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Les DUCS DE BRETAGNE et le SAINT-SIEGE

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Le régime politico-religieux est la plus importante des questions que permette d'élucider l'étude des rapports entre les papes et les ducs de Bretagne. Certes, elle n'est pas la seule. Il serait curieux, par exemple, d'examiner l'usage qu'ont fait les pontifes de leur pouvoir d'accorder ou de refuser des dispenses matrimoniales pour favoriser ou entraver telle ou telle politique. Mais il ne s'agit pas de cela ici. Je voudrais seulement montrer en quoi consista l'entente, la collaboration entre le pouvoir laïque et le pouvoir religieux pour instituer les conditions légales dans lesquelles a vécu le clergé breton au moyen âge. L'importance de cette étude est évidente si l'on considère que le régime établi sous les ducs a été conservé par la Bretagne, nonobstant son union au royaume, et qu'il a persisté chez elle jusqu'à la fin de l'ancien régime. 

Ce statut n'a pas été parachevé d'une seule traite, il n'a pas été codifié. Il s'est élaboré peu à peu au cours des âges sans suivre une marche régulière, et les mêmes périodes qu'on doit distinguer dans l'histoire du duché correspondent également aux phases successives traversées par les institutions religieuses.

La première période, malgré sa longue durée, ne joue qu'un rôle préliminaire. Elle s'étend depuis la fondation du duché de, Bretagne par Nominoë, au temps des Carolingiens, jusqu'à l'extinction des dynasties indigènes au commencement du XIIIème siècle, c'est-à-dire, au total, sur quatre siècles.

La seconde période s'ouvre avec l'avènement du duc capétien Pierre Mauclerc et se termine à la mort de son descendant Jean III en 1341. Ce temps durant, le pouvoir ducal se constitue en progrès notable sur l'âge précédent. De là des conflits, parfois violents, avec les évêques. Par réaction contre cette marche ascendante l'épiscopat, depuis la fin du XIIIème siècle, prétend s'émanciper totalement de l'autorité ducale, même au temporel. Dans cette période, la Papauté, n'intervient qu'en seconde ligne, pour confirmer l'action des évêques.

La guerre des Deux Jeanne, guerre de succession issue de la rivalité entre enfants de deux lits différents et terminée par la paix de Guérande en 1365, marque une étape sanglante pendant laquelle les institutions restent stationnaires. En revanche elle resserre les liens personnels entre papes d'Avignon et ducs au cours des nombreuses négociations diplomatiques que causent tant d'essais pontificaux pour rétablir la paix ou alléger les maux de la guerre.

Avec le triomphe des Montfort commence la troisième et dernière période qui se terminera lors du mariage d'Anne de Bretagne (1491). Notons toutefois que le règne de Jean IV, après quelques années de gouvernement impopulaire, fut interrompu par la fuite de ce prince devant l'opposition de ses sujets. C'est surtout de l'époque de son retour, de la restauration définitive, en sa personne, de la maison de Montfort, que date la période la plus brillante du duché, l'épanouissement de la monarchie bretonne. Le petit état breton développe et perfectionne ses différents rouages. Il s'élève graduellement en principauté munie de tous les attributs d'une puissance autonome. Naturellement cette ascension amènera la crise que l'on sait, avec la nation française, et se résoudra fort heureusement par le mariage de la duchesse Anne avec Charles VIII. En cette période il y a, sur le terrain politico-religieux, concordance absolue entre l'attitude des ducs et leur politique générale. Ni durant la crise du Grand schisme, ni lors de sa conclusion en France par l'établissement de la Pragmatique Sanction, le clergé breton n'avait marché du même pas que le clergé français ; il s'en était nettement séparé. Séparation ou, si l'on préfère, séparatisme, tel est le mot qui commande et qui explique toute la politique religieuse de la Bretagne au temps des Montfort. Les papes, par réprobation pour la Pragmatique, favorisèrent cette tendance. Ils fondèrent alors le régime politico-religieux de la Bretagne par une série de privilèges qu'ils accordèrent de leur propre autorité, par bulle, mais toujours en conformité avec les demandes ou les désirs du pouvoir ducal. Cet ensemble construit au jour le jour était si intelligemment compris, si sagement adapté au sentiment des intéressés, qu'il dura plus longtemps que le duché et resta en vigueur pour la Bretagne aussi longtemps que la monarchie française. Il exclut le concordat de Bologne que la Bretagne n'admit, pas plus qu'elle n'avait admis la Pragmatique Sanction.

 

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Nous avons dit qu'il y avait peu à retenir des quatre siècles qui s'écoulèrent entre les débuts de Nominoë et ceux de Pierre Mauclerc. De cet âge obscur et barbare il n'est guère que deux tentatives, d'ailleurs infructueuses, qui méritent de retenir l'attention.

Nominoë et ses successeurs essayèrent, au IXème siècle, ce qui fut réalisé en partie au XVème : s'assurer un épiscopat favorable et constituer l'Eglise bretonne tout à fait séparément de celle de la France. Ils cherchèrent le succès, sur le premier point, en demandant au Saint-Siège de déposer plusieurs évêques jugés hostiles aux nouveaux maîtres de la Bretagne, ou même en les chassant purement et simplement. Ils crurent réaliser leur seconde idée en groupant les évêchés bretons autour d'une métropole bretonne fondée par eux et enrichie de diocèses peut-être dus à leur initiative. Le Saint-Siège ne critiqua pas la création de ces diocèses, mais il s'opposa catégoriquement aux destitutions d'évêques et à la formation de la métropole nationale de Dol. On s'étonne de tant de sévérité, les papes ayant en général montré une extrême condescendance pour accommoder les circonscriptions ecclésiastiques à celles des états et s'étant fait une loi constante de placer sur les sièges épiscopaux des personnes agréables au souverain. Peut-être trouverait-on le motif de cette condamnation dans la méfiance que les papes nourrissaient contre les chrétientés celtiques qui avaient vécu si longtemps en marge de Rome et qui s'attachaient à des usages liturgiques propres réprouvés par le Saint-Siège. De l'autre côté de la Manche, cette méfiance se manifesta par le refus d'une métropole aux Gallois, puis par le don de l'Irlande au roi d'Angleterre.

Peu importe si cette métropole doloise à laquelle on refusait la vie mit trois siècles à disparaître. Grégoire VII, au XIème siècle, en donnant le pallium l'« archevêque » de Dol, par faveur pour la grande réforme religieuse qu'ils soutenaient l'un et l'autre ; l'Anglais Adrien IV, au XIIème siècle, en essayant, par amitié pour le roi d'Angleterre, de rendre vigueur à l'archevêché contesté et en donnant à l'Eglise anglaise la haute main sur les Celtes de Bretagne comme il la leur donna par la bulle Laudabiliter sur les Celtes d'Irlande, conférèrent un regain d'existence à la métropole bretonne et prolongèrent son histoire jusqu'au jour où l'autorité de Philippe-Auguste se substitua dans ces parages à celle des Plantagenets, époque, d'ailleurs, où le jeune Arthur de Bretagne possédant, au moins théoriquement, la Touraine aussi bien que la Bretagne n'avait aucun intérêt à voir la métropole de Tours battue en brèche par celle de Dol. Telles sont les circonstances qui amenèrent la suppression définitive de Dol métropole en 1199.

Malgré cet échec final, l'idée qui avait présidé à la naissance de cette métropole avait, tout au moins, fait preuve d'une certaine vitalité. On n'en peut pas dire autant d'une autre innovation étouffée dans son germe. Il s'agit de l'essai tenté par les gens d'Eglise, sous le pontificat de Grégoire VII, pour faire de la Bretagne un état vassal et tributaire du Saint-Siège, un état placé immédiatement sons la protection de saint Pierre à charge d'un cens récognitif, comme plusieurs autres pays le devinrent à cette époque, conception grandiose qui aurait fait de la Papauté la présidente de vastes Etats-Unis Européens. Ainsi Grégoire VII, qui avait doté la Bretagne d'un métropolitain particulier, l'érigeait en principauté vassale de Rome. Ce sont les deux faces d'une même pensée. Mais la Bretagne était alors trop primitive et trop anarchique pour jouer un rôle hors de ses frontières. L'idée lancée resta sans écho et disparut sans laisser de traces.

 

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Le règne de Pierre Mauclerc inaugure une période autrement féconde, période marquée par deux mouvements en sens contraires : efforts des ducs pour imposer leur autorité aux évêques et réduire l'immixtion de ceux-ci dans les affaires temporelles, puis, par réaction contre ce progrès de l'autorité ducale, essai d'émancipation de l'épiscopat breton qui, pour échapper au joug des ducs, se rattachera à Rome.

Il n'est, pour ainsi dire, aucun lien entre la politique de Pierre Mauclerc et celle des ducs précédents. Tout au plus, comme Nominoë, manifeste-t-il, et encore en une seule occasion, le désir d'écarter des sièges épiscopaux bretons les personnes à ses yeux indésirables. En revanche, la politique de Mauclerc laissa un lourd héritage à ses enfants. Le règne du fils — qui dura cinquante ans — fut occupé à poursuivre le règlement des conflits soulevés par le père. Le plus grave de ces conflits ne fut résolu qu'au début du XIVème siècle, près de cent ans après l'avènement de son promoteur. Ces querelles éclatèrent à propos de quatre questions différentes. Trois d'entre elles surgirent à Nantes, savoir : 1° la question de la seigneurie commune ; 2° la question des fortifications ou, comme on disait alors, des murs et fossés ; 3° la question de la régale. Le conflit des fortifications ne fut pas particulier à Nantes, il sévit de même à Rennes, à Saint-Malo et peut-être à Saint-Brieuc, et à Tréguier. Un quatrième conflit fut d'ordre général et mit le duc aux prises avec tout l'épiscopat du pays, lorsque les barons ligués avec le duc, à Redon, eurent proclamé l'abolition du tierçage, le refus de restituer les dîmes inféodées et la libre fréquentation des excommuniés. Sans entrer dans le détail de ces luttes, nous allons chercher seulement à en dégager les causes et les conséquences.

C'est de Nantes que partit cette série de litiges. Il n'en pouvait être autrement. On ne se trouve pas ici en présence du commun conflit de juridiction entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux. De cet ordre de conflits M. Paul Fournier a mis en lumière les causes profondes, qui sont la supériorité de la procédure romaine alors adoptée par l'Eglise et l'afflux spontané des justiciables vers les officialités ecclésiastiques. Les tribunaux laïques, en Bretagne, comme ailleurs, virent d'un œil jaloux l'exode de leur clientèle. De là une irritation entre les deux pouvoirs, de là des incidents plus ou moins vifs. Mais là ne fut pas le terrain principal de la lutte ni surtout celui où intervint le Saint-Siège.

Entre le duc et les évêques, il y eut conflit de pouvoir plutôt que conflit de juridiction. Depuis plusieurs générations de ducs, le pouvoir souvent partagé ou contesté s'était fort affaibli. Il était singulièrement débile à Nantes où les anciens ducs résidaient rarement. Car Nantes possédait alors des comtes particuliers. Comme tant d'autres ces seigneurs avaient accaparé, ils s'étaient approprié l'évêché dont ils avaient pourvu des membres de leur famille ou de leur entourage. Abaissement humiliant pour l'évêché, mais non, remarquons-le, pour l'évêque. Celui-ci, qui tenait sa puissance moins de sa dignité épiscopale que de sa qualité de parent ou d'allié du comte, restait cependant un personnage considérable. Que se passa-t-il ? Lorsque la maison comtale vint à s'éteindre, c'est l'évêque de Nantes qui hérita de son prestige et peut-être, dans une certaine mesure, de son pouvoir. Les ducs de Bretagne, maîtres théoriques de tout le duché, fermèrent d'abord les yeux, et par force, sur cette indépendance. Puis un jour vint où Nantes apparut comme la charnière de la défense militaire du duché. C'est quand la France de Philippe-Auguste, ayant reconquis la Normandie, le Maine et l'Anjou, ayant réduit les Anglais à la Guyenne, dut opposer à ces ennemis séculaires une barrière sur la Loire. Lorsque Philippe-Auguste donna à son neveu Pierre Mauclerc l'héritière de la Bretagne, il entendait bien que le duché entrerait dans ce système de défense, défense dont la clef était évidemment Nantes.

Pierre Mauclerc voulut donc être maître chez lui à Nantes. De là le refus de se plier au partage qu'imposait la « seigneurie commune » entre évêques et ducs. Il voulut fortifier sa capitale à sa guise, de là un nouvel ordre de conflits. Il désira que l'évêque lui fût persona grata ; de là l'élection de l'archidiacre Josselin et la contestation qui s'ensuivit. Quant à la régale qu'il entendait percevoir comme on la percevait en France, c'était une revendication qui s'imposait, à un prince élève et admirateur de Philippe-Auguste, convaincu qu'on ne pouvait pas régner autrement que ne faisait son glorieux patron.

Comment naquirent tous ces conflits ? Quelle en fut l'occasion immédiate ? La seigneurie commune était une institution fondée sur la coutume. Or, l'on sait tout ce que cette source juridique à d'hésitant et d'intermittent, surtout en matière de droit public. Un doute du même genre provoquera la guerre des Deux Jeanne. La thèse de la seigneurie commune telle que la soutenait l'évêque s'appuyait sur des traditions écrites qui lui donnent à nos yeux un sérieux caractère de probabilité. La question semble s'être présentée ainsi : certains impôts existants avant Pierre Mauclerc étaient perçus indivisément par le duc et l'évêque. Selon la conclusion de l'évêque, il aurait dû en aller de même de tout impôt nouveau. Le duc au contraire, sans exprimer de théorie, agit suivant cette opinion que la communauté ne s'appliquait pas aux impôts nouveaux. C'est pourquoi il chargea ses sujets de trois monopoles et d'une maltôte, inconnus jusque-là, sans consulter l'évêque et au seul profit de la caisse laïque.

Cette première attaque lésait l'évêché dans son domaine irréel. La seconde l'atteignit dans sa propriété territoriale. Le duc envahit matériellement le territoire ecclésiastique pour y construire des ouvrages de défense. Déjà Geoffroi Plantagenet, déjà Guy de Thouars, déjà Pierre lui-même avaient résolu semblable difficulté par l'octroi d'une indemnité pécuniaire. Ce facile mode d'arrangement s'imposait. Pourquoi l'intransigeance au contraire l'emporta-t-elle cette fois ? Assurément parce que l'ambiance entraînait les parties opposées. Duc et évêque étaient alors belligérants, ainsi qu'on va le voir.

Le troisième sujet de litige mettait alors en cause l'ensemble du patrimoine épiscopal. La question est assez complexe. C'est celle de la régale. Mais le duc ne la revendiqua pas directement. Cette réclamation ne fut soulevée qu'à la suite d'un autre débat. Le siège épiscopal de Nantes étant venu vaquer, le chapitre élut évêque un archidiacre que la minorité des chanoines récusa sous prétexte qu'il était trop favorable au duc. Le Saint-Siège n'ayant pas donné raison au préféré de Pierre Mauclerc, celui-ci garda en sa main le temporel, d'où une triple question :

1° Le duc peut-il obtenir et exiger que l'évêque élu lui soit persona grata ? Désir bien naturel et auquel le Saint-Siège se montrera dans la suite constamment déférent, mais qui, au XIIIème siècle, ne semble pas, que je sache, s'être ouvertement manifesté d'une façon habituelle.

2° Le duc a-t-il droit à la régale ? Ici l'opposition est absolue entre les deux thèses en présence. Pour l'évêque, la garde ducale des biens de l'évêché, comme celle du tuteur sur la fortune de l'orphelin, est purement conservatoire. Pour le duc au contraire, la régale comme la garde féodale — et n'oublions pas que Pierre Mauclerc n'était que baillistre ou garde féodal du duché — confère à celui qui en est investi le droit de libre jouissance à charge bien entendu d'entretenir et de conserver le fonds, mais non les fruits qu'il a la faculté de consommer. Jusque là entre ces deux partis opposés une solution intermédiaire avait été adoptée. On la comprendra mieux si l'on conçoit clairement la position pratique du problème. Les revenus d'un évêché, quand on considère l'époque de l'année où ils se perçoivent, présentent diverses variétés : les uns sont un produit, en quelque sorte continu, tels sont ceux de la justice, des greffes, les amendes, les droits de mutation, etc. ; d'autres se perçoivent une fois l'an, à une date indépendante de la volonté du maître, ce sont les fruits naturels, les grains par exemple qui se récoltent quand ils sont mûrs ; d'autres se perçoivent annuellement mais à une date fixée par le seigneur, c'est l'impôt féodal, la taille ; d'autres enfin se perçoivent à intervalles longs de plus d'un an, tels le bois des forêts et le poisson des étangs. Parmi tous ces revenus, desquels jouira le duc si la vacance du siège épiscopal dure moins d'un an ? Pour les recettes continuelles, nulle difficulté ; pour les fruits naturels, il récoltera ceux qui sont mûrs. Mais il n'aura droit ni à la taille ni, semble-t-il, aux revenus non annuels, solution qui s'écartait des thèses extrêmes mais qui était assez sage et semble avoir jusque là été adoptée dans la pratique. Notez qu'il n'est fait mention ici que du partage des revenus domaniaux. Ceux qui étaient attachés aux fonctions ecclésiastiques restaient en dehors de la régale ; telle était au premier chef la dîme.

