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BROONS : de la Restauration (1815) à la guerre de 1914 |
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De la Restauration à la 3ème République
1815 — 1870.
LA VIE MUNICIPALE.
En 1815, autant comme conséquence de la loi électorale que par suite de la lassitude générale, la municipalité fut de droite avec Yves Miriel, comme maire nommé par le Préfet ; il devait rester en fonction jusqu'en 1845, date à laquelle il est remplacé par Ambroise Bouvier, jusqu'en 1848.
La Révolution de 1848 nous apporte un maire républicain, Louis Rochefort, qui céda la place, à l'avènement de l'Empire, à Pierre Le Breton, 1852-1860. Il eut un successeur dans la personne d'Emile Ferron, jusqu'à l'avènement de la IIIème République, le 4 Septembre 1870.
LA VIE RELIGIEUSE.
L'esprit religieux est en pleine renaissance. Les excès de la Révolution avaient rebuté les consciences. A la faveur d'événements politiques favorables et à l'abri du Concordat, deux événements considérables se produisirent à Broons : la naissance de la Congrégation des Filles de Sainte Marie de la Présentation et la création de l'enseignement primaire.
LA CONGRÉGATION.
Deux soeurs, les Demoiselles Lemarchand, demeurant chez leurs parents, rue de la Croix-Plate, résolurent de renoncer au monde et de consacrer leur vie aux oeuvres de charité. Elles se retirèrent dans un humble logis, rue de la Glacière, où elles vécurent dans les plus grandes privations, secourant les malades et les miséreux. Ce fut l'abbé Fleury, curé de Broons, qui leur donna une règle et imposa un sens déterminé à leur bonne volonté. La Congrégation fut définitivement fondée vers 1826, mais ses constitutions ne furent approuvées qu'en 1845 par Mgr Le Mée, évêque de Saint-Brieuc. L'autorisation civile est du 30 Mars 1843. Elle se développa rapidement et l'on commença à construire, dans le champ de la Croix-Rouge appartenant à M. Lemarchand père, les bâtiments qui s'élevaient naguère le long de la route de Sévignac et au haut de la côte. Une chapelle fut ménagée dans ces constructions. C'était tout simplement une grande pièce sans aucun caractère architectural religieux.
Bientôt les Soeurs ouvrirent une école de filles qui fut de suite très prospère. Comme nous le savons, c'était une nouveauté. Un pensionnat y fut adjoint plus tard.
Une succursale fut bientôt fondée à Plestan, qui fut transférée à Lamballe en 1851. Dès 1850, la Congrégation avait pourvu six paroisses d'institutrices. Puis elle fonda des établissements dans le Berry, le Beauvaisis et la région parisienne.
L'INSTRUCTION PRIMAIRE.
En 1817, au début de la Restauration, l'abbé Fleury, curé de Broons, et Yves Miriel, le maire, prirent à tâche de relever et développer l'instruction primaire. Ils parvinrent à mettre sur pied une école mixte payante. Un local bien modeste fut mis à leur disposition, ce fut l'ancienne mairie. Puis M. l'abbé Fleury, qui avait connu J.-M. de la Mennais, fondateur de la Congrégation des Frères de Ploërmel, usa, près de lui, de son influence et put obtenir un instituteur. Ce fut le Frère Jacques. De suite l'école fut assiégée, on dut organiser un cours d'adultes.
En 1832, l'école fut tenue par le Frère Edmond. En 1835, on put faire l'achat d'un immeuble à la Ville-Galopé où l'on aménagea deux classes qui se remplirent d'élèves. Puis vinrent le Frère Judicaël, aidé d'un adjoint jusqu'en 1855 ; puis le Frère Berchmann et son adjoint le Frère Philothée qui devaient se maintenir jusqu'en 1877.
