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RENTRÉE SOLENNELLE DU PARLEMENT DE BRETAGNE LE 15 JUILLET 1769.

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Décidément la partie s'engageait tout à fait contre le Commandant (duc d'Aiguillon). Vers la fin de l'année 1768 et au commencement de la suivante, en Bretagne et à la cour de Versailles, il s'opéra dans les esprits un revirement complet. Tout le monde était las de cette lutte qui durait déjà depuis plusieurs années ; il était temps d'en finir. D'ailleurs les intérêts de la province en souffraient énormément : le commerce ne marchait plus ; l'habitant des campagnes était ruiné ; il n'était donc plus possible de continuer un pareil état de choses uniquement pour assouvir la vengeance d'un homme. Le but de la mission d'Ogier était d'apporter un remède à toutes ces souffrances. Ne pouvant réussir à la faire échouer, le duc d'Aiguillon se décida enfin à demander son rappel à Paris ; ce qu'il n'eut pas de peine à obtenir. En agissant ainsi, il voulait surtout ne pas assister à sa défaite : n'avait-il pas juré la mort de l'ancien Parlement de Bretagne ? On le vit s'éloigner sans regret, dans la ville de Rennes surtout. Mais rentré à la cour il ne cessera pas pour autant ses intrigues ; au contraire, il travaillera activement à mettre obstacle au succès des démarches de son successeur ; il empêchera que le roi donne complète satisfaction à la province, et il obtiendra la continuation de l'exil des procureurs généraux qu'il regardait comme ses plus mortels ennemis. Plus tard, devenu ministre par la haute influence de Mme du Barry, dont il fréquentait souvent le boudoir, il essaiera encore de faire tomber le Parlement et d'anéantir pour jamais les droits et les privilèges de la Bretagne.

Emmanuel-Armand de Vignerot du Plessis-Richelieu, duc d'Aiguillon.

Après le départ du duc d'Aiguillon, le duc de Duras prit le commandement des troupes de Bretagne. ll fut reçu avec un grand enthousiasme. On sentait, en effet, qu'il apportait avec lui la paix et la conciliation. En outre on était débarrassé de la présence du duc d'Aiguillon, ce qui n'était pas peu dire. Le plus grand nombre de ses agents le suivirent dans la retraite. L'intendant de Flesselles lui-même, l'homme de la séquestration à temps et à contre-temps, ne voulut plus percevoir les impôts, charge qui devenait de plus en plus difficile à cause de la multiplication des vingtièmes et des souffrances de la population ; il se retira et fut remplacé par M. Dagay de Montigny, qui n'avait qu'un désir : rétablir les affaires de Bretagne dans leur ancien état.

L'arrivée à Rennes du duc de Duras fut marquée par un acte de clémence royale, dont il fut l'instrument ; il fit savoir à tous les membres de l'ancien Parlement, exilés à vingt lieues de Rennes, que cette peine était levée par Sa Majesté et que désormais ils pourraient aller où bon leur semblerait.

Le bailliage d'Aiguillon profita de cette circonstance pour solliciter le retour de l'universalité des membres. Mais comme jusqu'à ce moment il n'avait reçu aucune réponse à toutes les solicitations qu'il avait faites depuis un an, il en témoigna au roi la plus vive douleur : il pria le duc de Penthièvre, Gouverneur de la province, et le duc de Duras, Commandant des troupes, de se joindre à lui en faveur du rappel de tous les conseillers. Ces derniers accueillirent de très bonne grâce cette demande : le duc de Duras se rendit lui-même à la cour afin d'obtenir plus sûrement le succès de ses démarches.

Pendant ce temps, un certain nombre de magistrats exilés à vingt lieues revinrent à Rennes. Ils se réunirent plusieurs fois, eurent des pourparlers avec l'Intendant Dagay et le duc de Duras. Ce dernier, de retour de Versailles, leur laissa entendre qu’une avance de leur part serait bien vue dans les régions gouvernementales. Alors ceux qui étaient revenus à Rennes, au nombre de dix-sept, écrivirent aussitôt à leurs collègues de se trouver dans cette même ville le 20 juin, afin de se concerter « pour prendre le parti que les circonstances feront juger le plus convenable ». On sut dans l'intervalle que le roi était content d'une pareille démarche. Il y eut deux longues séances qui durèrent plus de huit heures chacune. Les débats furent très vifs : beaucoup ne trouvaient pas encore leur honneur assez satisfait et voulaient que Louis XV les rappelât lui-même par des lettres patentes. Un certain nombre même ne voulaient pas rentrer avant que le roi n'eût retiré sa Déclaration du vingt et un novembre 1763. Enfin, à la majorité de quelques voix seulement, il fut décidé que tous tes démissionnaires écriraient au roi une lettre uniforme où ils l'assureraient de leur zèle et de leur fidélité. Cette lettre, que tous signèrent, fut accompagnée de deux autres : l'une au Chancelier de Maupeou, le chef de la magistrature ; l'autre à M. de Saint-Florentin, chargé des affaires de Bretagne.

