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LES PRÊTRES DE BUBRY PENDANT LA RÉVOLUTION
** vers la Paix **

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I. — Les Videlo et le ralliement à la République consulaire. — Deux lettres intéressantes. — Où l'on retrouve M. Bertrand.

Les 18 brumaire ne fit pas cesser immédiatement la persécution, pas plus que le 9 thermidor n’avait brusquement mis fin à la Terreur. Les vainqueurs du Directoire songeaient encore moins à la liberté religieuse que les vainqueurs de Robespierre à la liberté politique.

Le Premier Consul n’était ni partisan ni adversaire systématique des catholiques ; mais il comprenait mieux que personne la nécessité de travailler à la pacification. Pour la préparer, il se mit à pratiquer, timidement d’abord, avec hésitation et non sans reculs, plus ouvertement dans la suite, avec l’appui de l'opinion publique, ce qu’on est convenu d’appeler une politique d’apaisement.

Il comptait bien en toute hypothèse se faire payer par le clergé et les catholiques, le peu de liberté qu’il pourrait leur rendre et se servir de la religion restaurée par ses soins, comme d’un instrument de règne.

Les arrêtés des 7 et 14 nivôse-29 décembre et 6 janvier, accordèrent aux prêtres de toutes catégories le libre usage des édifices destinés au culte, et, en lieu et place des serments antérieurs, imposèrent seulement la promesse de fidélité à la Constitution de la République.

Dans la pratique l’obéissance à ce décret fut facilitée par tous les moyens. « Une grande tolérance pour les prêtres », écrivait Bonaparte à Brune en lui confiant le commandement de l'armée de l'Ouest. Et « en fait, dans les départements de la ci-devant Bretagne et en Vendée, la tolérance envers les insoumis devint positive, absolue, officielle. Détacher le catholicisme de la fidélité monarchique, séparer l’autel du trône, c'est toute la politique de Bonaparte, en ces pays de foi exaspérée... Au cours de pourparlers pacificateurs il avait même permis au général Hédouville, de ne point insister sur la promesse à exiger des prêtres ; conséquemment les commandants militaires délivraient aux insoumis des cartes de sûreté et des autorisations d’exercer. Les préfets eurent à continuer ce système » [Note : ALB. VANDAL, L'Avènement de Bonaparte, t. II].

Telle fut, en particulier, la politique suivie dans le département du Morbihan, par les généraux Hédouville, Brune, Bernadotte, par les membres de l’administration centrale du département, enfin par le premier préfet Giraud-Duplessis et ses subordonnés. Ils tâchaient d’incliner les prêtres à la promesse par persuasion et par raisonnement; ils s’efforçaient de leur démontrer que cet engagement civil n’avait rien qui pût blesser leur conscience et altérer la pureté de leur orthodoxie. Parfois, ils se contentaient d’une promesse accompagnée de restrictions verbales ou écrites qui réservaient les points délicats. On alla même plus loin, et, en fait, les prêtres de toutes catégories furent admis à rentrer dans les églises de campagne, et à y célébrer les offices avec une certaine solennité ; on faisait plus que de les y autoriser, on les y invitait.

Il importait avant tout que, aux yeux du peuple, le catholicisme parût rétabli dans son plein exercice et que le gouvernement ne passât plus pour l’ennemi de Dieu. Bonaparte sentait que le vrai moyen de finir la guerre de l’Ouest était de n’en plus faire une guerre de religion.

Cette tactique n’eut pas partout et auprès de tous les mêmes résultats. Le clergé se partagea. La division portait sans doute sur la grande question de savoir si l’Eglise doit se désintéresser des formes de gouvernement et peut accepter toute puissance établie ; elle portait surtout sur la façon d’interpréter le formidable soubresaut qui venait d’ébranler le monde. Ce qui se débattait, sans que d’aucun côté on osât formuler en termes nets ce problème troublant, c’était de savoir si la Révolution était, oui ou non, un fait acquis, si le pouvoir qui en était issu pouvait, oui ou non, être regardé comme un gouvernement établi. Ce qui s'agitait sous une forme pressante et aigüe c’était, ce qu’on a nommé de nos jours la question du ralliement [Note : Dans les pages qui précèdent nous avons surtout utilisé les ouvrages suivants. LUD. SCIOUT, Histoire de la Constitution civile du Clergé ; ALB. VANDAL. L'Avènement de Bonaparte, tome II ; G. GOYAU. Les Origines populaires du Concordat, article paru dans la Revue des Deux-Mondes ; l’abbé SICARD etc...].

Parmi les prêtres du diocèse de Vannes, il y eut comme partout des ralliés et des intransigeants, ceux qui firent la promesse et ceux qui s'y refusèrent : une minorité de soumis et une majorité d’insoumis.

Dans sa généralité, le clergé morbihannais était en effet très loin d’accepter le gouvernement de Bonaparte et même de prendre vis-à-vis de lui quelque engagement que ce fût. Imbu de cette idée que l’Eglise est, par essence, une école de respect à l’endroit des pouvoirs légitimes, il perpétuait l'étroite solidarité qui unissait la cause du trône à celle de l’autel. La tradition religieuse et la tradition monarchique avaient été victimes de la même tourmente ; l'une et l’autre, associées en une commune détresse, ne devaient-elles pas être associées en un commun relèvement ? Telle était surtout l'opinion des prélats émigrés qui, de cette sorte de scrupule politique, firent comme une question de discipline ecclésiastique. De Londres, où il était exilé, l’évêque de Vannes, Mgr Amelot, resté irréductiblement attaché à la monarchie traditionnelle, dénonçait le nouveau régime comme portant « sur le front l’empreinte de l’iniquité », et proclamait en toute occasion les droits imprescriptibles de Louis XVIII. Sa pensée et ses instructions étaient parfaitement comprises et fidèlement transmises par celui qui, à cette époque, le représentait avec le plus d’autorité dans son diocèse, M. de Keroignan, recteur de Sarzeau et vicaire général.

D’autre part, les chefs insurgés s’opposaient de toutes leurs forces à cette politique qui devait, à brève échéance, amener la ruine de leur parti. Ils exécraient les ecclésiastiques qui, en se soumettant, dans quelque mesure que ce fût, aux exigences du nouveau pouvoir, semblaient reconnaître la République consulaire et accepter ses bienfaits. Et il s'en trouvait parmi eux qui étaient disposés à les traiter comme ils traitaient naguère les constitutionnels eux-mêmes [Note : Pour ce qui concerne l'histoire du clergé du diocèse de Vannes à cette époque, voir les articles très intéressants publiés dans la Revue Morbihannaise par M. SAGERET en 1904, 1905 et 1906. Voir aussi M. J. GUILLEMOT, Lettre à mes neveux sur la Chouannerie].

On devine quelle dut être, en ces circonstances, la conduite des frères Videlo. Très attachés à la monarchie légitime ; investis d'une particulière confiance de l'évêque et de ses grands vicaires dont Benjamin partageait les pouvoirs ; très liés avec le chef de chouans, d’Ancourt qui avait son quartier-général à Bubry même et dont ils passaient pour les inspirateurs, ils ne purent que réprouver tout acte susceptible d'être interprété comme une reconnaissance même indirecte du nouveau gouvernement. Pas un instant ils ne songèrent à faire la promesse de fidélité, ils repoussèrent même ces cartes de sûreté qu’offraient si complaisamment et à si bon compte les commandants militaires. Cependant, après la pacification de février 1800, au moment même ou leur frère, « Tancrède », déposait les armes et recevait une « passe », un sauf-conduit, du général Brune, ils crurent devoir eux aussi se départir dans une certaine mesure, de leur intransigeance : ils renoncèrent, momentanément du moins, au culte secret. Le dimanche de Pâques, ils recommencèrent à officier publiquement, non dans l’église paroissiale qui tombait en ruines, mais dans la chapelle de Sainte-Hélène, située tout près du bourg, sur la route de Guémené [Note : Arch. départ., L.863]. Ils n’allèrent pas plus loin dans la voie des concessions. Et même quelques semaines plus tard, ils revinrent au culte secret ; en cela ils ne faisaient qu’obéir aux instructions de M. de Kéroignan, confirmées peu après par Mgr Amelot lui-même.

Cependant la nouvelle organisation administrative décrétée par loi du 28 pluviôse an VIII-18 février 1800, était entrée en exercice.

Sous la direction du premier préfet du Morbihan, Giraud-Duplessis, le premier sous-préfet de Pontivy, Colomban-Louis d’Haucour, mettait tout en œuvre pour faire triompher, dans les limites de son arrondissement, la politique du Premier Consul. Par ses paroles, par ses écrits, par ses actes, il s'employait avec le plus grand zèle, à détacher les catholiques des chefs de l'insurrection. Il s’efforçait surtout de gagner les prêtres. Vers la mi-mai, il fit tenir aux ecclésiastiques, les plus en vue des régions voisines de Pontivy, une circulaire très étudiée, où il développait dans un langage persuasif et pressant les raisons qui, à son sens, devaient les déterminer à se soumettre à la République consulaire. Il exhortait les « bons prêtres » à qui il s’adressait à faire la promesse, tout au moins, à recevoir des « passes ». Il s’attachait à leur démontrer que le nouveau serment, au contraire de celui de 1790, était purement politique et ne touchait en rien au spirituel; que reconnaître la légitimité d’un gouvernement n’est pas approuver toutes ses lois ; qu’enfin l’intérêt national leur commandait le sacrifice de leurs préférences monarchiques. Salus populi suprema lex.

D’Haucour était de Pontivy comme les Videlo, et comme eux, issu d’une famille d’hommes de loi. Il les connaissait de vieille date ; il avait même, au début de la Révolution, prêté ses bons offices au recteur dans des circonstances délicates. Il ne manqua pas de leur adresser sa « lettre pastorale », comme il disait. Il y ajouta même des paroles aimables, des marques d'intérêt touchantes, souvenir des relations amicales d'autrefois. Il se fit insinuant, bienveillant, caressant : il mit tout en œuvre pour les gagner, espérant, grâce à eux, en gagner beaucoup d’autres [Note : Nous n’avons pas la lettre de M. d’Haucour, mais il est facile de la reconstituer par les réponses de MM. Videlo].

Ses efforts n’obtinrent pas le résultat qu’il en avait espéré. Les intéressés, flairant un piège, jugèrent prudent d’échanger leurs impressions et de se concerter pour adopter une ligne de conduite uniforme. Ils se rencontrèrent à Bubry même, le 18 mai. La réunion fut nombreuse ; y assistèrent avec Benjamin et Louis Videlo, MM. Guillo, dit Jérôme, courrier des chouans, Duparc, recteur de Melrand, Le May, recteur de Guern, Le Goff, Talmon, Ruellan, etc... Nous connaissons le résultat de cet échange de vues : on décida de différer toute soumission jusqu’à nouvel ordre [Note : Arch. départ, Haute police, ans 8-9].