Survint la Révolution de 1848. Le nouveau maire, Louis Rochefort, tout acquis aux idées nouvelles, suscita un concurrent à l'école chrétienne des Frères. Il installa un nommé Cahurel qui ouvrit une école, route d'Eréac. Elle dura de 1852 à 1856. La nouvelle école ayant perdu son soutien dans la personne du maire Rochefort, Cahurel abandonna la partie. Le nouveau maire, Pierre Le Breton, était favorable à l'école des Frères qui put s'enraciner et se développer tout à souhait ; il en fut ainsi sous l'édilité d'Emile Ferron.
COMMERCE ET INDUSTRIE.
Si le commerce s'étend et prospère grâce à la longue période de paix réparatrice et notamment sous le règne de Louis-Philippe, nos petites industries périclitent. L'industrie du fer est morte depuis longtemps et les artisans cloutiers s'éteignent l'un après l'autre sans être remplacés, tués par l'avènement de la grande industrie. On sent que le tissage local est déjà atteint, mais il ne disparaîtra pas de sitôt malgré la concurrence des tissus et cotonnades déversés sur le marché sortant des machines. Par contre, Broons s'est enrichie d'une tannerie, propriété des Ferron, qui passera aux Fleury, aux Bourdais, pour s'éteindre définitivement.
Nos foires et marchés sont plus suivis que jamais. On y vend non seulement chevaux et bestiaux, denrées agricoles, mais tous articles de ménage, draperies, tissus apportés sur place par des marchands ambulants. C'est l'époque de la « Vente au déballage » qui sera bientôt réglementée, comme étant préjudiciable au commerce local.
Les marchands ambulants on les rencontre partout, sur les places, sur les routes : marchands de chaussures, de lainage, de tapis, etc... etc..., sans oublier le marchand de vaisselle qui casse à grand fracas des piles énormes de marchandises invendables pour apitoyer le client sur sa misère et mieux lui « refiler » sa camelote.
TRAVAUX PUBLICS - ÉDILITÉ.
Durant tout le XIXème siècle, les travaux publics furent poussés activement par suite du rétablissement des finances publiques.
Nos routes et nos chemins en avaient grand besoin, et spécialement la route de Dinan, paraît-il.
C'est à cette époque qu'on exhaussa la route Paris-Brest au Pont-du-Château, en construisant le remblai et le pont de pierres qui franchit la Rosette. Près de « chez Lamiré », on aperçoit encore l'ancienne route qui se trouve à droite en descendant la côte, en contrebas.
Mais c'est la grande Ordonnance royale du 21 Mai 1836 sur les chemins vicinaux, sous le règne de Louis-Philippe, qui fonda véritablement le système fiscal et administratif de notre réseau routier. Cette loi établit un classement des routes et leur affecta des centimes additionnels spéciaux. Nous eûmes, par la suite, le plus beau réseau routier du monde.
Certaines routes sont déviées de leur tracé pour être rendues plus commodes au roulage.
La route de Lanrelas côtoie désormais les étangs et la rivière. On débouche le fonds de la Place, entre les deux hôtels actuels (vers 1940) ; la route va joindre directement le Chalet.
En ce qui concerne les travaux communaux, voici encore quelques réalisations de cette époque :
1823. — Il existait au bout occident des Halles des débris d'une ancienne forge. Le terrain fut déblayé et l'on creusa à cet endroit le puits de la Place dont le forage est, suivant devis, de 1 m. 44 de diamètre et de 15 mètres de profondeur ; il fallut donc une pompe foulante. Travaux terminés en 1824.
1821. — On mettait en adjudication au rabais le numérotage des maisons et la peinture des noms de rue. Nos ancêtres furent très jaloux de donner à leur cité figure de vraie ville. Aussi les rues et les places avaient leur nom qui remontait souvent à une origine lointaine : le Martray, la Madeleine, Beaumanoir, le Bellouard, la Croix-Plate, etc... Il serait désirable que l'édilité reprit la tradition interrompue, en gardant, bien entendu, ces dénominations, anciennes et évocatrices.
