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LA BRETAGNE SOUS LE MARÉCHAL D'ESTRÉES

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Note : Victor Marie d'Estrées (1660-1737), duc d'Estrées, maréchal de France en 1703. Ancien gouverneur de Nantes et du Pays nantais, puis lieutenant général de Bretagne, il descend de la Maison d'Estrées. Son père Jean II d'Estrées (1624-1707), est lui aussi maréchal de France. Ce dernier épouse Marguerite Marie Morin en 1658. Son grand-père François-Annibal d'Estrées (1573–1670) est maréchal de France. Il descend par sa grand-mère maternelle, Marie de Béthune (1602-1628) de la Maison de Béthune.

Victor-Marie d'Estrées, duc d'Estrée et maréchal de France, lieutenant général de Bretagne.

On connaît assez bien les principaux incidents de ce tragique épisode de l'histoire de Bretagne qui s'appelle la conspiration de Pontcallec, l'effort des Etats pour secouer la tyrannie bureaucratique que le grand roi leur avait imposée et pour reprendre la libre gestion de leurs affaires (1715), les premières concessions du pouvoir mal affermi du régent (1716), puis l'essai de réaction, les violences du maréchal de Montesquiou, la session mouvementée de 1717-18, les tentatives de résistance légale (1718), les préparatifs d'insurrection, les assemblées de Lanvaux (8 avril 1719), de Moncontour (12 juin), de Questembert (21 juin), les premières escarmouches, puis les hésitations, la reculade des uns (octobre), les révélations des autres, bref, la débandade complète en décembre, la fuite en Espagne de MM. de Rohan, de Bonamour, de Lambilly, de la Beraye, l'arrestation et bientôt l'exécution de MM. du Pontcallec, de Montlouis, du Couédic et le Moyne de Talhouët. Ce que l'on connaît moins, ou plutôt ce que l'on connaît très mal, c'est l'histoire des années qui suivirent. On se représente assez volontiers la Bretagne terrifiée et domptée par ce sanglant dénouement de son rêve de liberté, ses Etats votant dans le silence de la soumission les subsides demandés, bref, le calme naissant de la violence même de l'orage jusqu'au jour où, trente ans après environ, la Bretagne sort de sa léthargie pour engager de nouveau la lutte contre l'absolutisme du gouvernement central. C'est bien en effet l'impression qui se dégage de la lecture du seul travail d'ensemble qui ait encore été consacré à l'histoire de notre province depuis la réunion, les Etats de Bretagne de M. de Carné. Entre 1720 et 1752, nulle session ne lui semble digne d'être signalée. A peine note-t-il en 1736 quelques symptômes du réveil de l'esprit d'opposition. Combien cette opinion cadre peu avec la réalité des faits ! Pour être moins dramatiques, moins mêlés aux incidents de la politique générale française, les événements de cette époque n'en révèlent pas moins l'existence d'une opposition active, énergique, persévérante, et c'est ce que je voudrais montrer tout d'abord par l'étude des 17 premières années de cette période (1720-1737).

I.

L'exécution des quatre gentilshommes, agents principaux ou secondaires de la prise d'armes qui venait d'échouer, ne supprimait pas la difficulté chronique qui embarrassait périodiquement le gouvernement dans ses rapports avec la population bretonne, je veux dire la nécessité de faire renouveler tous les deux ans par les Etats l'autorisation de percevoir les impôts existants ou d'en établir de nouveaux. Il n'avait pas osé les convoquer, comme il aurait dû le faire, en 1719 ; on était alors en pleine crise, et le garde des sceaux écrivait le 11 octobre au maréchal de Montesquiou qu'il ne s'agissait pas encore de déterminer le lieu où les Etats s'assembleraient, ni l'ordre qu'on y devait apporter. Mais on ne pouvait tarder indéfiniment, et en 1720, on se décida à convoquer les Etats à Ancenis ; on espérait ainsi, en plaçant le siège de l'assemblée à l'une des extrémités de la province, diminuer l'affluence des gentilshommes qui puisaient dans leur nombre une force de résistance incalculable. On n'était pas cependant sans inquiétudes, comme le prouvent les instructions remises le 18 août aux agents du roi. Elles portaient en effet :
1° que si le don gratuit n'était pas voté par acclamation, suivant l'usage introduit il y avait un peu plus de quarante ans par le duc de Chaulnes et sur lequel les Etats avaient voulu revenir en 1717, il fallait arrêter aussitôt tout travail et envoyer un courrier au roi ;
2° que s'il était voté par deux ordres, il fallait passer outre à l'opposition du troisième ;
3° que toute députation à la cour était interdite ;
4° que nulle proposition ne devait être discutée avant que les présidents des ordres n'en eussent conféré avec les commissaires du roi ;
5° que la capitation ne serait pas abonnée, mais perçue directement par les agents du pouvoir central ;
6° qu'il ne devait être toléré ni bureaux diocésains, ni commissions quelconques. Nous verrons bientôt cette dernière clause devenir le pivot de la lutte qui va s'engager.

Ces instructions étaient un refus péremptoire de déférer aux vœux des Etats sur les grosses questions agitées dans leurs assemblées depuis cinq ans. A côté de ces points fondamentaux, la province avait d'autres griefs dont on trouve l'énumération dans les remontrances dressées à chaque session pour être mises sous les yeux du roi. Au rebours de ce que l'on pourrait croire, ces remontrances ne touchent en effet que des points secondaires ; les Etats se plaignent par exemple qu'on ait supprimé en 1714 le juge breton de l'île de Bouin, ce qui est un acheminement à l'union de cette île au Poitou, union d'ailleurs réclamée depuis longtemps par les habitants (art. 3), des édits de mars 1707 et janvier 1715 qui créent ou rétablissent après leur union en 1710 aux seigneuries qui les avaient rachetés pour diminuer le nombre des degrés de juridiction, qui créent, dis-je, dans les justices seigneuriales des juges gruyers pour les eaux et forêts, nécessaires, déclare le roi, pour empêcher les seigneurs ecclésiastiques de dégrader leurs bois dont ils ne sont que les usufruitiers (art. 6), du rétablissement par édits des 23 janvier et 3 juillet 1717 des commissaires enquêteurs et certificateurs de criées pour les appositions et levées de scellés, enquêtes, interrogatoires, inventaires, bannies à fin de saisie réelle, etc, de leur prétention d'imposer leur ministère pour certifier les bannies à fin d'appropriement qui en Bretagne sont certifiées en justice, et d'exiger un droit par chaque héritage et fief, ce qui fait que les tenanciers du domaine royal abandonnent leurs terres pour aller chez les seigneurs. Les Etats se plaignent encore de la multiplicité des bureaux d'insinuation qui est telle qu'on ne sait où aller pour connaître les mutations (art. 11), de l'absence d'un règlement pour les contrôles (art. 10), de ce qu'on paye en assignations les gages des officiers des Etats (art. 12), du rétablissement en 1702 et 1704 des offices d'arpenteurs, greffiers de Fécritoire et experts rachetés en 1701. Il y a même un article 1 qui est en quelque sorte de style, dans lequel les Etats demandent que les bénéfices de Bretagne soient réservés aux ecclésiastiques bretons, ce à quoi le roi, feignant de ne pas comprendre la portée de la demande, répond invariablement que puisque les Bretons reçoivent des bénéfices en dehors de la province, il y a compensation. Il en est de même de la suppression des étapes, rations, quart d'hiver, garnison et logement des gens de guerre, toujours demandée (art. 5), toujours ajournée. Les Etats n'ont obtenu satisfaction que sur trois points : suppression de cette foule d'offices de maréchaussée, créés en juillet et décembre 1708 et octobre 1713, qui avaient fait monter ce fonds de 4.000 à 20.000 livres, et tous complètement inutiles, comme ceux que le grand prévôt exerce, ou incompréhensibles, comme celui de trompette, « la fonction de la maréchaussée étant de poursuivre les voleurs et les bandits et de marcher à la sourdine pour les découvrir » (art. 2) ; 2° les baronnies ne comporteront plus le droit de présider la noblesse que si leur acquéreur est d'ancienne extraction (art. 4) ; 3° suppression des offices de commissaires aux décrets ou ventes à l'amiable qui augmentaient les droits et arrêtaient ainsi la circulation des immeubles (art. 7) [Note : Dans les session suivantes, je note à la répétition des mêmes plaintes, pour Bouin (1720), etc., de petites affaires, usurpation par le domine des îles et îlots (1722 et 1724), lettres de chancellerie que l’on exige pour les émancipations (1722, 1724), por les bénéfices d’âge et d’inventaire (1730), évocation à des tribunaux étrangers de procès entre Bretons (duc de la Trémouille, compagnie des Indes, 1722, 1724), application du droit des sceau aux rôles des fouages, du centième denier aux domaines congéables, de l’amortissement aux hôpitaux et écoles de charité, puis des demandes beaucoup trop générales, suppression du casernement, 1720, de la capitation trop inégalement répartie, 1720, 1730, des avocats du roi dans les juridictions royales, 1720, rétablissement de la liberté du commerce, 1720, 1730, le monopole de la Compagnie des Indes empêchant la formation de toute espèce de sociétés, entreprises ou armements et faisant disparaître le commerce breton (1720)]. C'était tout et c'était maigre.