Les Videlo y étaient pour leur part bien résolus à l’avance. Toutefois ils ne voulurent pas laisser sans réponse la lettre du sous-préfet. Ils tenaient à le remercier de l’intérêt au moins apparent qu’il leur témoignait et à protester auprès de lui de leurs intentions pacifiques : ils tenaient surtout à faire connaître sans ambages et sans réticences les motifs qui dirigeaient leur conduite dans cette question capitale du ralliement à la République consulaire. La réponse de Louis Videlo est datée du 17 mai, veille de la réuniop de Bubry ; celle de Benjamin, du 24. Ces deux lettres, très différentes de forme et d'allure, reflètent si bien l’état d'esprit de la grande majorité du clergé morbihannais à cette époque ; elles exposent si complètement les raisons de son attitude vis-à-vis du gouvernement de Bonaparte ; elles traitent au fond un problème si délicat et dont l’actualité est si loin d’être épuisée, que nous croyons utile, malgré leur longueur de les citer à peu près in extenso [Note : Arch. départ, Haute police, ans 8-9].

Nous donnons d’abord la lettre de Louis Videlo :

« J. M. J. Bubry, le 17 mai 1800.
Monsieur, ... Je me croyais parfaitement oublié des personnes qui autrefois me témoignaient quelque intérest, aussi n’ai-je pas été peu surpris en recevant la lettre que vous avez bien voulu m’écrire. Je suis on ne peut plus reconnaissant de vos bonnes intentions pour moi. Comme vous, je ne désire que le retour de la paix dans notre malheureux royaume, et je puis vous assurer que, s’il n’avait dépendu que de moi, nous en jouirions depuis longtemps Oui, Monsieur, malgré tous les bruits absurdes qu’on a fait courir sur notre compte, je puis dire avec vérité avoir fait mon possible pour cela. Mais il a falu des prétextes pour couvrir les vexations que l'on exerce à notre égard, il falait des victimes, et, comme on ne pouvait rien prouver contre nous, il a falu avoir recours à des moyens qui n’ont malheureusement que trop réussi dans les différentes circonstances où nous nous sommes trouvés. Si j’avais à vous faire l’appologie de ma conduite pendant la Révolution, je pourrais vous produire plus d’un exemple qui vous convainquerait que je n’ai jamais eu d’autre chose en vue que le bien de mon pays. Mais comme pour répondre à votre lettre je ne vous dois que la manifestation de mes sentiments, c’est à cela seul que je me borne.

...... Je ne refuse nullement l’exercice de mon culte ; mais si pour avoir la liberté de le faire, il faut que je trahisse ma conscience, mon parti en est pris, et, dût-il m’en coûter la vie, j’aurai, j’espère, le courage de dire qu'il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. Je ne sais pas trop à quoi on veut nous obliger en voulant nous faire prendre des passes ; mais si elles sont telles que j’en ai vües, je ne crois pas qu’on puisse les prendre sans se rendre coupable. Les termes, il est vrai, dans lesquelles elles sont conçues, n’annoncent pas une obligation stricte et rigoureuse, mais tout n’annonce-t-il pas que l’intention de ceux qui les donnent ne peut être autre que d’exiger des ecclésiastiques qu’ils emploient les moyens que leur fournit leur ministère pour les consolider dans leur usurpation ; et si cela est, comme on n’en peut guère douter, quel est le prêtre catholique qui peut tant soit peu s’y prêter ? Je sais, Monsieur, que la religion peut s’accorder avec tout gouvernement, mais je sais aussi qu’une fois l’autorité établie je dois la soutenir tant qu’elle existe. Sans doute, on veut nous faire croire que notre royaume est désormais une république et que l’autorité de notre Roi est passée entre les mains de ceux qui actuellement voudraient nous gouverner. Mais qui a pu donc détruire le contrat qui existait entre lui et nous ? Qui a pu lui ôter une autorité qu’il ne tenait que de Dieu ? Vous êtes trop instruit pour ne pas savoir ce que décident les meilleurs jurisconsultes en pareilles matières. S’il est des circonstances où l’usurpation se consolide et où alors tout sujet doit se soumettre, sommes-nous ici dans ce cas ? Notre Roi réclame ses droits, il est à même de les soutenir ; des milliers de bras sont armés pour lui faire rendre l’héritage de ses pères ; il commande à tout français de lui être fidèle, en défendant de faire la moindre chose qui pût lui être nuisible ; dois-je après cela balancer à lui obéir ? Sans cela quelle confusion dans tous les Etats ! Quelle sera l’autorité qui pourra compter sur le lendemain ? A Dieu ne plaise cependant que je veuille prêcher la révolte et porter à la guerre civile ! Non, Monsieur, je sais quels sont mes devoirs et je saurai me tenir dans les bornes qu’ils me prescrivent. Mais croyez néanmoins que, quand on me demandera si on peut prendre parti dans la République, je ne balancerai pas à prononcer que cela ne peut être. Et si, ce que nous devons tous désirer, le roi pouvait par lui-même faire valoir ses droits et exigeait le secours de ses sujets, je ne pourrais en conscience que décider en sa faveur. Jusque-là j’engagerai à la patience et à se soumettre à tout ce qui ne peut être contraire à son autorité. Voilà, Monsieur, quels ont été et quels seront toujours mes vrais sentiments. La religion m’en fait un devoir et je veux y être fidèle.

J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.  L. M. Videlo, curé de Bubry ».

Voici la lettre de Benjamin. « J. M. J. Bubri, 24 mai 1800.
Monsieur. J’ai reçu dimanche dernier avec bien de la reconnaissance, la lettre obligeante que vous avez bien voulu nous écrire à mon frère et à moi. J’y ai été d’autant plus sensible que je n’avais pas oublié combien vous vous êtes déjà intéressé pour moi, au commencement de la Révolution, pour m’épargner le désagrément d’aller en personne à Vannes, pour y rendre compte de ma conduite devant une assemblée générale des députés du département. Je vous écrivis alors et je vous fis un exposé simple et fidèle des motifs de ma conduite. Permettez-moi de suivre encore la même marche. Je ne crois pas pour le présent pouvoir mieux répondre à l’amitié que vous nous témoignez ; elle m’autorise à penser que ce sera pour vous une vraie satisfaction de nous en voir dignes, et elle m’inspire la confiance de vous dire sans crainte ce que je ne dirais sûrement pas à tout autre.

Puisque vous voulez bien regarder comme une jouissance d’apprendre par nous-mêmes que nous sommes définitivement fixés en quelque endroit, je vous dis avec le même plaisir que nous sommes fixés dans la paroisse de Bubri qui nous a été assignée par nos supérieurs et que nous y exerçons publiquement notre ministère ; nous y avons même toujours été fixés, ne l’ayant jamais quittée que pour quelques jours, selon les différentes tempêtes qui ont obscurci notre horizon.

Nous n’avons cependant pas pris de « passes », comme vous le désireriez pour notre bien, et cela parce que nous n’avons vu aucun règlement ni décret qui le prescrive, mais surtout parce que cela nous semble contraire au bien public et plus encore répugner à la droiture et à la sincérité qui doivent être en tout temps le caractère distinctif d’un ministre de J. C.

L’étrange abus qu’on a fait jusqu'ici, pour tromper le peuple, de la moindre complaisance des ecclésiastiques, quoiqu’ils aient toujours eu soin de mettre les restrictions les plus formelles au consentement qu’ils ont cru quelquefois devoir donner, ne nous permet pas de douter un instant qu’on n’abusât encore actuellement de la démarche à laquelle on nous engage et surtout qu’elle ne fournît un prétexte de nous regarder comme faussaires, et de nous traiter comme tels.

Car, Monsieur, les passes renferment toujours au moins une invitation à entrer dans les principes du gouvernement actuel, et une exhortation à recevoir et faire recevoir ses lois et surtout à reconnaître et faire reconnaître sa légitimité. Vous savez d’ailleurs aussi bien que personne que telle est l'intention de ceux qui donnent ces passes, quelle que soit la forme dans laquelle ils les donnent, et on met trop d’importance à nous faire en prendre, pour qu’on ne regarde pas cette démarche de notre part du moins, comme un consentement tacite de nous rendre enfin à des désirs si clairement manifestés, de manière qu'on se trouverait dans la suite autorisé à accuser de duplicité ceux qui, après avoir pris les passes, se permettraient de parler contre la légitimité du gouvernement. Je vous avoue aussi, sans prétendre blâmer qui que ce soit de mes confrères, aimant mieux supposer bonne intention à tout le monde, je vous avoue donc que cette accusation me paraîtrait fondée ; car ceux qui demandent une grâce semblent sûrement s’engager, par une espèce de reconnaissance, à se rendre aux intentions de ceux qui l'accordent, dès qu’elle leur sont clairement connues.

Voilà, Monsieur, ce qui nous a empêchés de prendre des passes ; un pasteur de vraie Église doit, comme elle, être à l’abri de tout soupçon de duplicité, et sa conduite, surtout dans les affaires de conséquence, et où il doit donner l’exemple au peuple, doit être droite, franche, loyale, sans feinte et sans réserve.

Je sais, Monsieur, que nous ne sommes pas ici d’accord, et que vous ne voyez aucune difficulté à reconnaître ainsi sans réserve la légitimité du gouvernement actuel ; mais je vous ai promis, et je vous dois aussi une explication simple et précise de mes principes et de mes motifs ; permettez moi de le faire, et j’espère que vous les trouverez assez fondés pour me croire autorisé à suivre en cela, ce que me dicte impérieusement une conscience bien éclairée.

Je reconnais qu’il ne s'agit plus ici de serment relatif à la religion. On a enfin cessé de s’opiniâtrer à ne pas voir que Dieu a au moins le droit de régler ce qui concerne son culte, et si je peux m'exprimer ainsi, qu’il doit du moins être maître dans sa propre maison...

Je conviens encore qu’en reconnaissant sans réserve la légitimité d’un gouvernement, on n’est pas censé approuver toutes ses loix, que quelques-unes d’elles, malgré la meilleure intention, peuvent bien ne pas être de véritables loix, n’étant pas justes et qu’on ne s’oblige alors qu'à une soumission passive nécessaire pour ne pas troubler le bon ordre qui pourrait régner d’ailleurs ; j’en conviens.

