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LES MINIHIS OU ASILES RELIGIEUX DE LA BRETAGNE

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L'idée de chercher un refuge contre l'oppression aux pieds de la Divinité est si naturelle à la faiblesse que cet usage a été consacré dans toutes les religions. Il y avait dans l'ancienne Grèce un grand nombre de ces asiles limités au sanctuaire du temple. Lorsque cette franchise fut conférée aux églises chrétiennes, elle eut d'abord la même limite ; mais l'empereur Théodose-le-Jeune l'étendit à toute l'enceinte des terrains consacrés. Sa loi (L. IV, titre 14, lib. 9), ainsi qu'on le voit dans le code qui porte son nom, entendait par terrains consacrés le parvis des cathédrales, leurs cimetières et le cloître des chanoines, les abbayes avec leurs enclos. Nous ne croyons pas qu'il y ait eu ailleurs qu'en Bretagne l'exemple d'une ville entière et de sa banlieue [Note : Tels étaient le Minihy attaché à la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon, qui s'étendait depuis la rivière de Pensez jusqu'à la mer ; le Minihy de saint Tugdual, autour de la ville épiscopale de Tréguier ; le Minihy de Locronan, autour du prieuré de Locronan, en Cornouaille].

Les sanctuaires se nommaient, en celto-kimrhu : ackimrii, minihi, minic'hi, menechi [Note : Le signe c'h est une aspiration équivalente au x des Grecs], mot composé de menec'h, pluriel de manuc'h, moine, et du mot ti, maison ; d'où il semble résulter que le privilége d'immunité aurait d'abord été attribué aux abbayes. La plus ancienne mention qui en soit faite dans l'histoire de Bretagne ne remonte pas au delà de l'année 1013. Le duc Alain, fils de Geoffroy Ier, le comte Eudon son frère, et leur mère, Hudevise, donnèrent à l'abbaye de Saint-Méen le minihi de Trédilliac.

Au XIIème siècle, la duchesse Constance reconnut, dans une charte que ses prédécesseurs avaient donnée à l'abbaye de Saint-Jacut, le cimetière de Sainte-Marie, de la ville de Lannion quitte et libre avec ce privilége que, si un prisonnier ayant rompu ses fers ou tout autre criminel s'y réfugiait, il était libéré par le cimetière.

Ces actes constatent l'existence de l'immunité sans constater l'époque de son origine, qui se confond avec l'établissement du christianisme ou au moins avec l'établissement de la juridiction ecclésiastique. Aucun évêque de Bretagne n'avait une puissance comparable à celle de l’évêque de Nantes, qui réclamait l'intervention des rois de France pour défendre ses droits, souvent contestés par les ducs. On ne voit pas que sa cathédrale ait joui de l'immunité des minihi. On peut inférer de quelques actes que l'abbaye de Saint-Sauveur de Redon en jouissait. Mais il faut croire qu'il aura donné lieu à peu d'abus, puisque l'histoire n'en fait pas une mention positive. Il n'en était pas de même de celui de Tréguier.

L'ancienne ville de Lexobia ayant été détruite, au IXème siècle, par les pirates normands, les habitants s'établirent autour du couvent du Trécor, en celto-kimrhu Lantreguer, bâti à douze mille pas de Lexobia, vers le milieu du VIème siècle, par saint Tugdual frère du roi de Bretagne Hoël II. L'église fondée par lui, sous l'invocation de saint André, prit dans la suite le nom de son fondateur, et le monastère fut érigé en évêché par le roi Nominoé, en 848. L'évêque devint naturellement seigneur de la nouvelle ville, bâtie sur le terrain du monastère, et de la banlieue rurale, d'une étendue de quatre lieues, formant autour de la ville un demi-cercle dont les deux extrémités aboutissaient à la rivière. Cette banlieue est aujourd'hui une commune rurale appelée encore le Minihi-Tréguier. Elle comprend très-probablement tout l'ancien territoire privilégié.

Dans les temps de troubles et de violence, où le faible injustement accusé n'avait aucune protection à attendre d'un pouvoir public sans force pour protéger, les asiles avaient le pieux motif de préserver les innocents, les fugitifs et même les coupables de la vengeance du despotisme et de l'aveugle précipitation des juges civils. Réfugiés dans le sanctuaire ils pouvaient implorer la miséricorde de Dieu et la protection de ses ministres. Le temps calmait la haine de leurs ennemis, et parfois la justice faisait enfin entendre sa voix. Souvent la puissante médiation des évêques ou des abbés défendait la vie des plus illustres comme des plus pauvres citoyens. Mais les meilleures institutions peuvent en dégénérant devenir la source de beaucoup d'abus. Les minihi ne servirent pas seulement d'asile aux innocents ou aux coupables repentants ; ils assuraient aussi l'impunité à des scélérats qui persévéraient dans le crime. Le respect pour la sainteté du lieu, l'énergie avec laquelle le clergé défendait ses immunités firent des minihi des espèces de forteresses où se cantonnaient des brigands qui faisaient des irruptions à main armée sur le peuple des campagnes ; ils rapportaient leur butin dans l'enceinte privilégiée, où il était vendu à vil prix.