3° Enfin la régale posa une question accessoire et distincte, celle de l'occupation des biens épiscopaux hors le cas de vacance du siège, ce que l'on a appelé la saisie du temporel. Elle fut prohibée par le Saint-Siège sous peine d'excommunication ipso facto.

Le dernier litige soulevé au temps de Pierre Mauclerc atteignait l'Eglise non plus dans son domaine temporel et féodal, non plus dans ses droits fiscaux ou territoriaux, ni dans les uns et les autres à la fois, mais dans son domaine spirituel et jusque dans sa discipline elle-même. Quand il proclamait l'abolition du tierçage et le refus de restituer les dîmes inféodées, Pierre Mauclerc ne se prévalait pas d'arguments juridiques semblables. En critiquant le tierçage comme simoniaque, il invoquait une thèse très pure et très soutenable, mais qui se heurtait à la tolérance de l'usage contraire résultant de la prescription. Au contraire, en conservant les dîmes, le duc et les seigneurs s'appuyaient sur une tolérance née de la longue possession pour dénier toute efficacité à des réclamations théoriquement irréfutables. En vilipendant les excommunications sous prétexte qu'elles étaient abusives, le duc s'en prenait à la discipline hiérarchique de l'Eglise et se mettait en révolte ouverte contre elle.

Quel accueil le Saint-Siège fit-il à ces questions litigieuses ? Instruit soit par ses commissaires envoyés sur les lieux, soit par les procureurs des parties en cour de Rome, il donna pleinement et immédiatement raison à l'évêque de Nantes et à ses confrères. Un seul mobile le fit quelquefois changer d'attitude et surseoir à ses rigueurs : la considération de la croisade et les égards dus à un prince croisé et chef de croisés.

En face des arrêts sévères que dicta cette manière de voir, comment se contint le duc ? Il tenta, divers procédés de résistance. Le plus loyal était de dépêcher un représentant à la curie chargé de faire l'apologie de son commettant. Ce mandataire fut-il parfois muni de pouvoirs intentionnellement insuffisants, afin de laisser ouverte une échappatoire ? ce n'est pas impossible. Les moyens les plus subtils étaient ceux que le duc empruntait à la procédure canonique, tels que l'appel au tribunal du pape ou bien la demande de la désignation d'un lieu sûr où le duc, ses adversaires et les commissaires apostoliques pussent conférer sans crainte, alors qu'il était illusoire de chercher un endroit répondant à cette condition. Une autre arme était le recours au roi . Pierre Mauclerc ouvrit son duché au sénéchal de Poitou et Touraine pour y enquérir sur le ban du sel. Cette arme-là était à double tranchant. Elle se retourna contre le duc lorsque Grégoire IX invoqua contre lui le bras séculier royal. Enfin on peut compter pour une rébellion de front la ligue que Pierre Mauclerc fonda à Redon avec les seigneurs de son duché pour résister à l'autorité ecclésiastique. Le Pape lui-même en certains cas émoussa le fil de son glaive apostolique, et voici comment. Nommer des commissaires pontificaux pour enquérir sur une plainte et pour, après vérification des faits, rétablir la partie lésée dans son droit, c'était une attitude, un geste qui semble d'une droiture et d'une prudence inattaquables. En fait il n'en était pas toujours exactement ainsi. Décernées sur l'audition d'une seule partie, les commissions apostoliques ne contenaient qu'un exposé partial de la cause mis, je l'entends bien, dans la bouche du plaignant, mais enfin exposé sans contre-partie. Surtout le choix des commissaires n'était pas dicté par une aveugle équité. Sans être en mesure de le prouver, j'ai la conviction qu'ils étaient nommés sur l'indication de l'impétrant ou après consultation dudit impétrant, inconvénient sérieux dans les commissions d'enquérir, plus grave encore dans les commissions de juger. Une conséquence naturelle de cette méthode, c'est que, si, après la délivrance de bulles de commission au profit, d'un demandeur, survenait en curie la plainte de son adversaire, on lui octroyait à lui aussi des lettres apostoliques désignant d'autres commissaires, partiaux eux aussi, mais en sens contraire des premiers. Le Saint-Siège comprenait si bien les critiques soulevées par cette procédure qu'il accorda à plusieurs ducs, à Pierre Mauclerc et à Jean II entre autres, le privilège de ne pouvoir être cités ou excommuniés par les juges apostoliques.

Malgré ses chicanes et ses ruades, Pierre Mauclerc fut très sensible aux censures de Rome et se soumit assez promptement sinon très sincèrement aux volontés du Saint Père. On doit noter cependant que plusieurs preuves attestent en Bretagne l'existence, sinon d'un parti, du moins d'un certain nombre d'ecclésiastiques qui ne tinrent pas compte des excommunications pontificales ou qui prirent fait et cause pour le duc. L'abbaye .de Saint-Melaine de Rennes n'observa pas un interdit ; celle de Sant-Sauveur de Redon, qui fermait sa porte aux visiteurs apostoliques, l'ouvrit au duc et aux seigneurs réunis pour lutter contre les évêques. L'abbé de Boquien (Boquen), l'abbé de Quimperlé, chargés avec l'évêque de Rennes de relaxer Pierre Mauclerc, sous caution, de l'excommunication encourue de la part de l'évêque de Nantes, étaient vraisemblablement favorables à ce duc. L'évêque de Quimper lui était complètement acquis. A Nantes, il avait pour lui la majorité du chapitre qui fit élection d'un évêque au goût du duc, et quand le pape substitua à l'élu un prélat romain, les recteurs, ou curés, du diocèse de Nantes refusèrent de recevoir cet étranger. Le procureur du duc à Rome, maître Pierre Mauban, était très probablement un clerc. Le pape, en cassant la ligue de Redon, menaça de privation de leurs bénéfices tous les clercs qui soutiendraient le duc. Sous Jean le Roux, une bulle nous apprend que presque tous les religieux du duché, aussi bien templiers et hospitaliers que moines bénédictins de Redon, de Dol et des prieurés dépendant de Tournus et de Marmoutiers, ne tenaient aucun compte de l'excommunication ni de l'interdit. En 1243, le chapitre de Nantes était excommunié pour s'être opposé à l'exécution d'un mandat apostolique. De même, un siècle plus tard, en 1334, l'évêque de Saint-Malo reçut fort mal l'exécuteur de lettres apostoliques conférant l'expectative de l'archidiaconat ; il le fit assaillir d'injures et de coups par le peuple et l'excommunia.

 

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Des diverses questions agitées par Pierre Mauclerc touchant le régime politico-religieux de la Bretagne, une seule fut résolue au temps de son gouvernement. La nomination au siège de Nantes d'un candidat du pape lui avait déplu. Il vit, à son gré, transférer cet indésirable sur un siège très lointain. Par ailleurs, les débats soulevés soit à Nantes, soit dans toute l'Eglise bretonne, restaient ouverts lorsque Pierre Mauclerc céda le pouvoir à son fils. Le long règne de Jean le Roux se passa à chercher péniblement une solution qui conciliât les jugements catégoriques du Souverain Pontife avec les désirs obstinés du pouvoir ducal.

La grande querelle issue de la ligue de Redon, pour parler d'abord du conflit le plus général, connut dans son développement deux sursauts brusques. Sous Pierre Mauclerc, une bulle du 30 mai 1230 avait condamné toutes les résolutions de cette ligue, et le duc s'y était soumis. Jean le Roux, dès son avènement, prétendit que cet acte n'avait pas un effet perpétuel et que, adressé au père, il ne concernait pas le fils. Puis le terrain ainsi déblayé, il régla unilatéralement l'objet du litige en rétablissant le tierçage, en admettant le past nuptial — impôt ecclésiastique sur les mariages comme le tierçage l'était sur les successions — sauf à les taxer suivant un tarif fixe et très modique. Ce mode de solution fut énergiquement repoussé par le pape, qui protesta également contre le refus significatif qui avait été fait par Jean Le Roux, dans la cérémonie de son couronnement, de prêter le serment (accoutumé, disaient les ecclésiastiques) de défendre les libertés de l'Eglise. La perpétuité de la bulle du 30 mai 1230 ayant été proclamée à deux reprises par les papes, le duc s'inclina (1256). Mais ce furent alors ses sujets nobles qui protestèrent devant la perspective de leurs dames sacrifiées. Ces protestations restèrent momentanément sans résultat.

A son tour Boniface VIII qui ne reculait pas devant les initiatives imprévues, pour ne pas dire improvisées, crut imposer une solution au séculaire conflit. Chose étonnante, il donna raison aux vieux barons ligueurs de Redon. Il abrogea, pour un instant, le tierçage et le past nuptial et délia le duc Jean II du serment prêté par son père. Celle fois, le clergé breton protesta. Finalement Clément V réussit à rétablir la paix. En présence d'une large représentation des divers intérêts en cause, il régla définitivement le conflit : le tierçage et le past nuptial furent maintenus, mais tarifés à des chiffres plus élevés que ceux que Jean le Roux avait voulu imposer, et proportionnels à la fortune des contribuables. Les dîmes féodales furent tolérées. Cet arrangement est de 1300 et la ligue de Redon remontait à 1227. Quelle différence y avait-il entre l'état de choses antérieur à la ligue et celui où l'un aboutissait ? A peu prés aucune, sinon que les taxes levées par l'Eglise étaient légèrement mesurées. C'était à cet égard l'échec complet, en apparence, de Mauclerc, de sa ligue et de son oeuvre. Certes. Mais n'oublions pas que les articles de cette fameuse ligue étaient, dans la pensée du duc, un moyen de marchandage. Voyant l'épiscopal, lui contester des droits qu'il jugeait indispensables, il le menaça, à titre de représailles, de le dépouiller de certains de ses revenus casuels. Or au bout d'un siècle la situation avait bien changé. Les ducs avaient obtenu satisfaction sur presque tous les chefs du litige pendant entre eux et les évêques, ils pouvaient désormais céder sur les revendications de Redon.

Les papes qui s'étaient opposés à la solution unilatérale par Jean le Roux du conflit issu de Redon, avaient donc eu la satisfaction de le voir se terminer par une bulle et à Rome. Il en alla autrement des autres points en discussion. Comme on se le rappelle, ils concernaient l'évêché de Nantes. Là le conflit se poursuivit en s'aggravant. Au dire de l'évêque, le duc enfreignit la seigneurie commune en établissant un entrepôt où devaient séjourner les marchandises venant par mer et, où elles étaient frappées d'une taxe, puis en établissant une autre taxe sur les vins exportés en Angleterre, en concédant le monopole de la vente en gros des poissons et d'autres vivres, enfin en saisissant la caisse commune. Quant aux fortifications, non seulement Jean Ier ne démolit pas les ouvrages entrepris par son père, mais il construisit sur le terrain de l'évêque le château de la Tour Neuve qui fut la résidence des ducs bretons jusqu'au temps de la Reine Anne. Le service d'ost, en outre, souleva divers conflits, notamment quand le duc attaqua et prit d'assaut le château du sire de Clisson dont l'évêque se disait suzerain.

La procédure qui s'ensuivit fut longue et pénible. Jean le Roux n'échappa pas à l'excommunication. Il y demeura longtemps. Atteint par une première sentence émanée de l'archevêque de Bourges, comme juge apostolique (1242), il n'en fut absous, à titre provisoire, qu'en 1247. Excommunié à nouveau en décembre 1249, il ne reçut l'absolution qu'en avril 1256.

Cette seconde excommunication fut occasionnée par l'emploi d'un moyen de défense nouveau et bien caractéristique de Jean le Roux : un jugement de la curie en date du 2 juin 1248 terminait ou plutôt essayait de terminer le procès nantais. Nous reviendrons sur ses dispositions. Quelles qu'elles aient été, elles déplurent au duc. Il récusa d'abord son procureur en présence de qui cette sentence avait été rendue. Puis, afin que la bulle qui la contenait ne pût lui être signifiée et que, ne lui étant pas signifiée, elle ne fût pas exécutoire, il se déroba obstinément aux envoyés du Saint-Siège. Cette protestation négative lui convenait. Il y eut recours en plusieurs circonstances. Mais l'efficacité en fut de courte durée, car le pape décida que la signification pourrait être faite valablement par affiche de la bulle aux portes de la cathédrale.

Toutefois le résultat final ne fut pas celui que la papauté escomptait. La bulle de 1248 que nous venons de citer se flattait de réaliser un sage équilibre. Elle est le dernier mot du Saint-Siège en cette matière. En voici les clauses : Sur le chapitre de la régale et de la seigneurie commune, elle donne absolument raison à l'évêque, c'est-à-dire que, suivant ses termes, le duc, sede vacante, ne pourrait désormais percevoir les fruits du temporel ecclésiastique que ad conservandos et non ad appropriandos, et que les recettes, les dépenses et la caisse de la seigneurie nantaise devaient être gérées en communauté, comme un bien indivis. Par ailleurs, le duc recevait une relative satisfaction. La revendication du terrain sur lequel s'élevait la Tour Neuve était réservée au jugement du pape lui-même, c'est-à-dire qu'elle serait résolue par la voie diplomatique ; les indemnités pour les constructions militaires, qu'on renonçait à démolir, seraient réglées à dire d'expert, enfin les dommages-intérêts réclamés par l'évêque étaient laissés à la discrétion du duc.

Ces solutions furent-elles réellement appliquées ? Non. On avait prévu une expertise au sujet des réparations. Ce n'est pas exactement ce qui eut lieu. Les arbitres se prononcèrent non seulement sur ce point accessoire, mais encore sur le principal, sur la seigneurie commune. Par eux la seigneurie commune fut limitée, en somme, à l'ancien impôt appelé esniage (taxe sur le sel) dont la recette fut affectée à des travaux publics et d'intérêt général. Une rente fut promise pour indemniser l'évêque de la construction de la Tour Neuve, les rentes autrefois consenties pour des causes semblables furent confirmées. Hors de là et pour l'avenir le duc eut les mains parfaitement libres pour établir de nouveaux impôts et maintenir ses forteresses.

En ce qui concerne la régale, l'élaboration de la paix fut plus difficile. En 1268, deux arbitres, le cardinal d'Albano et Henri de Vézelay, attribuèrent la garde du temporel épiscopal, en cas de vacance, non plus au duc, mais au chapitre, sauf à ce dernier la faculté, s'il lui plaisait, de recourir à la protection ducale. On s'étonne qu'une décision compromissoire ait été aussi favorable à l'Eglise. Cela s'explique ainsi : en échange de ce qui lui était abandonné, le chapitre renonçait à faire appel à la juridiction royale. Expédient de circonstance sur le prix duquel nous reviendrons. En fait, sans qu'aucun jugement en forme ait été prononcé en sa faveur ni par le pape ni par le roi ni par des arbitres, le duc eut, depuis cette époque, et pour longtemps, la jouissance indiscutée de la régale. Une initiative de la papauté vint d'ailleurs faciliter singulièrement l'apaisement de cet aigre conflit. Le 22 février 1257, pour la première fois à ma connaissance, le pape, en nommant un évêque de Saint-Brieuc, écrivit au suzerain du régaire — le comte de Penthièvre — pour lui recommander l'élu et l'inviter à lui délivrer la régale. Le 26 octobre 1203, le pape fit de même en faveur de l'évêque de Saint-Malo et en s'adressant cette fois au duc, suzerain de cette cité. Dès lors, ce procédé passa dans l'habitude pour tous les évêchés bretons, y compris celui de Nantes. L'évêque n'eut plus l'occasion de se refuser à requérir du duc sa mise en possession de la régale puisque le pape, toutes les fois qu'il le nommait — et depuis la fin du XIIIème siècle c'était presque toujours — prenait la peine de se charger lui-même de cette formalité. L'évêque pouvait encore bien moins revendiquer la régale dont la demande pontificale confirmait indirectement la jouissance au duc.

La peur de l'intervention royale, nous l'avons signalé, avait expliqué la condescendance du duc à l'égard du chapitre de Nantes. Certes, les ducs n'étaient plus menacés d'une guerre ouverte conduite par la royauté comme celle qui avait amené saint Louis, sous les murs d'Ancenis, à prononcer la déchéance de Pierre Mauclerc. Mais plus redoutable était l'infiltration progressive des agents royaux, des célèbres légistes, armés du droit romain et désagrégeant peu à peu l'édifice féodal au profit du pouvoir central. Le conflit du sire de Clisson, auquel il a été fait allusion, se termina au parlement de Paris., non pas, il est vrai, par un arrêt, mais par un accord transactionnel et amiable. Le duc craignit que les chanoines de Nantes ne portassent leur cause au même tribunal. Une contestation s'étant élevée entre lui et l'abbaye de Redon au sujet de la juridiction, ce procès fut évoqué à Rome et la curie ordonna une enquête, mais c'est en dehors d'elle que le débat fut tranché par une composition aux termes de laquelle les moines renonçaient à toute action intentée soit en cour de Rome soit en cour du roi. Si l'on ajoute que le roi, en 1311 et 1312, fit nommer ses candidats aux sièges épiscopaux de Saint-Malo et de Saint-Brieuc, qu'il était en mesure de procurer à ses créatures bénéfices et canonicats en Bretagne, on comprend que le duc Jean le Roux ait été effrayé par cette immixtion nouvelle. Il avait raison. Le règne de Jean III, qui allait s'étendre jusqu'en 1341, devait voir se développer parallèlement, en Bretagne, l'action de la royauté et celle de la papauté, au détriment de la puissance ducale.