Il était un point cependant qui tout en n'étant qu'une simple question de personne, avait sa grosse importance et sur lequel les Etats obtenaient gain de cause, c'était le remplacement comme commandant en chef du violent et passionné maréchal de Montesquiou par le maréchal d'Estrées.

Victor-Marie, comte, puis duc d'Estrées, vice-amiral de France, maréchal, chevalier des ordres du roi, grand d'Espagne et chevalier de la Toison d'Or, était alors dans sa 60ème année. Entré dans la marine à l'âge de 18 ans, il s'y était distingué en de nombreuses circonstances. Membre de l'Académie française et membre honoraire de l'Académie des Sciences et de celle des Inscriptions, c'était plutôt cependant un amateur des lettres qu'un professionnel. En l'absence du gouverneur de la province, le comte de Toulouse, qui ne faisait guère les fonctions de sa charge, il se trouvait, comme lieutenant-général du comté nantais, charge qu'il possédait depuis la mort de son père (1707) et que celui-ci avait lui-même obtenue en 1701 après la mort d'un vrai breton, Rosmadec de Molac (1699), un des deux plus grands personnages officiels de Bretagne. Son père avait tenu les Etats en 1689 et 1697, et depuis 1701 jusqu'à 1707 il avait eu le commandement en chef en Bretagne. Par son mariage avec une Noailles (1698), le maréchal se trouvait le beau-frère du marquis de Coëtquen, dont la famille avait jadis été puissante en Bretagne, mais qui tendait de plus en plus à n'être qu'un breton de Paris. Toute la politique du maréchal d'Estrées tient dans ce fragment de lettre qu'il écrivait le 4 octobre 1720 au contrôleur-général : « Il s'agit de calmer et de tranquilliser une province qui a été si fort agitée, j'estime que pour y parvenir, il faut préférer la voie de la douceur et de l'insinuation à celle de l'autorité. Je crois même que pour le bien du service du roi, il vaut beaucoup mieux que les affaires qui se traitent aux Etats se terminent par leur consentement volontaire et avec la satisfaction de tous les particuliers qui les composent ; cela donne un peu plus de peine, mais ce que l'on fait est bien plus solide et n'a jamais de retour ». Tout en demeurant l'agent du roi, et sans cesser de poursuivre l'exécution de ses exigences, le maréchal, on le voit, savait respecter ceux avec lesquels il négociait.

II.

« Il y a longtemps, écrivait le 17 septembre 1720 M. de Tressan qui présidait les Etats comme évêque de Nantes (Louis de la Vergne de Tressan), qu'il ne s'est rassemblé une si grande quantité de noblesse (400 environ). Ils paraissent bien intentionnés et ils sont dans l'esprit de montrer par leur conduite que le trouble des derniers Etats n'est venu que par la faute du maréchal de Montesquiou ». C'était leur éternelle et habile tactique. Cinquante ans plus tard, on criait en pareille circonstance : Vive Duras ! A bas d'Aiguillon ».

L'affaire des charges des officiers des Etats et l'affaire des fermes que ceux-ci craignaient de voir adjuger à la compagnie des Indes, ce qui aurait pu porter le gouvernement à continuer le bail par arrêt du Conseil et à ne plus convoquer les Etats, étaient les deux grosses affaires de la session. « La troisième sera la grâce qu'ils veulent demander pour les particuliers de la province, accusés et jugés dans la chambre royale de Nantes. Ils doivent me venir trouver (c'est toujours M. de Tressan qui parle) pour concerter la délibération la plus respectueuse et la plus soumise pour implorer la clémence de S. A. R., ils conviendront dans cette délibération, de la faute de ceux qui ont été accusés ou condamnés, ils disent même que parmi ceux qui ont été exécutés, on a eu une espèce de considération pour la province, que Pontcallec était l'objet du mépris de tout le monde, qu'un d'eux (Montlouis) n'était point de la province, et que les deux autres étaient dans une si grande pauvreté, qu'ils étaient à charge à tout le monde ». Malgré ces bonnes dispositions, M. de Tressan préférait le silence, et il était tout heureux d'écrire le lendemain qu'il avait réussi à éluder l'affaire.

Les Etats s'étaient ouverts le 17. Comme d'habitude, une députation composée des évêques de Léon, M. Jean-Louis de la Bourdonnaye, de Rennes, Christophe-Louis Turpin de Crissé de Sanzay, des abbés de Langonnet. Claude de Marbeuf et de Beaulieu, François Botherel de la Bretonnière et des chanoines délégués de Nantes (M. de Courtalvert) et de Saint-Brieuc (M. de la Lande) [Note : Clair-Gervais de la Lande, fils de François de la Lande, seigneur de Calan, et de Marie du Boisgelin, né à Plérin en 1687, mort à Saint-Brieuc en 1738. Il fut député du chapitre de Saint-Brieuc aux Etats d'Ancenis où il fit partie de l'importante commission des baux, de celle de vérification de l'état de fonds et calcul d'intérêts des avances arrêtées en sa dernière tenue et de celle des procès, toutes trois présidées par son évêque, de la commission pour l'examen du compte de l'ordinaire, que présidait Claude de Marbeuf, abbé de Langonnet, ainsi que de la députation qui fut envoyée le 14 octobre à l'évêque de Saint-Brieuc à cause de son indisposition], pour l'église, de MM. Du Boberil du Mollan, de la Chasse, de Sesmaisons, le comte du Brossay, le marquis du Bois de la Motte et de Liré pour la noblesse, des députés d'Ancenis, le sénéchal du Vau, de Moncontour. l'allouè Morin du Portmartin, de Châteaubriant, le syndic le Roy des Guillardais, du maire de Vannes, le Verger de Kercado, de MM. de la Croix, député de Rennes, et Sauvaget, député de Nantes, sortit en habits de cérémonie, le héraut en tête, revêtu de sa cotte d'armes, et se rangea au bas du théâtre pour recevoir les agents du pouvoir. Il y avait là, à côté du maréchal, le premier président de Brilhac, l'avocat général au parlement de la Villeguérin et le procureur général de la chambre des Comptes de la Tullaye, l'intendant et premier commissaire Feydeau de Brou, l'ami de Montesquiou, avec lequel il avait lutté contre la Bretagne et que Paul Féval a si puissamment ridiculisé dans la Louve, de la Bourdonnaye de Blossac, le futur intendant, alors second commissaire, le trésorier général Bouchard, le receveur général des finances de la Boessière et le receveur général des domaines des Grassières. Le maréchal et M. de Brilhac firent chacun un discours, et M. Jean-François Bossard du Clos, substitut du procureur syndic, répondit au nom des Etats.

Le lendemain 18, les commissaires du roi ayant fait leur entrée aux Etats avec le même cérémonial, M. de Brou fit connaître aux Etats les demandes du roi, notamment le don gratuit pour trois ans, 1720, 1721 et 1722. C'était une suite de l'irrégularité que l'on avait commise en n'assemblant pas les Etats en 1719, on essayait de la sorte d'avoir un an de tranquillité de plus. Mais les Etats s'émurent. Alors qu'en 1630 on avait substitué la session biennale à la session annuelle, ne se disposait-on pas à la rendre triennale ? Le don gratuit ne fut pas accordé par acclamation, et l'on alla aux chambres. La délibération fut longue, M. de Tressan dut promettre que cela ne se renouvellerait pas, et sur cette assurance le vote fut unanime. Le premier cap des tempêtes était franchi. On se trouvait alors en présence de l'affaire des charges qui allait donner lieu, comme l'écrivait le 24 M. de Montaran, à quelques mouvements, et soulever un peu de vivacité et de chaleur. Les concurrents étaient nombreux pour les deux places. Pour celle de procureur général syndic, c'étaient le marquis du Breil de Rays, le comte de Coëtlogon, le sénéchal de Nantes Charette de la Gascherie, fort appuyé par le tiers-état, le président au parlement, Charles-Elisabeth Botherel de Bédée, MM. de Calloet, des Tréhans, de la Villemeneust, Berthou, douteux et peu convenable, disaient les commissaires du roi, et par-dessus tous les plus capables, le chevalier Champion de Cicé et M. du Bouëxic de Guichen. Bédée obtint la majorité dans l'église et dans le tiers, mais la Villemeneust obtint dans la noblesse 80 voix contre 60 à Bédée (on voit combien le chiffre des gentilshommes inscrits donne peu la note du chiffre des présents, puisque plus de la moitié des inscrits était déjà repartie pour ses domaines). Cette marque d'hostilité à Bédée, accompagnée de propos très mortifiants, alarma fort les commissaires, on fit venir la Villemeneust, on lui fit savoir que ses démarches pouvaient ne pas être agréables en haut lieu, parce qu'elles mettaient la dissension dans la noblesse : la Villemeneust effrayé engagea ses amis à ne pas protester et Bédée, élu par deux ordres, prêta serment le 24. Pour le trésorier, le même résultat se produisit, et M. de la Boessière, élu par l'église et par la noblesse, fut installé contre l'élu du tiers, M. Dondel, sénéchal de Vannes. Il eut d'ailleurs beaucoup de mal, non seulement à se faire recevoir, mais même à obtenir la majorité dans la noblesse où un fort parti, après avoir mis en avant les noms de MM. de Jacquelot et de Bourgneuf, s'était rallié autour du nom de M. Bourret et faillit lui assurer la majorité, au grand scandale des commissaires, qui faisaient observer qu'il était inéligible, n'ayant pas obtenu l'agrément du roi, et surtout de M. de Brilhac, qui, aussi violent que l'intendant, s'indignait que les Etats réclamassent une liberté plus étendue et proposait au maréchal de faire taire les opposants (lettre du 24 septembre).