Ces abus et ces dangers ne tardèrent pas d'éprouver de la part du pouvoir civil une très-vive opposition, que le clergé considéra comme une atteinte à ses priviléges. Ives Helouri, de Kermartin, un des saints les plus vénérés et des plus éclairés de la Bretagne, fonda, en 1293, une chapelle en l'honneur de Notre Seigneur Jésus-Christ, de la bienheureuse Vierge Marie et du bienheureux Tugdual. Il la bâtit du fruit de ses économies, auprès de sa maison, sur une portion de son héritage paternel, la dota de 30 livres de rente à prendre sur ses dîmes du Quenquis. Il la donna au minihi de Tréguier avec une portion de l'héritage paternel et maternel contiguë à ce minihi, dont il agrandissait ainsi le territoire. Il a soin d'ajouter dans l'acte qu'il donne autant que le permettent les usages et coutumes du minihi nonobstant les statuts royaux, ducaux ou municipaux, rendus par ceux qui savaient très-bien que ce minihi était franc et libre.

« Nec non et dictam portionem unacum partione mea et hœredidate materna œidem juxta adjacentes, sitas infra minihium beati confessoris prœdicti quatenus usus et consuetudo permittunt, non obstante statuto regali, municipali, vel principali a quibus dictum minihium scietur esse immune ».

Les évêques partageaient donc l'avis de la partie la plus éclairée et la plus respectable du clergé lorsqu'ils défendaient avec tant d'énergie leur juridiction. Ceux de Tréguier étaient particulièrement jaloux du maintien des immunités du minihi. Dom Moria rapporte (t. I et II des Preuves de son Histoire de Bretagne) les statuts synodaux de plusieurs de ces évêques. Neuf de ces règlements contiennent des dispositions très-sévères contre les infracteurs des priviléges, exemptions et franchises de cet asile.

Le plus ancien est intitulé du nom d'Alain mais, comme il y a eu deux évêques de ce nom au XIIIème siècle on ne peut préciser si c'est Alain de Lezhardrieu, en 1266, ou Alain de Brac en 1284. Voici la traduction de l'article 20 :

« Plusieurs malintentionnés, envieux et jaloux, enfreignent les franchises, immunités et libertés du minihi, ou asile, du bienheureux Tugdual, imposent des tailles, contributions et autres charges sur les hommes et vassaux dudit minihi envahissent, pillent et dévastent la terre du minihi, exigent injustement un droit de péage et de sauvegarde sur les navires, ainsi que diverses autres exactions illégales sur les denrées que vendent ou achètent les hommes dudit minihi dans son enceinte ; c'est pourquoi nous avons statué et nous or« donnons ce qui suit :
Quiconque, de quelque condition qu'il soit, aura, soit prélevé les premiers fruits de cette terre soit troublé ou violé directement ou indirectement les immunités, franchises et libertés du susdit minihi, ou asile de Saint-Tugdual, soit occasionné leur violation, encourra par le fait la sentence d'excommunication. Nous voulons de plus que, dans l'église de chaque paroisse, tous les jours de dimanche, il soit dénoncé au peuple rassemblé pour entendre la parole divine. Le curé, ou tout autre prêtre desservant, prononcera que tous les perturbateurs de la juridiction de l'église de Tréguier sont excommuniés ; la croix et le livre de l'Évangile seront jetés par terre, et les cierges seront éteints. Si quelque ecclésiastique néglige ce devoir, il doit craindre une punition canonique »
.

L'article 2 des statuts de Jean Brun, évêque en 1371, renferme des dispositions analogues aux précédentes.

Les statuts de Thibault de Maletroit, de 1380, contiennent une formule d'excommunication qui prouve que, dans ces temps de violence, où la force brutale ne respectait personne, les ecclésiastiques n'étaient pas même épargnés dans leurs personnes. Il y est dit « Quiconque, de l'un ou de l'autre sexe, frappera des prêtres ou des clercs, les dépouillera de leurs biens contre leur volonté, ou conseillera, aidera ou approuvera ces actions ; ceux qui troubleront ou empêcheront la juridiction ecclésiastique, qui enfreindront le minihi du bienheureux Tugdual, seront frappés d'excommunication majeure, etc. ».

