22359, p. 75). Disons-le encore une fois : dans ce lamentable tableau, aucun trait n'est absolument spécial à la Bretagne. M. de Buzunval, qui fut sacré évêque de Beauvais, en 1651, parlait en ces termes devant ses prêtres : « J'ai vu le sang précieux de Jésus-Christ abandonné et croupissant dans des vaisseaux sales et rompus ; des églises qui tombent en ruine, destituées d'ornemens… l'on ne garde ni Memoires, ni Registres des batêmes, des mariages... [L'ivrognerie] C'est une chose étrange comme ce vice regne communément dans mon diocese… Disant un jour à des peuples que j'avois interdit à des ecclesiastiques toute fonction dans leurs paroisses, parce qu'ils étoient sujets à s'enyvrer, ils me dirent qu'il falloit donc interdire tous les curez de leur canton... » (Idée de la vie et de l'esprit de messire Nicolas Choart de Buzanval, évêque et comte de Beauvais, Paris, chez F. Barrois, 1717, p. 41-45)]. Au XVIIIème siècle, grâce à la multiplication des collèges et à l'établissement des grands séminaires, les progrès furent sensibles [Note : A la fin de la première moitié du XVIIème siècle, il y avait deux grands séminaires en Bretagne : celui du diocèse de Saint-Malo, le premier fondé dans la province, et celui de Nantes. Au cours de la seconde moitié du XVIIème siècle, six autres grands séminaires furent établis. Le dernier grand séminaire qu'on organisa dans nos diocèses bretons fut celui de Dol, qui s'ouvrit au début du XVIIIème siècle (TRESVAUX, L'église de Bretagne, p. 52, 308, 329, 350, 371 ; GUILLOTIN DE CORSON, Pouillé [Liste des écoles dans les anciens diocèses de Rennes, Dol et Saint-Malo], t. III, 1882, p. 389-486 ; PEYRON, Notice historique sur les séminaires de Quimper et de Léon, 1899 [L'introduction porte sur la formation des clercs avant la fondation des séminaires] ; LE MENÉ, Le séminaire de Vannes [in Bullet. de la soc. polymath, du Morbihan, année 1901, p. 7 et suiv.] ; BATTEREL, Mém. de l'Oratoire, publié par INGOLD, t. I, 1902, p. 178-212 [notice curieuse sur l'oratorien Achille de Harlay-Sancy, évêque de Saint-Malo, fondateur du premier grand séminaire de Bretagne] ; DUINE, Hist. du livre à Dol, 1906, p. 22-27). Le XVIIème siècle n'était pas encore achevé, que les bons résultats de la nouvelle préparation du clergé séculier se faisaient sentir. Un prêtre de Vannes pouvait écrire en 1693 : « Il est vray, il le faut avoüer à la gloire de nôtre siecle, que l'Eglise n'a jamais été servie par un plus grand nombre d'Hommes sçavans, qu'elle l'est de nos jours ; jamais les sciences n'ont été cultivées avec plus de soin qu'elles le sont à présent dans ce Royaume ; et la vigilance des Prélats est si grande pour ne donner à leurs Troupeaux que des pasteurs éclairés, qu'on ne voit plus, du moins dans beaucoup d'endroits, ces postes remplis que par des personnes qui ayent donné des marques certaines de leur capacité et doctrine » (Le charitable pasteur, Vennes, 1693, p. 113-114)]. Des efforts persévérants furent accomplis par les évêques pour que le prône ne manquât pas de dignité. La proclamation obligatoire des affaires temporelles fut renvoyée à la postcommunion, et les affiches, devenues usuelles, dispensèrent le recteur d'un certain nombre d'annonces profanes [Note : Au prône, défense de lire « aucuns miracles, billets, ny mémoires, si ce n'est pour trés urgente necessité » ; défense de lire tout « mandement » qui n'émanerait pas de l'autorité épiscopale ou ne regarderait pas « les affaires du Roy » ; les « exploits de justice ou ordonnance d'icelle » ne seront pas annoncés par les recteurs, à moins que ceux-ci n'aient reçu un acte bien « authentique » (Statuts de Tréguier, édition de 1685, p. 