 

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Le moment est venu d'étudier la réaction de l'épiscopat breton contre les progrès du gouvernement ducal. Elle est étroitement liée au développement de l'influence de la papauté et de la royauté. Cette double influence se manifeste d'une façon patente sur l'épiscopat breton. Il suffit de voir comment il était recruté. Le choix des évêques bretons au XIIIème siècle fut, en général, laissé aux chapitres cathédraux. On ne connaît qu'une contestation sur ce sujet à laquelle la cour ducale se soit trouvée mêlée ; ce fut à Nantes, lors de l'élection comme évêque de l'archidiacre Josselin. L'élu, certainement bien vu de Pierre Mauclerc, fut évincé par un prélat nommé directement par Rome. Ce qui était alors l'exception devint bientôt la règle. Au début du XIVème siècle les papes, grâce aux réserves particulières, grâce à la réserve générale prononcée en 1336 par Benoît XII, s'attribuent la disposition de tous les sièges épiscopaux qui viennent à vaquer en Bretagne. Les élections se raréfient. On n'en relève plus que quatre cas durant le long règne de Jean III (1312-1341). Une seule d'entre elles paraît avoir été respectée par le pape. Les autres furent cassées par le pontife qui nomma de sa propre autorité ou une autre personne, ou — par une complaisance qui acclimatait la nouvelle loi et faisait accepter par le chapitre l'amertume de sa dépossession — l'élu même des vénérables chanoines. Hormis celui qu'on vient de citer, tous les personnages auxquels furent conférés des sièges épiscopaux en Bretagne, sous Jean III, devaient leur promotion à la volonté papale. Mais comment le Souverain Pontife les recrutait-il ? Dans quels milieux allait-il les choisir ? La réponse sera courte et claire : il les prenait dans sa cour ou dans celle du roi de France. Un peu plus de la moitié des prélats nommés étaient des clercs résidant à la curie. C'étaient des disciples brillants des universités, venus à la curie attendre la fortune, munis de quelque emploi administratif et guettant, de ce bon affût, les bénéfices et les dignités que les circonstances leur présenteraient. Tel de ces évêques envoyés par Rome en Bretagne était pénitencier apostolique, tels autres, frères ou neveux de cardinal, tel autre, commissaire souvent en route pour les affaires de la curie. Ceux qui ne sortaient pas de la cour pontificale étaient issus de celle du roi : un chancelier de France, un secrétaire ou un clerc royaux, un recommandé du roi, un chanoine de Paris, un recommandé de la reine, tels sont ceux que les diocésains bretons virent charger de leur direction spirituelle. Il faut compter en outre que le gouvernement royal a pu avoir son mot à dire même en faveur de ceux qui avaient fait carrière en curie. Le pape, à cet égard, s'exprime franchement. En plaçant sur le trône épiscopal de Saint-Malo un fonctionnaire français il mentionne, entre autres motifs de cette nomination, que le roi de France désire avoir en Bretagne des prélats sûrs, « providos fideles et constantes ». S'il se réserve, en général, la nomination des évêques bretons, c'est, il le dit expressément, pour plaire au roi, en raison de la situation maritime des cités du pays. Cette prédominance du roi s'affirme sur des terrains très divers : par exemple, si le duc obtient une dispense pour épouser une parente, c'est à la demande du roi et dans l'intérêt du royaume : si un prétendu mariage du prince héritier de Bretagne est annulé, c'est encore par complaisance pour le roi que le pape en décide.

L'action royale en Bretagne suscita, de la part des évêques bretons, un mouvement de réaction contre l'autorité ducale, un effort d'émancipation qui ne tendit à rien de moins qu'à affranchir les prélats de toute souveraineté des ducs. Souvent cette tendance ne se manifesta que par des propos excessifs et des théories ambitieuses dans les moments de contradiction violente entre l'autorité ducale et celle des évêques. Mais dans certains cas elle alla jusqu'à des conséquences pratiques bien caractérisées, dont la plus importante fut le don par les papes de la cité de Saint-Malo au roi de France. C'est donc à l'occasion des évêchés que se manifesta dans un ordre de conflits curieux et complexes la rivalité entre les différents pouvoirs qui régissaient la société bretonne : évêques, ducs, rois et papes. Le rôle du pape, très peu apparent, à cet égard., au début du siècle, prendra, à la fin, un caractère si décisif qu'il est bon de le signaler dès à présent.

Sans qu'on puisse l'établir rigoureusement, il semble bien que les évêques bretons, au XIIIème siècle et depuis une époque reculée, gouvernaient leurs domaines temporels en maîtres souverains. Ils ne prêtaient à personne ni hommage, ni serment de fidélité ; leurs tribunaux tranchaient les litiges en dernier ressort, sauf aux parties la faculté d'appeler au métropolitain et à Rome, non seulement du tribunal spirituel qu'était l'officialité, mais encore, par une assimilation où il y avait de la confusion, du tribunal temporel, du tribunal du fief ou « régaire » épiscopal. Cette indépendance de facto se trouva aux prises, à la fin du XIIIème siècle, d'une part avec le pouvoir ducal, que Pierre Mauclerc et ses descendants avaient mis sur la voie d'une progression sensible, et d'autre part avec le pouvoir royal dont nous venons de signaler aussi la marche conquérante.

C'est de ce côté que les documents nous montrent d'abord le conflit. Dans les dernières années du XIIIème siècle, plusieurs évêques bretons — ceux de Saint-Brieuc, de Quimper et de Léon nommément — se plaignent que, malgré la coutume, ils sont cités à comparaître devant le parlement du roi et que, comme ils n'obtempèrent pas, leurs biens sont saisis. Cette doléance, mise au compte des évêques de la province de Tours qui « jamais n'ont reconnu de supérieur », passa presque textuellement dans les déclarations du concile de Vienne (1311-1312). Les évêques de cette même province de Tours (qui, ne l'oublions pas, comptait neuf suffragants bretons sur onze) déclarèrent à Philippe le Bel qu'ils étaient disposés à lui apporter leur appui à condition qu'il ne soumit pas leur église de novo au pouvoir royal.

Quelques détails historiques corroborent ces plaintes et trahissent l'immixtion du parlement de Paris dans les affaires ecclésiastiques bretonnes. Le duc et le chapitre de Léon se querellant sur la dîme de certaines paroisses, le parlement de Paris ouvrit une enquête sur leurs prétentions respectives. La mense épiscopale de Léon fut plusieurs fois saisie — une bulle nous l'apprend — par le duc et par le roi. Une autre bulle s'étonne que l'évêque de Nantes, qui ne reconnaît aucun supérieur de son temporel, ait cependant été cité devant le parlement royal.

On sait par quel procédé le parlement et les sénéchaux du roi aimaient à s'ingérer dans la juridiction épiscopale, c'est par les avoueries nouvelles. Ils provoquaient, de la part des vassaux des évêques, des déclarations par lesquelles ceux-ci avouaient, advocabant, le roi et devenaient ainsi, au sein des fiefs seigneuriaux, sujets et justiciables immédiats des seules cours royales, par une sorte de privilège d'exemption qui les arrachait à leurs juges ordinaires et naturels. Le plus souvent, ce bénéfice était sollicité par un individu en litige avec son seigneur (que ce seigneur fût laïque ou ecclésiastique), lequel se trouvait ainsi subitement paralysé et au lieu d'être juge de son sujet se voyait traîné côte à côte avec lui devant le sénéchal ou les officiers du parlement français. C'est contre cet abus humiliant que protestaient les évêques bretons. Ils n'étaient pas les seuls. Un sentiment semblable s'exprime, dès 1274, dans les actes du concile général de Lyon, et dans le concile provincial de Tours réuni à Saumur en 1315. Le concile général de Vienne ne s'exprima pas moins énergiquement contre ces détournements de vassaux. Il arriva parfois au roi lui-même de se rétracter, par exemple en 1304, au profit de l'évêque de Saint-Malo.

Contre l'intrusion du pouvoir royal dans leur domaine, l'opposition des évêques bretons n'est cependant point unanime. Si les uns cherchent à y mettre un frein, d'autres au contraire l'appellent et l'encouragent, en sollicitant la sauvegarde royale. Le souverain se disait investi du droit de garde ou sauvegarde générale sur les églises du royaume. Comme cette sauvegarde générale est contestée en Bretagne — le duc, qui perçoit la régale, est seul sérieusement fondé à s'en prévaloir — le roi l'y remplace par des lettres de sauvegarde particulière accordées à telle ou telle église. Dans quelle mesure ces lettres sont-elles spontanément sollicitées ou astucieusement offertes, c'est ce que nous révèle un document où l'on voit le roi exploiter à son profit le mécontentement des évêques bretons contre l'accroissement de l'autorité ducale. amender et transformer habilement leurs prétentions à l'indépendance en les confirmant vis-à-vis des ducs, tout en les inclinant devant l'autorité plus flatteuse et plus lointaine des rois de France.

Ce texte suggestif est une enquête instruite en Bretagne par un agent du roi dont le procès-verbal est daté de février 1313. Aux interrogations de l'homme de loi les réponses des ecclésiastiques ne furent pas toutes exactement identiques. Il les rangea en deux catégories. Certains, et notamment l'évêque de Saint-Brieuc, plusieurs abbés de monastères et les hospitaliers, répondirent, en exhibant leurs chartes de fondation, que, conformément à leur teneur, ils étaient exempts de toute sujétion domaniale et juridictionnelle. C'était là le vieux droit des fiefs de franche-aumône, complètement périmé en France. Mais un peu d'archaïsme ne messied pas à la Bretagne. Au vrai, le duc lui non plus n'admettait pas la pleine indépendance de la flanche-aumône, il entendait la réduire à l'état de soumission et d'obéissance, comme le montrent les autres dépositions de notre enquête. L'évêque de Tréguier, le chapitre de Dol, celui de Saint-Brieuc — divergeant en cela de son évêque, — le prieur du chapitre de Saint-Malo, plusieurs abbés et prieurs monastiques déclarèrent que, tandis qu'ils étaient absolument libres à l'égard du duc et qu'ils ne s'étaient jamais pliés à la fidélité et à l'hommage qu'il exigeait d'eux maintenant, ils se soumettaient, en revanche, à la garde du roi, à sa souveraineté, à son ressort, et, au besoin, l'en « avouaient ». Le haut clergé, comme on voit, était divisé sur cette question fondamentale. On vit les chanoines de Saint-Malo se plaindre au Saint-Siège de ce que leur évêque avait innové en soumettant sa mense au pouvoir laïque, allusion aux lettres de sauvegarde dont le roi venait de doter l'évêché. Les pères du concile de Vienne, entre autres doléances, se plaignent des aveux que les rois et d'autres seigneurs leur extorquaient. Mais tout en différant d'opinion sur le maître dont il relevait en dernière analyse, roi ou pape, ou nul autre que lui-même, l'épiscopat breton s'entendait sur la partie négative de son programme qui l'exemptait pratiquement de l'autorité ducale. Ainsi l'évêque de Vannes proclama en face du comte de Porhoët qu'il possédait la juridiction intégrale sur sa cité. D'une enquête ouverte en 1313 par l'autorité apostolique il résulte qu'on appelle des sénéchaux de l'évêque à ses grands jours où les causes s'éteignent, sauf le recours au siège. métropolitain et à la curie. L'évêque de Léon affirme, quant à lui, qu'il n'a jamais reconnu aucun duc pour supérieur ni suzerain. La cause immédiate de cet état d'esprit, le document cité nous l'indique, est dans l'exigence nouvelle des ducs qui prétendaient recevoir des évêques bretons le serment de fidélité. Il se produisit donc là une sorte de compétition entre le pouvoir royal et le pouvoir ducal, à qui serait le garde, le protecteur et le surveillant du clergé. Quand la royauté traversa des phases de dépression, elle recula, en apparence, elle promit au duc d'ouvrir une enquête tantôt sur l'ensemble des sauvegardes, tantôt sur telle ou telle sauvegarde particulière spécialement incriminée. Par exemple, elle défendit d'user en Bretagne des sauvegardes concédées en France, se prononçant par là contre les prieurés que Marmoutiers, les filiales que Cîteaux possédait en Bretagne et qui invoquaient les privilèges octroyés à ces deux puissantes mères. Elle confirma au duc le droit de garde, en général, mais ne se lassa jamais, d'autre part, et jusqu'au début de la guerre de Cent ans, de distribuer à certains ecclésiastiques bretons des lettres de sauvegarde.

Dans ce profond conflit on ne relève que deux fois l'intervention du pape, et cette intervention est discrète. Nous avons dit combien il était favorablement prévenu à l'égard du roi de France — quelques années de Philippe le Bel font exception. Les prétentions des évêques bretons à l'indépendance parurent néanmoins si exorbitantes que — même encouragées par la cour de France — la cour de Rome ne put les admettre. Une bulle de Clément V relate, sans y contredire, l'affirmation catégorique du duc qu'il possède la directe sur le domaine épiscopal de Léon et qu'il a sur tous les biens de cette église un droit de souveraineté, elle accorde au duc la nomination d'enquêteurs apostoliques qu'il sollicitait. Cela date de 1319. L'année précédente, dans une bulle adressée à Jean III contre ses barons ligués, le même pontife s'exprimait ainsi : au duc appartient la seigneurie temporelle de tout le duché de Bretagne et exclusivement l'universalité de la justice séculière. Ce qui était dit à l'adresse des barons atteignait également les évêques.

Pour le moment, les papes s'en tinrent là. C'est au milieu du XIVème siècle et au XVème siècle que les évêques bretons, se disant indépendants des ducs, revendiquèrent non plus la tutelle du roi mais celle du pape. On reparlera plus bas de ce nouvel aspect de la question et de ses suites.

Il est permis de négliger ici l'étude de la croisade en Bretagne. Elle ne nous apprendrait rien quant au statut politico-religieux du duché. Cette histoire, sous les règnes d'Arthur II et de Jean III, est ingrate. Autant Jean II était enthousiaste pour la grande idée de la délivrance des lieux saints, autant ses successeurs se montrèrent froids ou incapables de s'y dévouer, empêchés de réaliser cet illustre pèlerinage, l'un par sa santé débile, l'autre par sa négligence, ce dernier plus âpre à revendiquer le legs attribué par son ancêtre à la croisade qu'à en remplir les conditions. La seule conclusion notable qui ressortirait de cet examen serait que le duc de Bretagne, au début du XIVème siècle, faisait petite figure en comparaison du roi. Si Benoît XII innove en notifiant au duc son élection, c'est simple démarche de politesse. Si le pape, en 1288, reconnaît au prince breton ce titre de duc, qui dès lors passa dans l'usage courant, c'est par bienveillance pour Jean II le croisé. Mais dans les questions sérieuses, c'est de l'opinion et des désirs du gouvernement royal que l'on fait à Rome le plus de cas. Ce sera cette prédominance de la volonté du roi dans les questions touchant l'ordre politico-religieux en Bretagne qui va déterminer l'attitude des papes dans le douloureux et sanglant conflit ouvert pour un quart de siècle par la succession de Jean III.

 

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Pendant ces vingt-cinq cruelles années, l'action des papes en Bretagne perd de vue les questions politico-religieuses. Seuls les temps de paix relative se prêtent à l'élaboration de dispositions législatives mûries et solides. En temps de guerre, tout est ébranlé. Maintenant donc la chancellerie romaine va s'intéresser aux négociations politiques et diplomatiques. Celles-ci ont pour but de rétablir une paix toujours fuyante et dont seul le retour permettra d'asseoir nouveau les bases d'un règlement de bon voisinage entre le pouvoir civil et le religieux. Mais au moment où nous sommes parvenus, comment aurait-on pu rien conclure avec un duc qui n'était pas duc pour tous les Bretons ? Pour entrer eu relation avec un duc, il fallait savoir qui était duC et là-dessus la Bretagne se divisait, comme aux temps très anciens. Le pape fut donc amené à prendre parti entre les deux compétiteurs. On devine, d'après les circonstances que nous avons relatées, suivant quel critère il se régla.