6 Mai 1823. — Adjudication au rabais des réparations à faire à l'ancien reliquaire du cimetière destiné à servir de local au frère enseignant. Travaux : Ambroise Bouvier. Coût : 296 francs.
1823. — Travaux de réparation à l'ancien presbytère. Coût : 150 francs.
1826. — Devis pour loger un « garçon de ville ». On ne dit plus « valet » le mot paraît injurieux ! Sans suite.
On commence à parler sérieusement d'ériger un monument digne de sa gloire à notre Bertrand Du Guesclin. La population voudrait bien y trouver sa part de gloriole mais ne pas débourser. Une souscription ouverte en 1822 ne fournit pour la commune que 166 fr. 20, La souscription étendue à la Bretagne entière ne donna pas de résultat utilisable.
Cependant le Conseil Général décida en principe qu'un monument commémoratif serait élevé à la mémoire du grand Connétable. Déchargée du souci de payer, la population désira avoir le monument sur la place, quelque chose comme celui de Dinan, « dût-il en coûter 6.000 francs ». C'était se montrer généreux à bon compte.
Mais survint la Révolution de 1830 qui arrêta ces bonnes dispositions et l'affaire parut classée.
Le projet fut cependant repris en 1834. Le 15 Février, le terrain était acheté, soit 2.640 m2, pour une façade de 66 mètres. Ce terrain était prélevé sur la pièce de la Rivière, probablement les anciens fossés du Château.
La Colonne fut érigée en 1840. L'ensemble devait être prêt pour le 15 Octobre, mais il y eut quelque retard, et le Sous-Préfet Néel s'opposa à ce que l'inauguration eut lieu à un moment de l'année où les jours sont courts et le temps incertain, ce qui aurait nui à la solennité de la fête. La cérémonie fut reportée à l'année 1841.
La Colonne est un superbe monolithe en granit de Saint-Pierre-de-Plesguen, d'où il fut amené sur des chariots attelés de 36 chevaux, paraît-il. On peut se représenter que l'érection d'un pareil bloc était une opération délicate à un moment où on ne disposait que de treuils à bras. Il est vrai que dans le même moment, on dressait l'obélisque de la Concorde à Paris qui ferait un fameux 9 dans un jeu de quilles. Sans froisser la modestie broonnaise, il faut reconnaître qu'il regarderait notre Colonne de haut.
1835. — La Commune, à bout de ressources, demande l'autorisation de vendre une partie de ses biens communaux. Ces biens étaient laissés à l'abandon et étaient l'objet d'emprises dénuées de tout scrupule. Si bien que l'administration, pour mettre fin à ce pillage, avait employé un moyen ingénieux. Les occupants sans droit des terres communales étaient invités à signer une formule du genre suivant :
« Voulant profiter de l'ordonnance royale du 20 Juin 1819, après avoir pris possession de — tel ou tel lopin de terre — je m'engage à en payer les 3/4 de la valeur ». C'était mettre fin avec humour à cette foire d'empoigne ; quelque chose comme une confession publique suivie de pénitence agrémentée d'1/4 de circonstances atténuantes avec absolution. La famille d'Orléans se rendit acquéreur des Landes dites de Louis-Philippe.
1849. — Le plan du lavoir de Pen-an-Hoët est approuvé.
1849. — On envisage pour la première fois la construction d'une nouvelle mairie. Le projet comportait la démolition de la partie Ouest des Halles et l'édification d'un bâtiment élevé sur trois arcades à piliers de pierre qui aurait abrité un marché couvert et un corps de garde. Les bureaux auraient occupé l'étage unique. Le devis se montait à 20.331 fr. 14. Il ne fut pas donné suite à ce projet.
Mais l'idée était en chemin et fut reprise en 1853, Pierre Le Breton étant maire, sur un devis de 13.018 fr. 50 et 1.500 d'imprévu. C'est ce projet qui a abouti à la construction de la mairie actuelle, édifiée en 1859. Travaux soumissionnés par Jean Lebret, entrepreneur à la Poussinnière, en Caulnes.