Mais il faut aussi convenir qu’en reconnaissant la légitimité d’un gouvernement, on s’oblige non seulement à la soumission passive pour les lois injustes, mais encore, chacun selon ses moyens, à la soumission active pour les lois justes et en particulier pour tout ce qui serait nécessaire au maintien de l’autorité. Ceux qui gouvernent alors la chose publique sont obligés, envers et contre tout, de nous défendre même au péril de leur vie : ce n’est qu’à ces conditions qu’ils jouissent des avantages qui les élèvent tant au-dessus des autres ; mais nous sommes obligés aussi de les soutenir de tous nos moyens et de mourir même pour eux s’il le faut : ce n’est qu’à cette condition, qu’ils ont pu recevoir la charge qu'on leur a imposée, puisque par eux-mêmes ils sont ou peuvent être aussi et même plus faibles que plusieurs de nous.

Dès que cette autorité est établie et que tout est réglé et définitivement arrêté, il ne dépend plus de nous (sujets) de revenir à un autre ordre de choses. Cette règle-ci est fondée sur le bien général même ; car à quel bouleversement ne serait-on pas continuellement exposé, sous prétexte de bien, ou de tyrannie etc ! et les prétendus maux qu’on voudrait éviter ne sont-ils pas infiniment moindres que ceux qu'attirerait nécessairement après soi la révolte contre un souverain, qui non seulement se croirait en droit de résister, pour le bien même des rebelles, mais s’en ferait même un devoir, au moins pour le bien des sujets qui lui seraient restés fidèles. Nous en faisons la triste expérience ; heureux si nous devenons enfin sages à nos dépens !

Dira-t-on que tous les sujets peuvent se réunir contre le souverain, et que dans ce cas il n’y a pas d’inconvénient à craindre ? Mais vous sentez, Monsieur, que vu la diversité des intérêts et la violence des passions opposées, cette hypothèse est à peu près chimérique, et que surtout ce n’est pas le cas où nous sommes.

Mais, enfin dans ce cas-là même, le bien général semble demander qu’on n’ait pas le droit de se révolter, et les maux qui pourront s’en suivre ne pouront encore être compensés par aucun bien, car sans parler du mauvais exemple que cela donnerait, nous pouvons supposer que le souverain chassé honteusement trouvera chez les souverains voisins pour quelque motif que ce soit, ne fût-ce que par la crainte d’une semblable révolution chez eux-mêmes, des moyens de se rétablir.

Nous pouvons supposer que le peuple lui-même, qui aura repris ses prétendus droits, ne restera pas longtemps d’accord avec lui-même, sans qu’une partie ne recherche l’ancien ordre de choses et ne prenne tous les moyens pour le rétablir, du moins quant à l’essentiel ; vous sentez que ces suppositions et autres semblables sont toutes simples ; ce qui nous arrive tous les jours ne le prouve que trop.

Cependant dans les suppositions qui dépendent de l’avenir au moment d’une révolution, on s’expose à éprouver des maux qui ne peuvent être compensés par aucun bien ; le bien général exige donc toujours que tout étant réglé, il ne soit plus libre aux sujets seuls de revenir à un autre ordre de choses ; il exige que le souverain conserve tous ses droits ; ceux qui lui résistent sont seuls responsables de tous les maux qui s’ensuivent de leur révolte ; et rien n’est moins fondé que ce prétendu droit qu’a le peuple de renoncer à l'autorité de son souverain.

Ah ! Monsieur, que Dieu dans les saintes Ecritures nous donne des idées bien différentes de nos devoirs envers ceux qui nous commandent en son nom, quand il nous fait envisager les bons princes comme des récompenses, et les mauvais comme des fléaux que nous devons souffrir avec la même soumission que les autres peines qu’il lui plaît de vous envoyer ! Qu’il nous donne des idées bien différentes de leur autorité, quand il nous dit qu'ils ne doivent rendre compte de leur autorité qu’à lui, qu'on doit leur obéir même quand ils sont déraisonnables, etiam discolis ; enfin que, quelque tyrannique que soit leur conduite, ils ont cependant le droit qu'on les respecte, hoc erit jus regis ! C'est ainsi que Dieu lui-même, en parlant cependant d’une conduite tyrannique, s’exprime par son prophète, avant de donner Saül pour roi au peuple d’Israël qui lui en demandait un. Et pourquoi cela ? Encore une fois, à cause des maux infinis qui sont une suite presque nécessaire de la révolte. Pour peu qu’on réfléchisse sur ces vérités saintes, dans le calme des passions, on ne peut s'empêcher de les sentir. Les peuples même les plus barbares les reconnaissent, et la révolte a toujours été regardée comme un crime abominable. Pour peu aussi que nous rentrions en nous-mêmes, nous trouvons dans nos cœurs le principe de droit naturel gravé par Dieu même, qu’un sujet doit à son prince le même respect qu’un fils à son père, et qu’il n’a, comme David contre Saül, que la fuite pour se soustraire à la persécution.

Mais parlons surtout de ce qui est plus relatif à notre position actuelle.

Salus populi suprema lex, dira-t-on. Si, comme nous le voyons plus haut, le bien général exige absolument qu’on ne touche pas à l’autorité du Roi, il exige encore plus que l’autorité du gouvernement se consolide.

Je pourrais, Monsieur, demander des preuves de cette assertion et répondre simplement quod gratis asseritur gratis negatur. Mais je désire trop votre bien, pour m’en tenir à cette réponse générale. Je vous dirai donc d’abord, que cet axiome salus populi suprema lex est précisément ce qu’il y a de plus fort contre les partisans de la Révolution ; car rien n’est plus contraire au bien du peuple que de favoriser par préférence l’usurpateur. Quelque bien qu’on retire, il ne réparera jamais le mal qu’occasionne ce mauvais exemple, lequel ne manquera pas d’être bientôt suivi, si ce que je combats pouvait être vrai ; plus on y réfléchit, plus on en est persuadé, ce qui est un caractère d’évidence.

Je vous dirai en second lieu que je ne vois aucun bien à mettre le sceau à toutes les injustices qui ont été commises : jamais un peuple, injuste par principe surtout, ne sera heureux. Au contraire, je vois un grand bien, dès que l’usurpation n’est pas consolidée, à se réunir à ceux qui la combattent si puissamment : bientôt tout serait alors rétabli, et sans aucune crainte pour l’avenir du côté du mauvais exemple. D’ailleurs cet axiome est bien vrai par rapport au souverain, lequel, dans un danger pressant, est maître de disposer de tout et de sacrifier tout pour le bien de son peuple ; mais il n’est nullement vrai par rapport à celui qui n’est pas souverain, lequel n’a par conséquent aucun droit sur le bien des autres. Qu’on réfléchisse tant qu’on voudra sur ce raisonnement, on n’y trouve par de réplique. Ainsi cet axiome prouve seulement que le souverain lui-même pourrait peut-être devant Dieu se sacrifier pour le bien du peuple, mais outre que cette obligation ne peut pas avoir lieu dans un cas de révolte, et que ce principe produirait [alors] comme nous venons de le voir un effet beaucoup plus contraire au bien public, je crois que le Roi est obligé plus que jamais de faire tous ses efforts pour ne pas abandonner ses fidèles sujets, dès qu'il y a encore moyen de les aider. Il y est obligé, dût-il même périr pour cela. C’est son premier devoir. Enfin cet axiome ne regardant que le souverain et le bien général demandant qu’il ne rende compte de sa conduite qu'à Dieu, il s’en suit toujours que nous ne sommes pas déchargés de nos obligations envers lui, jusqu’à ce qu'il nous en décharge lui même, ou qu’une ignorance invincible ne nous rende excusables devant Dieu, ce qu’on ne peut supposer qu’après un laps de temps considérable.

Je pourrais citer à l’appui de cette proposition une quantité d’autorités bien respectables à un chrétien surtout ; mais permettez-moi de vous en citer d’autres qui feront peut-être plus d’impression sur vous, comme jurisconsulte ».

M. Videlo cite donc Grotius et Puffendorf, il rappelle l’exemple d’Athalie et de Cromwel. De ces textes et de ces faits il tire cette conclusion que pour légitimer l’usurpation il faut la renonciation expresse ou tacite de l’ancien souverain, — la renonciation tacite ne pouvant être présumée qu'en cas de possession immémoriale approchant de la centenaire.

En effet, continue-t-il, le repos des empires n’exige t-il pas que le crime des rebelles ne profite pas à ceux-là même qui l’ont commis ? N’est-ce pas nécessaire au maintien du bon ordre que ni les hommes pervers qui sacrifient à leur ambition démesurée leur devoir, le bonheur de leur patrie et le sang de leurs concitoyens, ni leurs complices, quelques jeunes qu'ils soient et quelque longue que puisse être leur vie, ne voient jamais un instant où ils puissent conserver sans remords ce qu'ils n’ont acquis que par tant de forfaits ? Et soutenir que l’usurpation peut devenir, légitime entre les mains de ses auteurs, n’est-ce pas encourager la révolte et appeler sur tous les états le terrible fléau des révolutions ?

Des victoires multiples ne donnent donc aucun droit, et une république établie par le génie et le crime des factieux n’obtient, qu’après un temps immémorial, la stabilité d’un gouvernement légitime. Je pourrais, Monsieur, vous donner vous-même en preuve. Vous n’avez sûrement pas cru mal faire au temps de la Fédération, et vous aimez avec raison à regarder cette époque de votre vie comme le sujet d’une persécution bien injuste.

« Que conclure donc de tout ceci ? Qu’il ne faut nullement se soumettre et pour aucune loi au gouvernement actuel ? Non, car le bien général demande absolument qu’on se soumette aux lois qui n’ont d’autre vice que l'illégitimité du pouvoir dont elles émanent, telles que les lois concernant la police, etc. Mais alors, on doit se soumettre en vertu de l’autorité du souverain légitime qui est censé avec raison nous l’ordonner.

Qu’il faut mettre tout à feu et à sang pour rétablir l'autorité légitime et y parvenir per fas et nefas ? Encore moins : ce n’est nullement l'intention de notre souverain ; au contraire toutes nos démarches doivent être dirigées par une prudence bien chrétienne : on doit souffrir ce qu’on ne peut empêcher, se contenter alors de ne point contribuer à consolider l'usurpation et attendre avec patience le moment de pouvoir témoigner au souverain sa fidélité et le saisir avec ardeur quand il plaira à Dieu de le faire naître, n’oubliant jamais ce que nous avons déjà dit, que, s’il doit mourir pour nous, nous devons aussi mourir pour lui.