Voici la teneur de ces lettres :

LETTRE AU ROI.
« Sire, nous regardons comme l'époque du bonheur le jour où il nous a été possible de faire parvenir au Maître le plus aimé et le plus digne de l'être, l'hommage de la plus respectueuse reconnaissance et les sentiments dont nous sommes pénétrés. Le zèle, la fidélité, l'amour le plus tendre, Sire, pour Votre Majesté, nous ont toujours animés, ils sont gravés dans nos coeurs ; nous les avons reçus de nos ancêtres, nous les transmettrons à la postérité, ils dureront autant que votre empire.
Nous sommes avec le respect le plus profond, de Votre Majesté, etc. ; signés : etc. »
.

LETTRE A MONSEIGNEUR LE CHANCELIER.
« Nous profitons du premier instant favorable pour offrir à Sa Majesté les témoignages de notre reconnaissance, de notre fidélité et de notre amour pour sa personne sacrée. Animés du désir de les voir agréer favorablement par le meilleur des maîtres, nous prenons la liberté de vous les adresser. A qui pouvons-nous mieux recourir, Monseigneur, qu'au chef de la justice, pour faire parvenir à Sa Majesté les sentiments dont nous sommes pénétrès ? La confiance dont elle vous honore, vous assure, Monseigneur, celle de tous ses sujets ; le choix d'un roi juste et bon est l'éloge le plus flatteur et le moins équivoque.
Nous sommes, etc. ; signés : etc. »
.

LETTRE A M. LE COMTE DE SAINT–FLORENTIN.
« Nous avons l'honneur de vous envoyer copie d'une lettre que nous avons pris la liberté d'écrire au roi ; nous espérons, Monsieur, que l'expression de nos hommages, appuyée de vos bons offices, aura le bonheur de plaire à Sa Majesté.
Nous sommes, etc. ; signés : etc. »
.

La réponse à ces lettres se fit attendre jusqu'au 10 juillet suivant. Ce jour, le duc de Duras revint à Rennes sans être attendu : il apportait un Edit pour le rétablissement du Parlement. La nouvelle s'en répandit bientôt dans toute la ville. Les rennais n'attendirent pas même le jour de la rentrée pour manifester leur joie, ils se rendirent immédiatement en foule à l'hôtel du Commandant pour lui témoigner leur joie par des acclamations. Il rendait, en effet, par cette démarche que le succès couronne, la vie et la prospérité à la vieille cité rennaise.

Dès le lendemain de son arrivée, le duc communiqua l'édit royal aux démissionnaires. Après examen, tous trouvèrent qu'il laissait bien des difficultés à applanir ; surtout, ils ne comprenaient pas la continuation de l'exil des procureurs généraux. Pourquoi donc ces derniers étaient-ils exclus de la clémence royale ? Ah ! c'est qu'ils étaient encore victimes d'une nouvelle intrigue. Le duc d'Aiguillon, pour avoir quitté la Bretagne, n'avait pas oublié ses vieilles rancunes ; ne pouvant tenir plus longtemps la province en souffrance, il avait si bien agi sur l'esprit du roi par l'entremise de Madame du Barry, qu'il l'avait empêché de donner satisfaction complète aux Bretons. En un mot, MM. de la Chalotais ne devaient la prolongation de leur exil qu'à ses basses rancunes et à ses désirs de vengeance.

Tous leurs collègues jurèrent de ne pas les abandonner. Néanmoins, pour montrer au roi leur fidélité et leur soumission ; pour lui prouver la confiance qu'ils avaient dans sa bonté, dans sa justice, et aussi par amour pour le bien public qui demandait à tout prix le rétablissement de la justice souveraine dans la province, il fut décidé que tous les démis rentreraient le 15 juillet 1769, conformément à l'édit royal. D'ailleurs, le duc de Duras, qui ne demandait qu'il rétablir la paix et le bon ordre dans la province, les y engageait fortement. Il leur promit de ne rien négliger pour obtenir le retour des procureurs généraux, et de joindre ses instances les plus pressantes aux démarches que le Parlement avait l'intention de faire.

