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LA VIERGE MARIE EN BRETAGNE.

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Piété et « Pieta »

Quiconque entreprend d'écrire sur la Vierge, peut-il échapper à la citation traditionnelle : « regnum Galliœ, regnum Mariœ » ? Cependant s'il est un pays de la Vierge, en France, un domaine marial dans le royaume de Marie, c'est la Bretagne.

Oui, malgré Lourdes, La Salette et Pontmain ! La Mayenne, si « bien-pensante » ne réunit pas dans sa superficie une aussi belle collection de « Notre-Dames » que notre farouche Finistère, — le Béarn ne voit pas s'étendre sur les Hautes-Pyrénées un rayonnement de chapelles et de fontaines miraculeuses égal à celui qui sillonne le diocèse de Saint-Brieuc, — et je jurerais bien que tout le Dauphiné ne connaît pas autant de noms et de visages différents à la Vierge, que n'en comptent, à chaque pas, les routes du Morbihan.

Si nous n'avons pas, en terre bretonne, de sanctuaire aussi mondial que la grotte de Bernadette, nous en avons au moins un, qui pourrait être, près des pèlerins, aussi célèbre, et nous en avons des centaines qui sont, pour le touriste et pour le peintre, infiniment plus émouvants.

Lourdes et Pontmain, comme la plupart des basiliques de leur époque, exigent, pour être aimées, de grandes concessions mystiques. Il faut y renoncer aux voluptés de l'Art, pour n'y jouir que des émotions et des consolations de la Foi… A ceux qui ne croient point, ces lieux sont indifférents, ou presque. Tandis que chez nous la poésie, — cet ordinaire de l'âme bretonne, — entoure et enveloppe de tous côtés cet accident : le miracle...

Ailleurs, la Vierge a peut-être déposé davantage de divin sur la terre. Mais nulle part ailleurs la terre ne s'est plus rapprochée du Ciel ni imprégnée de divin. Ailleurs, elle s'est montrée, elle a parlé de façon plus saisissante, peut-être : mais nulle part comme chez nous elle n'est davantage priée (pas même aux pays fantasques des madones latines) et nulle part, non plus, son image familière ne se mêle aussi naïvement, aussi intimement, aux images de la vie quotidienne...

Terre mariale, la Bretagne s'habille, si souvent, en « enfant de Marie », du blanc et bleu de son ciel pommelé au bleu et blanc de la mer moutonneuse ! Blancs et bleus encore ses champs de marguerites et de hautes fleurs de lin ! Et dans la claire beauté de ses filles, aux yeux couleur de mer et aux coiffes immaculées, n'est-ce pas encore le bleu et le blanc que l'on retrouve ?...

Et ce ne sont pas seulement les filles qui, chez nous, s'appellent « Marie » ! Les Marie-Ange, les Jean-Marie, les Yves-Marie, les François-Marie, les Pierre-Marie, sont souvent des forbans aux puissantes épaules, la moustache humide d'eau-de-vie, la bouche pleine de chique et de jurons... Et ce ne sont pas seulement les villageois, mais les villages, qui portent le nom de Marie : tous les « Kermaria », tous les « Locmaria » ! Sans compter tous les « Notre-Dame », depuis Notre-Dame-des-Landes, jusqu'à Notre-Dame-du-Guildo !

Et ce ne sont pas seulement les églises, encore, qui, chez nous, abritent Marie... Dans le moindre pignon de ferme, ou de maison de pêcheur, une statuette en plâtre, ou en faïence, a sa petite niche de pierre, ménagée entre deux moellons, ou creusée dans le torchis, qui évoque la Rose Mystique, ou l'Etoile de la Mer...

L'autre jour, près de Lamballe, j'en voyais une qui semblait bien malheureuse, une « Immaculée Conception », les mains pendantes dans les étoiles, au-dessus d'une porte d'auberge, où l'on vend, outre le boire et le manger, le rire, aussi, et le danser !

On y vend à se damner, sans doute... Et l'on y loge, — à pied ou à cheval, en side-car et en vélo — Satan en chemise de soie, partenaire inévitable de quelque pick-up endiablé... Une haie de bicyclettes bordait la porte de la demeure... Bonne Vierge ! Que vous devez en entendre de drôles  de litanies sur le seuil de ce « débit », où l'on débite tant de boissons ! Cependant vous êtes là, avec vos mains tendues, qui nous semblent découragées, mais qui guettent, avec patience, l'heure de saisir entre leurs paumes, comme des pigeons égarés, une ou deux âmes, au passage, entre deux airs d'accordéon...

La jeunesse de nos campagnes ne suit plus aujourd'hui, hélas, avec la même gaîté honnête, ni le même esprit chrétien, les « pardons » dépeints par Le Braz, ou les « assemblées » chères à Chateaubriand. Il s'y mêle un relent des villes, à base de vice et d'envie. Mais la Vierge, quand même, est toujours là.

Chez nous, elle est aussi dans tous les calvaires. Et les calvaires sont partout. Elle est la réplique obligatoire de saint Jean, dans le bijou de granit ouvré, qui se pose, comme un pendentif ancien, sur le corsage neuf de la forêt... Mais, souvent, sur le même calvaire, — comme celui de Tréméven, près de Quimperlé, — on l'y trouve au moins deux fois : ici, en Mère triomphante, et là, en Mère douloureuse, d'un côté, auprès de la Croix, et, de l'autre, au pied de la Croix.

Que de croix ont pour verso la Vierge-Mère, et, pour socle, la « Pieta » !

Car, en dehors des « Vierges » célèbres, officielles, miraculeuses et couronnées, les « Pieta » de toutes sortes foisonnent dans nos églises, comme sur nos calvaires. La variété de leurs attitudes et de leurs physionomies retient l'artiste pendant longtemps. Telle pleure des larmes de bois sculpté, comme à Notre-Dame de la Cour, en Lantic, et telle autre, comme à Plovan, tient un Christ presque vertical... Sur ce thème, si simple, et, semble-t-il, si étroit, de la Mère-Douloureuse, que de variations imprévues et touchantes ! Que de façons différentes de soutenir le Crucifié, ou plutôt le Décloué ! A Saint-Jacques en Goëlo, elle nous le montre, comme un déchirant reproche ; au calvaire de Saint-Guénolé, elle est noyée dans sa douleur... A Noyal, près Pontivy, elle soutient tendrement sa tête ; à Sainte-Anne, en Saint-Nicodème, elle appuie la main du cadavre sur son cœur... Au calvaire de Cast, comme à Kergoat, son expression souffrante est d'une beauté qui dépasse la chair et la pierre... A Nizon, elle a l'air d'une nonne illuminée, à Locronan, d'une simple femme, à Guéhenno et à Gurunhuel, d'une « dame de qualité »... Dans la chapelle des Sept-Saints, en Plouaret, le bois vermoulu laisse encore à ses traits une expression très personnelle... A Plomeur, le granit vêtu de lichen dont elle est faite a quelque chose d'humain... A Saint-Laurent, elle semble demander raison au Père... A Loqueffret, elle paraît poser pour le photographe... A Bénodet, liliale, candide, enfantine, et sans tourment, elle a l'air seulement gênée de tenir contre sa robe ce cadavre dénudé, qu'on lui aurait mis, malgré elle, entre les bras...

Et que de poses différentes à ce cadavre !

Au calvaire de Brasparts, dans l'Arrez, les trois saintes femmes tiennent maladroitement un Christ qui semble leur glisser des doigts... au Laz et à Louargat ce sont à peu près les mêmes, mais dans une autre attitude... tandis qu'au calvaire de Tronoën par exemple, deux anges consolent la Vierge et relèvent de chaque côté, les pans de son voile mouillé de larmes... et ce geste délicat, dans une pierre aussi dure, aussi grossièrement taillée, révèle l'âme exquise de l'artisan...

Au calvaire de Loc-Eguiner, (entre Guimiliau et Plounéour-Ménez), la Pieta se trouve côte à côte avec la « Stabat Mater » ... Dans celui de Plévenon, c'est la « Stabat Mater » et la Nativité qui voisinent, tant est grand, toujours le désir de l'imagier d'exalter sur le même monument toutes les images de la Vierge.

Et la « Pieta » conventionnelle s'est faite, chez nous, Notre-Dame-de-Pitié. Ce n'est pas tout à fait la même chose.

La « Pieta » des maîtres italiens ou espagnols, a toujours une beauté quelque peu théâtrale. Mais la « Notre-Dame-de-Pitié » bretonne, si elle a rarement autant de majesté, est toujours beaucoup plus près du peuple... C'est une « pitié » aux gammes infinies, depuis la prostration pathétique et saisissante jusqu'aux pauvres grimaces, pas belles, de la douleur... Parfois, même, c'est l'indifférence, car tous nos sculpteurs n'avaient pas de génie, s'ils avaient toujours de la personnalité. Ici, ils ont creusé un sourire mystérieux, confiant, dans le chagrin, fixé sur les réalités supra-terrestres... Mais, là, c'est un rictus morose et presque niais qui éclaire le visage de la « consolatrice des affligés ». Tantôt, elle est tellement disproportionnée, qu'elle semble écraser son Fils, et tantôt, trop petite pour le Mort qu'elle supporte, elle ressemble à nos âmes, trop petites pour leurs croix...

Notre-Dame-de-Pitié, inspiratrice constante des imagiers anciens, a chez nous, vraiment, une série, inégalable, d'effigies... Dans le bois ou la pierre, au coin des routes, au fond des nefs obscures, la Vierge de la descente de Croix est la rencontre de chaque jour, de chaque bourg...

Mais, cependant, ce n'est pas celle-là qu'on glorifie le plus en Bretagne. Celle qu'on vénère, et qui protège, celle des pardons, celle des miracles, c'est la douce Mère triomphante, et qui porte dans ses bras l'Enfant !

La Vierge et sainte Anne

Alors qu'en certaines régions on honore la Vierge, seule (la Vierge descendue « en jeune fille », si j'ose dire, sur la terre), en Bretagne, elle est toujours « en famille », près de son Fils, ou de sa mère.

Or, la Bretagne étant, dit-on, « le fief de sainte Anne », c'est à double titre qu'on peut la nommer terre de la Vierge.

Sainte Anne... Plus d'un, certes, en sa dévotion puérile, se l'imagine née à Auray et décédée à La Palue !

Les Bretons ont un tel penchant pour l'annexion, que lorsqu'ils reçoivent un protecteur, — fût-ce du Ciel, — ils le naturalisent armoricain. A force d'être invoquée sous le ciel alréen et sur la dune douarnenezienne, à force d'être moulée dans la faïence de Quimper, l'épouse de saint Joachim a pris, chez nous, quelque chose de la bonne Duchesse...