Entre temps, trois porches au midi des Halles sont adjugés aux sieurs Chochon, Blandin, Chevalier, Louis Rochefort étant maire.
En 1850, on avait fait acquisition d'un matériel d'incendie. C'est la création du Corps des Pompiers.
Pompe avec tuyaux cuir, rivés cuivre : 1.331 fr. 50, 25 casquettes en tôle vernie : 137 fr. 50, 25 cols d'ordonnance : 25 fr., 25 blouses coton avec bouton cuivre : 137 fr. 50, 25 ceinturons : 100 fr., 1 clairon : 18 fr.
1856. — Acquisition d'une partie des Halles des héritiers de Saint Pern. Coût : 1.000 francs.
1861. — Une partie des greniers des Halles est affermée 13 francs sur une mise à prix de 12 francs à Ferron, maître de Postes.
1863. — On établit des droits d'entrée aux foires et marchés. La demande d'autorisation fait valoir que la Commune est très pauvre. La vente des biens en 1835 n'avait donc pas suffi à renflouer les finances.
1863. — Autorisation de vendre les vieilles pompes.
De la 3ème République à la guerre de 1914
1870 — 1914.
La guerre terminée, le pays entier se remit sagement au travail et la prospérité ressuscita d'un bond, comme par enchantement. Dès 1875, la vie était redevenue normale.
La Constitution de 1875, oeuvre d'une Assemblée qui n'était pas en majorité républicaine, nous donna la IIIème République.
De suite la politique intérieure échauffa les esprits et à la suite de l'essai de gouvernement personnel du Maréchal de Mac-Mahon, 1877, tendit à s'écarter de l'esprit traditionnel.
L'anticléricalisme et la laïcité seront bientôt et pour longtemps en tête du programme du gouvernement.
A Broons, la municipalité est républicaine, d'abord avec Louis Rochefort, 21 Octobre 1870 — 8 Avril 1873. A cette date jusqu'au 1er Mars 1874, Eugène Legault occupe la mairie, puis Victor Miriel jusqu'en 1878 ; il la gardera jusqu'au 1er Mai 1892.
LA QUESTION SCOLAIRE (suite).
En 1871, on met à jour le projet d'aménagement du bel immeuble situé en haut de la côte de Pen-an-Hoët, l'ancienne propriété Ferron, pour y créer un groupe scolaire. Le devis des travaux s'élevait à 18.446 fr. 29. L'affaire fut classée sans suite mais la question scolaire resta à l'ordre du jour.
En 1877, nous arriva le Frère Amélien qui devait rester si longtemps parmi nous. Il avait 18 ans. Plus tard, lui fut adjoint le Frère Abdon.
L'école de la Ville-Galopé était devenue insuffisante. La municipalité vota le 20 Avril 1880 l'achat du Clos Posquet tout voisin appartenant à M. François Ferron. Une construction s'éleva aussitôt sur un devis de 46.432 fr. 42. L'Etat y contribuait pour 6.000 et le département pour autant. L'école y fut installée aussitôt.
En 1886, le Conseil municipal vote le transfert de cette école de garçons à l'école du Bellouard. Car, entre temps, la municipalité, poussée par la loi scolaire, avait acheté le Champ des Hautes-Pâtures à M. Robert, de Rennes — famille Régnier de l'époque révolutionnaire — et construit l'école actuelle. L'école de la route de Rennes devenait l'école des filles.
Poursuivant l'oeuvre de laïcisation, le Conseil municipal vota en Août 1889 l'expulsion des Frères de l'école du Bellouard. Les Frères durent abandonner la place ; ils furent recueillis, avec leur maigre mobilier, par Madame Delaroche, qui mit à leur disposition une partie de son immeuble, vers 1945, épicerie Lemarchand. Les Frères Amélien et Abdon y firent la classe.