Ces principes, Monsieur, me paraissent solides. Si vous avez quelque chose à y opposer, j’y répondrai avec plaisir, mais si vous ne pouvez y refuser votre acquiescement, permettez que j’use du droit que me donne l’amitié que vous voulez bien me témoigner, et que je vous engage autant qu’il dépend de moi, à suivre ce que vous dictera une conscience prudente et éclairée, pour mériter vraiment l’estime de vos concitoyens, en vous rendant irréprochable aux yeux de Dieu et des hommes.

Ne doutez pas de la reconnaissance avec laquelle je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. B. Videlo, recteur de Bubri ».

On le voit, cette lettre est un véritable traité. M. Videlo y fait appel à la théorie du droit divin, aux jurisconsultes les plus autorisés en matière de droit public, à la Bible, à l’histoire pour discuter les arguments du sous-préfet de Pontivy en faveur de la soumission, et pour exposer les motifs de son intransigeance politique. Certes, tous ses raisonnements ne sont pas inattaquables ; quelques-uns même sont des armes à deux tranchants qui se retournent contre celui qui s’en sert.

Mais ces pages révèlent un esprit réfléchi et cultivé, une âme loyale, une conscience rigide, une grande élévation de pensée, et prouvent de façon décisive que les deux frères, en refusant toute compromission avec la République consulaire, ne s’inspiraient pas uniquement de raisons d’ordre politique et sentimental ; mais qu’ils obéissaient avant tout à la voix de leur conscience.

Rien ne put les déterminer à modifier leur attitude : ni l’affermissement du pouvoir de Bonaparte après la victoire de Marengo, ni les négociations avec Rome en vue d’un concordat annoncées par le bref pontifical du 13 septembre, ni la mise en liberté des prêtres déportés ou reclus, ni les exemples de moins en moins rares de soumission ou de demi-soumission.

Cependant d’Haucour, qui avait lancé une nouvelle circulaire, crut un moment tenir la victoire.

« Ma lettre pastorale, écrivait-il au préfet le 25 fructidor 12 septembre, a produit l’effet que j’attendais. Dans plusieurs communes de l’arrondissement où on n’avait pas encore dit de messes en lieu décent, il en a été chanté dimanche et lundi dans les églises paroissiales. Le général Rouland, qui commande ici, n’a pas peu secondé mes bonnes intentions. Il a prêché avec fruit dans plusieurs communes ; il a converti un grand vicaire nommé Tyberge [Note : M. Thiberge, vicaire général de Quimper, avait en effet fait la promesse de soumission], qui vient de donner des ordres à tous les prêtres d’officier dans les églises. Tyberge a dû écrire à Videlo, ex-recteur de Bubry, faisant fonctions d’évêque dans mon arrondissement, qu’il fallait donner de pareils ordres, ou qu’il l’y forcerait. Il paraît que ce Tyberge tient ses pouvoirs immédiatement du pape. Tout cela est égal pourvu que la paix s’en suive » [Note : Arch. départ., Haute police, ans 8-9].

Il est certain que le nombre augmentait de ceux qui étaient disposés à faire ou même faisaient des sacrifices dans l’intérêt de la paix. Mais ce n’était pas sans risques. S’ils étaient bien accueillis du côté du gouvernement, ils voyaient leurs amis de la veille se retourner violemment contre eux. Tel fut, en décembre 1800, le cas de M. Bertrand. Revenu de l’exil, l’ancien chapelain de Perros habitait alors Redené. Nous ne savons s'il avait fait sa soumission dans les formes ; ce qui est certain, c’est qu’il passait pour prêcher la paix ; et mal lui en prit. Pendant les fêtes de Noël, il fut pris à partie, au bourg même de Redené, par Julien Videlo, dit « Tancrède » qui, fort de l’exemple de ses frères, lui reprocha vivement sa conduite. Il se défendit; mais la discussion dégénéra bientôt en une dispute si violente qu’il dut se retirer. Quant à « Tancrède », il ne se fit pas faute de recommander à son courrier, qui avait assisté à la scène, et à tous les chouans de sa division « de se tenir en garde et de se défier de ce prêtre Lamotte » [Note : Le père de M. Bertrand était sieur de La Motte], comme d’ailleurs de tous les prêtres qui avaient pris des passes [Note : Arch. départ., liasse non classée].

Ce ne fut pas tout : averti par son subordonné, le commandant en chef de la rive droite du Blavet, d’Ancourt dit « Augustin » intervint à son tour pour enrayer la propagande pacifique de M. Bertrand. Il le fit avec d’autant plus d’énergie qu’il venait de recevoir une lettre signée « Le Muscadin » qui l’engageait fortement à se servir des ecclésiastiques dans l’intérêt du parti et, au besoin, à les surveiller « pour les empêcher de nuire » [Note : Arch. départ., liasse non classée]. Or « le Muscadin » c’était Georges Cadoudal lui-même. Le 26 décembre 1800, d’Ancourt écrivit de Bubry au prêtre soumissionniste une lettre hautaine et menaçante dans laquelle il s’élevait avec indignation contre les ecclésiastiques qui osaient faire au gouvernement de Bonaparte la moindre concession [Note : Haute police, 4. Cette lettre de d’Ancourt a été publiée par M. Sageret dans le fascicule de février 1906. « L’en-tête est la suivante : Bubry, ce 26, Augustin à Monsieur Jérôme, prêtre. D’une autre écriture que celle de la lettre sont écrits ces mots qui y ont été ajoutés : A Bertrand, prêtre à Redenez, décembre 1800 » (Note de M. SAGERET)].

« Il me paraît bien singulier, disait-il, que vous teniez des discours de paix à mes gens et que le Corse, décoré du turban et assis sur le trône par une série de crimes continuels, trouve en vous un panégyriste. Sans vous rappeler ici que le clergé aujourd’hui déroge à ses devoirs en prenant des cartes, en prêchant la paix et en officiant publiquement, je me contenterai de vous observer que si le clergé ne parut jamais plus respectable que lorsque le refus de parjurer lui attira tous genres de persécutions, même la mort ; ce qu'il y a de constant aussi c’est que jamais le parti royaliste n’a été plus honorablement défendu qu’en ce moment où le petit nombre de ses chefs, officiers et soldats, préfèrent la mort à l’horreur de plier sous le joug et de trahir ses devoirs et sa conscience. Le gouvernement par sa proclamation connue et ses intentions assez manifestées se propose de faire taire ou réduire à des points de morale communs tout prêtre qui oserait parler ; pour moi, de mon côté, je suivrai exactement et en tout point les ordres que je recevrai pour remettre tout dans l’ordre, et l’amitié me force à vous déclarer que tout ministre, qui se permettra de prêcher la paix dans mon pays, je saurai lui fermer la bouche. Votre serviteur. Augustin ».

Il est tout à fait vraisemblable que d’Ancourt n’avait pas peu contribué jusque-là à affermir les Videlo dans leur intransigeance. Cette influence, il est vrai, allait cesser de se faire sentir. Le surlendemain du jour où il écrivait la lettre que nous venons de citer, 8 nivôse-28 décembre, le chef royaliste, surpris avec neuf de ses compagnons à Locmariagrâce en Plouay, tombait obscurément sous la balle d'un gendarme [Note : Arch. départ., Haute police, 5].

Mais, à cette date, de nouvelles instructions encore plus catégoriques de Mgr Amelot prescrivaient la même ligne de conduite. Par une lettre en date du 26 novembre, le prélat exilé interdisait le culte public et, d'une façon générale, pour ne pas tarir les sources du recrutement des bandes royalistes, le mariage des jeunes gens.

Aux graves raisons qui conseillaient impérieusement la soumission, on pouvait donc opposer des raisons qui semblaient sérieuses en faveur de la résistance. Bref le clergé se trouvait dans une de ces situations troublées où il est plus difficile encore de connaître son devoir que de l’accomplir.

Au mois de janvier 1801 le culte public cessa presque complètement dans l’arrondissement de Pontivy. Le 6, les Videlo renoncèrent à exercer même le culte secret dans la chapelle de Sainte-Hélène ; ils se confinèrent dans leur presbytère qui pendant cinq mois allait leur servir d’église (6 janvier-11 juin).

Un autre souci leur imposait cette décision. A cette date en effet, ils virent arriver à Bubry un détachement qui devait y séjourner environ un mois ; or ils se sentaient trop compromis pour qu’un tel voisinage ne leur imposât pas les plus grandes précautions.

Sans doute ils voulaient la paix ; mais ils jugeaient ne pouvoir pas l'accepter aux conditions qu’on leur offrait. Ils devaient l’attendre de longs mois encore et n’y parvenir qu’à travers de dures épreuves qui allaient les rejeter, pour un temps, dans toutes les angoisses des pires époques révolutionnaires.

 

II. — Compromis avec les chouans. — Mandat d'arrêt. — Arrestation de Louis Videlo. — Fuite de Benjamin. — A Guémené. — Lettre « à Benjamin ». — lettres « à Bonne » et « à Rose » : consolations et directions.

Note : Sauf indications contraires, les documents utilisés dans les chapitres qui suivent ont été puisés aux Archives départementales, série L, liasse 863.

Après l’attentat du 3 nivôse-24 décembre 1800, Bonaparte résolut de terroriser ses adversaires innocents ou coupables en prenant contre eux les mesures les plus draconiennes. Jacobins et royalistes furent traqués avec un acharnement qui rappelait les plus mauvais jours de la Convention et du Directoire. Benjamin et Louis Videlo étaient plus que suspects aux yeux de l’administration. Ils passaient, non sans raison, pour les plus fermes adversaires de la soumission à la République consulaire. On savait que Benjamin exerçait, sur toute une partie du diocèse, une autorité universellement respectée. Comment dès lors ne pas les rendre responsables de la résistance obstinée du clergé ?

Le 23 floréal-13 mai 1801, d’Haucour écrivait mélancoliquement :

« Nous ne pouvons nous dissimuler que les prêtres de brousses ne réunissent en ce moment tous leurs efforts pour persuader au peuple que le culte n’est pas libre. Et cette impulsion dans le Morbihan est donnée notamment par l’abbé Keroignan, de Sarzeau et par l’abbé Videlo, de Bubry, se disant tous deux vicaires généraux de M. Amelot. C’est une indignité de leur part ; aussi les honnettes prêtres n’y donnent pas. Mais tous ceux attachés au parti des chouans, et il y en a beaucoup, disent la messe en cachette dans les communes même où l’on a réparé à grands frais les églises. Les païsans s’en plaignent hautement; mais l’ignorance et la crainte les font suivre ces prêtres insoumis et les messes des granges sont très suivies » [Note : Arch. départ., Haute Police, 2].