Tout allait donc, comme l'écrivait Montaran, uniment et fort vite, la moitié des gentilshommes présents désirant s'en retourner pour les vendanges. « Hier, écrivait le 1er octobre M. de Tressan, on nous proposa de la part de MM. les Commissaires la gratification pour M. le Maréchal et Mme la Maréchale ; nous avons donné 15.000 liv. à Mme la Maréchale. On nous proposa les gratifications de la cour et nous les avons passées. On nous proposa les fonds pour les étalons ainsi qu'ils sont couchés dans l'instruction et nous n'avons pas suivi dans ce point-là l'instruction, nous avons ordonné qu'il en serait fait fonds, mais que l'argent serait employé par les commissaires des haras établis par les états dans les diocèses (c'était la suite de la lutte engagée dès 1716 contre les empiétements de la bureaucratie royale). Nous réglâmes tout le reste de l'état de fonds, où nous n'avons rien changé qu'un retranchement fait aux généraux des finances ».

Un passage de la même lettre va nous montrer combien parfois étaient mobiles les résolutions de la noble assemblée. Les commissaires du roi avaient proposé d'abonner les étapes et les quartiers d'hiver. Il y avait dans tout abonnement deux points à considérer : l'un était à l'avantage de la province, c'était elle qui réglait le mode de perception de l'impôt, les agents du fisc royal ne pouvaient y fourrer leurs mains âpres et crochues, les Etats pouvaient même, si l'impôt leur semblait particulièrement gênant, le remplacer par un autre qui leur paraissait devoir rentrer avec plus de facilité. La province souffrait donc moins. M. de Tressan soutenait qu'en trois ans la Bretagne y gagnerait plus de 1.100.000 liv. ; que ce que l'on avait payé jusqu'ici au cours d'une année, payait tous les fonds qu'on leur demandait pour les trois ans, et qu'il considérait si bien la mesure comme une faveur qu'il l'avait sollicitée avec grande attention. Seulement, il y avait le revers de la médaille. Accepter l'abonnement, c'était donner l'existence légale à cet impôt dont on demandait la suppression, c'était en facilitant sa perception renoncer à l'espoir que le roi, reculant devant les conséquences vexatoires de sa politique financière, consentît à la modifier. Tandis que certains bretons, comprenant mieux la position, se sentaient les chargés d'affaires d'un petit pays, dans l'impossibilité de dicter ses lois au puissant voisin auquel l'avait lié le mariage de sa souveraine, et se bornaient à reculer l'heure et à atténuer la portée de la capitulation ; d'autres, par ce sentiment de dignité intransigeante qui les anima si souvent, se refusaient à souscrire à leur propre abaissement, et devant le couteau du vainqueur voulaient s'abandonner tout entiers sans discussion, espérant qu'il reculerait devant les conséquences d'une pareille immolation. C'était un pou la fameuse politique du tout ou rien, nous dirions volontiers, avec un Nantais célèbre, la politique du bloc. Or, à peine M. de Tressan avait-il fini de parler, qu'un maudit pédant du corps de la noblesse s'avisa de dire que les abonnements étaient dangereux, et qu'à l'égard de la cour on pouvait dire que puisque le marché était si bon pour le présent, timeo Danaos et dona ferentes, et sur ce beau dictum, l’abonnement a été rejeté. Le seul ordre de l’Eglise a été d’avis de l’accepter. « Je tiens, continue M. de Tressan, que leur refus est infiniment avantageux à S. M., mais je n'ai pu ne pas être affligé de leur sottise. Je crois qu'il convient pour le bien du service du roi que dans l'arrêt qui sera rendu pour la levée des quartiers d'hiver, vous mettiez dans le préambule l'offre qu'a faite S. M. aux Etats d'un abonnement. Vous indisposerez par là les peuples contre la noblesse, et vous ferez perdre à ce corps la confiance parmi eux ». Diviser pour régner, il faut que le despotisme soit bien mal affermi pour qu'au lendemain d'une sanglante exécution, il ait besoin de recourir à de pareilles armes.

Restait l'affaire des fermes. La commission chargée le 19 septembre de dresser les conditions du bail des devoirs et qui avait pour président l'évêque de Saint-Brieuc, comprenait l'abbé de Saint-Maurice, Guillaume de la Vieuville, les chanoines Caulet (de Nantes) et de la Lande (de Saint-Brieuc), le comte de Rezé, MM. de la Roche l'Epinay, de Calloet et de Bruc de Vieillecour, de la Croix (de Rennes), l'alloué de Quimper, Billouart de Kervasegan, le lieutenant de Guérande et le lieutenant de Savenay ; elle communiqua le 30 son rapport aux Etats et la discussion commença le 1er octobre. Quelques gentilshommes s'étaient mis en tête qu'il fallait que les Etats eussent un intérêt dans leurs fermes, on décida donc qu'ils s'y réservaient un sol d'intérêts dont le fermier général ferait l'avance. C'était un moyen de connaître le véritable produit des fermes, en obligeant le fermier à un compte exact, et d'éviter ainsi les augmentations de droits, les diminutions de prix, les indemnités considérables que, sous prétexte de pertes subies, réclamaient les fermiers qui cependant réalisaient d'immenses fortunes au milieu de leurs plaintes incessantes. Les Etats supprimaient le redoublement du droit annuel, réduisaient le droit de jaugeage, suspendaient jusqu'aux prochains Etats la levée des droits des inspecteurs aux boissons, demandaient enfin à résilier l'adjudication faite en 1712 du droit de 45 s. par barrique d'eau-de-vie sortant de Nantes. Les commissaires du roi refusèrent d'abord, puis, pour éviter les embarras, cédèrent sur la question des intérêts sous réserve de l'approbation royale. « La complaisance que M. le Maréchal a eue dans cette circonstance, écrivait M. de Tressan le 4 octobre, lui fait un mérite infini auprès des Etats, l'accrédite au-delà de tout ce que je puis vous dire et contribue fort au bien du service du roi. ». Et il en fut toujours ainsi à toutes les époques. Les gouverneurs ou les commandants qui se trouvèrent en face de ce que l'on est convenu d'appeler les diètes polonaises de Bretagne, ne le durent qu'à leur rudesse ou aux ordres particulièrement violents dont ils se trouvèrent être les exécuteurs. La réponse du roi arriva le 10 octobre. Il allait faire communiquer aux adjudicataires du droit de 45 s. la demande des Etats, mais pour la question des intérêts, il lui semblait indigne des Etats, qu'ils se trouvassent exposés à être représentés par un fermier. Ces termes bienveillants touchèrent l'assemblée, et malgré les efforts de quelques gentilshommes qui firent remarquer que sous ces apparences polies, c'était bel et bien un veto royal, les Etats rédigèrent le bail dans le sens voulu par les commissaires du roi. Seulement, au moment de l'adjudication, nouvelle affaire. La noblesse, craignant que les adjudicataires qui se présentaient ne fussent les agents de la compagnie des Indes, voulut d'abord donner la préférence à l'ancien fermier, puis se rabattit à demander les noms des cautions. Tressan parla avec tant de force, que la proposition échoua dans l'église et dans le tiers, mais la noblesse, vivement agitée, conserva pendant quelque temps une telle aigreur, que les commissaires du roi eurent quelque peine à faire passer leurs dernières demandes dont plusieurs même furent rejetées : la maréchaussée pour laquelle ils ne voulaient accorder que 11.500 liv. au lieu des 19.000 demandées ; les grands chemins, où après un refus pur et simple, M. de Tressan réussit, à force de condescendance, à remettre l'affaire en délibération, mais ne put enlever le vote qu'à condition que les Etats auraient l'entier maniement des fonds et nommeraient à cet effet des commissaires dans chaque diocèse ; les haras, où les Etats voulaient faire faire les achats par leurs commissaires, tandis que le directeur général, M. de Brancas, voulait les faire lui-même et réduire les commissaires bretons au rôle de surveillants. Le gouvernement finit par céder. « Les Etats, écrivait le maréchal le 19 octobre, n’ont d’ailleurs pas trop de tort en cela, depuis la mort de M. Colbert ils donnent à chaque tenue une somme d’argent que ceux que étaient chargés de l’administration mettaient dans leur poche, n'envoyant dans la province que quelques vieux chevaux bons tout au plus à jeter à la voirie ». Ainsi, moyennant quelques concessions réciproques, tout se calma, et la session fut close le 22 octobre. « Ils ont demandé, écrivait le maréchal, à retrancher de l'excédant un second quart de redoublement des fouages. Je l'ai permis pour en finir. Tout le monde part avec une grande satisfaction, j'espère que les bonnes nouvelles que chacun portera dans son canton ne contribueront pas peu à assurer la tranquillité de cette province ». La seule inquiétude de M. de Brou, c'était que les gentilshommes qui dans les deux dernières années tenaient la main pour empêcher la fraude parce que le fermier leur était agréable, ne fussent les premiers à la favoriser, toujours dans le but de contrarier les agents cachés de la fameuse compagnie (lettre du 2 octobre). Tout cela nous montre combien le gouvernement sentait son autorité mal affermie. Rien n'est intéressant, à ce point de vue, comme la correspondance de M. de Coëtquen, qui commandait alors sur la côte nord de Bretagne. Pendant tout le courant de l'année 1721, il n'est question que de débarquements suspects, d'étrangers, d'émissaires signalés en Bretagne, on surveille Mme de Bonamour, on parle ds la rentrée de plusieurs proscrits, du comte de Saint-Gilles par exemple, un des chefs du pays de Rennes, on n'ose pas convoquer les milices garde-cotes pour les revues et les exercices annuels, de peur qu'une fois munis d'armes, les chefs ne les entrainent à l'insurrection (nov. et déc. 1720, janvier, avril, mai, juin 1721). Partout l'hésitation, l'incertitude, l'inquiétude, nulle part la belle confiance que l'on se plait trop communément à attribuer aux agents du pouvoir.