Le soir du 14 juillet, chacun des conseillers démissionnaires reçut un avis conçu en ces termes : « Monsieur, mon intention étant de vous mettre en état de me donner des preuves de votre attachement à ma Personne et de votre zèle pour mon service, je vous fais cette lettre pour vous dire que mon intention est que vous vous rendiez au Palais, le 15 du présent, à huit heures du matin, en la chambre où mon Parlement a coutume de s'assembler, à l'effet d'entendre ce que je vous ferai savoir de mes volontés [Note : Recueil des discours de félicitation à l'occasion de la rentrée solennelle du Parlement. Nous devons d'avoir lu ce livre à l'obligeance de M. de la Bigre Villeneuve, rédacteur du Journal de Rennes, qui a bien voulu nous le confier ainsi que le Journal des Evénements. Ces deux brochures sont aujourd'hui très rares].
Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait, Monsieur, en sa sainte garde. Ecrit à Versailles, le 9 juillet 1769. Signé, Louis. Et plus bas : PHILIPPEAUX »
.

Ce même jour, le bailliage d'Aiguillon tint sa dernière séance. Comme acte de bienséance envers ceux dont il avait usurpé le titre, il arrêta qu'à l'occasion de la rentrée solennelle du Parlement, le Palais serait illuminé, puis ses membres se dispersèrent. Il était fini. Pendant les trois années de son existence, il ne fit rien ou à peu près : si l'on excepte deux ou trois procès, il ne rendait même pas la justice. Vis-à-vis le Gouvernement, il réservait toujours les droits et les privilèges de la Bretagne, mais là se bornait sa résistance ; pour les impôts, il n'en contrôlait aucun : il laissait lever tous ceux que l'arbitraire exigeait. Bien que composé d'un certain nombre de créatures du duc d'Aiguillon, il ne se traînait pourtant pas complètement à sa remorque : nous avons vu comment il a résisté quand on voulut imposer un nouveau règlement aux Etats et détruire, par là même, les vieilles coutumes bretonnes. Mais déjà à, cette époque les créatures du duc d'Aiguillon n'étaient plus en majorité ; plusieurs démissionnaires étaient rentrés, et ils exerçaient sur leurs collègues une grande influence. Enfin, ce fantôme de Parlement montrait parfois une certaine énergie, tout en étant ordinairement très faible : il sentait bien lui-même sa faiblesse ; aussi nul ne désirait plus que lui le retour de l'ancienne compagnie.

Le 15 juillet 1769, le Parlement de Bretagne rentra solennellement au Palais-de-Justice, après avoir passé un peu plus de quatre ans dans l'exil. Pendant tout ce temps, la province, privée de son chef naturel, avait été complètement livrée aux mains de l'arbitraire. A huit heures du matin, tous les conseillers étaient présents ; désormais il ne devait plus y avoir qu'un premier président au lieu de trois, neuf présidents du Parlement, six présidents aux enquêtes, un président aux requêtes et quatre-vingt-huit conseillers. Ces charges étaient accordées aux démissionnaires ainsi qu'à tous ceux qui avaient tenu le Parlement pendant les quatre dernières années.

La Cour ne voulut point accepter cette nouvelle constitution sans faire ses réserves. Immédiatement elle prit un arrêté dont voici à peu près la tener : « La Cour, pour montrer sa fidélité au roi, et rassurée sur les droits, franchises et libertés de la province, enregistre le présent édit, en se réservant, toutefois, le droit de faire des représentations sur la manière dont est reconstitué le Parlement ; mais en ce moment elle ne veut que se livrer à la reconnaissance ». Cet arrêté fut aussitôt envoyé au roi.