D’autre part, le rôle de leur frère Julien, dit « Tancrède », ne cessait de grandir dans la chouannerie. Il venait de succéder à d’Ancourt. Aussi, dès le 26 nivôse-15janvier 1801, conformément aux instructions du ministre de la police générale, le préfet avait pris un arrêté ordonnant son arrestation [Note : Arch. départ., Haute Police, 4]. Or on n’ignorait pas que « Tancrède » était resté en relations suivies avec ses frères, qu’il faisait chez eux, à Bubry, de fréquents séjours, qu’il se rencontrait avec eux dans certaines maisons hospitalières aux proscrits. Le 3 pluviôse-23 janvier, une troupe composée de gendarmes et de soldats, essaya sans succès de le surprendre au château de Penvern où il s’était réfugié, disait-on, avec ses deux frères [Note : Arch. départ., Haute Police, 3]. C’est là d’ailleurs qu'il fut arrêté, le 26 prairial-15 juin, avec les demoiselles Bonne et Rose Penvern qui lui avaient généreusement donné asile. Il avait été dénoncé par son ancien courrier, un lorrain, Dominique Miller, dit « La Bretagne ». Or ce « La Bretagne » avait plus d’une fois prononcé les noms du recteur et du vicaire de Bubry. Il les avait représentés assistant vers la fin de mai à un repas au château de Penvern, en compagnie de leur frère Julien, de MM. Le Borgne, recteur de Persquen, Le May, recteur de Guern, Duparc, recteur de Melrand, Duclos, et des chefs de chouans Debar et Penanster. Enfin si ses déclarations ne contenaient aucune charge sérieuse contre Louis, elles accusaient nettement Benjamin d’avoir été et d’être encore le caissier des chouans [Note : Arch. départ., liasse non classée].

A ce compte, les deux frères ne pouvaient manquer d’être considérés comme complices de rebelles et impliqués dans les poursuites. Un mandat d’arrêt fut lancé contre eux par le Commissaire du Gouvernement près le Tribunal criminel du département, Lucas-Bourgerel fils. Ils étaient prévenus d’avoir eu des intelligences avec les ennemis du gouvernement, de prêcher publiquement la contre-révolution, d’avoir toujours refusé de se conformer aux lois de la République : enfin la « clameur publique » les dénonçait comme « chefs du parti des rebelles ».

[Note : En prairial an IX, au moment même où Julien Videlo était arrêté à Penvern, le parquet de Lorient, escorté par la force armée et traînant à sa suite le traître « La Bretagne », parcourait la commune de Bubry et les communes voisines dans le but de mettre la main sur les dépôts d’effets, d’armes et de munitions des chouans.

Au bourg de Bubry, chez Pierre Le Strat, dans un grenier à foin dont l’entrée était habilement dissimulée, on découvrit des effets, linges et ornements d’église appartenant à Benjamin Videlo, et même deux volumes d’instructions pour le service de l'infanterie qui seuls furent saisis pour être déposés au greffe du tribunal de Lorient.

D'autres perquisitions eurent lieu, sans résultat appréciable, chez la sœur et chez la domestique de M. Bertrand qui habitaient la même maison, et chez Annette Le Bras, domestique de Louis Videlo. (Arch. du greffe de Lorient, papiers récemment transférés aux Arch. départ., et non classés)].

Le 1er thermidor an IX-21 juillet 1801, vers une heure du matin une petite troupe sortit de Guémené, elle se composait de cinq gendarmes [Note : Julien Picarda, Guillaume Tourné, Jean-François Cocu, Joseph Erb et Laurent Faivre], sous les ordres du brigadier Charles Capitaine et d'un détachement, de grenadiers de la 30ème demi-brigade, commandé par le sergent Bouvrait.

Elle prit la route de Bubry où elle arriva vers trois heures du matin. Plusieurs maisons furent cernées et fouillées sans résultat. Cependant, vers quatre heures, un soldat placé en sentinelle derrière le presbytère aperçut dans le jardin un homme dont les allures lui parurent suspectes. — « Arrête, au nom de la loi ! » lui cria-t-il en le couchant en joue. L’homme s'arrêta. Il était vêtu d'une « lévite brune » et coiffé d’un « chapeau détroucé ». Il paraissait avoir environ trente ans, taille 1m 626, cheveux, barbe et sourcils noirs, front haut, yeux gris, nez aquilin, bouche moyenne, menton rond, visage rond [Note : Nous possédons trois signalements de L.-M. Videlo : celui du brigadier de gendarmerie Capitaine que nous donnons ici, celui du substitut du commissaire du gouvernement Guépin et celui du directeur du jury de l’arrondissement de Pontivy Ruinet, dont nous ferons état plus loin. On remarquera que, sauf pour certains points, il n’y a guère de concordance entre eux]. Il fut aussitôt appréhendé et interrogé : c’était Louis-Marie Videlo. Comme il protestait, le chef de la troupe lui fit savoir qu’il avait ordre de l’arrêter et de le conduire à Pontivy. On trouva sur lui une lettre datée du 16 juillet 1801, portant pour toute adresse ces seuls mots : « à Benjamin », et un paquet adressé « A Mlle Forsan, chez les demoiselles Bonnamie, rue Saint…, à Vannes ». L’enveloppe renfermait un billet et deux lettres. Le billet portait la signature de L. Videlo ; le vicaire de Bubry y invitait Mlle Forsan à remettre à leurs destinataires les deux lettres adressées l’une « à Bonne », l'autre « à Rose ».

Capitaine demanda au prisonnier si c’était là tout ce qu’il possédait. Louis Videlo le conduisit alors à son domicile particulier, au bourg. Il ouvrit lui-même sa malle. On n’y trouva que des vêtements, quelques livres et des papiers sans intérêt. Le brigadier se contenta d’emporter, pour le joindre au dossier, un imprimé intitulé : « Avis aux vrais catholiques, ou conduite à tenir dans les circonstances actuelles », etc.

Mais il importait surtout de mettre la main sur Benjamin Videlo, le « caissier des chouans ». Les recherches continuèrent. Les gendarmes finirent par rencontrer un jeune homme qui conduisait deux chevaux sellés. Ils l’arrêtèrent. — « Ton passe-port ». Il avoua qu'il n’en avait point. — « Où mènes-tu ces chevaux ? ». Il ne répondit que par des larmes. On le conduisit devant Louis Videlo qui ne fit aucune difficulté pour reconnaître que les deux chevaux étaient à lui, que celui qui les conduisait était Alain André, à la fois son domestique et le domestique de son frère ; que ce jeune homme se rendait avec les montures au pont du Ruau, pour aller au devant du recteur qui revenait d’un voyage aux environs de Quimperlé.

Capitaine laissa Louis Videlo au bourg de Bubry sous la surveillance de quelques hommes ; et, emmenant Alain André, il alla lui-même, avec le gros de sa troupe, se poster aux abords du pont du Ruau dans l’espoir de cueillir Benjamin au passage. Puis, comme l’attente se prolongeait, il fit conduire à Guémené ses deux prisonniers, avec les papiers saisis, et l’un des chevaux capturés ; en même temps il faisait recommandation expresse à son maréchal des logis Moisan, de ne pas manquer de mettre Louis Videlo et Alain André au secret le plus rigoureux.

Louis Videlo ne fit que passer dans la prison de Guémené ; il dut toutefois remettre entre les mains du concierge quelques menus objets qu'il est d’usage de ne pas laisser aux prisonniers : une paire de ciseaux avec étui, un couteau à tire-bouchon, un canif à deux lames, un briquet, un sachet contenant de l’amadou, des allumettes et une pierre à feu, une écritoire de poche. Vers neuf heures il fallut reprendre, sous bonne garde, la route de Pontivy ; le maréchal des logis commandait lui-même l’escorte.

Quant au recteur de Bubry, il ne tomba pas dans le piège qu’on lui tendait. Il avait sans doute été prévenu de la présence de la force armée. Après avoir gardé le pont, surveillé la route, battu les environs jusqu’à deux heures de l’après-midi, la colonne expéditionnaire rentra à Guémené.

Laissons les événements s'accomplir et prenons connaissance des trois lettres saisies sur Louis Videlo lors de son arrestation. On nous saura gré, croyons-nous, de les citer : elles méritent de l’être. La première écrite de Pontivy à Benjamin, le 16 juillet 1801, nous aidera à nous rendre plus exactement compte du rôle joué par le recteur de Bubry dans l’administration du diocèse vers la fin de la Révolution ; elle nous fournira en outre quelques renseignements intéressants sur la situation religieuse de la ville de Pontivy et sur l’état d’esprit du clergé morbihannais à cette époque.

Le correspondant de M. Videlo est un prêtre, peut-être M. Huart des Garennes qui l’année suivante fut nommé curé de Pontivy. Il annonce le départ d’un confrère si mal vu dans la ville, que sa situation est devenue intenable et que son arrestation est imminente; puis il continue :

« Il n’est cependant pas possible à un seul de faire la besogne à Pontivy ; quatre bons ouvriers suffiraient à peine. Ah ! mon Dieu ! que de choses à faire ici ! dans quel triste état est réduite cette pauvre ville ! Ce qui me console, c’est qu’un grand nombre approche de la confession. Depuis mon arrivée ici, j’ai vu plus de 600 personnes et chaque jour m’en envoye de nouvelles. Mais je ne pourrai pas tenir à une fatigue aussi grande sans secours. Tâche donc de m’en envoyer au plutôt. Celui qui me paraîtroit convenir le plus ici, c’est M. Touche. Il est aimé et désiré de tous, des patriotes même ; eux-mêmes me l’ont dit ; il désire aussi de revenir ici. Il faudrait donc le faire remplacer de suite à Guémené et l’envoyer ici au plutôt. Je crois qu’à cause de lui on serait plus ménagé ici, parce qu’il est bien vu de toutes les personnes en place. Je le suis assez bien aussi moi, à ce que l’on dit, grâces à Dieu. Je n’en suis pas fâché ; mais Dieu m’est témoin que le motif de ma satisfaction, c’est sa gloire et le salut des âmes.

L’auteur de la lettre prévient M. Videlo qu’il refuse d’avance le titre de curé d’office qu’il pourrait songer à lui donner; il ne veut ni la qualité ni le nom ». Il déconseille pareillement, d’ailleurs pour des raisons qui n’ont rien de personnel, de le donner à M. Touche.