Sainte Anne, c'est « la grand'mère du petit Jésus », comme la définissait un « moins de dix ans » qui s'étonnait fort de ne point la voir figurer dans la Crèche. (La naissance, en effet, n'est-ce pas l'heure des grand'mères ?).

Aussi logique, aussi enfant, le peuple breton, dans son art plastique, n'a point séparé le « Mabic-Jésus » de sa « Mamm-goz », ni de sa Mère. Mais, cependant, ce n'est point de langes ni de berceau qu'elle s'occupe... Sainte Anne, on le sait, porte toujours un livre. C'est le signe auquel on la discerne : elle est l'alphabet de celle qui enfantera plus tard l'Alpha et l'Oméga. Par un hurlant anachronisme, elle n'en est souvent que l'A. B. C... l'alphabet des Hébreux n'étant point familier aux tailleurs d'images ! Mais, à Châteaulin, sainte Anne ne se contente point de tenir le livre aride : une grappe de raisins juteux est dans son autre main que l'enfant Jésus prend aussi dans la sienne, que soutient celle de sa Mère... De telle sorte que l'on ne sait trop de qui vient le don, ou à qui va l'offrande.

A Sainte-Anne-du-Houlin (près Saint-Brieuc), l'aïeule, majestueuse et richement parée, écrase de son importance une Vierge toute menue, guère plus grosse que son Jésus, qui semble plutôt son petit frère. Sainte Anne les tient tous deux à ses genoux, les protégeant, tandis que l'un et l'autre s'enseignent : Marie apprend à son Fils les choses humaines, et Il lui révèle les choses éternelles.

A Ruca, (même diocèse), une très curieuse image de granit encastrée dans la maçonnerie du clocher, nous montre sainte Anne, ayant, sur un genou, la Vierge, qui tient elle-même, sur le sien, l'enfant Jésus et lui donne à caresser une colombe.

A Saint-Nonna, de Penmarc'h comme à Plomeur et à Pontcroix, sainte Anne, d'une taille également gigantesque, par rapport à sa fille et à son petit-fils, les tient tous deux, l'un portant l'autre, et l'on dirait, à ce manque d'équilibre, que l'artisan n'a pas su calculer ses masses, avant de commencer son travail : il a taillé la Vierge dans ce qui lui restait de bois...

A l'église du Laz, par contre, la Mère et la Grand'mère sont de grandeurs égales : l'Enfançon joue entre elles, sur un coussin. A Saint-Michel-en-Grèves, il est debout sur les genoux de sainte Anne. Mais à Saint-Jacques, en Tréméven, près de Plouha, on dirait de ces poupées gigognes, dont l'une sort de l'autre en diminuant de taille : la poupée Anne tient la poupée Marie qui tient le poupard Jésus (celui-ci, dûment mailloté, du reste, et ficelé dans son maillot).

Le pays de Nicolazik manque, peut-être, de pittoresque, malgré ses boutiques de piété... Mais que dire de La Palue ! Il me souviendra toujours d'un angelus de midi,

(Me ho salud, gant garantez, Rouannez ar zent, hag an elez... ) Je te salue, avec amour, Reine des saints et des anges,

chanté, en plein air, par la foule des pèlerins, sur la haute dune desséchée, mais grouillante, ce jour-là, de milliers d'automobiles et de myriades de grappes humaines qu'elles avaient déversées autour de la chapelle. Celle-ci était défendue par un camp retranché de boutiques foraines... Un haut-parleur diffusait la messe en plein air... Et tandis que courbés, recueillis, abîmés dans le silence de l'élévation, les fidèles extra-muros avaient tu leurs bavardages, on entendait, à travers la tente d'une ménagerie, rugir la voix d'un « souverain du désert ».

Oh ! le splendide et curieux pardon, dans cet horizon si vaste, où les blés et les landes coulent véritablement vers la mer, comme d'une grande coupe ébréchée, ou renversée sous le soleil !

Les femmes et les filles en costumes portent elles-mêmes du soleil dans leurs robes. Elles passent, étincelantes comme des ostensoirs. Les jouvencelles de Quimper sont en blanc, ce jour-là, comme des lis lumineux qui se promènent : leurs mères, noir et or, comme des abeilles...

A l'intérieur du sanctuaire, si étroit pour cette foule et cette immensité, c'est un brasillement de cire qui entête, un parfum de cierges, plus capiteux qu'une odeur de violiers. Il semble que tout ce flot de robes claires va flamber. Mais il n'est pas que des robes claires. Les loques miséreuses des infirmes mêlent aux senteurs sacrées un relent de sueur sordide et de plaies infectées. Et le bourdonnement des chapelets, dits en breton, remplit l'oreille comme une vibration métallique... C'est ici la grande minoterie des « ave »....

Et je verrai toujours, sur ce fond de tableau éclatant et brutal, plus heurté et plus coloré encore que le poème de Corbière, passer la silhouette aérienne et chenue de S. E. Mgr Duparc.

Exsangue, branlant, émacié, soutenant, par je ne sais quel prodige, le poids de ses lourds ornements épiscopaux, il avait, en passant devant la foule, un sourire tellement immatériel, et noyé dans l'au-delà, qu'un chuchotement courut dans les rangs des touristes :

— Quel est donc ce vieux saint descendu de son vitrail ?...

Certes, les foules d'Auray n'ont pas la même couleur, ni la même attirance. Auray polarise les âmes à la manière de Lisieux : et comme à Lisieux, hélas, à côté de la grande flamme spirituelle brillent trop vives les petites bougies des marchands...

Auray, pourtant, c'est notre « capitale de la prière ». Et la preuve, c'est que nous l'avons choisie pour y dresser le mausolée de tous nos morts de la guerre. Dans ce choix solennel, peut-être faut-il voir aussi notre vénération instinctive des ancêtres, et, par conséquent notre déférence pour l'Aïeule, qui, du haut de la basilique alréenne semble tenir sur ses genoux non pas une seule Marie, mais toutes les saintes Vierges Marie de tout le pays breton...

Vierges ouvrantes et arbre de Jessé

Donc, la Bretagne n'honore pas seulement la Vierge, en soi, la Vierge seule, mais la Vierge et son ascendance, la Vierge, fleur lumineuse de la flore de David, et corolle de rayons sommant le plus haut bourgeon de l'arbre de Jessé.

L'arbre de Jessé est un motif fréquent d'inspiration pour nos artistes. Sur les splendides vitraux de Kerfeunteun, en Quimper, et de Saint-Mathurin de Moncontour, il brille, principalement, de tous les feux multicolores du verre. A Locmaria et à Stival, il étend, de même, ses ramifications symboliques, qui flamboient et s'irisent, selon la course du soleil.

Le tronc noueux qui sort du corps de l'antique patriarche porte sur chacun de ses rameaux un personnage naïvement caractérisé. Pour le touriste observateur et patient, il y a mille comparaisons à faire, cependant, entre tous ces patriarches, qui, nulle part, ne sont les mêmes, bien qu'étant les mêmes, partout !

L'originalité native de nos peintres verriers a su les inspirer différemment sur ce thème toujours pareil. Et la dissemblance des détails fait la richesse de ces œuvres.

Parlant de l'arbre de Jessé, je ne veux point m'égarer sur les vitraux « de la Vierge », où toutes les scènes de la vie mariale sont retracées. (Celui de Sainte-Noyale, pourtant, ceux de Lantic, de Guengat, de Ploërmel, et du Crann, en Spézet, pour n'en citer que quelques-uns, mériteraient, à eux seuls une étude. Mais si remarqués qu'ils soient, ces vitraux n'ont pas l'intérêt de nos sculptures).

« La peinture ne tient dans l'art breton qu'un rôle secondaire », dit fort justement Waquet : cependant, aux voûtes de Kernascleden, on peut admirer des fresques remarquables représentant la vie de la Vierge, et, au Huelgoat, les panneaux sculptés qui ornent la chapelle de Notre-Dame des Cieux, si curieusement peints et vernissés qu'on dirait des motifs de faïence.

En l'église de Locquirec, il est un retable de Notre-Dame de Bon Secours que l'Arbre de Jessé illustre encore de treize personnages pittoresques, qui forment autant de statuettes de bois s'échelonnant autour de la statue de la Vierge. Les panneaux sculptés de l'armoire montrent eux-mêmes sur leurs parois intérieures six des scènes principales de la Maternité divine. Notre-Dame du Crann, en Spézet, et Notre-Dame de Crénénan, en Ploërdut, présentent la même particularité, avec de nombreuses variantes. A la chapelle Saint-Nicolas, près du Faouët, nous retrouvons encore cette figuration de la généalogie humaine du Christ, c'est-à-dire de la généalogie mariale, puisqu'Il ne fut homme que par Sa Mère. Les Vierges ouvrantes sont peut-être plus rares. Du moins, je n'en connais que deux : Notre-Dame du Mur, à Morlaix, et Notre-Dame de Quelven, en Guern, Morbihan. (Bannalec, paraît-il, en posséderait une troisième).

Notre-Dame de Quelven, qui tient un sceptre en sa main droite, et qui est toute dorée à l'extérieur, contient en bas-relief, sur trois panneaux, douze motifs sculptés, empruntés aux scènes de la Passion.

Notre-Dame du Mur n'est pas si compliquée : le Père, le Fils, et l'Esprit Saint, qu'elle renferme, ne forment, à eux trois, qu'une deuxième statue insinuée dans le corps de la première. L'une et l'autre s'apparentent cependant au même symbole : la Vierge, mère du Christ, est le noeud qui contient toutes les phases du Rachat : la Vierge, qui a porté Jésus, a porté en elle les trois personnes divines...

Notre-Dame de Quelven, plus connue sans doute que sa soeur finistérienne, est encore l'objet de fervents pèlerinages. Son sanctuaire, qui possède une « scala santa » comme Sainte-Anne d'Auray, est d'une certaine importance. Aussi fine de visage que Notre-Dame du Mur est banale de traits, Notre-Dame de Quelven, lorsqu'elle est ouverte, se présente comme un triptyque de la douleur divine, qui serait surmonté du sourire de la Vierge. La nef précieuse où elle gîte se trouve richement ornementée du triple sceau des Rohan, des Rieux et des Rimaison. C'est dire qu'elle surpasse en valeur, et de beaucoup, la modeste chapelle morlaisienne.

Notre-Dame de Quelven, qui fut héroïquement et providentiellement dérobée à la fureur des « sans-culottes » de 93, par la ferveur d'un artisan, Notre-Dame de Quelven, dont le sanctuaire fut bâti, dit la légende, après que la Vierge, en voyage chez nous, eut joué trois fois à « pile ou face », avec une petite boule qu'elle jetait au hasard dans la campagne (... et qui ne tomba qu'au troisième coup dans un hameau exempt de blasphémateurs ! !), Notre-Dame de Quelven, dis-je, aurait droit à d'autres pages...

Mais c'est de Notre-Dame du Mur qu'il me tarde de parler.

