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LES ROUTIERS BRETONS PENDANT LA GUERRE DE CENT ANS.

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I.

La triste période de la guerre de Cent Ans est pour l'historien que préoccupent surtout les phénomènes sociaux ou économiques un sujet inépuisable d'études infiniment suggestives.

Nous avons examiné naguère (1) la situation économique et sociale de la Bretagne après la guerre de Succession et constaté les analogies singulières qu'elle présentait avec la situation que nous a faite la Grande Guerre. Nous avons pu confirmer alors, une fois de plus, cette vérité, familière aux historiens, qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil et que l'histoire est un perpétuel recommencement,

Une autre fois (2), nous avons suivi le grand connétable breton, Bertrand du Guesclin, dans les dernières étapes de son existence mouvementée, à travers ces régions du Plateau Central, où il est mort en guerroyant, comme il avait vécu, et qui conservent une partie de sa dépouille. Cette fois, nous nous proposons de fixer un instant l'attention sur le rôle que jouèrent en France et dans les pays voisins les nombreux et terribles routiers bretons (3).

Pourquoi cette prédilection pour une époque si troublée, si compliquée ? D'abord, parce qu'aucune autre ne fut, sans doute, entre les invasions barbares et la Révolution, aussi fertile en répercussions économiques ou sociales. On y voit s'opérer dans tous les domaines des transformations profondes dont l'ampleur et la brutalité permettent de saisir mieux qu'aux époques plus calmes, où l'évolution est lente et comme insensible, le jeu des divers éléments qui influent sur la forme et l'orientation des sociétés. Les historiens futurs diront sans doute autant de la période inaugurée en 1914. Ce n'est pas la guerre cependant qui détermine le sens de l'évolution. Celle-ci dépend de causes profondes qui tiennent aux conditions générales (habitat, travail, constitution de la famille et de la propriété, etc.) au milieu desquelles se meut une société ; mais la guerre amplifie et précipite l'action des phénomènes sociaux nés de ces conditions ; elle permet à l'observateur qui les étudie de loin dans le laboratoire historique de les mieux discerner, comme l'addition d'un ferment approprié permet au savant penché sur son microscope de saisir la série des phénomènes de transformation qui, sans cela, eussent mis longtemps à s'opérer au sein de la matière examinée.

Pour les Bretons, la guerre de. Cent Ans offre encore plus d'intérêt que pour tous autres. Ce fut la période héroïque de leur histoire. La Bretagne y joua un rôle de premier ordre, tout à fait hors de proportion avec l'importance de son territoire et de sa population.

Elle fit presque tous les frais de sa première phase, au cours de la sanglante lutte pour la succession au duché, où la France et l'Angleterre se battirent sur son dos, sous prétexte de soutenir leur candidat respectif : Blois et Montfort. Elle y gagna d'avoir plus tôt la paix et de jouir d'une prospérité exceptionnelle, pendant que ses deux puissantes voisines continuaient leur duel effroyable. Ses hommes de guerre furent à la fois la tête la plus brillante et le fond le plus solide des armées françaises, puisque les trois connétables qui les menèrent au combat et finalement à la victoire : Bertrand du Guesclin, Olivier de Clisson et Arthur de Richemond, sortaient de son sein comme en sortaient aussi Gilles de Rais, Jean de Malestroit, Sylvestre Budes, Tanguy du Châtel et toutes ces bandes de soudards bretons qui comptèrent toujours parmi les plus vaillantes et les plus fidèles.

Sur les chefs on a beaucoup écrit, notamment sur le plus grand d'entre eux, messire Bertrand. On s'est beaucoup moins occupé de leurs humbles soldats, de ces compagnons anonymes parmi lesquels ce dernier passa les années de sa batailleuse jeunesse et qui furent les artisans principaux de sa prodigieuse fortune.

Sans doute le rôle général des routiers dans la guerre de Cent Ans n'est pas resté inaperçu. Loin de là : pas un historien de cette époque qui n'ait compris quelle responsabilité revient aux Grandes Compagnies dans les malheurs que cette crise fit subir à. l'Europe occidentale. C'est une vérité historique passée presque à l'état de lieu commun.

Tout le monde sait aussi que la création des Compagnies d'ordonnance, embryon des armées permanentes, par quoi fut politiquement transformé le monde moderne, résulte pour une bonne part du désir d'éviter le renouvellement des excès commis par ces bandes mercenaires, enrôlées au hasard des besoins, difficiles à maintenir dans l'obéissance, plus difficiles encore à congédier, l'occasion de leur levée une fois passée.

Mais, si l'on ne veut pas s'en tenir à ces considérations très générales ou, au contraire, à des monographies de détail sur tel capitaine de routiers devenu plus célèbre que les autres ou sur telle expédition particulière menée par une bande, on ne trouve guère de vue complète sur l'ensemble des faits de guerre imputables aux routiers ni d'essai de classement méthodique de leurs courses à travers la France et les pays voisins (4) ; on ne trouve, en tout cas, aucune étude spécialement consacrée aux routiers bretons.

Et pourtant ceux-ci furent de tous les plus célèbres.

Si la réputation des Cadets de Gascogne paraît mieux établie, il ne faut sans doute y voir qu'un effet de l'aimable faconde méridionale, qui n'a jamais laissé le monde ignorer les hauts faits des nobles enfants de la Garonne. En réalité, au XIVème siècle, il est beaucoup plus souvent question, dans les textes, des Bretons que des Gascons, des Normands, des Bourguignons, des Flamands, qui, avec eux et les Anglais, semblent avoir été les éléments les plus belliqueux de l'époque. Pour les gens de la fin du XIVème siècle, un routier est, par définition, breton, si bien que le terme devient générique, désignant, quelle que fût sa nationalité réelle, tout affilié à une « société d'aventure », comme on disait alors, de même qu'il désignait aussi tout champion qui consentait à combattre pour un autre dans une épreuve de duel judiciaire. Un « breton », c'était donc un homme quelconque qui faisait bon marché de sa vie comme de celle des autres (5).

Comment se fait-il que de ces enfants perdus de notre province, si représentatifs pourtant de l'esprit celte, dont le seul nom faisait trembler les populations et qui, partis des rivages de l'Armorique, firent sentir le poids de leurs rapières de l'Espagne aux Pays-Bas, de l'Océan au Rhin, de la Manche aux bords du Tibre et du Pô, pas un historien breton n'ait été tenté d'écrire l'épopée ?

Comment se fait-il qu'ils soient mieux connus en France qu'en Bretagne ?

Peut-être une fausse honte a-t-elle retenu leurs compatriotes savants, qui ont préféré être discrets sur leurs hauts faits que d'avoir à divulguer leurs méfaits.

Nous croyons plutôt que cette réserve, comme celle des historiens français à l'égard de tous les routiers, est imputable à la difficulté du sujet, à la quasi-impossibilité d'établir un lien entre les faits de guerre des compagnies que les documents locaux signalent de tous côtés, de trouver le fil directeur au travers de ces multiples courses d'apparence assez incohérente. On éprouverait, à en présenter un tableau clair, ordonné et qui ne fatiguât pas le lecteur par l'accumulation de faits souvent secondaires et peu variés dans leur répétition, à peu près la même difficulté qu'à dresser une histoire générale de la chouannerie bretonne.

Ce qu'on n'a pas cru pouvoir faire jusqu'ici en Bretagne, nous n'avons point songé à le réaliser dans cette rapide étude. Ce n'est pas en quelques pages que l'on peut avoir la prétention d'exposer un sujet qui fournirait facilement la matière d'un gros livre.

Mais nous avons pensé qu'il ne serait peut-être pas sans intérêt de tracer tout simplement le schéma de cette future histoire des routiers bretons, qui tentera bien quelque jour la curiosité patiente et le talent d'un érudit ; que l'on pourrait esquisser à grands traits le rôle prépondérant des Bretons dans les « compagnies » ; essayer de donner un sens à leurs incessantes chevauchées en les groupant autour des grands faits historiques auxquels elles se rattachent d'une façon plus ou moins apparente ; ce faisant, citer quelques-uns de leurs principaux exploits et enfin définir les caractère, défauts et qualités que les documents historiques prêtent au routier breton.

II.

Mais, d'abord, qu'est-ce qu'une « route », ce genre de bande d'où les compagnons ont pris leur nom ?

C'est une réunion de soldats mercenaires à la solde d'un chef qui les enrôle pour une expédition déterminée. Tant que le but de cette expédition n'a pas été atteint et que la paye est assurée régulièrement, les opérations de la compagnie ne se distinguent pas de celles de toutes les troupes de cette époque. Mais vienne à cesser, par défaite, traité de paix, mort du chef ou toute autre cause, l'objet qui maintenait la cohésion entre ses éléments hétéroclites, ou que la solde ne soit pas payée régulièrement, la bande va perdre toute discipline et battre la campagne à l'aventure, pillant, saccageant, brûlant, violant et tuant qui lui résiste, ami ou ennemi.

Voici un passage de Froissart qui montre bien comment une armée en se désagrégeant peut donner naissance à des « routes » dangereuses. Le célèbre chroniqueur raconte qu'après la signature du traité de Brétigny (1361) le roi d'Angleterre avait enjoint à tous les capitaines qui tenaient pour lui villes ou châteaux de les rendre aux gens du roi de France et de licencier leurs soldats. Il ajoute : « La avoit aucuns chapitainnes, chevaliers et escuiers de la nation et dou ressort d'Engleterre qui obeissoient et qui rendoient ou faisoient rendre par leurs compagnons les dis fors qu'ils tenoient. Et s'en y avoit ossi de tels qui ne voloient obeir et disoient qu'il faisoient guerre en l'ombre et nom du roy de Navarre. Et encores en y avoit assés d'estragnes nations qui estoient grant chapitainne et grant pilleur qui ne s'en voloient mies partir si legièrement, telz que Alemans, Braibençons, Flamens, Haynuiers, Bretons, Gascons, mauvais François qui estoient apovri des guerres : se voloient recouvrer au guerriier le dit royaume de France. De quoi telz manières de gens perseverèrent en leur mauvaisté et fisent depuis moult de mauls oudit royaume, oultre tous chiaus qui grever les voloient. Et quant les chapitainnes des dis fors estoient parti courtoisement et avoient rendu ce qu'il tenoient et il se trouvoient sus les camps, il donnoient leurs gens congiet. Cil qui avoient apris a pillier et qui bien savoient que de retourner en leur pays ne lor estoit point pourfitable, ou espoir n'i osoient il retourner pour les villains fais dont il estoient acusé, se cueilloient ensamble et faisoient nouviaus chapitainnes et prendoient par droite élection tout le pieur des leurs, et puis chevauchoient oultre en sievant l'un l'autre. Si se recueillièrent premièrement en Champagne et en Bourgogne, et fisent là grandes routes et grandes compagnies qui s'appelloient les Tart Venus, pour tant que il avoient encore peu pilliet eus ou royaume de France » (6).

L’une de ces bandes avait-elle réussi a s emparer d'un château fort, elle s'y installait et, de là, écumait toute la région pour couler libre et grasse existence, épargnant d'ailleurs la population indigène de son ressort, qu'elle traitait comme un seigneur féodal ses sujets, c'est-à-dire lui imposant des redevances régulières pour prix d'un calme et d'une protection relatifs, passant avec les villes voisines, et moyennant finance, des traités dits « pâtis ».

Certains chefs de bandes, ainsi nantis de forts nids d'aigle dans les régions montagneuses, menèrent, plusieurs années durant, un train fastueux de petits souverains, « sine titulo depraedantes », selon l'expression du chroniqueur Jean de Venette.

Froissart nous a légué les noms de plusieurs d'entre eux. Citons d'abord le breton Geoffroy Tête-Noire, « le plus cruel et hauster de tous les autres », « mauvais et crueux homme », qui, s'étant emparé par ruse, en 1379, du château de Ventadour, « uns des fors castiaux dou monde », en Basse-Auvergne, y mena avec ses compagnons large et joyeuse vie pendant dix ans, défiant toutes les attaques et se plaisant à prendre par dérision dans les actes de sauf-conduit ou de « pâtis » signait les titres de « duc de Ventadour et comte de Lymosin, sire et souverain de tous les capitaines d'Auvergne, de Rouergue et de Lymosin » (7) ; puis le fameux aventurier Aymerigot Marchès, qui finit par être pris au château de Tournemire, en Haute-Auvergne, fut jugé à Paris et écartelé en place de Grève, comme le furent Alain et Pierre Roux qui avaient succédé à leur oncle Geoffroy Tête-Noire comme capitaines de Mont-Ventadour.

C'était assurément le risque du métier, pour ceux que la mort avait épargnés dans les combats et qui n'avaient pas su ou voulu faire à temps une fin d'honnête homme ; pour ceux qui, victimes de leurs propres pièges, étaient pris en flagrant délit de guet-apens, car « gens d'armes qui ont poursieuvy routes sont trop ymaginatifs ». Parfois cette « ymagination » qui « s'encline sur le mal », et qui leur procura tant d'aubaines inespérées, est mise en défaut par la perspicacité de l'adversaire, car « l'auroient souvent bel les penseurs se n'estoient les contrepenseurs », selon la sentencieuse remarque de Froissart.

Du moins, tant que durait la chance, le métier n'était pas dénué de charmes. Ecoutons en quels termes pittoresques Aymerigot Marchés décrivait la savoureuse existence qu'il menait au temps des bonnes opération : « Il n'est temps, esbatemens, or, argent ne gloire, en ce monde, que de gens d'armes et de guerroier ainsi que par cy-devant avons fait ! Comment estions-nous resjouis quant nous chevauchions, a l'aventure, et nous pouyons trouver sur les champs ung riche abbé ou ung riche prieur ou ung riche marchant ou une route de mullets de Monpellier, de Nerbonne, de Limous, de Fougas, de Bésiers, de Carcassonne ou de Thoulouse, chargiés de draps d'or ou de soye, de Bruxelle ou de Monstier-Viller, et de pelleterie venant des foires du Lendit ou d'ailleurs, ou d'espiceries venant de Bruges, ou d'autres marchandises venons de Damas ou d'Alexandrie ? Tout estoit nostre ou raenchonné à nostre voulenté. Tous les jours nous aviuns nouvel argent. Les villains d'Auvergne et de Limosin nous pourvéoient et amenoient en nostre chastel les blés et la farine, le pain tout cuit, l'avoine pour les chevaulx et la littière, les bons vins, les buefs, les moutons, les brebis, tous gras, et la poulaille, et la volaille. Nous estions estoffés comme roys. Et quant nous chevaulchions, tout le pays trembloit devant nous ; tout estoit nostre allant et retournant... Par ma foy ! ceste vie estoit bonne et belle » (8).

Les gens du plat pays, las d'être pillés et jugeant que le métier de voleur est, somme toute, plus avantageux en ce monde que celui de volé, quittaient leurs maisons dévastées et venaient grossir les bandes de leurs persécuteurs.

Un jour cependant la compagnie qui désolait un pays depuis des mois ou des années disparaît. Les documents locaux (délibérations, comptes municipaux, etc.), qui nous renseignaient sur ses méfaits, surtout sur l'argent qu'elle coûtait à la bourse municipale, se taisent tout d'un coup. Que s'est-il passé ?

C'est qu'un chef militaire ou politique a battu le rappel de tous les compagnons et à grand renfort de promesses mirifiques : pots-de-vin aux capitaines, solde généreuse aux hommes, perspective de pillage fructueux à tous — promesses qui ne seront d'ailleurs pas toujours tenues — il a réussi à les enrôler et à les drainer tous ensemble vers quelque importante expédition. Celle-ci finie, les débris recommenceront leur vie errante jusqu'à la prochaine occasion. On voit ainsi les compagnies paraître et disparaître, fondues, « égaillées » à certains moments, puis surgissant de nouveau, agglutinées en une masse plus ou moins cohérente, formée, d'éléments dont la soudaine réunion est un étonnement pour l'historien.

III.

