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LES PLANTAGENETS ET LA BRETAGNE.

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Nous voudrions examiner les rapports des Plantagenets [Note : Je n'ignore pas qu'on doit dire Plantegenet, mais les archéologues ont accrédité « Plantagenet ». Je leur en laisse la responsabilité] avec la Bretagne. Le nom des Plantagenets s'est attaché à l'une des formes les plus originales et les plus vigoureuses du premier art gothique. Ils se sont fait une réputation non moins glorieuse par le patronage accordé à cette littérature où l'imagination voisinait avec le sentiment, où la galanterie et la courtoisie s'alliaient à l'esprit aventureux des grands voyageurs qui ont personnifié la « Matière de Bretagne ».

En politique, les Plantagenets sont les auteurs d'une construction grandiose, un peu bizarre mais brillante, et dont l'éclat peut se comparer à celui de l'Empire bourguignon de la fin du Moyen âge.

Avant tout, n'oublions pas que la France du XIIème siècle n'était une monarchie qu'en apparence. Sous la présidence honorifique d'une royauté débonnaire, s'était créée au Xème siècle, épanouie au XIIème, une robuste confédération de grands fiefs. C'est dans cette atmosphère que les Plantagenets ont réussi l'une des plus belles agglomérations de terres que l'on connaisse. Deux mariages sont à la base de cette brusque naissance : celui de Geoffroi Plantagenet, fondateur de l'Empire, avec Mathilde d'Angleterre et celui de son fils Henri avec Aliénor d'Aquitaine. En l'espace de quatre ans, ce jeune athlète recueillit en plus de ses provinces héréditaires (Anjou, Maine et Touraine) l'Aquitaine, la Normandie et l'Angleterre. Sa domination se dilata du val de Loire jusqu'à l'Ecosse, au nord, et jusqu'aux Pyrénées, vers le sud.

Non seulement ses frontières s'éloignèrent, mais son pouvoir s'accrut. Avec Henri Plantagenet la notion d'Etat sort des nuages et la puissance royale n'est plus un vain mot. Il n'assiste pas, comme un spectateur de théâtre, aux querelles de ses vassaux. Comme Charlemagne il dicte des lois et, comme le grand Empereur, il se fait obéir.

En face de cet homme d'État, d'un style tout moderne, qui régente l'Angleterre et la moitié de la France pendant trente-cinq ans, de 1154 à 1189, et dont le règne sera prolongé par celui de ses fils Richard Cœur de Lion et Jean Sans Terre, qu'allait devenir la Bretagne, isolée entre les Plantagenets et l'Océan ? Cette question est d'autant plus opportune que la politique des Plantagenets vis-à-vis de la Bretagne n'a pas toujours été justement appréciée.

On a montré les Bretons soulevés dans une lutte perpétuelle contre Henri II, lutte nourrie par une haine nationale contre la race anglaise. Cette vue, qui n'est pas absolument inexacte, doit être rectifiée. Car les Bretons, dans leurs campagnes contre Henri II, firent cause commune avec des Manceaux, des Poitevins, des Normands ; ils suivirent même, dans leurs revendications contre Henri II, les propres fils du roi. D'autre part, Henri II Plantagenet, dans lequel on incarne la race anglaise, n'était guère plus anglais que ses adversaires. Roi d'Angleterre, certes, mais fils d'un Français, il avait été élevé en France et ignorait la langue anglaise. Pendant son règne, sa résidence fut beaucoup plus souvent en France qu'en Angleterre. Pour trouver le sang anglais dans son ascendance il faut remonter fort loin. On y rencontrerait plus tôt le sang celte infusé par sa grand-mère, Mathilde d'Ecosse. Comme lui, maint Breton possédait des domaines en Angleterre, c'était le fruit de la conquête. Le roi Guillaume le Conquérant, fortement épaulé par un contingent breton, l'apanagea copieusement. Par la même voie, des abbayes bretonnes reçurent des prieurés ou des églises dans le royaume colonisé.

Je ne nie pas qu'il ait existé une antipathie très vive chez les Bretons contre Henri II. Il leur semblait vexatoire d'être gouvernés de l'extérieur. Mais la naissance de son petit-fils Arthur, mis au monde par une mère bretonne, en Bretagne, et destiné à y régner, les mit au comble de la joie.

Ajoutons que, si Henri II a été détesté par les Bretons, il a été non moins exécré en Aquitaine, en Poitou, au Maine, jusqu'en Normandie et en Angleterre. Les grands politiques ne sont pas fatalement populaires.

Je voudrais retracer brièvement l'histoire des relations de Henri II avec la Bretagne, rechercher les moyens de son succès et peser l'œuvre accomplie par lui et transmise à ses héritiers [Note : Les principales chroniques sont celles de Robert DE TORIGNI, éd. Léop. Delisle, 2 vol., 1872-1873 (Soc. de l'Histoire de Normandie) ; Benoît DE PETERBOROUGH, éd. Stubbs, 2 vol., 1867 (Rolle series) ; Roger DE HOVEDEN, éd. Stubbs, t. II-IV, 1869-1871 (Rolls series) ; RIGORD et Guillaume LE BRETON, éd. H.-Fr. Delaborde, 2 vol., 1882-1885 (S. H. F.) ; Pierre LE BAUD. Histoire de Bretagne avec les Chroniques des maisons de Vitré et de Laval, éd. d'Hozier, 1638. — Voir aussi Léopold DELISLE et Blie BERGER. Recueil des actes de Henri II, roi d'Angleterre et duc de Normandie, concernant les provinces françaises et les affaires de France, 4 vol., 1909-1927 (Chartes et diplômes relatifs à l'histoire de France) ; et les actes publiés au tome Ier (1742) des Preuves de Dom MORICE].

***

Les Ducs qui s'étaient succédé en Bretagne jusqu'à ce que les Plantagenets entrassent en scène, n'étaient pas plus puissants dans leur duché que le roi de France dans son royaume. Jamais ils ne promulguaient de lois, jamais ils n'établissaient de dispositions générales. Ils n'auraient eu aucun moyen d'en exiger l'application. Ils géraient leurs domaines en réglant leurs litiges de voisinage à coups de lance. Il y a cependant une réussite à leur acquit. Le hasard des successions, au bout de quelques générations, a groupé dans leurs mains les comtés entre lesquels la Bretagne était partagée, à l'exception d'un seul, le comté de Léon.

Le plus récent de ces ducs, Conan III, voulut sortir de l'ornière. Incapable de légiférer lui-même il tenta d'imposer des lois par l'intermédiaire d'un concile. De nature pacifique, il essaya d'épuiser un vassal rebelle par des manœuvres diplomatiques. Quand il en vint aux armes, il fut battu à plates coutures.

Il mourut en 1148 laissant une fille Berthe, mère elle-même d'un enfant qui sera Conan IV. Le père de Conan IV, Alain de Penthièvre, était mort, mais Berthe, veuve, s'était remariée à un ardent seigneur, Eudon de Porhoët. Eudon pendant la minorité de Conan, prit en mains les rênes du gouvernement [Note : Sur les événements généraux, voir les histoires de Bretagne de LA BORDERIE, t. III (1906) et DURTELLE DE SAINT-SAUVEUR, t. I (2ème éd., 1936)].

C'est alors qu'une circonstance malheureuse vint ouvrir aux Plantagenets la porte par laquelle ils se faufileront en Bretagne. La duchesse Berthe avait un frère Hoël. Elevé d'abord comme un légitime rejeton de Conan III, il fut désavoué par son père présumé à ses derniers moments. Loin de se résigner à cette humiliante exhérédation, Hoël s'enfuit de Rennes, gagna Nantes et s'y fit reconnaître comme Comte par les habitants.