III.

La session de 1722 s'ouvrit le 17 décembre à Nantes. « Malgré l'agitation qu'on a voulu mettre dans la province, écrivait l'évêque de Nantes le 18, nous aurons des Etats dont la durée ne sera pas longue ». L'intendant était moins rassuré. « Ils sont ici en très grand nombre, écrivait-il, et je crains que plusieurs ne soient venus en intention de faire quelques tracasseries ». Rien cependant ne vint justifier ces craintes. Lors du vote sur le don gratuit, que le tiers proposait d'accorder sur le théâtre, c'est-à-dire d'acclamation, la noblesse réclama les Chambres il est vrai, mais c'était, écrit le trésorier-général, moins pour délibérer que pour faire montre de son zèle, voulant chacun donner personnellement sa voix. Quelques gentilshommes voulurent mettre à l'accord du don gratuit des conditions, les uns « que S. M. seroit suppliée de vouloir bien en accepter moitié en billets de banque », les autres « qu'il ne leur seroit fait aucune autre demande pendant le cours de cette tenue ». Leur avis ne prévalut pas, le don gratuit fut voté sans conditions, l'imposition des fouages et la ferme des impôt et billot consentie. « Voilà deux grandes affaires terminées, écrit le 22 l'évêque de Nantes ». L'inquiétude et l'agitation qu'il signalait dans les esprits de plusieurs de la noblesse n'avaient guère trait qu'à des questions de règlement. « Nous prîmes samedi une délibération pour exclure du corps de la noblesse ceux qui n'y devoient pas étre admis. Nous crûmes devoir proposer un avis qui, suivant leur esprit, devoit être suivi : ils vouloient qu'on fut obligé de prouver jusqu'au 4e degré (on n'admettait de la sorte que les arrière-petits-fils d'anoblis, dont les pères avaient partagé noblement) pour être admis aux Etats. Il fallut nous rendre à ce qu'ils désiroient, et la proposition que nous avions faite que les officiers de guerre qui servent le roi pussent avoir entrée aux Etats lorsque leurs pères avoient été anoblis fut rejetée. On rejeta aussi ce que nous avions proposé que, pour fixer au 4e degré l'entrée aux Etats, on eut recours à MM. les commissaires du Roi pour faire autoriser la délibération. Nous consumâmes toute la matinée du samedi à prendre une résolution sur cette affaire, et rien ne fut plus bruyant ni plus tumultueux que ce qui se passa ce jour-là. Le lendemain, on proposa de changer la délibération et de confirmer l'ancien usage des Etats par lequel l'entrée en est permise à ceux qui ont partagé noblement (petits-fils d'anoblis). Je m'opposai. quelque temps à ce changement, soutenant que la chose ayant été prononcée, ils ne pouvoient plus varier. J'avais mon dessein formé qui réussit. Je leur dis que je croyois que leur délibération etoit contre les règles, que je me rendois à ce qu'ils désiroient à condition qu'ils me donneroient leur parole d'honneur qu'à l'avenir il ne seroit plus proposé de rien changer à ce qui avoit été une fois prononcé dans les Etats : je coupe court par là à un chamaillis qui arrive toujours lors des lectures des délibérations, où chacun voudroit ajouter du sien ».

Une autre affaire agitait fort la noblesse. M. de la Trémoille avait entrepris la réformation de ses seigneuries de Vitré et Montfort : ces réformations étaient la ruine des vassaux dont les titres étaient rarement au complet et qui, si même ils étaient en règle, se trouvaient engagés à des frais considérables. Aussi, craignant l'indulgence du Parlement de- Bretagne, M. de la Trémoille demanda des lettres évoquant l'affaire au Conseil, et le gouvernement, enchanté d'être désagréable au grand corps judiciaire dont il avait à se plaindre, s'empressa de les lui accorder. L'exaspération fut grande. « Il y a même eu, écrit M. de Brou le 26 décembre, des avis tendant à exclure M. de la Trémoille de la présidence aux Etats, en disant que puisqu'il renonçoit à la province, il falloit que la province renonçat à lui. Ce sentiment n'a pas été suivi et même n'a été proposé que par 15 ou 20 gentilshommes plus échauffés que les autres, mais il a été nommé une commission pour examiner cet arrêt ».

Les correspondances officielles, tout en dénonçant à chaque instant « le ton de difficulté et de contrariété auquel les Etats étoient montés et qui n'avoit jamais eu de pareil » se plaignant que « non seulement il ne se propose rien qui ne soit contesté, mais que plusieurs particuliers forment tous les jours des monstres pour les combattre sur des affaires dont il n'est point question, » (d'Estrées, 11 janvier), reconnaissent cependant « qu'avec de la patience on les ramène à la raison », et finissent toujours par avouer que « l'affaire n'a point souffert autant de difficulté que nous le craignions ». Les deux épisodes les plus vifs (l'exclusion du gentilhomme qui avait manqué à M. de Béthune, et un duel pour une question de préséance qui amena mort d'homme), ne sont même pas relatés dans les lettres officielles, ce qui porte à croire que ces querelles ne touchaient point à la politique. L'affaire des droits dont le gouvernement voulait le rétablissement ou l'abonnement était cependant un gros morceau qu'il semblait difficile de faire avaler sans protestations aux Etats.

Rétablir par deux arrêts du Conseil dans lesquels les Etats n'étaient point nommés et qu'on ne leur avait point fait signifier, des droits aliénés par le roi à leur profit, anéantir de la sorte des aliénations confirmées par des déclarations du roi et par les contrats passés entre les Etats et ses commissaires, cela ne pouvait sembler aux Bretons un procédé équitable. L'évêque de Nantes n'était pas sans inquiétude. « Le Tiers, écrivait-il le 29 décembre, qui connoit les vrais intérêts des peuples, portera à l'abonnement, il sera rejeté par la noblesse, laquelle agit assez souvent et sans principes et sans lumières. Je ne sais que penser du parti que prendra l'Eglise, je suis sûr de cinq des évêques et des abbés, mais il y a un évêque dont je ne suis pas sûr, et peut-être formera-t-il une cabale parmi les bas Bretons qui fera échouer notre abonnement ». Or, sans l'abonnement, les évêques de Basse-Bretagne étaient convaincus que le roi ne pourrait faire de levées dans leurs diocèses qu'avec des troupes. M. de Trossan, malgré toute son habileté, n'était pas pleinement rassuré. « Ne croyez pas, écrivait-il, qu'ils ne me rendent quelque sorte de justice ici, ils conviennent que je sais mieux leurs affaires qu'eux-mêmes, ils conviennent que jamais personne ne les a servis plus utilement ni avec plus de zèle que je l'ai fait ; mais au milieu de tout cela ils sont persuadés (et ils ont raison de le croire), que mon attachement pour S. A. R. prévaut sur tout. Je les trouve en garde contre moi, et je ne les force à venir de mon avis qu'en les caressant, qu'en leur faisant des politesses, qu'en leur parlant ferme et les grondant quelquefois ».