Pourquoi tant de Bretons parmi ces « mauvais garçons » ? On doit certes invoquer les tendances générales du tempérament celte : ami de la lutte, inquiet de l'inconnu, résistant, tenace et plus enclin à l'action en groupe qu'à l'initiative individuelle ; qualités ou défauts — chacun le juge d'après les tendances de sa propre nature — qui poussent encore en masse les Bretons d'aujourd'hui dans la marine ou dans l'armée française.

Mais, à côté de cette raison psychologique permanente, il y eut, dans la seconde moitié du XIVème siècle, une raison plus actuelle, raison historique, de la présence en grand nombre de soudards bretons parmi les armées bataillant en Occident : la guerre de Succession de Bretagne.

Celle-ci fut la première et peut-être la plus sanglante, la plus terrible pour une même région, des diverses phases de la Guerre de Cent Ans. C'est là que les hommes d'armes, chefs et soldats, de France et d'Angleterre, firent le rude apprentissage des combats.

La seconde partie du XIIIème siècle et la première du XIVème avaient été, dans l'ensemble, une période de prospérité et de paix, sans doute l’une des plus heureuses que l'humanité chrétienne ait connues.

Naturellement, la paix, qui avait développé à l'extrême les beaux-arts, les belles-lettres et l'économie générale, avait affaibli les vertus guerrières, amené l'abandon ou le mauvais entretien de maintes forteresses, la stagnation des méthodes et des procédés militaires.

Le réveil fut terrible, et c'est la Bretagne qui en fut le théâtre. Pendant un quart de siècle elle demeura foulée en tous sens. Sa population subit toutes les horreurs de la guerre et, sans parler des Bretons qui s'enrôlèrent, par conviction politique ou par goût du métier, dans l'un des partis, Blois ou Montfort, une foule d'autres, ruinés, privés de famille et de logis, trouvèrent un refuge, un moyen de vivre et l'espoir de faire fortune, sous les armes. La bande qui venait de causer leur misère les voyait souvent partir avec elle.

Ces routiers bretons devinrent des maîtres ; avec les Anglais et les Gascons, enrôlés par les anglais, ils étaient des vétérans, la guerre de Succession finie, quand les autres étaient encore des conscrits. Avant de devenir connétable de France, le plus grand chef des armées de Charles V et son ami personnel, Bertrand du Guesclin, qui devait être appelé le dixième preux, n'avait été autre chose en sa jeunesse que le plus hardi et le plus heureux des capitaines de routiers. A la tête d'une bande recrutée parmi les jeunes paysans ou les fils, légitimes ou bâtards, de la petite noblesse bretonne, qui furent les camarades de ses jeux d'enfant et dont la plupart suivirent fidélement sa fortune jusqu'à la fin, il fit maintes « emprises » et « apertises » au détriment du parti anglais (9).

Un curieux passage de la chronique rimée du duc Jean IV par Guillaume de Saint-André oppose la physionomie de ces vétérans des luttes bretonnes à celle des Français moins aguerris qui, au moment de la malencontreuse tentative de confiscation du duché par Charles V, tentèrent de renverser la maison de Montfort :

Routiers bretons pendant la guerre de Cent Ans (partie 1).

Routiers bretons pendant la guerre de Cent Ans (partie 2).

Une ballade d'Eustache Deschamps, au tour pittoresque, écrite en 1377 ou 1380, confirme ce que nous venons de dire de l'influence qu'eut certainement la guerre de Succession de Bretagne sur l'apparition en si grand nombre des routiers bretons dans les « grandes compagnies ». Le poète note que l'élément prépondérant y fut, au début, l'Anglais et le Gascon, et cela se conçoit puisque c'était l'élément ennemi de la France; mais qu'ensuite — traduisons après que le triomphe du parti Montfort à Auray (1364) eut terminé la période héroïque de la guerre bretonne — ce fut le Breton et que dès lors on oublia les autres, en attendant que le Bourguignon entrât, en scène :

Routiers bretons pendant la guerre de Cent Ans (partie 3).

Routiers bretons pendant la guerre de Cent Ans (partie 4).

Voilà donc expliquée, semble-t-il, l'importance de l'élément breton dans l'histoire militaire de ce temps Elle serait, vraiment incompréhensible si l'on songeait uniquement à l'importance numérique de la population bretonne.

Il nous reste, négligeant les faits d'armes isolés et pour ainsi dire « intercalaires » entre les grandes expéditions, à rattacher les exploits des bandes bretonnes à celles de ces expéditions où les documents nous ont révélé leur présence, ce qui ne veut pas dire qu'ils ne furent pas ailleurs, car souvent chroniqueurs ou pièces d'archives ne mentionnent pas la nationalité des routiers. Faire une telle revue en détail nous entraînerait trop loin, hors du cadre très limité de cette étude, et serait, au surplus, un peu monotone. Nous nous contenterons d'une brève énumération, qui n'aura d'autre mérite que de mettre quelque ordre dans le chaos des mentions sporadiques et de permettre aux futurs historiens de relier tel ou tel fait d'armes breton relatif à leur région, soit déjà connu mais inexplicable, soit révélé par un nouveau texte, à l'événement historique bien connu auquel il se rapporte en réalité.

IV.

Nous avons déjà vu que le licenciement des garnisons et des armées régulières après le traité de Brétigny avait amené une confusion extrême dans toute la France, où les bandes des deux partis, désormais sans solde et sans emploi, s'étaient répandues, errant à l'aventure, sans chef (gens sine capite) et sans but. On en trouve un peu partout en ces années 1360 et 1361.

En Anjou et en Poitou, les « bretons » occupent plusieurs châteaux forts, comme celui de Vendôme, s'emparent du prieuré de Cunault et pillent la région. Ils sont commandés par un Anglais, Robert Marchant, soldat de fortune, qui jusque-là avait toujours servi le parti anglais et que le roi de France attache désormais à sa cause en l'anoblissant et le chargeant de guerroyer dans les provinces anglaises et sur les domaines français du roi de Navarre, comte d'Evreux, Charles le Mauvais. Auxiliaires dangereux et compromettants ! Les Bretons, à maintes reprises, font des courses au pays chartrain, en Orléanais et jusqu'à Paris, ruinant les campagnes, forçant à s'enfuir les malheureux paysans privés de tout secours et que ne défendent point les bourgeois retranchés derrière les murailles des villes (12). Jusqu'à la bataille de Cocherel (1364) ils apparaissent tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, dans cette vaste contrée où sévit la guerre contre les Anglo-Navarrais. La Touraine, le Maine, la Normandie sont foulés tour tour.

La grande abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire resta deux ans (1363-1365) au pouvoir des Bretons et ne fut rachetée qu'au moyen d'une aide levée sur les habitants du voisinage.

En Touraine, une de leurs bandes, sous les ordres d'un certain Basquin de Poncet tint longtemps la place forte de Véretz et ne la rendit que contre paiement de 2.900 écus d'or par les habitants de Tours, heureux de s'en débarrasser, même à ce prix.

En 1665, les Tourangeaux donnèrent encore cent francs d'or à Olivier du Guesclin, frère de Bertrand, pour les avoir délivrés de la présence de ses compatriotes qui occupaient Montlouis, les Ruches, les Odes et Chenonceaux (13).

Ces bandes avaient été apparemment entraînées dans la grande manœuvre de rassemblement de « tous ses Bretons » opérée au printemps de 1364 par Bertrand du Guesclin en vue de mener une campagne énergique et définitive contre le roi de Navarre, qui venait d'être condamné à la confiscation pour crime de félonie envers le roi de France.

Après s'être emparé de la tour de Rolleboise, Bertrand avait mandé, le second dimanche après Pâques, « toutes ses gens qui vivoient sur le pais en Veuguessin (Vexin) et aillieurs ». C'est qu'il venait de recevoir de Boucicaut l'ordre de prendre, coûte que coûte, Mantes et Meulan.

Il divisa ses partisans en deux « routes », qui, dans la même nuit du 7 avril, par surprise, s'emparèrent, la première, commandée par le fidèle compagnon de toute sa vie Olivier de Mauny, de la ville de Mantes, l'autre, sous les ordres de Jacques de la Houssaye, du « fort de Vetheuil  » (14).

Lui-même se réserva le siège de Meulan, qu'il vint assaillir avec le comte d'Auxerre et l'ost principale. Après une première défense vigoureuse, les habitants, épouvantés par la multitude des assiégeants, ouvrirent bientôt leurs portes et la ville fut « courue et pillée comme Mante avoit esté » (11 avril) (15).

Vers ce moment, le duc de Normandie, ayant appris que le roi de Navarre réunissait une armée dont le captal de Buch prenait, le commandement, écrivit à du Guesclin « qui se tenoit à Mantes » pour le prier de « faire frontière » contre les Navarrais avec « ses Bretons ».

Bertrand partit aussitôt et commença la campagne du côté de Vernon.

Un de ses compatriotes, Brumor de Laval, « chevalier breton-françois » au dire de Froissart, tenta contre Evreux, avec une route de « quarante lances, tous Bretons », un coup de main qui ne réussit pas. Les routiers furent tués ou pris et Laval. lui-même fut enfermé au château d'Evreux par le capitaine de cette place, Guy de Gauville (16).

Enfin, le 16 mai, eut lieu la grande bataille de Cocherel, qui inaugura si brillamment le règne de Charles V et qui termina cette phase de la lutte franco-anglaise, caractérisée surtout par la révolte de Charles le Mauvais. Cette victoire mit le sceau à la réputation de Bertrand du Guesclin car elle fut due surtout à la valeur et à l'habileté des troupes bretonnes qui constituaient une notable partie de son armée. Les témoignages concordent pour attribuer la décision au mouvement tournant exécuté dans le dos de l'ennemi par les 200 bonnes lances d'Eustache de la Houssaye, autre inséparable ami de Bertrand. (17).

Pendant que ces bandes bretonnes avaient opéré dans les provinces de l'Ouest, d'autres, au cours des mêmes années consécutives au traité de Brétigny, n'avaient cessé de guerroyer dans celles de l'Est : Bourgogne, vallée du Rhône.

V.

On a dit que le bon vin les attirait. Faut-il le croire ? Ce qui est certain, c'est que plus d'une fois l'on se plaint dans les textes que les « Bretons » ont pillé des caves ou des celliers, percé les tonneaux, bu à saturation et laissé couler le reste du liquide (18), à moins qu'ils ne l'aient mis en bouteilles et emporté comme à Montbard en 1377 (19).

Nos compatriotes durent faire partie de bien des bandes diverses ; mais il semble toutefois que le gros des leurs ait été rassemblé par le célèbre capitaine périgourdin Arnaud de Cervole, étrange figure, clerc d'abord, d'où son sobriquet populaire de « l'Archiprêtre », puis chef de soudards, qui, avec le comte de Tancarville, avait pris mission de chasser de la vallée du Rhône le plus grand rassemblement de routiers, que l'on appelait « la Grande Compaignie » (20). Il s'agissait donc d'une lutte de routiers contre d'autres routiers. La Grande Compagnie fut malheureusement victorieuse au combat de Brignais, près de Lyon (1361) et les bandes enrôlées pour la défense de l'ordre public ne vont guère le céder aux autres en courses désordonnées et néfastes. L'Archiprêtre multiplie ses efforts, peut-être plus ou moins sincères, pour en débarrasser les populations paisibles moyennant finance (21).

Le roi Jean projette alors de les utiliser à une croisade contre les Turcs, qu'aurait menée Arnaud de Cervole. Peu s'en fallut ainsi que nos Bretons n'allassent guerroyer en Orient. (22). Ce projet n'aboutit pas.

Les Bretons après une période d'expéditions sans lien en Bourgogne et en Lyonnais (23) se réunissent, de nouveau sous la bannière de l'Archiprêtre, qui les entraîne dans l'Est, où il va soutenir la querelle des comtes de Grancey et de Vaudémont contre les ducs de Lorraine et de Bar. La Lorraine est ravagée. L'Archiprêtre et ses « Bretons » avancent vers Trêves, mais ils sont repoussés en Alsace.

Ils reviennent faire de nouveaux ravages dans la région de Metz. On les y dénomme « la Grant Compagnie ». Ce n'est qu'en leur payant une forte somme d'argent que le duc de Lorraine parvient à éloigner le gros de la bande, mais des détachements restent çà et là mêlés aux luttes locales des seigneurs féodaux (24).

La « Grant Compagnie » se mêle alors (1363-1365), avec son chef, à la guerre que mène en Bourgogne et en Franche-Comté le duc Philippe le Hardi, qui veut faire valoir ses droits sur la Condé. Les opérations sont assez confuses (25).

En 1365, on reprend le projet de croisade et les bandes repartent pour l'Est. Elles envahissent de nouveau Lorraine et Alsace et franchissent même le Rhin. Mais l'approche de l'Empereur, qui s'avance contre elles, les privations de la route dans un pays peu riche, qui leur fait regretter les grasses campagnes de France, déterminent les routiers mécontents à repasser le Rhin (26).

Une partie reste traîner en Bourgogne, mêlée aux petites luttes locales (27); mais le gros s'en va jusqu'à Châlons, où du Guesclin est en train de réunir les bandes de diverses régions pour en débarrasser le pays de France en les Menant — par Troyes, la vallée du Rhône, Avignon, où ils reçoivent du pape, avec une somme d'argent, l'absolution de leurs méfaits passés, Montpellier, Barcelone, où leurs chefs sont reçus avec honneur par Pierre d'Aragon — soutenir, au delà des Pyrénées, la cause de Henri de Transtamare contre Pierre le Cruel, candidat du prince de Galles (28). Les faits de cette lutte sont connus ; ils appartiennent à la grande histoire ; nous n'y insisterons pas.

En 1367, à la malheureuse bataille de Najéra, du Guesclin et Arnoul d'Andrehem sont faits prisonniers. Les routiers bretons qui ont échappé au désastre se débandent. Les uns errent en Espagne ; les autres repassent les Pyrénées. Ils se retrouveront, l'année suivante, en Provence, où ils feront partie, avec du Guesclin, que la quenouille des femmes de Bretagne a libéré, de l'armée du duc d'Anjou, frère du roi, qui veut substituer son pouvoir à celui de Jeanne, reine de Naples, et qui assiège Tarascon par terre et par eau.

Du Guesclin et les autres chefs jurent de respecter les terres et les sujets de l'Eglise. Serment plus facile à prêter qu'à tenir avec des troupes comme celles qu'ils commandent. Le 3 avril 1368, le pape s'adresse au roi de France et à l'empereur pour les adjurer d'arrêter l'attaque du duc d'Anjou. Ses efforts réussissent à faire lever le siège d'Arles (11 avril) et conclure une trêve (29).

Du Guesclin en profite pour retourner en Espagne, entrainant avec lui des « routes » recueillies en Provence, en Auvergne, en Languedoc, et, cette fois, il gagne la bataille de Montiel (1368) et rétablit sur son trône Henri de Transtamare.

Mais tous ses compagnons de Tarascon ne l'ont pas suivi au delà des Pyrénées; il s'en faut de beaucoup.

L'expédition du duc d'Anjou a mis la zizanie entre Provençaux et Dauphinois, qui s'accusent réciproquement de leurs malheurs, et nos Bretons, cause du désaccord, s'attardent, sans souci au service des uns et des autres, dans ces beaux et riches pays dont ils tiennent et exploitent les chemins jusqu'à Avignon. Un traité de paix est enfin conclu entre la Provence et le Dauphiné. Charles V le ratifie en septembre 1369.

Les compagnies bretonnes ne quittent pas pour cela la Provence et le Comtat. Le 23 octobre 1369, Urbain V est obligé de leur enjoindre, sous peine d'excommunication, de se disperser dans le délai d'un mois et d'interdire aux princes et aux nobles de les aider (30).

 

VI.

De 1369 à 1371, période un peu obscure. Les bandes se retranchent dans les régions montagneuses, au hasard des coups de main qui leur livrent des châteaux forts et, de là, mettent en exploitation réglée Albigeois, Rouergue, Limousin, Auvergne, Gévaudan, Vivarais, Forez, et toute la vallée du Rhône.