Le Saint-Siège n'essaya pas de connaître du conflit. Sans doute rappela-t-il incidemment qu'il était qualifié pour le juger ex officio, mais cette idée ne fut pas plus prise au sérieux par la chancellerie royale pour laquelle elle était émise que par la chancellerie pontificale d'où elle émanait. Le temps des Innocent IV et des Boniface VIII était loin. Il ne s'agissait plus de faire la loi aux rois. L'ardeur pour la croisade qui avait manifesté et développé une sorte de suprématie des papes sur les puissances temporelles de la chrétienté était éteinte, au moins chez les chefs d'Etat. Seul le rôle plus modeste de négociateur, d'intermédiaire entre les belligérants s'offrait au Saint-Siège, rôle ingrat qui lui ménageait de multiples déboires et peu de reconnaissance, rôle capital cependant puisqu'il est redevenu le mode d'intervention du Saint-Siège dans les conflits armés et parce qu'il fut, loin d'être inefficace, de nombreuses trêves ayant été le fruit de l'activité des papes et de leurs représentants. La guerre de Cent ans en fut véritablement écourtée de nombreuses années, à l'avantage du pays envahi. Cette action se rattachait-elle aux méthodes du siècle précédent ? Non pas expressément. Certes, ce fut souvent avec le but avoué ou, l'arrière-pensée cachée de liguer les princes chrétiens contre les agresseurs musulmans que le pontife essaya d'abord de sceller entre eux la paix. Tel était son dessein au XIIIème siècle, tel il sera encore au XVème lorsque les Turcs envahiront l'Orient, tel il n'apparaît pas aussi distinctement au XIVème siècle.

La donnée fondamentale de la guerre des Deux Jeanne est connue. Le duc Jean III, c'était sa volonté, laissait le duché à la fille de son frère aîné, Jeanne de Penthièvre, mariée à Charles de Blois. C'était conforme à l'opinion française. Philippe VI était oncle de Charles de Blois auquel la cour des pairs, par l'arrêt de Conflans, adjugea la Bretagne. Ce ne fut pas l'opinion de Jean de Montfort. Ce prince était le seul frère survivant du feu duc Jean III, il était le plus proche parent mâle du défunt. Sans attendre l'arrêt des pairs de France, il s'empara par la force du trésor ducal et de tout ce qui céda à ses armes. Enfin, démarche plus coupable, il sollicita l'alliance de l'Angleterre. Or, la guerre de Cent ans avait déjà éclaté entre Français et Anglais. Une trêve en avait suspendu les hostilités sans naturellement faire mention de la Bretagne, alors paisible. Les deux rois de France et d'Angleterre se crurent autorisés, sans enfreindre cette trêve, à pénétrer dans le duché de Bretagne, l'un comme soutien de Charles de Blois, l'autre comme allié de Jean de Montfort. Ils allaient en venir aux mains lorsque les légats envoyés par Clément VI réussirent., au prix de difficiles négociations et à la faveur des complications politiques anglaises, à sceller entre eux une trêve de trois ans. Les deux souverains s'entendirent pour se désintéresser du conflit breton, mais, sans qu'on puisse sûrement incriminer la. bonne foi de l'un ni de l'autre, n'interprétèrent pas semblablement les clauses du traité. La question bretonne étant laissée dans le statu quo, cela aux yeux de Philippe VI, qu'elle était réglée et que l'arrêt de Conflans résolvait désormais sans conteste ce litige d'ordre intérieur. C'est en conformité avec ce principe que les partisans de Jean de Montfort qui continuèrent de le soutenir dans sa révolte contre cet arrêt furent appréhendés et exécutés sans jugement, par ordre de Philippe VI, comme pris en flagrant délit. Ainsi s'expliquent ces mises à mort retentissantes de Clisson et d'autres chevaliers qui semèrent tant de haine en Bretagne. Les Anglais, en effet, et avec eux Montfort, et ses partisans prétendaient, contrairement à l'opinion de la cour de France, que la trêve de Malestroit laissait le litige breton ouvert et que chaque compétiteur devait garder et défendre ses positions sans que les rois eussent à s'en mêler.

Ce malentendu rendait précaire l'ouvrage des légats. Après la conclusion de la trêve, le pape envoya un nonce en Bretagne pour en surveiller l'observation. Il choisit un ecclésiastique limousin (on sait que Jeanne de Penthièvre était vicomtesse de Limoges) et proche parent d'un chevalier au service de Charles de Blois, De bonne heure cet envoyé comprit son impuissance. Sur les plaintes d'Edouard III et de Charles de Blois, il fut rappelé. Le pape admonesta les cieux prétendants au trône ducal de respecter la trêve. Car, si favorable que fût à Charles de Blois l'interprétation de la trêve par la cour de France et par la cour de Rome, d'accord entre elles pour le reconnaître seul duc légitime, ce prince qui n'avait pas pris part aux négociations de cette trêve, déclara cependant, en pleine curie d'Avignon, qu'il n'y avait point été compris et que, s'il en avait été requis, il n'y eût point consenti. Sans doute était-il animé par son indomptable femme, incapable d'accepter aucun répit dans la lutte comme aucun partage de son droit et dont il était bien forcé de considérer la volonté puisqu'elle était duchesse propriétaire de la Bretagne, tandis que lui-même n'en était que duc par courtoisie ou, comme nous dirions, duc consort.

Quand la trêve de Malestroit avait été conclue, Edouard III assiégeait Vannes. Conformément à ses stipulations, la ville fut mise en la main des cardinaux légats qui y installèrent des gouverneurs et y firent flotter la bannière pontificale. Mais la veille même du traité ils avaient, signé l'engagement de remettre ultérieurement la ville en la possession du roi de France. Or, les Vannetais étaient gagnés à la cause de Jean de Montfort. Au bout d'un an ils se révoltèrent contre les agents pontificaux, les chassèrent et ouvrirent leurs portes aux troupes montfortistes entretenues par l'Angleterre. Le chapitre, les dignitaires, le clergé vannetais étaient eux aussi sympathiques à cette cause et trempèrent, dans le complot qui lui rendit Vannes.

Cette leçon fit craindre que pareille mésaventure ne survînt à Saint-Malo. Le doyen du chapitre de cette cité, Henri de Malestroit, d'abord dévoué serviteur du roi Philippe et officier de son parlement, avait été envoyé pour négocier la réconciliation des partisans de Montfort avec la cour de France. Il se laissa gagner par ceux qu'il avait mission de débaucher, et accepta la charge de chancelier de Jean de Montfort. Malheureusement pour lui, il fut pris par les Français qui s'emparèrent de Quimper. Le pape Clément VI le priva du décanat de Saint-Malo et le dégrada de la qualité de chapelain apostolique ; on le jeta dans les oubliettes de l'évêché de Paris, d'où il ne sortit jamais vivant. A Saint-Malo, le pape le remplaça par un cousin de Jeanne de Penthièvre, Olivier du Chastellier. A l'occasion de ce changement, une bulle mentionna la théorie de l'église malouine que « la cité et l'église de Saint-Malo reconnaissent au temporel le pape pour souverain » (1344). On retrouve là sous une forme nouvelle cette thèse déjà, signalée quarante ans plus tôt et qui affirmait que les évêques bretons étaient juges temporels souverains et définitifs en leurs grands jours sauf le recours au métropolitain et au Saint-Siège. On verra plus tard le parti politique qui fut tiré par la France de ces idées.

Clément VI apportait à Charles de Blois l'appui de sa diplomatie. Il ne s'en tint pas là. Il y joignit un important concours financier par le prêt de trente-deux mille florins consenti en février 1345 et qui ne fut jamais intégralement remboursé. Il faut aussi compter comme un appui moral au duc Charles la canonisation de saint Yves, originaire et ancien official de Tréguier, sujet des Penthièvre et dont Charles de Blois avait soutenu la cause de ses moyens pécuniaires.

Charles de Blois semblait alors près de triompher. Les montfortistes découragés se soumettaient en masse. De même qu'ils sollicitèrent du roi des lettres de rémission, ils impétrèrent du pape une bulle d'absolution tant de leurs serments prêtés à Montfort que des attentats commis par eux contre les personnes et les biens ecclésiastiques. Les partisans de Charles, se reconnaissant sur ce point aussi coupables, se joignirent dans cette démarche à leurs adversaires, et les clercs battirent leur coulpe non moins que les laïcs. La grâce demandée fut impartie le 10 avril 1345. C'est le terme des succès du duc Charles.

Dès le 24 avril suivant un nouveau défi d'Edouard III rouvrait la guerre. Il y préluda en travaillant l'opinion de ses sujets par un manifeste et par la prédication des religieux dominicains. Ensuite il déchaîna ses gens d'armes. Au moment où la France perdait la bataille de Crécy et la ville de Calais, l'armée de Charles de Blois était taillée en pièces à la Roche-Derrien et le duc fait prisonnier (20 juin 1347).

Jamais Charles de Blois ne se releva de cet échec. Il en traîna les lourdes conséquences jusqu'au champ de bataille d'Auray. Par humanité Clément VI et Innocent VI multiplièrent les démarches en vue de la libération de l'infortuné prince. Nulle année ne se passa sans que la chancellerie anglaise ne reçût quelque prière du pape. Habilement Clément fit valoir l'intérêt qu'il y aurait à mêler Charles aux négociations de paix, à ménager sa santé, à modérer sa rançon. etc. Cependant le Saint-Siège resta étranger aux deux traités de libération de Charles. Il fut laissé en dehors des pourparlers qui aboutirent le 9 août 1350 à mettre le duc en liberté ; il se refusa à collaborer au pacte du 30 mars 1353 dont les combinaisons, de ce fait, échouèrent. C'est là une négociation curieuse et peu connue. Jeanne de Penthièvre avait imaginé de marier son fils aîné à une fille d'Edouard III. Le pape, s'il accorda les dispenses nécessaires, subordonna la délivrance des bulles au consentement de Philippe VI. Celui-ci ne l'ayant pas donné, ni le mariage ni la délivrance du duc ne vinrent à effet.

Les négociations qui remplissent l'intervalle entre la libération définitive de Charles de Blois (1356) et la dernière reprise des hostilités se brisèrent contre la volonté intransigeante de Jeanne de Penthièvre. Innocent VI lui donna des conseils de modération qu'elle n'écouta point. La bataille d'Auray apparut aux contemporains comme un jugement de Dieu. C'était le premier combat où les deux prétendants se trouvassent face à face. La mort de Charles anéantit sa cause. Le pape envoya aussitôt un nonce pour collaborer à la paix, mais elle fut signée à Guérande tout à fait en dehors de l'agent pontifical. Celui-ci d'ailleurs était un clerc du roi de France et c'est à dessein, croyons-nous, et après entente avec lui, qu'il se tint à l'écart des pourparlers.

Nous avons signalé, sous Jean III, les choix significatifs des évêques bretons dont aucun qui ne fût persona grata à Paris. Pendant le quart de siècle que dura le règne de Charles de Blois, tous les prélats lui furent favorables, choisis même dans son entourage, dans sa parenté ou parmi ses officiers. Un petit nombre vient de France, un petit nombre de la curie. Mais celle-ci ne défère pas aveuglément aux désirs de Charles : ce prince ayant demandé un siège épiscopal pour un chancelier de la duchesse, en 1357, Innocent VI le refusa. Il est vrai que Jeanne de Penthièvre n'inspirait pas confiance à la cour d'Avignon par son caractère entier. De l'autre côté, aucune nomination ne fut accordée à Jean de Montfort, non pas même dans les diocèses où il comptait nombre de partisans. Le siège de Vannes s'étant trouvé vacant en 1362, les chanoines élurent évêque leur doyen, montfortiste avéré, auquel le roi d'Angleterre s'empressa de faire don des régales. Cette élection ne fut pas ratifiée par la curie qui donna le siège à Geoffroi de Rohan, partisan de Charles de Blois.

 

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L'avènement de Jean de Montfort mit la Bretagne et le Saint-Siège en face de problèmes qui ne sont pas sans analogie avec ceux qu'avait vu poser le règne de Pierre Mauclerc. Comme le fondateur de la première dynastie capétienne en Bretagne, le fondateur de la seconde accédait au pouvoir après une longue période d'anarchie. En l'absence des ducs, les chefs locaux et particulièrement les évêques avaient hérité de la réalité du pouvoir. Lorsqu'il fallut, au lendemain d'une guerre immense, restaurer l'autorité ducale, lever de nouveaux impôts, construire des forteresses, ce furent sous Jean IV, comme sous Pierre Ier, autant de causes de conflit avec les Eglises. Au XIVème siècle, comme au XIIIème siècle, les évêques élevèrent leur plainte jusqu'à Rome qui confirma et aggrava leurs sanctions. On vit encore la masse du peuple et des nobles émus faire cause commune avec les évêques, se détourner d'un prince que frappaient les foudres pontificales, et Jean IV déchu de sa puissance, comme Pierre Mauclerc, prendre le chemin de l'exil. Mais il y a entre les deux époques une différence, une nouveauté qui caractérise la seconde, je veux parler de la thèse de la souveraineté pontificale sur le domaine temporel des évêques bretons contre laquelle Pierre Mauclerc, à la différence de son descendant, n'avait pas eu à se défendre. Si par sa lutte contre l'épiscopat Jean IV rappelle le siècle précédent, il annonce, à d'autres égards, par sa politique vis-à-vis du Saint-Siège, l'attitude qu'adopteront ses descendants.

Dès le début de son règne Jean IV entra en litige avec plusieurs prélats de son duché. La cause principale en fut l'imposition d'une taxe sur les entrées et issues des ports, c'est-à-dire sur les marchandises y entrant et en sortant. Or, des neuf cités épiscopales de la Bretagne, sept sont des ports et les plus fréquentés du pays. Cet impôt n'était pas totalement ignoré jusque là. L'évêque de Saint-Malo le percevait à son profil. Charles de Blois semble l'avoir obtenu de tous les diocèses pour le paiement de son écrasante rançon. Contre sa levée sous Jean IV s'insurgèrent surtout les évêques de Saint-Malo et de Quimper. Pour surveiller l'accès des ports et la perception de la taxe Jean IV établit des tours de guet, tour Solidor contre Saint-Malo, tour de Cesson contre Saint-Brieuc, tour de l'Odet contre Quimper, château de l'Hermine contre Vannes. L'évêque de Léon s'agita aussi, cherchant à s'émanciper du pouvoir ducal ; le prieur de Saint-Lazare de Montfort, soi-disant exempt de l'autorité civile, revendiquait contre les agents ducaux une redevance payée par les marchands qui fréquentaient la foire de ce lieu. D'autre part, les prélats refusaient à Jean IV, comme ils l'avaient refusé à Jean III le serment de fidélité. Enfin pour consacrer et couronner leur mécontentement ils affirmaient qu'ils ne dépendaient point du duc au temporel mais du pape. Nous connaissons l'origine de cette théorie. Nous avons noté son apparition, dès 1344, à Saint-Malo. C'est en ce lieu qu'elle continue de fleurir, mais elle est proclamée comme une loi commune à tous les sièges épiscopaux de la Bretagne.

Les papes admirent d'emblée cette opinion, sauf cependant à proposer au duc une enquête impartiale, suggestion qui ne fut pas prise en considération. Quant à la cour de France, son attitude varia : Jean IV essaya de gagner Charles V à sa cause en lui remontrant que les évêques qui se rattachaient à Rome secouaient l'autorité du roi en même temps que celle du duc. Le sage roi fit la sourde oreille, mais son fils, ou pour mieux dire le duc de Bourgogne gouvernant alors sous le nom de Charles VI, appuya la protestation de Jean IV en cour de Rome.

Les questions ecclésiastiques furent débattues dans plusieurs conférences entre le duc et le roi. Dans l'une d'elles, Jean IV avoua qu'il n'avait droit à aucune supériorité ni aucun ressort sur les évêques, mais qu'il jouissait dé certains droits comme la régale. Exploitant cette concession, les gens du roi prétendirent, dans une autre rencontre, que les églises bretonnes étaient exemptes du duc et sujettes au roi, à quoi Jean IV objecta catégoriquement qu'il était seul fondateur des églises du duché. La formule était bonne. Cependant, en cour de Rome, l'idée lancée par les évêques bretons faisait son chemin. Elle soulevait entre les clercs bretons et les clercs français qui se coudoyaient à la curie des discussions orageuses. Des Bretons s'emportèrent, un jour, jusqu'à soutenir que le duc de Bretagne était pleinement indépendant du roi. Sans doute répondaient-ils à des interlocuteurs qui exagéraient la souveraineté royale et voulaient y inclure la garde des églises bretonnes.

A un moment où le duc était mal vu en cour de Rome, la thèse épiscopale bretonne reçut du Saint-Siège une confirmation éclatante. Par bulle du 4 juin 1394, le pape Clément VII (pape d'Avignon) donna sa cité du Saint-Malo au roi de France. Celui-ci s'empressa d'en prendre effective possession et en resta maître pendant, vingt ans. Les circonstances précises de ce foudroyant coup de théâtre sont mal connues. On peut cependant l'attribuer immédiatement à la présence en curie de l'évêque de Saint-Malo, hostile au duc qui l'avait dessaisi de son régaire, et à l'influence du connétable de Clisson dont cet évêque était le féal serviteur et qui soutenait alors une lutte enragée contre Jean IV.

Ce transfert n'aurait pas eu lieu si à cette date les rapports entre Jean IV et la curie n'eussent été assez tendus. C'est donc ici le lieu de dessiner la ligne générale de ces relations, abstraction faite de la question épiscopale, et de signaler avec le Grand schisme l'avènement d'une période féconde en institutions nouvelles touchant les rapports entre les ducs de Bretagne et les papes.