Eudon le combattit sans réussir à le chasser. Ce furent les Nantais eux-mêmes qui, désenchantés, se débarrassèrent de lui pour le remplacer, non par Eudon ni par son pupille, mais par un Plantagenet.

Que les Nantais aient introduit les Angevins en Bretagne, rien de plus naturel. Dans la rivalité séculaire qui avait mis aux prises les comtes de Rennes et ceux de Nantes, les Nantais, plusieurs fois, avaient appelé à leur secours les comtes d'Anjou. Formée au cours de cette compétition, cette tradition n'était pas oubliée. Le bénéficiaire de l'offre des Nantais ne fut pas Henri II lui-même, déjà en possession de tous ses domaines, mais son frère cadet, Geoffroi. Celui-ci réduit, pour tout héritage, à une rente en numéraire et cependant désireux de jouer un rôle, saisit l'occasion, si même il ne la suscita pas.

Geoffroi ne fit pas jouir longtemps les Nantais des avantages qu'ils se promettaient de lui. La mort le terrassa prématurément au mois de juillet 1158. Il ne laissait pas d'enfants. A qui allait échoir son héritage ? Conan IV jugea, non sans apparence de raison, que, si Hoël avait été un usurpateur, Geoffroi ne l'avait été en rien moins et que le Comté en déshérence lui revenait. En tout cas, comme suzerain, il lui incombait d'en décider et d'y exercer le pouvoir suprême. Il partit pour Nantes et se mit en possession du comté.

Alors se dressa en face de lui la redoutable silhouette du concurrent qui allait l'écarter du revers de la main. Henri Plantagenet ne raisonnait pas comme Conan : parent le plus proche de son frère décédé, il estima que le comté Nantais ne pouvait revenir qu'à lui.

Certes on eût pu envisager un partage : le comté revenant au roi Henri II à charge d'hommage au suzerain le duc Conan, combinaison délicate à réaliser et qui ne fut ni retenue ni discutée. Henri avait pour lui la force, il la montra sans avoir à en user. Toute la chevalerie du duché de Normandie fut convoquée à Avranches, aux portes de la Bretagne, pour le jour de la Saint-Michel 1158. Le malheureux Conan se rendit lui aussi au même lieu. Il s'y rendit dans les deux sens du terme, car il renonça purement et simplement au comté Nantais. Henri II, après une visite à l'abbaye du Mont, fit à Nantes son entrée, y disposant de toute ad libitum, selon le mot d'un chroniqueur bien informé (Robert DE TORIGNI, t. I, p. 313).

Comte de Nantes, comme il s'intitula dans ses diplômes Henri II ne resta pas en si bon chemin : au bout de huit années la Bretagne tout entière tombera entre ses mains. Ce sera encore une conquête légale, car le grand législateur veillait toujours à mettre le droit formel de son côté. Suivre les étapes de sa politique est fort instructif.

Il fut favorisé par les disputes des Bretons entre eux. Eudon de Porhoët était un caractère énergique, un homme de guerre infatigable, doué pour commander plutôt que pour obéir. Sa situation de régent de la Bretagne lui convenait et lui plaisait. Son beau-fils, Conan IV, ne tarda pas à penser que, n'étant plus un enfant, c'était à lui-même qu'il appartenait de gouverner le duché. La lutte entre les deux compétiteurs commença dans le temps où Hoël régnait encore à Nantes. Elle fut pour le jeune Conan un échec. Alors, contre son parâtre, il chercha un allié et le trouva sans peine. A l'heure où les Nantais invitaient Geoffroi Plantagenet, Conan s'embarqua pour l'Angleterre où il implora le secours de Henri II contre Eudon. Le roi ne se fit pas prier et Conan, renforcé par ses alliés, l'emporta décisivement. Il faut reconnaître que ses titres juridiques ne manquaient pas de valeur. Doit-on lui faire grief d'avoir introduit l'étranger en Bretagne ? Pour être équitable, on se souviendra que des alliances de famille réitérées avaient établi des liens étroits entre les deux maisons ducales de Bretagne et de Normandie, que, dans les années précédentes, à diverses reprises, les ducs de Bretagne s'étaient mêlés des affaires normandes pour prêter main forte aux ducs de ce pays et qu'enfin, Conan IV, par son père Alain de Penthièvre, possédait l'un des plus grands et beaux fiefs de l'Angleterre, le comté de Richemont. L'alliance de Conan avec Henri II ne provoqua d'ailleurs nulle indignation en Bretagne où le duc fut soutenu par une grande partie de ses vassaux.

Le concours de Henri II était-il désintéressé ? Certainement non. Ses conditions furent-elles expressément formulées ou secrètement calculées ? Nous l'ignorons. Mais il faut en juger par les faits : à partir de ce jour-là, on voit l'écrasant protecteur intervenir dans les questions bretonnes.

Aux côtés d'Eudon de Porhoët, un seul seigneur breton avait continué la lutte jusqu'au bout, même après la capture d'Eudon. C'était Jean de Dol. Or Dol était de toutes les places bretonnes celle qui intéressait le plus vivement le roi d'Angleterre. Regardons la carte féodale. Les forteresses n'y sont pas semées au hasard. Les plus puissantes jalonnent les frontières et les voies d'accès. Au Sud, Clisson, face au Poitou, Ancenis et Chantoceaux, barrant la Loire. La brèche la plus large est au Nord : de l'Avranchin, elle dévale par le marais que borde le fond du Golfe du Mont-Saint-Michel et conduit jusqu'à la Rance. C'est là que se dresse, couvrant Rennes et verrouillant l'entrée de la Basse-Bretagne, un formidable quadrilatère composé des places fortes de Vitré, Fougères, Dol-Combour et Dinan. Aucune autre forteresse n'est comparable à ces quatre là : ni la Guerche ou Châteaubriant qui surveillent la route d'Anjou, ni Guingamp qui coupe le grand chemin du Léon, ni Montfort-Gaël, portier de la Bretagne centrale, ni Josselin et Rohan qui défendent ce centre. Les personnes prudentes se rangent à l'écart, les moines sur le rocher du Mont-Saint-Michel, les trafiquants d'Alet dans l'îlot malouin. Les places du quadrilatère ont un défaut, elles appartiennent à quatre familles différentes. Ainsi, dans la lutte entre Conan IV et son beau-père Eudon, au contraire de l'irréductible Jean de Dol, Raoul de Fougères s'était conduit en champion du jeune duc. La victoire de Conan rendit très forte la position de Raoul. Aussi fut-ce à lui que Jean de Dol, mourant en 1162, confia en garde sa fille unique et sa terre. Que fit en cette conjoncture Henri II ? Il prit possession de la terre et de la fille. La persuasion ne suffisant pas, il mobilisa une ost mélangée de combattants bretons et normands. Ce branle-bas suffit : Dol et Combour lui furent rendus. Quant à Iseult de Dol, il la maria à un gentilhomme de l'Avranchin, son fidèle sujet, Hasculf de Soligné (aujourd'hui Subligni).

Cette solution, avantageuse pour le Plantagenet, ne fut pas agréable au seigneur de Fougères. Il n'était pas le seul qu'irritât la politique envahissante du roi. C'était l'époque où, dans le monde ecclésiastique, une opposition retentissante s'était élevée contre le roi d'Angleterre, celle de l'archevêque de Cantorbéry Thomas Becket. Mais ce sont des hommes de guerre que chercha Raoul de Fougères. Il trouva des alliés parmi la noblesse du Maine que des mariages rattachaient à des familles bretonnes, comme c'était le cas de la maison de Mayenne. Une guerre de trois ans commença, guerre farouche où Henri II eut le plaisir perfide de voir ses adversaires se lancer contre lui en ordre dispersé : la première année, Raoul de Fougères ; la suivante, les comtes [Note : Le titre de comte répond mieux à la réalité que celui de vicomte quand on parle du Léon, à cette époque] de Léon ; la dernière, Eudon de Porhoët. Il put facilement les écraser et tira de sa victoire militaire une égale victoire politique.