De 1371 à 1374, le duc d'Anjou, lieutenant du roi en Languedoc, les emploie dans le sud-ouest à lutter contre les Anglais.

Ils ont alors à leur tête deux capitaines célèbres, Jean de Malestroit et Sylvestre Budes, ce dernier cousin de du Guesclin, comme lui originaire du Penthièvre, formé comme lui à la rude école des combats de partisans dans le bocage breton et normand. Le propre frère du connétable, Olivier, était aussi parmi eux.

On les trouve en maintes affaires différentes, à Moncontour et Châtellerault, en Poitou à Monpont, en Périgord, à Sainte-Basile, en Gascogne : affaires de détail, sans événements sensationnels, sauf la reprise des places d'Angoumois et de Saintonge aux Anglais, en 1372, par une armée où les Bretons de Clisson, de Rohan, de Laval el de Beaumanoir jouèrent le rôle principal (31).

En 1374, beaucoup d'entre eux prennent du service en Roussillon dans l'armée de Jacques, roi de Majorque, qui se décide à revendiquer son royaume, encouragé par le duc d'Anjou. Après quelques opérations heureuses, Jacques meurt (février 1375). L'armée est dissoute et Jean de Malestroit est chargé par la sœur du défunt, marquise de Montferrat, de ramener les bandes en France (32).

Elles repassent une fois de plus les cols pyrénéens, où plane le souvenir de Roland, qui fut comte des Marches de Bretagne ; elles reviennent jusqu'à cette vallée du Rhône, grande voie de communication entre les pays au Nord et le monde méditerranéen, où les bonnes occasions de pillage abondent, d'où l'on surveille toutes les provinces centrales et méridionales, et dont l'atmosphère de gaie lumière, la vie facile, le terroir plantureux, les bons el beaux vignobles semblent avoir eu la prédilection de ces enfants de la lande brumeuse.

Amis encombrants du pouvoir temporel, ils occupent le Comtat Venaissin, font trembler en Avignon le pape qu’ils protègent, rançonnent les caravanes de marchands qui descendent le Rhône, arrêtent, pour voler leur cheval ou leur mule, jusqu'aux clercs qui se rendent à la cour pontificale. Grégoire, XI épuise en vain contre eux tous les moyens d'intimidation ou de séduction, depuis les promesses d'argent jusqu'à l'excommunication (33). Le roi de France obtient à prix d'or de leurs chefs, Jean de Saint-Pol, Colin du Breuil, Olivier du Guesclin, que les bandes cantonnées sur la rive gauche du Rhône et de la Saône ne passeront pas sur l'autre rive et ne porteront pas dommage au royaume, ni à la terre d'Eglise (34).

Une occasion se présente enfin de les éloigner.

Enguerrand de Coucy, à la faveur de la trêve conclue, en juin 1375, entre Charles V et Edouard III, venait de décider une expédition contre Léopold II, duc d'Autriche, pour revendiquer certaines seigneuries dans le Brisgau, l'Argovie et le comté de Nydau (35). Charles V et Grégoire XI, saisissant la balle au bond, l'encouragent fortement. Le roi lui assure une pension annuelle de 6.000 francs d'or, le pape lui en verse 5.000. Enguerrand prend à sa solde les principaux chefs, leur promettant de les mener dans « uns des gras pays dou monde ».

Les Compagnies, rassemblées au printemps de 1375, quittent le Comtat Venaissin, au grand soulagement de tous, et s'avancent, à travers la Bourgogne, la Champagne Orientale, vers le Barrois, le pays Messin et l'Alsace, où le souvenir de leurs précédents méfaits est encore vivant. Les documents locaux nous permettent de suivre leur marche à la trace de leurs violences. La terreur les précède. Les villes se ferment, les châteaux forts sont mis en état de défense, les populations rurales se réfugient dans des cachettes. Gondrecourt, Metz, Saint-Mihiel, le Bassigny sont particulièrement pressurés, ainsi que la plaine d'Alsace et les régions de Bâle, de Soleure et de Buren, en Suisse. On n'échappe au pillage qu'en payant d'énormes contributions de guerre.

Mais l'expédition tourne court, après une triple défaite à Buttisholz, à Soms et à Fraubrünnen. Enguerrand de Coucy, peu confiant dans l'avenir de son équipée, bâcle une paix avec le duc d'Autriche, qui lui livre Nydau et Buren ; puis il revient furtivement en France, lâchant ses indésirables soldats, qui, furieux d'être livrés à eux-mêmes dans un pays peu fertile, que l'ennemi avait de plus brûlé et ruiné exprès pour qu'ils n'y pussent subsister, craignant s'ils passaient le Rhin, de tomber « en la volenté de [leurs] ennemis les Alemans, qui sont gens sans pitié », s'écrient « Retournons, retournons en France ! Ce sont mieux nos marches » ; et reviennent, dès le printemps de 1376, à leur point de départ, dans la région du Rhône, retrouver ces « biaus vignobles et ce gras pays de France », comme dit Froissart, non sans avoir, bien entendu, foulé de nouveau sur leur passage, Lorraine, Champagne et Bourgogne.

Voilà donc le pape retombé dans ses tourments d'antan. Le répit n'a pas duré un an. Il s'agit, à tout prix, d'écarter de nouveau ces dangereux garnisaires, contre lesquels sa bulle Quam sit plena periculis, a fait long feu (36). Cette fois, le pape va les enrôler lui-même. Faisant d'une pierre deux coups, en quelque sorte, il débarrassera le Comtat Venaissin des routiers qui vivent de sa substance et il utilisera ces remarquables éléments guerriers dans sa lutte contre le parti gibelin, contre la Ligue florentine, qui est en train de détacher de sa cause tout le nord de l'Italie. Il charge le cardinal Robert de Genève, qui devait être le pape Clément VII, de diriger l'expédition et prend à sa solde Jean de Malestroit et Sylvestre Budes avec les 1.850 lances, soit environ 11.000 à 12.000 hommes, qu'ils ont sous leurs ordres (37).

Cette petite armée quitte le Comtat en mai 1376, traverse le Dauphiné, passe les Alpes et gagne la Lombardie, se dirigeant sur Bologne dont la prise est l'objectif de la campagne. D'Asti, elle va à Pavie, en passant par Alexandrie. Elle descend la vallée du Pô, s'avance jusqu'à Modène par Parme et Reggio. Sur le territoire de Bologne, les Bretons font régner la terreur, brûlant, volant, violant, rançonnant, tuant, sans aucune contrainte. Les documents italiens reflètent la profonde terreur qu'ils inspiraient.

Plusieurs batailles furent livrées, avec des fortunes diverses, les Bretons conservant, dans l'ensemble, l'avantage. Des combats singuliers, renouvelés des Trente, eurent lieu entre champions italiens et bretons. Les annales italiennes font grand bruit de celui où deux Bolonais Betto Biffi et Guido da Siena battirent, à San-Giorgio, deux Bretons dont elles ne nous ont pas conservé les noms ; elles sont muettes, en revanche, sur celui où, sous les murs de Monte Santo, près d'Osimo, douze Bretons, au cri de : « Vive l'Eglise ! Vostre merci, Charles et Yves ! » vainquirent douze Allemands « fiers, forts et hardis », mercenaires au service de la république florentine. Et cette fois nous avons, par la chronique rimée de Guillaume de la Penne, les noms de ces émules de Beaumanoir et de ses compagnons. Ils s'appelaient Trémagon, les deux Treffily, Bourdat, Haimon, Calvaric, Lochrist, Locarias, Jacques Le Noir, Talvern, Chiquet et Kerouartz.

Nous ne pouvons rappeler tous les événements de cette dure et longue campagne, dont le fait saillant fut le sac complet, le 3 février 1377, de Césène, en représailles du massacre de 300 Bretons au cours d'un soulèvement de la population de cette ville où Sylvestre Budes tenait garnison. Les routiers anglais de John Hawkwood, qui occupaient Faenza et soutenaient alors la cause pontificale, les aidèrent avec empressement dans cette sinistre opération. Bolsene eut le même sort lamentable en 1378.

Sans avoir pris Bologne, les Bretons descendirent dans les Marches; puis, vainqueurs à Foligno, à Viterbe, ils gagnèrent la campagne romaine et firent trembler les habitants de la Ville Eternelle, dont on eut de la peine à les écarter, comme jadis d'Avignon.

Grégoire XI mort, les Bretons d'Italie soutinrent la fortune de Clément VII, qui avait été élu pape, le 21 septembre 1378, par les cardinaux du parti français, à l'encontre d'Urbain VI, archevêque de Bari, déjà proclamé depuis le 9 avril. La garnison française du château Saint-Ange, assiégée par les troupes d'Urbain VI, dut capituler, le 27 avril 1379, et, peu après, les compagnies fidèles à Clément VII, furent vaincues à Marino après une lutte longue et acharnée. Sylvestre Budes y fut fait prisonnier avec deux autres capitaines de routiers célèbres : Bernardon de la Salle et Louis de Montjoie.

C'en était fait de la fortune des papes français en Italie. Budes fut libéré peu de temps après et protégea le retour de Clément VII à Avignon.

Les bandes bretonnes, décimées, désemparées, reprirent leur vie errante, par petits paquets. Il en restait encore en 1380 dans la Toscane et le territoire de Sienne (38). Malestroit, qui avait échappé au désastre de Marino, se mit, avec une bande, à la solde de la reine Jeanne et d'Otton de Brunswick. Il périt à Naples, trois ans après.

Ainsi finit la plus grande, la plus autonome et, somme toute, la plus glorieuse des expéditions de nos routiers bretons. Ce fut, aussi la dernière de celles où leur présence donne à la troupe sa physionomie propre.

 

VII.

Non pas que plus tard, et jusqu'au milieu du XVème siècle, ils n'apparaissent encore souvent parmi les armées françaises ou que les restes des bandes dont nous avons parlé ne manifestent, ici ou la, un réveil d'activité : ainsi, partout où elle se trouve, dans l'ost de leur plus illustre compatriote, Bertrand du Guesclin, qui les considérait un peu comme sa Vieille Garde et qui les entraillera notamment aux sièges de Chaliers et de Chateauneuf-Randon, lors de cette expédition de 1380 destinée à débarrasser les provinces du Plateau Central des bandits qui en avaient fait leur repaire et où le grand connétable devait mourir entre les bras de ses plus chers camarades d'enfance et de jeunesse ; ainsi, en Auvergne, Languedoc, Rouergue, Gévaudan, où plusieurs de leurs chefs, retranchés comme Geoffroy Tête-Noire à Ventadour ou le bâtard de Garlan à Alleuze (39), mènent après 1380 vie de grands seigneurs aux dépens du pays d'alentour ; — ainsi, en Castille et en Galice (40), où nous voyons, en 1386 et, 1387, des Bretons combattre contre le duc de Lancastre, oncle du roi d'Angleterre, Richard II, qui veut ravir son royaume à don Juan, le successeur de Henri de Transtamare ; — ainsi en Bourgogne, Artois et Flandres, où, dans les années 1382 et suivantes, le duc de Bourgogne et le roi de France emploieront pour leurs entreprises contre les villes du Nord des bandes de Bretons, commandées par les sires de Rieux, de Malestroit, de Combourg et de Laval, qui jettent la terreur à Arras (41), pillent Commines, Wervicq (42), Ypres (43), Gand (44) et causent par leur seule approche une telle frayeur aux habitants de Bruges que ceux-ci expédient précipitamment par mer en Zélande et en Hollande tous leurs objets mobiliers précieux (45).

Mais ce ne sont plus là que les derniers sursauts de flamme d'un foyer qui s'éteint. La génération héroïque qui a fait la guerre de Succession a fondu au creuset des combats ; ses cadavres ont jalonné toutes les routes de l'Europe occidentale. Elle ne se renouvelle pas. Eustache Deschamps nous l'a dit : le tour est aux Bourguignons. La Bretagne sera désormais en paix relative.

Si elle fournit toujours à la France de nombreux chefs et soldats volontaires, comme ceux qui, sous les ordres de leur compatriote Tanguy du Châtel, gardèrent Paris en 1408 après le meurtre du duc d'Orléans (46), et qui, derrière la bannière de ce célèbre capitaine léonard, suivirent ensuite la fortune du duc d'Anjou au royaume de Naples, comme ceux qui accompagnaient Gilles de Rais dans la triomphale campagne de Jeanne d'Arc ou ceux qui assistèrent Richemond à Formigny, après l'avoir suivi dans toutes ses campagnes, et boutèrent avec lui, définitivement, l'Anglais hors de France (47), ou encore ceux qui se mêlèrent aux multiples et troubles éléments des bandes d'Ecorcheurs (48), du moins ne répand-elle plus autour d'elle avec régularité ces vagues compactes et indépendantes de soudards aguerris, prêts à tout, partant sans esprit de retour et décidés à forcer la chance ou à périr.

L'esprit de la province n'est plus uniquement tourné vers la guerre ; il s'oriente de plus en plus, dans un superbe effort de réorganisation économique et sociale qui est à l'honneur de la politique ducale, vers les travaux de la paix.

 

VIII.

Et maintenant, essayons de porter un jugement sur ces lointains ancêtres, en tirant une conclusion de cet exposé trop bref d'une matière si complexe pour qui veut la pénétrer.

Ainsi qu'il convient, présentons d'abord l'accusation.

Oh! le réquisitoire des contemporains, renforcé peut-être encore par celui des historiens, est formidable.

Il est rédigé en langue d'oïl, en langue d'oc, en catalan, en castillan, en italien, en flamand, en allemand, en portugais, et, il est terriblement concordant (49).

Les Italiens sont naturellement les plus grandiloquents et leurs épithètes ne manquent pas de saveur (50). Les Bretons sont des barbares, d'infidèles barbares « infideles barbaros », des « ferocissimos », leur invasion est une calamité semblable à la peste « Britonum pestifer adventus », « appropinquat pestiferum Britonum barbaricumque consortium » ; ce sont des pillards, « pigliardi ».

Partout ils sont traités de « male gent », de « robeurs », larrons, « proedones », « latrones », voleurs, ribauds, pillards, mauvais et sans conscience ; leur approche répand une terreur folle. Ce sentiment général, joint à des faits tels que les sacs affreux de Césène et de Bolsène (51), ne nous permet pas de douter un instant de ce que les Florentins appellent, en 1376, la « furor Britonum ».

Nous ajouterons à ce reproche de cruauté ceux d'indiscipline et d'intempérance beaucoup de leurs méfaits n'ont d'autre mobile qu'un goût immodéré du bon vin.

Il ne faut pas toutefois ajouter une valeur absolue aux plaintes des vaincus, portés à exagérer dans des documents qui sont souvent destinés à pallier défaite ou lâcheté, à moins qu'ils ne tendent à apitoyer ceux dont on sollicite le secours.

Il faut surtout considérer que les mœurs du temps justifiaient ces procédés de guerre sans vergogne ni mesure. On en relèverait, à cette époque, dans tous les partis. Les mêmes reproches furent adressés aux compagnons de du Guesclin, pourtant troupe régulière, revenant de gagner la bataille de Cocherel ou allant au secours de don Enrique en Espagne (52). Notre temps, qui a vu les horreurs de la Grande Guerre, ne serait peut-être pas très autorisé à montrer une trop grande sensibilité sur ce point.

Les troupes en campagne, quelles qu'elles fussent, devaient vivre aux dépens du pays et loger chez l'habitant (53). On imagine facilement ce qu'un tel système comportait d'abus dans ces temps si troublés, où n'existait pas même un embryon d'intendance et où l'autorité supérieure ne pouvait guère se faire obéir puisque son propre sort était à la merci de ceux contre qui elle aurait dit sévir.

Admettons cependant que les Bretons aient surpassé en excès la moyenne de leur siècle. On sait que ce peuple, impatient de la règle, est excessif en tout. Constatons du moins que leurs adversaires leur avaient parfois fourni ce valables excuses.

Les Florentins, dont la voix domine au milieu de ce concert d'imprécations, ne se sont-ils pas vantés eux-mêmes d'avoir arraché les yeux et tranché le poignet de malheureux Bretons qu'ils avaient fait prisonniers (54). La « furor » de leurs camarades ne se conçoit-elle pas ?