«... Mon avis serait, dit-il, que nous fussions égaux et seulement à titre de missionnaires. Vois ce que tu as à faire.

Passant ensuite à un autre sujet, il ajoute :

« J’appris hyer que le registre pour la promesse est arrivé à Vannes. Tous les prêtres de cette ville, m’a-t-on dit, sont disposés à la faire, à l’exception d’un seul. Pour moi je suis décidé à ne la pas faire, connaissant l’opposition formelle de Monseigneur notre évêque à cette promesse. Je m’en tiendrai donc là malgré les raisons et les autorités en sa faveur, malgré même la conviction où je suis de sa légitimité, surtout quand on la fait avec restriction. Si donc on me la propose, je te préviens que je partirai d'ici de suite. Je ne sais où j’irai ; ce ne sera pas à Bignan, il n’y a plus de sûreté là pour moi. Tu devrais écrire à l’évêque, et au plutôt, et lui exposer la triste situation de son diocèse.

Je te salue, mon ami, avec toute l’affection que tu me connais pour toi...

Je participe bien sincèrement les peines (sic) en tout genre que la divine Providence te fait éprouver. Prions toujours ».

Les deux autres lettres, nous l'avons dit, portent pour toute adresse ces simples mots : « à Bonne », « à Rose » ; elles étaient destinées aux demoiselles Penvern. Arrêtées en leur château avec « Tancrède », le 26 prairial et transférées en même temps que lui, le 11 messidor-30 juin, de Pontivy à Vannes, elles y attendaient, dans la prison du Petit-Couvent, leur comparution devant le Tribunal spécial. Ces lettres nous permettront de connaître mieux encore M. Louis Videlo et de nous renseigner exactement sur la nature des relations qu’il entretenait avec les demoiselles Penvern.

Mlle Bonne [Note : Bonne-Françoise-Marguerite du Pérenno de Penvern, née à Vannes le 28 juillet 1763, dans l’hôtel qui porte aujourd’hui le n° 29 de la rue Thiers (Arch. comm. de Vannes, Etat civil)] est l'aînée des deux sœurs. A Penvern elle tient le premier rôle, semble parler et agir en maîtresse. C’est elle qui, de sa propre autorité, a donné asile à « Tancrède » proscrit ; c'est sur elle que la justice fait retomber la plus lourde part de responsabilité. Voici la lettre qui lui est adressée.

« J. M. J. J’espérais, ma chère fille, que le temps de vos épreuves ne devait plus être long et que vos nouveaux juges vous eussent de suite mise en liberté ; mais il paraît que Dieu n’est pas encore satisfait, car, souvenez-vous en bien, lui seul permet tout ce qui vous arrive. Tenez donc toujours bon et ne perdez pas courage. C’est bien ici le cas de dire : plus de peines, plus de mérites. Je sens que votre nouvelle arrestation vous offre bien de nouveaux moyens d’exercer votre soumission ; mais quels qu’ils soient, puisqu’ils sont dans la volonté de Dieu, vous devez être contente. Il sait mieux que nous ce qui nous convient, et ce serait bien mal entendre vos intérêts que de ne pas vous soumettre aussi pleinement qu’il a le droit de l’attendre de vous. Il n’y a point de non, ma chère fille, pour une âme qui veut aller à lui. A l’exemple de Jésus-Christ, elle peut, par suite du sentiment de sa faiblesse, le prier d’éloigner d’elle le calice qu’il lui présente, mais toujours pleine de confiance dans ses miséricordes, elle lui dit dans toute la sincérité de son cœur : O mon Dieu, que votre volonté se fasse et non pas la mienne ? Puissiez-vous jamais n’avoir d'autres sentiments ! Qu’une âme fidelle au milieu des croix est un spectacle digne des anges et de Dieu même ! Qu’elle mérite de grâces et quels ne sont pas les progrès qu’elle fait dans le chemin de la perfection ! Jamais, non jamais, n’oubliez cette vérité que Dieu n’éprouve que ceux qu'il aime. Le temps des tribulations passera d’ailleurs bien vite, soyez-en sûre, et vous serez forcée d’avouer que toutes celles que vous aurez éprouvées ne sont rien en comparaison de la gloire qui doit en être le prix. La nature sans doute se révolte à l’idée seule de ce qui peut la contrarier ; mais vous savez qu’elle est aveugle et qu’il s’en faut beaucoup qu’elle sache ce qui lui convient. Sachez que vous devez la faire mourir, et conséquemment vous devez recevoir avec soumission, amour et reconnaissance tout ce qui peut vous en fournir les moyens. Heureuse mort, ma chère fille, puisqu’elle doit vous procurer la vie !

Ou je me trompe bien ou les desseins de Dieu sur vous se développent de plus en plus. Vous savez ce que vous avez éprouvé plus d’une fois, et ce que j’ai été dans le cas de vous dire à ce sujet. Que la position où vous vous trouvez dans le moment est bien faite pour vous décider à vous détacher des choses de la terre, pour ne vous attacher qu’à Celui seul qui peut faire votre bonheur ! Puissiez-vous, ma chère fille, voir tout ce qui vous environne avec les yeux d’une parfaite indifférence, et vous établir dans une disposition à pouvoir dire avec le grand saint Augustin : Vanité des vanités, tout n'est que vanité, à l'exception d'aimer Dieu et de ne servir que Lui seul.

Plus que jamais méritez que Dieu se communique à vous et à celui qui doit vous annoncer ses volontés. Ainsi en tout puissiez-vous dire : Dieu seul et Dieu tout seul ! Priez-le pour moi, et me croyez. Tout à vous en Notre-Seigneur Jésus-Christ ».

Mlle Rose [Note : De son vrai nom elle s’appelait Thérèse-Joseph du Pérenno de Penvern ; mais elle semble avoir été plus connue sous le nom de Rose dans le cercle de la famille et des amis. Elle était née à Vannes comme sa sœur, le 14 juin 1767 (Arch. comm. de Vannes, Etat civil)] tient auprès de sa sœur un rôle plus effacé ; elle semble être surtout l’auxiliaire dévouée de son aînée dans le domaine des bonnes œuvres et de la charité. On voit, d'après les termes même de la lettre qui suit, que, tout en vivant dans le monde, elle s’est consacrée à Dieu et a renoncé aux espérances mondaines.

« J. M. J. La première lettre que ma sœur m’avait écrite m’avait fait espérer que l’on vous eût permis d’habiter votre propre maison, mais d'après ce qu’elle me marque cette semaine, je vois que vous êtes toujours à la maison d’arrêt. Je ne doute pas de toute la gêne que vous en éprouvez, et que la nature ne se révolte quelque fois. Mais, ma chère fille, Dieu le veut, et conséquemment vous devez aussi le vouloir, et, en le voulant, vous devez vous estimer heureuse. Il faut pour cela sans doute que vous soyez généreuse, soumise et résignée ; mais pourriez-vous ne pas l’être en vous rappelant les promesses que vous avez faites si souvent à Dieu et le choix que vous avez eu le bonheur de faire ? Vous appartenez à Jésus-Christ ; votre vie doit donc être une vie d'humiliations, de mépris et d’opprobres. Ne perdez jamais de vue l’avis que nous donne à tous le grand saint Bernard : nous conviendrait-il d'être des membres délicats sous un chef couronné d'épines ? Si c’est là ce qu’il exige de tous les chrétiens en général que n’exige-t-il pas d’une épouse de Jésus-Christ ? Dans les mariages terrestres, il doit y avoir entre les deux époux, union de volonté, de goûts et de sentiments ; combien plus doit-il y en avoir dans les mariages spirituels ! Félicitez-vous donc, ma chère fille, de tous les moyens que votre nouvelle position vous offre de vous rapprocher de l’époux, de votre cœur et de lui ressembler ; et puissiez vous vous écrier avec le grand apôtre : A Dieu ne plaise que je me glorifie jamais en autre chose que dans la Croix de mon Sauveur Jésus-Christ ! Dans le sacrifice qu'il exige de vous, il n’ira pas jusqu'à vouloir que vous répandiez votre sang pour lui, mais il va jusqu’à vouloir que vous mourriez à toutes les révoltes de la nature, à toutes les affections de votre cœur, en un mot, à tout vous même, pour ne voir que lui, ne chercher que lui, et ne vivre que pour lui. Que vous serez heureuse, ma chère-fille, si en sortant d'arrestation, vous pouvez dire avec vérité : Dieu m’a éprouvée et je me suis humiliée sous sa main paternelle ; il m’a fait entrer dans une voie semée d’épines ; mais, pleine de confiance en lui, j’y suis entrée avec générosité et avec courage ; j y ai consulté les lumières de la foi, et en ai suivi les principes. Quelle assurance alors pour vous de pouvoir prétendre à cette récompense qu'il promet à ceux qui auront marché dans la voie de ses commandements. Réjouissez-vous donc, ma chère fille, je vous le repète, réjouissez-vous donc dans le Seigneur. Je sais comme vous, que vous avez tout à craindre de votre faiblesse, mais croyez que celui qui a commencé son ouvrage en vous, voudra bien vous aider à le perfectionner, et ne permettra pas, soyez en sûre, que vous soyez tentée au-dessus de vos forces ; et il saura bien, au moment de la tentation, vous donner les moyens de vous y comporter en vraie chrétienne et d’y être victorieuse. Le temps des tribulations passera bien vite et vous serez obligée d'avouer qu’elles n’auront été rien en comparaison de la gloire qui en sera le prix. Ne m’oubliez pas devant Dieu et croyez-moi tout à vous en Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Ne vous inquiétez pas pour les permissions que vous croiriez devoir me demander : je vous laisse toute liberté ; mais Dieu seul et toujours Dieu seul ».

Tout commentaire serait superflu. Que le lecteur juge. Mais on conviendra que ces deux lettres sont d'une inspiration hautement chrétienne, et qu’elles font honneur à celui qui donne comme à celles qui reçoivent des consolations si austères et de si fortes directions.

 

III. — A Pontivy. — Le substitut Guépin et le directeur du jury Ruinet : loyales réponses. — Les perplexités d'un substitut.