 

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Après le traité de Guérande qui consacra le triomphe de Jean de Montfort, Grégoire XI se montra également bien­veillant pour Jeanne de Penthièvre et pour le nouveau duc. A la veuve de Charles de Blois il accorda dans le paiement de sa dette des tempéraments qui confinaient à un abandon partiel de la créance apostolique. Il rappela le prince de Galles à plus de douceur envers cette femme malheureuse devenue sa vassale comme vicomtesse de Limoges. Surtout il ouvrit et mena vivement l'enquête sur la vie et les miracles de Charles de Blois, laquelle aboutit en 1376 à la permission de canoniser. Jean IV vit cette manifestation d'un oeil très hostile, il essaya d'arrêter la procédure par des appels en cour de Rome, il sollicita, dans le même esprit, l'intervention de la cour de France. Le seul résultat de son attitude fut que la commission d'enquête instituée en Bretagne émigra à Angers.

Hormis ce point, Grégoire XI s'appliqua à ménager la nouvelle dynastie et à panser les plaies de la Bretagne. Par la concession de bulles Ad reprimendas il protégea les non belligérants, par l'octroi d'indulgences il encouragea la reconstruction des édifices du culte. En pleine crise du litige malouin signalé au paragraphe précédent, il prit sous sa protection spéciale le trésorier ducal que les évêques poursuivaient comme leur bête noire. En vérité, il faut dire que sa bienveillance, et notamment la mansuétude dont il fit preuve dans le conflit entre le duc et les évêques, avait une arrière-pensée intéressée. Il désirait passionnément concilier la faveur ducale au projet de mariage de son neveu Roger de Beaufort avec Jeanne de Rais, escomptant que les riches domaines de cette héritière auraient permis de solder la rançon de Roger, prisonnier des Anglais. Mais cette longue négociation n'aboutit qu'à un mariage par procuration suivi de rupture.

Les nominations épiscopales sont alors, comme toujours, la meilleure pierre de touche des relations entre papes et ducs. Or celles qu'effectua Grégoire XI, après la bataille d'Auray, furent nettement favorables au vainqueur. Des deux prélats nommés à cette époque, l'un était aumônier du duc, l'autre, dominicain, ordre cher à Jean IV, et pécha plutôt par excès que par défaut de complaisance envers ce prince.

Quand l'impopularité et la fuite de Jean IV eurent ouvert le duché aux forces françaises (1372-1379), c'est de ce côté que le pape prit vent pour choisir les évêques. De là ces prélats malouins qui donnèrent ensuite tant de soucis à Jean IV. Lorsque ce duc revint en Bretagne, Clément VII, après quelques années d'attente et d'observation, pendant lesquelles il continua de recruter l'épiscopat parmi les personnes agréables au roi, fut éclairé par la mission de Thomas degli Amanati (1383) sur la solidité de la restauration de Jean IV. Dès lors, non content d'inciter les évêques à se soumettre à ce duc, il se garda de nommer aucun nouvel évêque qui ne lui fût agréable. Ce faisant, il fonda une tradition qui en dépit de quelques à-coups fut respectée en Bretagne jusqu'au mariage de la duchesse Anne. Désormais les évêques sont membres de droit du conseil ducal. Certains deviennent chanceliers comme Jean de Montrelais, évêque de Saint-Brieuc, et Jean de Malestroit, évêque de Nantes.

Nous avons parlé de Clément VII, successeur de Grégoire XI. Ce changement appelle quelques explications qui nous permettront de révéler le gros nuage qui sépara Jean IV de la curie. En 1378 éclate le grand schisme. A la place de Grégoire XI décédé, les cardinaux élisent d'abord Urbain VI, qui règne à Rome et y fait souche de papes romains, puis mécontents du maître qu'ils se sont donné et prétendant avoir eu la main forcée, ces mêmes cardinaux lui substituent Clément VII qui s'installe à Avignon, où il continue la lignée des papes avignonnais. Ce schisme dura jusqu'à l'élection de Martin V en 1417. Quelle attitude adopta le duc de Bretagne ? Tous ses sujets, évêques, clergé et fidèles, sans hésitation et sans partage se rallièrent, comme les Français, au pape d'Avignon. Jean IV, au contraire, resta le partisan avéré, quoique dissimulé, du pape de Rome. La Bretagne fut clémentine, mais son duc fut urbaniste. Aucun scrupule de conscience ne guida, croyons-nous, ce prince. Mais il était l'allié très humble de l'Angleterre. Il n'avait confiance qu'en cette nation dont il avait été l'élève. L'Angleterre, ennemie traditionnelle de la France avignonnaise et clémentine, fut naturellement romaine et urbaniste. Jean IV l'imita in petto, car les sentiments de ses sujets l'empêchèrent constamment de manifester les siens et d'ouvrir les portes du duché aux nonces et aux évêques qu'Urbain VI lui destinait. Quand le légat Amanati vint d'Avignon en Bretagne, Jean IV protesta préventivement, par un acte secret mais notarié, contre les concessions qu'il allait être contraint de lui faire. Quand Charles VI entreprit une croisade contre le pape de Rome, Jean IV contribua à la faire échouer et accueillit son insuccès par des sarcasmes. Clément VII finit par trouver odieux ce faux personnage et j'attribue à l'antipathie nourrie contre lui par la curie le coup de surprise qui lui ravit Saint-Malo.

 

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Jean V ne fut pas moins autoritaire que Jean IV, mais il fut plus habile. On a critiqué son caractère versatile et mercantile. Intéressé, il le fut, mais l'est-on jamais trop quand on gère les affaires des autres et Louis XII n'a-t-il pas répondu comme il faut à pareil reproche? Quant aux vicissitudes, aux palinodies de sa politique, elles sont indéniables et parfois comiques. Faible, il évita de se brouiller avec le plus fort ; « égoïsme sacré » fut sa loi. En définitive, il perfectionna le régime intérieur de la Bretagne, mais il fut l'un des ouvriers responsables de sa séparation d'avec la France.

L'attitude de Jean V vis-à-vis du Saint-Siège fut très prudente. Il en recueillit les fruits, il répara les échecs de son père par des succès durables. Il était encore très jeune lorsqu'il monta sur le trône ducal. C'était au temps de la soustraction d'obédience. Un peu plus tard l'Eglise de France traversa sous le nom de neutralité une seconde soustraction. A ces deux décisions générales la Bretagne se plia, elle ferma ses portes aux collecteurs pontificaux et les nominations épiscopales effectuées par le pape, à la veille de la soustraction, y restèrent sans effet. Mais les relations, qui ne furent jamais absolument rompues, furent reprises aussitôt que possible. On savait en France que Jean V répugnait à ces solutions excessives que dictait l'intransigeance aventureuse et aveugle des théologiens de l'Université de Paris. Jean V appuya les tentatives de conciliation entre les cieux « contendants du papat » et, dès qu'il le put, ouvrit largement son duché au fisc et aux mandats apostoliques. Ses représentants au concile de Constance s'opposèrent à la suppression des annates. Enfin c'est sur son conseil que Charles VII abrogea les ordonnances gallicanes et rentra sans restriction dans l'obédience papale.

Cette sage conduite valut au duc une avantageuse contrepartie. Notamment il assura au clergé breton les avantages concédés aux Français par le concordat de Constance. Vis-à-vis des évêques, il surveilla leur recrutement, remédia aux insuccès essuyés par son père de la part des prélats de Quimper et de Saint-Malo et se posa en contrôleur de l'administration épiscopale. il obtint en outre certains résultats positifs destinés à figurer, d'une manière durable, dans le statut politico-religieux de la Bretagne : droits de nomination ecclésiastique, création de l'Université de Nantes, juridiction du possessoire bénéficial.

Les négociations entre la cour ducale et la cour romaine présentèrent, dans un cas, le caractère d'un marchandage un peu pressant, c'est lorsque Jean V demanda l'annulation du mariage de sa fille avec le roi de Sicile, neveu de Charles VII, mariage contracté par procureurs et non consommé, mariage qui scellait l'alliance de la Bretagne avec la France. Martin V, après avoir refusé, céda contre la faculté de lever dans le duché les décimes imposées pour faire la guerre aux Husites. Mais généralement l'échange est moins apparent.

A l'avènement de Martin V, à l'issue du concile de Constance, un concordat fut signé entre le nouveau pape et l'Eglise de France. Ses principales stipulations étaient : 1° le partage des mois (que Martin V inséra dans ses règles de chancellerie), en vertu duquel le pape laissait aux collateurs ordinaires, quatre mois par an, leur liberté de pourvoir qui bon leur semblerait des bénéfices sous leur dépendance, à l'exclusion de toute ingérence de la curie par mandats, réserves ou expectatives ; 2° la réduction de moitié des communs et menus services, ou frais de bulle acquittés en curie par les nouveaux promus à des bénéfices majeurs. La Bretagne, bien que non intervenante à ce concordat, fut appelée à en bénéficier. Plus tard même, quand le pacte de Constance eût été tenu pour périmé dans les rapports entre la France et la papauté, il se survécut et continua d'être appliqué à l'égard de la Bretagne. De là cette illusion des jurisconsultes du XVIIème siècle qui crurent à la conclusion d'un concordat particulier entre le Saint-Siège et la Bretagne.

Les avantages tirés de ce concordat intéressaient plutôt le clergé que le gouvernement breton. Il en va autrement de ce qui suit. Les nominations épiscopales lui furent toutes favorables et presque tous les évêques restèrent dévoués au duc, certains même furent officiers importants de sa cour. Il y eut, encore quelques élections ; l'habitude ne s'en perdit pas et persista jusqu'à la fin de l'existence du duché, exactement jusqu'à l'indult accordé au roi François Ier en complément du concordat de Bologne. Mais sous Jean V tous les élus, à une exception près, furent écartés par Rome. En outre, Jean V obtint des avantages qui visaient à réparer les erreurs de la politique épiscopale de Jean IV. Nous avons signalé les démêlés de celui-ci avec les évêques de Quimper et de Saint-Malo. Dans ces deux questions Jean V obtint une solution satisfaisante. L'interdit jeté par l'évêque de Quimper sur la Terre-au-Duc fut suspendu par l'autorité apostolique pour quelques années et cette suspension fut renouvelée jusqu'au jour — sous François II — où elle devint définitive. Quant à la cité de Saint-Malo, Jean V se la fit rendre par Charles VI en échange du secours militaire que ce roi lui demanda contre les Anglais. Malgré l'inutilité de cette aide qui n'arriva qu'après le désastre d'Azincourt, Jean V rentra en possession de Saint-Malo et, dix ans après, cette récupération fut confirmée par le pape dans une bulle où il faisait état des scrupules élevés dans la conscience du roi contre la légitimité de cette acquisition. Par là même il contestait indirectement la thèse de la souveraineté pontificale sur Saint-Malo dont s'était autorisé l'un de ses prédécesseurs pour donner cette cité à la France.

Cette thèse fameuse de la souveraineté du pape sur le temporel des Eglises bretonnes, Jean V essaya de l'extirper radicalement. D'un coup d'oeil très juste il vit que son origine et son fondement étaient d'ordre juridictionnel et que s'il obligeait les évêques à renoncer à l'indépendance de leurs tribunaux, il ne subsisterait aucune base sérieuse à leur prétention. Sur ce terrain, Jean IV, nous l'avons dit, avait eu des paroles imprudentes qui auraient pu l'entraîner à des renonciations irréparables. Jean V remonta la pente. Il examina, dans son ensemble, la question des rapports de l'autorité épiscopale avec le pouvoir civil et dressa une liste de griefs contre les évêques. Ce mémoire fut adressé à Martin V dans les dernières années de son pontificat. Jean V reprochait à ses évêques d'entraver les appels interjetés de leurs tribunaux temporels au parlement ducal, de ne pas souffrir que les sergents ducaux parussent avec les insignes de leur fonction et instrumentassent sur le territoire des régaires. Il leur imputait en outre un certain nombre de délits et d'abus commis dans l'exercice de leur juridiction spirituelle, par exemple du droit de visite, et s'en prenait à l'extension excessive du droit d'asile à des territoires appelés minihys. D'autre part il leur reprochait de faire difficulté, comme au temps de Jean III et de Jean IV, de prêter le serment de fidélité.

Martin V ne donna pas d'emblée gain de cause au duc, mais il institua une enquête qu'il confia à un prélat ami du duc. En outre il recueillit et répéta dans sa bulle les termes où Jean V décrivait, sans nulle humilité, son pouvoir monarchique et notamment l'autorité absolue de son parlement « où siègent les évêques ». Dans une autre bulle le même pape avait mentionné que le duc tenait son pouvoir de la largesse divine. C'était précisément l'année où Jean V fixait dans l'intitulé de ses actes la formule « duc par la grâce de Dieu », rencontre fortuite peut-être, mais qui est à retenir.

Jean V obtint encore trois résultats positifs : 

1° Il reçut des droits étendus de nomination bénéficiale. Il y avait longtemps que les papes avaient octroyé aux ducs une participation à leur droit de disposer des bénéfices. C'est grâce à ce léger sacrifice qu'ils avaient fait accepter ou tolérer par les puissances séculières l'envahissement, par la curie du droit des ordinaires. Il était plusieurs manières de se concilier la bienveillance ducale. Toutes aboutissaient au même résultat, faire jouer la nomination pontificale en faveur du duc. Comment celui-ci aurait-il pu contester un procédé dont il devenait, le bénéficiaire, quel intérêt l'aurait mû à entraver l'ingérence pontificale qui lui donnait libéralement ce qu'il se serait vu refuser ou disputer de la part des ordinaires ? La papauté s'acquit ainsi habilement et sûrement la complicité des ducs, comme des autres souverains, dans ce vaste mouvement de centralisation qui se développe au cours du XIVème siècle et lui attribue graduellement la disposition de toute espèce de bénéfice. Cette évolution vaut la peine d'être observée de près. Au début, sous Jean II, les concessions faites au duc sont isolées. Tel candidat est pourvu « à la prière » du duc ou « en considération » du duc ; ou bien on mentionne sa qualité de fonctionnaire de la cour ducale, de chapelain, d'aumônier, de clerc du duc, ou simplement de « cher » au duc. Il y a aussi des nominations en blanc. Et c'est cet usage qui se développera. Le duc est autorisé à fonder telle chapellenie ou, par exemple, tant de chapelles qu'il voudra en se réservant le droit de patronage et de nomination du titulaire. Cela c'est le droit traditionnel. Ensuite — le duc n'est-il pas fondateur de toutes les églises bretonnes ? — tel duc reçoit la faculté de nommer un chanoine dans tel ou tel chapitre, de faire entrer un religieux dans chacun des monastères ci chapitres réguliers du duché, une « fille lettrée » dans chaque abbaye bénédictine. Sous Jean IV, les noms dus clercs auxquels s'intéressait le duc furent réunis sur un rôle de supplique, ce qui permit d'exaucer leurs requêtes d'un seul coup. Clément VI lui accorda de nommer dix-huit chanoines, soit deux par chapitre cathédral. Il concédait à chacun de ces nommés la prérogative des commensaux du pape, c'est-à-dire le droit de préférence sur tous les autres expectants, connue si les clercs recommandés par le duc eussent appartenu à l'entourage immédiat du saint père, au personnel de la curie. Sous Jean V ces concessions prirent une amplitude inouïe. Martin V éleva jusqu'à cent le nombre des bénéfices mettait, à la disposition de ce duc. Ainsi entrait dans la coutume cette pratique qui devint une des clauses habituelles des concordats.

2° Le second est la création de l'université de Nantes. En 1414, Benoît XIII affecta è cette oeuvre encore à naître le tiers d'une décime triennale qu'il imposait à la Bretagne. Puis Martin V institua la nouvelle université avec toutes sortes de facultés, sauf de théologie. Cette restriction paralysa l'intention de Jean V et c'est seulement lorsqu'elle fut levée par Pie II que le projet des ducs put enfin être réalisé dans la pratique. Cette fondation avait pour but d'écarter les clercs bretons des universités françaises d'Angers et surtout de Paris. Le pape avait horreur de ce foyer de gallicanisme et saisit une occasion d'en diminuer le rayonnement. Le duc, de son côté, vit dans l'université une pierre de plus apportée à l'édifice de ses « droits ducaux et royaux ».

3° C'est encore par une conséquence de la centralisation bénéficiale romaine que les papes durent abandonner au pouvoir laïque le jugement des causes bénéficiales au possessoire, et c'est là le troisième acquis positif de Jean V. On ne sait à quelle époque remonte en Bretagne cette juridiction. Jean V la présente comme immémoriale. En tout cas, ancienne ou non, il obtint de Martin V la reconnaissance de cette coutume, compensation et atténuation à la multiplication des procès qui résultait, en matière bénéficiale de la prodigalité de la curie en provisions de toutes sortes, mettant en concurrence des expectants de dates et de qualités différentes, et ceux-là avec les pourvus des ordinaires. Ces procès devaient normalement aboutir à Rome. C'est pour en modérer l'afflux que les papes consentirent à leur jugement provisionnel sur place. Cette concession aurait du les éteindre. En fait, le nombre des procès portés en cour de Rome resta élevé.