10). « Les recteurs annonceront au prône les fêtes, jeûnes, offices et fondations de la semaine suivante, et n'y liront point d'Actes concernants les affaires seculieres et temporelles, ce qui pourroit détourner les peuples de l'application qu'ils doivent avoir au saint sacrifice de la messe ; nous leurs permettons cependant de les publier avec les monitoires, lors qu'ils y seront obligés, après les oraisons de la postcommunion, et immediatement avant la bénédiction » (Ordonnances de Vannes, édition de 1695, p. 127). « Faisons défenses de publier pendant les messes aucuns Actes concernans les affaires purement seculieres et prophanes : celles qui regardent le public, ou l'execution des ordres du Roy, seront annoncées aprés la post-communion des messes paroissiales » (Statuts de Quimper, 1710, p. 39). Les Statuts de Rennes, de 1726 (édition in-quarto, p. 43), citent un édit royal de 1695, enregistré par le parlement de Bretagne, et dispensant les ecclésiastiques « de publier aux prônes, ni pendant l'office divin, les actes de justice et autres qui regardent l'intérêt parliculier de nos Sujets. Voulons que les publications qui en seront faites par des Huissiers, Sergens, ou Notaires, à l'issuë des grand'messes de paroisses, avec les affiches qui en seront par eux posées aux grandes portes des églises, soient de pareille force et valeur, même pour les Décrets, que si lesdites publications avoient été faites ausdits prônes ». Pendant la Révolution, les administrations demandèrent au clergé constitutionnel de donner en chaire divers avertissements officiels. Ainsi, le 10 janvier 1793, le district de Dol prie les communes de son ressort d'annoncer « au prône » de la « grand messe » certains impôts à payer (ARCHIVES DÉPART. DE RENNES, District de Dol, série L, n° 22 ; correspondance du procureur-syndic et agent national). Avec le régime du Concordat, sous le premier Empire, on espéra que l'Eglise allait devenir une puissante machine gouvernementale. L'an XIII, le préfet de Rouen jugeait fort mauvais que les prêtres se refusassent de « lire au prône les bulletins des armées et les lettres du ministre » (Un préfet du Consulat, dans le Journal des Débats, numéro du 17 mai 1907)]. A l'approche de la Révolution, les dignitaires ecclésiastiques de Bretagne comprenaient enfin le caractère aléatoire de la situation financière parmi ceux qui formaient « le bas clergé », et cherchaient à leur assurer « de quoi subsister honnêtement » [Note : Le concile de Trente voulait, avec grande sagesse, que les postulants aux ordres sacrés possédassent un revenu, qui les aidât à donner à leur vie quelque dignité. Et dans ses statuts de 1741 (au paragraphe V), Mgr de Sourches, évêque de Dol, — l'un des prélats qui ont fait le plus d'honneur à l'église de Bretagne, pendant le XVIIIème siècle, — disait : « Sans avoir égard à l'usage jusqu'à présent pratiqué dans notre diocèse, de n'exiger pour titre clerical que la somme de soixante livres de rente, attendu qu'un Ecclésiastique ne peut plus vivre ni étudier avec si peu de revenu, défendons à tous aspirans au soûdiaconat, de s'y présenter, s'ils n'ont pas réellement le titre et la jouissance paisible d'un bénéfice de valeur de cent livres de revenu annuel, franchement venant, toutes charges réelles et passives déduites, dont ils justifieront ; ou, au défaut de benefice, le même revenu en patrimoine réel et effectif, franchement venant, ou en rente viagere bien assurée, sans fraude et sans collusion ; autrement ils demeureront suspens des Ordres ainsi reçûs, sans pouvoir esperer de monter plus haut ». Dans ses statuts de 1771 (p. 8), Mgr de Hercé, évêque de Dol, revint à l'ancienne