Dès son arrivée à Pontivy, vers une heure de l’après- midi, Louis Videlo fut présenté au citoyen Guépin, substitut du commissaire du gouvernement près le Tribunal criminel du Morbihan pour l’arrondissement de Pontivy ; Guépin fit porter au greffe du tribunal les papiers et les objets divers saisis sur le prisonnier et, séance tenante, décerna Contre lui un mandat de dépôt dont voici la teneur :

« En conformité de l'article VII de la loi du sept pluviôse an neuf, nous substitut du commissaire du gouvernement .... ordonnons que Louis-Marie Videlot, arrêté à Bubry ; arrondissement de Pontivy, taille 1 mètre... ? millimètres, âgé de trente six ans et demi, cheveux et sourcils châtains, barbe idem, figure ovale et pleine, yeux bleus, teint frais, belle phisionomie, prévenu d’intelligence avec l’ennemi intérieur, sera de suite déposé à la maison d"arrêt établie près le tribunal de cet arrondissement ; et que le gardien de la dite maison en fera bonne et sûre garde, en se conformant aux lois ».

Quelques instants après Louis Videlo fut écroué à la maison d’arrêt par le maréchal des logis Moisan.

Sans perdre de temps, Guépin pressa le citoyen Ruinet, directeur du jury, de prendre connaissance de l’affaire.

La voix publique, lui écrivit-il, accuse cet individu et son frère de fomenter des divisions extrêmement funestes à la chose publique. C’est à leur influence sur l’esprit des habitants des campagnes qu’est due la continuation des troubles qui les affligent. Il est appris que ce sont eux qui ont précipité les demoiselles de Penvern dans ces intelligences avec l'ennemi intérieur qui les ont rendues criminelles. Leurs relations avec ces demoiselles ne peuvent plus être un mystère, puisqu’elles sont constatées par les pièces mêmes déposées avec mon procès-verbal.

« Mais à qui était destinée la lettre portant pour adresse « à Benjamin », écrite de Pontivy le 15 juillet 1801 ? Comment se fait-il que Videlo en soit saisi ? est-il grand vicaire ? est-ce sous sa direction que sont placés les prêtres de Pontivy ?

Je pense bien que dans son interrogatoire vous parviendrez à éclaircir tous ces faits ».

Le lendemain, 2 thermidor-22 juillet, Ruinet procéda à l’interrogatoire du prisonnier. Nous donnons in-extenso cette pièce capitale.

« L’an neuf de la république française une et indivisible, Le deux thermidor, nous Germain-Gabriel-Alexandre Ruinet, président du tribunal et directeur du jury de l'arrondissement de Pontivy, ayant pour adjoint le citoyen Jean-François Le Botmel, commis greffier, avons fait extraire de la maison d’arrêt et amener par la force armée un individu de la taille de 1m, 652, cheveux et sourcils châtains, yeux bruns nez ordinaire, bouche moyenne, figure ovale, teint blanc, front beaucoup découvert à l’interrogatoire duquel avons procédé comme suit : — Comment vous appelez-vous ? — Louis-Marie Videlo, âgé de trente-six ans et demi prêtre, ex-curé de la commune de Bubry et y demeurant. — Quand, par qui et pourquoi avez-vous été arrêté ? — Je fus arrêté hier matin, à quatre heures, dans le jardin du presbytère de la commune de Bubry où je fais ma résidence, au bourg, dans une maison particulière, mais on ne m’informa d’aucune matière de cette arrestation, si ce n’est que le chef de la troupe me dit qu’il avait ordre de m’arrêter et de me conduire à Pontivy. — Fûtes-vous fouillé sur le champ par ceux qui vous arrêtèrent et que trouva-t-on sur vous ? — Oui, la fouille fut faite sur le champ ».

Louis Videlo reconnut alors sur la présentation qui lui en fut faite, et les papiers saisis sur lui à Bubry et les objets qu’il avait dû remettre au concierge de la prison de Guémené. Puis l’interrogatoire continua.

« Est-ce vous qui avez écrit la lettre à Bonne dont j’ai ci-devant fait mention ? — Oui, elle est de mon écriture ainsi que la lettre à Rose et le billet à la demoiselle Forsan, de même que l’enveloppe qui réunit le tout. — A quelle époque avez-vous écrit ces lettres ? — Je les ai écrites le 28 ou 29 messidor dernier, et je comptais les faire passer à Pontivy le marché d’hier, pour de là être envoyées à Vannes soit par la poste ou autrement, à l’adresse de Mademoiselle Forsan que je chargeais de les remettre aux demoiselles Rose et Bonne Penvern désignées par ces seuls noms. — Pourquoi ces lettres étaient-elles anonymes si vous n’aviez pas à craindre que le contenu en fût connu ? — Les lettres qui ne sont absolument relatives qu’à mon état, ne sont ordinairement signées de moi que par un signe qui a rapport à la religion ; d’ailleurs le billet à l’adresse de mademoiselle Forsan, que je chargeais de remettre ces lettres aux demoiselles Penvern, est souscrit de ma signature. — Quel était votre motif en écrivant ces lettres ? — Je n'en avais d’autre que de donner aux demoiselles Penvern quelques consolations puisées dans la religion et les engager à se résigner aux décisions de la Providence divine. — Pour l’autre lettre du 15 juillet 1801, on voit clairement qu’elle a été écrite par un ami de Pontivy à Benjamin. Quel est cet ami et quel est Benjamin ? — Comme cette lettre était cachetée et que je me proposais de la faire passer à mon frère, connu sous le nom de Benjamin, je ne peux pas dire positivement quel en était l’auteur. Je crois cependant d’après l’exposition qui m’en a été faite qu’elle vient du seul prêtre resté à Pontivy. — Votre frère Benjamin a-t-il quelque autorité dans le parti catholique que vous et lui avez suivi ? — Il n’en a aucune si ce n’est qu'il a été chargé par les ci-devant grands vicaires Keroignan et Poisson, le premier recteur de Sarzeau et le second de Rieux, de communiquer avec eux, de transmettre leurs ordres et de leur faire part de ses réflexions particulières sur les placements et changements à faire relativement à l’exercice du culte et à la hiérarchie des pouvoirs, fonctions qu’il a remplies sans rien ordonner de son chef. — Vous et votre frère êtes cependant accusés par la voix publique de fomenter des divisions extrêmement funestes à la chose publique en ce qu’il en résulte des dissensions entre les particuliers et même les personnes de la même famille. — Je déclare en ce qui me concerne personnellement, que je n’ai nulle influence sur les affaires ecclésiastiques. Honoré de la confiance de mes supérieurs sous l’ancien régime, j’ai exercé comme j’exerce encore sous leur autorité les fonctions de curé de la paroisse de Bubry, ce qui n’a pour objet que de dire ma messe et d’administrer les sacrements à ceux qui les exigent. Je déclare au surplus, quant à la messe, que jusqu’au 6 janvier dernier (v. s.), mon frère et moi l’avons toujours dite dans la chapelle de Sainte-Hélène, située dans le bourg même de Bubry, l’église paroissiale étant impraticable et presque absolument détruite. A cette époque du 6 janvier, il vint à Bubry un détachement de troupes qui y demeura pendant un mois ou cinq semaines. Alors pour notre sûreté personnelle nous cessâmes de dire la messe dans cette chapelle et depuis ce temps jusqu'au 11 juin dernier nous l’avons dite au presbytère.

Au reste je ne crois pas qu’on puisse imputer ni à moi ni à mon frère d'avoir influencé les habitants pour se soustraire aux lois du gouvernement républicain. — Quel était votre but en conservant la brochure qui a été trouvée dans votre malle si ce n'est de vous entretenir dans les principes qui y sont contenus quoique contraires aux vües du gouvernement? — J'avais si peu d'attachement à cette brochure que j'ignorais même qu’elle fût dans ma malle ; il y avait si longtemps que l’on me l’avait remise et que je l’avais lüe, si tant est que je l'aye fait, que j’en avais perdu le souvenir. — Vous ne pouvez cependant vous dissimuler que ce sont vos conseils et ceux de votre frère, ci-devant recteur, qui ont précipité les demoiselles Penvern dans ces intelligences avec les ennemis de l'intérieur qui les ont rendues criminelles et susceptibles de l'animadversion de la justice ? — Je suis parfaitement étranger à la conduite des demoiselles Penvern relativement aux ennemis de l'intérieur. Ce qu’elles ont fait est l'effet de leur pleine volonté sans que j'y sois intervenu ni par mes conseils ni autrement. — Les relations qu’il y a eu entre votre frère et vous et ces demoiselles ne sont plus un mystère ; elles sont constatées par des pièces même de votre fait et de celui de vos frères, et il n’est guère possible que vous veniez à bout de vous en disculper. — Quant à mon frère, celui qui est arrêté, les relations que j’aie eues avec lui sont de simples relations de frère. Quant à celles avec les demoiselles Penvern, elles sont uniquement relatives à mon état ecclésiastique, et je défie que l’on en produise aucune qui ait rapport à leur condition domestique ou politique. — Vous connaissez quelles sont les promesses qu’exige de vous le gouvernement pour continuer sous sa protection l’exercice du culte que vous avez embrassé. Etes vous dans la disposition de les faire et de vous y soumettre ? — Je ne connais qu’imparfaitement la formule et les promesses ; si elles se bornent à exiger de moi de prêcher au peuple la soumission aux lois, la paix et l’union, je m’y engage volontiers, et je ne ferais que ce que j’ai fait jusqu'à présent. Mais si elles tendent à me faire reconnaître et admettre le gouvernement républicain, je n’y saurais souscrire pour le moment, à moins que mes supérieurs ne m'en donnent l’exemple et ne me disent que l’autorité est passée des mains du roi dans celle des républicains. — Qu’entendez-vous par vos supérieurs ? — J’entends les ci-devant évêques réunis au pape... ».

Il fallait bien convenir que M. Videlo avait répondu avec une loyauté et avec dignité parfaites. Sans doute il restait attaché à la monarchie traditionnelle, il refusait de reconnaître la République. Mais il n’y avait là aucun crime ; il n’y avait pas là un fait précis susceptible de motiver sa comparution devant un tribunal quelconque. C’est ce que Guépin dut reconnaître, d’assez mauvaise grâce d’ailleurs et non sans dépit, dans la lettre qu’il écrivit le même jour à son supérieur hiérarchique Lucas-Bourgerel, pour le mettre au courant de cette affaire.

« Louis-Marie Videlo, ex-vicaire de Bubry, vient d’être, amené devant moi. La voix publique l’accuse, de concert avec son frère, l’ex-curé, de fomenter les divisions extrêmement funestes à la chose publique. Il est toujours certain que ces Messieurs ne reconnaissent pas la légalité du gouvernement qui nous régit. Celui qui est arrêté, avant de se soumettre à ce gouvernement, veut que ses supérieurs lui disent si l’autorité du Roi a pu passer dans les mains des républicains ; ainsi les peuples ne peuvent changer leur constitution, modifier leur gouvernement, sans le concert, sans l’adhésion des ecclésiastiques du premier grade, ou toute la tribu de Lévi s’arme d’un saint zèle, n'adopte pas et méconnaît le gouvernement. Or on sçait tout ce que veulent dire ces mots ne pas adopter, ne pas reconnaître le gouvernement, de la part d’hommes dont la toute puissante influence n’offre aucune prise à l’action des tribunaux pour cela même qu’ils ne l’exercent que sous le voile sacré du mystère.