Dans la ville de Cornic et de Tristan Corbière, Notre-Dame du Mur est reine de la paix... Elle a vécu des siècles de guerre... Elle aurait vécu, même, dit-on, cette fameuse invasion anglaise, qui fit crier, par les Bretons, à leur levrette : « S'ils te mordent... mors-les ! ».

Morlaix ! Ma ville natale, comme vous êtes secrète ! Que de recoins dans vos rues en échelles et en lacets ! Que d'ombre dans vos bouges ! Que d'ombre dans vos sanctuaires ! Vous êtes la ville creuse, la ville bâtie en forme de tranchée entre deux collines : le couloir de pierre du Jarlot. Même les coiffes, chez vous, sont repliées, plissées et ficelées sous le chignon, en « queue de langouste », de telle sorte qu'elles embéguinent le mystère individuel des cheveux... et que les filles d'aujourd'hui, ivres de grand air, les ont abandonnées !

Ce ne sont plus que les coiffes de quelques vieilles « cigarières » qui fleurissent la nef de Notre-Dame du Mur, à côté des « touquens », des « Léonardes » ou « Tauléadès » et de tous les chapeaux que la mode peut inventer !

Mais si les coiffes se fanent, les âmes s'épanouissent quand même. Il y en a tout un parterre, chaque jour, après la messe du matin, qui, ayant communié à Saint-Mathieu, s'en vont faire leur action de grâces devant cette Vierge quatre fois centenaire, dont la somptueuse robe d'or recouvre la sainte Trinité.

Portée par un ange de chêne, sur une sorte de pavois, (à la manière dont les lavandières morlaisiennes portent leurs grandes mannes de linge sur leurs têtes) la statue ouvrante, pas plus que celle de Quelven, n'est ouverte toute l'année. Jadis, elle ne l'était qu'aux grandes fêtes. Aujourd'hui, elle le demeure depuis la Trinité jusqu'à la Nativité. Anne de Bretagne a prié devant elle. Souvestre y est venu rêver. Le Goffic, de ses yeux pers, qui transperçaient les êtres et les choses, a médité sous son égide, sur le passé historique de Morlaix. Mais c'est un mien aïeul, (celui qui dessina et qui façonna lui-même les vitraux de la chapelle) qui toucha Notre-Dame du Mur de plus près.

Vers l'an 1880, en effet, celle-ci s'en allait d'une gangrène de vers qui rongeait ses pieds et ses épaules de chêne. Et le curé de Saint-Mathieu en était désespéré. Or, Jean-Louis Nicolas, peintre-verrier de la paroisse, fit prendre à la Vierge vénérée un grand bain de térébenthine, la tête la première, dans un baril de son atelier... Et, ce faisant, avec respect et pour le bien d'icelle, il lui demanda, je gage, de protéger, dans tous les siècles, les enfants de ses petits-enfants, de tous les vers rongeurs du doute, qui creusent le chêne de notre foi...

Vierges « au lait » et Vierges couchées

Si Notre-Dame de Délivrance est, par excellence, la Vierge de l'enfantement, il est des vierges « au lait » ou « au sein », comme on les nomme, que les nourrices ont plus particulièrement choisies pour patronnes.

Telle est, entre toutes, Notre-Dame de Tréguron, en Gouëzec, (Finistère) qui, aux environs de Châteauneuf-du-Faou, trône impudiquement, en des atours du XVIème. Belle figure renaissance, d'une plantureuse sérénité, elle ferait songer plutôt à ces grandes dames, que le chaste Louis XIII ne pouvait regarder sans vomir... Dieu me pardonne l'irrévérence de cette description ! Mais peut-être a-t-il autant à pardonner au sculpteur qui me la suggère : n'y a-t-il pas là, en effet, un matérialisme choquant ?... Ou faut-il, au contraire, y voir la parfaite simplicité d'un naturalisme candide ?...

Aussi nu qu'un « amour » de Fragonard, le Jésus, qui s'ébat joyeusement sur le giron de cette lourde nourrice, n'a rien des angelots asexués qui la couronnent. Et, tout autour de sa niche sculptée, c'est une exhibition d'ex-votos réalistes, où dominent les seins de cire.

A Lannélec, près de Pleyben, à Kermaria-an-Isquit (Notre-Dame-qui-donne-la-Santé ?) et à Rochefort-en-Terre, nous retrouvons les images de la Vierge-Mère, plus ou moins décemment représentées, selon le mot de Claude Dervenn, « la cotte ouverte et le sein dehors ».

Plus modeste en sa gracieuse silhouette d'albâtre (du XVème), et d'une ligne pure, où les formes à peine devinées sous la draperie transparente font songer à quelque Tanagra, Notre-Dame de la Cherche, dans la cathédrale de Saint-Brieuc, porte un Enfant mutin qui cherche évidemment à dégrafer son corsage. Mais le visage très virginal et très allongé de la Mère esquisse un délicieux sourire, où flotte toute l'indulgence du consentement maternel. C'est un chef-d'œuvre de finesse douce et sensible, qui remet à sa place l'épaisse sensualité des œuvres précédentes.

Notre-Dame des Marais, à Fougères, allaite aussi le divin nourrisson. Son visage faunesque, — (qui date du XIème, et qui fut arraché à la tourbe des marais vers 1300), — est un des plus anciens que nous ai laissés le Moyen Age. Si, de nos jours, son sanctuaire ne voit plus célébrer (comme le premier vendredi de carême de l'an 1500, par exemple) cent soixante-six messes dans la même matinée, son pardon du 8 septembre embrase encore, tous les ans, la nef de l'église Saint-Sulpice d'une ferveur, et d'un faste digne des temps les plus pieux. Vierge d'un siècle encore barbare, et qui vécut guerres et pillages, révoltes, peste et choléra, Notre-Dame des Marais, malgré son geste tout maternel, n'est pas spécialement auxiliaire de la maternité : retirée jadis de la boue des fossés de Fougères, la ville belliqueuse, n'a-t-elle pas pour mission de retirer surtout les âmes de la tourbe noire du péché ?

Si Notre-Dame de Délivrance ne délivre pas seulement les femmes du « fruit de leurs entrailles » mais aussi tous les hommes de leurs passions et de leurs maux, les « Vierges au lait » n'aident pas seulement toujours les jeunes mères à nourrir leurs rejetons : elles nourrissent aussi les coeurs chrétiens et font ruisseler sur leurs villes le lait spirituel de la joie et de la paix.

Ainsi en est-il des « vierges couchées », comme à Kergrist, près de Lézardrieux, et au Yaudet, non loin de Lannion.

Ici, la touchante naïveté de la dévotion populaire ne craint pas de représenter la Vierge, en « forme de gésine » selon le texte ancien, étendue sous l'édredon de dentelle et la courte-pointe au crochet, dans un lit de bonne bourgeoise, au-dessus du maître-autel.

L'amour l'emporte sur l'exactitude... Ah ! fi de la paille de Bethléem. Si Madame Marie était venue chercher un gîte en Bretagne, il est probable que le lit-clos lui eût été offert, et non l'étable. Au Yaudet, l'alcôve sainte s'enrichit de rideaux de soie brochés. Et cette situation toute familière n'empêche point la divine accouchée de porter une couronne royale, qui constitue le plus mal commode des bonnets de nuit ! On ne sait si l'être solennel qui veille à ce chevet représente saint Joseph ou le Père Eternel.

A Kergrist, sans aucun doute, c'est saint Joseph. La Vierge et l'Enfant y sont taillés en plein bois, et si la Vierge est allongée, il se peut que ce soit sur la terre, ou la paille, qu'elle repose, car sa couchette rudimentaire ne semble faite d'autre chose que de son voile étalé... Mais, au Yaudet, l'identité du personnage assis semble moins évidente et moins sûre...

Quelqu'un me faisait remarquer que ce pourrait être aussi bien saint Joachim ? (l'absence d'âne et de boeuf paraissant par trop contraire à la tradition...) Dans ce cas, la Vierge du Yaudet serait une sainte Anne, et la véritable Vierge serait le poupon qui repose dans le lit à côté d'elle, et que l'on prend pour l'enfant Jésus ?

Cependant, au tympan du Folgoët, au porche de la Martyre, on retrouve, en bas-relief, le même tableau naïf. Mais si la Nativité y bénéficie d'un mobilier semblable à celui du Yaudet, les habitants de la Crèche sont là, identifiant la scène évangélique.

Au calvaire de Tronoën, la Vierge, couchée sur un oreiller de granit, laisse s'épandre sur ses draps une chevelure abondante qui ne voile pourtant pas son buste entièrement nu, et sorti des couvertures... Mais, là, le nouveau-né (déjà debout, et plus grand qu'elle !) est encore facile à reconnaître : car il lui fait voir, en souriant, comme un petit hochet sphérique, le symbolique globe du Monde qu'il a saisi entre ses mains...

Les Vierges des marins

Les Vierges des marins sont toutes celles de la côte, depuis Dol jusqu'à Brest, et depuis Brest jusqu'au Croisic.

Ce sont les Notre-Dame de Bon-Voyage, de Bonne-Nouvelle, de Bon-Port, de Bon-Secours, de Bon-Retour, de Recouvrance... toutes celles qui rendent aux femmes angoissées leurs Paimpolais, leurs Terreneuvas, leurs quartiers-maîtres et leurs gabiers, de la marine de guerre, ou de la marine marchande, de la marine à voiles, ou à vapeur...

Sur la route du Raz, ou dans le bourg de Paimpol, à Pors-Even, à Perros-Hamon, c'est toujours la même Vierge fleurie de petits navires, bien que ses visages soient différents.

Stella Maris... ou plutôt Stereden Vor, « l’Etoile de la Mer » est le phare spirituel des Bretons. Si elle ne les empêche pas toujours de sombrer dans l'océan, du moins elle repêche leurs âmes dans les flots sombres du Purgatoire, et les mène bientôt sur la terre ferme d'une bienheureuse Eternité.

C'est pourquoi, du côté de Plouhinec et de Perros, on ne voit pas seulement des vivants accomplir leurs vœux, mais aussi des Trépassés... Ces derniers « reviennent », après le naufrage, à Notre-Dame de Perros-Hamon, faire le trajet qu'ils ont promis. Moyennant quoi ils rentreront dans la Maison du Père, s'ils ne doivent plus rentrer dans leur humaine maison...

Le Braz nous a dépeint ces pâles « intersignes ». Plus d'une y croit encore et vit passer ces âmes qui descendaient, en se hâtant, le chemin de la falaise. Le claquement de leurs sabots doublait le cliquetis de leurs chapelets.

Les vivants, eux, sont plus silencieux que les ombres. Descendus du navire rescapé, ils ne prononceront point une parole, ils ne regarderont point leur femme, avant d'avoir rempli leur promesse envers la Mère des marins. Et, muets, et tête nue, pieds nus, souvent, encore sous l'étreinte du danger, ils s'en vont apporter, ou le cierge, ou l'offrande, à quelque Notre-Dame du péril de la mer.