Fort heureusement pour lui, M. de Tressan trouva moyen « d'engager le tiers à former son avis avec nous, » et la noblesse qui « ne vouloit pas entendre parler des droits nouveaux » ne put faire prévaloir son sentiment. Une grande part de ce résultat devait être attribuée à la « bonne conduite » du président du tiers, Charette de la Gascherie ; mais il s’en fallait que l'affaire eût été tout d'une voix. — « Elle a reçu de très grandes contradictions, écrivait M. de Tressan le 5 janvier 1723 au ministre qui semblait mécontent des termes de la délibération, nous avons fait représentations sur représentations à MM. les commissaires et pour pouvoir conduire les Etats à ce que le roi désiroit, je me suis prêté en apparence à leurs idées…. Pour notre argent nous vous avons donné quelques paroles,….. nous ne pouvons point parler un langage différent de celui de notre délibération, ….. et pourvu que vous nous laissiez parler notre langage, lorsqu'il s'agira des intérêts du roi, nous vous donnerons tout ce que nous pourrons vous donner…. Enfin l'affaire a réussi. Ce succès assure au roi un payement sûr et certain, sans fouler ses sujets de cette province, et il ne faut pas vous le dissimuler, malgré la fidélité gravée dans le cœur de tous tant qu'ils sont, elle en assure la tranquillité ».

Les grandes affaires étaient terminées. Il y eut bien sur les conditions du bail du droit de jaugeage quelques difficultés. « Comme il y a surtout des Nantois dans la noblesse, écrit le maréchal d'Estrées le 11 janvier, et que leur revenu consiste en vin, ils disputent le plus qu'ils peuvent pour diminuer les droits, quelques-uns même disent pour que la fraude se fasse avec plus de facilité ». Pendant plusieurs jours, les députations se succédèrent sans interruption près des commissaires, réclamant avec acharnement la modification du bail ; les commissaires finirent par dire qu'ils y consentaient si les Etats prenaient l'engagement, en cas d'insuffisance, d'augmenter les fouages ou de rétablir les droits d'inspecteurs aux boissons. Les Nantais, redoutant fort cette dernière éventualité, et se rendant compte que les huit autres évéchés ne consentiraient jamais à la première, cessèrent leurs instances, et rien ne fut changé au bail. Un petit orage soulevé par l'arrêt du 15 décembre, relatif au droit de 45 s., bien vite apaisé par un nouvel arrêt, quelques difficultés dans la noblesse pour nommer député en cour M. d'Assigné, qui ne passa qu'à dix voix de majorité, occupèrent les derniers jours de l'assemblée, ainsi que le règlement de l'affaire des épices entre la noblesse et la Chambre des Comptes. Un dernier incident se produisit le 21 janvier; après l’adjudication, le maréchal voulut accorder un tiercement et renouveler les enchères. Le procédé était inusité et irrégulier, il causa beaucoup de rumeur et le maréchal eut beaucoup de peine à empêcher qu'en pleins Etats on ne lui fit sur cette affaire une représentation « qui n'auroit pas convenu ». Tous les esprits y étaient disposés ; grâce à la sagesse des présidents des ordres, l'inconvénient fut évité. Le maréchal prit des informations et le lendemain annula le tiercement. « Il n'a été question d'aucune destitution des officiers des Etats, écrivait-il le 21 janvier avec satisfaction, quoiqu'il en ait été fort parlé dans le commencement de l'assemblée. Il me paroit que tout le monde en est content et avec raison ». La clôture eut lieu le 26 janvier : cette session qu'on croyait devoir être si longue et si tumultueuse, n'avait duré que 42 jours.

IV.

Somme toute, pour me servir des expressions de M. de Brou (Arch. nat. G, 203 et H, 240 et 545), la session de 1720 avait été assez tranquille et celle de 1722 à peu près semblable. Mais des symptômes inquiétants s'étaient déjà révélés ; sans doute on n'avait pas heurté de front l'autorité du roi, mais les Etats avaient été remplis de tracasseries, ils avaient commencé à faire des règlements de leur seule autorité, à prendre des délibérations qu'ils avaient mises en exécution sans les faire autoriser, et surtout, j'aurai bientôt à montrer l'importance de ce dernier grief, à nommer des commissions chargées de diverses besognes pendant l'intervalle des sessions, ce qui ne tendait à rien moins qu'à rendre permanente l'autorité des Etats.

Ces symptômes n'allaient pas tarder à devenir plus alarmants. La province semblant un peu calmée, on crut sans danger pouvoir assembler les Etats en 1724 à Saint-Brieuc. Au point de vue gouvernemental, c'était une faute. Situé beaucoup plus au centre de la Bretagne que Nantes et surtout qu'Ancenis, Saint-Brieuc était un lieu de ralliement beaucoup plus accessible à la majorité des gentilshommes, et le pouvoir était assuré de les trouver en nombre devant lui.

De plus, l'opposition avait eu le temps de se remettre du coup qu'elle avait essuyé. Elle venait de voir rentrer en Bretagne, grâce aux instances de lord Stairs, ambassadeur d'Angleterre, un de ses meilleurs orateurs, le comte Auguste de Baussan du Groesquer, qui s'était déjà signalé en 1717 par son attitude résolue, s'était vu interdire le séjour en Bretagne, puis une première fois gracié, avait pris dans son pays de Tréguier la tête de la résistance, avait figuré parmi les commissaires à l'assemblée de Lanvaux et avait été condamné à mort par contumace en 1720. Amnistié, mais nullement corrigé, il était alors à la fleur de l'âge (il avait 40 ans). « Il a de l'esprit, écrivait l'intendant, mais romanesque et de travers, il croit devoir tout entreprendre pour rétablir les anciens privilèges de la province, et parle toujours de ces privilèges, il a pour premier principe que la province s'étant donnée à de certaines conditions, ils doivent tout entreprendre pour les maintenir, que S. M. n'a droit que de demander un don gratuit, mais que les Etats ont la liberté de refuser toutes les autres impositions qui se lèvent dans l'intérieur du royaume ».

Près de lui l'intendant signalait un homme du même âge, le vannetais Georges-René de Talhouët de Kéravéon, « homme faux, mais qui n'est pas sans esprit, cherchant à mettre du trouble partout, engageant les autres à faire des propositions extraordinaires et tâchant en même temps de ne pas paraître, » c'était chez sa femme à Rennes que se tenait en 1717 ce fameux bureau de correspondance où deux gentilshommes venaient chaque jour apporter les nouvelles de ce qui se passait aux Etats de Dinan. C'était un briochin, Joseph-Yves de la Rivière de Corlay, déjà compromis en 1720, âgé de 30 ans, « très entêté, très influencé par ses relations, et se livrant sans réflexion à tout ce qu’on lui inspire, ce qui fait que sans savoir un génie supérieur et peut-être ne pensant pas de lui-même à prendre de mauvais partis, il les suit avec opiniâtreté lorsqu’il s’y est fourré ». A côté de ce jeune homme, on voyait Joseph-Joachim du Maz, marquis du Brossay, ancien abbé, un rennais, alors âgé de 59 ans, « taciturne, parlant rarement, mais alors cherchant à en imposer par sa manière de parler, alléguant des faits faux comme s'ils étaient certains, et voulant paraître un homme de conséquence, capable dans les affaires qu'il n'entend néanmoins que très médiocrement, » Nouveau venu dans la politique, il n'avait pas été compromis en 1720, non plus que le nantais Pierre-Jacques de Chambelay « opiniâtre, grand fraudeur d'eau-de-vie, » et qui allait montrer dans l'affaire Tressan un acharnement inouï ; au contraire, c'étaient déjà de vieux lutteurs que François-Alexandre le Coutelier de Penhoet, encore un nantais, qui s'était fait remarquer en 1718 par son opiniâtreté, « prenant les partis les plus vifs et les plus insensés, » et qui s'était fait une spécialité de l'affaire des anciens trésoriers, le rennais Joseph-Jean-Francois Couault de Chérigny, emprisonné en 1718 et qui soulevait la question des fouages, le colonel marquis César de Coëtlogon, âgé de 25 à 28 ans, « opiniâtre, homme d'esprit, mais l'ayant de travers, » privé de son office de procureur-général-syndic, où il avait été remplacé par son oncle, le comte René-Charles-Elisabeth de Coëtlogon, vicomte de Loyat.