En 1423, l'évêque Jean de Brac renouvela en entier les statuts de Thibaut de Maletroit, Raoul Rolland renouvela aussi, en 1435, les excommunications promulguées par ses prédécesseurs contre ceux qui enfreignaient les libertés et franchises de l'église et du minihi de Saint-Tugdual. Le neveu du trésorier Landais, Robert Guibé, qui, par la protection de ce ministre et ensuite de la reine Anne, devint successivement ambassadeur, évêque de Rennes, cardinal, évêque de Nantes, archevêque d'Albi et légat du Saint-Siège, avait commencé cette brillante carrière par être évêque de Tréguier, avec dispense d'âge, parce qu'il n'était pas majeur. Il renouvela, en 1493 et 1494 les excommunications portées par ses prédécesseurs, principalement contre les violateurs des franchises et libertés du minihi. Les statuts donnés par son vicaire général en 1495 sont les derniers où il soit fait mention de cet asile.

Les souverains de la Bretagne avaient souvent réclamé du Saint-Siége la réformation des abus qu'entraînaient les immunités du minihi de Tréguier. Un des princes les plus sages, les plus pieux et les meilleurs de son temps, le duc Jean V, adressa au pape Martin V, en 1430, des plaintes où il est dit que l'église de Tréguier jouit d'une immunité appelée le minihi de Trécoria ; que là se réfugient les homicides, les voleurs et tous les criminels qui veulent jouir de l'impunité pour commettre de nouveau des homicides et des vols ; que le privilége s'étend sur un territoire de quatre lieues, ou douze milles, tandis que, d'après la tradition, il était autrefois restreint à l'enceinte de la ville et ne du rait qu'un an. Le duc supplie le Saint-Père d'abolir ce dangereux privilége ou du moins de le réduire à son ancienne limite, dans la ville. Ses plaintes sont transcrites dans la commission donnée par le pape à l'évêque de Rochester, qui vint en Bretagne faire des informations. Il paraît qu'il ne remplit pas sa mission, je ne sais par quel motif, puisque, vingt ans après, le duc Pierre II renouvela les plaintes de ses prédécesseurs contre les mêmes abus. Ce prince rachetait son manque de capacité par ses vertus et par une constante application au bonheur de ses sujets. Ses plaintes et celles de Jean V, surnommé le Sage, prouvent que les abus du minihi étaient réellement dangereux, car ces deux princes joignaient leur amour pour la justice une piété sincère et beaucoup de modération.

Le cardinal d'Estouteville légat du Saint-Siège, fit un règlement par suite des réclamations du duc, vers la fin de l'année 1450, et le pape Nicolas V l'approuva, à Rome, le 1er février 1451. Le cardinal le promulga, à Nantes, le 10 avril de l'année suivante ; en voilà la traduction :

« Guillaume, par la miséricorde divine cardinal-prêtre de la sainte Église romaine, du titre de Saint-Martin-du-Mont communément appelé cardinal d'Estouteville, légat du Saint-Siège dans le royaume de France, dans le duché de Bretagne et dans les autres provinces gauloises, à la perpétuelle mémoire de la chose :

La parole prophétique enseigne et l'autorité canonique atteste que les légats sont envoyés à latere par le pontife romain dans les diverses provinces, pour y arracher et détruire, édifier et planter ; nous donc, par le devoir prescrit à notre légation, nous avons employé nos soins et nos peines à détruire les erreurs, à rétablir ce qui était tombé en désuétude, à améliorer l'état des provinces qui nous sont décrétées.

Assurément, au temps où nous arrivâmes dans la Gaule, de fréquentes plaintes parvinrent à nos oreilles, et principalement celles que nous porta le très-illustre prince et seigneur dom Pierre, duc de Bretagne, sur ce que les prélats et les ordinaires des évêchés, qui doivent être avant tous autres les réformateurs de la vie humaine et les vengeurs des crimes et des délits, fournîssaient au contraire l'occasion et le moyen de faillir, particulièrement aux scélérats et aux hommes chargés de crimes, puisque ces hommes scélérats et chargés de différents crimes se réfugiaient dans certains lieux profanes des évêques, vulgairement appelés des minihi. Dans ces lieux, les évêques eux mêmes en maintenant leurs immunités, protègent et défendent ces malfaiteurs. D'où il résulte que les coupables échappent à la juste punition due à leurs actions, et que l'impunité de leurs crimes leur donne l'audace d'en commettre de nouveaux. D'infames brigands, bien connus, des voleurs de grands chemins, des assassins enhardis par cette immunité des minihi se trouvent en sûreté dans la Bretagne comme dans un atelier de crimes, où ils ont la facilité d'accomplir impunément le pillage des campagnes, le vol, le meurtre et autres atrocités ; ce que le susdit duc, très-religieux amateur de la justice, supporte avec chagrin et indignation. ................