Du même coup, l'école laïque se trouvait créée à Broons. Cette fois, l'Etat avait produit un très gros effort pour l'instruction populaire. Cette école, organe de l'Etat, n'a, pour ainsi dire, pas d'histoire. Elle se partagea les élèves de la commune avec l'école libre. Le premier directeur d'école fut M. Grouazel qui fut une figure bien broonnaise, caractéristique de l'esprit officiel à cette époque. Ceux qui l'ont connu n'oublieront pas cette silhouette de bon vivant, à l'éternelle jaquette flottant au vent comme un drapeau. Lorsqu'il quitta la direction, il ne put se résoudre à abandonner Broons où il avait acquis droit de cité et où il voulut mourir. Les autres instituteurs les plus marquants furent MM. Perrin et Chatton.
L'école des filles fut longtemps dirigée et tenue par les Demoiselles Loyer ; elles surent avec beaucoup de tact et de dévouement tenir l'emploi rendu souvent difficile par l'état de tension politique.
Mais revenons à l'école des Frères. Quelques généreux citoyens se mirent en tête de continuer son existence à l'école libre. Le « Courtil du Pavé » fut acheté à Mlle Maisonneuve. Les travaux furent rondement menés et furent achevés le 15 Octobre 1889. Les charrois avaient été bénévolement fournis par la population. On attendit cependant jusqu'au 8 Janvier 1890 pour, les plâtres étant secs, ouvrir la nouvelle école. Cent cinquante élèves garnirent aussitôt les bancs des deux classes.
Une fois de plus, les représentants de la population se trouvèrent en contradiction avec leurs électeurs. Ceux-ci, impressionnés par les événements scolaires, signifiaient son congé à la municipalité aux élections de 1892. M. Emile Ferron rentrait à la mairie qu'il tint jusqu'à sa mort, 1895. M. Charles Saliou lui succéda et s'y maintint pendant 30 ans avec toute sa liste.
Le parti républicain est, à ce moment, conduit par le Docteur Laurent. Sa forte tête, abritée sous un feutre à larges bords, représentait le type même de l'homme bourru. En politique, il eut toute l'intransigeance d'un farouche Jacobin. Dans la vie privée, tout le monde reconnaissait sa haute probité et son savoir professionnel.
Les Frères Amélien et Abdon, réintégrés dans leur fonction, y vécurent en paix, jusqu'aux lois de 1901.
Le Frère Amélien se retira de la direction en 1901 pour passer adjoint et donner à lire aux tout petits. « Je suis devenu professeur de grosses lettres ! », disait-il, en bourrant son nez de pétun. « Saperboïlle ! ».
Une figure bien broonnaise ! Qui donc oublierait cette silhouette ensoutanée, à figure éveillée, aux petits yeux brillants ? Il s'avance à enjambées énormes qui rendent sa démarche ondulante, en relevant son froc pour faciliter son allonge.
Il est bon instituteur sans doute, mais il a le coup de baguette facile. Qui se souvient de son exclamation favorite : « Ah ! Sabot ! », et il était prudent de rentrer ses petits doigts !
« Un tel », R… r... r... rang ! Cela éclatait dans la classe comme un coup de tonnerre. L'infortuné écolier désigné devait se lever précipitamment et venir s'aligner devant le tableau noir, sur le rang car il n'était pas seul le malheureux ! C'était en somme l'exposition publique des indisciplinés. Et il y avait des jours où ça pleuvait ! Et il est plus facile d'en rire aujourd'hui qu'en ce temps-là.
Comme créateur de la musique, Dieu sait quelle patience opiniâtre il dut employer pour apprendre leurs notes à des gamins évaporés, pour inculquer quelques notions élémentaires de musique à des esprits quelquefois médiocrement doués.
En sa qualité de musicien, le Frère Amélien tint longtemps à l'église l'harmonium qu'on appelait irrespectueusement la « Dérouine ». C'est lui qui « la menait ».