En 1166, voulant frapper au cœur le promoteur de la Ligue qui le menaçait, Henri II rassembla de toutes ses provinces françaises une ost à la tête de laquelle il se mit en personne. Le formidable donjon cylindrique qui faisait l'orgueil de Raoul fut, en quelques heures, assiégé, pris et rasé (14 juillet). Or, à cette même date, sous les murs de Fougères, se trouvait dans l'entourage de Henri II le « comte Eudon » qui ne peut être qu'Eudon de Porhoët. Non seulement il n'aidait pas Raoul mais il marchait contre lui [Note : On sait que des fouilles récentes ont mis à jour la base de ce donjon roman. Etudes et hypothèses sur le château de Fougères dans le Bull. de la Soc. archéologique d'Ille-et-Vilaine, t. LXII (1936, par le Colonel GILLOT)].

L'année suivante, nouvelle campagne dirigée cette fois contre le comté de Léon. Le plus puissant donjon est brûlé, pris et détruit de fond en comble. On n'a pas retrouvé sa trace. Les vassaux du Léon, terrorisés, se rendent. Guyomar de Léon s'incline devant les faits et livre des otages pour garants de sa soumission.

Or la fille de Guyomar, Aliénor de Léon, était devenue la femme d'Eudon de Porhoët, récemment veuf de sa première épouse, la duchesse Berthe dont il avait eu une fille Alix. Nous en reparlerons.

Sur le terrain politique, Henri II recueillit le bénéfice de ces deux années de succès guerriers :

Avec Conan IV il conclut un pacte léonin. Une charte duement scellée par eux stipula le futur mariage de la fille encore tout enfant de Conan, Constance (c'était le nom de la première femme du duc Alain Fergent, Constance de Normandie), avec l'un des plus jeunes fils de Henri II, Geoffroi, alors âgé de huit ans (1166). La dot de Constance n'était ni plus ni moins que le duché de Bretagne. Conan IV ne s'y réservait que le comté de Guingamp, héritage paternel. Lui-même s'effaçait devant Henri II, il abdiquait son pouvoir ducal entre ses mains. Dès lors Henri II, à titre de garde de son fils mineur, fut le maître réel de toute la Bretagne. Comment justifier un abandon aussi lâche de la part de Conan IV ? Sans doute parce que Henri II exploita à fond sa possession du comté Nantais. Le mariage convenu permettait de cimenter en un seul bloc le comté Nantais avec le reste de la Bretagne. Si Conan n'avait pas cédé, Henri II eût pu séparer radicalement le comté Nantais et l'annexer à l'Anjou.

Après la soumission de Conan, Henri II vint à Thouars. C'est à dessein qu'en ce château, l'un des plus formidables du Poitou et qui venait de se livrer, il invita les Bretons à défiler pour lui prêter hommage. Ils arrivèrent nombreux, même assurément Eudon de Porhoët, généreusement gratifié de fiefs et que Henri obligea à lui conduire cette jeune Alix, fille de son union avec la duchesse et que les Bretons auraient pu mettre à leur tête de préférence à sa sœur Constance, promise au Plantagenet Geoffroi.

Henri II se montra ensuite à Rennes « Capitale » du Duché (Caput Brittanniae dit Robert de Torigni, t. I, p. 361), afin de prendre par cette ville possession de tout le pays. Il s'éloigna en visitant au passage les fameuses tours de Dol et de Combour.

Eudon de Porhoët apprit bientôt que Henri II avait odieusement déshonoré sa fille. Les bienfaits qu'il avait reçus du roi Henri lui devinrent insupportables. Convoqué par le roi pour s'acquitter des devoirs d'un vassal, il résolut de rompre et refusa d'obéir.

Dans sa résistance tardive, il fut soutenu par les Sires de Dinan, les deux cousins Rolland et Olivier. Mais les Bretons ne furent pas unanimes. Ni Raoul de Fougères, ni Robert de Vitré, ni Alain de Rohan ne suivirent leurs compatriotes.

Une fois de plus l'ost irrésistible foula la Bretagne, on la vit à Guingamp et à Quintin. Château-Josselin, la citadelle d'Eudon tomba. Il n'en reste pas pierre sur pierre [Note : Sinon les pierres réemployées dans le donjon que reconstruisit Eudon. Voir Roger GRAND. Mélanges d'archéologie bretonne (1921). p. 60. Extrait du Congrès archéologique de 1914]. Auray pris fut refortifié. Au retour, Hédé se rendit et Tinténiac fut pris. Bécherel, le château fort de Rolland de Dinan, battu en brêche par l'artillerie de Henri II, céda comme les autres. Henri laissa de côté Dinan, faute de temps, mais il ravagea les environs, à l'exception du monastère de Saint-Magloire de Léhon pour lequel intercéda Guillaume Fils-Hamon, pieux fondateur de l'abbaye de Saint-Hélier de Jersey, voisine de l'île de Serk d'où saint Magloire était originaire.

Henri II avait abrégé la campagne pour ne pas manquer le rendez-vous qu'il s'était assigné avec le roi Louis VII, à la Ferté-Bernard. En se cachant, les Bretons qui n'étaient pas invités firent irruption dans le colloque. Ils renforcèrent de leurs doléances celles des Poitevins. Le sort indigne d'Alix de Bretagne fut évoqué à la honte de Henri II. Louis VII qui avait promis de ne pas signer de paix séparée, se retira sans avoir rien conclu.

Cependant, vers l'épiphanie de 1169, la paix se fit entre les deux rois. L'une des clauses stipulait que l'hommage de la Bretagne serait porté au roi de France par Henri le Jeune, fils ainé du roi d'Angleterre. A ce même Henri le Jeune, Geoffroi, son cadet, dut, d'ordre de son père, prêter hommage du duché breton. C'était un souvenir de l'époque où des ducs de Normandie avaient revendiqué et parfois obtenu l'hommage de cette province. Geoffroi vint ensuite à Rennes pour la première fois, afin d'en prendre possession suivant les rites traditionnels. Les évêques de Rennes et de Saint-Malo ainsi que l'abbé du Mont-Saint-Michel l'y accueillirent. Les barons bretons vinrent lui apporter leur foi et leur hommage.

A la fin de la même année, Henri II, revenant en Bretagne, tint sa cour à Nantes, le jour de Noël. C'est là que fut jugé Eudon de Porhoët, comme vassal félon. Dépouillé des vastes domaines qu'il tenait à titre de dot de sa femme, bien que l'enfant qu'il en avait eue ne fût plus en sa garde, il fut en outre privé du titre de comte et réduit à celui de vicomte, correspondant au seul Porhoët [Note : Benoît DE PETERBOROUGH, t. I, p. 3, cf. Robert de Torigni, t. II, p. 5]. La rage au coeur Eudon se réfugia en France, auprès de Louis VII qui connaissait sa vaillance.

Après la cour tenue à Nantes, Henri II, chevauchant avec Geoffroi à travers la Bretagne, dut se rendre compte du mauvais effet produit par le transport de l'hommage de la Bretagne à son fils aîné. Aussi, peu après, rédigeant son testament au cours d'une maladie, Henri II disposa-t-il que la Bretagne serait dévolue à Geoffroi et Constance, sans soumettre cette attribution à aucune sujétion envers Henri le Jeune.

Survint alors le décès de Conan IV qui, en affermissant la position de son jeune gendre Geoffroi Plantagenet, aurait pu simplifier la question bretonne.

Celle-ci s'en trouva au contraire embrouillée, car la Bretagne fut impliquée dans le plus dangereux soulèvement que Henri II ait eu à réprimer. Ses adversaires avaient à leur tête ses propres fils, et parmi eux le jeune Geoffroi qui réclamait l'investiture du duché breton que la mort de Conan laissait vacant.

