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JEAN IV de CHALON-ARLAY - Prince d'Orange.

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Un Franc-Comtois au service de la Bretagne.

JEAN IV de CHALON-ARLAY - Prince d'Orange.

Jean IV de Chalon-Arlay (ou Jean de Chalon) (1443 - 8 avril 1502), fils de Guillaume VII de Châlon (1414-1475) [Note : Guillaume de Chalon-Arlay était le fils de Louis de Chalon-d'Arlay (1388-1463) et de Jeanne de Montfaucon, fille d'Henri de Montfaucon) et de Catherine de Bretagne (ou d'Etampes) [Note : Catherine de Bretagne était la fille de Richard de Bretagne (1395-1438), et de Marguerite d'Orléans, fille de Louis duc d'Orléans. Richard de Bretagne était le fils de Jean IV (1339-1399), duc de Bretagne, comte d'Etampes et de Jeanne de Navarre, fille de Charles II, roi de Navarre], époux de Philiberte de Luxembourg, prince d'Orange (1475-1502), seigneur de la Maison de Chalon-Arlay. Lieutenant général de Bretagne, il était seigneur de quelques seigneuries en Bretagne dont Lamballe, Moncontour, Rhuys et Lespine-Gaudin. Par sa fille Claude de Châlon (soeur de Claude et de Philibert de Châlon), le titre de prince d'Orange s'est transmis indirectement à la Maison d'Orange-Nassau jusqu'au roi Willem-Alexander des Pays-Bas.

Place forte des Chalon à Arlay (Jura).

Principale place forte des Chalon à Arlay (Jura)

La maison de Chalon-Arlay (ou maison d'Orange-Chalon après le mariage en 1386 du seigneur Jean III de Chalon-Arlay avec la princesse Marie des Baux-Orange), est une importante dynastie de seigneurs du Jura et de princes souverains de la Principauté d'Orange, issue des comtes de Chalon et de la Principauté d'Orange (de l'ancien royaume de Bourgogne).

Place forte des Chalon à Arlay (Jura).

Principale place forte des Chalon à Arlay (Jura)

Note : La tradition attribue la fondation du château d'Arlay à Gérard de Roussillon, comte-duc de la Haute Bourgogne au IXème siècle. Il fut transmis à ses héritiers, et attribué en 1269 à Jean Ier de Chalon-Arlay (1258-1315) seigneur d’Arlay (1266-1315) et vicomte de Besançon (1295-1315). Ce dernier était le fils de Jean Ier de Chalon, dit Jean de Bourgogne, Jean l'Antique ou Jean le Sage, né vers 1190 et mort le 31 août 1267. Il épouse vers 1272 Marguerite de Bourgogne, dame de Vitteaux, fille du duc Hugues IV de Bourgogne et de sa deuxième épouse Béatrice de Champagne.

Château d'Arlay (Jura).

 

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Le 3 juillet 1468, à Damme en Belgique, le duc de Bourgogne, Charles-le-Téméraire, épousait en troisièmes noces [Note : Charles-le-Téméraire avait épousé d'abord Catherine de France, fille de Charles VII, morte en 1446, puis Isabelle de Bourbon, morte le 25 septembre 1465 à Bruxelles], la princesse d'Angleterre, Marguerite d'York (Soeur d'Edouard IV, roi d'Angleterre, née en 1448, morte en 1503). A l'occasion de ce mariage, celui que l'on appelait le grand-duc d'Occident déploya toute sa pompe et sa magnificence. A Bruges, où la nouvelle duchesse se rendit aussitôt, les fêtes se succédèrent pendant plusieurs jours, et le tournoi de l'Arbre d'Or, qui se déroula dans la vieille ville flamande est le plus célébre dont l'histoire ait gardé le souvenir [Note : Sur ce tournoi, voir : Dufour et Rabut : Description.... des fêtes célébrées à Bruges en 1468, dans Mém. Comm antiq. de la Côte d'Or, IX, p, 311]. Dès la fin de juillet, le bourguignon Olivier de la Marche [Note : Ambassadeur des ducs de Bourgogne, chroniqueur et littérateur, né vers 1426, mort à Bruxelles le 1er février 1502] envoyait un récit fidèle de ces fêtes grandioses à son ami Gilles du Mas, maître d'hôtel du duc de Bretagne, récit qu'il a reproduit textuellement dans ses Mémoires (O. de la Marche : Mémoires, liv. II, ch. 4). Et la cour de Bretagne dut apprendre avec plaisir que le vainqueur de ce tournoi magnifique avait été le propre neveu du duc François II, Jean de Chalon-Arlay, seigneur d'Arguel (Arguel, canton de Besançon, Doubs). Mais nul alors, de Brest à Vannes, de Rennes à Nantes, ne soupçonnait le rôle que jouerait bientôt ce jeune homme dans la lutte désespérée que soutenait la Bretagne pour son indépendance ; d'ailleurs on ne le connaissait pas.

Ce n'était pourtant pas un mince personnage que ce grand seigneur franc-comtois, héritier de la plus puissante maison de ce pays montagneux. Beau-frère de Charles-le-Téméraire, d'Anne de France, dame de Beaujeu, et du duc de Calabre, oncle de Marie de Bourgogne, neveu du duc de Bretagne, cousin germain de la reine Anne, il allait être appelé à tenir une place de premier plan au pays de France ; ne fut-il pas successivement gouverneur de Franche-Comté pour la duchesse Marie, puis gouverneur de Bretagne pour le roi Charles VIII, de nouveau gouverneur du Comté de Bourgogne pour l'Empereur, et enfin amiral de Bretagne ?

Le fils de Guillaume VII de Chalon, sire d'Arlay, prince d'Orange [Note : Guillaume de Chalon, fils de Louis de Chalon et de Jeanne de Montbéliard, était né vers 1410 et mourut le 27 octobre 1475], et de Catherine d'Etampes [Note : Catherine d'Etampes, fille de Richard comte d'Etampes et soeur du duc de Bretagne François II mourut en 1476], était né en 1443, au château de Nozeroy (Nozeroy, arrondissement de Poligny, Jura), au Comté de Bourgogne ; ses parents étaient mariés depuis cinq ans [Note : Le mariage avait eu lieu le 19 août 1438 ; Arch. du Doubs : E.1321]. Cependant que son père, prince léger et dissipateur, passait la plus grande partie de son temps dans sa principauté d'Orange, l'enfant grandit à Nozeroy entre sa mère et son grand-père, le fameux et terrible Louis de Chalon [Note : Louis de Chalon, né en 1388, était fils de Jean de Chalon et de Marie des Baux, à qui il succéda dans la principauté d'Orange ; il mourut en 1463. Cf. : F. Barbey : Louis de Chalon]. Il semble bien que Catherine d'Etampes n'ait eu que peu d'influence sur l'éducation de son fils. Cette princesse, célèbre à la cour de France et à celle de Bourgogne pour son éclatante beauté [Note : E. Clerc : Discours sur Jean de Chalon, dans Mémoire, de l'Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Besançon, 1854, p. 2], passait de longues et mélancoliques journées dans ce triste château, perdu dans la montagne, entouré de forêts et maigres pâturages, en compagnie de son seul beau-père. Et Louis de Chalon entendait bien ne laisser à personne le soin d'élever le dernier héritier de son nom et de ses armes. Dans un intérieur somptueux mais froid [Note : On sait en effet, par les comptes de la maison de Chalon, les travaux considérables faits à Nozeroy par Louis de Chalon], s'étiraient les longs jours d'hiver, pendant lesquels le jeune homme reçut les leçons des clercs et des juristes, dont s'entourait son grand-père (E. Clerc, op. cit… p. 3) ; mais il entendit surtout l'enseignement personnel du vieux chevalier, qui n'avait pas hésité à s'exiler pour ne pas ratifier le traité de Troyes en prêtant hommage au roi d'Angleterre, enseignement spécial s'il en fût, tendant uniquement à pénétrer le jeune Jean de l'importance, trop souvent méconnue, de la maison de Chaton, à laquelle il convenait de rendre son éclat. L'héritier de tant de gloire ne demandait pas mieux ; de bonne heure, il montra du goût pour les choses militaires, se passionnant de tournois. Courageux comme tous ceux de sa race, il sut montrer qu'il pouvait à l'occasion faire un bon diplomate.

Il avait vingt ans quand mourut Louis de Chalon. Marié trois fois, le vieux baron laissait plusieurs enfants de ses deux premiers lits [Note : De son premier mariage avec Jeanne de Montbéliard, il avait eu Guillaume ; sa seconde femme, Eléonore d'Armagnac, lui donna deux fils, Louis et Hugues, et deux filles ; de sa troisième femme, Blanche de Gamaches, il n'eut pas d'enfant], et les fils ne purent s'entendre. Guillaume VII crut se tirer d'affaire en se soumettant à l'arbitrage du duc de Bourgogne, Philippe-le-Bon, et partit pour la Terre Sainte. Son fils Jean se chargea d'occuper tout l'héritage de son grand-père en dépit du testament laissé par le vieillard (Arch du Doubs E. 1325). Cependant Philippe-le-Bon ne se pressa pas de rendre son jugement, et l'affaire n'était pas terminée lorsque la mort le surprit en 1467.

Cette même année, Jean de Chalon avait épousé Jeanne de Bourbon, fille de Charles, duc de Bourbon, et d'Agnès de Bourgogne [Note : Le contrat de mariage se trouve aux Arch. du Doubs E. 1321. On verra par la suite comment Jean de Chalon sut profiter des nombreuses alliances de sa femme]. Ce mariage devait en faire un puissant personnage à la cour de Dijon, puisqu'il devenait le beau-frère par alliance du comte de Charolais, dont la femme Isabelle de Bourbon venait de mourir (Cf., supra, p. I, note I), et surtout l'oncle de la petite Marie, unique héritière du duché de Bourgogne. Pourtant devenu duc de Bourgogne, Charles n'eut pas pour son beau-frère l'attitude que celui-ci se croyait endroit d'espérer. Dans l'été de 1470, bien que Guillaume VII et son fils l'aient bien servi dans ses dernières campagnes en Flandre (O. de la Marche, op. dit., liv. II, ch.3), le Téméraire rendit, dans l'affaire de la succession de Chalon, un jugement sévère pour le prince d'Orange et étrangement favorable à ses frères, Louis et Hugues de Chalon, dits de Châteauguyon [Note : Les frères de Guillaume VII obtenaient presque toutes les possessions comtoises de leur père, en particulier Arlay et Nozeroy. Louis fut tué au siège de Granson en 1476, et Hugues mourut sans postérité en 1490, si bien qu'à cette date Jean réunit de nouveau dans sa maison tous les biens de Louis de Chalon]. Guillaume VII eût peut-être accepté avec résignation la sentence de son suzerain, mais Jean, ambitieux, devinant peut-être que la fortune ne sourirait plus bien longtemps au grand-duc d’Occident, saisit le prétexte de ce jugement pour se révolter et passa à la cour de France.

Bien qu'une trêve ait alors été conclue entre le roi de France et le duc de Bourgogne, Louis XI accueillit avec joie un transfuge de cette importance et de cette qualité ; il donna aussitôt à Jean de Chalon le commandement d'une compagnie de gendarmerie. Sans se soucier des conséquences de ce qu'il allait faire, en pleine trêve, Jean se jeta alors sur la petite ville de Jonvelle (Jonvelle, canton de Jusey, arrondissement de Vesoul, Haute-Saône), qu'il prit et saccagea (E. Clerc : op. cit., p. 5). Le roi ne manifesta pas un mécontentement qu'il n'éprouvait sans doute pas, mais en apprenant la trahison du sire d'Arguel, le Téméraire crut, nous dit Jean de Roye (Jean de Roye : Chronique scandaleuse, éd. Petitot), « enrager et crever de dueil ». Il y avait alors à la cour de Bourgogne une ambassade bretonne (Jean de Roye: Ibidem) ; en présence des ambassadeurs, le duc prononça la confiscation des biens du neveu du duc de Bretagne, qui ne put intervenir. Guillaume réfugié à Orange reçut l'ordre de regagner la cour de Bourgogne ; il n'en fit rien et attendit les événements.

L'entente entre Jean de Chalon et le roi de France ne devait pas être de longue durée : A Orange, Guillaume avait des difficultés avec le Parlement de cette ville ; son fils crut qu'il pourrait compter sur l'appui de Louis XI, mais pendant que le roi endormait le prince par de belles promesses, il soutenait en sous-main les prétentions des bourgeois. La duplicité royale facilita la réconciliation des Chalon et du duc de Bourgogne, un accord fut conclu. Mais Louis XI en eut connaissance, et tandis que Guillaume VII regangnait à petites journées le Comté de Bourgogne, le roi le faisait arrêter au passage du Rhône par le baron de Lude, gouverneur du Dauphiné (1473) (Art de vérifier les dates, II, p. 451). Pendait que son père était mené en prison à Rouen, Jean restait à la cour de France, cherchant à se maintenir sans doute dans les bannes grâces du roi. Après vingt-huit mois de captivité, Guillaume, le 15 septembre 1475, conclut un accord avec Louis XI auquel il abandonnait en fait la suzeraineté de la principauté d'Orange (E. Clerc : op. cit., p. 5). Deux mois après il mourait (Supra, note 7).

Prince d'Orange, Jean fit peu après la mort de son père une entrée solennelle dans cette ville, après quoi il fit son premier séjour en Bretagne, à la cour du duc son oncle. S'il y apprit à connaître les gens et les choses, il n'eut pas alors l'occasion d'y exercer son esprit d'intrigue, car de graves événements se préparaient au Comté de Bourgogne. Son suzerain, le duc Charles, était aux abois. Jean ne se souciait nullement d'aller le défendre ; mais il se souvenait des intérêts qu'il avait à protéger. Aussi pendant que le Téméraire se faisait battre à Granson et à Morat, Jean quittait la Bretagne et venait « s'esbattre » secrètement en Franche-Comté (E. Clerc : op. cit., p. 6). Sans doute ne lui déplaisait-il pas de jouir de la défaite de son rival.

Dès que les évènements de Nancy (15 janvier 1477) furent connus, le prince d'Orange s'en fut auprès de Louis XI promettre son concours. Se souvenant à propos qu'il était l'oncle de la petite duchesse, il s'engagea à user de toute son influence pour obtenir des Etats du Comté de Bourgogne le rattachement du Comté à la couronne, et leur consentement au mariage du dauphin Charles avec la princesse Marie. En récompense, le roi promettait au prince d'Orange de lui donner le gouvernement des Deux Bourgognes et en outre la possession de toute la succession de Chaton. Quand les Etats se furent réunis à Dôle, en février 1477, le prince d'Orange, appuyant le langage des émissaires du roi, emporta leur décision, malgré d'honorables résistances [Note : Sur la réunion des Etats de Dôle de février 1477, cf : E. Clerc : Histoire des Etats Généraux et des libertés publiques en Franche-Comté, dans Mémoires de la Société d'Emulation du Jura, 1876-1877]. Jean de Chalon crut pouvoir annoncer aux Etats que les négociations pour le mariage de la duchesse et du dauphin étaient déjà fort avancées ; le roi ne voulait en somme que protéger le pays contre ses ennemis extérieurs. Bref, par son exemple et ses paroles, pour satisfaire son ambition déçue par le Téméraire, le premier seigneur du Comté le livrait à la France (E. Clerc : loc. cit. x, p. 171).

Mais Louis XI ne sut pas reconnaître le service éminent que venait de lui rendre le prince d'Orange. Les villes de Franche-Comté, Besançon exceptée, avaient à peine reçu leurs garnisons françaises (E. Clerc : Discours... loc. cit., p. 7), que le roi, oubliant les engagements qu'il avait pris à Lyon à l'égard de Jean de Chalon [Note : C'est à Lyon, en effet, que le prince d'Orange était allé retrouver le roi en janvier 1477 ; Clerc : ibid., p. 7], donnait le gouvernement des Deux Bourgognes à son lieutenant, Georges de la Trémoille, sire de Craon [Note : Sur ce personnage, cf. Commynes, éd. Calmette T. II p. 205]. Cette conduite ne s'explique, croyons-nous, que par une crainte légitime de la puissance considérable qu'aurait donnée une telle charge au prince d'Orange ; Louis XI ne se souciait pas de reconstituer au profit d'un autre la puissance du Téméraire.

Pour la deuxième fois, le prince d'Orange était joué par le roi de France. S'embarrassant peu de scrupules, il changea immédiatement de camp, et devint le chef du parti de la résistance. Marie de Bourgogne lui confia le gouvernement tant désiré du Comté de Bourgogne. En moins d'un mois, sous sa direction, toutes les villes s'étaient soulevées et avaient chassé leurs garnisons françaises, toute la noblesse comtoise s'était retrouvée pour la défense de la province |Note : Sur tous ces événements, très connus, cf. entre autres : les Mémoires de Commines et la Chronique de Jean de Roye, et les divers historiens du duché et du comté de Bourgogne, Petit, d. Plancher, Gollut etc.].