Pendant ce temps, le corps des huissiers, des procureurs, des avocats, des juges de la sénéchaussée de Rennes ; la faculté de Droit, les juges des Eaux et Forêts, la communauté de ville, les religieux bénédictins, les juges consuls, les étudiants en Droit, les dames abbesses, prieures et religieuses de l'abbaye royale de Saint-Georges, représentées par messire Josse, leur chapelain ; les officiers de la milice bourgeoise de Rennes, le Chapitre, le principal et les professeurs du Collège, etc., se tenaient dans la salle des pas perdus, dans la salle des piliers et dans la cour intérieure du Palais, attendant le moment de pouvoir complimenter la Compagnie sur son retour. La Cour en étant instruite, arrêta de les recevoir dans l'ordre de leur demande ; elle fit toutefois une exception en faveur des avocats et des procureurs, à cause du zèle et de la fidélité qu'ils avaient montrés à la Compagnie dans les temps malheureux ; elle les reçut des premiers. Les jours suivants, les corps de métiers de la ville, les juridictions de la province sollicitèrent également la faveur d'être reçus par le Parlement, afin de le féliciter sur son heureux retour.

Seuls les procureurs généraux furent exclus de l'amnistie ; ils durent, sans motifs connus, demeurer en exil. Quant aux autres magistrats accusés, quelques jours après la rentrée du Parlement, ils reçurent de M. de Saint-Florentin une lettre que les autorisait à retourner en Bretagne pour reprendre leurs fonctions. Il va sans dire que dans tous les discours adressés au Parlement à l'occasion de son retour, on ne manqua jamais de glisser un mot en faveur des procureurs généraux et de former des voeux pour leur plus prompt retour ; et les autres classes du Parlement écrivaient qu'elles espéraient voir revenir bientôt ces magistrats « innocents, aussi célèbres par leurs malheurs que par leurs talents et dont l'histoire transmettra les noms à la postérité la plus reculée » (Archives d'Ille-et-Vilaine).

Une des premières sollicitudes du Parlement, après sa rentrée, fut évidemment de demander le retour de ses procureurs généraux. M. de la Briffe d'Amilly, premier président, et Desnos des Fossés, conseiller, écrivirent, au nom de la Cour, une lettre en ce sens : « Les troubles ne finiront, disaient-ils, les esprits ne seront rassurés que le jour où vous ferez disparaître tout souvenir de nos malheurs ». La réponse se fit attendre : elle ne fut connue à Rennes qu'au milieu du mois d'août et encore laissait-elle bien à désirer. Le roi déclare que leur honneur n'est point compromis, et, pour éloigner jusqu'au plus petit soupçon, il croit de son devoir de rassurer leur délicatesse même en effaçant tout ce qui pourrait rappeler le souvenir de ce qui s'est passé. Mais là s'arrête la clémence royale : de mise en liberté, il n'en est pas question.

La Cour enregistre les lettres patentes du roi, mais en faisant de grandes réserves. Malgré tant de prudence, nous verrons plus tard que, dans l'intérêt même des procureurs généraux, elle ne fut pas encore assez prévoyante.

Le Parlement s'effrayait à bon droit de voir ainsi substituer au jugement légal, que ses membres étaient en droit d'attendre, une forme nouvelle, dangereuse et inconnue dans l'ordre judiciaire. En envoyant au roi copie de l'arrêté du 18 août, les magistrats lui écrivent une nouvelle lettre pour lui faire part de leurs craintes, car un tel acte de clémence ne pouvait qu'enhardir des accusateurs puissants contre ceux qui n'ont pour appui que leur innocence et les lois. La Cour regrette aussi que la sentence d'absolution n'ait pas été aussi éclatante que l'accusation avait été publique : ce qui ne pouvait avoir lieu que si cette affaire avait été appelée devant le tribunal légitime. Enfin, elle sollicite de nouveau le retour de MM. de la Chalotais: après avoir reconnu leur innocence, il n'est pas possible que Sa Majesté les retienne plus longtemps éloignés de leurs fonctions.

En effet, après une si haute et si formelle attestation de l’innocence des accusés, ceux-ci ne devaient-ils pas s'attendre à voir finir leur exil ? D'ailleurs, n'était-ce pas le moyen le plus direct d'effacer jusqu'au souvenir d'une époque si néfaste ? Eh bien ! il n'en fut pas ainsi. Rien n'étonna plus les magistrats, à la reprise des séances, que de ne pas trouver, au siège du ministère public, les deux illustres procureurs généraux. Tout faisait espérer leur retour ; le roi lui-même, par ses lettres patentes du 12 août les avait amnistiés, au moins indirectement, et ils gémissaient encore dans l'exil. Pourquoi donc une manière d'agir si contradictoire ? Evidemment une influence secrète empêchait de nouveau la justice royale de suivre son cours. Néanmoins, le Parlement ne se déconcerte pas ; il ressaisit une troisième fois la plume et ne cache pas au souverain combien il a été froissé d'une pareille mesure.