Les barons bretons se partagèrent : certains restèrent auprès de Henri II, comme Rolland de Dinan. L'étendard de la révolte fut brandi par Raoul de Fougères et Eudon de Porhoët, mais entre les deux chefs la mésintelligence était latente. Ils eurent pour auxiliaires des chevaliers du Bas-Maine et de la Basse-Normandie ; parmi ces derniers, l'un des plus grands seigneurs d'Angleterre, le comte de Chester.

Henri lança contre eux sa redoutable infanterie de mercenaires brabançons. Lui-même accourut de Rouen avec une célérité qui frappa d'étonnement ses contemporains. Défaits en bataille rangée, ses ennemis furent contraints par d'habiles manœuvres, à s'enfermer dans la Tour de Dol.

Sous les coups des pierrières du roi Henri, les donjons bretons s'écroulaient comme des châteaux de cartes. Après deux jours de défense, Dol, bourré de guerriers, capitula. Ce fut un véritable Sedan.

Vainqueur de ses propres enfants, Henri II leur fit des concessions. Geoffroi, à qui le traité de Gisors conclu entre Louis VII et Henri II (25 septembre 1173) avait une fois de plus donné l'expectative de la Bretagne, reçut de son père la moitié du revenu de la province (Falaise, octobre 1174).

Enfin, après lui avoir fait prêter un serment de fidélité, Henri II consentit à envoyer Geoffroi gouverner effectivement la Bretagne, au moins par intermittence et en le renforçant d'un Mentor, en la personne de Rolland de Dinan (1175). Le jeune prince se montra très actif, il combattit durement contre les comtes de Léon. Il finit par les écraser et morcela le comté en trois tronçons dont l'un, Morlaix, fut gardé par lui-même (1179).

Il s'en faut que Geoffroi, à cette époque, ait résidé constamment en Bretagne. Souvent on le voyait en Angleterre. C'est à Woodstock, au comté d'Oxford, qu'il fut armé chevalier par son père, le 15 juillet 1178. Il avait vingt ans. Son mariage avec Constance fut célébré en 1181, et, depuis cette date, il gouverna le duché personnellement jusqu'à sa mort, survenue par accident en 1186.

Geoffroi entraîna la chevalerie bretonne dans ses campagnes contre ses frères ou contre son père. Nous ne l'y suivrons pas, l'indépendance bretonne n'y était pas en jeu.

Elle fut au contraire fort exposée quand la mort de Geoffroi laissa derrière lui deux tout petits Plantagenets : une fille, l'aînée, nommée Aliénor comme sa grand'mère, et un fils qu'un chroniqueur appelle le Désiré des nations, un fils dont le nom Arthur fut un manifeste des Bretons. On vit poindre en lui le chef national qui manquait à la Bretagne depuis près de quarante ans.

Les deux rois de France et d'Angleterre rôdèrent autour des orphelins. La fille fut réclamée par Philippe-Auguste au nom du droit de garde, Henri II refusa de la livrer ; il est probable qu'il l'emmena en Angleterre où elle demeura le reste de ses jours.

Richard Cœur de Lion la maria, en projet, au gré de sa politique, d'abord avec le fils du duc d'Autriche, pour faciliter sa propre libération (1194), puis au fils aîné de Philippe-Auguste (1195) (Voir sur ces événements la chronique de Roger de Hoveden).

Arthur avait une autre importance. Pour le garder, Henri II donna à la duchesse Constance un second époux en la personne d'un seigneur de haut rang : Ranulf de Chester. Ranulf n'était pas plus anglais que tant de Normands possesseurs de fiefs des deux côtés de la Manche. Descendant des vicomtes de Bayeux et d'Avranches, fils de Hugues de Chester qui avait pris part à l'insurrection bretonne de 1173 auprès de Raoul de Fougères et d'Eudon de Porhoët, sa mère était Bertrade de Montfort, sœur de Simon et d'Amauri qui devint comte de Gloucester. Plus tard Ranulf de Chester sera le fidèle allié de Pierre Mauclerc [Note : Harris NICOLAS, The Historic Peerage, 1867 ; E.-A. PIGEON, Le Diocèse d'Avranches, 1888, t. II ; p. 316, 319 ; Ch. BÉMONT, Chartes des libertés anglaises, 1892, p. 11 et 60. Art de vérifier les dates, t. II, p. 805].

Il n'eut pas l'heur de plaire à Constance et, s'il parut à la cour bretonne, il dut la quitter promptement. On ne connaît qu'un acte de lui où il s'intitule duc de Bretagne, cet acte ne concerne pas la Bretagne et aucun Breton n'y figure (Dom MORICE, Preuves, t. I, c. 707).

En 1196 il voulut enlever sa femme. Constance, appelée en Normandie par le roi Richard, s'acheminait sans crainte. A la première étape hors du duché, à Pontorson, elle fut arrêtée et enfermée dans le château de Saint-James de Beuvron, propriété de Ranulf.

Richard, son complice, se fâchait de voir les Bretons refuser de lui rendre Arthur. Il déchaîna contre eux les soudards de Mercadier. Arthur fut introuvable. Caché d'abord dans les châteaux d'André de Vitré, puis confié aux comtes de Léon, il déjoua toutes les poursuites et fut finalement amené à Paris par l'évêque de Vannes, Guéthenoc, et remis à Philippe-Auguste.

De guerre lasse, Richard laissa Constance recouvrer sa liberté grâce au dévouement d'André de Vitré qui livra sa propre fille en otage à la place de la Duchesse. L'acte de paix conclu entre elle et le roi Richard nous montre, vivant dans la maison de ce souverain et à ses gages, deux Bretons, Pierre de Lohéac et Alain de Châteaugiron (Pierre LE BAUD, Chroniques de Vitré, p. 31-34).

La mort inopinée de Richard en Limousin modifia à nouveau la situation. Nul ne contesta au jeune Arthur la possession de la Bretagne, nul ne réclama sur lui le droit de garde. C'est lui qui, fort des droits de son père et d'un acte de son oncle Richard qui, en le mariant à la fille du roi de Sicile, l'avait proclamé son héritier (Benoît DE PETERBOROUGH, t. II, p. 133), revendiqua le royaume d'Angleterre ou, tout au moins, en se fondant sur leurs coutumes, les provinces du vieux patrimoine angevin : Anjou, Maine, Touraine. Il en saisit les trois capitales, mais Philippe-Auguste, en signant avec Jean sans Terre le traité du Goulet, reconnut à ce roi l'héritage des Plantagenets et même l'admit à lui rendre l'hommage de la Bretagne. Arthur, comme son père, dut en faire hommage à son oncle à titre de duc de Normandie (22 mai 1200) (Benoît DE PETERBOROUGH, t. IV, p. 11).

Tout fut remis en question par l'arrêt du 28 avril 1202 qui confisquait les domaines français de Jean sans Terre. Arthur, à nouveau investi des provinces angevines, fut fiancé par Philippe-Auguste à la fille qu'il avait eue d'Agnès de Méranie et qui venait d'être légitimée, Marie.

Rêves bientôt évanouis. On sait comment Arthur essayant de capturer dans Mirebeau, sa grand'mère Aliénor, fut lui-même pris et arrêté dans son lit (1er août 1202).

C'est en vain que des seigneurs bretons vinrent le réclamer au roi Jean ; en vain que Philippe-Auguste, dans des pourparlers avec Jean sans Terre, exigea qu'on le lui rendît ou, s'il n'était plus en vie, que la main d'Aliénor, sa sœur, fut donnée au prince Louis avec toutes les possessions continentales du roi Jean.