Puis venaient le rennais François de Jacquelot du Boisrouvray, âgé de 40 ans, un moment candidat à la trésorerie en 1720, élu greffier en 1728 en récompense « du zèle assez peu discret qu'il avait marqué pour les intérêts de la province, » un braillard, disait dédaigneusement M. de Brou ; le malouin Hercules de Lescoet, « grand faiseur de mémoires, esprit séditieux, opiniâtre, dérangé et de travers, ayant toujours quelques propositions nouvelles à faire » ; Roland-Joseph de Saulx du Loch, un quimpérois alors âgé de 30 ans, entré tout jeune au service en 1707, réformé à la paix en 1714 comme capitaine d'infanterie, et dès lors très assidu à toutes les sessions, ayant peu d'esprit, mais « entêté et brutal, soutenant les thèses les plus déraisonnables et cherchant à exciter des cabales pour faire passer les avis qu'on lui inspirait de proposer ». Lorsqu'il se présenta en 1738 pour la place de procureur-général-syndic, M. de Viarmes, plus calme que M. de Brou, daignait lui reconnaître quelque teinture et quelque connaissance des affaires de la province. Puis Joseph Charette du Tiersans, frère du sénéchal de Nantes, Louis Charette de la Gascherie, que nous avons vu président du tiers aux Etats de 1720 et de 1722, candidat à la place de procureur-général-syndic, et dès lors brouillé avec son heureux rival le président de Bédée ; il avait failli être poursuivi en 1720, « en relations avec les plus opiniâtres, cabalant en particulier, et faisant attention de ne pas paraître », ne manquant d'ailleurs pas d'esprit. « Comme il a une infinité de frères et de cousins dans la ville de Nantes, il y a beaucoup de crédit, et parmi les gentilshommes parce qu'ils se soutiennent les uns les autres ». Cet ancien officier de marine, très remuant, mourut à la veille du triomphe en 1732. Enfin, une recrue non moins précieuse dans l'église que Charette de la Gascherie dans le tiers, c'était l'abbé de Trémigon, « tête échauffée et quasi aussi extraordinaire dans son ordre que M. de Chérigny dans l'ordre de la noblesse, » et derrière lequel, pour comble de malheur, on croyait voir le président de Bédée, le nouveau procureur-général-syndic [Note : L'abbé de Trémigon, chanoine de Rennes, était depuis 1720 membre de la commission pour l’examen des comptes des anciens trésoriers, et du bureau central des adjudications].

Pour résister à cette opposition d'une manière efficace, il eût fallu la main à la fois souple et ferme du vieux maréchal d'Estrées. Or, je ne sais pourquoi, on jugea bon de le remplacer en 1724 par le maréchal marquis d'Alégre ; il avait les meilleures intentions du monde, disait M. de Brou ; le belliqueux intendant trouvait même qu'en bien des occasions il ne parlait pas avec assez de fermeté, mais il était nouveau venu dans la province, et ne sachant sur quels éléments s'appuyer dans les Etats, il devait se laisser acculer à des coups de force auxquels son entourage immédiat ne se faisait pas faute de le pousser. L'habile évêque de Nantes, appelé à l'archevêché de Rouen, avait également disparu de la scène, laissant la présidence des Etats à l'évêque de Saint-Brieuc, Louis de Frétat de Boissieux, dont le rôle politique fut singulièrement effacé. Comme lui, c'étaient des personnages de second plan que le duc de Béthune Charost, baron d'Ancenis, pour la troisième fois président de la noblesse, ou que le nouveau président du tiers, le sénéchal de Rennes, Maurille Michau de Ruberzo. Nulle lettre d'eux ne se trouve dans les cartons qui dénote une vue claire et haute de la situation, nul indice qu'ils s'y intéressent, ils sont là pour représenter, ils représentent, et voilà tout.

V.

Un assez curieux épisode des résistances extra-légales contre les nouveaux impôts et qui pouvait avoir des suites politiques assez graves, venait de se produire l'année d'avant. Dans la nuit du 18 au 19 août 1723, un rassemblement de vingt particuliers armés de fusils et de baïonnettes, suivis d'autres armés de bâtons et accompagnés de plusieurs charretiers, déchargèrent à la côte de Pléhérel six milliers de tabac et le chargeant sur trois charrettes le conduisirent dans la forêt de la Hunaudaye. Les employés de la ferme du tabac, au nombre de 19, se lancèrent sur la piste des fraudeurs ; comme ils entraient dans la forêt, ils furent assaillis d'une décharge à laquelle ils ripostèrent à portée de pistolet sans voir personne. Mais les fraudeurs, au nombre de huit ou dix, sortirent alors de leur embuscade et tombèrent baïonnette au canon sur les employés, en criant : « Feu de la droite, feu de la gauche, il faut tuer tous ces b... de gueux et de voleurs de maltôtiers ». Effrayés, les employés se sauvèrent, laissant cinq des leurs sur le carreau, dont on releva les cadavres mutilés, et complètement dépouillés. On prétendit que malgré les cris de : « Quartier, miséricorde, la vie ! » les blessés avaient été achevés sans pitié.

Les soupçons s'étendirent très loin. On citait Berthelot du Gage, le Mintier des Granges, Bouëtardais fils, Villerouault Denis, Chesnay Denis, Plessix, son frère, Gourhandais des Cognets, Villaurideuc, Guyomarais, Villedurand, Durand de Plancoët, etc. Un cordonnier de Plurien déposa qu'étant sorti de chez lui, il fut rencontré par huit particuliers armés qui l'obligèrent à les suivre, ce qu'il n'osa refuser, reconnaissant parmi eux Trémerreuc fils de Plurien, qui l'avait blessé il y avait environ cinq ans d'un coup de fusil chargé à plomb, et son beau-frère le Corgne. Un autre déposa avoir vu au combat dans la forêt M. Denis de la Chesnaie de Plévenon, en surtout rouge et cheveux bruns à queue. Malgré l'absence presque complète de témoins à charge, un jugement du 27 septembre 1723 condamna par contumace douze personnes à mort et huit aux galères. Parmi les condamnés à la pendaison figuraient quatre gentilshommes, la Fruglaye de la Guyomarais, Denis de la Chesnaie, de Trémerreuc et le Corgne de la Lande. En même temps, le 9 décembre, on donnait l'ordre d'arrêter Bédée du Boisriou de la Bouëtardaie, ancien officier qui comptait dix ans de services, mais Bédée, enfermé à Guingamp, fut enlevé pendant la nuit. Son procès continua, mais rien ne put être prouvé, et le gouvernement, craignant de mécontenter les familles de la noblesse briochine auxquelles appartenaient les condamnés ou les accusés, se décida à les grâcier le 14 janvier 1725. (Il semble qu'une nouvelle procédure fut reprise contre Bédée le 21 février, mais elle n'aboutit pas davantage).

VI.

La session de 1724 s'ouvrit le 5 novembre, et tout sembla d'abord devoir marcher à merveille. Le don gratuit fut accordé sans difficulté ; M. de la Boessière, contre lequel on craignait une cabale, fut réélu trésorier et n'eut contre lui que neuf voix. Dès le 6 novembre cependant, les esprits chagrins s'inquiétaient, M. de la Boessière écrivait : « L'esprit de tracasserie paraît déjà vouloir éclore », le 14, M. de Brilhac disait : « L'esprit d'indépendance est plus enraciné que jamais ». M. de Brou signalait bientôt « le grand désordre que répandait la licence d'un certain nombre de jeunes gentilshommes qui faisaient naître tous les jours des incidents sur les affaires qui en étaient le moins susceptibles, osant même traverser assez ouvertement l'exécution des ordres du roi, étouffant par le bruit confus de leurs voix celles des gens les plus sages et les plus sensés de l'ordre de la noblesse, lorsqu'il s'agissait de délibérer sur les demandes que les commissaires du roi étaient chargés de faire à l'assemblée ». Le 16 décembre, il montrait les gens sages s'éloignant peu à peu et écrivait : « Ce qui tourne l'esprit de tous ces gens-ci, c'est, lorsqu'ils sont retournés chacun dans leur canton, de faire bravade de toutes les sottises qu'ils ont faites ; cela leur attire une sorte de considération d'une infinité de gens qui suivent ensuite leurs idées, et selon eux celui qui a fait le plus de résistance devient le plus recommandable ». Il est impossible de dire plus clairement que l'opinion publique était avec les opposants, quoique pût dire d'autre part l'intendant, comme lorsqu'il écrivait le 13 novembre : « Il ne faut pas croire que tous pensent aussi extraordinairement les uns que les autres. Mais les gens les plus sages n'ayant pas les poumons aussi bons et ne voulant pas passer leur temps à s'égosiller, à disputer et à crier, se contentent de ne rien dire, pendant que 15 ou 16 principalement s'emparent de la parole, parlent au nom de toute la noblesse et leur impriment leurs sentiments. ».

Le marquis d'Alègre avait commencé par lutter contre ces mauvaises impressions qu'on voulait lui faire prendre. Il avouait bien qu'il survenait de temps en temps quelques difficultés, mais il affirmait que tout finirait par s'arranger. « Si ce qui compose les Etats, écrivait-il le 18 novembre, se conduit à l'avenir comme on a fait jusqu'à présent, il n'y aura que louange à leur donner, » et plus tard « Il y a un nombre de personnes un peu trop turbulent, mais sans intention de manquer au respect et à la soumission qui sont dus à S. M. ; seulement ils se croient obligés d'agir avec plus de vivacité qu'il ne faudrait pour les intérêts de la province ». M. de Brou ne tarissait pas en gémissements sur cette attitude. « On abuse de sa trop grande douceur, répétait-il fréquemment ». Ces ménagements pour des gens fiers et susceptibles, seule politique cependant qui fût à la fois habile et délicate, lui paraissaient faiblesse. Il ne se consolait pas surtout du rôle que jouait la fille du marquis ; Mme de Rupelmonde ; elle avait cru faire merveille en cherchant à gagner les esprits les plus difficiles, et de ce contact fréquent avec les chefs, elle était sortie leur alliée, ce qui n'était pas une banale conquête pour ces soi-disant hobereaux sans mesure et sans tact.