Le sac de Césène, celui de Saint-Fagon, en Espagne (1387), ne furent que la riposte, assurément brutale, des routiers bretons au massacre préalable par les habitants de leurs premiers compagnons tenant garnison dans ces villes et traitreusement égorgés chez leurs hôtes (55).

Dans cette même Italie, d'où partent de si véhémentes invectives, certaines populations les accueillent en amis, en bienfaiteurs.

A Osimo, en 1377, la population, qui les voit partir à regret, crie : « A Dieu soyez, nos bons Bretons ! » (56). A Montefiascone, en 1378, après leur victoire de Viterbe, ils sont reçus avec des transports de joie. On fait bombance en leur honneur toute une nuit (57).

Et puis, à côté de défauts qui sont ceux de la race, à toutes les époques de l'histoire, que de belles qualités !

En regard du tort incontestable fait au pays de France, que les Compagnies avaient, dit Froissart, « pris pour leur chambre », que de services rendus à la cause française, à un moment où sa fortune était si chancelante !

Durs, certainement ; cruels, souvent ; pillards, débauchés, habituellement ; traîtres, jamais. La personne qu'ils ont juré de servir, ils la servent jusqu'à la mort et si, parfois, rarement du reste, on les voit se débander parce que leur solde n'est pas payée, c'est qu'ils considèrent que le pacte conclu a été rompu par cette violation de contrat du côté de l'employeur. Et le besoin les entraîne ailleurs.

Il faut lire le récit splendide, trop peu connu, du siège d'Orense, en 1387, défendu par une poignée de Bretons que commandent le bâtard d'Auray et celui de Pennefort, deux « bonnes gens d'armes à merveilles » qui refusèrent de se rendre au duc de Lancastre, sachant bien pourtant qu'ils n'avaient aucun secours à attendre de quiconque, et qui provoquèrent l'admiration de leur adversaire à tel point qu'ils obtinrent de quitter la ville avec armes et bagages (58). Les faits de ce genre abondent.

Sauf de rares exceptions — au début, quand la Bretagne était encore divisée en deux factions franco-bretonne et anglo-bretonne — ils sont toujours du côté de la France et de l'Eglise, deux causes qui, alors, se trouvent liées. Les Italiens ne s'y trompent pas. A Sienne, en 1376, on les appelle les Bretons de l'Eglise, Britones de Ecclesia (59).

A Cézène, en 1377, au cours de cette rixe avec les habitants, qui coûta la vie à 300 des leurs surpris dans leurs maisons et dont ils se vengèrent ensuite si cruellement, le cri de ralliement de leurs agresseurs était : « A mort les Bretons ! A mort les pasteurs de l'Eglise ! ».

« Moriantur Britones ! Moriantur pastures Ecclesie ! » (60). Ils pillent, c'est vrai, parce qu'ils veulent jouir et souvent aussi pour se payer de leur solde due ; mais ils n'ont pas l'amour du vol pour le gain. Il y a, semble-t-il, une nuance, un degré dans la déchéance, si l'on veut. Leur mobile est immoral, certes, il n'est pas sordide. A Cézène, ils se vengent, ils tuent, ils brûlent, ils violent... et ce sont les Anglais d'Hawkwood, venus à la rescousse, qui font main basse sur le butin et l'emportent à Faenza, leur garnison (61).

L'amour-propre, si fort au coeur des Bretons, les rend au besoin téméraires, voire un peu fanfarons. Ils figurent bien plus souvent qu'à leur tour dans les combats singuliers. Leurs bandes vont offrir la bataille hors de leurs palissades, en rangs serrés, « bannières et pennons ventelant au vent », nous dit Froissart (62). Leur vaillance s'accompagne de belle humeur et de bonhomie.

En 1371, pendant le dur siège de Monpont par les Anglais, Jean de Malestroit et Sylvestre Budes, qui tiennent garnison près de là, s'exaspèrent à l'idée que leurs camarades bretons se battent sans eux. Ne pouvant abandonner ensemble leur poste, ils se disputent pour savoir qui des deux ira prendre sa part des beaux faits d'armes dont le récit les fait bouillir d'impatience. On tire enfin à la courte paille et Budes, désigné par le sort, court avec joie s'enfermer dans la place en danger.

A l'envoyé du duc de Lancastre, marchandant une capitulation honorable aux chevaliers bretons et à leurs hommes qui défendent cette ville depuis onze semaines en dépit de plusieurs assauts quotidiens et derrière des murs éventrés, l'un d'eux, Louis de Maillé, lance cette phrase épique : « Allez dire à Monseigneur le duc que nous vendrons si chèrement notre vie qu'on en parlera dans cent ans ! ». Et l'ennemi préfère céder « courtoisement » que de tenter l'expérience (63).

Jean de Malestroit demandait un jour à ses Bretons s'ils auraient le courage de prendre Florence. « Le soleil y entre-t-il ? » lui fut-il répondu, « S'il y entre, nous y entrerons !  » (64). On prête à du Guesclin le même propos devant Châteauneuf-Randon (65). « Nous les aurons, les gars. Si le soleil y entre, nous y entrerons ! ». Décidément la formule était bien bretonne.

Du courage, ils en ont vraiment à revendre, ces « compagnons aventureux », comme les appelle joliment Froissart, dont la verve s'attarde avec complaisance au récit, de leurs truculentes « apertises » et de leurs réparties claironnantes.

C'est leur vraie caractéristique, celle qui n'a fait l'objet d'aucune note discordante chez les chroniqueurs, même adverses. C'est elle qui doit nous les rendre, malgré tous leurs défauts, sympathiques, puisque aussi bien, ce courage a servi la France ; courage indomptable du Celte, ami de la liberté, qualifié de « furor Britonum » par les mêmes Latins qu'étonnera plus tard la « furia francese ».

Cessons donc de juger selon nos idées actuelles ces rudes compatriotes du XIVème siècle. Regardons-les sans rougir. Ils furent l'armature d'acier, le nerf des combats, l'âme de guerre de la France d'alors, toujours présents partout où il y avait des coups à donner et à recevoir.

Sans eux, qui formèrent le fond le plus belliqueux, le plus solide et le plus redouté des bandes avant la création d'une armée permanente, peut-être la France d'alors, déchirée par les factions rivales, longtemps attardée dans une organisation militaire plus archaïque que celle des Anglais, n'eût-elle pas tenu jusqu'au bout. Ils contre-balancèrent l'effet du routier anglo-gascon.

Le tort qu'ils fitent au pays fut le prix des services qu'ils lui rendirent en le sauvant. Et quand on sait que les victoires vraiment décisives de la France dans cette guerre de Cent Ans, Cocherel et Montiel sous Charles V, Formigny sous Charles VII, furent gagnées surtout par les Bretons de du Guesclin et de Richemond, est-il exagéré de dire que la France dut à ce routier breton si décrié, mais si redouté, la même reconnaissance qu'au poilu breton de 1914-1918, souvent « mauvaise tête » et trop ami du « pinard », mais véritable ferment des armées de la Grande Guerre ?

Roger GRAND.

 

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NOTES ET PIÈCES JUSTIFICATIVES

(1). L'après-guerre en Bretagne au XVème siècle, dans les Mémoires de la Soc. d'hist. et d'archéol. de Bretagne, 1921, p. 9-36.

(2). Les derniers jours de Du Guesclin : ses opérations militaires, sa mort, ses funérailles, dans le même recueil, année 1922, p. 205-236.

(3). Cette étude, comme les deux précédentes, a fait l'objet d'une conférence donnée à l'assemblée générale annuelle de la S. H. A. B. Ce caractère expliquera au lecteur l'allure générale du présent travail, complété, depuis l'assemblée de 1923, tenue à Vannes, par un choix des meilleurs documents ayant servi à l'établir. L'auteur, sollicité de publier ici les résultats d'une enquête très insuffisante, il ne se le dissimule pas, prie le lecteur de ne les considérer que comme une indication, un encouragement, pour ceux que le sujet intéresserait, à pousser les recherchés plus à fond.

(4). Ernest DE FRÉVILLE a tracé dans la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, de 1841 à 1844, un tableau d'ensemble de l'organisation et des ravages des compagnies de gens d'armes, composé à l'aide des chroniques, mais bien sommaire et qui, naturellement, a beaucoup vieilli. Siméon LUCE en a aussi parlé assez longuement et en termes fort justes dans son Histoire de Bertrand du Guesclin (1876). Inutile de dire que toutes les histoires générales de la France, notamment celle de LAVISSE, et toutes celles qui traitent de l'époque de la guerre de Cent Ans ont plus ou moins abordé la question. Nous citerons particulièrement : l'Histoire de Charles V, par Roland DELACHENAL : l'Histoire de Charles VII, par H. DE BEAUCOURT, et, parmi les principales études de détail : J. FINOT, Recherches sur les incursions des Anglais et des Grandes Compagnies dans le duché et le comté de Bourgogne à la fin du XIVème siècle (1874) ; A. TUETEY, Les Ecorcheurs sous Charles VII (1874) ; A. CHÉREST, L'Archiprêtre. Episodes de la guerre de Cent Ans au XIVème siècle (1879) ; J. QUICHERAT, Rodrigue de Villandrando (1879) ; G. GUIGUE, Les Tard Venus en Lyonnais, Forez et Beaujolais (1886) ; J. DE FRÉMINVILLE, Les Ecorcheurs en Bourgogne (1888) ; COURTEAULT, Gaston IV de Foix (1895) ; M. BOUDET, La Jacquerie des Tuchins et Assauts, sièges, blocus de Saint-Flour pendant la guerre de Cent Ans (Revue d'Auvergne, 1893) ; L. MIROT, Sylvestre Budes et les Bretons en Italie (1898) ; le Père DENIFLE, La désolation des églises en France pendant la guerre de Cent Ans (1897-1899) ; G. MOLLAT, Les désastres de la guerre de Cent Ans en Bretagne (Annales de Bretagne, t. XXVI).

(5). Voyez le Glossaire de DU CANGE, V° Britones.

(6) FROISSART, liv. I, § 491 (éd. Luce, t. VI, p. 59 et suiv.).
Rapprochement suggestif : la presse de nos jours, parlant de la Chine actuelle, signale une situation quelque peu anarchique qui n'est pas sans grande analogie avec celle de la France dans la seconde moitié du XIVème siècle.

« Pour abattre leur voisin, écrit un correspondant du Journal des Débats, les généraux font les pires alliances. Il leur arrive de prendre à leur solde des bandes armées, imitant en ceci la vieille Chine, qui, parfois, ne pouvant venir à bout de tel chef de bandits, créait avec ses bandes une nouvelle division et donnait au chef le grade de général dans l'armée régulière. Le voisin abattu, le général victorieux se hâte de licencier partie de son monde, et ce joli monde, impayé, de reprendre la campagne, piller, voler, violer, rançonner de plus belle ».

(7) FROTSSART, éd. Kervyn de Lettenhove, t. IX, p. 140-141 (prise de Ventadour) ; t. XI, p. 144 (portrait de Geoffroy) ; t. XII, p. 346-347, 352 ; t. XIII, p. 45-48 (siège de Ventadour) ; p. 290 (mort de Geoffroy à la suite d'une blessure mal soignée et élection, sur son désir, de ses deux neveux Main et Pierre Roux pour lui succéder comme capitaines des Bretons de Ventadour) ; t. XIV, p. 87-105 (reprise de Ventadour par les agents du duc de Berry, supplice des frères Roux, à Paris; années 1389-1392).

(8) FROISSART, éd. Kervyn de Lettenhove, t. XIV, p. 163-167 et passim.

M. BOUDET, dans les notes qui accompagnent sa publication des Registres consulaires de Saint-Flour de 1376 à 1405 (p. 292 et s.), a rectifié d'une manière irréfutable, à l'aide de multiples passages de ces registres de comptes, l'erreur commise ailleurs par Froissart, quand il attribue à Aymerigot Marchès la prise du château d'Alleuze, près de Saint-Flour, lequel fut occupé en réalité par un capitaine breton, le « bourt » ou bâtard de Garlan, autre « aventureur » que les bourgeois de Saint-Flour, auxquels il fit tant de mal pendant dix ans, traitent de « méchant boiteux ».

Voyez notre résumé de cette affaire dans Les derniers jours de Guesclin, loc. cit., p. 214., note 10.

(9) Voyez Siméon LUCE, Histoire de Bertrand du Guesclin, p. 92, 93, 96, et surtout sa source principale pour cette période de la vie de son héros, la Chronique en vers de Bertrand du Guesclin, par CUVELIER (éditée par Charrière dans la collection des Documents inédits de l'Histoire de France, t. II, 1839). La prise par ruse du château de Fougeray par du Guesclin et ses compagnons, déguisés en paysans apportant du bois de chauffage à la garnison anglaise qui l'occupait, est un véritable coup de main de partisan qui ressemble étrangement aux « ymaginations » d'un Geoffroy Tête-Noire ou d'un Aymerigot Marchès (Cuvelier, vers 830 à 1020).

(10) Guillaume DE SAINT-ANDRÉ : C'est le livre du bon Jehan, duc de Bretagne. Publié déjà par dom MORICE, il a été donné aussi, à la suite de la Chronique de Cuveliez, par CHARRIÈRE (Doc. inéd.., t. II, 1839, p. 514-516).

(11) E. DESCHAMPS, Œuvres complètes (Soc. anc. textes), t. 1er (1878), p. 219. Le dire de Deschamps est confirmé par ce passage de Froissart :
« En ce temps [1365], estoient les Compagnes si grandes en France que on n'en savoit que faire, car les guerres du roy de Navare et de Bretagne estoient faillies. Si avoient apris cil compagnon, qui poursievoient les armes, à pillier et à vivre davantage sus le plat pays. Si ne s'en pooient ne ossi ne voloient detenir ne astenir, et tous leurs recours estoit en France. Et appelloient ces Compagnes le royaume de France leur cambre. Toutes fois, il n'osoient converser en Acquitainnes, la terre dou prince, ne on ne les ewist mies souffers. Et ossi, au voir dire, la plus grant partie des chapitainnes estoient gascon et englès et homme don roy d'Engleterre ou dou prinche. Aucuns Bretons y pooit bien avoir, mais c'estoit petit » FROISSART, t. Ier § 546 (éd. Luce, VII, p. 183).

(12) « Eodem anno MCCCLXI venerunt Britones et Vascones spoliatores per aliquas partes Pictaviae et per Andegaviam, sine titulo depraedantes et spoliantes omnes illas partes, capientes plura fortalitia et castra ; unde occupaverunt prioratum de Quinaut super Ligerim, et totam patriam illam omnia depraedando. Item ceperunt castrum de Vindocino, et comitissam cum filia sua intus, cum multis nobilibus aliis dominis et dominabus, ibi de nocte per quemdam Anglicum qui vocabatur Robertus Marcant, qui erat vir ignobilis et de nihilo, per tales modos indehite elevatus. Et tunc effectus est vir nobilis et strenuus de parte domini regis Franciae, qui antea semper fuerat Anglicus et de parte Anglicorum.

Tandem postea satis cito, Britones multi modo venerunt per partes Carnotenses et Aurelianenses, depraedando totam terram, fugientibus de locis suis populis rusticanis et venientibus Parisius ; in tantum prope Parisius versus partem occidentalem accedentes, quod illi qui in suburbiis morabantur quam plurimum formidabant nec apponebatur per quoscumque dominos aliquale remedium.

Quinimo fuit per dominos principes et eorum consilium prohibitum burgensihus Parisiensibus, ne de hoc contra illos Britones aut Vascones se intromitterent in aliquo, seu potius vacarent suis mercanciis sicut possent. Et sic depraedabantur pauperes et rurales, nemine cos in aliquo adjuvante, et vix audebat aliquis ire inter Parisius et Aurelianis et Carnotum, et alias civitates de partibus illis ». Jean de Venette : Continuatio Chronici G. de Nangiaco (éd. Géraud, t. II, p. 318-19).