Il va sans dire que Louis XI n'accepta pas la défection du prince d'Orange sans manifester son mécontentement. Il chargea Craon de conquérir la Franche-Comté. Le lieutenant du roi échoua d'abord devait Gray [Note : Non sans avoir mis à mal l'armée de secours comtoise, commandée par l'oncle du prince d'Orange, Hugues de Châteauguyon, réconcilié momentanément avec son neveu]. Pendant ce temps, les négociations pour le mariage de la duchesse Marie avec le Dauphin avaient été rompues ; mais Jean de Chalon n'en travaillait pas moins activement à trouver un puissant protecteur à sa nièce. C'est ainsi que le 18 août 1477, Marie de Bourgogne épousa à Gand, l'archiduc Maximilien d'Autriche, le futur empereur. Ce mariage exaspéra encore le roi ; le 7 septembre suivant il mettait Jean de Chalon, sire d'Arlay, prince d'Orange au ban du royaume, et prononçait la confiscation de ses biens (Art de Vérifier les Dates, II p. 451). Convaincu de trahison jusqu'à quatorze fois, accusé d'hérésie, Jean était privé de l'ordre de Saint-Michel, et pendu en effigie dans plusieurs villes du royaume [Note : Jean de Roye : Chronique Scandaleuse, éd. Petitot, p. 60, avec la date erronnée du 7 juin].

La lutte dura deux ans. Il est inutile d'en relater ici tous les épisodes. Le prince d'Orange, dit E. Clerc, « se montra à la hauteur du rôle qu'il avait à remplir. Cette époque de sa vie a une véritable grandeur : déployant une activité inouïe, payant avec effort les Suisses allemands appelés à la défense du pays, il affranchit, entièrement le Comté de la domination française, et fut à la veille de conquérir le duché » (E. Clerc : Discours..., loc, cit., p. 7). Malheureusement les souverains du Comté ne disposaient pas des mêmes ressources que le roi de France. La trahison s'en mêla ; en 1479, Dôle fut prise et brûlée, la province lentement reconquise par les armées du roi. Sans troupes et sans argent, Jean de Chalon ne put livrer aucune bataille. Il se réfugia dans les montagnes, puis à Bâle, promettant aux derniers défenseurs du pays des secours qu'il fut incapable de leur fournir (E. Clerc : loc. cit., p. 8).

De Bâle, Jean assista impuissant à la dévastation de la Franche-Comté par les troupes royales. Ruiné [Note : Non seulement ses biens furent confisqués mais ses châteaux, sauf Nozeroy, furent demantelés par ordre du roi], il prit le parti de se réfugier dans les Pays-Bas auprès de sa nièce Marie, où il fut reçu avec toutes les marques de faveur dues à un homme qui avait tout perdu pour défendre la cause de la souveraine légitime. Il ne faudrait pas croire que le prince n'ait agi que par fidélité ou par désintéressemen t; il avait cru trouver une occasion de satisfaire son ambition démesurée ; il avait joué, il avait perdu, mais il n'attendait que le moment favorable pour essayer de prendre sa revanche. En attendant, il devait lui être agréable de voir qu'il pouvait compter sur la reconnaissance de ceux auxquels il avait lié sa fortune.

A la cour de Flandre, Jean de Chalon trouva vite le moyen de déployer son activité. Il sut profiter habilement de son influence sur sa nièce Marie et sur Maximilien. Celui-ci s'efforçait à se chercher des alliances pour une reprise, toujours possible, de la lutte contre Louis XI. Déjà sa belle-mère Marguerite d'York lui avait fait conclure, le 5 août 1480, un traité avec Edouard IV son frère (Arch. du Nord, B 2.121, f° 340). Au début d'octobre, cette princesse jeta les bases d'un accord qui formerait une véritable coalition entre le roi d'Angleterre, Maximilien et le duc François II de Bretagne (Pocquet du Haut-Jussé, François II et l'Angleterre, p. 226). C'est alors que le prince d'Orange put intervenir utilement. Il avait de bonnes raisons pour créer des ennemis au roi de France ; en outre, il était à la fois oncle de Maximilien et neveu de François II ; il entra immédiatement dans les vues de la duchesse Marguerite.

Il fut convenu que les ambassadeurs bourguignons et bretons se rencontreraient à Londres. Le 12 décembre 1480, Edouard IV mit en train les négociations en demandant à Maximilien de lui envoyer des ambassadeurs. Maximilien désigna le prince d'Orange, auquel il adjoignit le comte de Chimay et l'abbé de Saint-Bertin (Arch. du Nord, B 2.124, f° 169). Les envoyés de l'archiduc emportaient avec eux l'ancienne charte d'alliance entres François II et le Téméraire (Arch. du Nord, id., f° 85), et des instructions précises qui prévoyaient une action commune des trois alliés [Note : Munis de ces instructions, les ambassadeurs quittèrent Bruges le 1er février ; Pocquet du Haut-Jussé op. cit., p. 228]. Le prince d'Orange était déjà à Gand, lorsqu'il reçut copié d'une lettre écrite par Marie de Bourgogne à François II, disant que les ambassadeurs bourguignons iraient d'Angleterre en Bretagne pour le prier de faire « la meilleure et plus brief dépeche que possible » (Pocquet du Haut-Jussé, op. cit., p. 228). Dès le 1er avril 1481, Jean de Chalon informait Maximilien de la bonne marche des négociations, mais il suggérait la possibilité de « besongner » contre Louis XI sans le concours du roi d'Angleterre ; Maximilien ne se rallia pas à ce projet, s'en remettant même à Edouard IV pour choisir ceux de ses ambassadeurs qui devraient se render en Bretagne, se contentant de faire remarquer que le prince d'Orange paraissait plus particulièrement désigné (Arch. du Nord, registre des lettres missives, t. II, f° 227-284). Jean de Chalon fut en effet à la tête de l'ambassade bourguignonne auprès de François II (Arch. du Nord, B 2.124, f° 178 v°). Comment ces premières négociations n'aboutirent-elles à aucune action efficace, du fait surtout du roi d'Angleterre, il ne nous appartient pas de le redire ici [Note : M. Pocquet du Haut-Jussé vient de le faire dans son récent ouvrage déjà maintes fois cité]. Mais en cette année 1481, le prince d'Orange avait déjà su prendre un grand crédit à la cour de Bretagne. S'il n'y fut pas envoyé l'année suivante lors de la reprise des négociations, son influence s'exerça à coup sûr, puisque nous voyons François II l'en récompenser en lui faisant servir une pension annuelle de 5.000 livres (Arch. de la Loire-Inférieure, E 212). Entraîner à la fois son oncle et son neveu dans une action commune contre le roi de France ne devait-ce pas être le rêve le plus cher de l'ancien gouverneur du Comté de Bourgogne ? Ses désirs n'étaient pourtant pas près de se réaliser.

La mort brutale de Marie de Bourgogne [Note : Marie de Bourgogne mourut à Bruges le 27 mars 1482 d'une chute de cheval. Il y avait précisément alors une ambassade bourguignonne en Bretagne dirigée par le comte de Chimay. A cette nouvelle les ambassadeurs regagnèrent la cour de Flandre] vint jeter le désarroi dans le parti de la lutte à outrance contre la France. Après quelques mois d'hésitation, Maximilien, malgré sans doute les avis de son oncle, dut céder aux sollicitations du parti flamand, partisan de la paix, et qui menaçait, de se révolter : le 23 décembre 1482, il signait avec Louis XI le traité d'Arras qui, par le truchement d'un mariage futur entre le dauphin Charles et la petite princesse Marguerite d'Autriche, consacrait l'abandon à la France de l'Artois et de la Franche-Comté. Maximilien, pourtant, ne fut pas ingrat pour son oncle ; il obtint du roi que tous les biens en Bourgogne du prince d'Orange lui fussent restitués.

Mais Jean de Chalon n'était pas homme à se contenter d'une situation amoindrie, dûe à la clémence royale. Lui, du moins, n'abandonnerait pas la lutte. Maximilien avait fait la paix ; soit. François II résistait encore : il irait offrir ses services à son oncle.

***

Au moment où il arrivait en Bretagne, Jean de Chalon avait tout juste quarante ans. Les premières années de sa vie, nous l'avons vu, avaient été bien remplie s; les explications que précèdent, quoique sommaires, étaient indispensables à l’intelligence du rôle que devait bientôt jouer cet étranger auprès de François II.

Le prinde d'Orange était alors plein de rancune contre tout le monde. Son ambition avait été déçue de tous les côtés. Seul, Maximilien avait reconnu ses mérites et l'avait récompensé suivant ses moyens ; en outre, une même animosité contre le roi de France unissait l'oncle et le neveu ; Maximilien ne se résignait pas sans peine à considérer la paix d'Arras comme définitive, et la restitution de ses biens, amoindris et dévastés, ne pouvait être une satisfaction suffisante pour un homme comme le prince d'Orange.

Il devait trouver sa revanche en Bretagne. Le terrain était favorable. L'indépendance bretonne était gravement menacé depuis vingt ans par Louis XI, mais le roi, qui avait réussi partout ailleurs, n'avait pu entamer les domaines de François II. Il n'y a pas lieu de raconter ici la lutte de la Bretagne contre Louis XI, ni les péripéties de cette lutte. Constatons seulement que le prince d'Orange trouvait à la cour de son oncle des gens qui détestaient le roi autant que lui-même ; il espérait cultiver cette haine, et la faire servir à ses intérêts personnels.

A-t-il conçu dès cette époque un vaste complot réunissant tous les ennemis du roi, Maximilien et la Bretagne, d'autres encore ? Son rôle dans l'alliance anglo-bretonne et bourguignonne nous autoriserait à le croire. En tout cas il semble bien que Dom Morice ait vu juste, lorsqu'il écrivait : « Ce Prince était venu en Bretagne sous prétexte de passer quelque temps auprès de son oncle, mais en effet pour traiter du mariage de l'Archiduc Maximilien avec la Princesse Anne » (Dom Morice : Histoire de Bretagne, II, p. 145). Ce projet, qui devait plus tard prendre corps, était sans doute encore assez vague dans l'esprit du prince et de son neveu ; mais ne perdons pas de vue ce qui fut l'idée maîtresse de la vie et des actes de Jean de Chalon : il y avait là-bas dans l'est, un pays où son nom avait brillé d'un éclat sans pareil, pays qu'il avait gouverné et où il n'était plus rien, mais où il voulait à tout prix reprendre un jour la première place.

L'appui de son oncle de Bretagne lui paraissait indispensable ; il était décidé à jouer auprès du faible François II le rôle de conseiller intime et écouté ; en arrivant, il trouva la place prise. Depuis vingt ans, mais surtout depuis 1480, le grand trésorier, Pierre Landais, tout puissant sur l'esprit du duc malgré ses nombreux ennemis, était le véritable maître de la province [Note : Sur Landais, cf. : Dom Morice, op. cit., II, p. 143 et sv. ; — De la Borderie (continué par B. Pocquet) ; Histoire de Bretagne, IV, p 490-519 ; — Alain Bouchart : Grandes Chroniques de Bretaigne, éd. Bibl. Bret., f° 228 v. sv.] ; il avait presque séquestré son souverain ; « il le faisoit tenir en chambre, dit Alain Bouchart, sans ce que personne parlast à luy, fors ceulx qui servoient autour de sa personne » (Alain Bouchart : Grandes Chroniques, éd. Bibl. Bret, f° 229 v°). Jean se rangea immédiatement parmi les mécontents. En grand seigneur qu'il était, il supportait mal, comme tous les nobles bretons d'ailleurs, d'être mené par un roturier ; en outre, il sentit bien vite que le trésorier, préoccupé seulement de l'indépendance de la Bretagne, serait toujours l'adversaire d'un projet de mariage entre Maximilien et la princesse Anne. Il lui fallait briser Landais et le supplanter. Il n'avait qu'à profiter des haines que le trésorier s'était attirées.

Bien des seigneurs bretons, dont le maréchal de Rieux [Note : Jean IV de Rieux, maréchal de Bretagne depuis 1470, né en 1447, mort le 9 février 1518, avait alors 37 ans. C'était un chef militaire de grande valeur, mais frondeur et ambitieux] et le prince de Guémené Louis de Rohan [Note : Louis de Rohan, prince de Guémené, était le beau-frère du maréchal de Rieux et le frère du maréchal de Gié], s'étaient juré la perte de Landais, qui les tenait éloignés du pouvoir et avait achevé de les exaspérer en maintenant prisonnier depuis trois ans, sans aucune raison, le chef de l'opposition, le chancelier Guillaume Chauvin (Sur la captivité de Chauvin, cf. De la Borderie : op. cit., IV, p. 500 -502). Louis XI venait de mourir (Le 30 août 1483, à sept heures du soir, à Plessis-les-Tours), mais il apparut tout de suite que la régente Anne continuerait la politique de son père à l'égard de la Bretagne. Lors des Etats de Tours, Landais eut des entrevues secrètes avec les ducs d'Orléans et de Bourbon révoltés et que la force des choses amenait à rechercher l'appui du duc de de Bretagne (De la Borderie : op. cit., IV, p. 505). D'autre part, « il paraît certain que les grands feudataires bretons avaient déjà eu des rapports secrets avec la régente ; naturellement celle-ci encourageait leurs ressentiments » (De la Borderie : op. cit., IV, p. 506). Or, l'intermédiaire désigné entre Mme de Beaujeu et les Bretons devait être précisément le prince d'Orange, beau-frère de la régente qui eut toujours pour lui des égards, parfois même assez inexplicables. [Note : En particulier lorsque après Saint-Aubin-du-Cormier le prince d'Orange fut envoyé en captivité par Mme de Beaujeu à la cour de Riom, la régente eut pour lui des attentions qui contrastent singulièrement avec la rigueur avec laquelle elle traita son autre prisonnier, le duc d'Orléans. Nous reviendrons plus loin sur cette intéressante question]. Et c'est ainsi que Jean de Chalon, que rien ne semblait plus particulièrement désigner jusqu'alors pour tenir ce rôle, se trouva à la tête de la noblesse bretonne pour diriger le complot contre le grand trésorier, Pierre Landais.

Le mardi 6 avril 1484, on apprenait à Nantes où se trouvait la cour ducale, que le chancelier Guillaume Chauvin était mort la veille [Note : Sur la date de la mort de Chauvin, cf. : De la Borderie, op, cit., IV ; 502, note I] des suites de ses longues tortures. Ce fut une explosion de fureur ; le prince d'Orange et le maréchal de Rieux décidèrent d'agir immédiatement; en moins d’une journée, ils formèrent un complot et recrutèrent des adhérents. On résolut de se saisir de Landais, mort ou vif. Le lendemain mercredi 7 avril, un peu avant la nuit, une quarantaine d'hommes [Note : Vingt-sept des rebelles sont nommément connus; ce sont : Jean de Chalon, Jean de Rieux, Louis de Rohan, Pierre du Pont, Jean de Coëtmen, François Anger du Plessis, Jean de la Chapelle, Jean du Perrier, Jacques Le Moyne, Guillaume de Bogier, Pregent Prevost, Jean de Trevecat, Raoul de Landugen, André Rochereul, Jean Le Prestre, Hervé Garlot, Antoine de la Motte, Louis de Chef du Bois, François de Tournemine, Pierre Mellier de Vitré, Jean de Lambilly, Jean Papin, Jean Saulnier, Jean Tréguz, Gallais Chauvin, Pierre de Préauvé et Jean Sorel], conduits par le prince d'Orange, le maréchal de Rieux et Louis de Rohan, entrèrent par surprise dans le château de Nantes et refermèrent les portes derrière eux. Ce fut une véritable visite domiciliaire à la recherche du trésorier ; la chambre même du duc ne fut pas épargnée, et le pauvre prince était si ému de cette affaire qu'il ne pouvait parler. Alain Bouchart nous a laissé un pittoresque récit de cette mémorable entreprise : « Ces barons icy... entrèrent en la chambre du duc par force et violence... pour savoir si le trésorier Landoys y estoit, mais ilz ne ly trouverent pas... Quelque ung de la place saillit sur les murs du Chastel devers la ville, s'escria à haulte voix : « A la force », disant que les barons vouloient oultrager et prandre le duc ; ceulx de la ville, officiers du duc, archiers de sa garde, et les habitans de Nantes qui riens ne savoient de ceste entreprinse se assemblerent environ le chasteau en tres grand effroy, crians alerme. A la fosse (le bassin du port) de Nantes y avoit quelque nombre de baleniers et navires du port du Croisic et autres parties de Bretaigne, dont les équipages se tirerent en la ville, et de toutes pars fut ce chasteau assailly, tant par dehors que par dedans la ville, et furent plusieurs serpentines et autres grosses pieces d'artillerie affustées devant ce chasteau pour abatre portes, murs et tours ; ceux qui dedans le chasteau estoient murerent en diligence de grosses pierres qui estoient audit chasteau les portes et les poternes d'içeluy, en maniere que on n'y eust sceu entrer ; ce bruit se efforçoit de heure en heure, tellement que ceulx qui le fait avoient entreprins se trouverent en nécessité de leur corps dedans le chasteau, car personne de la place ne mettoit la teste aux creneaulx qui ne fust en danger de traict et d'estre affollé. Quand le prince d'Orange, le mareschal de Rieux et autres de leur bende qui dedans estoient enfermez virent ce bruit, pour plus seurement parlementer avec ceulz de la ville, ilz menerent le duc sur les murs, le montrerent au peuple et derriere luy se targeoient (se protégeaient) de paour tout traict ; finablement, fut advisé que quelques gens entreroient dans ce chasteau pour conclure l'expedient en cest affaire, et y entrerent Phelippe de Montauban [Note : Philippe de Montauban, mort en 1518, fut chancielier de Bretagne sous la duchesse Anne. Nous aurons maintes fois l'occasion d'en reparler] et deux autres, lesquelz remonstrerent au prince d'Orange et ses aliez que force leur seroit de vuider le pays, car le peuple estoit si tres esmeu, et de toutes contrées de Bretaigne venoient gens a Nantes en telle habondance que si tumboient entre les mains du peuple ilz seroient hachez en pièces et personne ne les sauroit garder. Et pour expédiant affin de faire cesser la clameur de ces Bretons qui estoient desriglez comme sangliers chassez et eschauffez, fut appointé que ceulx qui ainsi avoient invadé et assailly le duc, et qui en telle austérité avoient attenté a sa personne et a son logis auroient grace et rémission, et par la riviere tireroient contremont Loire a Ancenix et de la hors de Bretaigne. Si furent expédiées lettres en forme d'abolicion que ces seigneurs emporterent et du chasteau sortirent le lendemain » (Alain Bouchard : Grandes Chroniques..., éd. Bibl. Bret., f°. 228 v°).