Pendant ce temps, les deux procureurs généraux, toujours exilés, surpris de se voir encore sous le coup de la disgrace royale, et voyant, par là même, leur honneur de nouveau compromis, présentent au Parlement une requête où ils demandent à s'opposer à l'enregistrement des lettres patentes du mois d'août précédent. C'était leur droit. Puisqu'on ne voulait pas les justifier publiquement en les rendant au moins à leurs fonctions, ils n'avaient plus qu'un moyen de se faire reconnaître innocents en face de l'opinion publique réclamer la protection des lois en se présentant devant leur tribunal naturel, devant le Parlement, qui seul était compétent pour juger ses membres, pour les condamner ou les absoudre.

Le Parlement ne pouvait qu'accueillir très favorablement la requête de MM. de la Chalotais. Aussitôt il se mit en devoir de rédiger des remontrances arrêtées dans une séance précédente, et il chargea une députation d'aller les présenter à Sa Majesté.

Ceci se passait vers la fin de décembre 1769. Le 20 janvier suivant, le roi répondit en ces termes : « Ce n'est point pour les faits dont mes procureurs généraux ont été accusés qu'ils sont retenus par mes ordres. Il ne peut plus en être question depuis mes lettres patentes du mois d'août dernier. Vous n'auriez pas dû recevoir leur requête et je vous défends d'y donner aucune suite. D'autres faits particuliers, qui n'ont aucun rapport avec l'exercice de leurs fonctions, m'ont déterminé ; ils ne vous concernent point, ni la magistrature ; et je n'en dois compte à personne ».

La réponse était catégorique ; néanmoins le Parlement ne perdit pas courage.

Mais quels étaient donc ces faits si graves ? S'il demeurait encore dans l'esprit du Souverain des impressions fâcheuses qui empêchaient le succès des remontrances, n'y avait-il pas un moyen sûr de les dissiper en, observant les lois, ces lois qui président à l'accusation et à la poursuite du crime, à la defense de l'innocence et à sa sûreté ? Agir autrement, n'était-ce pas donner lieu à des soupçons qui n'auraient été que trop fondés ? Puisque les lettres patentes du 12 août étaient demeurées sans effet (au moins quant à la peine, puisque, vu la continuation de leur exil, il planait toujours sur le compte de ces deux magistrats des soupçons fâcheux et déshonorants), les lois seules devaient prononcer sur leur sort ; et de ce jour seulement la nation entière les reconnaîtrait innocents. Les lettres patentes du 12 août n'étaient ni des lettres de grâce, ni le désistement d'un accusateur : elles laissaient toujours les procureurs généraux sous le coup d'une grave imputation. Leur opposition à l'enregistrement de ces lettres, tout-à-fait régulière dans la forme, était donc fondée sur le droit et sur le fait, et le Parlement, seul tribunal compétent pour juger ses membres, ne pouvait faire autrement que de la recevoir.

Tel fut le sujet des nouvelles observations que la Cour adressa au roi, par l'entremise du chancelier Maupeou. « S'il n'y avait qu'un intérêt particulier, était-il dit dans une autre lettre, le Parlement n'y donnerait pas de suite ; mais il y va de l'intérêt, de toute la magistrature. Que Sa Majesté accorde donc de procéder au jugement légal qu'attendent la nation et l'Europe entière ». En même temps, sans attendre la réponse, aucune de ses lettres et longtemps avant d'avoir expédié la seconde, par un arrêté du 3 mars 1770, la Cour ordonne d'informer sur les faits reprochés aux procureurs généraux depuis la démission du Parlement. Quelques jours après elle accueillait très favorablement une nouvelle requête de MM. de la Chalotais et, en leur nom, elle demandait à la justice du roi de lui faire connaître de quel délit, de quel mécontentement ou de quelle délation ils portaient la peine.

Louis-René de Caradeuc de La Chalotais (Bretagne).