Jusqu'en 1206 on douta du sort d'Arthur. Jean sans Terre ne pouvait rendre le malheureux qu'it avait, trois ans auparavant, noyé de ses propres mains sous les murs de Rouen ; il ne voulait pas rendre sa sœur Aliénor, la « Brette ». Celle-ci mourut en 1241, à Bristol, captive et victime innocente de la peur qu'elle inspirait à deux rois : à Jean sans Terre qui voyait en elle l'héritière de Richard Cœur de Lion, à Philippe-Auguste qui n'aurait pas toléré au gouvernement de provinces françaises, la pupille de Jean sans Terre [Note : PETIT-DUTAILLIS, Le Deshéritement de Jean sans Terre et le meurtre d'Arthur de Bretagne, 1925 (Revue historique). — Dom GUILLOREAU, Aliénor de Bretagne, 1907 (Revue de Bretagne)].

***

En somme les Plantagenets mirent le pied en Bretagne, l'an 1156. Depuis 1166 Henri II la gouverna légalement. Le duché fut aux mains de son fils Geoffroi et de son petit-fils Arthur jusqu'en 1202.

Si cette domination s'est heurtée à une hostilité persévérante chez les Bretons, peut-on mettre en balance, à l'actif des Plantagenets de Bretagne, des mesures utiles ? C'est le moment d'examiner leur œuvre.

En prélude à cette recherche il faut noter ce qui a été la condition du succès.

J'ai dit que Henri II avait trouvé des partisans dans le baronage breton. L'influence sur les populations se partageait entre les seigneurs laïques et les prélats. Henri II tenait beaucoup à sem droit de nomination épiscopale. En Angleterre il prétendit faire procéder aux élections des évêques dans sa propre chapelle par des délégués des chapitres mandés par lui et délibérant avec des dignitaires désignés par lui. Ainsi le réglait l'un des articles des constitutions de Clarendon qui soulevèrent les protestations de Thomas Becket.

Après la pénitence publique du roi à Avranches, il renonça à la procédure autoritaire qu'il avait voulu imposer aux chapitres mais il exigea toujours qu'une élection fût précédée de l'octroi du congé, sollicité en sa chancellerie et délivré par lui [Note : Raymonde FOREVILLE, l'Eglise et la Royauté en Angleterre sous Henri II Plantagenet, 1943]. C'est dire qu'aucun évêque ne pouvait être choisi à l'insu du roi qui avait toujours le loisir de pousser une candidature. En France les souverains jouissaient du même droit. On ne s'étonnera donc pas de voir Henri II intervenir parfois dans les nominations épiscopales de la Bretagne.

C'est à Rennes, à Nantes et à Dol, les trois diocèses qui confinent à ses domaines, que nous le voyons soutenir ses créatures [Note : Outre les sources déjà citées, voir Gallia christiana, t. XIV (1856)].

A Rennes, en 1166, était mort l'évêque Etienne, ex-abbé de Saint-Florent de Saumur, puis en 1167 son successeur un chanoine de Rillé près de Fougères. Ce dernier fut remplacé par un chapelain de Henri II, ex-chantre de Mortain et secrétaire de la chancellerie royale, Etienne de Fougères. Rennes était la ville du couronnement, celle où les ducs recevaient solennellement, sinon la couronne, du moins les insignes de leurs fonctions, l'épée et la bannière. Geoffroi, à sa première et joyeuse entrée, y fut reçu par l'évêque Etienne de Fougères qui, d'ailleurs, était un lettré réputé. Sous son pontificat l'archevêque de Tours tint à Rennes un synode d'évêques bretons (1175). Devenu évêque, Etienne de Fougères fréquentait encore la cour du roi et sa souscription se lit au bas de quelques actes de Henri II.

Les deux successeurs d'Etienne avaient été, avant leur élection épiscopale, abbés du monastère cistercien de Clermont, dans le Maine. L'un d'eux souscrivit une lettre du roi Richard. Puis vint Pierre de Dinan, issu de la branche de cette maison, fixée en Angleterre. C'était un chanoine de Saint-Pierre d'York et clerc de son archevêque, qui lui avait donné la dignité d'archidiacre de Westriding.

A Nantes quand le cistercien Bernard d'Escoublac, ancien chanoine nantais, mourut, son successeur fut son neveu l'archidiacre de Nantes Robert, élu, le jour de Noël 1169, en présence et avec le consentement du roi Henri II qui tenait alors sa cour à Nantes. Plus assidu encore qu'Etienne de Fougères au conseil royal, il fut l'un des trois évêques choisis de la part du roi d'Angleterre pour éclaircir les difficultés éventuellement soulevées par les traités conclus avec le roi de France en septembre 1177 et juin 1180.

Son successeur Maurice de Blaison était le parent et le protégé de la reine Aliénor d'Aquitaine. On le trouve près de Henri II au Mans, en 1188, près de Richard, à Domfront, en 1190. Le roi Richard le fit transférer sur le siège épiscopal de Poitiers en 1198 [Note : Alfred RICHARD, Histoire des comtes de Poitou, 1903, t. II, p. 309 et 820].

Dans les deux séries de Rennes et de Nantes l'influence des Plantagenets est donc certaine. Dans les autres diocèses bretons, Dol mis à part, leur intervention n'est guère saisissable.

A Vannes après le long épiscopat du cistercien Rouaud, fut élu, en 1182, l'archidiacre de Rennes, Guéthenoc, nom tout bretonnant d'un personnage qui ne recula pas devant le risque de conduire à Philippe-Auguste l'enfant Arthur, pourchassé par les routiers de Richard.

En 1159, fut élu à Quimper, Bernard Le Breton, chancelier de l'église de Chartres, théologien distingué. Son successeur Geoffroi fut témoin d'une charte de Henri II.

Le plus connu des prélats qui aient gouverné Saint-Brieuc à cette époque est Josse, breton de race, ami du comte Eudon de Porhoët, et nommé, en 1157, archevêque de Tours.

Lorsque Jean de la Grille décéda dans la jeune ville de Saint-Malo où il avait transféré le siège d'Alet, son successeur, l'archidiacre Aubert, n'était pas un ennemi des Plantagenets car, en 1169, il se rendit à Rennes pour assister à l'entrée de Geoffroi. On le trouve ensuite à Chinon, à la cour de Henri II. Son successeur Pierre Giraud obtint de la duchesse Constance un marché hebdomadaire pour les habitants de la ville.

Dans le fond de la Bretagne les abus que la réforme grégorienne avait ailleurs fait disparaître, survivaient encore. L'évêque de Tréguier Guillaume fut accusé de simonie, mais appelé à Rome il effaça cette tare. Son successeur Yves le Breton, archidiacre de Tours, fut tué en partant pour Rome (1179). Après lui vint Geoffroy Loïz, fils d'un bourgeois de Guingamp.

C'est à Saint-Pol-de-Léon que l'on conservait les mœurs les plus archaïques. L'évêché y était presque une annexe du comté. Un frère était comte, l'autre évêque. L'évêque Haimon maniait l'épée comme un chevalier. Victime des querelles de sa famille, il périt assassiné par son frère et par son neveu (1171). Son successeur, accusé de simonie, sans doute au profit des comtes de Léon, ne fut pas consacré.

Dans ces six diocèses l'influence des Plantagenets n'est pas comparable à ce qu'elle a été à Rennes, à Nantes et à Dol. A Dol elle était double. Non seulement les Plantagenets interviennent pour s'assurer un prélat fidèle, mais encore pour faire reconnaître par Rome le caractère archiépiscopal et métropolitain du siège, ce que Tours contestait.