(13) Voyez DENIFLE, op. cit., p. 455-457, qui résume ces opérations des Grandes Compagnies d'après la chronique de Jean DE VENETTE et d'après les ouvrages de S. LUCE et de DELAVILLE-LE-ROUX (Registres des comptes municipaux de Tours, t. Ier).

(14) « Apres cestui assailli, (de la tour de Rolleboise), le dimenche premier d'après Quasimodo, monseigneur Bertran de Clacqnin manda toutes ses gens qui vivoient sur le pais en Veuguessin et aillieurs. Et icelle nuit fit faire deux embusches. L'une fut devant Mante où estoit monseigneur Olivier de Mauny, Roulant de La Chenaye, monseigneur de Porquon, La Barre, en leur route huit vingt hommes d'armes. Et au matin, comme la porte fut ouverte et les gardes n'estoient pas encoires tous venuz, les Bretons saillirent sur le pont comme une charette yssoit de la ville et coururent sus aux gardes de la porte, et gaingnierent la porte, et de plain front coururent parmi la ville. Ceulx de Mante furent ainsi soupprins. Aucuns s'en fuioient par dessus les murs, les autres par eaue ; les autres si fuioient aux eglises. Par quoy ceulx de la ville furent pilliez des Bretons. Des lors qu'ilz mirent gaigné le pont et la porte, ilz firent un signe que monseigneur Bertran congnut. Et ala à Mante avec lui monseigneur Yvain Charuel, avec eulx grant route de gens d'armes. Et fit crier par la, ville que nul ne meffeist à femme ne à enfant, maiz la ville avoit ainçoiz esté pillie. Aucuns des bourgoiz de Mante comme Jacquez Petrel, trésorier du roy de Navarre, maistre Jehan de Haincourt, Jehan Doubler et plusieurs autres si s'en fuirent à Meullent » (Chronique des quatre premiers Valois, éd. S. Luce (Soc. Hist. France), 1862, p. 139-140).

« Par semblable manière, monseigneur Jacquez de La Houssaye, avec lui bien quatre vingt Bretons, prist le fort de Vetheuil, et fut pillié comme Mante. Apres ce que Mante eust esté prise et pillie des Bretons, l'ost de devant Rouleboize se desloga. Monseigneur de La Ferté se mist en fort de Roony, et les autres gens d'armes s'en allèrent » (Ibid., p. 140).

(15) « Monseigneur Bertran de Clacquin et le conte d'Aucerre vindrent à Meullent et l'assaillirent moult efforciement. Car ceulx de la ville se deffendirent moult vertueusement, et furent par eulx trebuchiez ceulx qui montoient es eschielles dedens les fossez. Ceulx qui estoient en la tour, tant comme l'en assailloit la ville, se garnirent de vivres, de blés, de ferines et de chars. Et de tous vivres qu’ilz povoient avoir portoient et faisoient porter aux femmes et à ceulx de la ville qui n'estoient point sur les murs.

De l'autre partie de Seyne, vint a Meullent monseigneur le baron de La Ferté, monseigneur Baudouin d'Ennequin, maistre des arbalestriers, monseigneur d'Yvry, monseigneur de Blaru, monseigneur Jehan de La Rivière, monseigneur de Basqueville et monseigneur de Betencourt, en leur route bien trois cens glaives. Et quant aucuns se virent avironnez de tant de gens d'armes, si s'espuanterent et ourent paour que, s'ilz estoient prins par aucune aventure, que l'en ne les meist à mort. Si ouvrirent les portes à monseigneur Bertran et au conte d'Aucerre. Et lors entrerent ilz en la ville, et fut courue et pillie comme Mante avoit esté. Monseigneur de La Ferté et ceulx de sa route s'en retournèrent quant ilz virent, que la ville eust esté prince » (Chronique des quatre premiers Valois, p. 141).

Froissart raconte autrement les prises de Mantes et de Meulan (édit. Luce, t. VI, p. 100-105). Il les attribue à une ruse peu loyale des Bretons de du Guesclin. Mais son témoignage est sujet caution car il écrit d'après des récits recueillis à Bordeaux de bouches ennemies et rien ne permet de mettre en doute la sincérité évidente du récit de la Chronique des quatre premiers Valois. (Voy. sur ce sujet : S. LUCE, La jeunesse de Bertrand du Guesclin, p. 422-428).

« Bien savoit, et estoit enfourmés li dus de Normendie que li rois de Navare faisoit son amas de gens d'armes et que li captaus de Beus en seroit chiés et gouvrenères. Si se pourvei selonc ce et escrisi devers monseigneur Bertran de Claiekin qui se tenoit à Mantes, et li manda que il et si Breton fesissent frontière contre les Navarois et se mesissent as camps, et il envoieroit gens assés pour combatre le poissante dou roy de Navare. Si se parti messires Bertrans à tous ses Bretons et se mist sus les camps par devers Vernon...

En ce temps, issi des frontières de Bretagne, des basses marces. devers Alençon, uns chevaliers bretons françois qui s'appelloit messire Braimons de Laval, et vint sus une ajournée courir devant le cité d'Evrues ; si avoit en se compagnie bien quarante lances, tous Bretons. A ce donc estoit dedens Evrues uns jones chevaliers qui s'appelloit messires Guis de Gauville. Sitost qu’il entendi l'effroi de chiaus d'Evrues, il se courut armer et fist armer tous les compagnons saudoiiers qui laiens ou chastiel estoient, et puis montèrent sur leurs chevaus et vuidièrent par une porte desous le chastiel et se misent as camps. Messires Braimons avoit ja lad se emprise et se monstre et s'en retournoit tout le pas. Evons venu monsigneur Gui de Gauville, monté sus fleur de coursier, le targe au col et le glaive ou poing, et escrie tout en hault : « Braimon, Braimon, vous n'en ires pas ensi, il vous fault parler à chiaus d'Evrues : vous les estes venus veoir de si priès qu'il vous vœlent aprendre à cognoistre ».

Quant messires Braimons se oy escrier, si retourna son coursier et abaissa son glave, et s'adreça droitement dessus monsigneur Gui. Cil doi chevalier se consievirent de grant ravine telement sus les targes, que les glaves volèrent en tronçons, mès ils se tinrent si francement que onques ne se partirent des arçons, et passèrent oultre. Au retour qu'il fisent, il sacièrent leurs espées, et tantost s'entremellèrent leurs gens. De premières venues, il en y eut tamaint reversé, d'une part et d'aultre. Là eut bon puigneis, et se acquittèrent li Breton moult loyaument et se combattirent vassaument ; mès finablement il ne peurent obtenir la place, ançois les convint demorer, car gens croissoient toutdis sus yaus. Et furent tout mort ou pris ; onques nuls n'en escapa, et prist messires Guis de Gauville monseigneur Braimon de Laval, et l'enmena comme son prisonnier dedens le chastiel d'Evrues » FROISSART, t. Ier, § 512 (éd. Luce, t. VI, p. 107).

(17) CUVELIER a consacré 70 vers à ce mouvement tournant des Bretons. Nous ne pouvons les reproduire ici. On les trouvera dans sa Chronique de Bertrand du Guesclin, t. Ier, p. 176-178. Son récit un peu prolixe est d'accord pour le fond avec ceux : Du continuateur de Guillaume de Nangis (t. II, p. 343) :

« Unde a bello se aliqualiter subtrahens (Bertrandus de Claquin), una cum paucis de suis Britonibus, equum armatus ascendit et a tergo alios viriliter invadens, totam illam phalangem Vasconum et Navarrorum penetravit, comite Altissiodorense una cum suis Gallicis contra alios nihilominus dimicante... » ;

De la Chronique des quatre premiers Valois (p. 146-147) :

« Et une route des Bretons demoura à cheval avec les pages et les bagaiges… : Alors s'en vindrent les Bretons ferir en la bataille tous fraiz. Et se iceulx Bretons eussent gueres plus attargié, le captal eust eu victoire. Alors, comme dit est, iceulx Bretons se ferirent en travers des Gascons et des Angloiz... Tous les bons prisonniers eurent les Bretons... » ;

Du rédacteur d'un manuscrit inédit, de la Bibliothèque Nationale, publié par S. LUCE :

« Une grande partie des gens qui estoint en la bataille de Bertran du Guesclin passèrent sur le dos de leurs ennemis et telement les dommagèrent, avec ce que ceulz qui combatoient ou front de devant combatoient bien, que les Navarrois et Englois furent desconfiz… », Siméon LUCE (op. cit., p. 446, note 4), qui cite tous les textes connus relatifs au rôle des Bretons, à Cocherel, en conclut justement qu'il ne faut pas attacher foi à la version anglo-gasconne de cette bataille que Froissart nous rapporte d'après les récits intéressés entendus par lui pendant son séjour à Bordeaux en 1365 et 1366. « Cette version, dit-il en note de son édition de Froissart (t. VI, p. LVI, n. 1 et 2), est un conte inventé à plaisir... Froissart a beaucoup surfait l'influence qu'ont pu avoir les Gascons sur l'heureuse issue de la journée du 16 mai... Bertrand gagna la bataille, d'abord grâce à sa retraite feinte, ensuite à la faveur du mouvement tournant exécuté au dernier moment par une réserve de ses Bretons qui chargèrent en queue les Anglo-Navarrais... ».

(18) En 1362, une bande de Bretons et de Gascons, ayant appris que les vins de Bourgogne destinés au roi de France avaient été réunis au château de Villaines en Duesmois par le « maistre des garnisons dou roy. pour mener à Cravant et de Cravant en France », et qu'ils se trouvaient dans une cave au dehors de l'enceinte, s'y rendirent à la veille des fêtes de Noël et pendant plusieurs jours firent ripaille dans cette cave, « preirent, behurent ou gastèrent les vins du roi », sans souci du « chastellain et des autres qui estoient audit chastel [et] qui deffendoient ce qu'ils povoient ladite cave de pierres et de traits » (Arch. de la Côte-d'Or, B 6.557, fol. 12, v°. Cité par FINOT, Recherches..., p. 75 et n. 5).

(19) « Indemnités accordées au châtelain de Montbard, Euvrard de Niel, pour une route de Bretons qui rencontrèrent, entre Semur et Montbard, un char de vin que l'on menait au château, prirent les chevaux, burent le vin qu'ils purent boire et emportèrent le reste en bouteilles. » (FINOT, p. 113, n. 2, d'après Arch. de la Côte-d'Or, B. 5.311).

(20) Voyez, sur l'Archiprêtre et tous les événements auxquels son active personnalité fut mêlée, l'ouvrage de Aimé CHÉREST, cité plus haut, note 4.

(21) Mention relative à un mandement par lequel le roi Jean ordonne de délivrer à Arnaud de Cervole la somme de 3.700 francs d'or afin qu'il fasse « vuidier les Bretons des forteresses d'Arcy-sur-Cure et de Dammarie en Puisaye » (Arch. de la Côte-d'Or, B 2.750, cité par CHÉREST, p. 219, 229-230).

Cette bande était commandée par un aventurier de bas étage répondant au sobriquet de Gilles Trousse-Vache. Elle possédait aussi la forteresse de Vésigneux, en Morvan. De ces trois positions elle rayonnait à la fois sur le Nivernais, l'Avallonnais et l'Auxois aux riches campagnes. D'autres détachements avaient pris les châteaux d'Etais et de Sennevay. Ils se prêtaient mutuellement main-forte.

(22) Voyez CHÉREST, p. 203 et suiv.

(23) Dans la région de Châlon, en 1362, opérait un chef appelé Lyon de Vaulx, simple aventurier, qui s'était installé à la Bourde de Reulée et à Fontaine avec une troupe de Bretons (Voyez GUIGES, op. cit. Pièce justifient., XLIV, p. 303), qu'on ne put chasser qu'en traitant avec Lyon de Vaulx au nom du duc. Il vint, à la tête d'une escorte de 24 chevaux, s'installer à Dijon même, dans une hôtellerie où il fallut payer ses dépenses et, durant trois jours, il débattit avec le gouverneur et les gens du Conseil ducal les conditions du traité « par lequel li et suy autres compagnons bretons devoient vuidier le païs de Bourgoigne » (Arch. Côte-d'Or, B 1.412, d'après CHÉREST, p. 194).

Un autre chef de Bretons, Henri Spic, qui se donnait du titre de chevalier, avait réussi à se faire nommer capitaine de Pontailler-sur-Saône (Arch. Côte-d'Or, B 5.617, ibid., p. 194). On n'avait pas trouvé mieux pour défendre ce château de « la Grant Compaignie des Anglois et des Bretons qui estoient au pais » que d'en confier, la garde à l'un de ces derniers, au grand dam et à la protestation générale des habitants. (FINOT, op. cit., p. 71 et n. 5).

(24) Voyez CHÉREST, p. 220 et suiv. — SERVAIS, Annales historiques du Barrois, I, p. 125 : « Le sénéchal de Lamothe fit porter, le 2 juin (1262) pendant la nuit, au prévôt de Gondrecourt l'avis qu'on lui avait donné à entendre que « li Breton devoient entrer en la terre de Mons pour adamager le païs ». Quelques jours après, le 15 juin, il fit, avec une grande partie de la garnison de la place, une sortie pour aller dans « le vaul de Bourmont », où il s'avança jusque près de Montigny, « pour savoir le convenien des compaignies qu'on disoit estre par desai Langres, et trouvèrent que les dites compaignies se retrahoient à Clarevaulz. » — P. 130 : « Eudes était, au commencement de septembre, à la tête d'une troupe de Bretons qu'il avait pris à sa solde pour « meffaire » sur le duc de Bar. » — P. 131 : « Sur la fin de ce mois (novembre 1362), des nouvelles annonçaient que « le seigneur de Grancey allié à un chevetainne et des Bretons devoit entrer en vaul de Bourgoigne, à six mille chevaux ». Une missive du bailli de Bassigny au duc de Bar lui annonçait, le 3 décembre, que le seigneur de Grancey amenait dans son duché « une capitainne de la Grant Compaignie ». — Le 1er février 1363, le sire de Grancey fait sa paix avec le duc de Bar et se porte fort de la tranquillité « des routes et compaignies de Bretons, Gascons et Anglais et autres quelconques qu'il avoit amenés pour meffaire... » (Ibid., p. 136). — P. 140 : « le comte de Wademont et li Breton avaient ars et pillée Gondrecourt, en fuerbourg et en la prévosté ». — Les Bretons s'allient à Thiébaut, comte de Blamont, en lutte contre Jean de Salm, Thiébaut de Ravestein et l'évêque de Strasbourg. (Ibid., p. 160) : « Le bailli de Bassigny fit expédier, le 29 décembre (1364), à Fong l'avis que les « Bretons et le comte de Blamont voulaient embler cette forteresse. » — P. 161, n. a : « Le four de Harville ne cuisit point pendant les six derniers mois de 1364, à raison de la présence des Bretons à Latour. Il en fut de même à Moulotte « à cause des guerres » (Compte de Jacquemin Chanel, prévôt d'Etain, 1362-1366). — P. 425, justif., n° 96 ; p. 165, n. a : « On ne récolta de marsages, en 1365, ni à Pareid ni à Villers parce qu'on n'avait pu ensemencer les terres en mars « à cause de la guerre des Bretons ». — P. 167, 168, 172, 178, etc... — En 1373, on voit encore deux Bretons, Jean et Hervé de Malestroit, après avoir soutenu le duc de Bar, passer avec leurs bandes au service du damoiseau de Pierrefort, en lutte contre lui. Ils ravagèrent le Bassigny, prirent Saint-Thiébaut, incendièrent Gondrecourt et commirent de grands dégâts. (Ibid., p. 266).

(25) Voyez notamment CHÉREST, op. cit., ch. VIII, p. 225 et suiv. et ch. IX.

(26) CHÉREST, Ch. XI.

(27) CHÉREST, p. 325.

(28) CHÉREST, p. 332.

(29) Voyez DENIFLE, op. cit., p. 509 et suiv.