Le même prince nous a supplié de mettre fin à des scandales qui offensent manifestement Dieu en ruinant la patrie et le duché de Bretagne. Nous donc, ne pouvant passer ces choses sous silence, attentifs d'abord à protéger l'Eglise, les lieux ecclésiastiques et ceux qui s'y réfugient, de manière cependant que l'action de la justice, qui est fille de la religion, ne soit pas affaiblie et que l'injustice ne puisse venir d'où viennent tous les droits ; voulant tout concilier avec une telle modération que l'Église et les personnes ecclésiastiques ne souffrent aucun dommage dans leurs droits et qu'une excessive licence n'arrête pas la sévérité de la justice dans ses jugements ; renouvelant les canons des saints Pères, après en avoir délibéré, nous déclarons dans ce décret, pour valoir à perpétuité que les brigands et voleurs de nuit, les pillards des campagnes, ceux qui tendent des guet-apens sur les grandes routes et les chemins publics, pourront être arrachés malgré eux des églises, sans qu'aucune impunité leur soit assurée. Quiconque, ayant été reçu dans un lieu d'immunité, aura tué ou mutilé quelqu'un ne pourra plus jouir du privilège de l'immunité et sera puni dans le lieu même où il aura commis le crime celui : celui qui a violé la loi ne peut, pour se sauver, implorer cette loi. Mais quant aux autres coupables, tels que ceux qui disent des injures, qui commettent quelques larcins, torts ou dommages, ou détournement de deniers publics, lesquels crimes se multiplient avec l'appui du privilége de l'immunité, nous ordonnons que toute immunité, même ecclésiastique, ne puisse leur servir, si ce n'est pour les garantir de la perte de la vie ou des membres ainsi que de toute punition corporelle. Ils seront tenus de réparer par une composition, ou indemnité, les fautes, injustices et dommages dont ils seront coupables. A cet effet, le juge ecclésiastique prendra caution du juge séculier pour la garantie des corporelles, et lui relâchera les coupables, qui seront contraints de composer en argent ».

Les sages dispositions de cette remarquable ordonnance étaient une réformation de la juridiction et un adoucissement de la jurisprudence criminelle, puisqu'elles supprimaient les peines corporelles en matière de délits ; mais elles ne changeaient rien à l'étendue du territoire des minihi. Une bulle du pape Nicolas V, adressée, en 1453, à l'abbé de Redon restreignit leur privilége à l'enceinte des églises et des maisons religieuses.

Le roi Philippe de Valois, dans une assemblée de tous les prélats et barons du royaume, avait fait, dès l'année 1329, un règlement sur la juridiction ecclésiastique. Il y était ordonné que l'église ne donnerait plus refuge aux criminels échappés des prisons du roi ; que les clercs qui auraient commis des crimes dignes de mort ou de mutilation seraient dégradés par les évêques et pourraient ensuite être saisis hors des églises et des cimetières. Le président Hénault fait remonter à cette assemblée l'introduction de ce qu'il appelle la forme de l'appel comme d'abus, dont les principes, dit-il sont plus anciens que le nom.

Pierre de Cugnières, au lieu de dire que la juridiction ecclésiastique était une concession de nos rois, tandis qu'il eût été plus vrai d'y voir une concession des empereurs, si concession il y avait, aurait mieux fait d'avouer qu'elle avait dû son accroissement, dont il se plaignait, aux malheurs des temps antérieurs, à l'ignorance, à la méchanceté, à la dépravation des juges laïques, qui, pendant plusieurs siècles n'offraient aucune garantie à la société. Les juges ecclésiastiques étaient alors plus éclairés, plus consciencieux, plus indépendants des petits tyrans contre lesquels il s'agissait toujours de protéger le faible. Leur autorité consacrait le triomphe de la force morale sur la force brutale. Leur procédure conservait la trace des lois romaines, et c'était une garantie de plus. En un mot, le clergé n'a pas rendu de moindres services dans l'administration de la justice au moyen âge que dans l'enseignement de la morale et des lettres. La morale et la science ne sont pas moins filles de la religion que la justice.

(T. Chasle de laTouche).

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