Le coup de main du prince d'Orange contre le château de Nantes se terminait par un piteux échec ; les conjurés n'avaient pas été plus heureux dans leur expédition simultanée à la Pabotiére (maison de campagne, à une lieue en amont de Nantes) ; Landais, qui s'y trouvait, sut échapper aux gens d'armes d'Orange et de Rieux (De la Borderie : op. cit., IV, p. 509). Les seigneurs bretons n'avaient plus qu'à suivre le conseil de sagesse que leur avait donné Philippe de Montauban ; ils se réfugièrent à Ancenis, plaçe qui appartenait au maréchal de Rieux. La place fut fortifiée et les bateaux qui descendaient la Loire étaient arrêtés, dans le but évident d'affamer la ville de Nantes (De la Borderie : op. cit., IV, p. 510). D'Ancenis, les barons révoltés passèrent à Angers, terre française, pour chercher l'appui de la régente. Pourtant, Français II, poussé par Landais, ne laissa pas impunie la tentative du 7 avril ; le 21 mai 1484, une ordonnance ducale déclarait les auteurs de l'attentat rebelles et traîtres à leur pays, ordonnait de les poursuivre comme criminels de lèse-majesté et confisquait leurs biens (Dom Morice, Preuves, III, col. 433-437). Le prince d'Orange ne dut pas beaucoup s'émouvoir d'une sentence qui personnellement le touchait assez peu ; les biens que pouvait lui confisquer le duc étaient peu de chose et les colères de François II n'étaient guère rédoutables pour un homme qui avait tenu tête à Louis XI. Ayant tout à gagner et rien à perdre à la continuation de la lutte, il s'employa de son mieux à la poursuivre avec succès.

Cependant que Landais demandait l'appui de l'étranger contre les seigneurs rebelles, ceux-ci s'adressèrent naturellement à Mme de Beaujeu ; cette dernière écouta assez facilement son beau-frère et le maréchal de Rieux qui assistèrent au sacre de Charles VIII à Reims le 30 mai 1484. Mais la régente ne voulait pas encore prendre l'initiative d'une rupture avec le duc de Bretagne ; pendant six mois, résistant aux sollicitations du prince d'Orange, elle eut une politique en apparence contradictoire, dont B. Pocquet a fort bien démêlé les raisons. Ce n'est que lorsque le comte de Richemont se fut réfugié en France [Note : Henri Tudor, comte de Richemont, d'abord réfugié en Bretagne, vint chercher asile près de Mme de Beaujeu dans l'été 1484 ; il deviendra roi d'Angleterre sous le nom d'Henri VII] et lui eut constitué par sa présence un gage sérieux contre l'Angleterre, que la régente prit plus nettement position en faveur des seigneurs bretons (De la Borderie, op. cit., IV, p. 511). Auparavant, elle exigea d'eux un engagement formel, et il s'en trouva cinq pour souscrire à ses exigences. A Montargis, le 28 octobre 1484, le prince d'Orange, le maréchal de Rieux, Jean du Perrier, sire de Sourdéac, Pierre de Villebranche, sire de Broons et Jean Le Bouteiller, sire de Maupertuis, signaient avec la régente un traité resté justement célèbre (Dom Morice, Preuves, III, col. 441). Comme il avait jadis livré la Franchec-Comté, Jean de Chaton, avec ses complices, livrait cette fois la Bretagne à la France ; si François II mourait sans héritier mâle, ce qui était au moins probable, le duché devait appartenir « à bon et juste titre » au roi de France, qui s'engageait à maintenir et défendre les privilèges de la noblesse bretonne. Quelques jours après, Rieux et les trois seigneurs Bretons ci-dessus nommés promettaient par serment d'accepter les conditions du traité de Montargis et de ne point reconnaître d'autre duc que le roi à la mort de François II (Dom Morice, Preuves, III, col. 443). Le prince d'Orange étranger à la Bretagne ne prit aucune part à cet engagement. Ses intérêts primordiaux n'étaient pas là ; il voulait bien servir d'intermédiaire entre les seigneurs bretons et la cour de France, mais il n'entendait pas s'engager trop précisément pour l'avenir. Il s'occupait des affaires bretonnes, parce qu'il n'avait rien de mieux à faire, et qu'il espérait bien y trouver quelque profit ; il pouvait à sa guise exercer son habileté diplomatique, jouir de la place prépondérante que lui valaient ses parentés et ses alliances, mais il n'oubliait pas que toutes ces intrigues devaient aboutir à un retour triomphal en Bourgogne et qu'il lui fallait se réserver l'avenir.

L'on sait comment les événements se précipitèrent (De la Borderie, op. cit., IV, p. 512-514), et comment l'armée ducale envoyée pour combattre les barons révoltés les rencontra à Ancenis le 24 juin 1485 [Note : L'armée des barons était commandée par le prince d'Orange et le maréchal de Rieux, celle du duc par François d'Avaugour et Jean de Coëtquen]. Alain Bouchart nous dit que « furent par aucunes notables personnes entreprisses paroles d'appoinctement, tellement que ses deux armées se joignirent ensemble » (Alain Bouchart, Grandes Chroniques..., éd. Bibl. Bret., f° 231 v°). Dans les deux camps se trouvaient nombre de seigneurs liés entre eux par les liens du sang, et par leur haine commune contre le trésorier Landais. Plutôt que se combattre, les deux troupes préférèrent s'unir et marcher de concert sur Nantes pour exiger du duc le renvoi de Landais.

Cette nouvelle extraordinaire parvint à Nantes le lendemain 25 juin. Résolument, Landais essaya une seconde fois de tenir tête à la conjuration. Tout fut inutile, et malgré l'appui du duc il fut emprisonné (De la Borderie, op. cit., IV, p. 516) ; son procès commença aussitôt ; sans que François II ait pu intervenir, le trésorier était condamné à mort et exécuté le jour même, 19 juillet 1485 (De la Borderie, op. cit., IV, p. 519). De la part que le prince d'Orange prit au procès de Landais, nous ne savons rien sinon qu'il y assista et que dans les chefs d'accusation retenus contre Landais il était question d'une certaine quittance du prince d'Orange montant à 2.500 livres, que le trésorier aurait employée deux fois (De la Borderie, op. cit., IV, p. 517). Mais il résulte surtout de l'interrogatoire de Landais que son procès fut avant tout politique et que les seigneurs bretons, y compris Jean de Chalon, se vengèrent de leur échec de l'année précédente et des tentatives faites par le trésorier pour les combattre efficacement [Note : Nous n'avons plus qu'une copie de deux interrogatoires de Landais, Arch. Nat., K 73, n° 31, qui a été publiée dans la collection des documents inédits, Procédures politiques du règne de Louis XII, par R. de Maulde, p. 1085-1090].

Landais disparu, le prince d'Orange va pouvoir enfin jouer le rôle de premier plan qu'il ambitionnait.

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Landais avait à peine payé de sa vie le crime d'avoir trop longtemps exercé le pouvoir que déjà ses ennemis, en particulier le prince d'Orange, le remplaçaient dans la faveur du faible François II. Les résultats de ce changement d'influence ne se firent pas attendre. Dès le 9 août 1485, sous la pression des seigneurs reconnaissants de l'appui qu'ils avaient trouvé auprès de Mme de Beaujeu, le duc acceptait les bases d'un accord avec le roi (Dom Morice, Preuves, III, col. 491). Quelques jours après, le 12 août, dans une ordonnance célèbre, le duc reconnaissait avoir été trompé par son trésorier et se plaisait à vanter la loyauté et les bons services des bannis de l'année précédente (Dom Morice, Preuves, III, col. 471). Le premier à profiter de ce retour de la fortune fut le prince d'Orange, que François II nomma capitaine des quatre-vingt pensionnaires de sa maison et peu après lieutenant-général du duché (Dom Morice, Histoire de Bretagne, II, p. 155, d'après un registre de chancellerie aujourd'hui perdu) ; il devait, d'ailleurs, partager cette dernière dignité avec le maréchal de Rieux et François d'Avaugour, jusqu'alors seul titulaire (Dom Morice, Histoire de Bretagne, II, p. 156).

La Bretagne allait enfin connaître quelques mois de paix. Les derniers efforts des princes contre la régente se terminèrent par la capitulation de Beaugency [Note : La capitulation du duc d'Orléans et l'exil de Danois à Asti mirent fin à la guerre folle], sans que François II ni les seigneurs bretons aient pris aucune part aux dernières phases de la lutte. Tout au contraire, le traité conclu à Bourges le 2 novembre 1485 entre le roi et le duc parachevait l'accord, dont les bases avaient été jetées à Nantes au mois d'août précédent (Dom Morice, Preuves, III, col. 489). Mais ce ne pouvait être qu'une trêve : « la question de l'héritage de François II restait indécise et planait comme une énigme redoutable sur l'avenir de la Bretagne » (De la Borderie, op. cit., IV, p. 520).

Il n'est pas dans nos desseins de rapporter ici par le détail comment se posait la question de la succession de Bretagne ; redisons seulement que le roi de France était tout prêt à invoquer les traités de Guérande [Note : Traité du 12 avril 1365, précisant les droits de la maison de Penthièvre, cédés au roi de France par Nicole de Brosse] et de Montargis [Note :  Sur la légitimité des droits du roi, cf. De la Borderie, op. cit, IV, p. 522- 524] pour frustrer les filles de François II (Anne et Isabeau) de l'héritage de leur père. Or, le duc et tous les Bretons étaient bien décidés à tout mettre en oeuvre pour conserver son duché à la petite princesse Anne. Mais encore fallait-il assurer à cette enfant un protecteur qui puisse utilement faire valoir ses droits. C'est pourquoi la politique bretonne va dès lors être dominée par la préoccupation du futur mariage de la princesse. Deux prétendants avaient jusqu'alors été déclarés : Maximilien, soutenu par le prince d'Orange, et le fils du vicomte Jean de Rohan [Note : Jean de Rohan, chef de la maison de Rohan, après des démêlés retentissants avec François II avait été prisonnier au Bouffay de décembre 1479 à février 1484, et n'avait recouvré la liberté qu'en renonçant à toutes ses prétentions sur le duché ; il n'avait donc d'autre ressource que de marier son fils à l'héritière de ce duché], patroné par le maréchal de Rieux [Note : Rieux s'était engagé à faire épouser à ses deux cousins les deux filles du duc, Dom Maurice, Preuves, III, 463]. Au début de l'année 1486, aucun engagement sérieux n'avait, pourtant été pris.

Quel va être le rôle du prince d'Orange ? Sa politique est toute faite d'intrigues secrètes dont les documents conservent peu de traces, et pourtant son influence fut toujours prépondérante. Étranger à la Bretagne, il n'agissait pas par patriotisme, et n'avait en vue, nous ne saurions trop le répéter, que de réaliser ses ambitions personnelles. Quand il était arrivé à la cour de François II, c'était pour se faire l'instrument de son neveu Maximilien. Le mariage de ce prince et de la petite princesse Anne n'avait pour lui que des avantages ; Maximilien et François II ne pouvaient que lui en être reconnaissants et l'aider à affermir sa situation. Mais il avait voulu aller trop vite ; il avait eu besoin de recourir aux bons offices de sa belle-soeur, Mme de Beaujeu. La régente, comme bien on pense, n'avait pas donné son appui à Jean de Chalon sans exiger en retour quelques compensations ; elle avait obtenu le traité de Montargis, elle entendait bien que les signataires de ce traité et plus particulièrement son beau-frère, ne le considérassent pas comme un chiffon de papier. Le prince d'Orange promit tout ce qu'on voulut, d'autant plus facilement que pour mieux l'attacher, la régente lui fit, servir une pension (De la Borderie, op. cit. ; IV, p. 527) ; ni l'un ni l'autre ne devaient avoir de grandes illusions sur la valeur de ces promesses.

On vient de voir comment le prince d'Orange. avait d'abord usé de son influence pour faire signer au duc de Bretagne la paix avec le roi de France. Par ce premier succès, il semblait donner comme une preuve de fidélité à Mme de Beaujeu. Mais en même temps, il continuait à entretenir une correspondance secrète et active avec Maximilien, relativement au mariage projeté ; force postes allaient de Bretagne en Flandre (D'Argentré, Histoire de Bretaigne, éd. 1611, p. 1098). Bien plus, il assista, avec d'autres, aux États de Rennes de février 1486, qui proclamèrent les deux filles de François II seules souveraines légitimes à la mort de leur père [Note : De la Borderie, op. cit., IV, p. 525 ; on trouvera le texte de la délibération prise par les Etats dans Dom Morice, Preuves, III, col. 500-504]. Le seul fait de donner son adhésion à un tel acte, en contradiction formelle avec le traité de Montargis, montre bien le double jeu assez dangereux que jouait Jean de Chalon.

Sûr de la décision des Etats de Bretagne, il s'employa à brusquer le mariage d'Anne et de Maximilien. Celui-ci venait d'être élu roi des Romains (le 16 février 1486). Il serait un des plus puissants souverains d'Europe. François II, désireux de trouver un gendre qui puisse résister victorieusement aux prétentions françaises, écouta volontiers les instances du prince d'Orange. Le 16 mars 1486, un traité, avec promesse de mariage [Note : L'âge d'Anne, née le 25 janvier 1477, ne permettait pas d'échanger plus que des promesses], était conclu à Bruges (De la Borderie, op. cit., IV, p. 526) : Maximilien s'y engageait à défendre les états du duc. En même temps François II s'assurait l'appui de l'Angleterre [Note : Une thèse de M. B. Pocquet du Haut-Jussé, a pour sujet les rapports de François II et de l'Angleterre].

Le traité de Bruges ne faisait pas l'affaire de Mme de Beaujeu. Le roi des Romains, confiant en l'assistance du duc de Bretagne, ne dissimulait pas ses intentions belliqueuses. La régente craignait, en outre, un soulèvement du comte de Bourgogne en faveur de Maximilien ; elle n'ignorait pas que le prince d'Orange entretenait de nombreuses et actives intelligences en Comté. Aussi le 24 mai 1486, fit-elle réunir les Etats à Salins par l'évêque de Langres et Philippe Pot [Note : Philippe Pot, seigneur de la Roche, joua un grand rôle lors de l'annexion du duché de Bourgogne], pour demander aux seigneurs, aux prélats et aux villes un serment de fidélité (E. Clerc, Histoire des Etats..., Soc. cit. p. 213). Cette manoeuvre habile réussit. Quand Maximilien envahit l'Artois au début de juin, la Comté resta paisible, et les troupes françaises, commandées par le maréchal d'Esquerdes, n'eurent aucune peine à arrêter cette offensive.

A l'automne 1486, François II tomba gravement malade. On crut sa fin prochaine. Immédiatement Mme de Beaujeu, démasquant ses projets, quitta Compiègne, où elle se trouvait avec la cour, pour venir résider avec le roi à Tours, d'où elle pouvait plus facilement surveiller les affaires de Bretagne et agir suivant les circonstances (De la Borderie, op. cit., IV, p. 526). Malgré les relations récentes du prince d'Orange avec Maximilien, elle croyait pouvoir compter sur lui et sur les autres barons bretons.

La guérison inespérée du duc interrompit toutes ces intrigues. Cependant « l'entendement et la disposition corporelle du duc étoient si affoiblis que plus il ne scavoit entendre aux publiques affaires de sa duché » (Alain Bouchart, Grandes Croniques..., éd. Bibl. Bret., f° 233 v°). Un tel état de santé devait faire de cet homme, qui s'était toujours laissé dominer par quelqu'un, un véritable jouet aux mains de ses conseillers du moment. Ceux-ci étaient pour lors le prince d'Orange et le vieux comte de Comminges [Note : Odet d'Aydie, sire de Lescun, amiral et grand général de Guyenne, comte de Comminges depuis 1472, était alors âgé de soixante-dix ans ; aussi intrigant et dénué de scrupules que le prince d'Orange, il recevait aussi une pension du roi].