(30) DENIFLE (t. Ier, p. 509-528) a donné une analyse détaillée de ces curieux événements de Provence et de Dauphiné. Il a reproduit, dans son tome II, des pièces justificatives inédites dont nous extrayons les deux suivantes particulièrement intéressantes pour notre sujet. P. 788 : Lettre de Pierre Ameilh, archevêque d'Embrun (1368) : « Domino B[ernardo] de Sancto Stephano. Reverendissime pater... Quia gentes societatum, licet sint cum domino duce Andegavensi, faciunt, ubicumque sunt, sicut consueverunt, mala quamplura, Dalphinales, diu est, deliberaverunt non receptare eas vel predas suas, nec dare transitum vel illas adjuvare contra Provinciales, quos utique diligunt sicut vicinos... Et e contra illi de societatibus, presertim Britones, turbati contra nos vehementer, propter que omnes, qui sumus in frontaria, habuimus fortificare et munire diligentius loca nostra. Nuper vero, faciente diabolo, dominus Petrus de Sancto Joryo et quidam alii de Dalphinatu servientes dicto domino duci, juncti Britonibus, dederunt dampna Provincialibus, propter quod etiam Provinciales ceperunt multos mercatores et viatores seu veturarios Dalphinalus quos apud se repererunt, passusque contra nos munierunt ac si esset inter nos et ipsos guerra aperta... » — P. 789 : Lettre du même : « Domino card. Morinen. — Reverendissime pater et specialissime domine. Non est diu, pro solvendo communi servitio meo, misi per dominum Artaudum de Mehelano, procuratorem Venaysini C florenos… domino Petro Buelyer camerario vestro,... et de alia summa credebam facere cambium in Avinione sicut tune scripsi, quod tamen nullo modo facere potui quia subito per Brilones et quosdam alios rupta fuerunt itinera tam Provincie quam Delphinatus hinc usque Avinionem et multe facte novitates inter Dalphinales et Provinciales ut jam esset guerra aperta ... ».

(31) Voyez L. MIROT, Sylvestre Budes et les Bretons en Italie, (13??-1380), dans la Bibl. de l'Ecole des Chartes, 1897 et 1898, tir. a p. Paris, 1898, p. 6 et suiv., travail sérieux et neuf, accompagné de beaucoup de références et de pièces justificatives tirées des archives de France et d'Italie.

FROISSART (éd. Luce, t. VIII, p. 18) : (1371) « ... Et par especial les guerres estoient pour le temps de lors plus dures et plus fortes sans comparison en Poito que aultre part. Et tenoient une grande garnison li François ou chastiel de Moncontour, à quatre lieues de Touwars et à sis de Poitiers... Si couroient priès que tous les jours et y faisoient grans contraires et moult les besongnoient chil du païs ; d'autre part, à Chastel Eraut se tenoit Charuels et bien cinc cens Bretons qui trop adamageoient le païs ».

Ibid., p. 10-17. Prise et reprise de Monpont (1371) : « § 673. Assès tost apriès que li princes de Galles fu partis de Bourdiaus, li dus de Lancastre entendi à faire faire l'obseque de son cousin Edouwart, le fil dou prince, son frère. Si le fist moult grandement et moult reveramment en la cité de Bourdiaus ; et là furent tout li baron de Gascongne et de Poito qui a voient juré obéïssance à lui.

Entruès que ces ordenances se faisaient et que on entendoit a faire cet abseque, et que cil signeur se tenoient à Bourdiaus, issirent [hors] de le garnison de Pieregorch bien deus cens lances de Bretons qui là se tenaient que li dus d'Ango y avoit envoiiés ; des quelz estoient chapitainne quatre bon chevalier et hardi homme malement ; je les nommerai. Che furent messires Guillaumes de Loneval, messires Alains de le Housoie, messires Loeis de Mailli et li sires d'Arsi. Si chevauchièrent cil seigneur et leurs routes jusques à un chastiel biél et fort que on dist de Montpaon, dauquel messires Guillaumes de Montpaon estoit sires. Quant cil Breton fusent venu jusques à là et il eurent, couru devant les barrières, il monstrèrent grant samblant d'assaut et l'environnèrent moult faiticement. Messires Guillaumez de Montpaon, a ce qu'il monstra, avoit le corage plus françois que il n'euist englès, et se rendi, et tourna François à peu de fait, mist les dessus dis chevaliers et leurs gens en sa forterèce, li quel disent qu'il le tenroient contre tout homme. Si le remparèrent et raparillièrent et rafreschirent de ce que il y apertenoit. Ces nouvelles furent sceues à Bourdiaus [tantost] cornent li dus de Lancastre et li baron de Giane n'esploitoient mies bien, car li Breton chevauçoient et avaient pris Montpaon qui marcist assés priès de là. De quoi li dus et tout li signeur qui là estoient eurent grant virgongne, quant il le sceurent, et se ordonnèrent [et appareillèrent] tantost pour yaus traire celle part. Et partirent de la cité de Bourdians sur mi merkedi après boire en grant arroy... Quant messires Guillaumes de Montpaon sceut que li dus de Lancastre et toutes ses gens le venaient assegier, si ne fu mie trop assegurés, car bien savoit ; que se il estoit pris, il le feroient morir a grant painne, et que point ne seroit receus a merci, car trop il s'estoit fourfais. Si s'en descouvri a quatre chevaliers dessus dis, et lors dist qu'il se partiroit et iroit tenir à Pieregorch, et que dou chastiel il fesissent leur volonté. Adont se departi.... et laissa son chastiel en le garde des quatre chevaliers dessus dis.

§ 674. Quant li dus de Lancastre, li baron et li chevalier et leurs routes furent venu devant le chastiel de Montpaon, si le assegièrent et environnèrent de tous lés, et s'i bastirent ossi fort et ossi bien que dont que il y deuissent demorer set ans. Et ne sejournerent mies quant il y furent venu, mais se ordonneront et se mirent tantos à l'assallir de grant volenté, et envoiièrent querre et coper par les villains dou pays grand fuison de bois, [d'arbres], de mairiens et de belourdes ; si les fisent là amener et achariier et reverser eus es fossés ; et furent bien sus cel estat vint jours que on n'entendoit a aultre chose fors que de raemplir des fossés. Et sus ces bois et mairiens on mettoit estrain, et terre, et tout fisent li dit seigneur par l'ayde de leurs gens que il raemplirent une grande quantité des fossés ; et tant que il pooient bien venir jusques as murs pour escarmucier a ceulx dedens, ensi que il fesoient tous les jours par cinc ou par sis assaus. Et y avoit les plus biaus estours dou monde, car li quatre chevalier breton, qui dedens se tenoient et qui entrepris a garder l'avoient, estoient droites gens d'armes et qui si bien se deffendoient et si vaillamment se combatoient que il en sont grandement à recommander, ne quoi que li Englès et li Gascon les approçassent de si priès que je vous di, nullement ne s'en effreoient, ne sus yaus rien on ne conqueroit.

Assés priés de là en le garnison de Saint Malkaire se tenoient aultre Breton des quelz Jehans de Malatrait et Selevestre Bude estoient chapitainne. Cil doi escuier, [qui]ooient parler tous les jours et recorder les grant apertises d'armes que on faisoit devant Montpaon, avoient grant desir et grant envie que il y fuissent ; si en parlèrent ensamble pluiseurs fois en disant : « Nous savons nos compagnons priés de ci et si vaillans genz que telz et telz », et les nommoient « qui ont tous les jours par cinc ou sis estours le bataille à la main, et point n'i alons, qui ci sejournons à riens de fait : certainnement nous ne nos en acquittons pas bien ». Là estoient en grant estri d'aler y, et quant il avoient tout parlé, et il consideroient le peril de laissier leur torterèce sans l'un d'yaus, il ne par osoient. Si dist une fois Selevestre Bude : « Par Dieu, Jehan, ou je irai, ou vous irés ; or regardés liquelz ce sera ». Respondi Jehans : « Selevestre, vous démorrés, et jou irai ». Là furent de recief en estri tant que par accort et par sierement fait et juré, present tous leurs compagnons, il deurent traire a le plus longe, et cilz qui aroit le plus longe iroit, et li aultres demoroit. Si traisent tantost, et escheï Selevestre Bude a le plus longhe ; lors y eut des compagnons grant risée. Li dis Selevestres ne le tint mies a gas, mais s'apparilla tantost, et monta a cheval, et se parti li XIIez de hommes d'armes. Et chevauça tant que sus le soir il s'en vint bouter en le ville et forterèoe de Montpaon, dont li chevalier et li compagnon, qui la dedens estoient, eurent grant joie, et en tinrent grand bien dou dit Selevestre.

§ 675. Si com je vous ay ci-dessus dit, il y avait tous les jours assaut à Montpaon, et trop bien li chevalier qui dedens estoient se deffendoient, et y acquisent haute honneur, car jusques adont que on leur fist renverser un pan de leur mur, il ne s'effraèrent ».

[Après des assauts répétés, les assiégés se rendent compte qu'ils ne pourront continuer la résistance, et envoient un héraut au duc de Lancastre pour entrer en pourparlers au sujet d'une capitulation. Le duc envoie aux quatre chevaliers qui commandaient la place le maréchal d'Aquitaine, Guichait d'Angle].

« Messires Guiçart qui estoit cargiés de ce qu'il devoit dire et faire, leur dist : « Signeur, vous avés durement couroucié monsigneur, car vous l'avés ci tenu plus de onze semaines ou il a grandement fraiiet et perdu de ses gens ; pour quoi il dist qu'il ne vous recevera jà ne prendera, se vous ne vous rendès simplement, et encores voet-il tout premierement avoir monsigneur Guillaume de Montpaon et faire morir, ensi qu'il a desservi comme trahitour envers lui ». Lors respondi messires Loeis de Mailli, et dist : « Messires Guiçart, tant que de monsigneur Guillaume que vous demandés à avoir, nous vous jurrons bien en loyauté que nous ne savons où il est, et que point il ne se tient en ceste ville ne n'est tenus depuis que vous mesistes le si[e]ge ci-devant ; mais il nous seroit moult dur de nous rendre en le manière que vous volés avoir, qui si sommes envoiiet comme soudoiier, gaegnans nostre argent, ensi que vous envoieriés le[s] vostres ou vous iriés personelment. Et ançois nous feissions ce marché, nous nos venderions si chierement que on en parleroit cent ans a venir. Mais retournés devers monsigneur le duch, et li dittes qu'il nous prende courtoisement sus certainne composition de raençon ensi que il vorroit que il fesist les siens, se il estoient escheu en ce dangier ». Lors respondi messires Guiçars et dist : « Volentiers ; j'en ferai mon plain pooir ». A ces parolles retourna li dis mareschaus devers le duch et prist en se compagnie le captal de Beus, le signeur de Rosem et le signeur de Muchidemt, pour mieulz abrisier le duch. Quant cil signeur furent devant lui, se li remonstrèrent tant de belles parolles, unes et autres, qu'il descendi a leur entente, et prist les quatre chevaliers bretons dessus dis et Selevestre Bude et leurs gens a merci comme prisonniers ».

Les événements de Saintonge, en 1372, et notamment la reprise de Saintes, sont racontés par FROISSART, au tome VIII de l'édition Luce, p. 71-75.

(32) Voyez Léon MIROT, p. 9.

(33) Voyez dans L. MIROL (p. 10-14) de nombreux actes tirés des Archives du Vatican et relatifs à ces événements.

(34) HAY DU CHÂTELET, Histoire de du Guesclin, p. 386. — S. LUGE, édition de Froissart, p. CXXXI, n. 4.

(35) Sur toute l'expédition du sire de Coucy, voyez : DENIFLE, II, p. 583 ; SERVAIS, p. 298 et suiv. ; MIROT, p. 14 et suiv. ; FINOT, p. 112 ; S. LUCE, édit. de Froissart, t. VIII, p. CXXXI et suiv.

Voici comment Froissart raconte (p. 219-222), en son style pittoresque, cette campagne et le rôle qu'y jouèrent les Bretons :

« § 770. Environ la Saint Michiel, l'an mil trois cens settante et cinc, se departirent ces compagnes et ces gens d'armes, Bretons et aultres de toutes nations, dou royaume de France, et passèrent parmi Loeraine, où il fisent moult de destourbiers et de damages, et pillierent pluiseurs villes et chastiaus et fuison dou plat pays, et eurent de l'or et de l'argent a leur entente de chiaus de Mès en Lorraine. Quant chil d'Aussay, qui se tenoient pour le duch de Lussembourch et de Braibant, en veirent le manière, si se doubtèrent de ces males gens, que il ne leur fuissent a souffrir, et se cloïrent, et mandèrent li baron d'Ausay au signeur de Couci et as barons de Bourgongne qui avœcques lui estoient, le signeur de Vregi et aultres, que point ne passeroient parmi leur pays ou cas qu'il se porroient ensi maintenir. Li sires de Couci mist son conseil ensamble, car il avoit là grant fuison de bonne chevalerie de France... Si priièrent moult doucement as chapitains des compagnes et as Bretons et Bourghegnons, que il vosissent courtoisement passer et faire passer leurs gens parmi Ausay, par quoi li pays leur fust ouvers, et qu'il peuissent faire leur fait et leur emprise. Il l'eurent tout en convent volentiers, mais de puis il n'en tinrent riens. Toutes fois, au passer et à l'entrer en Aussai, il furent assés courtois ».

« § 771. Or revenons au signeur de Couci, qui estoit en Aussai, et avoit deffiiet le duc d'Osterice et tous ses aidans, et li cuidoit faire une grant guerre, et moult s'en doubtoient Ostrisfen. Nequedent, comme tres vaillans gens d'armes et que bon guerrieur qu'il sont et soutil, il alerent et obviièrent grandement a l'encontre de ces besongnes, car, quant il sentirent le signeur de Couci et ses genz et ces compagnes approcier, culs meismes ardirent et destruisirent au devant d'yaus bien trois journées de pays.

Quant cil Breton et ces compagnes furent oultre Aussai et sus le rivière de Rin, et il deurent approcier les montagnes qui departent Aussai et Osterice, et il veirent un povre pays et trouvèrent tout ars, et desrobé, non pas pays de tel ordenance comme il est sus la rivière de Marne et de Loire, et ne trouvèrent que genestes et broussis, et que plus aloient avant et plus trouvaient povre pays ars et dérobé d'yaus meismes, et il avaient apris ces biaus vignobles et, ce gras pays de France, de Berri et de Bretagne, et ne savoient que donner leurs chevaus, si furent tout esbahi. Si s'arestèrent sus la rivière de Rin ensamble les compagnes, et eurent parlement les chapitainnes des Bretons et li Bourghegnon ensamble, pour savoir comment il se maintenroient. « Et comment, disent-il, est tel cose la ducé d'Osterice ? Li sires de Couci nous avait donné a entendre que c'estoit li uns des gras pays dou monde, et nous le trouvons le plus povre : il nous a decheu laidement. Se nous estions delà celle rivière de Rin, jamais ne la porions rapasser, que nous ne fuissions tout mort et pris et en le volenté de nos ennemis les Alemans, qui sont gens sans pitié. Retournons, retournons en France ; ce sont mieulz nos marces. Mal dehait ait qui la ira plus avant ! » Ensi furent il d'acord d'yaus logier, et se logièrent tout contreval le Rin, et fisent le signeur de Couci logier tout en mi yaus, li quelz tantos, quant il vei ceste ordenance, se commença a doubter qu'il n'i euist trahison. Se leur dist moult doucement « Signeur, vous avés pris mon or et mon argent, dont je sui grandement endebtés, et l'argent dou roy de France, et vous estes oblegié par foy et par sierement que de vous acquitter loyaument en ce voiage : si vous en acquittés. Aultrement, je sui li plus deshonnourés horns dou monde ». — « Sires de Couci, respondirent a ce premiers les chapitainnes des compagnes et li Bourghegnon, la rivière de Rin est encores moult grosse ne on ne le poet passer a gué sans navire. Nous séjournerons chi : entrues venra li biaus temps. Nous ne savons les chemins en ce pays. Passés devant, nous vous sievrons. On ne met mies gens d'armes ensi hors d'un bon pays, que mis nous avés. Vous nous disiés et affilés que Osterice est uns des bons et des gras pays dou monde, et nous trouvons tout le contraire. ».