Entre temps, le Frère Amélien remplissait les fonctions d'expert rural. Il s'entendait réellement aux constructions et faisait les bornages. Il dressait des devis et réglait les mémoires des entrepreneurs à la satisfaction de tous. Il avait introduit dans son école l'enseignement agricole.
Redevenu M. François Rivron, il conserva, sous le vêtement civil, la considération que son savoir et son caractère bonhomme lui avaient méritée. Il a laissé le souvenir d'un homme de bien utile à son pays.
Une figure bien sympathique aussi celle du Frère Abdon. Un « bon corps » celui-là, de la race solide des Cornouaillais, un de ceux qu'on s'est plu à représenter portant aux processions la bannière paroissiale en s'arcboutant contre le vent qui souffle en tempête. Il avait une voix de tonnerre. On aurait pensé qu'un tel homme dut tout écraser, mais il était doux comme un mouton. Nous le voyons encore dans sa démarche majestueuse de bel athlète, s'avancer solennellement en rondissant des bras. Lui aussi dut reprendre l'habit civil. Redevenu M. Le Garrec, il se retira à Riec-sur-Belon.
Le successeur du Frère Amélien fut le Frère Philorome dont la dignité de vie et la grande foi religieuse lui concilièrent l'amitié respectueuse de tous. Redevenu M. Mahé, il est mort pieusement à Broons, comme un saint des temps antiques.
1883. — Une pétition de citoyens est présentée pour faire donner le nom du grand tribun Gambetta au chemin qui met en communication la route de Plumaugat et les Portes-Mares. La célébrité de l'homme politique ne s'est pas étendue à la voie publique qui porte son nom. Mais ce petit événement est très caractéristique de l'époque. Gambetta est mort en 1882. Il avait été le grand patron de l'anticléricalisme antireligieux.
La loi de 1884 créa la municipalité moderne et la libéra d'une tutelle administrative un peu trop lourde. Les maires sont désormais élus par les Conseils municipaux.
LES POMPIERS.
En 1892, les pompiers de Broons étaient : M. Lefaucheur (lieutenant), Bourdais (sergent-major), Laguitton Pierre-Marie (sergent), Salleyrette (sergent), Jeuneu (porte-drapeau), Chapelain (caporal), Lagoutte (caporal), Rehel (sapeur), Hamon, de la Ruette (sapeur), J. L. Renault (sapeur, son fils, J. L. Renault lui succéda), Jardin (tambour), Renault Eugène (clairon), Quintin (clairon), Lémy Pierre (soldat), Labbé (soldat), Colombel (soldat), Faux (soldat), Bouillon (soldat), Tardif Célestin (soldats), Botrel Victor (soldat), Biou Mathurin (soldat), Barbé Julien (soldat), Duschesne (soldat), Hamonic (soldat), Lescop (soldat), Piedcoq (soldat) et enfin Molé, l'héroï-comique époux de dame Secouette. Ajoutons que J. L. Renault, père et fils, cumulèrent avec les brillantes fonctions de sapeur, l'emploi d'artificier et de grand ordonnateur des fêtes publiques : tourniquet, mât de cocagne, bain russe, pots cassés, ...
LA DEMOLITION DE L'EGLISE - L'ÉGLISE PROVISOIRE - LA NOUVELLE ÉGLISE.
Le moment est venu de parler des trois grands événements qui ont changé la physionomie de notre cité : la disparition de la vieille église et des Halles, la construction de la nouvelle église.