Est-ce, à eux, ou au duc d'Orléans, qu'il faut attribuer l'initiative de la nouvelle ligue qui se forma alors contre la régente ? Un ne sait (De la Borderie, op. cit., IV, p. 527). Jean de Chalon était trop habile homme pour se mettre en avant, mais il semble certain qu'il entretenait des relations amicales avec le duc d'Orléans, héritier présomptif ; Comminges, par contre, penchait nettement en faveur des princes. Quoi qu'il en soit, il se forma au mois de novembre 1486 une véritable coalition comprenant le duc d'Orléans, le comte de Dunois, le duc de Bourbon, le duc de Lorraine, le comte d'Angoulême, le comte de Nevers, le comte d'Aumale, le sire d'Albret et son fils Jean d'Albret, roi de Navarre, auxquels se joignirent bientôt Maximilien et son fils l'archiduc Philippe, sans compter le menu fretin (De la Borderie, op. cit., IV, p. 528). Le succès de cette ligue dépendait avant tout de l'attitude de la Bretagne. Or les hommes qui soutenaient le parti du duc d'Orléans, Orange et Comminges, s'ils étaient tout puissants sur François II étaient loin d'avoir toutes les sympathies de la noblesse bretonne ; on commençait à se méfier de ces « étrangers ». Pourtant le premier des seigneurs bretons, le maréchal de Rieux, encore en bonne amitié avec Jean de Chalon, son principal complice de l’affaire Landais et comblé de faveurs par le duc, se décida à donner son adhésion à la ligue ; son exemple fut suivi [Note : François II accorda au maréchal de Rieux une pension de 4.000 livres, et une somme de 3.632 livres pour l'indemniser des pertes qu'il avait subies lors de la rébellion d'Ancenis]. Le 3 décembre 1486, l'acte solennel par lequel les barons bretons se rangeaient aux côtés des princes révoltés était signé par Jean de Chalon, prince d'Orange, Françoise de Dinan, comtesse de Laval et dame de Chateaubriand, Jean de Rieux, sire de Rieux et maréchal de Bretagne ; dans cet acte il est dit que le comte de Comminges avait déjà donné son adhésion à la Ligue (Dom Morice, Preuves, III, col. 527). Ce traité, que resta secret pendant quelque temps, avait pour but avoué de défendre le patrimoine des filles de Bretagne contre les prétentions royales ; en réalité, chacun poursuivait ses rancunes personnelles et ses intérêts particuliers [Note : Il était dit expressément dans l'acte : « lesquelles (conclusions des Etats) n'ont esté accomplies, mais ont esté annichilées par l'ambition et convoitise d'aucunes personnes estantes de present autour du roy, quels ont entrepris rompre et enfraindre l'alliance estante entre le roy et le duc, duquel nous suymes pareras et subgets, conseillant au roy de priver nos tres redoubtées dames les filles du duc de la succession du duc en son duché de Bretaigne, contre tout droit et raison, parquoy voulans obvier.. etc. »].

Vers la fin de décembre, Mme de Beaujeu envoya une ambassade à François II pour lui demander des explications sur ses rapports avec Maximilien ; le 30 décembre le duc répondit en termes très fermes et n'hésita pas à reprocher au roi ses vues sur le duché (Dom Morice, Preuves, III, col. 528-533). Pas une fois, il n'est fait mention, dans ce long document, du rôle joué par le prince d'Orange ; il ne voulait pas encore se laisser compromettre. Mais les partisans de la Ligue continuaient à agir sur l'esprit du duc ; celui-ci, le 6 janvier 1487, envoya à ses députés à Amboise une note leur ordonnant d'informer le roi que « le deshonneur et dommage » qui seraient faits au comte de Dunois, l'âme de la coalition, « il les reputeroit faiz à sa personne » (Dom Morice, Preuves, III, col. 533). C'est alors que la régente envoya au duc d'Orléans l'ordre de rejoindre la cour à Amboise ; celui-ci feignit d'obéir, mais passa en Bretagne et arriva à Nantes le 13 janvier.

Jean de Chalon, jusqu'au bout joua son rôle de fidèle serviteur de la régente ; cet homme, qui avait été un des promoteurs du traité du 3 décembre, écrivit au roi le 14 janvier une lettre qui mérite d'être citée, car elle montre bien sa duplicité : « Sire, le plus humblement que faire puis, je me recommande en vostre bonne grâce, et vous plaise scavoir, Sire, que hier au soir bien tard arriva en cette ville Monseigneur le Duc d'Orléans, et m'envoya le Duc (François II) au devant de lui entre cy et Clisson avec les gentilshommes de sa maison. J'ai longuement devisé avec mondit seigneur, et a ce que j’ai pu tirer de lui, il n'est point pour dire ni faire chose qui vous deust deplaire, mais seulement pour voir le duc ; et quand je reconnoistray qu'il voudra faire ou dire chose qui soit au prejudice de vous ou de vostre royaume, soyez seur, Sire, que je vous en advertiray, ensemble de toutes choses qui surviendront, a l'aide du benoist fils de Dieu, qui, Sire, vous doint tres bonne vie et longue avec l'accomplissement de vos tres hauts et tres nobles desirs. Escrit a Nantes le 14 janvier, vostre tres humble et tres obéissant serviteur, J. de Chalon » (Dom Morice, Preuves, III, col. 495). La présence du duc d'Orléans à la cour de Bretagne pouvait bien pourtant passer pour un acte d'hostillité déclarée. Malgré ses protestations, le prince d'Orange n'était pas parvenu à tromper la régente sur ses véritables sentiments ; Anne lui fit écrire par le connétable de Bourbon [Note : Jean II, duc de Bourbon, connétable de France, était le frère du sire de Beaujeu ; son dévouement à la cause royale n'était d'ailleurs pas à toute épreuve il mourut en 1488], lui faisant ainsi comprendre qu'elle n'était pas dupe. En dépit de l'évidence, Jean persista dans son attitude ; le 18 février, il répondait au connétable pour l'assurer de sa fidélité aux intérêts du roi, n'hésitant pas à qualifier de mensonges les dires de ceux que avaient insinué qu'il avait sa large part de responsabilité dans la venue du duc d'Orléans à Nantes (Dom Morice, Preuves, III, col. 504). On reste confondu devant tant de dissimulation.

A son tour, Dunois, menacé dans Parthenay, était venu se réfugier auprès de François II. Nous avons déjà dit l'influence prépondérante du prince d'Orange et du comte de Comminges sur le duc ; alliés aux princes français, ils finirent par le dominer complètement (De la Borderie, op. cit., IV, p. 529). Le joug de ces étrangers parut insupportable aux seigneurs bretons, surtout au maréchal de Rieux et à la comtesse de Laval. Une soixantaine de gentilshommes se réunirent au début de mars 1487 chez la comtesse à Châteaubriant [Note : On en trouvera les noms dans Dom Morice, Histoire de Bretagne, II, p, 165] ; là, le maréchal de Rieux leur exposa leurs griefs contre les intrus. Comment les chasser sans l'appui de la Régente ? Celle-ci envoya à Châteaubriant l'archevêque de Bordeaux, André d'Espinay, et le sire de Bouchage, pour rallier les indécis. Le roi promettait d'envoyer en Bretagne autant d'hommes qu'il serait nécessaire, mais bien des Bretons comprenaient le danger qu'il y avait à ouvrir aux armées royales les portes de la Bretagne (Alain Bouchart, Grandes Croniques..., éd. Bibl. Bret., f° 234 v°). « Mais comme toujours, dit B. Pocquet, des habiles découvrirent un expédiant : ce fut de dresser un acte fixant limitativement les conditions de l'intervention du roi et de l'entrée en Bretagne des troupes royales. André d'Espinay, au nom de la régente, accorda tout » (De la Borderie, op. cit. IV, p. 531).

Le dernier article du traité portait que le roi retirerait ses troupes sans difficulté dès que le duc d'Orléans, le prince d'Orange, les comtes de Dunois et de Comminges et leurs gens seraient sortis de Bretagne (Alain Bouchart, idem). Informé de cette trahison, François II dépêcha des ambassadeurs aux rebelles pour essayer de les ramener ; l'un d'entre eux passa à l'ennemi (le sire de Sourdéac), et le baron d'Avaugour lui-même prit les armes contre son père [Note : François d'Avaugour était le fils naturel de François II et de Madame de Maignelais].

C'est ainsi que le prince d'Orange, avec les princes étrangers qu'il avait attirés en Bretagne, allait se trouver dans la nécessité de défendre l'indépendance de cette province contre les Bretons eux-mênes.

***

L'armée française, forte de 15.000 hommes [Note : Au lieu de 6.000, maximum promis par l'archevêque de Bordeaux au nom du roi, dans sa négociation avec les seigneurs de Bretagne], pénétra, en Bretagne à la fin de mai 1487. Dépuis longtemps, François II se préparait ; l'armée bretonne, composée surtout de Bas-Bretons, était cantonnée à Malestroit ; le duc s'était rendu à Rennes, et seul le prince d'Orange était resté à Nantes, pour la défense de cette place (Dom Morice, Histoire de Bretagne, II, p. 166). Le maréchal de Rieux et la comtesse de Laval livrèrent aux armées du roi les places d'Ancenis et de Châteaubriant. Bientôt le siège fut mis devant Ploërmel, place forte qui couvrait l'armée ducale. François II voulut se porter au secours de la ville, mais les milices bretonnes entraînées par Maurice du Mené [Note : Maurice du Mené, capitaine des archers de la garde ducale, était un gentilhomme bas-breton ; sa défection fut de courte durée, et il joua par la suite un rôle important] firent défection [Note : Alain Bouchard, Grandes Croniques..., éd. Bibl. Bret., f° 235 v°, rapporte en quels termes Maurice du Mené prêcha la rébellion aux milices : « Enfants, advisez que vous ferez, vous voiez que nostre duc est mené par les François, mieulx vous seroit estre en voz maisons que de vous exposer au danger de la bataille »] et le duc n'eut d'autre ressource que d'aller s'enfermer dans Vannes. Ploërmel succombait le 1er juin, et l'armée royale, accompagnée des barons de Bretagne en armes, marcha sur Vannes (De la Borderie, op. cit., IV, p. 533).

La ville et sa garnison étaient incapables de résister bien longtemps ; la situation du duc était critique, il risquait de tomber aux mains du roi, ainsi que tous les princes qui l'accompagnaient. Une heureuse initiative de son neveu, Jean de Chalon, le tira de ce mauvais pas. « Le prince d'Orange, dit Alain Bouchart, qui à Nantes estait demouré, fut adverti de la prinse de Ploërmel et comment le duc s'estoit retiré à Vennes. Si partit le prince par la rivière de Laire, descendit en la ville du Croesic et la trouva foeson de navires et ung bon nombre de gens de guerre, par mer, lesquelz il fist charger en leurs navires et tirerent par mer a Vennes. Incontinant que le prince d'Orenge et les navires du Croesic furent arrivez a Vennes, le duc, monseigneur d'Orléans, messeigneurs de Dunoys et Comminge, Olivier de Coetmen et autres chefz de la bende entrerent dedans ces naves en diligence, car suyviz estoient de si pres par l'armée du roy que plusieurs d'eulx laisserent a Vennes partie de leurs bagues (bagages), ce qu'ilz n'eurent pas loisir de tout serrer, tirérent par mar au Croesic ou le duc et les autres princes et seigneurs se refreschirent ung iour ou deux, et puis par mer et par Laire tirerent à Nantes » (Alain Bouchard, Grandes Croniques… éd. Bibl. Bret, f° 235 v°). Une autre partie de l'armée ducale se retira sur Dinan, et le 5 juin, Jacques Le Moyne, grand écuyer de Bretagne, resté presque seul dans la place rendait Vannes aux Français (Alain Bouchard, Grandes Croniques..., éd. Bibl. Bret., f° 235 v).

A Nantes, on se préparait à subir le siège, la ville était bien fortifiée, et le prince d'Orange, en l'absence du duc, avait su prendre toutes les mesures nécessaires, faisant mettre en état les murs et les fossés, s'occupant et des hommes et de l'artillerie (Arch mun. de Nantes, EE 183 à 191) ; son zèle et son activité lui valaient alors la reconnaisance de la population nantaise, qui lui faisait cadeau de vin de Beaune, dont en bon comtois, il était fort amateur (Arch. mun. de Nantes, EE 188). Ces précautions n'étaient pas superflues ; le 5 juin l'armée royale prenait ses positions autour de la ville, et le 19 le siège commençait. La régente, qui se trouvait à Ancenis avec le roi (Alain Bouchart, Grandes Croniques..., éd. Bibl. Bret., f° 236 r°), s'en montra ravie ; le maréchal de Rieux refroidit son enthousiasme, en lui disant que Nantes était autre chose que l'on ne croyait et que les troupes du roi ne s'en empareraient pas aussi facilement qu'elle semblait le croire (Alain Bouchart, Grandes Croniques..., éd. Bibl. Bret, f° 236 r°). Les événements justifièrent les prévisions du maréchal de Rieux ; le siège fut levé le 6 août.

Les défenseurs de la ville avaient pourtant craint pendant un moment de ne pouvoir résister, et la diplomatie bretonne ne resta pas inactive ; des démarches furent faites auprès du roi d'Angleterre et de Maximilien. Ce dernier seul fut fidèle aux engagements contractés envers son oncle, le prince d'Orange, et envers le duc de Bretagne ; son mariage avec Anne lui tenait au coeur ; il envoya 1.500 Flamands qui débarquèrent à Saint-Malo et arrivèrent à Rennes le 1er août (De la Borderie, op. cit, IV ; p. 535, note 2) ; ces troupes ne purent donc prendre part à la défense de Nantes, comme le dit dom Morice (Dom Morice, Histoire de Bretagne, II, p. 168). Dunois de son côté avait pensé à faire appel au sire d'Albret, en lui faisant espérer la main de la princesse Anne ; le duc d'Orléans et le prince d'Orange ne se rallièrent pas sans difficultés à la proposition de Dunois ; ils se dirent sans doute l'un et l'autre que les promesses n'engageaient à rien, et laissèrent faire. Albret flatté envoya un secours, qui fût arrêté en Guyenne (Dom Morice, idem, et de la Borderie, loc. cit., p. 535).

On retrouve le prince d'Orange en novembre, marchant au secours de Guingamp, assiégée par le vicomte de Rohan. Il était à Dinan le 17 ; de cette ville il écrivit aux habitants de Guingamp pour les informer du départ de Maurice du Mené avec de l'infanterie ; lui-même avec l'artillerie comptait partir le lendemain (Dom Morice, Preuves, III, col, 563). Rohan ne l'attendit pas et leva le siège (Dom Morice, Histoire de Bretagne, II, p. 170). Mais la Bretagne commençait à être lasse de la guerre ; de nouveau, les étrangers furent accusés d'en être la cause ; à Nantes le 30 novembre 1487, éclate un véritable émeute ; le peuple de cette ville, oublieux des services rendus par les princes lors du siège, envahit les rues et tenta de pénétrer de force dans le château, en proférant des cris de mort contre le duc d'Orléans, le prince d'Orange, Dunois, Comminges et autres (De la Borderie, op. cit., p. 539). L'émeute échoua, mais les princes commencèrent à réfléchir et peut-être songèrent-ils à rentrer en France. Jean de Chaton, pourtant, poursuivait la lutte contre les armées françaises et leurs alliés bretons. Dans le courant de décembre, il se prépara à reprendre, pour le duc, Quintin et La Chèze, mais le plus grand nombre des seigneurs qu'il commandait, l'abandonnèrent ; il se retira d'abord à Malestroit, puis à la fin du mois renonça à son entreprise (Dom Morice, Preuves, III, col. 565).

L'on sait comment sur ces entrefaites, le maréchal de Rieux, rabroué par la Régente et désolé des conséquences de sa défection, passa de nouveau au parti breton. Ce retour raffermit pour un temps la situation des princes étrangers. La campagne de 1488 commença par des succès pour l'armée ducale qui reprit la ville de Vannes (le 3 mars), fit reculer partout les armées françaises, et le prince d'Orange inquiéta sérieusement le vicomte de Rohan, resté au parti de la régente, en assiégeant ses places de Rohan, La Chéze et Josselin (Dom Morice, Preuves, III, col. 571). C'est alors que La Trémoille prit le commandement de l'armée royale. Au lieu de se porter au secours de Rohan, comme on l'en pressait, le jeune général préféra laisser l'imprudent vicomte capituler assez honteusement (Dom Morice, ibid. Capitulation du 26 mars), pour porter tout son effort sur les places de la frontière. Cette tactique réussit pleinement  : Châteaubriant succombait le 23 avril et Ancenis le 19 mai (De la Borderie, op. cit., p. 544-545). L'armée bretonne faible et désorganisée n'avait pu se porter au secours de deux places.