(36) La bulle est du 4 mars 1376. Voyez DENIFLE, II, p. 583, d'après Reg. Vatic., n° 288, fol. 32.

(37) L'expédition des Bretons en Italie a été étudiée en détail par M. Léon MIROT, qui, dans son ouvrage, déjà souvent cité, sur Silvestre Budes, les a suivis pas à pas à la lumière des textes — On peut consulter aussi, malgré son évidente partialité, Ercole RICOTTI, Storia delle compagnie di ventura in Italie, Turin, 1893, ainsi que le travail du comte DURRIEU sur les Gascons en Italie et une étude de DU BOIS DE LA VILLERABEL, intitulée Gestes des Bretons en Italie au XIVème siècle et publiée dans les Mémoires de la Société d'émulation des Côtes-du-Nord, t. XXVII, p. 73-105.

(38) Des « Britones » sont encore signalés à Bénévent en 1395. Nicolas de MARTONI y fait allusion dans le récit de son pèlerinage à Jérusalem. « De Flummari discessimus hora tarda cura equitibus XXX et peditibus XXV domini Raymundi, et tota nocte ambulavimus propter dubium Britonum qui crant in Appice. » (Léon LE GRAND, Pèlerinage à Jérusalem de Nicolas de Martoni, p. 102 (extr. de la Revue de l'Orient latin, t. III, n° 4). M. MIROT qui rapporte ce curieux texte (p. 79, n. 2) se demande si le mot « Britonum » doit y être pris au sens de Bretons de race ou comme terme générique désignant des routiers.

(39) M. BOUDET, Les registres consulaires de Saint-Flour, 1900 p. 121, 125, 221, 292, 303. - FROISSART, éd. Kervyn, t. XI, p. 75 : (1380) « … Et encoires y avoit Bretons en Thoulonsains, en Carcassonnois et en Rouergue, que le duc d'Angou y avoit laissiés, qui pilloient tout le pays, et couroit renommée que le duc de Berry les y soustenoit pour maistrier les bonnes villes... Ceulx de Thoulouse qui sont moult puissans et qui sentoient le roy leur sire jeune et occupé grandement et à grans costenges pour les affaires de son oncle le duc de Bourgoingne es parties de Flandres, et se voient pilliés et traveilliés de Bretons et de pillars, tant qu'ils ne sçavoient qu'il peussent ne deussent faire, adont envoièrent et traittièrent par devers le conte de Fois, en lui priant, parmy une somme de flourins... qu'il vousist prendre la charge, le gouvernement et la garde de leur cite Thoulouse..., se pryé et requis en estoit ».

(40) Voyez Georges DAUMET, Etude sur l'alliance de la France et de la Castille, 1898, p. 48-51.
L'expédition, après une série d'opérations indécises, tourna court, le duc de Lancastre et son allié, le roi de Portugal, s'étant retirés en Portugal, pour fuir une épidémie. Don Juan de Castille traita avec le duc de Lancastre et s'empressa de congédier le duc de Bourbon et les troupes françaises à sa solde, dont une part était bretonne, notamment la bande qui soutint le siège d'Orense (Voir plus bas). « Or, se vuidièrent ses gens d'armes hors de Castille par pluseurs chemins. Les aucuns par Bisquaye, les autres par Cateloigne et les autres par Aragon. Et revenoient les plus des chevaliers et des escuiers qui n'avoient entendu à nul pillaige, fors singulièrement vescu de leurs gaiges, tous povres et mal montés ; et les aucuns qui s'estoient enhardis et avanchiés d'entendre au pillaige et à la roberie, très bien montés et bien garnis d'or et d'argent et de grosses malles. Ainsi est-il de telles aventures : l'un y pert et l'autre y gaingne. Le roy de Castille fut moult resjouy quant il se vit quitte de tels gens et qu'il en vit son pays délivré » (FROISSART, éd. Kervyn de Lettenhove, T. XII, p. 343).

(41) Le 29 ou le 30 décembre 1382.
« Le roi séjournant à Arras, fut la cittés en grant aventure, et la ville ossi, de estre toute courue et pillié, car li Breton [à] qui on devoit grant finance et qui avoient eu mont de travel en ce voiage, se contentoient mal dou roi. A grant peine les en rafrenèrent li connestables et li doi mareschal, mais on leur promist que il seroient tout net paiet de leurs gaiges à Paris... » (FROISSART, éd. Raynaud, t. XI, p. 74). — Chronique de Jean II et de Charles V, éd. Delachenal, t. III, p. 38.

(42) « § 324. Nouvelles vinrent che mardi au matin au roi de France, qui estoit en l'abbeïe à Marquete, et a ses oncles, que li pas de Commines estoit conquis et li avant garde oultre. De ces nouvelles furent li rois et li seigneur tout resjoï. Adont fu ordonné el dit que li rois passeroit... Chil de l'avant-garde qui estoient a Commignes, delivrèrent la ville de ces Flamens, et en iot ochis, sus les rues que sus les camps, environ quatre mille, sans ceulx qui furent mort en cache et eus es moulins a vent et eus es moutiers on il se requelloient, car sitos que chill Breton furent oultre, il montèrent as chevaulx et se missent en cace, pour trouver ces Flamens et pour courir le païs qui estoit lors cras et riches.

Li sires de Reus, sires de Laval, li sires de Malestroit, li viscontes de le Berlière et li sires de Cornbor et leurs gens chevauchièrent tout devant et s'en vindrent à Wervi qui est une grosse ville. Li fu prise et arse, et ceulx qui dedens estoient mort ; là eurent li Breton grant pillage et grant pourfit. Ossi eurent li autre qui s'espardirent sus le païs, car il trouvoient les hostels tous plains de draps, de pennes, d'or et d'argent, ne nuls sus la fiance des fors pas sus la rivière dou Lis n'avoient point vuidiet le leur, ne menet eus es bonnes villes.

Li pillart, Breton et Normant et Bourgegnon, qui premierement entregent en Flandres, le pas de Commines conquis, ne faisoient compte de draps entiers, de pennes ne de tels jeuinaulx, fors que de l'or et de l'argent que il trouvoient, mais cil qui vinrent depuis, ramonnèrent tout au net le païs, ne riens n'i laissièrent, car tout leur venoit bien à point » (1382) (FROISSANT, éd. Luce, t. XI, p. 25).

(43) « § 330. Quant li rois de France et toute li hoos, avant-garde et arrière-garde, eurent logiet a leur plaisir sus le mont d'Ippre, et que on i ot tenu pluiseurs marchiés et vendu grant plenté de butin à ceulx de Lille, de Douai, d'Artois, de Tournai et a tous ceulx qui acater les voloient, et donnoient nos drap de Wervi, de Miessines, de Popringhe et de Commignes pour un franc (on estoit là revesti a trop boin marquiet, et li aucun Breton et autres pillars, qui voloient, plus gaagnier, s'acompagnoient ensamble et cargoient sur cars et sur chevaulx leurs dras bien enballés, nappes, toilles, quieutis, or, argent en plate et en vaisselle, se il le trouvoient, et puis l'envoioient en sauf lieu oultre le Lis ou par leurs varlès en France), adont vint li rois à Ippre, et tout li signeur et se logièrent en la ville... » (FROISSART, éd. Luce, t. XI, p. 35).

(44) « § 461. Quant pluiseurs gens de la ville, dou Dam perchurent que François Acremen et li Gantois s'en aloient sans retourner et que la porte estoit ouverte, si se missent ossi [au] chemin, cascuns après eux, qui mieux mieux. Quant on sot ces nouvelles en l'ost, pluiseurs gens, Bretons et Bourgignons par especial, qui desiroient a gaegnier, montèrent as chevaux, et se missent en cace et pourssieuirent les Gantois jusques a deus lieues de Gand. Si ot des fuians ochis grant fuison et pris plus de cinc cens, mais en ceux là i ot petit de Gantois, fors que de ceux dou Dam qui s'enfuioient. Et entrues que la cace se faissoit a toutes pars, on assalloit la ville où point de deffense n'avoit. Li entrerent eus li François par eschielles, et passerent les fossés a grant paine. Quant il furent dedens, il quidièrent avoir mirveilles gaegné, mais il ne trouvèrent rien fors que povres gens, femmes et enfans, et grant fuison de bons vins. Dont par despit et par envie Breton et Bourgignon boutèrent le [feu] en la ville, et fut priès toute arse, de quoi li rois de France et li dus de Bourgongne furent grandement couroucbié, mais amender ne le peurent ; [si] leur convint passer » (FROISSART, éd. Luce, t. XI, p. 245-246).

(45) « § 345. Li Breton et cil de l'avant garde monstroient bien par leur ordenance que il avoient grant desir d'aler vers Bruges et de partir as biens de Bruges, car il s'estoient logiet entre Tourout et Bauges. Li contes de Flandres, qui amoit la ville de Bruges, et qui trop envis en euist veu la destrucion, se doubtoit bien de eux, et estoit tous enfourmés dou convenant de cheus de Bruges et comment il estoient esbahi. Si en ot pité, et en parla a son fil, le duc de Bourgongne, en remonstrant que, se cil de Bruges venoient a merchi devers le roi, on ne les vosist pas refusser, car là où Bruges seroit consentie a courir de ces Bretons et autres gens, elle seroit a tousjours mais perdue sans recouvrier. Li dus li acorda... [Douze bourgeois de Bruges viennent devant le roi]. Li rois entendi a leurs parolles, par le moien dou conte de Flandres, qui là estoit presens, qui en pria et s'en mist en jenouls devant le roi. Là fu dit et remonstré a ces bonnes gens de Bruges que il convenoit apaissier ces Bretons et ces gens d'armes, qui se tenoient sus les camps entre Tourout et Bruges, et que il leur convenoit avoir de l'argent. Lors furent traitié entamé pour avoir argent, et demanda on deus cens nulle frans. Toutesfois, il furent disminué jusques a sis vins mille francs...

§ 346. Fassi demora la bonne ville de Bruges en paix, et fu deportée de non estre courue, dont li Breton furent mout courouchié, car il en quidoient bien avoir leur part, et dissoient, entre eux, quant il sceurent que il estoient venu a paix, que ceste guerre de Flandres ne leur valoit riens, et trop petit de pourfit il i avoient eu. Si s'avisèrent li aucun qui ne tendoient a nul bien : « Nous en retournerons en nostre païs, mais che sera parmi le conté de Hainnau... S'est bon que nous le alons visiter, car il i a bon païx et cras en Hainnau, ne nous ne trouverons homme qui nous vée nostre chemin, et là recouverons nous nos damages et nos saudées mal paiies... Il fu tels fois que il se trouvèrent bien douse cens lances tout d'un acord, Breton, Bourgignon, Savoien et autres gens... Tant fist li contes Guis de Blois... que toutes ces coses furent rompues, et demora Hainnau en paix » (1382) (FROISSART, éd. Luce, t. XI, p. 6).

« § 343. Ossi environ l'anuitier, che joedi au soir, vinrent les nouvelles a Bruges de la desconfiture de la bataille, comment il avoient tout perdu. Si furent en Bruges si esbahi que nulles gens plus, et commenchièrent a dire : « Vechi, nostre destrucion est venue. Se li Breton viennent jusques à chi et il entrent en nostre ville, nous serons tout pillié et mort, ne il n'aront de nous nulle merchi ». Lors prissent bourgois et bourgoises à mettre leurs milleurs jeuiaulx en sas, en huges, en coffres et en tonniaux, et avaller en nefs et en barges, pour mettre à sauveté, et aler eut par mer en Hollande et en Zellandes, et là où aventure pour eux sauver les poroit mener. En ce parti furent-il quatre jours, ne on ne trouvast mie en tous les hostels de Bruges une culiere d'argent ; tout estoit, mis a voiture et repus, pour le doubte des Bretons. » (FROISSART, t. XI, p. 59).

(46) « … Et fu le duc de Bretaigne gardien de Paris ; et n'y avoit que IIII portes ouvertes ; et les gardoient les jenz du duc de Bretaigne qui avoit espousée la seur du dalphin. Et, au devant de celle entree, monsr de Bourgongne c'estoit parti de Paris pour aller secourre l'evesque de Liege ; et si savoient bien que a ce estoit embesongnié. Et toutes voiez chex de Paris furent en tres grant mesese et meschief et en doulte que les diz Bretons ne vousissent faire aucun mal a la ville, veu que la royne ne les amoit point, ne encore ne fait. Mistrent remède en leur fait, et boutèrent les Dretonz hors de la garde des portez et de la ville, tant que les clers de l'Université s'esmurent et armèrent ; et furent les Bretons très bien batus, et de tuez et cachiez hors de la ville, mescheaz, povres et truanz, Et vendirent leur chevax a grant meschief et a  grant marchié, et s'en alerent en leur païz a pié, fors ce qu'i purent pillier en chemin » Chronique normande de Pierre COCHON, ch. XV (éd. Ch. de Robillard de Beaurepaire, Rouen, 1870), p. 238-239.

(47) Sur les campagnes de Gilles de Rais, voyez A. BOURDEAULT, Chantocé, Gilles de Rays et les ducs de Bretagne, dans les Mém. de la Soc. d'hist. et d'archéol. de Bretagne, t. V, 1924, p. 59 et suiv. Sur celles du connétable de Richemond : GRUEL, Chronique d'Arthur de Richement, édition Le Vavasseur, et DE BEAUCOURT, Histoire de Charles VII, t. II, pass.

(48) Voyez A. TUETEY, Les Ecorcheurs sous Charles VII, Montbéliard, 1874, 2 vol.

En 1444, l'armée du Dauphin comprend, à côté de compagnies étrangères, des Bretons et des Gascons, qui « forment bande à part ... Les Bretons étaient commandés par Gilles de Rouvroy, dit de Saint-Simon, Mathelin de Lescouët et Olivier de Broon ». (P. 166). — « ... Item, au lieu de Baigneux, ... ont esté et estoient encores le dit XXIIIème siècle jour de juillet logiez des Bretons, estans à monseigneur le connestable, en nombre de 100 chevaulx, et est leur capitaine ung nommé Blanchelaine, où il fait tous les maulx qu'il peut ; et a fallu raençonner une grange qui y est ... à 40 francs, ou elle eust esté abatue » (G. DU FRESNE DE BEAUCOURT, Recueil de pièces pour servir à la Chronique de Mathieu d'Escouchy (Soc. Hist. de Fr.), p. 94). — « Item in Roszheim remanet reliqua pars gencium domini marescalli una cum Britonibus, et dicitur quod sunt circa quatuor milia... » (TUETEY, t. II (Documents), p. 520. Cf. t. Ier, p. 150).

(49) On n'en finirait pas de citer tous les documents où se manifestent la terreur et la haine des Bretons. En voici, à titre d'exemple, deux très caractéristiques :

Les gens de Santarem s'étaient, en 1385, révoltés contre les troupes de leur souverain, don Juan de Castille et avaient tué « plus de 60 Bretons, pillars et robeurs, qui d'autre chose ne servoient ». Le roi leur envoya son maréchal, « messire Regnault Lymosin » pour en savoir la cause. Ils répondirent : « Saulve vostre grâce, messire Regnault, nous ne les voulons rendre [nos châteaux] en autres mains ne seignourie que à celle du roy de Castille de qui nous les tenons, mais que il nous gouverne ou face gouverner en paix et en justice. Et ce que nous faisons et avons fait, ce a esté par la coulpe et par les grans oultraiges et extortions des robeurs et pillars bretons que l'on avoit logiés en ceste ville ; car, se nous feussions Sarrazins ou pires gens, si ne nous povoient-ils pis faire, comme de efforchier nos femmes et nos filles, et rompre nos huges et nos escrins, effondrer nos tonneaulx au vin, nous batre et nous méhaignier quant nous en parlions. Si, ne vous devez pas esmerveillier quant nous veons tels outraiges faire sur nous et sur les nostres, et par ceulx qui nous deussent garder et deffendre, se nous nous en courrouchons, car l'on se courrouche bien par moins. Si, pourrés bien dire au roy tout test affaire, se il vous plaist. Mais nous sommes d'un accord et conclusion tous en ceste ville que, pour homme qui viengne, nous ne recepvrons ne François ne Bretons, sinon la personne du roy et ceulx de son hostel... ». Et quant le roy en sceut la vérité, il dist : « Par ma foy, ils ont fait comme saiges, se ils se sont mis au-dessus de ces pillars, et ne leur en devons savoir nul mal gré, car ils sont tousjours prests à mal faire. » (FROISSART, éd. Kervyn de Lettenhove, t. XI, p. 142 et suiv.).