 

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L'une des premières mesures prises par le successeur de Martin V fut encore une manière indirecte d'affirmer le ressort ducal sur les justices épiscopales. En arrêtant l'ordre de préséance des prélats aux Etats ou parlement du duché, le pape consacrait par là même la coutume qui les obligeait à y assister, à y prendre part et conséquemment à se conformer à leurs délibérations.

Mais la grande contention qui ébranla l'Eglise sous Eugène IV fut une nouvelle crise schismatique, plus nocive que la première. Si, en effet, le concile de Bâle fut apparemment moins redoutable que le Grand schisme, puisque sa tentative, grâce à la sagesse des princes qui ne la suivirent pas, avorta, cependant son attitude eut le déplorable effet de ruiner la cause de la réforme non seulement parce que cette cause fut liée par lui à. celle du schisme et échoua en même temps, mais plus encore parce que le concile, lorsqu'il triompha, se montra inapte à rien réformer et jaloux de jouir à son tour des abus si violemment. reprochés à la papauté. Dès lors on put croire qu'il n'y avait pas de partisans sincèrement convaincus de la réforme. Tout espoir d'en amorcer la réalisation s'évanouit. On balbutia le mot par habitude tandis que l'idée s'éloignait des pensées et l'autorité centrale eut, si l'on peut dire, ses coudées franches. et s'en donna à coeur joie. De là la corruption du clergé et, en prononçant ce mot, je ne parle pas seulement, de dépravation morale, mais de toute déviation, de tout détournement de la vocation ecclésiastique. Pour un trop grand nombre de clercs le ministère religieux cessa d'être le but direct ou indirect de leur vie et de leurs travaux. De là découle la déconsidération, dans l'opinion du XVème siècle, d'un clergé qui uni manquait à son devoir. Cette décadence prépara le terrain à l'éclosion et à la propagation du protestantisme, dans la mesure où l'on peut le considérer sous l'aspect d'un schisme plutôt que d'une hérésie. Des doctrines hétérodoxes, l'Eglise en avait vu d'autres et en était venue è bout. Elle aurait peut-être étouffé celles de Luther comme celles de ses prédécesseurs. Mais l'hérésie du XVIème siècle déchaîna le schisme et là fut l'irrémédiable.

On ne saurait donc attacher trop d'importance à la crise de Bâle. En corrélation avec ce mouvement., il existe au sein de l'Eglise bretonne des traces d'un état d'esprit peu favorable aux accroissements de pouvoirs du Saint-Siège. Le concile provincial de Nantes, en 1431, s'opposa aux expectatives. Le synode de Tréguier qui se tint vers le même temps, critiqua chez les clercs et même chez les prélats le cumul des bénéfices, l'absence et l'ignorance de la langue bretonne. Après l'échec du concile de Bâle, il subsista des fauteurs de ses idées qui contrarièrent l'exécution des mandats apostoliques. Certains chefs d'ordre religieux en donnèrent l'exemple. Le Breton Alain de Boiséon, chevalier hospitalier, s'étant fait pourvoir par le Saint-Siège d'une commanderie au détriment d'un autre chevalier nommé par le grand maître et, ayant eu la naïveté d'exhiber à Rhodes la sentence de la curie qui lui donnait gain de cause, fut purement et simplement jeté en prison par ordre de ce grand maître. On pense toutefois que ces manifestations étaient isolées et ne correspondaient pas à un sentiment général parmi le clergé. C'est l'attitude personnelle du duc plus que les préférences intimes des clercs qui détermina les revirements des Bretons à l'égard du Saint-Siège et du concile. Cette attitude fut elle-même motivée par l'inconséquence des pères de Bâle. On vit par deux fois le duc, irrité d'une nomination épiscopale, quitter brusquement l'obédience romaine pour se rallier eu concile, puis, déçu par les pères de Bâle, revenir au pape Eugène IV et finalement conclure avec lui un accord général dit concordat de Redon.

On a vu qu'à l'époque du Grand schisme et du concile de Constance, Jean V s'était montré, dans la mesure du possible, fidèle à la papauté. Au temps du concile de Bâle il tint d'abord la même ligne de conduite. Eugène IV, bien qu'il ait toujours vu le concile d'un mauvais oeil, se résigna, en 1433, à en autoriser la réunion. A la fin de la même année, des nonces vinrent en Bretagne pour essayer de conserver ce duché dans l'obédience romaine. Cependant comme le pape ne condamnait point le concile, connue toutes les puissances s'y faisaient. représenter, le duc ne crut pas pouvoir s'en tenir absent. Il y députa des ambassadeurs chargés de travailler, d'accord avec les Bourguignons, à l'union entre le souverain pontife et le concile. Survint un incident inexplicable, du moins par des causes raisonnables, qui diminua considérablement le prestige du concile aux yeux du duc. Le siège épiscopal de Saint-Malo s'étant trouvé vacant, un clerc auquel le duc était favorable fut élu évêque par le chapitre. Le pape, au contraire, y nomma d'office un autre personnage de son choix, Pierre Piédru, évêque de Tréguier, et conféra l'évêché de Tréguier, vacant par ce transfert, à Guillaume Rolland. Que fit le concile ? Lui qui aurait dû observer le canon de Constance rétablissant la liberté des élections épiscopales, lui qui avait voté un décret contre la réserve générale par le pape des évêchés, prit partie, sous l'influence d'une confraternité partiale, pour Pierre Piédru, présent au concile comme ambassadeur du duc, et qui eut beau jeu à persuader aux autres pères que l'opposition de Jean V était de pure forme. La situation, à vrai dire, était confuse, car Pierre Piédru avait des intelligences dans la chancellerie ducale, d'où émana une lettre en sa faveur adressée au chapitre de Saint-Malo. Que fit de son côté le pape ? Chose curieuse, son intransigeance lui valut une victoire complète. En vain Jean. V lui offrit-il une transaction (le duc aurait toléré la présence de Pierre Piédru à Saint-Malo si, par compensation, le siège de Tréguier avait été donné à son ami l'élu), Eugène IV ne voulut rien entendre, si bien que cette nomination papale, qui avait d'abord irrité Jean V contre le pontife, eut pour contrecoup, quand Jean V la vit ratifiée et entérinée par le concile, de dégoûter et détacher le duc de ces pères d'un inconcevable illogisme.

De ce rapprochement entre le duc et le Saint-Siège découlèrent trois conséquences d'importance diverse. D'abord le pape, dans une déclaration un peu vague, mais qui est l'esquisse d'une institution capitale, déclara sa volonté de se conformer aux intentions du duc dans les nominations épiscopales. Puis Jean V reçut le droit de nommer quarante bénéficiers — déjà avant la crise conciliaire il avait reçu du même Eugène IV semblable grâce — le comte de Montfort, fils aîné de Jean V, eut la faculté d'en nommer vingt-cinq. Enfin lorsque le concile essaya de lever une décime en Bretagne et d'y faire recueillir le produit d'indulgences qu'il octroyait, Eugène IV y opposa son veto et ordonna de céder au trésor ducal la moitié des sommes déjà versées, en gardant le reste pour la chambre apostolique. Il prescrivit ensuite de lever directement la décime au nom du Saint-Siège. Par réciprocité le duc prit la défense du saint père au concile. Lorsqu'en janvier 1436 les pères décidèrent de lancer un monitoire contre Eugène IV, les ambassadeurs bretons votèrent pour le sursis.

Une nomination épiscopale avait détourne Jean V de l'obédience conciliaire, une autre nomination le rapprocha des pères de Bâle jusqu'au jour où une inconséquence du concile, aussi coupable que la première, le fit rentrer définitivement dans le giron de l'Eglise romaine. Le point de départ du conflit fut tel qu'à Saint-Malo. Le siège de Saint-Pol-de-Léon s'étant trouvé vacant, le chapitre élut un candidat cher au duc. Le pape nomma un autre personnage, Guillaume Le Perron. Sur ces entrefaites un évêque, ambassadeur du concile, se trouvant en Bretagne, consacra l'élu, ce qui renoua l'amitié entre Jean V et les pères de Bâle. Mais l'élu ainsi sacré vint a mourir presque aussitôt.. La pensée de Jean V et celle de nombre de Bretons présents au concile fut de se rallier au nommé du pape, ce qui eut étouffé la dissension. Mais les passions antiromaines étaient trop excitées à Bâle pour s'infliger ce démenti. Félix V, le pape que le concile, après avoir déposé Eugène IV, s'était donné, nomma un évêque de Léon en la personne de Bertrand de Rosmadec, membre du concile. Voilà où aboutissaient tant de protestations bruyantes contre la prépotence et les abus du Saint-Siège. On créait un nouveau pape et l'on ne corrigeait rien. Félix V eut beau donner la pourpre à l'évêque de Nantes, chancelier de Jean V, la promettre à l'évêque de Saint-Brieuc, Jean Prigent, la cause du concile fut dès lors perdue en Bretagne. Mais, notons-le, Jean V montra son ressentiment contre les nominations d'évêques dues à Eugène IV en ne se ralliant au pape que tardivement. C'est en 1438 que le clergé français à Bourges et son roi Charles VII eurent le courage, tout en acceptant les décrets de réforme du concile, de repousser le décret de suspension, C'est-à-dire de rester fidèles au pape de Rome. Or Jean V demeura jusqu'en 1441 en correspondance amicale avec le concile. Même l'année 1440 fut marquée par un exode en masse des clercs bretons de Rome vers Bâle. Mais à cette époque le concile n'avait plus de partisans en France. Le pape fit une démarche habile pour se réconcilier avec Jean V, elle aboutit à la conclusion d'une série d'articles connus sous le nom de concordat de Redon (1441).

Ici s'ouvre une ère nouvelle dans le statut politico-religieux de la Bretagne. Son point de départ, sa cause fondamentale c'est la Pragmatique Sanction de Bourges. Le clergé français avait bien proclamé sa fidélité au pape Eugène, mais non point sans conditions. Ces conditions rédigées sous forme d'ordonnance royale eurent donc force de loi en France. C'était là un abus que le Saint-Siège n'accepta jamais, non qu'il protestât directement contre tel ou tel article qu'on lui imposait, telle ou telle réduction de sa fiscalité ou de sa juridiction ou de ses facultés de provision, mais parce qu'un règlement uni­latéral par la seule autorité civile de questions religieuses ou politico-religieuses lui était inadmissible. En attendant qu'il pût faire abroger en France cette intolérable Pragmatique, ses efforts s'attachèrent à en limiter le champ d'application, Ainsi s'éclaire la politique suivie par le Saint-Siège en Bretagne, à partir de cette époque, politique séparatiste, car il fallait creuser un fossé assez large entre la Bretagne et la France pour opposer à la Pragmatique un obstacle infranchissable, politique favorable, car il ne fallait pas que les Bretons fidèles fussent plus mal traités que les Gallicans indociles.

De là cette série de privilèges conférés à diverses époques par les papes aux ducs bretons. Le concordat de Redon en forme le premier faisceau. Ses clauses sont capitales, mais il faut noter avant de les énumérer que. les légats les signaient en leur nom propre et non point en celui du pape, ils ne l'engageaient pas, ils promettaient seulement de faire en sorte qu'il les confirmât. Et, en effet, les promesses qu'ils firent ne furent pas toutes tenues :

1° Les légats promettaient que le pape ne nommerait à un siège épiscopal de Bretagne qu'une personne agréable au duc, persona grata, et recommandée par une lettre portant son signet ou son seing secret. Sans ratifier expressément cette clause, Eugène IV se conforma à son esprit.

2° Les légats annonçaient la concession au duc de la nomination à quarante-cinq bénéfices. Pour satisfaire à l'impatience de son entourage, ils usèrent de leurs pouvoirs en procédant à ces collations, sans attendre la confirmation du pape. — Celui-ci, plus généreux encore que ses représentants, éleva le chiffre accordé à cinquante. Puis il amplifia ce privilège en accordant à François Ier, fils de Jean V, la nomination de trente-deux bénéficiers, à la duchesse, de treize, et aux frères du duc, Pierre et Gilles de Bretagne, de dix chacun.

3° Les nonces promettaient le chapeau de cardinal à Jean Prigent, chapeau qu'Eugène IV n'accorda pas.

4° Ils firent espérer un arrangement favorable au sujet de la décime. Jean V, devançant l'octroi de la concession annoncée, mit immédiatement la main sur cette redevance. — Ce n'est que quelques années plus tard que son successeur François Ier obtint une décime d'Eugène IV.

5° Enfin certaines dispositions furent prises pour mettre un terme à l'anarchie bénéficiale. Les possesseurs pacifiques furent tenus pour investis d'un droit inattaquable, les procès canoniques furent éteints. — Une bulle confirma expressément cette stipulation importante. Les clercs atteints par des sentences du concile furent absous. Les adhérents du concile qui vinrent à résipiscence furent également absous par le pape. Les conciliaires obstinés (il y en eut) furent privés de leurs bénéfices.

Ces mesures d'une application délicate firent des mécontents. Peut-être le Saint-Siège eût-il mieux fait de confirmer avec plus d'empressement et plus nettement les actes des nonces. Enfin la déception de Jean Prigent, fort influent à la cour bretonne, renforça les causes qui, après la mort de Jean V, poussèrent le duc François Ier faire un retour vers le concile. Celui-ci s'empressa de préconiser l'élévation de Jean Prigent au cardinalat. Mais à cette époque le concile de Bâle ne pouvait plus être pris au sérieux et François Ier revint, comme son père, à la stricte obédience romaine. Les conventions de Redon furent confirmées en bloc, au profit de François Ier, en 1447 et 1448.

La conclusion du concordat de Redon avait été suivie par un serment solennel du duc Jean V restituant au pape Eugène IV l'obédience de la Bretagne. C'est le premier acte de ce genre. Depuis longtemps les papes avaient accoutumé de notifier leur élection ou leur couronnement au duc et ceux-ci répondaient à cette démarche courtoise par l'envoi d'une ambassade. Désormais les ambassadeurs bretons dépêchés à Rome à l'avènement d'un pape ne se borneront pas à lui offrir les voeux de leur souverain. lis prêteront en son nom le serment d'obédience qui deviendra le signe sensible et la base juridique fondamentale du statut politico-religieux de la Bretagne.

 

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Par le concordat de Redon est donc fondée la méthode qui va présider pendant un demi-siècle aux rapports de la papauté et du duché. Les privilèges accordés par Eugène IV à la Bretagne vont être considérablement enrichis et développés par ses successeurs, principalement par Pie II Sans en faire la genèse chronologique, nous voudrions en présenter ici le tableau d'ensemble. On se rappellera seulement qu'il est fondé sur autant de bulles qu'il compte d'institutions distinctes, que ces bulles n'avaient pas toutes en effet perpétuel qu'il ne forme donc pas un corps de droit systématiquement composé, un code parfait. C'était un code en formation, un concordat en devenir dont les éléments se rangeaient les uns après les autres à pied d'oeuvre.

Ces privilèges visent soit les nominations ecclésiastiques, soit la juridiction ducale sur les bénéfices et la juridiction épiscopale, soit les matières financières, militaires et commerciales.

En premier lieu, les papes se réservent d'avance personnellement la nomination aux évêchés de Bretagne. Ils s'engagent à n'y promouvoir que des personnes agréables au duc ou nommées par lui. Cette disposition fut d'abord prise à l'égard des cinq diocèses les plus importants : Rennes, Nantes, Dol, Vannes et Saint-Malo, mais elle fut ensuite étendue aux quatre autres. On peut rattacher à ce privilège celui qui accordait à l'évêque de Dol la prééminence dans les conciles provinciaux. On sait que les neuf évêchés bretons composaient avec ceux de Tours, du Mans et d'Angers la province ecclésiastique de Tours. Cette mesure soulignait l'importance du contingent breton dans les assemblées synodales et pouvait, éventuellement, favoriser la politique ducale. Quant aux bénéfices mineurs, les ducs obtinrent, à maintes reprises, le droit d'en concéder un nombre déterminé, ou, plus exactement, la faculté de nommer un certain nombre de candidats à un ecclésiastique investi du pouvoir de leur conférer un nombre égal de bénéfices. Cette faveur généralement accompagnée de la concession de la prérogative ou droit de préférence dont jouissaient les familiers et commensaux perpétuels du souverain pontife, c'est-à-dire les fonctionnaires de la curie ou curiaux, fut quelquefois suivie de la suspension ou de la cassation des procès intentés contre les nommés des ducs. Il est inutile d'énumérer les bulles de ce genre. D'ailleurs-il n'est pas sûr que nous les connaissions toutes. Elles étaient accordées non seulement au duc, mais à la duchesse, aux frères et aux fils des ducs. Ainsi en 1447-1448 le duc François Ier reçut le droit de nommer à quarante, puis à douze bénéfices, son frère Pierre, à douze autres, et la duchesse à vingt. Pierre II reçut successivement la nomination de douze, de vingt, de six, de vingt-quatre, puis de trente bénéficiers, Arthur III, de quarante-deux, François II, de trente-deux, etc.