Inquiets des succès français, François II et les princes cherchèrent à négocier avec la régente. Une ambassade fut envoyée à Chinon, où elle arriva le 16 mai, pour demander des sauf-conduits pour le prince d'Orange, Dunois et Comminges (Correspondance de Charles VIII avec Louis de La Trémoille, p. 98). Après la prise d'Ancenis, Anne de Beaujeu consentit à des pourparlers ; elle envoya à Nantes l'archevêque de Bordeaux et le sire Morvilliers ; les ambassadeurs royaux se rencontrèrent avec le prince d'Orange et les autres conseillers du duc (Correspondance de Charles VIII avec Louis de La Trémoille, p. 121), et une trêve fut conclue le premier juin pour quinze jours, et prorogée à quatre reprises jusqu'au 6 juillet (De la Borderie, op. cit., IV, p. 546). Nul, pourtant, ne pensait sérieusement à la paix. L'armée bretonne se préparait de son mieux, et les comptes nous ont laissé des traces de l'activité de Jean de Chalon pour cette préparation (Arch. de la Loire-Inférieure, B II, passim.), cependant que La Trémoille mûrissait son projet de pénétrer en Bretagne par le nord.

La trêve avait à peine cessé que La Trémoille mettait le siège devant Fougères (De la Borderie, op. cit., IV, p. 547), après avoir reçu le 9 juillet une lettre du roi l'informant que tous les pourparlers étaient rompus (Correspondance de Charles VIII avec Louis de La Trémoille, p 173). Le 19, la ville était prise. Dès le début du mois, l'armée bretonne s'était concentrée à Rennes ; mais l'accord était loin de régner entre les chefs. Au moment même où ils auraient eu besoin de rassembler toutes leurs énergies pour lutter efficacement contre un adversaire aussi résolu que La Trémoille, ils donnaient libre cours à leurs dissensions à propos du mariage de la princesse Anne, le duc d'Orléans et prince d'Orange tenant pour Maximilien [Note : Le duc d'Orléans était peut-être prétendant pour lui-même à la main d'Anne de Bretagne, mais il estimait sans doute qu'il était encore trop tôt de le laisser paraître], le sire d'Albret, appuyé par Comminges, y pensant pour lui-même. Le maréchal de Rieux ne supportait qu'avec peine la présence de tous ces étrangers. Le désaccord était tel qu'on en eut connaissance à la cour de France ; car Charles pouvait écrire le 15 juillet : « L'on nous escript de plusieurs lieux que les Bretons sont en grant division et tres mal prez d'assieger ne de combatre » (Correspondance de Charles VIII avec Louis II de La Trémoille, p. 178).

Le 23, pourtant, l'armée se mit en route pour aller délivrer Fougères, prise depuis le 19 [Note : Si incroyable que cela puisse en effet paraître, la prise de Fougères ne fut connue que le 26 par l'armée bretonne]. Du 24 au 26 l'armée campa à Andouillé, où avait eu lieu la montre générale ; c'est là seulement que l'on apprit la capitulation de Fougères. Les chefs furent tous d'accord pour décider d'aller assiéger Saint-Aubin-du-Cormier ; on se dirigea sur Vieux-Vy, et l'on s'établit le soir en forte position sur le coteau d'Orange. On savait l'armée française toute proche et l'on s'attendait à la rencontrer le lendemain ; « celuy jour, qui fut le dimenche, au plus matin, se confessèrent ceulx de l'armée de Bretaigne qui se confesser voulurent » (Alain Bouchart, Grandes Croniques..., éd. Bibl. Bret., f° 239 r°). L'imminence de la rencontre surexcitait les esprits et bientôt de fâcheux bruits de trahison se répandirent parmi les troupe s; Alain Bouchart, qui recueillit le témoignage de survivants de la bataille, raconte que « les gens de pié se mutinerent pour quelque bruit qui survint entre eulx par aucuns qui semerent que les princes francoys qui en l'armée de Bretaigne estoient avoient entendement aux chefs de l'armée de France, et que Bretons estoient venduz, dont cuida venir ung grant meschief, pour lequel eschever fut advisé que le duc d'Orléans et le prince d'Orange se mettroient a pié en la bataille avec les Allemans » (Alain Bouchart, Grandes Croniques..., éd. Bibl. Bret., f° 239 r°). C'était une sage décision ; le duc d'Orléans combattit dans le rang, cependant que Jean de Chalon n'eut que le commandement de 800 Allemands et d'un millier de francs-archers bretons portant la croix noire, sous les ordres du sire d'Albret qui était à la tête du corps de bataille (De la Borderie, op. cit., IV, p. 550).

La rencontre eut lieu le lundi 28 juillet 1488 près de Saint-Aubin-du-Cormier. Ce fut un désastre pour l'armée bretonne, trop connu pour que nous ayons à le relater ; qu’il nous suffise de dire la part qu'y prit le prince d'Orange. A pied, à la tête de ses Bretons, il se battit avec le courage de sa race, et resta le dernier sur le champ de bataille où « il y fit de grandes armes » ; mais que pouvait-il devant le sauve-qui-peut général qui suivit la débandade de l'avant-garde ? « Quant il vit ceste deffaicte, dit encore Alain Bouchart, et qu'il estoit a pié, il se mist contre terre a dans entre les mors et dessina sa croix noire ; ung archer des gens du roy le congnut et luy dist : Monseigneur, si vous voulez je vous saulveray. — Mon amy, dist-il, a qui cuide tu parler. — Monseigneur, dist l'archer, vous estes monseigneur le prince, j'ay autreffoyz esté de votre compaignie. — Mon amy, dist le prince, si tu me saulves, je te feray riche a jamais. Adonc ala l'archer querir quelque nombre de ses compaignons auquelz le prince se rendit, et par ce moyen le saulverent comme prisonnier » (Alain Bouchard, Grandes Croniques..., éd. Bibl. Bret., f° 239 r° v°).

Le soir même, La Trémoille réunit sous sa tente les prisonniers bretons, en particulier le duc d'Orléans et le prince d'Orange. Une légende horrible, en contradiction formelle avec le caractère de celui que nous connaissons comme étant le chevalier sans reproche, a fait longtemps fortune depuis Nicolas Barthélémy de Loches, prieur de Notre-Dame de Bonne Nouvelle, à Orléans, auteur d'une vie anonyme de Louis XII, publiée par Godefroy (Histoire de Charles VIII, 1684, in f°, p. 273-274). Ce soir-là donc, La Trémoille aurait invité à souper le duc d'Orléans et le prince d'Orange, ainsi que les principaux officiers français faits prisonniers pendant la bataille. A la fin du repas, alors que les princes auraient occupé la place d'honneur dûe à leur rang, le vainqueur aurait fait entrer deux moines franciscains. Les invités n'auraient pas douté un instant que ces deux prêtres ne fussent venu pour autre chose que pour les préparer à la mort ; s'adressant au duc d'Orléans et au prince d'Orange, La Trémoille leur aurait dit : « Princes, je n'ai pas de pouvoir sur vous, votre sort dépend du jugement du roi, mais vous, chevaliers, vous avez trahi votre foi, votre pays et votre roi, vous allez mourir ». Et sans vouloir écouter les supplications et les prières de ses deux principaux prisonniers, La Trémoille aurait envoyé à la mort les autres chevaliers pris sur le champ de bataille de Saint-Aubin-du-Cormier [Note : Ce qui a pu donner naissance à cette légende est probablement l'exécution, à Saint-Aubin, de deux hommes d'armes français, rapportée par A. Bouchard, mais il s'agissait d'une exécution publique après jugement. Cf. : de la Borderie : La légende du souper de La Trémoille après la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier dans Cabinet historique, mars-avril 1877]. Ce récit, pour dramatique qu'il soit, est une pure légende ; La Trémoille se montra au contraire, très doux et humain pour ses prisonniers, à tel point que le roi se crut obligé, dès le 30 juillet, de lui faire des recommandations à leur sujet : « Au surplus, écrivait-il, vous ne nous avez point escript le nombre des autres prisonniers, ne comme il va de tout le demeurant ; toutesfois gardez vous bien que on n'en mecte ung seul a rançon ne que on n'en laisse point aller, mais les faictes bien tous garder » (Correspondance de Charles VIII avec Louis II de la Trémoille, p. 197).

Le même jour (30 juillet), le sire de Morvilliers, chambellan du roi, et Jacques de Silly, capitainé des gardes royaux partaient du Verger, où se trouvait la cour, pour se rendre auprès de La Trémoille, avec mission de ramener le duc d'Orléans, le prince d'Orange, Aymar de Prie, Georges d'Auxy, Walleran Goujat, Tinteville et d'autres prisonniers ; et les recommandations de pleuvoir de nouveau sur le terrible général : « Si voulons et vous mandons tres expressement que les croies (Morvilliers et Silly) et faictes ce qu'ilz vous en diront de par nous comme pour nostre propre personne, sans y faire difficulté ; et leur faictes bailler lesditz prisonniers, entre les mains de qui qu'ilz soient, et gardez comment que ce soit et toutes excusacions cessans qu'il n'y ait point de faulte » (Correspondance de Charles VIII avec Louis II de la Trémoille, p. 197). Charles VIII et Mme de Beaujeu ne risquaient pas de laisser échapper leur proie.

Conformément aux instructions royales, pendant que le duc d'Orléans était conduit prisonnier au château de Bourges, le prince d'Orange était enfermé aux Ponts-de-Cé, avant d'être transféré quelques jours après au château d'Angers.

***

Vaincu et prisonnier le prince d'Orange arriva à Angers le 6 août 1488. Dans cette ville, dont le château allait lui servir de prison, il rencontra le roi et Mme de Béaujeu [Note : Nous savons en effet par la Correspondance de Charles VIII avec La Trémoille que le roi et la cour étaient à Angers quand y arrivèrent les deux prisonniers]. Nous aimerions savoir ce que put être cette entrevue ; comment Jean de Chalon expliqua-t-il sa duplicité, pour ne pas dire sa trahison ? Hélas ! les documents sont muets et nul chroniqueur ne nous a dit les reproches que la terrible régente ne dut pas ménager à son beau-frère. On sait seulement que la colère d'Anne de France fut grande : le duc d'Orléans et le prince d'Orange ne tardèrent pas à s'apercevoir que la fille de Louis XI ne savait pas mieux pardonner que son père.

A Angers, Jean de Chalon eut tout le loisir de méditer sur sa situation ; elle ne dut pas lui apparaître fort brillante. Il avait joué et il avait perdu ; personnellement, il n'avait plus rien ; la souveraineté d'Orange appartenait toujours au roi de France, ses biens en Franche-Comté restaient sous la garde de sa femme Jeanne de Bourbon et son influence dans ce pays était bien réduite ; quant aux donations nombreuses que lui avait faites le duc son oncle en Bretagne, il ne savait trop ce qu'il allait en advenir [Note : Nous reviendront plus tard sur les biens du prince d'Orange en Bretagne]. Il ne pouvait compter sur des secours extérieurs ; le duc d'Orléans était comme lui prisonnier ; Dunois, Comminges, le sire d'Albret avaient tout intérêt à ne pas trop lier leur cause à celle des grands vaincus de Saint-Aubin-du-Cormier, et Jean de Chalon savait par expérience qu'il ne devait pas se fier à la fidélité de ses alliés de la veille. Certes, il pouvait croire que François II ferait son possible pour le tirer de ce mauvais pas, mais que pourrait le duc après la défaite qui le livrait à la merci du vainqueur ? Quant à Maximilien, il ne pouvait rien, du moins pour le moment ; le prince d'Orange n'ignorait certainement pas que son neveu ne causait plus d'inquiétude au roi, puisque le 5 août l'amiral de Graville disait dans une lettre adressée d'Angers à La Trémoille. « Le mareschal de Gyé m'a escript que le duc d'Austriche et les Almens se sont retirez devers Envers et sont bien taillez de ne faire pas fruyt ceste année » (Correspondance de Charles VIII avec Louis II de la Trémoille, p 203). Ainsi donc, tout l'abandonnait.

Et les mauvaises nouvelles ne tardèrent pas à venir augmenter les craintes du prisonnier. Après la capitulation de Saint-Malo (Saint-Malo avait capitulé le 30 juillet), il était impossible à François II de résister plus longtemps ; le malheureux duc se résigna à faire la paix avec Charles VIII. Il accepta toutes les conditions qui lui étaient faites : faire sortir immédiatement du duché les princes et tous les étrangers ; ne pas marier ses filles sans l'assentiment du roi ; abandonner les places de Saint-Malo, Fougères, Dinan et Saint-Aubin, les deux premières jusqu'au réglement définitif des droits à la succession ducale, les deux autres jusqu'à l'accomplissement de toutes les clauses du traité. Cette paix désastreuse, connue sous le nom de traité du Verger, fut conclue le 19 août 14881 (Dom Morice, Preuves, col. 598). Le duc de Bretagne avait essayé en vain d'obtenir quelque promesse de la régente en faveur des prisonniers ; bien plus, il avait dû consentir « à violer les lois de l'hospitalité et à livrer à la justice du roi les Français qui s'étaient fiés à son honneur » (De la Borderie, op. cit., IV, p. 558). Un des derniers espoirs du prince d'Orange s'évanouissait.

Mais un événement plus grave encore, si possible, allait suivre. François II, malade depuis longtemps, ne put survivre à la rancoeur que lui causait ce traité ; il tomba peu après malade d'une fièvre qui devait l'emporter en peu de jours à Coiron où il s'était retiré [Note : La cour avait dû fuir Nantes, où sévissait alors une grave épidémie]. Sur son lit de mort encore, il faisait entendre des gémissements, en pensant au sort de ceux qui l'avaient bien servi et qui étaient livrés à la rancune de Mme de Beaujeu (De la Borderie, op. cit., IV, p. 659) ; se sentant gravement atteint il fit son testament; le mardi 9 septembre 1488, le dernier duc de Bretagne rendait le dernier soupir (Alain Bouchon, Grandes Croniques... éd. Bibl. Bret., f° 241 r°).

Cette mort fut un rude coup pour le prisonnier d'Angers. La tutelle des petites princesses, qui aurait dû lui revenir comme étant leur plus proche parent, avait été confiée au maréchal de Rieux, et la grosse question du mariage de la duchesse Anne, d'un si puissant intérêt pour son ambition, allait sans doute se régler sans lui. Il savait Rieux et la comtesse de Laval opposés à l'alliance avec Maximilien, pour laquelle il n'avait cessé de travailler depuis des années et en laquelle il avait mis tous ses espoirs. Il savait encore que Maximilien, privé d'appui en Bretagne, était trop loin pour pouvoir défendre efficacement sa chance. Alors il dut bien croire la partie définitivement perdue : heureusement pour les projets du prince d'Orange, Anne, si jeune qu'elle fût, n'était pas fille à se laisser faire ; si Jean de Chalon l'ignorait encore, il, n'allait pas tarder à l'apprendre. Laissons-le un moment languir dans sa prison, et jetons un coup d'œil rapide sur les événements qui se déroulèrent en Bretagne pendant sa captivité.

Fratkois II était à peine mort, que Rieux, Comminges et Mme de Laval se mirent en devoir de faire épouser à Anne leur candidat, le sire d'Albret, cependant que Mme de Beaujeu essayait d'imposer aux filles de Bretagne la tutelle royale (Dom Morice, Histoire de Bretagne, II p. 190).

Ni les uns ni l'autre ne réussirent, mais ce ne fut pas faute d'avoir intrigué tant qu'il le fallait. Le roi, avec l'appui du vicomte de Rohan, qui espérait toujours faire épouser à ses fils les princesses Anne et Isabelle, ne put que porter de nouveau la guerre en Bretagne et s'emparer successivement de Guingamp, de Concarneau et de Brest [Note : Guingamp succomba le 22 janvier, Concarneau et Brest vers le 15 février]. De même, le maréchal de Rieux et la comtesse de Laval ne pouvaient parvenir à vaincre l'obstination d'Anne, qui se refusait tout net à prendre d'Albret pour époux ; ce prétendant avait d'ailleurs quarante ans, il avait sept enfants légitimes sans compter les bâtards ; de plus il était laid et Anne n'en voulait à aucun prix ; le maréchal de Rieux commença par traiter cette résistance de caprice d'enfant, mais il ne tarda pas à s'apercevoir que sa pupille avait une volonté de fer, capable, de tenir tête à quiconque se mettrait au travers de ses desseins (De la Borderie, op. cit., IV, p. 562). Bref, en janvier 1489, cependant que les Français se promenaient en vainqueurs en Basse-Bretagne, Rieux exaspéré de la résistance de sa pupille se révoltait contre elle, et lui refusait l'entrée de la ville de Nantes (De la Borderie, op. cit., IV, p. 565). Anne était soutenue par Dunois, et surtout par le chancelier Philippe de Montauban, que Rieux d'ailleurs destitua pour le remplacer par Gilles de la Rivière, le 24 janvier (Dom Morice, Preuves, III, col. 616). Si J'on ajoute à cela les diverses négociations avec Maximilien qui fit une expédition et s'empara de Saint-Omer, avec les rois de Castille et d'Angleterre, on reconnaîtra qu'en février 1489 la situation au duché de Bretagne était plutôt confuse, et bien faite pour tenter un pêcheur en eau trouble comme l'était le prince d'Orange.