En toutes circonstances, toutes sortes de saints sont invoqués. Saint Christophe et sainte Thérèse pourraient tout aussi bien secourir des naufragés. Cependant c'est la Mère de Dieu que ceux-ci appellent.

C'est Elle qu'ils ont élue reine du royaume amer... « Reine de l'Arvor ! » clame le vieux cantique. Et cela veut dire : reine des flots. C'est elle qui marche, comme, jadis, son Fils, sur la tempête. C'est elle que le plus sceptique saura cependant respecter, quand il sera perdu « entre ciel et mer », au large des côtes désirées...

C'est Elle que l'on nomme Notre-Dame de l'Armor, à Lorient, et que les navires, à leur départ hasardeux, et à leur bon retour, saluaient de trois coups de canons, en quittant le port... Notre-Dame de l'Armor, qui tient en sa main une étoile, et que le pays de sainte Ninnoc, la Cambrienne, honore d'un amour exalté et frémissant... Notre-Dame de l'Armor, qui bénit les « Coureaux » et assure aux pêcheurs des pêches miraculeuses, à la Saint-Jean d'été, et dont la procession qui se fait en bateaux, met sur le tapis glauque de la mer une effeuillaison de flottilles pavoisées !

C'est Elle que l'on nomme Notre-Dame du Verger, dans les vallons salés de Cancale, et qu'encadrent farouchement de lourds trophées d'ex-votos marins... Elle qui, non loin de Saint-Benoît-des-Ondes, a comme sa soeur jumelle à Saint-Jouan-des-Guérêts... Notre-Dame de Saint-Jouan, de bois argenté, et si petite, que, pendant les fureurs de 93 une femme de chouan la tint cachée dans sa « mée à pétrir »...

Notre-Dame de Hirel [Note : D’après la racine celte : Notre-Dame de longue-Durée, ou Notre-Dame de Longévité ?...], également minuscule, statuette d'ivoire, découverte par une pâtoure dans un buisson du pays de Ruca... Successivement rapportée à la ferme, au presbytère, et à l'église, la statuette revenait toujours dans son buisson : on construisit donc une chapelle, en la place où elle voulut demeurer. Et l'ombre de ces murs (qui remontent, en partie au XIIème) enveloppa souvent, certes, la prière angoissée d'une femme de Terreneuvas...

Notre-Dame de Cesson, qui tient en sa main un navire, sous les murs bénis de Saint-Brieuc... Notre-Dame de l'Ile, et qui devint ensuite Notre-Dame en ville, quand elle passa de l'île Cézembre à Saint-Malo, et qu'il était défendu aux Anglais de contempler ! Comme Notre-Dame du Laurier, qui gîtait sur l'île du Grand-Bé, elle est aujourd'hui disparue... Notre-Dame en Rance, protectrice d'un ermitage de l'estuaire et que semble avoir aujourd'hui remplacée la Vierge de Bizeux, plantée sur un écueil... Notre-Dame de l'Epine, en Saint-Briac, dont la légende se confond avec celle de Notre-Dame de Hirel, et dont la toute petite silhouette de buis ressemble assez à la première. Notre-Dame du Taluet, (ou du petit talus) au Minihic-sur-Rance, où tant de cierges brûlent pour les marins, et Notre-Dame de la Garde, en Châteauneuf, dont la chapelle détruite est remplacée par un tout petit oratoire, creusé dans le mur d'une maison. Les matelots de Miniac et de Pleudihen, qui se rendent à Notre-Dame de Saint-Jouan, y font, paraît-il, une sation, au passage...

Si peu dévot que soit un marin, il lui reste toujours la dévotion mariale. Avant une dure campagne de Terre-Neuve, ou d'Islande, qui n'assistera point à la « messe de départ », fût-ce en y rêvant des choses de la terre, plus encore que des choses du Ciel ?... L'Assomption est toujours la fête des petits navires qu'on voit rouler et tanguer, — sur de jeunes épaules de « cols bleus », — à toutes les processions du vœu de Louis XIII. Est-il, en effet, un bourg de Bretagne, qui n'ait pas donné quelques hommes à l'Océan ?...

Si les pèlerins pieds nus se font, en certaines régions, beaucoup plus rares, si le siècle de Karl Marx a desséché l'oraison dans bien des coeurs, il n'a pourtant pas empêché d'éclore, sur nos falaises, une génération de madones neuves, moins belles sans doute que leurs aînées, mais tout aussi émouvantes en leur symbole de foi. Telle est la Vierge de Bizeux, ou Notre-Dame de Miséricordieuse Puissance, dans l'estuaire de la Rance, dressée sur un écueil en aiguille, qui coupe la marée montante ; telle est, sur la pointe du Raz, la monumentale Notre-Dame des Naufragés, de Godebsky. Telle est encore, sous son dais de zinc, au Val-André, la Vierge qui protège l'entrée du port de Dahouët et celle de Grinfollet, à Saint-Suliac.

Mais autre sera, certes, à Saint-Cast, la Notre-Dame des Marins, que Lucienne Heuvelmans doit tailler pour le sommet de la pointe de la Garde, cette proue de rochers enfoncée dans le flot ...

Au sanctuaire de Perros-Hamon, le porche des disparus en mer est comme une chapelle du souvenir où s'inscrivent tous les noms de ceux qui n'ont point de tombes... Et sur l'une de ces plaques mortuaires, « in memoriam », ne lit-on point ce cri de deux pauvres femmes endeuillées, s'adressant à leur Islandais défunt : « Nous n'étions pas dignes de t'assister à ta dernière heure. Mais la sainte Vierge nous a remplacées : c'est Elle qui t'a fermé les paupières ».

Tant il est vrai que la sainte Vierge se plaît encore plus peut-être sur la mer que dans le ciel !

Les Vierges de la Joie

A qui croit encore à la mélancolie bretonne, je conseille de méditer sur les Vierges de chez nous.

L'Armor, « pays mouillé, touchant comme un visage en larmes », l'Armor, pays des trépassés et des naufrages, est pourtant le pays des Vierges de la joie...

Notre-Dame de la Joie ! Ce n'est pas seulement à Pontivy et à Penmarc'h, qu'on l'honore. A Memel, encore, et en bien d'autres lieux, Notre-Dame de Joie est invoquée. Et sous les vocables de Notre-Dame de Confort, de « Bonne Nouvelle » et autres, c'est encore elle que l'on matérialise : la surhumaine Consolation des affligés...

En la chapelle rurale de Saint-Jacut-du-Menez (Côtes-du-Nord), chapelle étroite et moussue, plantée comme un caillou gris au milieu du carrefour, Notre-Dame de Bon Réconfort m'est apparue comme l'un des visages de cette Joie. Et Notre-Dame de la Clarté, en Perros-Guirec, n'est-elle pas encore, avec son beau visage serein et jeune, une Vierge de l'Allégresse, vers qui monte, au 15 août (comme à Guingamp, le premier dimanche de juillet), le brasillement des feux de joie ?...

Oui, certes, la Bretagne, plus que nulle autre région, honore la Vierge des jubilations célestes, en un mouvement ardent de foi, qui revêt du reste le charme du bonheur.

Aux « pardons », aux « assemblées », dont la Vierge est monitrice, pétille la rude gaîté : une gaîté au goût de cidre, qui cèle son amertume, peut-être, dans sa belle couleur d'or, mais qui ruisselle quand même, plus sûrement, aux jours de fêtes, que dans toutes les « salles des fêtes » où ne règne que le plaisir.

Notre-Dame de la Joie est une madone celtique... Son regard étoilé va plus haut que la lumière, plus loin que l'humanité... A Hennebont, on l'a nommée Notre-Dame de Paradis... Au Huelgoat, Notre-Dame des Cieux... En quantité d'autres lieux, c'est Notre-Dame de Grâces qu'elle se nomme... Mais à Dol, au fond d'un cloître, j'ai retrouvé son vrai nom... C'est une nonne qui l'a donné à une Vierge d'albâtre, liliale et miraculeusement sauvée des outrages de la Révolution. Vierge douce comme une colombe, et blanche comme une fleur de mai, c'est : Notre-Dame du Sourire...

Les Vierges habillées

Il n'est point, certes, de Vierge sans vêtements mais, ceux-ci façonnés dans le bois ou la pierre, ne suffisent pas toujours à la piété des pèlerins. Ils y ajoutent des robes brodées, de soie perlée ou pailletée, de longs voiles de précieuse dentelle, de lourds manteaux de velours bleu ou blanc.

Ces atours, que n'avait point prévu l'imagier ancien, gâtent, le plus souvent, la ligne et l'intérêt de la scuplture. Ils effacent la silhouette, sous leur emmitouflage brillant, qui affecte presque toujours, la forme conique et roide d'un couvre-théière...

Ainsi de Notre-Dame des Miracles et des Vertus, à Rennes, par exemple, de Notre-Dame de Bon Secours, à Guingamp, de Notre-Dame des Cieux, au Huelgoat, de Notre-Dame de Rumengol, de Notre-Dame de Grâce, à Saint-Eloy, de Notre-Dame du Roncier, à Josselin, de Notre-Dame de Délivrance, à Quintin, de Notre-Dame de Perros-Hamon, de Notre-Dame du Ruollou, en Saint-Nicolas-du-Pélem, etc., etc..

Anne de Bretagne, pieuse duchesse, fit don d'un pan de sa robe de noces, au moins pour deux de ces madones. Mais ce ne sont pas seulement les reines qui se sont dépouillées pour vêtir la Mère de Dieu. Le « denier de la veuve » sort, bien souvent, de la poche d'un misérable cotillon râpé, pour offrir à quelque statue vénérée la lourde cape doublée de satin, que les humbles donatrices n'ont pas toujours en laine sur leurs épaules... Car ce ne sont pas les contrées les plus opulentes qui possèdent les plus beaux sanctuaires ! Chez nous, souvent, les fermes sont pauvres, mais les chapelles sont riches. Et ce détachement des biens de la terre, inhérent aux seuls pays de foi, réalise encore sous un autre angle, le communisme dans la commune maison de Dieu, à la beauté de laquelle collaborent toutes les maisons de la paroisse.

La mendiante dépenaillée, qui hante les porches merveilleux du Finistère, se sent comme reine chez elle dans quelque « Ti Mamm Doué ». Car les Bretons aiment leurs Vierges et leurs sanctuaires d'un amour de possession, comme on les aimait au moyen âge, prêts à se battre pour les mérites du saint de la paroisse, dont on est aussi fiers que de l'un de ses enfants !

Ce n'est donc pas assez que d'habiller les Vierges comme des princesses : à Cast, en Finistère, et à La Roche, en Saint-Thois, on les habille... en paysannes du pays !