règle « de soixante livres de revenu fixe et assuré ». Mais ce pieux et généreux prélat comprenait certainement les difficultés matérielles dans lesquelles vivait le clergé des campagnes (ROBERT, Urbain de Hercé, Paris, 1900, p. 77). Certes, il y a une sainte et noble pauvreté ; mais il y a non moins une turpis egestas, qui déshonore le sacerdoce et que l'épiscopat doit combattre. M. Le Nobletz, le missionnaire héroïque de la Bretagne, dans la première moitié du XVIIème siècle, considérait comme un écueil de l'état ecclésiastique « la trop grande pauvreté, qui réduit ceux qui n'ont pas de quoi vivre honnêtement, à faire des bassesses messéantes à leur dignité, et à mener une vie distraite, servile… » (LOBINEAU, Vies des saints de Bretagne, 1725, p. 408)]. Consulté par les prélats, à l'époque des visites pastorales, le général pouvait soumettre d'utiles remarques et recevoir de précieux conseils [Note : Le 18 juillet 1771, Mgr Bureau de Girac, faisant sa première visite à Saint-Martin de Vitré, laissa une ordonnance, que le recteur lut en chaire, à la grand'messe du 28 juillet. Dans cette ordonnance, le prélat indiquait toute une série de réparations matérielles à exécuter, demandait quelques achats utiles, l'établissement d'un inventaire des titres et papiers, la nomination d'un « procureur terrier », qui serait chargé de dresser un bon tableau des fondations et réclamerait aux débiteurs « des actes de reconnoissance » (Registres du général de Saint-Martin de Vitré, délibération du 28 juillet 1771. — Dans la séance du 7 juillet, le général avait préparé une requête, qui devait être soumise à l'évêque)].

Quelques chartes du XIème siècle nous présentent des assemblées de paroisse. On consulte ces dernières ; on les prend à témoin ; on les prie de se porter garantes. Entre ceux dont on appose les noms au bas d'un contrat, figurent un meunier, un carrossier, qui étaient présents [Note : Coram tota parroechia, unde etiam parrhochiam fidejussorem dedit (charte de 1080 environs in plenaria parroechia (charte de 1100), dans AURÉLIEN DE COURSON, Cartulaire de l'abbaye de Redon, Paris, 1863, p. 294-295, 266-268. — BABEAU. Le village sous l'ancien régime, 1879, p. 13]. L'association paroissiale se développa et se précisa peu à peu, avec les besoins du Trésor et l'activité de l'Administration [Note : DUPUY, Etude sur l'administration municipale en Bretagne, 1ère partie, p. 9. — Sur le développement du laïcisme dans l'administration temporelle de l'Eglise, THOMASSIN a composé un chapitre d'érudition (Discipline de l'Eglise, édition de 1725, t. III, col. 856-865). — Il faut avouer que le général, tel que le parlement de Bretagne le voulait vers la fin du XVIIIème siècle, était contraire aux anciennes régies canoniques. L'alliance du trône et de l'autel, la confiance du sacerdoce dans la piété du prince expliquent la soumission (quoique revêche) du monde ecclésiastique, devant une réglementation civile, qui poussait en certains cas jusqu'au ridicule son ingérence dans le domaine clérical. Le plein épanouissement de ce système monarchique produisit la constitution civile du clergé]. Au début du XVème siècle, nous la voyons se transformer en véritable communauté de ville [Note : Nous connaissons les « trésoriers et fabriciens » de Ploërmel en 1435 ; nous voyons, cette même année, « la congrégation du peuple » assemblée un dimanche, à la fin de la grand'messe, pour délibérer sur une affaire que lui soumet certain seigneur, et qui intéresse la paroisse ; l'évêque de Saint-Malo approuve la délibération. Quelques années après, l'assemblée révoque son « procureur », dont l'attitude lui déplaît (S. ROPARTZ, Notice sur la