Sa captivité avait été très adoucie, grâce à l'intervention de sa femme Jeanne de Bourbon. La princesse d'Orange, qui semble pourtant n'avoir pas eu trop à se louer d'un mari qui la délaissait beaucoup, n'hésita pas à aller implorer sa belle-soeur en faveur du prisonnier. Mme de Beaujeu se laissa-t-elle attendrir ; ou jugea-t-elle plus politique de ménager un homme susceptible de lui rendre encore bien des services ? Toujours est-il que le prince d'Orange fut tiré du château d'Angers dès Novembre 1488 et suivit, prisonnier sur parole, la cour de sa belle-soeur à Riom ; cette mesure de clémence ne l'empêchait d'ailleurs nullement de proférer après boire maints propos séditieux (Cf. : De Maulde : Procédures politiques du règne de Louis XII, p. 1.142). Malgré tout, l'inaction lui pesait ; il surveillait attentivement ce qui se passait en Bretagne ; après la révolte de Rieux contre sa pupille et le siège de Vannes par les troupes françaises [Note : L'armée française, qui avait mis le siège devant Concarneau le 1er février, entrait dans cette ville le 15 et était à Vannes le 19], il sut - par quelles promesses ? - persuader à Mme de Beaujeu que sa présence en Bretagne était indispensable. A la fin de février 1489, il arrivait près de sa cousine, accompagné de Turquet, maître d'hôtel du roi (Dom Morice, Histoire de Bretagne, II, p. 195).

Jean de Chalon, au nom de la régente, commença par faire à la duchesse quelques propositions de paix, qu'il savait inacceptables ; peut-être même conseilla-t-il lui aussi de ne pas les accepter. Maintenant qu'il était libre, il allait pouvoir reprendre ses intrigues et servir les uns et les autres au mieux de ses intérêts personnels. Or la révolte Rieux lui permettant de prendre une place prépondérante en Bretagne, il oublia vite qu'il était un ambassadeur de Mme de Beaujeu, à laquelle il se garda bien d'aller aussitôt rendre compte de l'échec de sa mission, pour se ranger délibérement aux côtés de la duchesse Anne. L'essentiel d'ailleurs était, pour lui, et même pour la régente, d'empêcher le mariage avec d'Albret [Note : C'est ce qu'avait fort bien vu dom Morice, op. cit., II, p. 196]. Anne n'était pourtant pas assez sûre des bonnes dispositions de son cousin pour ne pas prendre ses précautions, d'autant que la seule venue du prince avait suffi pour que Rieux s'obstinât davantage encore dans sa révolte [Note : De la Borderie, Choix de documents inédits sur le règne de la duchesse Anne en Bretagne, dans Mémoires de la Société Archéologique d'Ille-et-Vilaine, F. VI 1868 p. 243 et sq.]. Elle envoya donc une ambassade en Angleterre prévenir Henri VII de l'arrivée en Bretagne du prince d'Orange, lui faire part des propositions françaises, et demander du secours [Note : De la Borderie, Choix de documents inédits sur le règne de la duchesse Anne en Bretagne, dans Mémoires de la Société Archéologique d'Ille-et-Vilaine, F. VI 1868 p. 243 et sq.].

L'on sait comment des secours anglais arrivèrent en Bretagne fin mars, suivis en mai par 2.000 Espagnols, et comment les Français perdirent rapidement, tout ce qu'ils avaient conquis en Bretagne, où, en juillet 1489, ils ne conservaient plus que cinq places : Fougères, Saint-Aubin, Dinan, Saint-Malo et Brest (De la Borderie, Histoire de Bretagne, IV, p. 568).

Pendant toute cette campagne, Jean de Chalon se tint prudemment dans la coulisse. Certes, dès son arrivée auprès de la duchesse, il avait repris une grande influence : Philippe de Montauban, son plus sûr auxiliaire, était redevenu chancelier. Mais il ne voulait pas mécontenter trop ouvertement Mme de Beaujeu. Son neveu Maximilien, depuis si longtemps candidat possible à la main de la duchesse, s'intéressait vivement aux affaires de Bretagne, mais aux prises avec les Flamands et les Hongrois, il ne pouvait s'engager dans une guerre contre le roi de France (De la Borderie, Histoire de Bretagne, IV, p. 569). Le prince d'Orange travailla sans aucun doute à la paix : le traité de Francfort fut conclu entre Charles VIII et Maximilien le 22 juillet 1489 (Arch. de la Loire-Inférieure, E. 102). La Bretagne n'y était pas oublié : Charles VIII abandonnerait les places conquises, et Anne s'engageait à renvoyer les troupes anglaises ; mais la question des quatre villes mentionnées au traité du Verger restait en suspens juqu'à ce qu'intervienne une décision d'arbitres, dans le délai d'un an. Il va sans dire qu'Anne n'accepta pas sans résistances le traité de Francfort ; le prince d'Orange soutenu par Dunois dut user de toute son influence pour le lui faire ratifier ; il dut s'entremettre dans de longues et laborieuses négociations avec Maximilien d'une part, et le roi d'autre part ; finalement Anne ratifia le 3 décembre (De la Borderie, Choix de Documents. Inédits... loc. cit.).

Jean de Chalon jouait de nouveau le premier rôle en Bretagne : il avait repris son titre de lieutenant-général, et Anne l'avait nommé capitaine de Rennes, la plus fidèle de ses villes [Note : Nous ne savons exactement à quelle date le prince d'Orange fut nommé capitaine de Rennes ; il l'était certainement dès 1489]. Cependant qu'en cette dernière qualité, il préparait dès 1489 la défense de cette vine qu'il munissait d'artillerie (Arch. mun. de Rennes, liasse 159), il allait comme lieutenant-général tenter de mettre à la raison Rieux toujours révolté été engagées avec le maréchal (De la Borderie, Histoire de Bretagne, IV, p. 570-572). En décembre, il s'était rencontré avec le prince d'Orange et Dunois et avait convenu avec eux d'une pacification qui devait être conclue le 6 janvier 1490. Il ne semble pas que cette trêve ait réellement eu lieu ; Rieux ne pardonnait pas à la duchesse les faveurs dont elle comblait ses ennemis, en particulier le prince d'Orange qui avait déjà reçu les biens confisqués sur Pierre Becdelièvre et que allait recevoir, le 19 avril, l'opulente seigneurie de Toffou (De la Borderie, Choix de documents Inédits..., loc. cit.). Il est à remarquer d'ailleurs que dans toute sa campagne de 1490, Rieux, dans ses lettres, affecte de n'avoir d'autre adversaire que le prince d'Orange (De la Borderie, Choix de documents Inédits..., loc. cit.). Dès la fin de mars, celui-ci avait quitté Rennes, se mettant en marche vers Josselin, pour lever un fouage de 4 l. 10 s. par feu décrété par la duchesse le 21 mars (De la Borderie, Choix de documents Inédits..., loc. cit.). Il n'avait d'autre part pas perdu son temps et obtenu de Maximilien qu'il envoya un secours à la duchesse. Rieux, retiré à Hennebont, apprit que l'armée du prince menaçait le nord et le centre de la Bretagne. Le 22 avril il se mit en marche vers Pontivy ; Orange de son côté était arrivé aux abords de cette ville, mais les deux armées ne se rencontrèrent pas. Le 3 mai enfin, la duchesse ordonnait de lever une nouvelle armée qui devait se mettre sous les ordres dè son lieutenant-général, son très aimé cousin le prince d'Orange. Heureusement, les deux armées en présence, on en reste là. Une trêve fut conclue dès le début de mai et des négociations furent engagées ; on décida de s'en remettre à l'arbitrage des Etats de Bretagne qui furent convoqués à Vannes pour le 4 juillet. Rieux se soumit, moyennant une large rétribution pécunière, et se réconcilia avec Orange et Montauban.

L'heure n'était plus d'ailleurs aux querelles intestines.

***

Le traité de Francfort, en effet, était resté lettre morte. Le roi n'avait pas évacué Brest ; et ses troupes continuaient à ravager le pays. Il est vrai que lieux, par sa rébellion, avait fourni au roi un excellent prétexte, et Anne elle-même n'avait-elle pas appelé les Allemands de Maximilien à son secours (De la Borderie, Histoire de Bretagne, IV, p. 572). Plus que jamais le prince d'Orange va essayer de s'entremettre. Depuis qu'il est rentré en Bretagne, il a reconquis tout son prestige auprès de la duchesse. Mais il craint pour sa situation ; il se méfie des intentions de la Régente à son égard. Il n'a plus que de rares nouvelles de Franche-Comté ; les comptes de ses receveurs ne lui sont pas envoyés régulièrement et il les réclame en vain [Note : Les archives du Doubs et les archives du château d'Arlay (Jura) contiennent de très curieux renseignements sur les difficultés financières du prince d'Orange à cette époque]. Sa femme Jeanne de Bourbon fait de son mieux pour sauvegarder les biens de son époux, à la merci d'un mouvement de colère du roi de France [Note : Jeanne de Bourbon, déjà très malade, n'avait pas suivi son époux en Bretagne]. Heureusement, Anne ne lui ménage pas les compensations en Bretagne ; après Toffou, elle lui a donné Succinio et sa riche seigneurie, d'autres biens encore (Dom Morice, Preuves, III, col. 658). Mais cette situation privilégiée durera-telle ? Le mariage de la duchesse ne saurait être retardé indéfiniment, et le sort du prince d'Orange dépend du choix qui sera fait. Il a réussi à écarter d'Albret, ce qui lui a valu pour un temps la bienveillance de Mme de Beaujeu : cette victoire est bien précaire. Il lui faut donner à sa cousine un mari avec lequel il puisse conserver toute son autorité. Maximilien, auquel il n'a jamais cessé d'être fidèle de coeur, sinon en fait — mais la vie à de telles nécessités ! — est tout indiqué.

Nous ne voulons pas entrer dans le détail de toutes les négociations diplomatiques qui eurent lieu dans le courant de l'année 1490 [Note : On en trouvera le détail dans l'Introduction de la Borderie, à ses Choix de documents Inédits..]. La correspondance secrète entre Maximilien et son oncle avait repris dès le début de l'année (Archives du château d'Arlay, Comptes de 1489 et 1490) ; Anne, d'ailleurs était prête à accueillir le roi des Romains, et Jean de Chalon ne fut pas étranger à la décision prise par Maximilien d'envoyer en même temps que les troupes dont nous avons parlé, des ambassadeurs extraordinaires chargés d'épouser par procuration, au nom de leur maître, la duchesse de Bretagne. C'est ainsi qu'en mars 1490,. Wolgang de Polham, maréchal de cour, Jacques de Gondebaud, secrétaire de Maximilien et Loupian, son maître d'hôtel, avaient été envoyés en Bretagne (Choix de documents Inédits..., loc. cit., p. 314). Le but de leur voyage devait rester secret ; tant que Rieux n'était pas soumis, il fallait éviter de provoquer une nouvelle invasion française. Mais ce projet de mariage souriait à tous ; Maximilien y voyait le moyen de reprendre l'ancienne politique de l'« étau » autour de la France, et les Bretons fidèles pensaient assurer ainsi l'indépendance de leur pays (De la Borderie, Histoire de Bretagne, p. 573).

Rieux soumis se rallia lui aussi au projet. Mais il fallait endormir la méfiance française. De nombreuses négociations, dirigées du côté breton par le prince d'Orange lui-même et Rieux furent poursuivies pendant toute la fin de l'année. En juillet, Maximilien avait accordé au roi de France un nouveau traité, signé à Ulm (Dom Morice, Preuves, III, col. 674) : il venait seulement de terminer sa guerre victorieuse contre le roi de Hongrie, Mathias Corvin, et avait besoin de reprendre des forces. Le traité d'Ulm, qui était une confirmation du traité de Francfort, comprenait naturellement la Bretagne. Le 11 août, Anne envoyait le prince d'Orange en Allemagne : il portait à son neveu l'adhésion de sa cousine à la convention (Choix de documents Inédits..., loc. cit. p. 258, 306) ; mais dès cette ambassade extraordinaire il prépara le coup de théâtre qui devait éclater à la fin de l'année. A son retour d'Allemagne, Jean de Chalon fut envoyé auprès de Charles VIII et mena si habilement les négociations que le traité d'Ulm fut ratifié par le roi le 10 octobre 1490 et par la duchesse le 15 (Choix de documents Inédits..., loc. cit., p. 314, 315, 326. — Dom Morice, Preuves, III, 675-677).

La France endormie pour un temps, on pouvait faire paraître au jour le résultat secret des démarches faites par le prince d'Orange : une coalition contre la France, dont un des buts était de défendre l'intégrité de la Bretagne. Outre Maximilien, la ligue comprenait l'Angleterre et la Castille : Anne signa l'alliance le 27 octobre (Choix de documents Inédits..., loc. cit., p. 327). Enfin et pour ne pas, laisser place à l'équivoque, Anne épousait Maximilien par procuration à Rennes le 19 décembre 1490 [Note : Voir sur cette date : de la Bigne-Villeneuve ; Une date historique retrouvée, dans Mémoires de la Société archéologique d'Ille-et-Vilaine, II, 1861 p. 220. Sur le mariage : Arch. de la Loire-Inférieure, E. 14 ; Godefroy : Histoire de Charles VIII, Pièces, p. 604]. Le prince d'Orange pouvait être fier de son oeuvre.

Son succès ne devait pas être de bien longue durée. La nouvelle du mariage provoque de vives réclamations en France ; on cria, avec apparence de raison, que le traité du Verger avait été violé, et la régente se prépara immédiatement à la lutte. Le dépit du sire d'Albret, furieux de se voir définitivement écarté, lui fournit une occasion inespérée se faisant grassement payer, il profita d'une absence du maréchal de Rieux pour livrer Nantes aux Français dans la nuit du 19 au 20 mars 1491. Le 4 avril, Charles VIII, faisait dans la ville une entrée triomphale, mais peu glorieuse (De la Borderie : Histoire de Bretagne, IV, p. 575-576).

Et de nouveau, la Bretagne fut envahie par les troupes françaises. Jean de Chalon, capitaine de Rennes, se dépensa pour mettre la ville en état de soutenir un siège qui ne pouvait tarder : il fit réparer les points faibles des murailles, curer les fossés, prit toutes les mesures nécessaires pour assurer autant que possible l’approvisionnement en armes et en vivres (Arch. mun. de Rennes, liasse 159). D'autre part, il ne manquait pas d'employer toute son influence pour décider Maximilien à envoyer des secours pour renforcer ceux qui étaient arrivés l'année précédente. Au mois d'août, au moment même où l'armée bretonne se trouvait bloquée dans Rennes, Maximilien obtenait de La Diète que 12.000 lansquenets fussent envoyés en Bretagne (De la Borderie, Histoire de Bretagne, IV, p. 579). lls ne devaient jamais y arriver, ce qui ne manqua pas de faire naître, contre le roi des Romains, une irritation sans cesse grandissante.

Le prince d'Orange comprit vite que son neveu compromettait gravement sa cause et son prestige en n'accourant pas avec plus d'empressement au secours de la duchesse sa femme.
Il ne dut pas manquer de le lui faire savoir [Note : Les comptes du prince d'Orange conservés au château d'Arlay mentionnent l'envoi d'émissaire en Allemagne en 1491] ; et à Rennes il cherchait à gagner du temps. On le voit tenter des sorties, exhorter les uns et les autres à la patience. Mais en vain ; le blocus se resserrait ; La Trémoille, commandant l'armée française était un adversaire redoutable. Puis peu à peu, la disette commença à se faire sentir ; le trésor ducal était presque vide, et Jean de Chalon avait bien du mal à empêcher les Allemands du maréchal de Polham et du comte de Lornay de se révolter : Lornay dut même avancer de l'argent à la duchesse (Choix de documents inédits, loc. cit. p. 327).

Toutes ces difficultés disposaient les esprits à un accommodement, auquel Charles VIII lui-même inclinait. Le roi venait, par un petit coup d'état, de se débarrasser de la tutelle de Mme de Beaujeu, en délivrant le duc d'Orléans, prisonnier depuis Saint-Aubin-de-Cormier (28 juin 1491, Arch. Nat. K-74 n° 26). Le prisonnier repentant obtint même d'être chargé d'une mission particulièrement délicate en Bretagne.

Charles VIII d'ailleurs se considérait comme maître de la province ; il avait nommé Rohan son lieutenant-général en Basse-Bretagne, et le 27 octobre 1491, il convoqua les Etats à Vannes (Dom Morice, Preuves, III, 704-705). Anne et son entourage étaient de plus en plus disposés à faire la paix ; c'est alors que le roi lui fit demander si elle consentirait à l'épouser.

Anne se cabra. Le prince d'Orange fut, a-t-on dit (De la Borderie, Histoire de Bretagne, IV, p. 579), assez facilement converti à ce nouveau projet par son ancien compagnon d'armes le duc d'Orléans ; on peut s'en étonner, car il avait été le principal agent du mariage avec Maximilien. Certes, il n'en était pas à une volte-face près, et il savait que Maximilien s'était attiré toutes les rancunes de la Bretagne. Mais ce ne nous semble pas une raison suffisante pour expliquer un revirement aussi subit. Nous croyons plus volontiers que pendant toutes ces premières négociations, il encouragea la duchesse dans sa résistance ; et cette résistance, inébranlable, se comprend mieux si l'on imagine la jeune princesse entretenue dans cette résolution par son plus proche parent.