Parlons d'abord de l'ancienne église. Il n'existe que très peu de représentation de l'ancienne église. Le monument qui datait du XVème siècle avait, dans son ensemble, plus d'un rapport avec l'église de Mégrit. Grand vaisseau de granit, sans bas-côté, ayant son entrée monumentale avec grand perron à l'Ouest et l'abside à l'Est ; juste le contraire de l'église moderne. Son clocher élevé était en charpente de bois, couvert d'ardoises, accosté de clochetons également couverts d'ardoises. Le clocher n'était point dans l'axe du bâtiment mais sur le côté midi, comme la tour actuelle se trouve sur le côté nord. Au pied du clocher, s'ouvrait la sacristie à laquelle on accédait de la place par un escalier d'environ 8-10 marches. Le niveau de l'église semble donc avoir été plus élevé qu'il ne l'est aujourd'hui. En face de la mairie, se développait le transept qui n'existait que de ce côté avec un grand porche d'entrée en ogive. Du côté nord, une simple porte. Deux ifs verdoyants, la triste parure des cimetières, poussaient l'un près de la sacristie, l'autre près de la porte nord, derniers vestiges de l'ancienne nécropole. Depuis 1871, l'horloge actuelle était logée dans le clocher, ayant son cadran unique face à la place.
A l'intérieur, l'aspect était pauvre. Deux rangées de bancs avec allée centrale. Une tribune appuyée sur des poteaux de bois cannelés était probablement postérieure à la Révolution. Au devant de chaque rangée de bancs, un autel. Dans le transept, un autre autel adossé à la muraille levant.
Le choeur était meublé d'un autel de bois peint en blanc et à dorures. Au-dessus, s'élevait un baldaquin de bois doré, soutenu par quatre colonnes de stuc ; les colonnes provenaient, paraît-il, de l'Abbaye de Boquen ; ceci nous fait souvenir que cette Abbaye était possessionnée à Broons avant 1789.
Une mention spéciale se doit au portail monumental de style ogival, très ouvragé.
Si la description est inexacte, il ne faut accuser que la mémoire de l'auteur qui avait, à cette époque, 7 ans.
Elle fut démolie en 1894. Ce fut un massacre. On n'en a sauvé que bien peu de choses : la chaire, quelques bois sculptés, un autel conservé dans la sacristie, quelques statues de bois.
On attela de grosses cordes sur le faîte de la charpente, une partie de la population vint haler dessus, et l'auteur aussi. Ce fut tout de même un rude moment d'émotion lorsqu'elle s'abattit avec fracas dans un nuage de poussière jaune. Là, le coeur de la paroisse avait battu pendant quatre siècles.
On employa le même procédé pour abattre le baldaquin de l'autel et ses colonnes de stuc. Les deux premières colonnes se brisèrent en morceaux dans leur chute. C'est alors que certains notables intervinrent pour qu'on prit plus de ménagement. Les deux dernières colonnes furent jetées à bas sur des fagots et atterrirent intactes. Ce sont elles qui supportent la tribune de l'église actuelle.
Nous savons que l'église avait été dépavée lors de la Révolution pour la recherche du salpêtre, aussi ne trouva-t-on pas trace de sépulture ancienne ou d'enfeu, à moins que... Mais beaucoup d'ossements furent mis à jour par les fouilles des fondations nouvelles qui débordaient sur l'ancien cimetière.
L'AMÉNAGEMENT DES HALLES.
Pendant ce temps, on avait aménagé les Halles à la suite d'une délibération du Conseil municipal en date du 15 Avril 1894 pour servir d'église provisoire. C'était une grande construction en charpente de bois, montée sur piliers de granit carrés à l'extérieur et à l'intérieur par des poteaux de bois en deux rangées. La toiture descendait très bas en pente rapide : les charrettes, de ce fait, ne pouvaient y entrer que par les deux bouts. L'intérieur se trouvait divisé par les rangées de poteaux comme une église en nef centrale et deux bas-côtés.
On boucha avec des briques l'intervalle des piliers extérieurs ; le choeur et la sacristie furent logés dans un bâtiment de briques, raccordé tant bien que mal, au bout orient, à la charpente des Halles. Au bout de la sacristie, on construisit un robuste bâti en bois de charpente provenant du clocher sur lequel on établit les cloches. Le bedeau Potier habitait juste auprès. On aménagea un campanile pour la cloche des baptêmes dans le bout couchant.