ville de Ploërmel, 1864, p. 65-72). Il est possible, pour cette cité, de suivre la transformation du conseil de paroisse en communauté de ville. Au XVIIème siècle, celle-ci continue d'exercer les attributions spéciales du général (eod. loc., p. 72-74). Parmi les plus anciennes délibérations qui nous soient parvenues, nous placerons celle des paroissiens de Brélévenez, en 1466, Celle des paroissiens de Plémy, en 1478, celle des paroissiens d'Erquy, en 1516. La scène se passe toujours au prône de la grand'messe, et, dans l'église d'Erquy, les paroissiennes prennent part à l'examen des affaires locales (ALAIN RAISON DU CLEUZIOU, Trois actes pronaux, dans la Revue de Bretagne, année 1905, t. XXXIII, p. 398 ; t. XXXIV, p. 66)]. Pourtant, c'est au XVIème siècle, surtout, et au commencement du XVIIème que se constituèrent les municipalités bretonnes [Note : DUPUY, loc. cit., p. 9-10. Au tome IV de l'Histoire de Bretagne (par LA BORDERIE et BARTHÉLÉMY POCQUET, Rennes, 1906, p. 274), on montre comment, sous le règne de Jean V, les institutions municipales prirent dans notre province un notable développement. Dans ces pages, on cite les bonnes Etudes sur les communautés de villes, par P. DE LA BIGNE-VILLENEUVE, qui, malheureusement, n'a scruté que l'histoire rennaise (Association bretonne, session tenue à Vitré en 1876, p. 59-85). Pour le XVIème siècle, nous possédons le travail distingué de M. CH. LARONZE, Essai sur le régime municipal en Bretagne pendant les guerres de religion (Paris, Hachette, 1890, in-8° de 273 pages). Il ne faudrait pas s'imaginer que le parlement de Bretagne réussit du premier coup à imposer ses règlements aux généraux. Ceux-ci constituaient des organismes nés avec la vie paroissiale, et qui ne pouvaient se débarrasser que lentement des formes capricieuses que l'évolution de l'histoire locale leur avait imprimées. — Voici, par exemple, comment les choses se passent au Mont-Dol, vers le milieu du XVIIème siècle, d'après un acte du 10 mors 1652 (qui m'a été communiqué par le possesseur). On tient le prône avant le service divin, aussitôt après la procession du dimanche. Y prennent part : le recteur, deux prêtres de l'endroit, un clerc minoré, treize personnes qui sont nommées dans le document, et « plusieurs autres », toutes représentant le général de la paroisse. On délibère sur une rente fondée par feue Gillette Regnault. Puis on signe la pièce. Toutefois, « encor que plusieurs scachent signer », afin d'éviter la « multiplicitté des signes », Pierre Parys, « sergent particullier » de l'assemblée, est requis de poser, au nom de celle-ci, sa signature. Souscrivirent à côté, « chacun pour son respect », le recteur, les deux prêtres, le mari de la donatrice, et le notaire]. Tantôt, elles continuèrent, comme à Ploërmel, de remplir la charge des fabriciens ; tantôt, elles vécurent, comme à Vitré, à côté d'un général. Notre-Dame, en effet, possédait un corps d'échevins et un conseil de paroisse. A quelle époque le général de Saint-Martin, en outre, commença-t-il de fonctionner ? Je l'ignore [Note : Pour trop de lieux, les documents nous font défaut. C'est une bonne fortune quand on rencontre des registres du général, écrits au XVIème siècle. M. FRAIN DE LA GAULAYRIE a montré l'heureux parti qu'un érudit peut tirer des comptes paroissiaux (Une paroisse du vitréais : Pocè, Vitré, 1905, p. 10 et suiv.)]