« Itron Varia Kélou-Doaré », par exemple, (Madame Marie de Bonne Nouvelle) est engoncée dans un splendide costume de Quimper, fort ancien, un costume de fête tellement brodé de paillettes, de rubans et de galons, qu'on dirait une idole... la couronne de métal, dont elle est gratifiée, écrase sa coiffe inesthétiquement ; et pour parachever l'anachronisme, on voit briller sur sa poitrine une petite croix bretonne, dont le coulant est un cœur ! Ah ! quelle est pourtant touchante et symbolique ! Plus que ces Vierges aux chapes d'évêques, qui ont l'air de porter des ornements pontificaux, ces « bonnes Vierges » en paysannes semblent avoir vécu chez nous... Elles ont passé dans nos villages, un soir de pluie ou de tempête... Et pendant que le maître de céans les invitait à se sécher auprès du feu, la fermière, tremblante et joyeuse, leur aura prêté ses « affûtiaux »...

En tous cas, les sculpteurs bretons, même lorsqu'ils ont sculpté la Vierge selon la mode juive, ne se privent pas d'emmailloter l'enfant Jésus, selon la mode de chez nous. Dans la chapelle de Saint-Languy, en Plougastel-Daoulas, par exemple et dans celle de Lambader, remarquez sur l'âne de la fuite en Egypte, le poupon divin, vêtu comme un marmot du lieu... A Pontrieux, face à la statue vénérée de Notre-Dame des Fontaines, une Vierge ancienne nous offre encore un Jésus en pantalons.

Mais dans le sanctuaire fameux de « Ti-Mamm-Doué », en Kerfeunteun, près de Quimper, la Vierge magnifique, qui entendit prêcher ou prier notre Bossuet breton, Michel Le Nobletz, et notre « saint » en puissance, le Père Maunoir, est taillée dans le bois comme une Anne d'Autriche... Mère de Dieu, elle fait plutôt songer à Madame, mère du Roy ! C'est elle, ne l'oublions pas, qui accomplit, pour le Révérend Père Maunoir cet appréciable miracle de l'initier au breton en huit jours, sans aucun mal ! Rien de plus dur, en effet, pour un Breton, que d'apprendre sa langue maternelle, quand il ne l'a pas tétée au sein de sa mère.

Race primitive et forte, la race celte ne se laisse pas facilement pénétrer, ni dans son langage, ni dans son âme : mais c'est très aisément qu'elle s'annexe les autres... Nos voisins du ciel ne pouvaient pas échapper à cette tendance, plus que nos voisins de la terre... Et cela semble tout naturel, chez nous, de voir le « Mabic-Jésus » attifé comme un « pôtik » de Cornouaille.

A Loqueffret, et au Cloître, en Pleyben (pour n'en citer que deux entre tant d'autres !) les très anciennes statues en bois, de la Vierge Mère ont l'air de tenir des nourrissons qu'elles auraient dérobés dans quelque berceau du village...

Vierges illustres

Entre tant de stations mariales qui jalonnent la voie sacrée de l'Armorique, quelques-unes dominent les autres. Ce n'est pas toujours par leur ancienneté. Ce n'est pas toujours, non plus, par l'abondance des miracles ou des grâces dispensées, ni par le charme particulier du lieu. Mystère des attirances spirituelles, vogue secrète et indéchiffrable des pèlerinages !

Le plus ancien, semble-t-il, c'est Rumengol : Vème siècle.

Du siècle suivant, trois Vierges finistériennes émergent, toutes trois situées, du reste, dans le même rayon et deux d'entre elles en austère pays de Léon : Notre-Dame de Kernitron, à Lanmeur, dont l'Histoire attribue l'origine à saint Samson, évêque de Dol, cependant que la légende la fait remonter au miracle de sainte Tryphine... Notre-Dame du Relecq, (en Plounéour-Ménez), ou Notre-Dame des Reliques, dont le nom symbolique et rude désigne si bien cette Vierge-épave, vestige indestructible de tant de pillages et de destructions et à qui l'on porte des poules blanches en offrande... Notre-Dame du Creisker, à Saint-Pol-de-Léon, ou Notre-Dame du Milieu-de-la-Ville, dont l'origine est due au repentir d'une jeune lingère impie, qui cousait sur sa porte, un certain jour de l'Assomption, au grand scandale d'un saint ermite, (nommé Kirec) et qui, frappée d'abord de paralysie pour cette entorse publique faite au premier commandement de l'Eglise, retrouva la santé en même temps que le remords...

Le VIIIème siècle, c'est Notre-Dame du Roncier, à Josselin.

Le Xème siècle, c'est Notre-Dame de la Guerche, sanctuaire fondé par un seigneur du lieu et si souventes fois honoré ou assiégé, par les gens de guerre.

Le XIème siècle, c'est Notre-Dame du Verger, à Cancale, et Notre-Dame de Larmor, à Lorient, tous deux dressés face à l'Océan, bouées mystiques des marins...

Le XIIème siècle, c'est Notre-Dame de Bulat, ou « Itron Varia Bugelat », à Bulat-Pestivien, érigé en l'honneur d'un vœu par des époux séniles auxquels la Vierge accorda tardivement un fils (de bugel = enfant, en breton)...

Et Notre-Dame du Vœu, (à Hennebont), résultat du vœu collectif des habitants malades de la peste...

Le XIIIème siècle, c'est Notre-Dame de Délivrance, le XIVème, Notre-Dame du Folgoët, et Notre-Dame des Miracles, de Rennes, et Notre-Dame de Bonne Nouvelle, de la même ville, dans un couvent fondé après la victoire d'Auray, (1364), Notre-Dame de Bon-Secours de Guingamp, et Notre-Dame du Buisson, à Rostrenen [Note : Les deux Vierges rennaises, qui, toutes deux, arrêtèrent l’envahisseur, à des époques différentes, sont encore l'objet d'un culte très vivant. Le cierge herminé, de dix kilogrammes, est renouvelé, chaque année, près de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, et, devant Notre-Dame des Miracles (qui s'anima, jadis, pour montrer du doigt la mine souterraine creusée par les Anglais), un vrai buisson de feu brûle quotidiennement].

Le XVème, c'est Notre-Dame des Portes, à Châteauneuf-du-Faou, défouie par un bûcheron au pied d'un chêne, solennellement placée en gardienne des portes de la ville et dotée, par Jean V, d'un sanctuaire digne d'elle, malheureusement détruit.

Le XVIème, c'est Notre-Dame de Quelven.

Le XVIIème, c'est toute une floraison, d'où émergent principalement Notre-Dame de Nazareth, à Plancoët, Notre-Dame de Toute-Aide, à Querrien, et Notre-Dame de Crénénan, à Ploërdut. (Notre-Dame qui protège du feu : de l'incendie et de la foudre).

Le XVIIIème siècle se tait. C'est le siècle de l'incroyance, du scepticisme, et, plus tard, de la Révolution.

Le XVIIIème siècle, c'est celui qui décapite les anges des calvaires, renverse les vieilles croix, gratte les armoiries, incendie les chapelles, défonce les vitraux et s'acharne jusque sur les images miraculeuses, qui sont volées ou détruites.

Pourtant, même là où les saintes effigies de la Madone disparurent, le culte ancien est demeuré. Les ex-votos ont refleuri après l'averse. Les pèlerinages ont repris leur cours.

Et le XIXème siècle, c'est Notre-Dame d'Espérance !

Notre-Dame d'Espérance... — Quand au soir du 31 mai, clôture du Mois de Marie, la longue procession nocturne a fait le tour de Saint-Brieuc, et, serpent qui mord sa queue, forme un anneau de lumières dans la masse sombre de la ville, Notre-Dame d'Espérance, si grande au-dessus de ceux qui la portent, a l'air tout simplement de marcher sur la foule !

Svelte, blanche, gracieuse, illuminée, vêtue de dentelle d'or, elle est vraiment l'espoir du monde, l'espoir divin, plus haut que tout !

On l'a sortie d'une église affreusement sombre... une église où la chaleur des cierges suffit à vous faire étouffer, une église où les vitraux eux-mêmes ont des yeux tristes, une église qui suinte la détresse de vivre sur tous ses piliers, une église qui ressemble au désespoir humain... et qui loge pourtant Notre-Dame d'Espérance !

Elle marche sur la foule, comme elle marche sur le Serpent : elle marche sur ce qui est noir, honteux, visqueux, tortueux, courbé, dolent et boîteux... elle marche sur le chagrin, le vice et la souffrance... Elle attire... Elle est tout... Elle est ce qui peut sortir de meilleur du pire... C'est ce qui fait qu'elle a cette beauté élancée et lumineuse, dans la nuit ! Et, quand on la dépose face à la cathédrale, sur son reposoir de lumières, alors, le Magnificat qui fuse et qui déferle à ses pieds, avec tous les accents possibles du Trégor et du Goëlo, avec tous les accents de Haute et Basse-Bretagne, donne aux versets latins son plein sens d'éternité !

Depuis le XIIIème siècle, un sanctuaire était en ce lieu. Les remous de l'Histoire le renversèrent plus d'une fois, forts de sable devant la marée... En 1848 (il n'y a pas cent ans), il fallut qu'un enfant de dix ans se trouvât dans un état désespéré pour que l'un des siens eut l'idée de promettre, s'il guérissait, d'invoquer, là, la Vierge, sous le nom de l'Espérance...

De ce vœu exaucé, comme d'un bourgeon fragile, le culte s'est épanoui, en grappes de fleurs, en grappes de foi... Il a mûri, crû, prospéré, fructifié, en peu d'années, jusqu'à rivaliser bientôt avec les sanctuaires les plus anciens. Car, de toutes nos madones de Bretagne, la Vierge de Saint-Brieuc est assurément la plus jeune. Issue d'un siècle noir, qui, comme la boîte de Pandore, contenait à peu près tous les maux de l'humanité, son symbole chrétien dépasse celui de l'Eve grecque, autant que les ailes de l'espoir humain sont dépassées par la confiance dans le miracle...

Notre-Dame de Délivrance. — Ce n'est pas une mince relique qui fait la vertu de Notre-Dame de Délivrance, à Quintin !

Car ce n'est point ici, non plus, la statue qui est miraculeuse : la statue ne fut faite que pour honorer la Ceinture. Cette « véritable ceinture de la Vierge Marie », avait été rapportée, de Palestine, au XIIIème siècle, par le Sire de Quintin, Geoffroy Boterel, frère d'Henry d'Avaugour, qui, comme lui, et plus que lui encore, avait exposé sa vie aux côtés de Louis IX, lors de la croisade de 1248. Tout comme son frère, encore, il mourut après son retour de Terre Sainte, aux Cordeliers de Dinan, sous la robe de bure franciscaine.