C'est en présence du roi Henri II et de deux légats réunis dans la ville du Mans que l'archevêque de Dol Hugues se démit de ses fonctions en 1161. A sa place et sans doute sous les mêmes yeux fut élu l'archidiacre de Bayeux, Roger du Homet, parent du connétable de Normandie, Richard du Homet. L'élection du successeur se déroula (1175) devant les évêques de Bayeux et d'Avranches et l'abbé du Mont-Saint-Michel, Robert de Torigni, le chroniqueur. L'élu fut le doyen du chapitre d'Avranches, l'italien Rolland de Pise. Il devint cardinal-diacre de Sainte-Marie in via lata en 1184. Après lui, vint un ex-doyen de Mortain, Henri, fils de Robert Fitz-Harding, double indication qui trahit en lui le sujet de Henri II.

On peut se demander quel intérêt avait Henri II à perpétuer les prétentions archiépiscopales de Dol au détriment des revendications de Tours puisque la Touraine appartenait tout autant et même plus, aux Plantagenets que la Bretagne. Ce serait oublier que l'archevêché de Tours ne dépendait nullement de la dynastie angevine. Les rois de France avaient gardé dans leur dépendance un certain nombre d'évêchés situés en dehors des limites territoriales du domaine royal. C'était le cas, par exemple, de Tournai, aux frontières de l'Empire et du comté de Flandre. C'était le cas de l'archevéché de Tours. Les Plantagenets n'y avaient rien à voir. Cela explique leur attitude en la matière. L'archevêché de Dol, créé au IXème siècle par le pouvoir civil, n'avait jamais été reconnu par le Saint-Siège lorsque Grégoire VII, voulant encourager la Réforme religieuse, conféra le pallium à un archevêque de Dol nommé par lui. Quatre successeurs de ce prélat reçurent le même privilège. Alors de bons esprits cherchèrent une transaction. Saint Bernard, par la voix de l'abbé cistercien de Fontaines-Blanches, au diocèse de Tours, proposa un moyen terme.

L'archevêque de Dol, Hugues Le Roux, lui aussi, souhaitait la paix, mais houspillé par ses chanoines quand il esquissait une concession, rudoyé par l'archevêque de Tours, quand il tentait de se raidir, il se découragea et se démit. C'est pourtant lui qui, réfugié au Mont-Saint-Michel, eut l'idée d'implorer l'aide de Henri II. Celui-ci n'hésite pas à le recommander à son sujet anglais, le Pape Hadrien IV. Cette intervention valut à Hugues le pallium, le dernier pallium qu'on ait vu sur les épaules d'un archevêque de Dol.

Le vieux procès se rouvrit en 1179. La faveur du Pape pour l'archevêque de Dol Roland de Pise fit craindre à la cour de France une sentence favorable à Dol. Louis VII et Philippe-Auguste adressèrent aux Papes Alexandre III et Lucius III des lettres véhémentes dues à la plume de l'abbé de Sainte-Geneviève, Étienne, bon écrivain mais doué d'un goût fâcheux pour les allitérations : « Dolet admodum de Dolensium dolis ».

Nouvelle alerte en 1184 et nouveau plaidoyer d'Etienne. Troisième alerte en 1190, pendant que Philippe était à la Croisade, et troisième défensive, du même auteur et de la même encre [Note : Les lettres d'Etienne de Tournai sont dans MIGNE, Patr. lat., t. CCXI, n°s XL, LXXIV, CVII, CVIII, CIX, CX et CXL, d'après l'édition de Cl. du Molinet (1679)].

Malgré des ajournements répétés l'affaire s'acheminait vers son terme. Innocent III força les parties à comparaître devant son tribunal et leurs proposa un ultime arrangement : Dol aurait gardé ses deux suffragants mais, en marque de soumission, aurait reçu le pallium par l'intermédiaire de l'archevêque de Tours. Dol refusa et fut condamné sans appel par une bulle du 1er juin 1199. L'ex-archevêque de Dol, désolé, supplia le pape d'agréer sa démission. Celui-ci répondit : « Tu es un époux et ton épouse te réclame. Tu ne peux faire ce que tu demandes sans notre licence. Nous t'ordonnons, en vertu de la sainte obéissance, que dans les quarante jours de la convocation que t'adressera l'archevêque de Tours, tu te rendes auprès de lui comme ton métropolitain, pour en recevoir la consécration » (HOVEDEN, t. IV, p. 100-103). Doit-on penser que la mort de Richard Cœur de Lion, survenue quelques semaines avant la bulle, rendit le pape plus hardi ? Non, car les Plantagenets ne faisaient plus de la question doloise un casus belli. A part la lettre à Hadrien IV, que firent-ils pour Dol ? Au concile d'Avranches, qui absout Henri II, l'archevêque de Tours fit entendre sa plainte habituelle à laquelle les clers de Dol répondirent, et l'on maintint le statu quo. Les rois d'Angleterre n'entretenaient pas de mauvais rapports avec les archevêques de Tours. Leur ambition, à la fin du XIIème siècle, cherchait plutôt à substituer sur ces prélats leur influence à celle du roi de France.

***

Dans le domaine ecclésiastique les Plantagenets veillèrent donc à se créer parmi le haut clergé des auxiliaires vigilants.

Leur politique, secondée sur place, atteignit ses buts et laissa des résultats.

Tout d'abord sur le plan territorial. Leur manière de pénétrer dans le duché avait risqué d'accentuer la séparation entre le comté de Nantes et le reste de la Bretagne ; pendant plusieurs années la scission fut menaçante. Au contraire la réunion prolongée entre les mêmes mains, à partir de 1166, du comté et du duché souda l'ensemble dans des frontières communes et définitives. La guerre de succession, au XIVème siècle, malgré ses âpres divisions, n'ébranla pas cette unité que les Plantagenets avaient raffermie.

En leur temps aussi, le titre porté par le seigneur de la Bretagne se fixa. Les prédécesseurs immédiats de Conan IV se disaient tantôt ducs, tantôt comtes. L'un était plus élevé dans la hiérarchie féodale, l'autre était plus ancien et plus populaire. La branche cadette de la maison ducale le conserva en Penthièvre. Les princes de cette ligue se disaient comtes des Bretons ou Comtes, tout court. La branche aînée s'intitula régulièrement, à partir de Conan IV, duc de Bretagne, comte de Richemont. Dans l'usage courant le peuple et même les officiers ducaux conservèrent longtemps le terme de comte pour désigner leur duc. La chancellerie royale de France ne reconnut le titre ducal qu'en 1297, la chancellerie pontificale, en 1288. Seule la chancellerie anglaise l'admit dès le temps des Plantagenets, au moins depuis Jean sans Terre (1202) [Note : Voir Les Papes et les ducs de Bretagne, t. I, p. 193, et JEULIN, l'Hommage de la Bretagne, 1934, p. 50 (Annales de Bretagne)].

Dans le domaine des institutions, plusieurs initiatives fécondes se rattachent au passage de ces princes au pouvoir.

En matière législative, c'est la fameuse assise au comte Geoffroi de 1185. Assise, c'est précisément le terme dont se sert Henri II pour désigner ses grandes lois. Mais la loi de Geoffroi ne fut pas imposée d'autorité. Elle garda un caractère contractuel. Y devaient être soumis ceux qui y souscriraient librement. Ce fut le cas de la majorité des seigneurs bretons ; ainsi devint-elle la règle. Elle modifiait gravement la transmission héréditaire des fiefs les plus importants, ceux des barons et des chevaliers : le droit d'aînesse y était introduit sous sa forme la plus rigoureuse. Ce régime florissait en Normandie et en Anjou. Le fils de Henri II le leur emprunta pour arrêter le morcellement des fiefs et assurer l'accomplissement des services féodaux. Il ne craignit pas de renforcer une aristocratie alors domptée. Se conformant aux idées de son temps, il voyait dans les grands barons comme dans les grands feudataires un échelon nécessaire de la société et de la hiérarchie politique. L'assise au comte Geoffroi est la première constitution ducale en Bretagne [Note : Texte p. p. PLANIOL, La Très ancienne coutume de Bretagne, 1896, p. 321, étude dans la Nouv. rev. hist. de droit, 1887, t. IX, p. 117 et suiv.].