En 1387, le duc de Bourgogne ayant envoyé des renforts à la duchesse de Brabant contre le duc dé Gueldre, la nuit de la Saint-Martin d'hiver, ces troupes s'emparèrent de « la ville de Straule… et vous dij que trois jours devant y estoit entré ung chevalier d'Angleterre à tout X lances et XXX archeirs que le roi d'Angleterre y avait envoiés. On nommoit le chevallier messire Guillemme, fils de Raoul. A celle heure que l'estourmie, monta et le haro, il estoit en son hostel et se commençoit à descouchier. Lors il entendi les nouvelles que leur ville estoit prinse. « Et de quels gens ? » demanda-il. Respondirent ceulx qui à luy parloient : « Ce sont Bretons. » — « Ha ! dist-il, Bretons sont male gent. Ils pilleront et ardront la ville et puis partiront. » — « Et quel cry crient-ils ? »dist le chevallier. — « Certes, sire, ils crient : La Trimouille ». Adont fist clore et fermer son hostel, et se arma et toute sa gent aussi se armèrent ».

La ville fut en effet brûlée et pillée, « tellement que oncques rien n'y demeura de bon que il le peussent trouver », et le chevalier anglais fait prisonnier avec les notables. (FROISSART, éd. Kervyn, t. XIII, p. 50).

(50) Dépêches des Florentins à leurs alliés (juin 1376) :
« … Jam incipit nobis fieri certissimus Britonum pestifer adventus ad partes Italie... Ut, Deo duce, sicut speramus, hec iniqua barbaries, oportuno loco, congressu pugnabili, si facile visum exiterit, opprimatur. »« Fratres karissimi, ut furori Britonum qui, quasi subjugabundum totam Italiam, ceperunt bellanter debacchari Lige viribus occurratur... » (MIROT, op. cit., p. 24, n. 1 et 2, d'après l'Archivio di Stato de Florence) ; — A Rodolfe de Camerino : « Magnifice domine, frater karissime, appropinquat pestiferum Britonum barbaricumque consortium, quod minaciter in nostram cladem anhelit... » — A Pise et à Lucques : « ... si forte contingat Britonum feralem scelestamque congeriem... » (Ibid., p. 26, n. 2 et 3). Lettre du consistoire de Sienne (nov. 1376) : « ducente lancee Brittone gentis, totidemque pigliardi, cum eorum procere domino Silvestro Buda, equitaverunt... » (Ibid., p. 38, n. 1. Archivio di Stato de Sienne). — Du même : « … redeuntibus multis Brittonibus in Cezenam, fuerunt peracte alique deturpationes enormes mulierum » (Ibid., p. 39, n. 2, même source) ; etc.

(51) Voyez MIROT, pour Césène, p. 38 et suiv., pour Bolsène, p. 60.

(52) « .... Qui quidem Bertrandus [de Claquin] possessione dicti comitatus [de Longueville, donné par le roi en récompense de la victoire) accepta, in recessu promisit régi Franciae quod omnes inimicos regni, praedones et latrones de partibus expelleret vi armorum ; sed revera non fecit. Sed sui Britones in reversione veniendo de Rothomago, quidquid in villagiis reperire poterant et in viis, totum rapiebant, tam pecunias quam vestes, equos, oves, boves, bestias et jumenta. » (Jean DE VENETTE, Continuatio Chronici G. de Nangiaco, éd. Géraud, p. 346).

Les habitants de Pontevedra, poussés par Thomas Moriaulx, maréchal du duc de Lancastre, à le recevoir, lui et ses hommes, répondent : « Mgr, nous nous confions grandement en vous et en vostre parole ; mais nous doubtons sur toute riens les pillars, car de telles gens nous avons esté tant batus ou temps passé que encoires nous en doit-il bien souvenir. Quant messire Bertrand de Claicquin et les Bretons vindrent premièrement en ce pays, ils nous pillièrent tellement que riens ne nous laissièrent, et pour tant nous les ressoignons » (FROISSART, éd. Kervyn, t. XI, p. 416).

(53) Le document suivant met bien en lumière ce système de subsistance où l'intimidation joue un véritable rôle de procédé « alimentaire ». Ce sont des lettres de rémission accordées par Charles V à Nicolas Fraillan de Pinay (janvier 1370).

« Charles, etc., savoir faisons à tous présens et à venir que Nicholas Fraillon de Paray, subgiez et justiciable de nostre amé et féal cousin Jehan d'Armignac, nous a senefié que pour doubte d'ancourre l'indignacion de nostre dit cousin, ycelui signifiant a administré, vendu et baillé chevaulz, harnois, vivres et autres choses par plusieurs foys, depuis l'an milCCCLX, à plusieurs gens d'armes, Bretons, Gascons et autres, que nostredit cousin a tenu à Paray dessusdit et en autres lieux voisins pour résister à nos ennemis ; et, outre se, ledit signifiant, depuis ledit an, par aucuns temps, à autres, que environ la dicte ville ont repuirié, et menacié on mettre à mort les gens du pays, pillier et destruyre, a administré, baillié et vendu vins, draps et autres choses à eulx nécessaires que ils demandoyent, et de eulx ou d'aucuns d'eulx a acheté bestes ou autres choses, et avecques eulx a marchandé à adverses foys, afin que ils nemeissent à effeit leurs dictes menaces et que plus legièrement et à mains de gries du pays se departissent, senz ce que avec eulx ait chevauchié, et avant se que sentence d'excommuniement eust lors compris les dictes gens de compaingne. » (GUIGUE, Les Tard-Venus, p. justif. n° 27, p. 272).

Le Diario d'anonymo fiorentino rapporte que le pape, ne pouvant payer les Bretons à son service, leur permit de vivre à Foligno. (MIRTOT, p. 64, n. 2).

Les Bretons de la garnison d'Orense, en Espagne, traitant avec le maréchal du duc de Lancastre de la reddition de cette ville, obtiennent d'emporter leurs bagages, mais a la condition de ne pas piller la ville avant de la quitter. « Nennil, dist le bastard de Aulroy, nous en emporterons fors ce qui est nostre, et, se aucuns des compaignons de nostre délivrance ont quelque chose prins ou achaté et ils ont mal payé, nous n'en voulons entrer en rihotte ; mais je croy bien que au regart de boire et de mengier, depuis qu'en ceste ville venismes en garnison, nos gens n'en ont gaires payé ». — « Nennil, nennil, respondi le mareschal, tout ce vous est excepté. Les vivres sont d'avantaige, aussi seront-ils nostres : mais nous parlons de meubles ». Respondi le bastar d’Autroy : « Je ne vous feray jà si preud'hommes que nous n'en ayons eu quelque pou ». Adont dist messire Jehan de Hollande: « Laissiés-les passer ce qui est leur, si est leur. Ne voise ja nuls si près que pour regarder en leurs malles ». — « Or, soit ainsi », respondi le mareschal » [Les Bretons font leurs malles et y mettent, outre le produit du butin antérieur,] « plenté de bonnes bagues des meubles des manans de la ville, pennes, draps, chaintures d'argent, vaisselle et maint autre richesse quand ils les trouvoient. Et, quant aucuns en parloient et disoient : « Ha a ! monseigneur, cecy est nostre, vous ne l'apportastes oncques céans », ils respondoient : « Taisiés-vous et ne dittes mot, meschantes gens, nous avons commission du roy de Castille, de nous faire paier partout de nos gaiges : vous ne nous avez voulu paier et si vous avons bien et loiaulment servy ; si faut que nous nous paions de nouveaulx gaiges, car cecy est nostre » [Après leur départ, les habitants s'en plaignent au maréchal du duc de Lancastre entré dans la ville] : « Ils sont mauvais et sans conscience car il n'en y a pas ung seul qui ne soit larron. Mais pourquoy ne nous le seroient-ils pas quant ils le sont tous les jours l'un à l'autre ? ». Quant le mareschal eut ouy ce que dit est, il se print à rire et puis s'en teult » (FROISSART, éd. Kervyn, t. XII, p. 199-200).

Ce récit plein de verve narquoise, indique assez l'esprit du temps et l'indulgence générale à l'égard des pillages qui ne dépassaient pas certaines limites et qui pouvaient passer pour une quasi-légitime « reprise en nature ».

(54) Diaria d'anonymo fiorentino, p. 311, d'après MIROT, p. 33.

(55) Pour Céséne (1377) : « … Redeuntibus multis Britonnibus in Cezenam, fuerunt peracte aliqne deturpationes enormes mulieruin. Unde populus clamare cepit : Moriantur Britones, Moriantur pastores Ecclesie, et nequiter fuerunt multi Britones interfecti » (Sienne, Archivio di Stato, Lettres du Consistoire XIV, n° 48, d'après MIROT, p. 39, n. 2).

Pour Saint-Fagon (1387) : « Ceulx qui chevauchierent premiers à Saint-Fagon et entrèrent en la ville, cy six, cy dix, cy douze, cy quinze, cy vint et tant qu'il en y ot plus de cinq cens, uns et autres, varlets et seigneurs, ainsi comme ils venoient ils se logeoient et quant ils estoient logiés, ils pilloient et desroboient les bonnes maisons et rompoient coffres et escrins et troussoient tout le plus bel et le plus meilleur. Et quant les citoiens virent la manière d'eulx, ils fermèrent leur ville à celle fin que nuls n'y entrast. Quant ce vint à la nuyt que ces estrangiers se cuidoient reposer, l'on cria en la ville : « Aux armes ! » et avoient les Espaignols toute leur emprinse projettée de jour. Ils entrèrent en leurs hostels où le plus il en y avoit de logiés et ainsi comme ils les trouvoient, ils les occioient sans pitié et sans merchy, et en occirent en celle nuit plus de trois cens et furent tous eureuls ceulx qui se porent sauver et oster hors de ce péril ».

Les camarades des Bretons massacrés ajournent leur vengeance au moment on ils quitteraient l'Espagne. « Et dirent ainsi entr'eulx :

« Nous paiasmes nostre bienvenue a ceulx de Saint-Fagon, mais ils paieront nostre bienalée : c'est raison ». Le moment venu, ils s'approchent de la ville. Les habitants les laissent entrer sans défiance « car plus ils n'y pensoient et bien cuidoient que tout feust oublié... mais si fist à leur grant dommaige, car, quant ils cuidoient estre le mieulx assurés, ce fut que l'on cria en plus de cent lieux : « Aux armes ! » et fut dit : « Meurent les citoiens et les villains de la ville ! Et tous sont pris et quanques il sont, car ils l'ont grandement forfait ».

« Adont veissiés ces Bretons par grans routes entrer en ces bons hostels là où le plus espéroient à gaignier, rompre huches et coffres, et occire hommes vieulx et jeunes pour deffendre leur avoir et faire grant esparsin de leurs biens. Ce jour en y ot de mort par les hostels et sur les rues plus de quatre cens, et fut la ville enfin toute pillée et robée et plus de la moitié arse... et estoit pitié sans compassion a veoir les femmes, les filles et petits enffans crier et détordre leurs poings et courir par les rue en dolant arroy, si qu'il n'est si dur cuer qui n'en deuist avoir pitié. Ainsi se contrevengièrent les routes de la mort de leurs compaignons qui à leur venue en Espaigne avoient, comme dit est, esté occis à Saint-Fagon. Ce fait ils partirent de là pour retourner en France » (FROISSART, éd Kervyn, t. XII, p. 342).

(56) Chronique de Guillaume de la Penne, vers 140 (d’après MIROT, p. 50).

(57) « Ni ot ni huis ne fenestres - A Monteflascon ycelle nuit - Où l'on ne fist moult grant desduit. - Vous le veistez partout aler - Grans faloz bien alumez » (Ibid., vers 2066-2070).

(58) Les Bretons encouragent avant l'assaut les Espagnols de la place : « Soyez reconfortés, leur disent-ils, et vous montrés bonnes gens. Nous et nos compaignons qui sont en ceste ville pour aidier à garder vos biens et vos honneurs, avons aucunes fois esté en place plus foible assés que ceste ne soit, que nul dommaige n'y recheusmes ». « Ces Galliciens, voulsissent ou non, par l'endètement de iceulx Bretons s'encouragèrent de ce que jamais n'eussent fait se ils ne feussent, mais l'eussent assés tost rendue sans attendre l'assault, car, au voir dire et à parler par raison, en Castille et en Gallice les communaultés ne vallent comme rien à la bataille ».

[L'assaut est donné par les Anglais].

« .... Iceulx Bretons, au voir dire, moult bien et vaillamment se deffendirent, car je tiens la vaillance en tant que si souvent se laissoient assaillir et bien scavoient que ils ne seroient confortés de nul costé, car l'ordonnance et la conclusion des François et du roy de Castille estoit telle que l’on lairoit convenir les Anglois en toute Gallice et ailleurs aussi... sans eus combatre... « Ha ! disoient les aucuns chevalliers et escuiers anglois, se toutes les villes de Gallice nous donnaient autant de paine comme fait ceste, nous ne aurions jamais plus la fin de ceste guerre. » … Plus les aucuns demandoient : « Qui sont les capitaines de la ville ? »« Ce sont deux bastards bretons, bons hommes d'armes et qui sçavent bien ce que l'on puet exploittier en assault et en siège. Ils sont du mestier : ils ont esté en plus dur party plusieurs fois ; l'un est le bastard de Pennefort et l'autre le bastard d'Aulroy. »« Qui que ils soient, ils sont vaillans gens, car pour eulx ils ne voient apparence ne secours de nul costé, et si se tiennent ainsy ».

[Le duc de Lancastre envoie son maréchal demander aux Bretons de livrer la place].

« ... Sire mareschal, respondi le bastard d'Aulroy, nous sommes tous advisés et tous conseilliés. Ou cas que nous et le nostre vous mettrés en bon conduit et seur pour aller à Ville-Arpent ou ailleurs où il nous plaira à retraire, vous nous ferés conduire tout saulvement et sans péril, nous vous rendons la ville et aussi que tous les hommes, femmes et enffans qui sont dedans et qui demourer y vouldront, y demeurent sans péril et sans dommaige ».

[Ces conditions sont acceptées au nom du duc de Lancastre et la garnison se retire sous escorte à Ville-Arpent avec armes et nombreux bagages contenant le butin]. (FROISSART, éd. Kervyn, t. XII, p. 186-200).

(59) Dépêche de Giovanni de Senis, 10 juillet 1376 (SIENNE, Archivio di Stato, lettres du Consistoire XII, n° 66) citée par MIROT, p. 31, n. 1.

(60) Voyez plus haut, note 55.

(61) Chronicon Estense, col. 500 (dans MIROT, p. 43, n. 2).

(62) Récit du siège de Chizé (Deux-Sèvres) par du Guesclin (FROISSART, t. VIII, p. 111-114).

(63) Voyez plus haut, note 31, § 675.

(64) « Fra le molte bande venturiere che se scaturirono, una ferocissima di Brettoni e di Guaschi parve a papa Gregori XI la più acconcia a domare la Romagna e la Toscana. Avuto percio a sé Giovanni di Maléstroit, che la capitanava, domandollo, « se gli dava cuore di prendergli Firenze « Ventra egli il sole ? » richiese il feroce ; « se ei v'entra, v'entrero anch'io. » (Ercole RICOTTI, op. cit., t. Ier, p. 310-311).

(R. GRAND).

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