A ces facultés de nomination se rattachent d'autres droits qui, sans attribuer aux ducs un avantage direct, leur étaient cependant utiles, parce qu'ils sauvegardaient les intérêts des clercs, leurs sujets. Nous voulons parler d'abord du privilège des mois, par lequel le pape laissait aux ordinaires la disposition des bénéfices vacants pendant quatre mois de l'année, c'est-à-dire que, ce temps durant, les évêques et autres collateurs pourvoyaient aux bénéfices dépendant des leurs sans craindre d'être devancés ou primés par les porteurs de mandats ou d'expectatives apostoliques. En faveur des évêques résidants les papes étendaient ce laps de temps à six mois. Ce privilège connu sous le nom d'alternative fut souvent conféré aux prélats bretons. Privilège plus caractéristique, les papes interdisent l'accès des bénéfices de Bretagne aux clercs non originaires du duché, à moins qu'ils ne fussent nommés par le duc. On ajouta ensuite que c'était sans réciprocité, les représailles étaient interdites. Un clerc français ne pouvait pas, sans congé du duc, acquérir un bénéfice on Bretagne, mais un Breton pouvait en obtenir un en France. A ces mesures il faut rattacher la création de l'université de Nantes, qui permettait de garder en Bretagne les jeunes clercs désireux de s'instruire. En 1460, l'autorisation d'y fonder une faculté de théologie rendit cette concession effective. Pie II la favorisa en affectant une somme de quatre mille saluts d'or, qu'il réclamait au duc, à la construction d'un collège pour les clercs pauvres étudiant en cette université.

Les privilèges accordés aux ducs en matière de juridiction ne sont pas de moindre conséquence : le duc est seul juge, au possessoire, des procès touchant les bénéfices. En cas de litige, il saisit et séquestre le bénéfice puis l'adjuge. Son parlement où siègent les évêques et autres prélats est, d'autre part, juge souverain des juridictions temporelles d'Eglise. Du parlement ducal on ne pouvait appeler, en ces matières, nulle part, ailleurs qu'à Rome, ce qui excluait principalement, quoique tacitement, le ressort du parlement de Paris. La juridiction au possessoire avait une importance capitale, car devant la multitude des litiges bénéficiaux les papes furent amenés à décider que le fait de la possession — on dit ensuite de la possession triennale et fondée sur un titre coloré ou juste titre — suffirait à munir son bénéficiaire d'un droit inattaquable. Il fallut d'ailleurs mettre un frein à un autre abus. Pour se targuer de la qualité si appréciable de possesseur, des clercs s'introduisaient au chevet des bénéficiers âgés ou malades, ils s'installaient dans le presbytère et s'acquittaient à l'église des fonctions curiales, de sorte qu'au moment du décès du titulaire, ils se prétendaient en possession et l'étaient de fait. On institua une procédure pour lutter contre ces vexateurs de bénéficiers valétudinaires.

Le privilège du trait mettait une véritable barrière entre les justiciables du duc et le reste de la France. Il interdisait de citer en justice les sujets du duc de Bretagne hors de ce duché. Il visait explicitement les conservateurs des privilèges des universités étrangères ou des grands ordres de l'Hôpital, de Cluny et de Clairvaux, mais il atteignait aussi le parlement de Paris.

Le duc ne se contentait pas de fortifier sa juridiction, il surveillait la justice d'Eglise et obtint quelques bulles destinées à en réfréner les abus. L'une excluait du for ecclésiastique les clercs indignes. Le légat de Coëtivy prescrivit une enquête contre les évêques qui fatiguaient leurs sujets de vexations et amendes indues et se mêlaient d'affaires qui ne les concernaient pas. L'immunité des minihys, qui s'était étendue bien au-delà des limites de l'enceinte sacrée jusqu'il un territoire fort distant, fut restreinte et contenue. Des sanctions furent prises contre les tabellions apostoliques faussaires et contre les dilapidateurs du patrimoine des hôpitaux. Enfin les sorciers, si redoutés et si en vogue, furent livrés à des commissaires pontificaux armés des pouvoirs des inquisiteurs.

En matière financière, l'intervention ducale ne fut pas directe. Le duc ne se vit octroyer que très exceptionnellement la perception de subsides ou de décimes sur le clergé. La politique des ducs consista à alléger le fardeau fiscal pesant sur le clergé breton. On sait comment, à cette époque, se posait la question : la décime était levée par les agents de la Chambre apostolique suivant une taxe fort ancienne dont l'assiette était très inférieure à la véritable valeur des bénéfices au XVème siècle. Les papes s'efforcèrent de renouveler l'estimation du revenu des bénéfices conformément à leur vraie valeur. Mais les contribuables s'opposèrent de toutes leurs forces à ce changement. En Bretagne ils furent soutenus par le duc qui se fit plusieurs fois le banquier de son clergé, avançant à Rome une certaine somme payée comptant, un forfait, dont il se remboursait ensuite en exigeant de ses sujets cléricaux une décime qu'ils avaient la satisfaction de répartir entre eux à leur gré, selon la taxe. antique. En 1472, François II remplaça la décime par une sorte de capitation sur les hommes de loi, niais cet impôt ne fut pas maintenu.

En matière militaire, on ne vit pas se renouveler les conflits acharnés qui avaient sévi à Nantes, à Rennes et ailleurs. A Quimper, la suspension de l'interdit fut prolongée de temps en temps et finalement la forteresse ducale tolérée d'un commun accord. A Saint-Malo, le duc, désirant construire un château, fut autorisé par le pape à occuper le terrain épiscopal qui lui était nécessaire, moyennant indemnité.

Sur mer, les pirates qui entravaient les relations commerciales furent excommuniés par des bulles Ad reprimendas rédigées selon le type de celles qui avaient été publiées au siècle précédent contre les routiers coupables de sévices sur les non belligérants. Enfin les Bretons furent autorisés à trafiquer avec les Turcs, sauf à ne pas compromettre les intérêts de la religion (1479), et cela quelques années après la prise de Constantinople, au moment où se succédaient les prédications et les instances des papes contre les envahisseurs.

Ajoutons que, en matière de conscience, le duc de Bretagne obtint l'un de ses derniers privilèges et non des moins précieux. Depuis deux siècles, par des indults répétés, les ducs recevaient la faculté de choisir leurs confesseurs en dehors de leurs propres prêtres, c'est-à-dire des curés de leurs paroisses ; celle de recevoir de ces confesseurs l'absolution des cas réservés à l'évêque ; celle de posséder chez eux un autel portatif utilisé dans un oratoire ; et celle de faire célébrer devant eux les offices liturgiques à huis clos en temps d'interdit. Sixte IV, enchérissant sur ces faveurs, accorda à François II le privilège de ne pouvoir jamais être excommunié par un évêque, mais seulement par le pape et avec une clause spécifiant qu'il dérogeait, à ce privilège ex certa et deliberata scientia. Ainsi les ducs pouvaient mettre, leur dévotion à l'abri des censures auxquelles les rapports de leur gouvernement avec l'autorité religieuse les exposèrent en plusieurs circonstances.

Tel était, succinctement résumé l'ensemble des privilèges accordés à la Bretagne par des bulles apostoliques. Mais pour compléter le tableau de ce statut politico-religieux, il faut puiser à d'autres sources que le registre pontifical. Les archives ducales nous font connaître des décisions prises sans accord avec Rome. Une ordonnance fut rendue par les ducs dans un sens hostile ou méfiant contre la cour romaine ; c'est l'édit du placet ou congé, promulgué par Pierre II en 1450 et renouvelé par François II, aux termes duquel nulle bulle, nulle lettre apostolique ne pouvait être introduite et exécutée en Bretagne sans licence du gouvernement ducal. Prise au pied de la lettre, cette mesure eût entraîné la création de bureaux très affairés. En fait, sanction occasionnelle dirigée contre telles nominations épiscopales ou abbatiales qui déplaisaient au duc, elle ne fut maintenue qu'à l'égard des étrangers sollicitant la mise en possession d'un bénéfice de Bretagne.

D'autre part, une enquête ouverte en 1455 par le juriste avisé qu'était Pierre II, mit en lumière certaines coutumes capitales en matière ecclésiastique. Les obligations des nouveaux évêques, objet de si vives controverses au cours des générations précédentes, y furent ainsi précisées : les neuf évêques bretons reconnaissent le duc pour fondateur, protecteur et garde, ils sont en sa sauvegarde générale ; au besoin il leur délivre des sauvegardes spéciales ; son conseil connaît de sauvegarde enfreinte quand un évêque ou un abbé est nommé par le pape, il se présente au duc, lui exhibe ses bulles, requiert licence d'en user et délivrance du temporel ; il prête serment de fidélité au duc et devient son conseiller de droit. Vis-à-vis du Saint-Siège, l'enquête précitée nous rappelle, et nous savons que son témoignage est conforme à la vérité historique, que les ducs prêtent obédience au pape sans intermédiaire ; que les légats et les nonces venant en Bretagne sont accrédités spécialement auprès du duc ; qu'à Rome et aux conciles les ambassadeurs des ducs ont le premier rang après ceux des rois. Ajoutons ici que depuis Jean V les ducs sont représentés d'une manière permanente en curie par un procureur résidant.

 

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Est-il besoin de souligner l'importance de ce faisceau de prérogatives et ce qui en résultait ? Rien de moins que constituer la Bretagne, au point de vue ecclésiastique, en principauté indépendante. C'est l'intention avouée sans embages par certains papes et surtout par Pie II. Déjà Martin V avait averti Jean V que, comme tous les rois et les princes, il tenait son pouvoir de la largesse divine, au moment même où les chartes ducales, dans leur intitulé, le proclamaient duc « par la grâce de Dieu ». Etait-ce une coïncidence fortuite ? Ouvrant les délibérations du parlement, le chancelier de Bretagne annonçait que son maître, « connaissant tenir sa seigneurie et principauté de Dieu, vouloit faire tenir justice et rendre à chacun bon droit ». Dans leur formule d'obédience au pape les ducs répétaient presque dans les mêmes termes : « en reconnoissance que nous avons reçue et tenons notre dite seigneurie et principauté de Bretaigne de Dieu notre Créateur et ainsi que à nous de nos droits royaux et souverains et non à autre singulièrement faire il appartient... ». Tout cela pouvait à la rigueur s'interpréter correctement à l'égard du roi de France. Omnis potestas a Deo, avait dit saint Paul ; en ce sens le vassal, comme le suzerain, tient son pouvoir de Dieu. Cela ne préjudiciait en rien à leurs devoirs respectifs. Mais François II ajouta promesse d'obéissance au pape « à notre lige pouvoir », clause attentatoire à l'hommage lige dont le roi requérait la prestation et qui était de sa nature exclusif. D'ailleurs, en recevant les ambassadeurs ducaux, Pie II se chargea de mettre, comme on dit, les points sur les i. « Le duc est roi en son pays », un sénéchal de Nantes, au XIVème siècle, avait enclos dans ce brocard lapidaire la théorie foncière des ducs qui, sans contester l'obligation de prêter hommage au roi, dépouillaient cet acte juridique de toutes ses conséquences, le réduisaient à n'être plus qu'une cérémonie de parade, une formalité sans lendemain, après laquelle, rentré dans ses frontières, le duc agissait en souverain absolu. Pie II s'inspira visiblement de cette formule et de cette idée. « Ni le duc, ni l'évêque [de Nantes], écrit-il, ne s'avouent sujets du roi, quoiqu'ils révèrent sa puissance... De même que le roi se dit empereur en son royaume. de même le duc se dit roi en son duché ». Pie II alla encore plus loin et sembla vouloir nier la tradition de l'hommage de la Bretagne à la France. S'adressant à un ambassadeur breton, il vante sa race « qui longtemps avant le premier roi franc baptisé, s'initia aux mystères chrétiens et qui, expulsée de l'île britannique, émigra dans la péninsule armoricaine où elle demeure jusqu'à ce jour indomptée ». Dans ses Commentaires, il écrit encore plus clairement : « Le duc de Bretagne, bien que plus petit [minor] que le roi de France, vit selon ses lois propres et. ne reconnaît pas de supérieur au temporel » ; et les mots qui suivent expliquent le point de vue pontifical : « c'est pourquoi lorsque les Français publièrent la Pragmatique qui limite la prééminence du Saint-Siège, le duc n'y obtempéra point et ne se conforma point aux sanctions gallicanes ».

Si Pie II est le pape qui exprima cette théorie avec le plus de force, il n'est pas la seul. Déjà Nicolas V, accueillant un ambassadeur ducal qui, sollicitant une grâce personnelle, avait cru à propos de s'autoriser d'une lettre de l'archevêque de Reims, lui répondit cru « il n'estoit jà besoin de soy aider des lettres dudit archevesque ne aussi du roy et qu'ils n'avoient que voir ès faits de Bretagne et qu'il lui suffisoit seulement soy aider du duc puisqu'il estoit Breton et que ses faits estoient en Bretagne ». Lorsque Pierre de Laval tenta de revendiquer devant les tribunaux romains le siège épiscopal de Saint-Brieuc que le pape Sixte IV avait conféré à un autre candidat, ami du duc, il envoya en curie un messager pour s'enquérir des meilleurs voies et moyens d'obtenir gain de cause. Or les cardinaux que ce messager consulta furent unanimes à lui répondre que, contre le duc, Pierre de Laval ne pourrait obtenir ni posséder un évêché en Bretagne ; et comme, au retour de son envoyé, Pierre de Laval lui disait : « Mais si j'avais lettres du roi, serais-je au moins ouï ? je ly répondis — c'est le messager qui parle — que s'il en avoit un plein sac de telles lettres, qu'il ne seroit ouy, ainsi que m'avoient, dit messieurs les cardinaux, car la cause estoit, ainsi qu'ils disoient, que l'evesché de Saint-Brieuc n'estoit pas ès pays du roi ». A la fin du XVème siècle, Innocent VIII ayant eu l'imprudence de terminer une bulle délivrée en faveur de l'évêque de Saint-Brieuc, Christophe de Penmarch, par une clause exécutoire invoquant l'aide du roi et des seigneurs de France, ce qui se justifiait parce que le compétiteur contre lequel était dirigée cette menace était archevêque de Reims et abbé de plusieurs monastères en France, la cour de Nantes, cependant, bondit et dépêcha un héraut d'armes au pape pour le faire revenir sur les termes employés dans la conclusion de sa bulle. Innocent VIII s'excusa et se corrigea. en effet, sans aucune tergiversation. « Ne vous plaignez ni ne vous étonnez, écrivit-il au duc, ces formules de recours aux princes voisins sont du style de la curie. Rien n'en a été écrit pour déroger à votre dignité ni à vos privilèges que nous ne souffririons pas qu'on diminuât en nulle manière. Pour vous enlever tout soupçon, nous ferons rayer les mots incriminés de la bulle et, du registre. Nous voulons que ledit monitoire, en tant qu'il fait appel au bras séculier du roi et défend ou ordonne à vous ou à vos conseillers chose quelconque préjudiciant à vos droits et privilèges, soit tenu pour nul et à cet égard nous le cassons, révoquons et annulons ».

Le langage de Pie II nous a appris que la peur de la Pragmatique dictait de pareilles déclarations. D'autres témoignages corroborent le sien. Au moment où le duché approchait de sa dernière heure, le roi d'Angleterre Henri VII, cherchant à gagner l'alliance d'Innocent VIII et son appui à la cause bretonne, ne manque pas de lui prédire que les Français aussitôt maîtres de la Bretagne y implanteraient la Pragmatique. Le bon apôtre promettait quant à lui de ne jamais conclure de traité avec la France sans y mentionner expressément l'abrogation de cet acte détestable. Lors de la victoire des Français, Innocent VIII s'alarma sérieusement. Informé de la première convocation des Etats de Bretagne par le roi Charles VIII et croyant que, dès cette session, la question religieuse allait être posée et qu'un parti projetait d'étendre la Pragmatique à la Bretagne, il proclama que cette application serait contraire à l'obédience traditionnelle de ce pays et défendit aux évêques et à tous les ecclésiastiques bretons d'introduire cette législation chez eux. En vérité, Charles VIII se garda de commettre pareille faute. Le mobile de la politique pontificale était, depuis longtemps, si manifeste et si bien compris du gouvernement breton que François II n'avait pas craint de reprocher à Charles VIII de vouloir abolir la Pragmatique dans son royaume. Sans Pragmatique, en effet, plus d'autonomie de l'Eglise bretonne.

 

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Pour raisonnable qu'elle fût, cette attitude du Saint-Siège ne manqua pas d'inspirer quelque inquiétude et quelque irritation en France. Sans vouloir s'attaquer à la suprême autorité spirituelle, les rois, en plusieurs occasions, firent, sentir aux ducs combien leur politique romaine leur déplaisait. Au lendemain du concile de Bâle. Charles VII fit une démarche très nette auprès de François Ier pour obtenir que le clergé de Bretagne ne fît pas bande à part, mais se réunît au clergé du royaume. Cette invitation, en dépit de l'inclination de ce duc en faveur de la France, resta infructueuse. Le même désir se manifesta moins discrètement plus tard, au cours d'un des plus curieux épisodes de l'histoire des relations franco-bretonnes, le procès d'Elbiest.