Saint Yves, saint Vincent Ferrier, la Bienheureuse Françoise d'Amboise, et bien d'autres pèlerins illustres, sont venus, tour à tour, rendre leurs dévotions, à cette relique précieuse, qui demeure, depuis lors, merveilleusement préservée de toute offense et incendie, en la collégiale quintinaise, qui borne de sa silhouette élancée, le pavé vieillot de la ville haute. Certes, la basilique de Quintin ne présente pas la beauté architecturale d'une plus ancienne église, comme celle de Notre-Dame de Lambader, par exemple (près de Morlaix) qui est le résultat d'un vœu, et porte, fichés dans les murs de son abside, en manière d'ex-voto reconnaissant, les fers rouillés du chevalier jadis captif des Sarrazins...

Tout l'intérêt, et tout l'attrait, est dans cette ceinture « authentique ». L'authenticité des reliques n'est pas un article de foi. On peut croire ou ne pas croire, à l'authenticité de celle-ci. Il se peut qu'elle soit « véritable », cependant, cette ceinture, qu'elle ait échappé réellement à l'incendie du 8 janvier de l'an de grâce 1600 — qui réduisit le sanctuaire en cendres et fit fondre, même, son reliquaire dans les débris fumants duquel on la retrouva intacte, sept jours après... Il se peut qu'elle ait survécu, de même, au pillage des vandales de la Convention, et que, sauvée en cachette, elle ait été, comme on le dit, rendue au culte après la tourmente... Il se peut, donc, qu'elle ait véritablement ceint la taille alourdie de la Vierge Marie, au jour de la Visitation... Ainsi, elle aurait été comme le premier vêtement de l'Enfant-Dieu, et aurait ouï la salutation d'Elisabeth à sa cousine prédestinée : Benedicta tu, in mulieribus...

Ce qui est certain, c'est qu'authentique, ou non, cette ceinture, la Vierge éternelle, Celle qui règne au-dessus de toutes les reliques, l'a dotée de très grandes grâces. Les femmes qui l'invoquent avec confiance sont exaucées. Et surtout celles qui ne croient pas tant à la magie du bout d'étoffe grisâtre et roussi qu'à la toute-puissance de la Vierge invoquée.

Ce bout d'étoffe, (ou plutôt ce « réseau à mailles inégales de fils de lin retourné » qui rappelle les tuniques sacerdotales de l'ancienne Loi de Moïse), convoitise d'un pieux fétichisme depuis des siècles, a été sensiblement raccourci, mais a touché, déjà, des kilomètres de « ceintures » en soie ou en coton, destinées aux femmes stériles, pour leur donner la fécondité, et aux fécondes, pour leur assurer la santé. Autrefois, on portait la ceinture à domicile aux parturientes. Désormais, elles ne la touchent que par procuration.

Telle jeune femme, qui désespérait de concevoir, me dit-on, fut, par l'effet de cette ceinture, si abondamment exaucée dans ses vœux, qu'au bout du dixième enfant, elle songeait à s'en aller prier la Vierge de Quintin d'arrêter, tout de même, les effets de sa bénédiction...

Ne rions pas de cette confiance qui sauva l'hémoroïsse. « Si je touchais seulement Sa robe ! » Et ce n'est pas la robe de Jésus qui la guérit, mais Jésus qui entendit sa pensée. Notre-Dame de Délivrance délivre quiconque n'est point captif du doute...

Notre-Dame de Toute-Aide... — Tous ceux qui s'en vont vers Lourdes savent-ils que nous avons notre Lourdes en Bretagne, au pays de la Prenessaye, en Plémet, dans le hameau de Querrien ?...

C'est sur l'échine des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), non loin des murs de Loudéac, — « Loudia », pour ceux du cru, qui patoisent — c'est-à-dire en Haute-Bretagne, doublement haute, par l'altitude... Car, à l'instar des Pyrénées, nos ménez gallots y ont aussi leurs sanatoria. Mais, bien avant que les établissements de Bodiffé aient dressé dans le voisinage leurs léproseries modernes (leurs couvents scientifiques dont les tuberculeux sont les moines cloîtrés), les malades, déjà, venaient vers ce pays de fontaines, dont deux, à Querrien même, étaient réputées aussi miraculeuses que le sont aujourd'hui les piscines de la Grotte.

Notre-Dame de Toute-Aide s'est révélée par une guérison. C'était dans l'après-midi du 15 août 1652. Une fillette de 13 ans, nommée Jeanne Courtel, sourde et muette de naissance, gardait ses moutons dans ce pré déclive, que nous foulons... Les brebis batifolaient le long du ruisseau, avec un aigre bêlement qui remplissait la vallée, et l'enfant, solitaire dans le monde des vivants, exclue du commerce des êtres, par sa double infirmité s'essayait à parler avec Dieu, autant que son éducation tronquée pouvait le lui permettre : une dévotion qui ne s'était apprise que par les yeux, en regardant prier sa mère paysanne devant quelque grossière image du divin...

Et voici que le divin s'en vient vers elle... Non pas sous la forme d'une vilaine statuette de faïence, mais sous les traits d'une « belle Dame » souriante, qui lui demande : — Donne-moi un de tes moutons !

L'enfant docile, mais que l'infirmité ne dépossède pas de sa responsabilité réplique : — Ils ne sont pas à moi, ils sont à mon père...

Et, ce faisant, elle ne s'aperçoit même pas, peut-être, que, pour la première fois de sa vie, elle vient d'articuler des mots...

— Va chez ton père (reprend la Vierge) et fais-lui ma commission !

L'enfant y court. Et, dans la pauvre ferme, c'est un moment de stupeur et d'émerveillement. Alors, elle s'aperçoit, au saisissement de ses parents, du miracle qu'elle porte en elle... Mais il lui tarde surtout de porter la réponse à la Belle Dame qui attend dans le pré. Cette réponse, n'est-elle pas un symbole ?

— J'ai demandé à mon père : ce n'est pas un mouton seulement qu'il vous offre, mais tout son troupeau !

Le troupeau matériel et spirituel. Le troupeau de toutes les âmes. Le troupeau de tout l'avenir...

La reconnaissance du vieux Courtel est entière et spontanée. Il ne chipote pas. Il croit en la sainte apparition, qui a guéri son enfant. Il croit ce que celle-ci lui rapportera encore : La Dame m'a dit : « Je suis la Mère de Jésus, et je veux être honorée ici, sous le vocable de Notre-Dame de Toute-Aide, à l'endroit où l'on découvrira une de mes images. ».

Mais la découverte de cette image près de la fontaine, non plus que les visions renouvelées et les ordres précis de la Vierge à Jeanne Courtel ne sont pas admis d'emblée par le clergé, toujours méfiant. Jeanne Courtel, comme Bernadette, doit subir bien des déceptions humiliantes, avant de voir s'élever, au cœur de son hameau perdu, l'église de ses rêves... où les pèlerins accourent en foule et sont exaucés ! Ainsi en est-il toujours des messagers du divin : on reste sourd, longtemps, à leurs appels. On reste muet sur leur message.

Cependant la grâce a triomphé de l'humain, et cela, même, du vivant de la Voyante, en raison principalement de l'initiative et de l'appui de Mgr Denis de la Barde, alors évêque de Saint-Brieuc, « éloquent orateur de la cour de Louis XIII », dit-on.

Lourdes, Pontmain et La Salette ont détourné l'attention des foules du petit village de Querrien. Lors de la Révolution la statuette miraculeuse a disparu... Mais qu'importe ?... La fontaine de Saint-Gall est toujours là, cette fontaine déjà privilégiée depuis le VIIème siècle ! Surtout, le pré qui fut foulé par les pieds lumineux de la « belle Dame » est toujours là... C'est ici que la Vierge est descendue en Bretagne... La rumeur d'août sort, au loin, des « batteries », dans l'air bleu, empoussiéré de balle de froment... Le paysage était sensiblement le même lorsque Jeanne Courtel priait ici, de toute son âme de sourde-muette, qui n'avait de portes que sur le silence... La ligne sombre des chênes et la ligne claire des saules était la même sur l'horizon. Ici, dans ce champ, point de mise en scène gênante comme à la Grotte : point de grilles, point de chaises, et point de sacristain. On a pour prie-Dieu l'herbe sèche.

Jeanne Malivel — la « payse » de l'autre Jeanne — Jeanne Malivel, qui a fait des miracles d'art, comme Jeanne Courtel fut un miracle de foi, a gravé dans le bois des pages de cette légende dorée.

On regrette qu'elles n'aient pu être traduites en vitraux dans ce sanctuaire de Querrien, dont une des verrières donne l'image d'Epinal de la Vision naïve. Au-dessous de ce vitrail, se trouve la tombe de Jeanne Courtel. Car, moins mystique que Bernadette, la voyante de Querrien mourut sexagénaire « le huitiesme jour d'octobre 1703 », ayant mis au monde cinq enfants, dont deux filles, seules, survécurent. Elle s'était mariée en 1675, soit vingt-quatre ans après le miracle. Les registres paroissiaux de La Prénessaye témoignent, par la fréquence de son rôle de marraine, en quelle estime on la tenait. Malgré cela, « honorable fille, Jeanne Courtel » est bien pâlie dans la mémoire des Bretons. Puisse y vivre du moins, Notre-Dame de Toute-Aide, dont l'aide divine supplée à tout !

Notre-Dame du Bon-Secours. — C'est Notre-Dame du vrai Secours qu'on devrait plutôt dire puisqu'en breton les gens de Guingamp l'appellent « Itron Vari a Wir Sicour », et non « ar Sicour mad » ! Mais, des Notre-Dame du Bon-Secours il y en a par toute la Bretagne, et il faut croire que cela sonne mieux. En tous cas, celle qui compte, entre tant d'autres, c'est celle de Guingamp.

Les voyageurs qui passent, sur la route Paris-Brest, à si vive allure qu'ils aillent, sont forcés de ralentir, dans ce mauvais coin de rue de la cathédrale, qui les cahote sur le pavé... Alors, dans un éclair, ils aperçoivent une grille brodée de petites flammes... Il y a toujours une haie de cierges derrière cette grille, et un parterre de mendiants... Si l'on s'arrête, et si l'on entre, dans cet oratoire à claire-voie, on se trouve face à face avec une Vierge noire, tout aussi richement vêtue que la Vierge blanche de l'intérieur de la nef. Et l'on se demande : laquelle des deux ?

Il n'en faut pas douter, pourtant, c'est celle du porche, de ce porche du XIVème s., qui vit s'agenouiller tant de princes, et d'abord, Charles de Blois, le bienheureux, insigne bienfaiteur du sanctuaire.