Sous le rapport de la justice, l'une des grandes innovations des Plantagenets consista dans les Enquêtes de pays, enquêtes et jugements par jury. Elles mettaient fin à la procédure sommaire et aléatoire du duel judiciaire. On lui substituait une interrogation posée, après serment, à douze citoyens choisis, qui s'exprimaient par oui ou par non et dont les réponses, si elles concordaient, formaient le droit des parties. La grande enquête ordonnée par Henri II pour reconstituer le domaine temporel des archevêques de Dol ne rentre pas dans ce type. Le nombre des témoins y est très grand, leur individualité n'est pas précisée, c'est une enquête par tourbe, à la mode française, mais on cite, par ailleurs, une enquête de pays, testimonium patriae, réclamée, en 1167, par l'abbé de la Vieuville au roi Henri II. Ce mode de procédure se pratiquait déjà en Normandie, peut-être en Anjou. Henri l'introduisit en Angleterre. Il est normal que des Bretons en aient sollicité l'application chez eux [Note : MORICE, t. I, col. 658. - La Vieuville était une abbaye cistercienne du diocèse de Dol. ALLENOU, Histoire féodale des Marais, territoire et église de Dol, 1917 (Annales de Bretagne)].

C'est surtout dans l'administration que l'œuvre des Plantagenets fut remarquable. Avant eux les officiers qui gravitaient autour des ducs étaient plutôt des domestiques que des fonctionnaires. Le Sénéchal était un maître d'hôtel et un factotum. Avec Henri II, le sénéchal de Bretagne devient un homme politique, il est le justicier en chef, une sorte de vice-roi. Le premier fut Guillaume Fils-Hamon, un seigneur du Cotentin. Henri II en fit son sénéchal de Nantes quand il posséda ce comté puis un sénéchal de Bretagne. Il le remplaça, en 1175, par un Breton, Rolland de Dinan, premier ministre du jeune Geoffroi. Geoffroi, plus indépendant après son mariage, secoua la tutelle de Rolland, lui enleva violemment le château de Bécherel, et donna les fonctions de Sénéchal de Bretagne à un autre baron breton, Raoul de Fougères, que Constance, devenue veuve, maintint dans son poste.

Là ne se borna pas la réforme. Le sol de la Bretagne fut divisé en huit circonscriptions nommées baillies. Elles ne correspondaient pas aux évêchés, sauf en Léon et au pays de Nantes, mais aux anciens comtés. A la tête de chaque baillie fut placé un Sénéchal, subordonné au Sénéchal de Bretagne, mais supérieur aux agents locaux dont certains portaient le titre de Sénéchal. C'est à ce travail que fait allusion un chroniqueur lorsqu'il dit de Henri II : « Il organisa si bien cette province en toutes ses parties que par le travail paisible de la population les territoires qui étaient déserts devinrent prospère » [Note : André OHEIX, Essai sur les sénéchaux de Bretagne, 1913. Le passage cité est de Guillaume de Newbridge, ibid, p. 38].

Si nous arrivons au domaine économique, nous signalerons l'éveil de la marine bretonne. Des navires bretons figurèrent dans la flotte qui porta Richard Cœur de Lion en Terre-Sainte quoique aucun Breton ne soit cité parmi les commandants. D'autres témoignages nous éclairent sur notre marine au XIIème siècle.

L'arabe Edrisi entreprit, en 1154, une description du monde pour satisfaire la curiosité de son souverain le roi Roger de Sicile. Ce joanne primitif cite en Bretagne plusieurs ports : en premier lieu Nantes « grande, bien bâtie, bien peuplée, les navires y abordent et en sortent ; elle est très forte et son territoire est fertile », Le Croisic, port très sûr et chantiers de construction, Vannes, qui a de même un port et des constructions navales, Saint-Mathieu, port très sûr et fréquenté dont les habitants sont riches et font beaucoup de commerce. Saint-Malo, dont il vante le commerce, n'est pas qualifié de port, mais Dinan, d'où l'on expédie des marchandises de tous côtés et dont les murailles de pierre sont admirées. Rennes est sur la route de Nantes au Mont-Saint-Michel, c'est une ville considérable, peuplée, abondante en ressources, entourée de fortes murailles et où l'on trouve des industries permanentes. Edrisi termine par des vues générales sur la Bretagne : il existe dans cette mer quantité d'îles habitées. Peu de navigateurs osent s'y hasarder et ceux qui le font, bien que doués des connaissances et de l'audace nécessaires, ne naviguent que côte à côte et sans s'éloigner de la terre. Encore le temps favorable pour ces expéditions se borne-t-il aux mois d'août et de septembre. Les principaux navigateurs de cette mer sont ceux qui sont connus sous le nom d'Anglais. Pour les Bretons il ajoute : « Malgré tout ce que cette mer présente d'effrayant, elle contient beaucoup de poisson excellent et l'on s'y livre à la pêche dans des localités déterminées ». Le trait final est moins flatteur : « La population est généralement ignorante, grossière et insouciante » [Note : Traduction d'Amédée JAUBERT, Recueil de voyages et de mémoires publiés par la Société de géographie, V, t. II (1840), p. 352 et suiv.].

Une entrave qui gênait terriblement le commerce maritime était le droit de bris, forme abusive de la coutume, générale qui attribue à l'inventeur ou à l'Etat les biens sans maître. Les navires brisés sur le rivage, même quand les propriétaires survivaient au naufrage et les revendiquaient, étaient perdus pour eux. Ce droit cruel fut aboli par le concile de Nantes de 1127 mais il se maintint dans les terres de quelques vassaux ducaux et même dans le domaine ducal où l'on préféra plus tard le convertir en une taxe, semblable à une prime d'assurance, assurance que les maîtres de navires contractaient en retirant de la chancellerie ducale ou des bureaux créés ad hoc à La Rochelle et à Bordeaux, des écrits appelés Brefs ou Brieux. Le mot « bref » traduit exactement le writ anglais. A quelle époque se produisit cette heureuse innovation ? On la fait remonter habituellement à l'année 1231, date d'un traité signé entre saint Louis et Pierre Mauclerc, où le système des brefs est reconnu. Mais ce traité est un faux dénoncé depuis le XVIIème siècle (Voir les Papes et les ducs de Bretagne, t. I, p. 93). Par ailleurs un acte publié par Dom Morice (Tome II, c. 232, dans un vidimus de 1381) atteste le don fait à l'abbaye de Bégar par la duchesse Constance et son fils Arthur, du dixième des revenus des nefs, dit semi-marc, levé à La Rochelle et autres lieux et dû par les navires qui « prennent les petits sceaux de nos brefs en La Rochelle et en Bretagne ».

Il est peu probable que ce régime ait été créé par la duchesse Constance. Il remonte vraisemblablement au temps où la Bretagne et La Rochelle étaient réunies dans les fortes mains de Henri II. Entre l'Angleterre et la Normandie, d'une part, les ports de la Saintonge et de la Guyenne, de l'autre, s'établit une active circulation maritime. La Rochelle et Oléron s'enrichirent. Alors paraît le premier coutumier marin, les Rôles d'Oléron. Les pilotes bretons, les matelots bretons, l'île de Batz et Saint-Malo y sont mentionnés [Note : Texte p. p. PARDESSUS, Collection des lois maritimes, (1828) t. I, p. 323 et suiv.]. Une addition ancienne fait connaître le tarif des brefs ducaux de Bretagne [Note : PLANIOL, op. cit., p. 465. Voir aussi le fragment de compte de 1262-1267 que nous publions dans les mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne, t. XXVI, 1946]. Henri II, par lettres du 26 mai 1174, abolit, sous certaines conditions, le droit de Varec ou Bris sur les côtes d'Angleterre, du Poitou, de Gascogne et de l'île d'Oléron [Note : RYMER, Fœdera, t. I, p. 36. En 1187 Philippe-Auguste abolit la coutume de « lagan » dans tout le domaine royal (DELABORDE. Recueil des actes de Philippe-Auguste, (1916) t. I, p. 254, n° 209]. Inévitablement il a dû chercher à protéger les navires de ses sujets contre le bris sur les côtes bretonnes. Il n'est donc pas téméraire de lui attribuer la transformation du droit de Bris par le moyen des Brefs.