De nouveau la situation commençait à devenir critique entre le Gouvernement et le Parlement ; cette espèce de sommation ne contribua pas peu à compromettre encore les rapports des deux puissances. Le Parlement avait de son côté la loi, mais la force était du côté de Louis XV. En apparence, le roi aurait dû triompher, mais le Parlement avait avec lui le peuple qui rêvait une future constitution : le Gouvernement était donc obligé de compter avec cette puissance occulte qui, moins de vingt ans plus tard, devait le déborder et l'entraîner au fond de l'abîme. De plus, le Parlement s'apercevait très bien de certains agissements secrets, dont l'auteur ne lui avait déjà que trop fait sentir les conséquences malheureuses. Le duc d'Aiguillon, comme nous l'avons dit, en quittant la Bretagne, n'avait pas abandonné ses projets de vengeance. Retiré à la cour royale, on le voyait souvent dans les salons de Mme du Barry où il briguait le ministère ; par l'entremise de cette puissance du jour, il savait obtenir tout ce qui pouvait l'aider à assouvir sa vengeance. Ne pouvant empêcher le retour du Parlement, il concentre sur M. de la Chalotais ses foudres vengeresses. D'abord, il l'empêche de rentrer avec ses collègues. Les lettres patentes du 12 août semblent-elles un instant déjouer ses plan ? il intrigue si bien qu'il obtient, contre toute justice, la continuation de l'exil des procureurs. Par ses calomnies, il arrive à faire croire au souverain, hélas ! trop faible pour voir les choses par lui-même, qu'ils ne sont que des perturbateurs de l'ordre public ; il affecte de trouver dans leur retour une cause d'excitation populaire injurieuse pour Sa Majesté.

De tous ces commérages, il s'ensuit que Louis XV s'irrite, casse les arrêts du Parlement qui ordonnaient des informations sur les faits reprochés aux procureurs généraux dont l'opposition ne peut avoir aucune portée. Quant aux causes qui font que le roi les retient encore éloignés de leurs fonctions, qu'il leur suffise de savoir qu'un magistrat, surtout celui qui agit en son nom, ne mérite pas la confiance uniquement parce qu'il n'a point commis de délit : « ils n'ont d'autre parti à prendre que celui d'attendre avec respect les effets de sa bonté sans y mettre obstacle par de nouvelles procédures, qui seraient également contraires aux dispositions des ordonnances et aux ordres donnés précédemment ».

Ce langage ne fit pas peur au Parlement, il en sentait trop la provenance rancunière. L'instruction ordonnée par arrêt du 3 mars était commencée, il ne l'en continua pas moins : au contraire, il y mit une activité plus grande encore. Il suivit une instruction sur tous les chefs d'accusation contenus dans les lettres patentes de 1765 et de 1766, et pour que la Cour fût mieux en état de statuer, le ministère public reçut l'ordre de se faire remettre toutes les pièces qui avaient pu servir à fonder ces accusations.

Définitivement les affaires se brouillaient de plus en plus : un nouveau conflit semblait devenir inévitable. Peu de temps après la réponse que nous venons de lire, le Parlement revient encore à la charge ; mais cette fois il se montre plus arrogant : il ne fait plus une prière, il réclame ses droits, il n'hésite pas à dire qu'il punira sévèrement les auteurs du délit, s'il est réel, mais qu'il n'épargnera pas non plus l'imposteur, si le délit est supposé. Par ces derniers mots, il visait évidemment le duc d'Aiguillon.

Le 16 juin, l'avocat général, M. du Parc Porée se rend à Paris pour se faire remettre les pièces de la procédure, déposées au greffe du conseil d'État. Le roi les lui refuse et lui fait dire que toute démarche et toute instance, à ce sujet, demeureront inutiles. Sa Majesté se plaint, en outre, des expressions employées dans les remontrances qui, d'ailleurs, n'ont rien changé aux ordres, qu'il a fait connaître précédemment.

Si le gouvernement refusait de revenir sur ses ordres, le Parlement ne cédait pas de son côté. Le 26 juillet 1770, uniquement dans le but de donner une plus grande publicité à sa résistance, il arrête que le procès-verbal de tout ce qui s'est passé en séance depuis la rentrée, sera envoyé à toutes les autres Cours parlementaires de France. C'était un défi jeté au gouvernement. Les ministres s'en montrèrent très mécontents ; ils y voyaient, à juste titre, une espèce de confédération contre laquelle il devenait nécessaire de prendre les plus énergiques mesures.