Dès 1717, l'affluence était telle, au pardon de Notre-Dame de Bon-Secours, qu'on y organisait déjà un « service d'ordre » de « cinquante hommes de la milice bourgeoise ». pour prévenir les accidents. Transformée en écurie, en 1793, l'église-cathédrale de l'ancienne capitale du Penthièvre vit également son porche mué en corps de garde. Ordre fut donné de détruire la statue. Le sans-culotte chargé de ce crime se contenta de la guillotiner, et, pris d'une espèce de scrupule, en conserva, chez lui, la tête, jusqu'au jour de 1805 où il la restitua au curé de la paroisse, après aveu en confession.

Depuis, le faste du pardon de Guingamp n'a fait, semble-t-il que s'accroître. Celui de 1936, qui fut sous la présidence de S. Em. le Cardinal Verdier, laissa dans le souvenir de tous une impression de liesse surhumaine et de triomphe médiéval... Car, dans cette procession nocturne, où la prière du feu domine, où toute la ville n'est qu'embrasement, flotte comme le sauvage rappel des anciens bûchers de guerre... Il semble que la race exulte et remporte une victoire... Ce n'est pas un pèlerinage d'adoration : c'est un pèlerinage de combat... Le moindre diseur de chapelet entend cliqueter, entre les grains de métal, le bruit des armes, et sent couler dans ses veines les ardeurs du « Siège de Guingamp » ... Va dorio a zo moraillet, va mogerio zo krenvaet, Gwengamp na vo ket kemeret... « Mes portes sont verrouillées, mes murailles renforcées, la ville de Guingamp ne sera point prise ! ».

Elle ne sera point prise, dit la vieille chanson, puisque sur le haut des murailles, la Vierge veille avec son Fils, et puisque c'est Notre-Dame qui met en branle le tocsin...

Notre-Dame du Roncier. — Quand les trente Bretons, partant pour la Mi-Voie, mirent le Christ avec eux, pour battre les trente Anglais, c'est à Josselin qu'ils s'agenouillèrent, devant l'autel de Notre-Dame du Roncier.

C'était en 1351. Mais, c'est avant l'an 1000 que la statue aurait été découverte sous des ronces, par un laboureur qui défrichait sa terre à coups de faucillon. L'ayant emportée chez lui, il la vit obstinément retourner là où il l'avait trouvée, et obtint bientôt de l'Evêque d'Aleth l'autorisation de lui dresser un petit oratoire. Très fruste d'abord, et peut-être tressé de ronces, cet oratoire, au cours des siècles, quantité de fois détruit et transformé, a fini par aboutir à l'élégante basilique actuelle, où les entrelacs de pierre rappellent ceux du premier buisson.

C'est un pèlerinage de l'an 1000, du reste, qui donna à Guéthenoc, descendant de Nominoë, l'inspiration soudaine de bâtir là une place forte. Et, de son château, naquit bientôt Josselin.

Josselin, ville des Rohan, tours dédaigneuses au-dessus de l'Oust, doit donc son nom gentil au fils de Guéthenoc, Josselin Ier, et ses premières richesses architecturales, à Olivier de Clisson, homme de foi autant qu'homme d'épée.

Païenne est sans doute la devise du connétable, qui se lit encore sur les peintures de la chapelle Sainte-Marguerite, au Roncier : Pour ce qu'il me plaît... Devise de grand seigneur, certes, dont la fantaisie peut s'orienter vers le bien ou le mal... Mais n'est-ce pas la même devise qui fit, à la fureur destructrice de la Révolution, détruire, piller et incendier le pieux chef-d'œuvre du dévot connétable ?...

« Pour ce qu'il lui plut », la horde dévastatrice jeta tout simplement au feu la statue des premiers âges, que tant de guerres avaient respectée...

Mais, comme la ronce, sans cesse recoupée, repousse toujours en sauvageons, ainsi de la foi bretonne, qu'on ne tue pas, en l'écrasant.

Au cœur de ce XXème siècle, qui, prétend-on, ne sait plus croire, les pardons du 8 septembre font fleurir encore toutes les coiffes de Bretagne, sous les voûtes rajeunies de Notre-Dame du Roncier.

Notre-Dame du Buisson. — Après le roncier terreux, voici le buisson de roses... Il s'épanouit sur la citadelle de Pierre IV, là où la ville de Rostrenen n'existe pas encore... Et ce n'est pas au mois de juin ! L'hiver de 1300 a congelé les douves. La neige met comme une nappe d'autel sur les créneaux. Le scintillement immaculé des flocons de décembre est épandu sur la campagne... et ce rosier est rose comme au printemps !

Or, il y a plusieurs années déjà que l'on observe ce prodige. Plus curieux qu'un autre, un homme fouille, avec sa bêche, au pied du buisson... Il défouit la Rose mystique : un buste de la Vierge, buste de bois sculpté, que nous pouvons encore admirer aujourd'hui.

Notre-Dame du Buisson, de Rostrenen, n'est donc qu'une demi-statue. Pas même on dit « buste », et ce n'est qu'une tête. Mais ce fragment est miraculeux. Toutes les Vierges de Bretagne ne le sont point. Celle de Rostrenen est une des privilégiées. On la fait remonter au IXème siècle. Elle aurait été enfouie à cette époque pour échapper aux pillages des Normands. A combien de pillages ne dut-elle pas échapper encore ! De 1591 à 1593 la forteresse de Rostrenen fut assiégée quatre fois en trois ans. Mais au XVIIIème siècle la Vierge du Buisson est toujours intacte et, non seulement elle a échappé aux incendies, mais c'est elle qui sauve d'un terrible incendie accidentel la ville dévorée par les flammes. Là où on la porte en procession, le feu s'éteint à son approche...

Celui de la Terreur ne fut pas aussi merveilleusement étouffé autour d'elle. Son sanctuaire subit bien des outrages. Elle-même se vit supplantée par l'effigie de la Déesse Raison. Mais, très soigneusement cachée, elle revint bientôt confondre sa rivale, dès le Concordat de 1801. Depuis, elle trône sous un globe de verre, si « trône » il y a pour une tête. Mais comment exprimer la majesté de cette tête sans épaules, vraie rose sans queue dans son écrin ?...

Le pardon de la mi-août, (qui a remplacé celui de décembre) réédite l'ordinaire allégresse des feux de joie et de la bombarde, auquel s'ajoute le vieux cantique, long de soixante couplets... Et comme un cantique vivant, dont chaque couplet est une paroisse, se déroule, autour de la Rose, la liane chantante des processions...

Notre-Dame de Nazareth. — Si fruste, et si grossièrement taillée dans le granit, qu'on dirait plutôt quelque divinité barbare, Notre-Dame de Nazareth fut retrouvée au XVIIème siècle, au fond de la vieille fontaine qu'elle devait dominer bien des siècles auparavant. Depuis combien de temps y gisait-elle ?... Quels païens, quelle fureur iconoclaste, l'y avaient-ils précipitée ?... Ou, simplement, quel accident ?... Ses gros yeux sans prunelles en gardent le secret. Le lis brisé qu'elle tient en sa main droite dit encore l'affront subi de la part des méchants... Mais il fallut aussi qu'un « innocent » s'en mêlât, et la précipitât, derechef, sous les eaux vertes vêtues de mousses et de fougères, pour qu'elle se résolût à faire entendre des gémissements. Et, là, commencèrent ses miracles.

Retirée une seconde fois du limon, et sise en un oratoire, et très dévotement honorée, elle se mit à guérir, sans se lasser, les infirmes les plus mal en point, les enfants les plus « affligés ». Il en a été tenu acte. Longue liste authentique et contrôlée, ce ne sont point des racontars douteux, des « on dit » flottant par-dessus les haies. Des témoins ont signé les procès-verbaux [Note : Cf. Les origines et l'histoire de Notre-Dame de Nazareth, par l'Abbé Lemasson]. Ils signent encore chaque jour de leurs ex-votos de marbre. Tant et si bien, qu'elle a mérité, Notre-Dame de Nazareth, d'être couronnée d'une couronne d'or.

Elle la porte assez mal, à vrai dire, sur ses raides cheveux de pierre, taillés maladroitement par l'imagier inconnu du moyen âge. Cette élégance n'est point faite pour sa rusticité, ni cette richesse pour sa très humble gloire.

Très humble, dis-je, car, parmi tant de témoins illettrés, on oublie trop souvent l'un d'eux qui signa, et pour l'immortalité, dans Les Mémoires d'outre-tombe, Les lauriers de Chateaubriand n'ont rien ajouté aux fleurs rurales qui parent l'autel de cette « bonne Vierge » paysanne. On a oublié que si l'illustre « René » n'est pas mort au maillot, à Plancoêt, en l'automne 1768, poupon pâle et fragile, c'est parce que sa nourrice inconnue, voua au blanc et bleu jusqu'à l'âge de sept ans, cet enfant chétif « qu'une vaine renommée menaçait d'atteindre ». On a oublié que si le père du romantisme a pu donner son reflet d'âme au monde et son œuvre humaine à la France, c'est grâce à cette Vierge rude qui, deux fois l'an, au temps des blés coupés, et au temps des pommes mûres, attire encore de très loin, — pieds nus quelquefois, mais toujours chapelet en mains, — à l'entour de sa vieille église, des pèlerins et des pèlerines, qui retrouvent à ses pieds, « la foi des anciens jours » !

Notre-Dame du Folgoat. — Le Folgoat n'est pas précisément le pays d'une Vierge : c'est le pays de Salaün, l'innocent. Folgoat le fou du bois... Dans les bois des alentours de Lesneven (Finistère), Salaün le fol, vivait vers l'an 1350... vivait de l'air du temps, et d'amour et d'eau fraîche... mais, cet amour, pour être très passionné, n'était pas l'amour humain.

C'était l'amour de Marie.

Ce fou, léger et sauvage comme un oiseau de la forêt, n'avait qu'un pépiement unique : « Ave, Maria ». Lorsque, par aventure, il se lassait de l'eau fraîche de la fontaine, on l'entendait gazouiller aux portes du hameau : Ave Maria ! Salaün a zepfré bara !

« Salaün mangerait bien du pain ! ». Est-il demande plus discrète ?... L'aumône ne tardait guère : Salaün était respecté de tous pour son étrangeté pieuse et son mystère. Un simple d'esprit est presque un ange : il ne connaît pas le mal. Salaün mena ainsi, pendant près de quarante ans, une vie virginale et douce. Aux gens d'armes qui l'appréhendèrent, un jour, dans sa solitude, il répondit farouchement : « Je ne suis ni à Blois ni à Montfort : je suis à Marie ! ». Vassal de la suzeraine céleste, il n'était point de ce monde. Quand il s'en alla vers l'autre, on l'enterra sans honneur dans son bois, là où on l'avait trouvé inanimé un jour d'hiver.

Or, voici que de sa fosse un lis embaumé s'élève. Il a sa racine dans la bouche du mort et ses pétales blancs portent en lettres d'or : Ave, Maria !