. Peut-être ne forma-t-il d'abord qu'un épanouissement de l'importante confrérie de la Conception [Note : La confrérie a souvent été le premier noyau de la paroisse (DUPUY, loc. cit., p. 6, 7, 8. — La remarque du savant historien sur les luttes de Plouzané avec Locmaria, pendant le XVIIIème siècle, pourrait être répétée au sujet des luttes de Notre-Dame avec Saint-Martin, pendant le XIXème. Au XVIIIème siècle, le général martinien élisait les prévôts « de la confrairie de l'Immaculée Conception de la Ste Vierge ». Ces prévôts étaient au nombre de trois. D'après un vieil usage, l'un des trois appartenait à « la paroisse Notre-Dame » (voir la séance du 10 janvier 1779)]. Toujours est-il qu'aux de premières années du XVIème siècle, Saint-Martin n'était pas encore considéré comme paroisse, mais plutôt comme une sorte de grande succursale de Notre-Dame [Note : Au commencement du XVème siècle, Saint-Martin est absolument inconnu en tant que paroisse (LESQUEN et MOLLAT, Mesures fiscales exercées en Bretagne par les papes d'Avignon, dans les Annales de Bretagne, janvier 1903, p. 205). Au début du XVIème siècle, le chapelain de Saint-Martin est encore absorbé par le doyen de Notre-Dame (GUILLOTIN DE CORSON, Pouillé de Rennes, t. I, p. 365, 371 ; t. VI, p. 488 et 488)]. Depuis la fin du XVIIème siècle, l'église hors les murs affirme de plus en plus sa personnalité.

Bien que l'instruction des membres de l'association martinienne semble plutôt médiocre, — l'aristocratie et la bourgeoisie appartenaient à Notre-Dame, principalement, — bien que plusieurs signatures révèlent des personnes à peu près illettrées, le sens pratique de cette assemblée est remarquable. On saisit comment ces réunions offraient une école politique pour le peuple et le préparaient à participer plus largement à la vie nationale. Telle délibération reste un chef-d'oeuvre de tact et de possession de soi-même. Les revendications à la veille des Etats généraux sont justes et modérées. Le mouvement français et chrétien de 1789 donna à Saint-Martin l'égalité civile, et le concordat, pacte politique d'un homme de génie, lui assura une vie paroissiale, indépendante de l'église voisine, qui était l'église-mère (Voir dans POTIER, loc. cit., p. 33-43, le chapitre consacré aux succursales).

Aujourd'hui que, par suite de l'évolution fatale des choses, l'Eglise gallicane vient d'être séparée de l'Etat, l'ancien général des paroisses bretonnes revivra-t-il sous des formes rajeunies ? Laissez-moi, disait hier un académicien distingué, « laissez-moi caresser le rêve d'une Eglise de France, où les pasteurs vivraient en communion intime avec les fidèles et n'apparaîtraient point à leurs yeux comme de lointains fonctionnaires au sort desquels on aurait le droit de ne point s'intéresser, où les fidèles eux-mêmes ne seraient pas considérés comme un troupeau muet de contribuables, mais se verraient au contraire associés, dans la mesure où le respect de la hiérarchie le permettrait, à l'administration des biens temporels, où la maison de Dieu bâtie, entretenue, ornée aux frais de tous, demeurerait la maison de tous » [Note : Réponse du comte d'Haussonville, directeur de l'Académie, au discours du cardinal Mathieu, prononcé dans la séance du 7 février 1907. Un autre académicien, catholique d'un mérite incontestable, vient, lui aussi, de faire remarquer à quel point le clergé français serait imprudent de mettre complètement les laïques en dehors de sa nouvelle organisation. Un prêtre oublie son rôle quand il se transforme en exacteur d'impôts (Journal des Débats, 11 mai 1907, « Un article sur la séparation »). Et, parmi les fidèles, combien, qui tendent les bras vers le passé au lieu de préparer le lendemain, méditeraient avec fruit l'excellent article que LA MENNAIS écrivit le 18 octobre 1830, et qu'il intitula « De la séparation de l'Eglise et de l'Etat » (Troisièmes mélanges, 1835, p. 109-119)].

(F. Duine).

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