Des députés du Parlement de Bretagne vinrent sur ces entrefaites à la cour, pour réclamer l'ancienne constitution qui existait avant 1765 et que maintes fois Louis XV avait promis de leur rendre. Ils furent très mal reçus : les ministres ne les écoutaient pas même, et malgré l'intervention du duc de Duras et de l'évêque de Rennes, leurs instances n'eurent aucun résultat satisfaisant. Le contrôleur général de Laverdy et le chancelier Maupeou se bornèrent à leur répondre qu'un acte comme celui du 26 juillet ne pouvait que retarder l'envoi du règlement. Puis les magistrats reprirent le chemin de la Bretagne sans avoir rien obtenu.

En même temps que les députés, arrivaient à Rennes d'autres lettres patentes du roi ; elles étaient accablantes pour la magistrature. Sa Majesté leur reprochait vivement l'arrêté du 26 juillet, il y voyait une révolte contre son autorité royale, une injure à sa personne sacrée. Dix-huit magistrats furent mandés au pied du trône pour expliquer la conduite de la Compagnie.

Ceux-ci se rendent aussitôt à, Versailles ; mais, à peine sont-ils admis au pied du trône, que deux d'entre eux, MM. de la Noue et de Lohéac, sont enlevés de force et incarcérés dans un château-fort. Leurs collègues se retirent immédiatement et regagnent la ville de Rennes.

Evidemment on préparait de nouveaux projets contre la magistrature. Ces coups d'autorité ne pouvaient provenir que d'une influence secrète, d'intérêts étrangers habitués à saisir toutes les occasions de satisfaire des vengeances privées. Le Parlement s'en aperçut très bien. A bout de patience, il va s'en prendre à l'auteur même de ces vexations et de ces enlèvements.

Le ministère public venait d'achever l'instruction juridique sur les faits contenus dans les lettres patentes de 1765 et de 1766. Après un examen approfondi du dossier, la Cour trouve que les magistrats accusés ne sont nullement coupables, mais que tout cet échafaudage d'accusations infâmes et calomnieuses est dû à la haine du duc d'Aiguillon : en conséquence, elle traduit à sa barre l'ancien Commandant comme coupable de calomnie, d'injustice, de faux témoignage et elle le rend responsable de tous les maux qui ont affligé la Bretagne pendant plusieurs années.

D'abord, le duc hautain est tenté de sourire à la nouvelle d'une semblable démarche ; mais bientôt la chose lui apparaît plus sérieuse. A peine l'accusation est-elle connue que la Bretagne se couvre d'écrits injurieux à son égard ; on l'accuse à l'envi de forfaiture, de complots infâmes contre les magistrats, d'assassinat ; son nom est traîné dans la boue ; son honneur, sa réputation sont compromis, si bien qu'il ne peut plus sortir de cette impasse que par un acquittement en règle : autrement il serait pour jamais déshonoré. Alors il rejette la compétence de la Cour de Bretagne et en appelle devant la Chambre des pairs, dont il était membre. Le procès s'engage : le Parlement de Bretagne se porte accusateur. L'ancien Commandant écrit lui-même sa défense et la lit devant les pairs. Elle fit une grande impression, mais elle n'était pas irréfutable, les avocats du Parlement le prouvèrent sans difficulté. Son nom allait donc se trouver gravement compromis : grand du royaume, duc, pair de France, il se vit à la veille d'une condamnation infamante, lorsque Louis XV, par un de ces retours qui sont le partage des régimes absolus, mit fin d'un seul coup à toute cette procédure en envoyant au duc d'Aiguillon des lettres patentes où, de sa propre autorité, il le reconnaissait innocent de toutes les accusations qui pesaient sur sa tête. Ainsi le roi en avait agi, deux ans auparavant, envers M. de la Chalotais : mais ce dernier repoussa fièrement la clémence royale et voulut, malgré, tout, paraître devant un tribunal compétent ; le duc d'Aiguillon, au contraire, se montra fort satisfait.

Ceci se passe de commentaires.

Le Parlement de Bretagne, indigné d'une pareille décision, condamna au feu la défense de l'ancien Commandant. Elle fut brûlée publiquement au pied du grand escalier du palais, aux applaudissements de toute la cité rennaise.