Les affaires s'étaient brouillées de bonne heure. Un jour, l'abbé de Trémigon déclarait que les mémoires remis aux députés en cour et au procureur-général-syndic sur l'affaire des anciens trésoriers avaient été altérés ; un autre jour (6 novembre), on députait aux commissaires du roi pour demander la grâce des condamnés de 1720, et dans les rangs de la députation figuraient, sur leur demande, tous les gentilshommes compromis, le marquis de Coëtlogon, le comte Becdelièvre du Bouexic, de Kerautret, du Groesquer, le Mintier des Granges, le chevalier le Rouge de l'Isle, de Corlay, du Boisgeslin, Talhouët de Kéravéon, de Chérigny, de Lescoet et de Sévérac. Puis le 10 novembre, MM. de Chambellé et du Tiersans ameutaient toute la noblesse en racontant que quatre commis du tabac étaient entrés violemment dans leur appartement sous prétexte qu'ils étaient des fraudeurs, et l'assemblée députait au maréchal pour protester contre cette violation de domicile et demander la punition des commis. Les Etats refusaient, ce qui était beaucoup plus grave, d'insérer sur leurs registres les demandes du roi. Le roi, disaient-ils, ne peut exiger qu'un don gratuit, tout le reste des sommes que nous lui versons, nous ne les lui consentons pas, nous les lui accordons de notre propre mouvement, nous devons donc en avoir l'initiative. L'opposition fut telle, les criailleries si violentes, qu'il fut impossible d'énoncer et de faire suivre l'avis contraire de l'église et du tiers qui, d'ailleurs, voyant le mécontentement de la noblesse, déclaraient qu'ils ne voulaient pas qu'on imposât ainsi leur opinion au troisième ordre. La lutte durait depuis quatre jours, malgré tous les raisonnements des commissaires du roi, lorsqu'enfin ceux-ci menacèrent d'entrer aux Etats et d'y faire enregistrer sous leurs yeux les demandes royales. La noblesse céda, mais en garda rancune au marquis.

L'opposition ne faiblissait pas. On avait essayé d'intimider les chefs en leur donnant connaissance de lettres qui parlaient en termes menaçants de l'indignation royale, en leur faisant entrevoir un châtiment sévère de leur conduite ; le seul effet de ces démarches fut d'amener les plus tumultueux à une attitude plus mesurée, sans diminuer en rien l'esprit de résistance. La bombe éclata le 22 novembre. Les commissaires étaient déjà fort irrités d'une délibération qui avait réduit de 856.000 livres à 535.000 le chiffre des fouages, l'impôt le plus mal réparti de tous. Ils communiquèrent le 21 aux Etats une lettre de M. de Tressan, l'ancien évêque de Nantes, promu archevêque de Rouen, et qui nommé en 1722 député en cour par l'ordre de l'Eglise, s'excusait de ne pouvoir venir rendre compte aux Etats de sa députation, demandait que nonobstant on lui accordât la gratification d'usage, et appuyait cette demande de l'autorité royale. Malgré certaines oppositions, la gratification fut votée. Mais le soir même, M. du Groesquer accourt chez le commandant, où presque toute la noblesse était réunie, et là, courant de groupe en groupe, il se remue tant et si bien, faisant remarquer aux uns combien la délibération était incorrecte, aux autres combien elle était inconstitutionnelle, qu'il entraîne une partie des assistants. D'autres, ne voulant pas se mettre publiquement en hostilité avec les patriotes, promettent de ne pas paraître le lendemain aux Etats. Donc le 22, lorsque suivant l'usage on donne lecture du procès-verbal de la séance de la veille avant de le signer, un cri s'élève des bancs de la noblesse  : « La délibération est inconstitutionnelle, il faut l'annuler, le président ne doit pas la signer ». Il était environ 9 heures et demie du matin. Quelques gentilshommes, M. de Volvire entre autres, protestent. La discussion s'échauffe et se prolonge. De beaucoup les moins nombreux, les courtisans n'osaient quitter la salle des séances, tandis que leurs adversaires se relayaient à tour de rôle pour aller manger, et ils en étaient réduits à se faire apporter un coup à boire et à manger sur le pouce une croûte de pain. Les deux partis tinrent bon pendant cinq à six heures ; enfin, vers 3 ou 4 heures de l'après-midi, le président refusant toujours de modifier la délibération de la veille, la noblesse demande à rédiger une protestation, signée séance tenante par plus de cent gentilshommes [Note  C'étaient MM. de France, Huchet de Villechauve, du Maz du Brossay, Pantin de la Guerre, du Plessis, Hay de Tizé, de la Boissière, du Groesquer, Lanascol, de la Rivière de Corlay, le Mintier des Granges, de la Lande de Caslan, de la Boessière, du Cartié, Villevalio, de Querfistre de Bavalan, Penhoët, Budes, Lescoët, Menemur, Saint-Gilles Durantaye, deux Saint-Gilles, le ch. de Ponthual, la Caunelaye, des Landes Millon, Pennelé, Péan de Pontfily, le Coutelier de Penhoet, de Barberé, de Chérigny, le ch. de la Crochais, de Jacquelot. Berthelot de Saint-Illan, du Tromeur, Visdelou de Saint-Quéreuc, Kermorial fils, le ch. du Lestier, Meslet de la Tremblays, Séréac, François Hercules de Lescoet, deux de Vaucouleurs, Sourville, François-Ange de la Monneraye, Joseph du Bot, de Launay Comatz, Louis-Pierre de la Bouëxière, Pierre de Trolong, Lesquen de l'Argentaye, du Rumain, de Boyséon, Gouvello de Kérantré, de Kéraly, du Breil Baudré, du Pérenno et du Pérenno de Penvern, de Saint-Meleuc, ch. de la Fond, Guérin de la Grasserie, de Kersauson du Roscoët, du Trévou de Bréfeillac, le marquis de Montplaisir, du Mangoer, de Trécesson, le ch. de l'Isle-Rouge, G. Gouyon de Vaudurant, du Noday, Bedoyère, Louis de Tréal du Préby, du Tiersans, de Chambellé, du Botdéru, M. de Coëtlogon, la Garlaye, le Loup de Coetanscours, de Frémeur du Chastel, de Tanouarn, de la Marche Kersauzon, Beschais de la Place, Verrière, le ch. de la Besnerays, P. de Cadaran de Kerman, G. de Trévelec, de la Reignerais, Thipault de Breignou, le ch. de Bouveny, de Guichen du Bouëxic, de l'Isle Kerouan, Kergus Keravéon, de la Piglais, de Montlige Martin, Saint-Gilles Kergily, du Lestier, de Saulx, Lesquen, Rouand, de la Belinaye, Bertault, Lesquen de Kerohan, du Chesne Ferron, Gestin de la Villeneuve, René de Vaucouleurs, Bertault de Champsavoir, de Léon de Kergoff, Joseph-Gabriel Martin, Pierre Becdelièvre, Pioger de Chantraduc. Le baron d'Ancenis, M. de Carman et une quarantaine de gentilshommes persistèrent seuls dans leur première délibération].

Du coup M. d'Alègre fut exaspéré, et le 23 novembre, mettant à exécution la menace qu'il avait précédemment faite à propos des demandes du roi, il entrait aux Etats avec ses collègues, donnait ordre aux présidents de signer la délibération de la veille, et sur le propre registre des Etats faisait transcrire une ordonnance qui cassait la délibération relative aux fouages. Ce coup d'autorité, d'autant plus inattendu que le maréchal s'était jusque-là montré plus conciliant, d'autant plus humiliant que jamais il ne s'était rien passé de pareil, produisit quelque effet sur le moment. « Les esprits les plus turbulents sont consternés, écrivait M. de Brou ». Au lieu d'arriver aux Etats le 24 dès 8 heures du matin, comme ils en avaient l'habitude pour empêcher que rien ne s'y passât dont ils n'eussent connaissance, les chefs de l'opposition n'y firent leur apparition que vers midi, et M. de Boissieux, voyant les choses encore plus en beau, annonçait que plusieurs qui se sentaient portés aux tracasseries prenaient le parti de se retirer. « Ils sont infiniment plus modérés et plus tranquilles, » écrivait d'Alègre le 28, et de fait on expédia assez promptement quelques affaires qui restaient à régler et dont on n'espérait pas sortir de longtemps. M. de Brou, toujours inquiet par fonction et par caractère, redoutait cependant des surprises. Il craignait que les Etats, refusant désormais de rien traiter à l'amiable, ne répondissent à tout : « Le roi n'a qu'à ordonner, nous obéirons, mais nous ne donnerons point notre consentement », paroles menaçantes qui, en annonçant qu'on ne cédait qu'à la force, laissaient entrevoir la possibilité d'une résistance nouvelle transportée en dehors des Etats sur le terrain extra-légal, comme les coups d'autorité de Montesquiou l'avaient fait surgir en 1719. Il fut assez vite rassuré de ce côté, mais pour tomber dans d'autres transes. Les têtes échauffées étaient vite revenues à leurs premières dispositions. Un jour on demandait la révocation d'un maître de poste à Vitré et on chargeait un gentilhomme, M. de Tizé, de lui chercher un remplaçant, comme si les Etats voulaient mettre la main sur cette administration. Un autre jour, M. de la Haute-Touche avait, à propos des gratifications, une vive altercation avec l'évêque de Saint-Brieuc. Comme en 1716, les Etats cherchant à éclairer l'opinion publique pour s'appuyer sur elle, réclamaient l'impression de l'état de fonds, c'est-à-dire du budget, base éternelle de toutes les discussions. Lorsqu'il s'agit des gages du Parlement, la noblesse protesta vivement contre l'édit qui, sous couleur de réunion des semestres, avait eu pour but en 1720 d'enlever leurs sièges aux magistrats soupçonnés d'intelligence avec les conjurés de Lanvaux. Puis M. de Chérigny, toujours ardent, lançait sa proposition d'enquête sur la réforme des fouages, et c'était dans cette situation agitée, troublée, qu'après six semaines de session, les Etats se séparaient le 16 décembre 1724.