Notre-Dame du Folgoat n'est donc pas tant une statue qu'une présence invisible, la compagne constante de Salaün. Sur la tombe de l'innocent, fleurissent, après le lis miraculeux, les lis surnaturels des miracles... Après les miracles, fleurit l'église, fleur de la foi... C'est une fleur royale, que cette église ! Chef-d'œuvre de somptuosité où s'enlacent, aux troncs sveltes de l'art gothique, les lianes lourdes de la Renaissance, il faudrait un volume pour la chanter. On a peint cent fois aussi ses pardons aux riches costumes, où toute la couleur du Finistère se resserre en un bouquet. Notre-Dame du Folgoat, c'est une complainte populaire, qui se nasille aux carrefours du folklore armoricain... Mais c'est aussi une Vierge de pierre, qui émigra, sous la Terreur, au fond de quelque grange secrète, et qui porte sur son visage austère la satisfaction naïve d'avoir regardé, face à face, notre beau roi François Ier.

Notre-Dame de Rumengol. — Tout ainsi qu'aux processions la place d'honneur n'est pas en tête, pour Notre-Dame de Rumengol je réservais mes dernières lignes.

N'est-elle pas l'aïeule de toutes ?... Au Vème siècle, son sanctuaire était déjà posé. Il est comme le testament du roi Gradlon, ayant été sa volonté dernière. Celui-ci, à sa mort, en aurait ordonné la construction, afin de conjurer, par cet hommage à la Mère du Christ, l'influence néfaste d'Ahès, ou Dahut, sa fille à lui, sa fille perdue, la folle Astarté des Celtes, la « Marie Morgane » de la ville d'Is...

Rumengol est donc le voeu posthume du roi légendaire et le point final de la légende. Elle a été bâtie, cette église, en expiation des fautes du paganisme, par un des premiers rois chrétiens. C'est la pierre tombale des Druides.

Mais celle que nous voyons maintenant n'est qu'un pâle reflet du premier édifice, qui contenait, dit-on, autant de piliers qu'il y avait d'arbres dans le pays...

Le Braz et Souvestre ont dépeint, tour à tour, les pardons de Rumengol, l'un, comme celui « des chanteurs », l'autre, comme celui « des mendiants ».

Peu à peu, Rumengol deviendra le pardon « des touristes ». Les cars monstrueux des « Voyages organisés » déversent, désormais, trop de profanes dans le flot sacré des pèlerins. Et les coiffes s'éteignent, une à une, à mesure que trop de kodaks les visent...

Rumengol... Syllabes ballantes et métalliques, comme un carillon, mot sonore et cristallin, dont rossignol est la rime, lieu prédestiné des chansons...

Rumengol... Une étymologie douteuse l'a fait sortir de Rimed Oll, pour expliquer Notre-Dame de Tout-Remède, vocable sous lequel la Vierge y est priée. Mais cela pourrait venir, tout aussi bien, ou même mieux, de Ru men gol, c'est-à-dire, en breton, rouge pierre perdue... par allusion à la pierre rouge des Druides que supplante, justement, en ce lieu, la table de pierre de l'autel chrétien.

Or, c'est une véritable infante espagnole, cette Notre-Dame dont le sanctuaire fut bâti avec l'or de la ville d'Is ! Sur elle, et autour d'elle, l'or scintille et ruisselle... symbole de toutes les grâces qu'elle dispense, sans doute... mais aussi peut-être des sources païennes dont elle est née... l'or des richesses d'Is... l'or des mollesses, des voluptés, des luxures et des rêves... l'or des palais engloutis sous la mer... l'or de l'Orient... l'or des mirages et des mythes séculaires...

Cet or, qui couve au sous-sol de toutes les âmes celtes, justifierait l'inscription inquiète que nous lisons au socle de la madone : Itroun Varia Rumengol - Mirit ousimp na deimp da goll !

« Madame Marie de Rumengol — Gardez-nous pour nous empêcher de nous perdre ! ».

Gardez-nous, Marie, de cette rouge pierre perdue, mais qui peut être encore ensevelie dans le limon de nos cœurs... Gardez-nous de l'autel antique sur lequel nous pourrions sacrifier encore aux anciens dieux, au dieux d'Ahès...

Gardez les Celtes de la Morgane éternelle.

Vierges oubliées

Jadis, tout bon Breton se croyait tenu d'accomplir, une fois au moins dans sa vie, le pèlerinage des sept saints, le « Tro-Breiz » qui, le menant de sanctuaire en sanctuaire, lui faisait parcourir les routes de son pays de Saint-Malo à Saint-Pol, de Quimper à Saint-Brieuc, de Dol à Tréguier et à Vannes...

Celui qui voudrait, aujourd'hui, visiter toutes les madones de Bretagne ne s'en acquitterait sûrement pas aussi vite, fût-il cependant parti au volant de son auto, dédaigneux désormais du bâton du pèlerin !

Car elles sont innombrables, les Vierges de chez nous.

L'année même de la grande guerre, en février 1914, un prêtre du diocèse de Rennes, l'abbé A. Millon, avait eu l'idée de composer sous le titre un peu imprudent, « Les Grandes Madones Bretonnes », une sorte de « mois de Marie historique », où trente et une de nos Vierges armoricaines figurent pieusement.

Groupées par département, on y compte sept pour l'Ille-et-Vilaine, huit pour les Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), huit également pour le Finistère, cinq pour le Morbihan, et trois seulement pour la Loire-Inférieure, toutes les trois, du reste, dans la seule ville de Nantes.

Or, à Josselin, on me rapportait que lors d'une récente fête religieuse, vingt-deux Vierges du diocèse de Vannes étaient venues, des quatre coins du Morbihan, grouper leurs pèlerins sous le buisson d'ogives de Notre-Dame du Roncier.

C'est dire que cette rapide étude ne sera pas plus complète que d'autres. Il n'existe pas encore une litanie entière des sanctuaires de la Vierge en Bretagne. Il n'en existera peut-être jamais, tant serait longue et coûteuse la réalisation d'un pareil livre. Les croyants, comme les artistes, en verraient la publication avec joie pourtant. Car presque toujours, en Bretagne, l'Art est inséparable de la Foi.

Les pages que je viens d'écrire, dans la lumière empoussiérée du 15 août, tandis que tinte sur la colline, la cloche rurale de Notre-Dame de Nazareth, sont trop profanes pour les pèlerins, et, pour les érudits, trop hâtives... A peine sont-elles comme un signe amical aux rêveurs et aux artistes, pour leur indiquer, d'un geste vague, quelques clochers dans la campagne...

S'ils suivaient seulement ce geste et désiraient connaître ne fût-ce que celles-là, que je viens d'énumérer, ils feraient déjà un beau pèlerinage !
Et pourtant, je le répète, ils n'en feraient pas un complet. Dans le bavardage lointain des cloches, il me semble ouïr maintenant les noms cristallins des Vierges oubliées... Notre-Dame de Lusivily, au Ponthou [Note : Qui se doit visiter, le même jour que deux autres Vierges : usage fréquent, du reste, en Bretagne, où le nombre trois est particulièrement sacré] ..... Notre-Dame du Coudrays, en Bain-de-Bretagne... Notre-Dame de Bonabry, à Fougères... Notre-Dame de Pitié, en Lanvellec... Notre-Dame de Bon-Port, en Guipry... Notre-Dame de Penhars, en Pouldreuzic... Notre-Dame de Kergoat, en Quéménéven... Sainte-Marie-du-Ménez-Hom, en Plomodiern... Notre-Dame des Brulais... Notre-Dame de Paimpont... Notre-Dame de Kerdévot... Itron Varia Chras, en Plusquellec... Notre-Dame de Comfors, en Berhet... Notre-Dame de l'Isle, en Goudelin... Notre-Dame de Bodskao, à Quimperlé... Notre-Dame de Monserrat, en Saint-Malo-de-Phily... Notre-Dame de Bécherel... Notre-Dame de Confort, en Meilars... Notre-Dame de Guiaudet, en Lanrivain... Notre-Dame de Carmès, en Neuillac... Notre-Dame du Pénity, en Persquen... Notre-Dame du Tertre, à Chatelaudren... Notre-Dame de Grande-Puissance, à Lamballe... Notre-Dame de Roscudon, en Pontcroix…
Notre-Dame de la Peinière, en Saint-Didier... Notre-Dame de Miséricorde, à Nantes... Notre-Dame de Grâce en Guenrouet... Notre-Dame des Langueurs... Notre-Dame des Douleurs... Notre-Dame de Bel-Air... Notre-Dame de Plaine-Haute... Notre-Dame du Nid-de-Merle… Notre-Dame du Chêne... Notre-Dame de la Fosse. etc...

Rythmés au branle des carillons, ces noms de Vierges inconnues, tintent comme l'angélus du regret dans ma mémoire... Tous ces sanctuaires, que je n'ai pu atteindre ! Sans compter encore ceux dont je n'ai même pas entendu parler !...

Pardonnez-moi, Vierges cachées au bout des chemins que j'ignore, Vierges que la dévotion abandonne, sous les toiles d'araignées des sacristies, sous la mousse verte des fontaines, sous la poussière de l'oubli… Innombrables images de l'Unique Immaculée, avant de signer ces pages, je voudrais élever vers toutes la même prière et le même Ave !.

Car il n'est pas de Vierges célèbres et de Vierges déshéritées. Elles sont, toutes, la Glorieuse, dans la même gloire de l'Assomption. Nos préférences, nos dilections, penchants païens d'un impur fétichisme, ne doivent pas nous voiler l'unité spirituelle qui domine toutes ces statues.

Aussi m'apparaît-il que je les honore toutes, en une seule, celles de Bretagne, et celles de France, et même celles du monde entier, lorsque je regarde celle de ma chambre, fixée au bois d'un vieux lit-clos.

C'est une petite Vierge, taillée par un Breton dans une racine de buis. Quand elle me fut offerte, le bois tout frais creusé, encore à vif de sa blessure, luisait, blanc, comme de l'ivoire... Chaque jour la patine un peu plus, de tous les tons dorés de l'ambre... C'est une Vierge aux yeux fermés, les mains jointes sur son mystère... Et, dans sa silhouette menue, j'englobe toutes les Vierges de la Terre...

Cependant, elle est bien de « chez nous ! ».

Faite de l'arbuste cagneux et tors, qui vivote, en mendiant bossu, à la lisière des janaies éclatantes, elle porte en elle la sève de l'Argoat mystique et l'art, tellement celtique, des vieux tailleurs d'images...

Madone de la paix, de la grâce, ou de l'espoir, elle est sœur émouvante des « Notre-Dames » de chêne, soeur des plus vénérées et des plus humbles aussi... Des plus humbles, surtout ! Car je chéris en elle les Vierges oubliées... Et je lui donne un nom qui les résume tous : Notre-Dame de la Confiance.

(M. -P. SALONNE).

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