Mais tous les Parlements vont subir maintenant le contre-coup de cette résistance légale au régime de l'arbitraire. Le duc d'Aiguillon, devenu ministre par la grâce de Mme du Barry, va se faire, avec le chancelier de Maupeou, l'instrument d'une persécution à outrance contre la puissance parlementaire. Ces deux ministres, le chancelier surtout, ne manquaient pas d'une certaine prévoyance politique. Toutes ces luttes des Cours judiciaires leur apparurent sous leur vrai jour ; ils y virent la préparation d'une future constitution, par conséquent le renversement du régime alors existant et surtout l'éloignement de la faveur ; ils résolurent donc de conjurer le danger en l'attaquant à sa source même. Un édit est lancé qui porte un coup terrible à l'antique Parlement de France ; celui-ci cède la place à ce qu'on est convenu d'appeler le Parlement Maupeou, qui sera, mieux encore que le bailliage d'Aiguillon, un exécuteur servile des volontés gouvernementales. Ce coup fut terrible pour la puissance parlementaire : le Parlement Maupeou n'était que la longue agonie d'un grand corps qui se meurt ; il allait y succomber lentement, si deux ans plus tard Louis XVI ne lui avait pas rendu la vie.

Mais nous n'avons pas ici à raconter en détail ce fait historique ; les limites que nous nous sommes assignées ne nous le permettent pas. Un jour, si le loisir nous en est donné, nous pourrons peut-être y revenir. Aujourd'hui, nous dirons seulement comment se termina l'exil de M. de la Chalotais, et nous aurons atteint notre but principal, qui était de raconter l'histoire de la démission du Parlement de Bretagne et ses conséquences.

Le procès du duc d'Aiguillon n'était pas fait pour apaiser le gouvernement, ni pour le rendre plus favorable aux procureurs généraux, bien le contraire ; ils reçurent la défense formelle de reparaître en Bretagne, et peu après le lieu de leur exil fut limité à la seule ville de Saintes. De temps en temps, le Parlement élevait encore la voix pour solliciter leur rappel, mais le gouvernement ne lui fit plus même l'honneur d'une réponse. Puis vinrent les édits contre la magistrature. Les procureurs durent assister de loin à cette lutte corps à corps des Cours de justice pour la défense de leurs droits. Qu'il dut en coûter à M. de la Chalotais de ne pas se trouver dans la mêlée ! Mais il était gardé à vue, et il fut forcé d'attendre au fond de son exil la fin de cette nouvelle crise parlementaire.

Elle arriva en 1774, à la mort de Louis XV. Louis XVI, son successeur, ce roi si bon, si juste et si saint, comme don de joyeux avènement, rétablit tous les Parlements de France.
Etait-ce une faute politique ? nous sommes tentés de le croire, avec beaucoup d'historiens, car en ce moment la puissance parlementaire était bien amoindrie. Si on l'avait laissée mourir, n’arurait-on pas étouffé à l'origine un des germes féconds qui ont produit la Révolution française ? Car il est bien vrai de dire que les Parlements préparaient de loin l'avènement du régime constitutionnel.

Quoi qu'il en soit, le décret de Louis XVI rendit à la liberté les procureurs généraux de la Chalotais. Le 22 décembre 1774, ils entrèrent dans l'Assemblée des Etats de Bretagne, sans être attendus ; ils furent accueillis au milieu des plus vifs applaudissements. On improvisa sur le champ une réception plus solennelle. M. de la Chalotais gagna aussitôt la tribune et fit un discours pour remercier l'assemblée de l'intérêt qu'elle avait pris aux malheurs des magistrats bretons. L'évêque de Rennes, au nom du clergé, et le marquis de Sérent, au nom de la noblesse, lui répondirent ; ils témoignèrent vivement la joie qu'ils ressentaient du retour des illustres procureurs. Après la séance, le Tiers se hâta d'aller les féliciter à leur hôtel.

De son côté, le Parlement les reçut avec non moins d'enthousiasme. Il envoya à le leur rencontre une députation. Ils traversèrent la ville de Rennes accompagnés d'une foule considérable et rentrèrent au Palais au milieu des acclamations. Cette fois encore, le peuple sentait qu'il avait remporté une nouvelle victoire sur la royauté. Comme dédommagement, le roi érigea en marquisat la terre de Caradeuc, propriété des procureurs généraux. M. de la Chalotais reprit sa charge et en remplit les fonctions jusqu’en 1785, époque de sa mort. Son fils, M. de Caradeuc, est le dernier des procureurs généraux : il occupa le siège du ministère public jusqu'au moment de la Révolution dont il fut la victime. En 1793, il mourut sur l'échafaud.

Comme les événements avaient changé de face en peu d'années !.

(Abbé Bossard).

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