Charles VIII pourtant voulait la paix ; les Bretons également. Les plénipotentiaires du roi, Georges d'Amboise et le sire du Bouchage, firent de nouvelles propositions qui aboutirent au traité signé dans les faubourgs de Rennes le 15 novembre 1491 (Dom Morice, Preuves, III, 707-711) Abandonnant l'idée du mariage, tout au moins en parole, la duchesse aurait la faculté de traverser la France pour rejoindre Maximilien ; le roi lui verserait 120.000 livres et paierait ses auxiliaires étrangers ; il s'engageait en outre à respecter les libertés et franchises de la Bretagne. La ville de Rennes, mise en neutralité jusqu'à ce qu'il ait été définitivement tranché des droits du roi sur le duché, serait gouvernée par le prince d'Orange, nommé par le roi son lieutenant-général en Bretagne.

On le voit, Charles VIII ne gardait pas rancune à Jean de Chalon de tout ce qu'il avait ourdi contre lui depuis trois ans. Cette bienveillance exceptionnelle ne s'explique-t-elle mieux, si l'on admet qu'en agissant ainsi le roi voulait se concilier, pour un projet qui lui tenait au coeur, un adversaire jusqu'alors assez résolu ? Le prince d'Orange devint dès lors, on n'en peut douter, partisan du mariage de la duchesse et du roi. C'était d'ailleurs l'avis de tous, même des Bretons les plus fidèles comme Philippe de Montauban [Note : Cf. J. Trévedy, Quel résultat aurait eu pour la Bretagne le mariage de la duchesse Anne avec un seigneur breton, dans Revue de Bretagne ; t. XXXIV, p 430] ; Anne résista encore ; elle avait des scrupules de conscience que des théologiens apaisèrent. Le prince d'Orange, brûlant ses vaisseaux et abandonnant décidément son neveu, ne songeant plus qu'au bien de la Bretagne pour laquelle il avait jusqu'alors combattu, décida sa cousine. Il pensait sans doute que cette intervention décisive lui concilierait la faveur royale —, mais il pouvait se donner toutes les apparences de jouer le beau rôle. On peut être sûr qu'il n'y manqua pas. Le 18 novembre les fiançailles d'Anne, duchesse de Bretagne, et de Charles VIII, roi de France, étaient célébrées sans apparat dans la chapelle de Bonne-Nouvelle, en dehors des murs de Rennes, en présence du duc d'Orléans et de Mme de Beaujeu, du prince d'Orange, du comte de Dunois et de Philippe de Montauban [Note : Le maréchal de Polham, représentant Maximilien, dont on avait d'ailleurs annoncé la mort, était réduit à un rôle assez ridicule. Sur ce sujet, cf. Mémoires d'Olivier de la Marche, t. III, p. 259, et Chroniques de Molinet, t. IV, p. 170].

Le mariage devant être célébré au château de Langeais le 6 décembre, Anna quitta Rennes le 23 novembre avec ses fidèles. Jean de Chalon qui devait avec elle signer et garantir le contrat de mariage l'accompagnait naturellement et tenait la première place.

En route, il eut le loisir de méditer sure la situation. Pour le moment, la reconnaissance du couple royal lui était assurée, mais qu'allait penser son neveu Maximilien ? Il l'avait doublement trahi : d'un même coup, il contribuait, de tout le poids de son autorité et de ses talents diplomatiques, à lui arracher sa femme et son gendre, car depuis neuf ans Charles VIII était officiellement fiancé à Marguerite d'Autriche, fille de Maximilien, qui était élevée à la cour de France et considérée comme la future reine [Note : Marguerite d'Autriche ne fut renvoyée à son père que le 12 juin 1493. Les dispenses nécessaires furent accordées après le mariage seulement par le Pape Innocent VIII, Dom Morice, Preuves, III, col. 718]. Qu'arriverait-il si par un retour de fortune, toujours possible, Maximilien redevenait un jour maître de cette Franche-Comté qui lui tenait tant au coeur ? Comment son oncle oserait-il se présenter devant lui, comme premier vassal du pays, après s'être si complètement compromis ? Jean de Chalon résolut de parer à tout hasard à cette éventualité. Le matin du 6 décembre, avant la cérémonie nuptiale, à Langeais même, il s'en fut trouver le notaire Jean Louvel et fit dresser un acte, dans lequel, après avoir relaté à sa façon les événements qui précèdent, il faisait certifier que lui, prince d'Orange, n'avait donné son consentement au mariage de sa cousine avec le roi que parce qu'il y avait été contraint par force, par ruse, et par fraude, et que ce consentement, contraire à sa volonté, n'avait aucune valeur [Note : L'original de cet acte est conservé aux archives du château d'Arlay. Une analyse détaillée en existe aux Archives du Doubs dans l'Inventaire des titres de la maison de Charon].

Puis, le parchemin dans sa poche, il s'en alla, le front serein tenir son rôle de plus proche parent de la reine, à la cérémonie qui se déroula dans la grande salle du château de Langeais avec une grande solennité (De la Borderie, Histoire de Bretagne, IV, p. 582).

Dès le lendemain de la cérémonie de Langeais, Jean de Chalon reçut la récompense de ses bons services. Le 7 décembre 1491 il était en effet confirmé clans l'office de lieutenant-général du roi en Bretagne, au détriment du vicomte de Rohan, ancien serviteur de la cause royale en Bretagne que Charles VIII avait nommé à la charge au mois de septembre précédent [Note : Et non au mois d'octobre, comme l'a dit la Borderie ; cf. dom Morice, Preuves, III, col. 704, les lettres du roi datées de La Flèche le premier septembre. Dès le 28 octobre, le roi reconnaissait les services du prince d'Orange en lui donnant Succinio, ibidem, col. 706]. Le mariage de la duchesse n'avait pas été sans décevoir bien des ambitions ; les traîtres à la cause bretonne, ceux qui avaient mis tous leurs espoirs dans le triomphe du roi contre la duchesse, se trouvaient joués, Anne devenant reine de France, et ce n'est pas sans dépit qu'ils virent les deux charges les plus importantes du duché confiées par ce même roi qu'ils avaient servi contre leur patrie à ses deux plus acharnés adversaires, partisans toujours dévoués de celle qui était devenue reine, le prince d'Orange et le chancelier Philippe de Montauban [Note : La charge de chancelier avait pris de plus en plus d'importance, puisque désormais cet officier devait exercer dans la province le pouvoir du roi dans l'ordre civil]. La disgrâce de Rohan ne pouvait laisser de doute sur les intentions du couple royal : les véritables vainqueurs étaient Jean de Chalon et les partisans de la cause bretonne.

Le mariage de la duchesse avait provoqué une grande joie dans tout le duché. « Devant cette joie, qu'ils n'osaient pas contredire, les Bretons-Français [Note : Entendez Rohan et les anciens adversaires de la duchesse], écrit de la Borderie [Note : De la Borderie, Le complot breton en 1492, Introduction, p. IV], sentaient redoubler leurs alarmes. En nombre ils étaient peu, mais plusieurs avaient de grandes fortunes, de hautes situations féodales, des ambitions insatiables ; beaucoup devaient à leur trahison des commandements importants, des postes de confiance, des places lucratives : faudrait-il lâcher tout cela ? Depuis la disgrâce de Rohan tous se sentaient menacés. Rapprochés, unis par une même crainte, bientôt ils formèrent, en face de l'allégresse générale, le camp des mécontents. Camp agité de sourdes colères, ensuite de pensées de vengeance. Par ambition ils avaient vendu la Bretagne à la France ; la trahison étant mal payée, on la reprendrait à la France et on la revendrait à l'Angleterre ? Rien de plus logique. De cette logique naquit le Complot breton ». Ce complot allait permettre à Jean de Chalon de monter encore dans la faveur de sa cousine. C'est d'ailleurs grâce aux papiers personnels du prince d'Orange conservés aux Archives du Doubs [Note : Arch. du Doubs, 1.300. Cette liasse contient la copie faite par les soins du prince d'Orange de la correspondance de Le Pennec, saisie par lui au moment de la découverte du complot. C'est cette correspondance qui forme la première partie des documents publiés par la Borderie dans son Complot breton] que la Borderie a pu retracer l'histoire de ce complot.

Dès la fin de décembre 1491, un certain Pierre Le Pennec, conseiller et maître des requêtes du duc à l'extraordinaire, habitant du pays de Morlaix, instrument de ce complot dont on ignore quel fut le véritable instigateur [Note : Il semble bien que ce fut le vicomte de Rohan ; cf. La Borderie, op. cit., Introduction, p. XX-XXII], avait fait savoir au roi d'Angleterre Henri VII qu'il était prêt à combattre le nouveau régime politique établi en Bretagne (La Borderie, op. cit., p. 3-6). Le mois suivant, il était en correspondance suivie avec la cour d'Angleterre et élaborait de concert avec elle un plan. d'attaque que ne manquait pas de chances de réussite (La Borderie, op. cit., passim.). Le Pennec s'était assuré la complicité du capitaine de Brest, un nommé Carreau, qui devait livrer la place aux Anglais (La Borderie, op. cit. Introduction, p. IX) ; Le Pennec fit encore deux recrues plus importantes, le capitaine des gardes Maurice du Mené, et Louis de Rohan, sire de Guémené (La Borderie, op. cit. Introduction, p. X-XI). Dès avril 1492 le complot pouvait donc passer pour assez sérieux.

Les allées et venues des conspirateurs n'avaient pas été sans jeter une certaine alarme dans les esprits, et dès le 20 avril les habitants de Guingamp informaient Philippe de Montauban d'une descente possible des Anglais. Le chancelier les rassura de son mieux, tout en leur recommandant, de se mettre en état de défense (La Borderie, op. cit. Introduction, p. XVII). En même temps il prévenait le prince d'Orange qui se trouvait à Morlaix : mais ce dernier n'avait ni armée, ni artillerie (La Borderie, op. cit., n° XXXVI).

Le prince d'Orange et Philippe de Montauban se réunirent à Vannes le 7 mai. Ils tombèrent d'accord que le danger était, sérieux et ils dépêchèrent le sénéchal de Quercy au roi pour demander du secours (La Borderie, op. cit.,  n° XXXV). Cependant les Anglais venaient croiser sur les côtes et même faisaient quelques descentes rapides comme au Port-Blanc près de Tréguier à la mi-mai (La Borderie, op. cit., n° XXXVIII). Ce dernier coup de force impressionna vivement l'opinion et le roi, peu confiant en ses seules forces, s'adressa aux villes et aux principaux seigneurs pour les prier de s'armer (La Borderie, op. cit., n° XXXVII). Ceux-ci répondirent en général sans montrer trop de zèle ; quant au vicomte de Rohan sa lettre est un chef d'oeuvre d'insolence : on y sent sa rancune s'exprimer à chaque ligne ; puisqu'il vous a plu, dit-il en substance au roi, de me dépouiller de mon commandement pour le donner au prince d'Orange, sortez comme, vous pourrez avec l'aide de votre prince de ce mauvais pas [Note : « Je croy que vous avez si bien pourveu de M. le Prince a la garde du pays, qui le saura mieulx faire que moy, qu'il ne vous en aviendra point de inconvenient, si Dieu plaist »]. Malgré ce que pouvait penser le vicomte de Rohan, Jean de Chalon était homme à se sortir de ce guêpier.

Comment s'y prit-il ? On ne sait trop. Henri VII avait promis aux conjurés d'effectuer un débarquement le 8 juin. Le 8 juin passa et les Anglais ne vinrent pas : la flotte anglaise s'attarda devant Barfleur (le 16 juin 1492) ; elle n'était pas suffisante, et Henri VII voulait attendre. Il attendit trop longtemps ; un mois après l'inutile manifestation de Barfleur, le 18 juillet, il était trop tard. Le prince d'Orange s'était définitivement mis en travers du projet (La Borderie op. cit. Introduction, p. XXIV).

Après Barfleur, les conjurés s'étaient aperçu que la flotte anglaise ne continuerait pas, pour le moment du moins, sa route vers la Bretagne. Le Pennec passa en Angleterre et il y apprit que le départ du corps de débarquement était ajourné sine die, Il en informa Carreau ; ce dernier qui « avait la vocation irrésistible d'être capitaine de Brest et de ne lâcher cette place qu'avec la vie » (La Borderie, op. cit.,  p. XXV), n'hésita pas, pour la conserver, à trahir ses amis ; il fit un marché avec le prince d'Orange : il lui livrait les conjurés et toutes les lettres compromettantes qu'il avait entre les mains, moyennant quoi il recevait l'assurance de conserver la capitainerie de Brest, au nom du roi Charles VIII. Et c'est ainsi que nous voyons Carreau écrire le 18 juillet à Jean de Chalon pour lui demander de l'argent destiné à fortifier la ville de Brest, contre les Anglais (La Borderie, op. cit., n° XLI). Le complot était à l'eau ; le prince d'Orange et Philippe de Montauban se contentèrent de faire arrêter deux complices, que reçurent d'ailleurs avant la fin de l'année des lettres de rémission (La Borderie, op. cit., n° XLV et XLVI). En même temps d'ailleurs que les coupables recevaient leur grâce, le principal agent de l'échec du complot, le prince d'Orange, recevait sa récompense ; le 2 novembre 1492, le roi Charles VIII nommait Jean de Chalon gouverneur de Bretagne 5Arch. du Doubs, E 1212).

Ainsi cet étranger, qui semble avoir toujours soutenu la cause bretonne avec clairvoyance, se voyait confier la plus importante charge d'une province où il était arrivé, bien des années auparavant, en proscrit, et dont il partait chargé d'honneurs, après bien des vicissitudes. Car il est à remarquer que du jour de son élévation au rang du gouverneur, le rôle actif du prince d'Orange en Bretagne cesse brusquement. Il est vrai que la province était définitivement pacifiée et qu'en tout état de cause, il. n'aurait pas eu grand chose à faire pour y maintenir l'ordre ; mais d'autres soucis l'appelaient ailleurs.

***

Nous avons dit, en commençant cette étude, que l'ambition de toute la vie du prince d'Orange semble avoir été avant tout le gouvernement de la Franche-Comté, le pays de la gloire de la maison de Chalon. Le mariage de Langeais lui avait valu, on le conçoit, la reconnaissance de Charles VIII, qui l'en avait récompensé, en Bretagne d'abord, mais aussi et surtout dans l'Est : Jean de Chalon avait reçu également le gouvernement des deux Bourgognes (Ed. Clerc : Discours Jean de Chalon, loc. cit. q. 12. Archives du Doubs E 1.230). Dire qu'il fut bien accueilli à son retour dans une province, qu'il avait abandonnée depuis tant d'années et où il rentrait en maître par la grâce du fils de ce même roi de France qui avait accumulé les ruines dans le pays et fait haïr pour longtemps au delà de la Saône le seul nom de Français, ce serait une contre-vérité. Mais le prince d'Orange se souciait peu des haines, il rentrait dans ses biens, il relevait ses ruines, il était le maître, il était satisfait.

Pourtant, en 1493, il dut avoir une chaude alerte. Charles VIII obsédé par ses rêves italiens, pour avoir la voie libre, voulait à tout prix conclure une paix définitive avec Maximilien. Pour cela, il était prêt, et Jean de Chalon n'en ignorait rien, à abandonner l'Artois et la Franche-Comté. Or nous avons montré à quel point le prince d'Orange s'était compromis aux yeux de son neveu. Une suprême habileté le sauva ; il se fit charger par le roi des négociations qui aboutirent au traité de Senlis [Note : Le traité fut signé le 23 mai 1493. La noblesse comtoise, ralliée à Jean de Chalon avait bravement tenu à l'empereur pendant sa campagne, et c'est surtout à sa qualité de gouverneur de la Franche-Comté que le prince d'Orange dut de devoir jouer un rôle prépondérant dans les négociations]. Porteur de propositions fort avantageuses pour Maximilien, il n'eut sans doute pas grand mal à le persuader qu'il était l'artisan de cette compensation, et sans doute fit-il état de la contre-lettre qu'il avait pris la précaution de faire rédiger par le notaire Louvel. Cette paix inespérée ne ramena pas tout de suite le calme en Franche-Comté. Maximilien avait cru qu'il lui suffirait de reparaître en armes pour que tout le pays se soulevât en sa faveur. Il n'en fut rien ; la haute noblesse en révolte depuis six mois, continua à résister. Etait-elle poussée dans la coulisse par le prince d'Orange qui se tenait prudemment à la cour de France ? Etant donné l'homme, la chose est fort possible, mais sa réserve fut telle que les documents ne nous ont laissé aucune trace de son activité après le traité de Senlis. Après avoir essayé quelque temps d'un régime de rigueur qui ne servit qu'à aggraver la situation, après un an d'efforts inutiles, Maximilien se décida à composer [Note : Par la célèbre ordonnance publiée le 8 novembre 1494, mais dont le texte était connu dès le 8 octobre]. Il promit de donner au pays un gouverneur pris dans le sein de la haute noblesse comtoise, et l'on ne fut pas peu surpris d'apprendre, le 6 novembre 1494, que le choix de l'Empereur s'était porté sur son très cher oncle, Jean de Chalon, prince d'Orange. Celui-ci recevait le prix du traité de Senlis, mais on assistait à ce spectacle paradoxal de voir le même homme être à la fois gouverneur de Bretagne pour le roi de France et gouverneur de la Franche-Comté pour l'Empereur.