A l'intérieur, on disposa les bancs de l'ancienne église, les autels furent mis en place, le tout comme on put... Ce fut une étuve en été, une glacière en hiver.
L'église démolie, on se mit à l'oeuvre immédiatement. On creusa les fondations. Sont-ils encore nombreux ceux qui, comme l'auteur, ont fait d'interminables parties de cutte-caché et de petite guerre dans le dédale de ces terrassements ? Là, nous apprîmes inconsciemment la judicieuse utilisation des boyaux, des chicanes et des pare-éclats. Nous en avons utilisé d'autres depuis.
L'église moderne est l'oeuvre de M. Auguste Carcain, un Broonnais d'origine, dont beaucoup se rappellent la bonhomie accueillante, et de M. Eveillard, entrepreneur à Lamballe. Ce dernier avait un représentant permanent, M. Pierre Alie, contremaître des travaux, qui acquit chez nous droit de cité.
La construction alla bon train. Les matériaux furent apportés par des charrois volontaires. Le Dimanche, au prône, le prêtre donnait les noms des personnes invitées à participer à l'approvisionnement des chantiers.
Le 2 Juin 1895, à l'occasion de la Confirmation, eut lieu la bénédiction de la première pierre sous une pluie diluvienne. L'obésité de Mgr Fallières, évêque de Saint-Brieuc, s'accommodait fort mal des madriers glissants de boue gluante qu'on lui plaçait devant les pieds pour lui permettre d'atteindre la pierre sacrée. Cette pierre est toujours visible au chevet de l'église, en dehors. Elle porte une croix et la date 1895. Elle renferme, scellées dans la pierre, des pièces de monnaie.
Le gros oeuvre terminé, on s'occupa de meubler. Les autels avaient été commandés à un sculpteur de Romillé (Ille-et-Vilaine). Tous les gamins de la ville, dont l'auteur, ont participé à l'opération qui consistait à teindre le bois sculpté, puis à le passer au vernis. Le maître de l'oeuvre vous allouait généreusement deux sous, de temps en temps. C'était, en ces temps heureux, une petite fortune. On la plaçait sans délai chez le pâtissier Costa.
On a fait preuve de bon goût en réduisant de volume cet échafaudage de colonnettes et de clochetons sans proportions avec l'église.
La fourniture des bancs fut répartie entre tous les menuisiers de Broons, suivant un modèle unique.
Enfin, l'édifice terminé et suffisamment meublé, la bénédiction solennelle fut donnée le 20 Novembre 1898 par Mgr Fallières, évêque de Saint-Brieuc.
D'aspect un peu sévère et massive à l'extérieur, elle ne comportait qu'une tour sans clocher, elle a été heureusement complétée d'une flèche élégante et de profil simple, ce qui convenait à la modestie architecturale de l'ensemble.
Mais pourquoi faut-il qu'un esprit mieux intentionné qu'entendu dans l'art décoratif ait cru devoir « orner » le tympan du portail d'une affreuse enluminure mosaïquée ? Ce père Eternel jure... si l'on peut dire, à la porte de son temple de pierre. Franchement ! au nom de l'art et du bon goût, on devrait enlever cette image d'Epinal.
A l'intérieur, il faut reconnaître que l'église est l'oeuvre d'un artiste ; la nef est de très belles proportions et l'éclairage est fort bien distribué. Peut-être aurait-on pu placer ailleurs les deux colonnes de stuc rescapées du massacre de l'ancienne église. Elles détonnent au milieu de leurs sœurs de granit. Mais c'est un souvenir, mieux : une relique.
LA DÉMOLITION DES HALLES.
Les Halles ayant rendu à la population leur dernier et loyal service, et le culte étant transporté dans la nouvelle église, on décida leur démolition par délibération du Conseil municipal en date du 25 Septembre 1898. L'opération eut lieu immédiatement. Les piliers de granit furent fendus avec des coins dans le sens de leur longueur.
(Emile Le Giemble).
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