Une contestation s'étant élevée entre Jean d'Elbiest, vassal de l'évêque de Nantes, et plusieurs de ses censiers, ce petit seigneur appela de la juridiction épiscopale au parlement de Paris. Cité à comparaître, l'évêque, Guillaume de Malestroit, opposa un déclinatoire d'incompétence, accompagné de commentaires qui greffèrent sur le procès primitif un second litige, une action au criminel intentée par le procureur du roi contre l'évêque pour rébellion et désobéissance. L'Eglise de Nantes, ainsi avait en effet parlé son pasteur, est la première fondée en Occident du nom de Saint-Pierre — cette théorie est déjà insérée dans des bulles d'indulgences accordées à cette cathédrale en 1441, alors que la procédure que nous relatons ne remonte qu'à l'année 1453 — ; l'empereur Constantin lui a donné sen temporel ; son évêque « ne reconnoit ne est sujet en seigneurie temporelle et spirituelle qu'au siège de Rome et tient ledit temporel de Dieu et du pape. Il n'est sujet du duc ni du roi et tient son temporel en pur et franc alleu. Des officiers de son régaire qui est son fief, on appelle à ses grands jours souverains où les causes meurent et prennent fin ». Le parlement, est-il besoin de le dire ? réprima énergiquement cette théorie, connue de vieille date en Bretagne. Il saisit cette occasion pour prononcer que l'évêque de Nantes était sujet du roi « in ressorto ac superioritate » et le condamna à une grosse amende. Ce jugement froissa le duc de Bretagne. Son avocat au parlement de Paris, après avoir entendu la défense de l'évêque breton, avait pris la parole à son tour pour protester, « en s'esbahissant semble, dit-il, que l'évêque de Nantes soit roy et qu'il se veuille exempter du roy et du duc de Bretagne » ; après le prononcé de la sentence, le duc de Bretagne supplia le roi d'y insérer, à la suite du passage où l'évêque était dit sujet du roi « en ressort et souveraineté », ces mots « par le moyen de la justice, parlement ou ressort du duc ». Mais le parlement de Paris ne voulut rien changer au libellé de son texte. Le roi Charles VII essaya alors de régler l'incident à l'amiable, par la voie diplomatique. Cela lui paraissait d'autant plus opportun que l'action pendante devant le parlement de France se doublait d'une autre action en cour de Rome. Le duc Pierre II, raconta plus tard Guillaume de Malestroit, « me fit avouer à suzerain de mon régale le Saint-Siège apostolique et désavouer tous seigneurs temporels et me fit appeler du roi et de son parlement .. » A Rome il se prévalut d'un prétendu privilège apostolique mettant lui-même et son chapitre sous la protection de saint Pierre à charge d'un cens annuel, document qu'il ne produisit pas et que personne n'a jamais vu. Charles VII dut faire de grands efforts pour apaiser les gens de son conseil et de son parlement, il sentait que la question n'était pas mure et qu'elle avait été mal posée ; en se désistant il obtint que la cour de Rome de son côté éteignît l'affaire en absolvant le sire d'Elbiest, cause de tout le mal. Quant au problème des droits respectifs du roi et du duc, il fut momentanément ajourné mais non résolu. Moins patient que son père, Louis XI rouvrit le débat. A l'époque où l'abrogation de la Pragmatique lui permettait de tout espérer du pape, il obtint la nomination à l'abbaye de Redon et à l'évêché de Nantes de deux personnages à sa dévotion et hostiles au duc. L'un, Arthur de Montauban, nommé à Redon, se heurta au veto absolu de la cour bretonne qui le considérait comme l'auteur responsable du meurtre de Gilles de Bretagne. Là, le pape donna satisfaction au duc. Il laissa ouvrir un procès canonique contre Arthur et finalement conféra l'abbaye à l'ami du duc, au cardinal breton Alain de Coëtivy. A Nantes, le conflit fut plus long et plus acharné. L'évêque que Louis XI avait fait nommer était Amaury d'Acigné, neveu de son prédécesseur, le fougueux Guillaume de Malestroit. Ce Guillaume que nous avons vu dénier la souveraineté du parlement de Paris s'était montré, bientôt après, aussi indocile vis-à-vis du duc Arthur III. Il lui refusa le serment de fidélité. Il avait strictement raison, car ce serment devait être prêté par tout nouvel évêque au duc régnant, mais non pas renouvelé par le même évêque à un nouveau duc. Il motiva son opposition en alléguant qu'il ne tenait en rien son temporel du duc et « si je le tenais d'aucun seigneur temporel, ajoutait-il en contredisant les propos qu'il avait tenus précédemment devant le parlement de Paris, j'entendrois le tenir du roi ». La mort d'Arthur III mit fin à cette contestation. Mais Amaury d'Acigné ne professa pas d'autres idées que son oncle. Comme lui, il refusa au duc François II le serment de fidélité ; comme lui, et en invoquant ses prédécesseurs du XIIIème siècle, il répéta que « son église depuis sa primitive fondation n'avait jamais reconnu le duc de Bretagne comme supérieur au temporel ». Ajoutons en passant que d'autres évêques bretons affichaient alors les mêmes principes, celui de Dol affirmait que « dans la cité et franc régaire de Dol l'évêque est seul et souverain seigneur et ne reconnaît le duc de Bretagne ne quelconque autre en souverain quant au temporel, et tout ce qui est esdiles cité et franc régaire est tenu nuement de monseigneur l'évêque et n'y a le duc que voir ne que connoistre ». Les gens pondérés ne prenaient pas au sérieux, pour revenir à elle, la contestation entre l'évêque de Nantes et le duc. « La question ne vaut guère, disait l'archevêque de Tours, y a des aigreurs d'une part et d'autre, et pour ce me semble qu'on devroit tendre à l'apaiser plutôt par appointement que par procès ». L'apaisement se fit en effet, ou plutôt allait se faire lorsque survint à nouveau le roi... Un nonce venait, d'entrer en France pour confirmer la bonne entente qu'on croyait restaurée à Nantes. Louis XI fit arrêter le diplomate et saisir ses papiers. Il y puisa les éléments d'un réquisitoire contre François II. Toute la politique romaine des ducs fut mise en cause et sévèrement critiquée : c'est à tort, dit Louis XI, que le duc prend la garde, le serment de fidélité et l'obéissance des églises bretonnes, qui appartiennent au roi à cause de sa souveraineté et couronne ; le droit que le duc veut entreprendre sur l'évêque est régale qui appartient au roi ; c'est à tort que les derniers ducs ont fait obédience à Rome séparément et à part contre la détermination du roi et de l'obédience qu'il avait délibérée ès assemblées de l'Eglise de France ; c'est à tort que le duc et ses sujets ont obtenu que « ès bulles on fait séparation et différence entre France et Bretagne » ; c'est à tort qu'à Rome, lors de la canonisation de saint Vincent Ferrier, les Bretons ont arboré les bannières de Bretagne couronnées ; c'est à tort enfin que François II a fait dire par son ambassadeur en cour de Rome, « devant le saint père et le sacré collège, que le duc n'estoit point sujet du roi et qu'il bouteroit plutôt les Anglois en son pays que ceux qui estoient serviteurs et amis du roi ». Ces dernières paroles, exagérées en effet, furent formellement désavouées par François II. Quant au reste, le duc se défendit en exposant l'état de choses qui à cette date était passé en coutume dans le duché et dont nous n'avons pas à redire le détail. Il rappela en particulier et très véridiquement que, si le pape adressait ses bulles distinctement au clergé de Bretagne, cette séparation avait son origine dans la conduite dissemblable des deux Eglises lors du Grand schisme et à l'égard de la Pragmatique.

Plus conciliant que le roi, François II proposa une transaction : tout, en conservant « la proche et immédiate connaissance des régales », le duc se serait résigné à en céder au roi « le ressort et appel en son parlement », à charge audit roi de négocier avec la cour de Rome, à laquelle jusque-là appartenait cet appel, afin qu'elle ne fît de ce chef aux Bretons « aucuns reproches ni molestes par inhibitions, excommunications, interdits ou autrement ». Cette offre fut inefficace. La discussion qui avait envahi un terrain bien plus large dégénéra en guerre ouverte. A la paix, Louis XI, pour désunir ses ennemis, donna provisoirement satisfaction au duc de Bretagne en lui reconnaissant la régale dans son duché.

Cette tentative fut la dernière de la royauté pour résoudre par des voies juridiques le différend religieux qui la séparait de la Bretagne. Désormais Louis XI recourut à une autre méthode. Il essaya de gagner à sa cause certains personnages influents de la Bretagne. Le duc vit naturellement dans ces manoeuvres un attentat à la sécurité de son gouvernement. En cette dernière phase de l'existence du duché, quelle fut l'attitude du pape ? Ici les principes n'étaient plus engagés. Il s'agissait de faits d'ordre politique. Le pape ne pouvait que prescrire la soumission au régime établi et condamner les complots et les intrigues ourdies pour le renverser. Certes, il n'était pas impossible d'être à la fois bon Breton et bon Français. Mais si, comme Louis XI le désirait, être bon Français consistait à être contre le duc un sujet factieux et rebelle, alors il était difficile de concilier le service du roi avec les devoirs que le duc exigeait. Aussi ne doit-on pas s'étonner que les partisans de Louis XI aient été poursuivis en Bretagne avec la dernière rigueur, surtout, à une époque oui le gouvernement ducal, aux mains du trésorier Pierre Landais, était très fort et très absolu. De là les malheurs qui fondirent sur quelques ecclésiastiques bretons, entre autres sur deux évêques, ceux de Nantes et de Rennes.

Amaury d'Acigné, évêque de Nantes, dont nous avons déjà parlé, ne fit pas la paix avec le duc quand celui-ci la fit avec le roi au sujet de la régale. Un ignore à quel genre d'opposition exactement s'adonna ce prélat. Toujours est-il qu'il se rendit insupportable au gouvernement de François II. Il ne faut pas oublier d'ailleurs que la cathédrale de Nantes dominait le château ducal et que le logis épiscopal commandait une des portes de la ville, celle précisément qui s'ouvrait vers la France. Le duc finit par mettre l'évêque au ban du duché « pour les félonies, ingratitudes, desloyaux et damnables conspirations et fraisons notoirement et manifestement commises et perpétrées » par Amaury et ses complices « faux, desloyaux, rebelles et désobéissans, traîtres et ennemis à nous et à la chose publique de notre pays et duché ».

Ayant convoqué les vassaux de l'évêque, il fait déclarer devant eux qu'Amaury d'Acigné « s'est adhéré des haineux et malveillans du duc et de son pays, cuidant par ce moyen mettre fissure et division audit pays », d'où s'était ensuivi une guerre « par le moyen et pourchaz dudit Acigné ». Confirmant, ces accusations, les vassaux épiscopaux déléguèrent en cour de Rome des procureurs pour y demander, conjointement avec les ambassadeurs du duc, qu'Amaury fût privé de son évêché. Il est vrai que cette démarche resta en plan. Le pape invita le duc à ne pas contraindre l'évêque à ce qu'il ne devait pas, mais, à condition que le duc lui restituât son temporel, il leva l'interdit jeté par l'évêque sur la terre ducale et donna l'absolution au duc. En fait, Amaury d'Acigné n'osa pas revenir habiter Nantes et, lorsqu'il mourut, son successeur, presque en même temps élu par le chapitre et nommé par le pape — c'est un des rares évêques élus en Bretagne qui aient été maintenus par Rome — ne voulut, accepter la mitre qu'à condition d'avoir au préalable pacifié ce différend. L'arrangement fut d'autant plus aisé que le nouvel évêque consentit à tout ce que le duc réclamait : serment de fidélité et souveraineté du parlement breton « sous le dernier ressort du Saint-Siège et non ailleurs ».

La plus illustre victime de l'autocratique Pierre Landais, après Amaury d'Acigné, fut un autre prélat, l'évêque de Rennes, Jacques d'Espinay, On l'accusait, à tort ou à raison, d'avoir trempé dans le meurtre de Gilles de Bretagne. Depuis la fin mystérieuse de ce malheureux prince, son fantôme plane sur l'histoire du duché, sa mort tragique imposait comme une tache indélébile aux partisans du rapprochement de la Bretagne avec la France. Même en le supposant innocent de ce crime, Jacques d'Espinay exempt de tout reproche ? C'est douteux. Non seulement on l'accuse de cabaler traîtreusement et étourdiment en ennemi du duc, mais encore de fomenter des conjurations avec les autres évêques bretons, de méditer l'expulsion du duc, de susciter la colère des nobles contre lui et, qui pis est, d'avoir jeté un sort sur Pierre II et de vouloir se débarrasser par le même moyen, de François II. Pie II, l'entendant accuser de diverses machinations « contre la vie du duc et pour lui faire perdre son duché », chargea deux prélats français d'ouvrir une enquête secrète et extrajudiciaire sur ces imputations. Elle aboutit à un non-lieu. Mais Pierre Landais revint à la charge et cette fois atteignit à ses fins. Sixte IV, plus complaisant que Pie II, nomma un nouveau commissaire, un breton, l'abbé de Prières. Bien que récusé par Jacques d'Espinay comme suspect, ce juge apostolique le suspendit de l'administration de son diocèse. Après quoi Landais fit saisir brutalement les biens de l'infortuné prélat dont le pape prononça la confiscation au profit de la Chambre apostolique, mais en en cédant la moitié au trésor ducal. L'évêque de Rennes, dépouillé de sa fortune et de sa fonction, ne tarda pas à mourir.

Plus triste encore fut le sort du chancelier Guillaume Chauvin. Arrêté par ordre de Pierre Landais, il se réclama, du privilège de clergie. Le procureur général le remit donc à la justice ecclésiastique, non sans encourir les reproches du premier ministre qui le taxa de pusillanimité. Landais obtint en cour de Rome la nomination de commissaires apostoliques chargés d'enquérir sur les griefs dont on chargeait le chancelier, « clerc marié du diocèse de Nantes », et, s'il y avait lieu, de procéder à sa dégradation. Ils n'osèrent conclure si sévèrement, mais eurent la faiblesse d'« emprunter » les prisons ducales pour garder l'accusé. Le malheureux fut aussitôt enfermé dans le château d'Auray dont le capitaine n'était autre que Pierre Landais. La procédure n'avait plus désormais qu'un intérêt académique. Un nouveau bref suspendit les pouvoirs des commissaires. Un troisième bref qui, en apparence, confirmait le précédent qualifiait le chancelier de noble homme et d'écuyer mais non plus de clerc. Le pape ne céda rien davantage à Pierre Landais, mais cela lui suffit. Son adversaire, abandonné dans sa prison, y périt bientôt de misère.

 

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La crise suprême dans laquelle le duché fit naufrage n'amène que de courtes réflexions. La guerre étant ouverte entre Charles VIII et François II puis sa fille Anne, le pape se plia aux conditions de fait. Ses nominations d'évêques ou d'abbés se conformèrent aux circonstances. Dans les villes qu'occupait le roi ses candidats l'emportèrent, là où régnait encore le duc ses favoris eurent la préférence ; ou bien, dans le doute, le pape donna provisoirement les gros bénéfices à des cardinaux qui, le jour venu, devaient être prêts à les céder moyennant compensation.

Le second mariage d'Anne de Bretagne conféra au duché une espèce de survie. Louis XII laissa la reine gouverner son pays avec une autonomie presque complète. Il lui suffisait que la liberté de sa politique étrangère ne fut plus désormais qu'un souvenir du passé. Les relations des Bretons avec Rome furent traitées par lui comme affaires de politique intérieure, et, même après la mort de l'irréductible duchesse, furent maintenues telles qu'elles avaient été pratiquées au temps de l'indépendance. Le statut politico-religieux de la Bretagne, comme tout son régime intérieur, fut scrupuleusement respecté et resta en vigueur jusqu'à la fin de l'ancien régime. Les papes le confirmèrent à plusieurs reprises soit en général, soit en particulier, dans certaines de ses plus importantes dispositions. Sur un point même, les anciens privilèges des ducs furent développés. On sait qu'ils avaient un pouvoir indirect de nomination ou d'agrément aux sièges épiscopaux. Alexandre VI donna, à la reine Anne la faculté de nommer et présenter aux évêchés, abbayes et bénéfices électifs du pays de Bretagne. De même lorsque le roi François Ier eut conclu avec Clément VII le concordat de Bologne, un indult spécial conféra aux rois de France le droit de nommer aux bénéfices consistoriaux du duché de Bretagne.

Ainsi subsista pendant trois siècles après la disparition de la dynastie ducale un régime échafaudé peu à peu, au gré des circonstances et d'un commun accord entre la puissance pontificale et l'autorité ducale. Longévité qui est due surtout à ce que les divers privilèges qui le composaient avaient été élaborés, non pas pour contenter seulement les visées politiques de ces deux pouvoirs, mais encore et plus foncièrement pour donner une juste satisfaction aux désirs raisonnables de leurs communs sujets.

(B.-A. Pocquet du Haut-Jussé)

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