Qu'allait faire le prince ? Il était lié avec Charles VIII, mais celui-ci venait de commencer sa campagne d'Italie — le 9 septembre il était entré à Asti — et Maximilien ne voyait pas sans alarmes s'amorcer cette conquête. Or si l'Empereur devait intervenir un jour, il ferait sans aucun doute appel aux Comtois. La situation s'aggrava après les premières défaites du roi : en juin les troupes impériales se portèrent sur la Saône et prirent Louhans, en Bourgogne [Note : Cette ville fut d'ailleurs reprise peu après par les troupes française]. Pourtant la nouvelle de la bataille de Fornoue (6 juillet 1495) arrêta cette invasion ; mais le 10 août les Etats se réunirent à Besançon et votèrent à l'Empereur un subside « pro defensione patriæ ». A ces Etats legouverneur n'assista pas, et pour cause : changeant une fois de parti, il était allé rejoindre Charles VIII, en Italie [Note : Sur ces Etats, cf. Ed, Cler, Histoire des Etats-généraux et des libertés publiques en Franche-Comté, dans Mémoires de la Société d'Emulation du Jura 1876, p. 226].

Au début de septembre 1495 il arrivait à Novarre auprès du roi, au moment où tous les chefs militaires de l'armée royale cherchaient à faire une paix honorable. Peu après son arrivée, le roi qui lui faisait grand crédit lui confia la principale charge de l'armée. Le 12 septembre, il était à Verceil et fut désigné avec le duc d'Orléans pour entamer les négociations de paix. Commines nous a raconté les disputes de Jean de Chalon avec son ancien allié de Saint-Aubin du Cormier, et toute la part qu'il eut dans la fin honorable de cette campagne assez malheureuse [Note : Sur ces événements, Commines, Mémoires, ed. Calmette III p. 231 et sv. ].

Mais Jean de Chalon vieillissait. Il rentra en France, et en Franche-Comté, ou on lui reprochait d'être trop français ; on ne se gênait pas pour dire dans les auberges que M. de Chalon porterait toujours le collier de Saint-Michel et jamais celui de La Toison d'Or (E. Clerc : Discours sur Jean de Chalon, loc. cit. p. 14). Il se décida à la retraite, ou presque. Sa femme Jeanne de Bourbon était morte en 1493 sans lui avoir donné d'héritier. Dès 1495 il se remaria avec Philiberte de Luxembourg (Archives du Doubs : E 1230), une maitresse femme, qui calma les dernières velléités de son époux, et s'efforça de remettre de l'ordre dans une situation financière très obérée.

Le prince, pendant les dernières années de sa vie, séjourna tantôt en Franche-Comté, à Arlay, à Nozeroy, à Lons-le-Saunier, tantôt en Bretagne, à Succinio, où il fit faire de grandes réparations : c'est à lui que l'on doit en effet la façade sur la cour intérieure (R. Grand. Mélanges d'archéologie bretonne, Succinio, passim.), administrant plutôt mal que bien, car ce diplomate ne fut pas un bon administrateur, ses riches domaines. En Bretagne il possédait, outre Succinio et Toffou, le riche comté de Penthièvre et des droits sur le trafic de toute la côte de l'embouchure du Couesnon à celle de l'Arguenon ; pour compléter cette dernière donation, Anne de Bretagne en 1498 le nomma capitaine de Saint-Malo (Dom Morice, Preuves, III, 881). Il avait abandonné déjà depuis quelques années la capitainerie de Rennes.

Quelques mois plus tard, après la mort de Charles VIII, il assistait au mariage de sa cousine avec le duc d'Orléans, son ami de toujours, devenu le roi Louis XII. Ce dernier lui donna, suprême honneur, la charge d'amiral de Bretagne.

Le prince d'Orange, usé par une vie d'aventures, n'occupa jamais effectivement cette dernière fonction. Après le mariage de Louis XII, il abandonna même définitivement la cour de France, et vint vivre au château de Lons-le-Saunier. Il n'avait pas soixante ans. Ses dernières années furent attristées par les difficultés financières dans lequelles il se débattait; au mois d'avril 1502, il mourait à Lons-le-Saunier laissant à un enfant de six mois la charge de porter avec éclat le nom et les armes de Chalon. Cet enfant, Philibert de Chalop, fut le dernier prince de cette maison : passé au service de l'Espagne — ce qui lui valut en 1525 de voir ses biens en Bretagne confisqués par François Ier. — il fut tué à 29 ans au passage de la Giovannina, alors qu'il était vice-roi de Naples. Le père et le fils, qui ne s'étaient pas connu se retrouvèrent côte à côte dans le caveau de la famille de Chalon, à Lons-le-Saunier, où leurs pierres tombales sont encore.

Telle fut, bien résumée, la vie du prince d'Orange, « Ce prince, a écrit le président Clerc, l'un des plus remarquables du XVème siècle… eut sur les destinées de son pays une grande influence.... Il s'allia à tous les partis sans s'attacher sérieusement à aucun : malgré ses talents militaires et politiques, il n'acquit pas la véritable gloire : il traversa la vie sans être estimé, les grandeurs sans être heureux. Pour prix de tant d'agitations... il recueillit justement le soupçon et la défiance, de grands embarras financiers et laissa en mourant... » plus de cinq millions de dettes, valeur actuelle (E. Clerc. Discours sur Jean de Chalon, loc. cit. p. 14). « Sa vie est une preuve de plus que dans le présent comme aux yeux de la prostérité, la voie droite est la plus sûre des politiques ». Pour s'en être trop souvent écarté, Jean de Chalon ne laissa que le souvenir d'avoir été un homme habile, trop habile pour avoir été grand.

(G.-B. DUHEM).

En résumé : Neveu du duc François II de Bretagne, Jean IV de Chalon-Arlay [Note : Il est prince d'Orange et seigneur d'Arlay, de Châtelguyon, de Lons-le-Saunier, de Mirebel, de Pymont, de Rougemont, de Nozeroy (1475-1502), de Rochefort, de Montaigu et de Châtelbelin (1493-1502). Marié d'abord à Jeanne de Bourbon (fille de Charles Ier de Bourbon, duc de Bourbon, et d'Agnès de Bourgogne) puis à Philiberte de Luxembourg, fille d'Antoine de Luxembourg, comte de Brienne, de Ligny, de Roucy, et d'Antoinette de Baufremont, comtesse de Charny)] est envoyé au duché de Bretagne par Maximilien en 1481. Il y participera à la conjuration manquée contre le trésorier général Landais le 7 avril 1484, à la suite de quoi, en rupture de ban comme les autres conjurés, il signera le traité de Montargis avec la régente de France Anne de Beaujeu. Cette nouvelle trahison lui vaudra la confiscation de ses biens en Bretagne, qui lui seront rendus après la deuxième conjuration contre Pierre Landais et son exécution, par un François II affaibli. Il prend alors la direction effective des affaires du duché avec le maréchal de Rieux et le comte de Comminges. La main de la princesse Anne étant alors le principal argument politique en Bretagne, chacun a son candidat. Jean IV de Chalon-Arlay milite logiquement pour une union avec Maximilien d'Autriche. En détresse militaire et politique, François II lui offre, afin de garantir sa fidélité, les châtellenies de Lamballe, Moncontour, Rhuys et Lespine-Gaudin. A la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier le 28 juillet 1488, après avoir combattu avec acharnement, il tente de se faire passer pour mort mais est fait prisonnier avec le duc d'Orléans par les Français vainqueurs. Il restera en résidence surveillée à Riom jusqu'en février 1489. Il rentre à cette date à Rennes, envoyé par Charles VIII de France pour empêcher le mariage d'Anne avec Alain d'Albret et négocier avec elle de la situation des troupes françaises dans le duché. A l'avènement de la duchesse Anne de Bretagne en 1488, il devient l'héritier présomptif de sa cousine, en concurrence avec le vicomte Jean II de Rohan, jusqu'à la naissance des dauphins Charles-Orland, Charles, puis de Claude de France. Comme tel, il participe au conseil ducal et intervient dans les choix politiques et matrimoniaux de la duchesse. Elle le nomme capitaine de Rennes et lieutenant général. Principal ministre avec le chancelier Montauban et Dunois entre 1490 et 1491, il lui conseille le mariage avec le roi des Romains Maximilien d’Autriche. Piégé par le siège de Rennes par les troupes françaises, il négocie dès septembre 1491 une union avec le roi Charles VIII de France. Témoin de la duchesse Anne à son mariage le 6 décembre 1491, il renonce par ce contrat de mariage à ses droits sur la Bretagne pour la somme de 100.000 livres et la lieutenance générale de Bretagne, qui lui sera confirmée par Anne, veuve en 1499 et qu'il conservera jusqu'à sa mort en 1502. Il négocie avec quelques autres les termes de troisième contrat de mariage de la reine Anne, cette fois avec Louis XII. Jean IV de Chalon-Arlay décède le 8 avril 1502 à l'âge de 59 ans.

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PIÈCES JUSTIFICATIVES.

1470, 17 septembre. — Hesdin.
Mandement de Charles-le-Téméraire à Guillaume d'Orange pour l'informer de la trahison du sire d'Arguel.

(Orig. : Arch. du Doubs, E 1335).

De par le duc de Bourgongne, de Brabant, de Lembourg, et de Luxembourc, conte de Flandres, d'Artois, de Bourgongne, de Hellande, de Zellande et de Namur.

Tres chier et feal cousin, apres plusieurs grandes offenses, injures et obprobres faiz et profferez par le sire d'Arguel, vostre filz, a la charge de nous et de nostre justice, a tort et contre raison, et que celement et cauteleusement, sans noz congié et licence, il s'est absenté et rendu fugitif de nostre hostel et de tous noz pais et seigneuries, ainsy que viendra bien a vostre coignoissance, Nous, apres ample remonstrance par nous faicte en presence d'aulcuns de nostre sang, des ambassadeurs de nostre frere de Bretagne lors estans devers nous et de tous ceulx de nostre hostel desd injures, obprobres et offenses, avons icelluy seigneur d'Arguel, vostre filz, pour ces causes declairé rebelle et desobeissant envers nous et luy avons interdit et deffendu l'entrée, demourance et conversacion de nostred pais, desquelz il s'est de luy mesmes et par son fait absenté et banni ; et pour ce tres chier et feal cousin, que, sans avoir regart auxd offenses de vostred filz, vous estant et démourant leal et obéissant envers nous comme bon et leal subgiet doit et est tenu d'estre envers son seigneur et prince, et ainsi que vos predecesseurs ont toujours esté envers les nostres, n'entendons a ceste cause avoir ne porter a l'encontre de vous aulcun regret, rancune ou desplaisance, ains en ce cas vous traictier aussi favorablement et benignernent que faire pourons. Nous escripvons par devers vous et vous signiffions nostre volonté et intencion, tel que dit est, et neantmoins voulons et vous mandons que incontinent cestes veues vous venés et retournés demourés en noz pais de Bourgongne ou devers nous ou ailleurs en noz aultres pais que bon vous semblera, pour y resider et nous servir noz guerres et armées et aultres noz affaires, se besoing fait, et ainsi que vous ordonnerons, sans, y faire faulte, car nostre plaisir est tel. Et ce que faires en vouldrés, nous signiffiez par ce porteur que pour ceste cause envoyons devers vous. Tres chier et feal cousin, Nostre Seigneur soit garde de vous. Escript en nostre chastel de Hesdin le XVII jour de septembre l'an LXX. CHARLES.
Au dos : A nostre tres chier et feal cousin le prince d'Orenges.

 

1487, 3 novembre. — Nantes.
Accord entre Jean de Chalon, prince d'Orange, Françoise de Laval, le maréchal de Rieux, Odet d'Aydie, comte de Comminges et Pierre du Chaffault, évêque de Nantes, pour la défense du duché de Bretagne.
(Orig. Arch. du Doubs, E 1212).

Comme ainsy soit que en tous royaulmes et principaultez division soit cause de ruyne et desolacion, et union, amictié et confederacion soit fortificacion et cause de perpétuité de pais, et soit ainsi que en ce pays et duchié de Bretaigne se soient trouvez aucuns differens et innimitiez, et plus grans se pourroient ensuyr si par bonne discrecion et prudence n'y estoit obvié et pourveu a bonne amictiez, aliances et reconciliacions faire et procurer, nous, Jehan de Chalon, prince d'Oranges, conte de Tonnerre et seigneur d'Arlay, lieutenant general du duc, Françoise, contesse de Laval, dame de Chateaubriand et de Montfort, Jehan, sire de Rieux, de Rochefort et d'Ancenis, conte d'Aumalle, lieutenant général du duc et mareschal de Bretaigne, Odet d'Edye, conte de Comminges et seigneur de Lescun, et Pierre du Chaffault, evesque de Nantes, desirans subvenir au bien de la chose publicque de cedit pays et duchié, saichans et acertenans l'un de nous du vouloir de l'autre, qui est de bien et loyaulment servir le duc, l'entretenir avec sesdits pays et subgectz en son auctorité entière, sans souffrir ne tollerer aucune chose lui entre faicte en diminucion d'icelle, a nous ensemble fait et octroié, promis et accordé bonne et loyalle amictié, consideracion et aliance, sans y pancer ne commectre fraulde ne dolozité, promectons et avons promis l'un de nous a l'autre respectivement estre bon et loyal amy, le conseiller, favorizer et aider en bien et loyaulment, servent le duc envers et contre tous ceulx que peuvent vivre et mourir, ne faire ne souffrir estre fait aucun dommaige, trouble ou empeschement en corps ou en biens, aunzois y obviera et resistera chacun de nous en son endroit a son povoir ; aussi maintiendrons et procurerons estre maintenu l'un de nous a l'autre es estatz, honneurs, offices, dignitez et prerogatives que chacun de nous avoit paravant ses heures, et s'aucun de nous a congnoissance de quelque chose faicte ou machinée ou prejudice de l'autre, oultre y resister, il la revellera a celui a qui elle touche et ne croira ne ne mectra a effect l'un de nous mauvais rapport fait de l'autre que tout premier revelacion n'en soit faicte, et la vérité en soit meurement sceue, et ainsi l'avons promis et juré par noz seremens sur les sainctz Euvangilles corporellement touchez l'un de nous a l'autre respectivement. Et en tesmoing et en plus grande corroboracion de ce, avons signé ces présentes de nos seings manuelz et fait seeller des seaulx de nos armes dont avons acoustumé a user en telz et pareilz cas. Donné à Nantes, le troisième jour de novembre, l'an mil CCCC quatre vingtz et sept. Et a tout ce que dessus a esté present Jehan, viconte de Coetmen et de Troncquadec, qui de point en autre a promis et juré tenir le contenu car dedans quel par les dessusditz y a esté receu.
J. de CHALON, Françoyse de DINAN, Jehan de R., COETMEN
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Épitaphes de Jean de Chalon, de ses épouses et de ses enfants en l'église des Cordeliers à Lons-le-Saunier (Ces inscriptions sont en caractères gothiques).

1°) Cy git / Messire / Jehan de Chalon / prince d'Oranges mary / premierement de madame / Jehanne de Bourbon et secon -/- dement de madame Phileberte / de Luxambourg, pere de mes -/- sire Phrt de Chalon prince / d'Oranges lequel trespassa le / XXVe d'avril XVc II. Dieu luy / face mercy.

2°) Cy gît dame / Jehanne de Bourbon prin -/- cesse d'Oranges premiers / femme de messire Jehan / de Chalon prince d'Oran -/- ges laquelle trespassa / le Xe jour de julet M / IIIIc IIIIxx XIII.

3°) Cy git / dame Phrte / de Luxambourg princesse / d'Oranges contesse de Charny / seconde femme de messire / Jehan de Chalon prince d'Oran -/- ges mere de messier Phrt / de Chalon prince d'Oranges / laquelle deceda le [Note : Philiberte de Luxembourg qui avait tout préparé pour reposer auprès de son mari et de ses enfants mourut au Mont-Saint-Jean en 1539 et fut enterrée à Glamont auprès de sa mère].

4°) Cy git Claude de Chalon / seigneur d'Arguel filz de / messire Jehan de Chalon / et dame Phrte de Luxam -/- bourg que trepassa ou / mois de novembre mil / cinq cens. Dieu luy face / mercy.

5°) Cy git messgnr / Phrt de Chalon / duc de Gravine / prince d'Orages conte / de Tonnerre et de Pointh -/- ieuvre viceroy de Naples / lieutenat gerl de l'apereur / en Ytalie gouverneur / de Bourgongne qui / morut le tier jour d'aoust / XVc XXX. Dieu luy face paix.

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