[Note : On trouvera tous les renseignements relatifs aux Etats de 1720 dans la série H des Archives nationales, liasses 229 à 233 aux Etats de 1722, liasses 234 à 238 ; aux Etats de 1724, liasses 239 à 245]

Appendice.

Si l'on veut se rendre un compte exact de la situation qu'occupaient dans la noblesse ceux que l'on peut regarder comme les chefs de file, rien n'est plus utile que de consulter la liste de ceux auxquels étaient confiées les différentes affaires dans les commissions. J'ai dépouillé à ce point de vue la liste des séances de 1720 de l'ouverture au 26 septembre, et du 12 au 22 octobre. En voici les résultats.

Presque tous les meneurs y figurent, sauf du Groesquer alors absent, Corlay, Chérigny et Coëtlogon. Nous retrouvons en effet Kéravéon dans la commission des contrats, et adjoint cette année à la commission permanente des comptes des anciens trésoriers, Brossay, appelé ici comte du Brossay, dans les commissions chargées de dresser l'état de fonds par estime et de vérifier l'état de fonds, de plus il fait partie à trois reprises de ce que l'on appelait les députations, chargées des compliments de l'assemblée, plutôt charge honorifique que besogne de travail ; Chambellé, au compte de l'ordinaire ; Le Coutelier, à la commission chargée de dresser les conditions pour la charge de procureur-général-syndic ; Jacquelot, à la même commission, adjoint à la commission permanente des comptes des anciens trésoriers, commissaire des grands chemins, vérificateur des pouvoirs et titres des gentilshommes inscrits (commission de la liste), à l'état de fonds par estime et à l'état de fonds ; du Loch, commissaire des grands Chemins ; du Tiersans, au compte de l'ordinaire. Peut-être enfin est-ce notre Lescoet qu'il faut reconnaître dans le Lescoet fils, commissaire des grands chemins pour Saint-Malo.

Voici maintenant la liste des autres. J'ai pu en identifier plusieurs. Pour d'autres, c'est plus difficile. Quel est le personnage des cinq ou six membres d'une même famille assistant aux Etats qui avait la situation prépondérante. Seules les archives de famille peuvent le dire. En attendant, voici quelques jalons pour la biographie future de ces hommes, qui sont les véritables députés de la noblesse, les autres n'étant guère que des assistants. Je les ai classés par ordre alphabétique.

Charles-René d'Andigné de la Chasse (Saint-Malo). députation, liste, contraventions, commission du trésorier (il y a aussi un Jean-René).

Pierre de Barbéré père (plutôt Pierre que Michel, il y a un Barbéré fils, qui s'appelle Louis-Joseph), Nantes, députation. de Baudry, Vannes, grands chemins.

Le comte de Beauvais, Rennes, grands chemins

de Bégaignon de Sullé, Tréguier, grands chemins.

de Bégasson de La Lardais, compte des avances.

Le chevalier Berthelot de Saint-Ilan (il y en a trois, Louis-Marcel, Jean-Louis et Louis-Paul), Saint-Brieuc, députation.

Berthou (probablement René-François B. de Kerouriou, Nantes), procès.

de la Blottière, (il y a un gentilhomme de ce nom, un autre Montefroy de la Blottière, et enfin deux Binet de la Blottière, Marie Salomon et Marie-Jean-Baptiste), procès.

René-Marie du Boberil du Mollan, Rennes, député.

Bertrand de la Boessière de Lenuic, Tréguier, procès et grands chemins (son fils s'appelle Marc-Antoine).

Hercule-Charles, comte de Boiséon, Quimper, commission générale, capitation, compte de l'ordinaire, grands chemins et carte.

du Bot de Talhouët de la Grignonnaie, Vannes, liste, carte, grands chemins.

Botherel de la Marche, étapes.

Luc-François du Bouexie de Guichen, Saint-Malo, étapes, .conditions de la charge de Trésorier (il y a deux autres Guichen, Claude-Luc et Luc-Urbain).

de la Bourdonnaye, député.

Charles du Breil, marquis de Rays (écrit à tort Retz), député.

du Breil de Pontbriand, capitation.

de Bruc, marquis de Montplaisir, député.

Julien Prudent de Bruc de Vieillecour, Nantes, baux, liste (le fils s’appelle Sébastien).

De la Buharais, Dol, grands chemins.

Charles de Cahideuc, marquis du Bois de la Motte, député (son fils s'appelle Emmanuel-Auguste-Julien, on trouve un Henri-Charles de C. du B. de la M., et il y a un comte du Bois de la Motte à la commission de l'état de fonds par estime).

de Calloet (Guillaume. Herminige ou Alexandre), Saint-Brieuc, commission générale, baux, grands chemins.

Charbonneau de Saint-Symphorien, député.

de Coetivy, Tréguier, carte et grands chemins.

Le marquis de Coetmen, capitation.

Freslon de Saint-Aubin, sous-doyen, inscrit aux Etats depuis 1665, Rennes, grands chemins.

Joseph-Olivier de France de Landal, Dol (un autre de F. de L., Louis-Joseph-Olivier, appartient à l'évêché de Saint-Malo), député, contraventions, liste, carte, grands chemins.

Pierre-Joseph Gouyon de Launay Comatz, contrats.

de Grenédan, Vannes, compte de l'ordinaire, grands chemins.

de Kerloret, Léon, contraventions, liste, carte, grands chemins.

De Kermorial, Quimper, compte de l'ordinaire, grands chemins.

Claude de la Lande de Calan, Saint-Brieuc, grands chemins.

Hilarion du Lettier, Nantes, contraventions, état de fonds.

de Liré (probablement de la Bourdonnaye de L.), député.

Loz de Beaucours, député.

Louis-Joseph, comte de Madaillan, député.

de Marcilly, député, contrats.

de Martel, statue du roi, compte de l'ordinaire.

Charles du Merdy, marquis de Catuélan, Saint-Brieuc, étapes, carte, liste, grands chemins.

de Montalembert, Saint-Malo, état de fonds, carte, grands chemins.

Laurent de Monti de Launay, Nantes, capitation, grands chemins (son fils s'appelle Charles).

Yves-Joseph de Monti comte de Rezé, baux, statue du roi, le chevalier de Monti de Rezé, état de fonds.

Le marquis François de Montmorency, brigadier des armées du roi, député.

de Moret, député.

Pierre de la Noë du Plessis-Coëtpur, Saint-Brieuc, député.

Jacques-Philippe Pantin de la Guère, Nantes, liste, carte, grands chemins.

Louis Péan de Pontfily, Saint-Malo, député, grands chemins.

de Penmarch, Léon, grands chemins.

Le chevalier le Pennec du Boisjollan, Nantes, deux fois député, contraventions, grands chemins.

Louis de la Roche Saint-André de l'Espinay père, Nantes, baux, intérêts des avances.

François Rogier, comte du Crévy, Saint-Malo, contrats, intérêts des avances.

François Rogier, chevalier du Crévy, Saint-Malo, fonds par estime.

Christophe de Rosnyvinen, marquis de Pire, Rennes, étapes, intérêts des avances, conditions pour la charge de procureur-général-syndic, carte, commissaire central des adjudications.

Charles de Sesmaisons, Nantes, député, état de fonds.

de Trans, Dol, grands chemins.

Gilles de Trécesson, maréchal de camp, Saint-Malo, député.

de Trécesson fils, député.

du Tremblay, procès.

de Troarn, Léon, grands chemins.

Charles Tuffin de la Rouërie, Rennes, conditions pour la charge de trésorier (son fils s'appelle Joseph).

Le chevalier de Volvire, Saint-Malo, député, contraventions, conditions pour les charges de procureur-syndic et de trésorier, député à la Chambre des Comptes.

Ch. DE CALAN.

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