Un fait divers contemporain nous montre, pris sur le vif, le mécanisme exact et prompt des institutions agencées par Henri II. Un sacrilège fut commis, en 1177, au préjudice du Monastère de Botmin, dans la Cornouaille anglaise. Un chanoine régulier, Martin, mécontent de ses confrères et désireux de leur jouer un mauvais tour, eut l'audace de soustraire leur plus insigne relique, le corps de saint Pétroc. Martin prit la mer, débarqua avec son précieux fardeau à Saint-Magloire de Léhon et en fit don à l'abbaye de Saint-Méen où un miracle avait révélé sa présence. Rencontrant à Dinan le fameux Roland, seigneur du lieu et « vicomte de Geoffroi » fils du roi, Martin lui raconta que la Cornouaille, appartenant de droit au duc Geoffroi, il avait voulu lui restituer un bien légitime.

Cependant, à Botmin, les bons chanoines ne s'étaient aperçus de rien. Pour leur ouvrir les yeux il fallut que des moines du Mont-Saint-Michel, venus en Angleterre pour la gestion de leurs prieurés, révélassent l'incident à l'évêque d'Exeter qui s'empressa d'en aviser le couvent de Botmin.

Sans perdre de temps en lamentations, le prieur dépêcha en Bretagne le frère Jean pour s'enquérir des faits ; lui-même, par l'intermédiaire de l'évêque d'Exeter, sollicita du roi Henri des ordres obligeant l'abbé de Saint-Méen à restituer les reliques de saint Petroc. Le garde des sceaux du roi, Gautier de Coutances, originaire du Cornwall, et le tout-puissant ministre Richard de Lucé appuyèrent la requête du prieur. Henri II donna les ordres nécessaires et en fit donner de semblables par son fils Geoffroi, qui était près de lui. Gautier de Coutances, en homme prévoyant, acheta un reliquaire d'ivoire destiné à enfermer les reliques et fit fabriquer une châsse de bois pour le protéger.

Par mer, accompagné d'un agent du roi, le prieur de Botmin arriva à Coutances. Un chanoine de la cathédrale, cousin du garde des sceaux, lui servit d'introducteur. Avec frère Jean qui s'y retrouva, fut organisée une caravane. Hébergée au Mont-Saint-Michel, puis à Dol où fut remise à l'Elu (l'archevêque) une lettre du roi, passant par Léhon et Caulnes, elle frappa bientôt aux portes de l'abbaye receleuse des os de saint Pétroc. L'accueil des moines de Saint-Méen fut si froid que les voyageurs ne logèrent pas à l'abbaye et repartirent le jour même pour Dinan. Rolland s'y trouvait, il se chargea d'exécuter les ordres du roi. Il s'abouche avec l'avoué féodal de l'abbaye de Saint-Méen, Geoffroi de Montfort. Les deux seigneurs prirent en personne la tête de la colonne et se présentèrent au monastère. L'abbé discuta tant qu'il put mais enfin, devant les ordres positifs du roi, s'inclina. Il plaça les reliques sur l'autel où le prieur de Botmin les reconnut et les reçut de la main de Rolland de Dinan. Celui-ci ajouta une lettre pour le roi. Revenu à la cour, le prieur présenta les reliques à Henri II qui y préleva trois articulations pour lui-même et une côte qu'il fit envoyer, dans un reliquaire d'argent, à l'abbé obéissant.

La relation de ces petits événements fut écrite peu après et inspire confiance par sa sobriété et l'exactitude de tous les détails que l'on peut vérifier [Note : Manuscrit de Gotha, n° 57. Il sera publié dans les Analecta Bollandiana. Le Rév. Doble l'a analysé dans une brochure sur saint Pétroc. Roger de Hoveden mentionne succinctement l'incident, t. II, p. 136. M. Bourde de la Rogerie a bien voulu me communiquer le texte de Gotha].

Le contraste entre le sans-gène des mœurs anciennes et la justice rapide et énergique du Plantagenet y est éclatant. On s'explique, après l'avoir lu, ce jugement d'un chroniqueur : le menu peuple mit sa confiance dans Henri II qui, lui prêtant secours promptement et puissamment, soumit les perturbateurs et les oppresseurs qui se croyaient invulnérables grâce à la force de leurs châteaux (A. OHEIX, op. cit., p. 38, texte de Guillaume de Nowbridge).

L'aventure de s. Petroc nous montre que Henri II ne faisait pas de différence entre les Celtes du Cornwall et ses autres sujets. On sait qu'il essaya de se subordonner les pays celtiques qui l'entouraient : Galles, Ecosse, Irlande. Une question se pose : y a-t-il eu un plan concerté soit chez les Celtes pour résister au Plantagenet, soit chez celui-ci pour écraser les Celtes ? Faut-il tirer argument, pour l'affirmative, du mariage de Conan IV avec Marguerite d'Ecosse ? Je ne le pense pas. Ce mariage remonte à une époque où le roi d'Ecosse, Malcolm IV, frère de Marguerite, faisait une expédition en France en la compagnie de Henri II et recevait de ce roi, à Périgueux, les armes de la chevalerie. Il est d'ailleurs inimaginable que le timoré Conan IV ait eu une conception aussi hardie. Quant à l'hypothèse d'une hostilité de Henri II contre l'ensemble des Celtes, elle cadre mal avec la vogue de la matière de Bretagne à sa cour et avec l'idée des rois d'Angleterre d'être les continuateurs des antiques Bretons insulaires.

Une autre suggestion pourrait se présenter : Henri II a disposé de grandes ressources financières. Il a créé de véritables impôts généraux. Faudrait-il attribuer à l'extension de ces levées de deniers les troubles qui ont agité la Bretagne ? La date des plus importants de ces subsides, 1166, 1184, 1188, coïncide avec quelques-uns de ces soulèvements Mais cette concordance est imparfaite et ne nous convainc pas qu'avec l'administration rudimentaire qui l'y servait, et l'antipathie d'une partie de la féodalité, Henri II ait songé à introduire en Bretagne la même fiscalité qu'en Angleterre [Note : Voir PETIT-DUTAILLIS. La Monarchie féodale en France et en Angleterre (1933), p. 174].

Cette longue analyse porte en elle-même sa conclusion. L'opposition longtemps rencontrée en Bretagne par Henri II s'explique par la manière trop désinvolte avec laquelle il avait écarté le chef national Conan IV. La venue de Geoffroi, la naissance d'Arthur effacèrent ce grief. D'autre part Henri II a doté la Bretagne d'un ensemble d'institutions qu'elle conservera. Au-dessus des pouvoirs seigneuriaux, il a créé le pouvoir ducal. Les seigneurs avaient dominé depuis quelque deux siècles et c'est dans le cadre de la seigneurie que la société avait trouvé une armature. Désormais cette étape est dépassée. Le rôle des Plantagenets a été d'intervenir en Bretagne au moment où se dessinait l'évolution menant au gouvernement monarchique. On peut donc soutenir que cette petite principauté que les ducs capétiens vont gouverner jusqu'à la fin du XVème siècle, a été enfantée, non sans douleurs, par les Plantagenets.

(B. A. Pocquet du Haut-Jussé).

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