Mais enfin que faire de cet homme ? Sans doute, le gouvernement ne doit aucune protection à celui qui le méconnaît; sans doute il ne voudra pas laisser exercer ses fonctions un homme qui dans cet exercice peut lui porter les coups les plus sensibles, sans exposer même à la vindicte publique, parce qu’il n’agit que dans le secret de la confession.

Dans l’impossibilité d’acquérir une preuve suffisante pour motiver sa traduction devant un tribunal, j’attendrai que vous me traciez la marche que je dois suivre à son égard ».

 

IV. — Intervention de Benjamin Videlo. — Une pétition des habitants de Bubry. — Brutales menaces et vaine tentative d'évasion. — La délégation de Bubry à Vannes ; le préfet Giraud et le commissaire du gouvernement Lucas- Bourgerel. — Un prisonnier embarrassant. — Soumission ou déportation.

Le commissaire du gouvernement ne se hâta pas de tirer son substitut d’embarras. Ceux qui s’intéressaient à Louis Videlo profitèrent de ce répit pour essayer de l’arracher à la prison. Dès le 2 thermidor, son frère si menacé lui-même, recourait en sa faveur aux bons offices du sous-préfet de Pontivy.

« Dans la position déchirante où me met la prise de mon frère le curé, j'espère que vous excuserez la liberté que je prends de recourir à la bonne volonté que vous m'avez toujours témoignée : je le fais avec d’autant plus de confiance que je ne demande aucune grâce. J’ose dire avec assurance, quels que soient vos sentiments, ce que disait autrefois l’apôtre saint Paul au président Festus (proconsul, sans doute, de la part des Romains) : neque in legem neque in Cæsarem peccavi ; car malgré la malveillance qui nous poursuit avec tant de fureur, je ne crains point qu’on apporte la moindre preuve tant soit peu solide de tout ce qu’on se plaît à débiter contre nous. Le saint apôtre ajoutait : Si nocui, aut dignum morte aliquid feci, non recuso mori, si vero nihil est corum quæ isti accusant me, nemo potest me illis donare. Je dis la même chose, Monsieur, mais avec beaucoup plus de confiance que lui, ayant à plaider notre cause devant vous. J’attends tout de votre justice ; je ne doute pas d’ailleurs que vous ne vous fassiez un plaisir de prendre part à notre position. Vous avez été dans la peine, vous ne pouvez être insensible à celle des autres ; ne doutez pas de ma reconnaissance non plus que du respect avec lequel je suis, etc. » [Note : Arch. départ., Haute police, 5].

Benjamin Videlo croyait sans doute pouvoir compter sur la bienveillance de d’Haucour ; nous verrons qu'il se trompait cette fois.

Les habitants de Bubry s’agitaient de leur côté. Le même jour, 2 thermidor, leurs délégués présentaient au directeur du jury Ruinet et au substitut Guépin la pétition suivante :

« Le général de la commune de Bubry, représenté par les citoyens Augustin Le Cunff, maire provisoire, Jacques Le Sciellour, juge de paix, Jérôme Gozanet et Joseph Bévan, assesseurs, Georges Amice, notaire public, Jean Le Puil, Martin Le Saec, Joseph Herveo, Maurice Le Cavil, Louis Le Gouriérec, François Fouillen, Joseph Le Moing, Louis Le Goff, Yves Bédard, Joseph Le Dily, Louis Le Pen et Marc Le Grandvalet, tous natifs de la dite commune,

Exposent que, le premier thermidor, présent mois, le nommé Louis-Marie Videlo ; curé de la dite commune de Bubry, a été arrêté par la gendarmerie et garnison de Guémené et conduit dans la maison d’arrêt de Pontivy le même jour sans qu’il paroisse qu’il existe contre lui aucun autre motif d’arrestation que sa qualité de prêtre, et il ne paraît pas qu’il puisse en avoir, étant à la connaissance de toute la commune que dans tous les tems, il a exercé ses fonctions en prêchant la paix, l’union et la concorde, ce qui est prouvé par le fait, car la commune de Bubry a, dans tous les tems été une de celles où le bon ordre et la tranquillité ont le plus régné surtout depuis la reddition des chouans, ne s’y étant rien passé qui ait pu donner lieu au plus petit sujet de plainte. De plus, il est à la connaissance publique que, dans la malheureuse année où nous sommes, ledit Louis-Marie Videlo a, par ses aumônes et soins, empêché de périr de faim plus de deux cents personnes de la commune, sans parler des pauvres des autres communes. Enfin il est le seul ministre qui exerce actuellement dans la dite commune de Bubry.

D’après ces brèves observations, le général de la commune de Bubry, représenté par les ci-dessus dénommés, requiert qu’on rende la liberté au dit Louis-Marie Videlo et qu’il lui soit permis d’exercer librement ses fonctions curiales.

Fait et arrêté à Pontivy le deux thermidor l'an neuf de la république française, sous les seings des soussignés, les autres ayant déclaré ne le savoir faire. LE CUNFF, maire, JACQUES LE SCIELLOUR, GOZANET, BEVAN, LE PUIL, AMICE ».

Ni le président du jury, ni le substitut du commissaire du gouvernement ne purent ou ne voulurent donner à cette démarche une réponse favorable. Mais peut-être conseillèrent-ils d'adresser plus haut la supplique.

Louis Videlo ne s'oubliait pas lui-même. Malheureusement il fut amené par de brutales menaces, à essayer, pour recouvrer sa liberté, une tentative d’évasion qui aurait pu aggraver singulièrement son cas.

Le 5 thermidor-24 juillet, deux généraux dont l’un était le commandant de l'arrondissemant de Pontivy, se présentèrent à la maison d’arrêt. Le concierge Pierre Le Breton était sorti ; ce fut sa femme Maturine Jouanno qui les reçut. Ils demandaient à voir Louis Videlo et à l'entretenir en particulier. Conduits au premier étage, ils trouvèrent, dans une des chambres, le vicaire de Bubry en compagnie d’une femme occupée à filer : c'était une prisonnière qu’on avait fait monter pour la soustraire aux menaces et aux brimades des autres détenues. La concierge la fit sortir et laissa les deux officiers seuls avec le prêtre. Que se passa-t-il alors ? On ne le sait pas au juste. Il est certain toutefois que les généraux parlèrent sur un ton d’insolente menace, déclarant au prisonnier que son affaire serait réglée dans les vingt-quatre heures, qu’il n’avait pas à compter sur le Tribunal spécial dont tous « les jugements d’absolution avaient été cassés », qu’enfin il comparaîtrait avec son frère, le chouan, devant le Commission militaire qui siégeait à Vannes.

Ils se retirèrent au bout d’une demi-heure, en ordonnant expressément à la concierge, de ne laisser personne, sous quelque prétexte que ce fût, communiquer avec le prisonnier, quelque permission que pût donner le directeur du jury lui-même, avec qui ils allèrent conférer.

Dès qu’ils furent sortis, Maturine Jouanno monta en toute hâte dans la chambre haute : elle venait d'y entendre un bruit insolite. Elle trouva le prisonnier dans un état d’agitation extrême ; il était pâle, défait ; de temps à autre il tournait les yeux vers la porte qui mettait sa chambre en communication avec une pièce voisine appelée la « Pistole ».

Instinctivement elle ferma cette porte à double tour et mit la clef dans sa poche.

Louis Videlo lui raconta alors les incidents de l'étrange visite qu’il venait de recevoir. « Si je comparais devant la Commission militaire, ajouta-t-il, je suis un homme perdu : on sait avec quelle légèreté elle expédie les gens ». La brave femme essaya de le calmer. Peine inutile ; son trouble ne faisait que croître. Enfin décidé à tout pour sauver sa liberté et sa vie, il lui demanda au nom de Dieu, d’ouvrir la porte qu’elle venait de fermer, de le laisser entrer dans la « Pistole » ; de là il se précipiterait dans le jardin par la fenêtre et se sauverait comme il pourrait. Il se heurta à un refus catégorique. Il revint à la charge, il pria, il supplia «, au nom de Dieu, au nom de tous les saints du Paradis » ; il offrit à la concierge pour la gagner tout l'argent qu’elle voudrait. Celle-ci resta insensible et déclara qui ni son mari ni elle n’étaient gens, « à se laisser corrompre ni par argent ni autrement », que rien ne les empêcherait de faire leur devoir, qu’elle s'étonnait fort que ce fût un prêtre qui voulût l'en détourner. Puis, pour mettre fin à cette scène, elle le fit descendre au rez-de-chaussée avec les autres détenus, et, en attendant le retour de son mari, elle ferma toutes les pièces à double tour.

Pendant ce temps une sentinelle, envoyée par ordre du général commandant l’arrondissement, prenait possession de la porte, sans doute pour empêcher les personnes du dehors d'arriver jusqu’à Louis Videlo.

Vers quatre heures le concierge rentra ; sa femme le mit au courant de ce qui venait de se passer ; aussitôt, pour parer à tout événement et éviter tout reproche, il mit le prisonnier aux fers ; puis il s’empressa d'aller faire sa déclaration à la mairie et au citoyen Guépin qui l’approuva fort d’avoir fait enchaîner Louis Videlo.

Sans perdre de temps Guépin écrivit au directeur du jury pour l'instruire de l'incident.

« Cet homme, disait-il, sent lui-même indubitablement qu’on saura apprécier tout ce que veulent dire ces mots : ne pas reconnaître, ne pas adopter le gouvernement, de la part d'hommes dont toute la puissante influence s’exerce sous le voile du mystère et conséquemment sans donner prise à l’action des tribunaux. (Il tient à son cliché, Guépin). Je pense que cette nouvelle circonstance nécessite d'entendre le concierge et son épouse et d'interroger de nouveau le citoyen Videlo. S’il n’avait rien à craindre, si sa conscience était tranquille il n’eût pas cherché à corrompre ses geôliers ».

Ruinet s’exécuta. Aussitôt, par le ministère de l’huissier audiencier Bellée, il cita le concierge et sa femme à comparaître devant lui le lendemain 6 thermidor à sept heures du matin, pour recevoir « leurs déclarations sur les faits et circonstances relatifs au délit imputé à Louis-Marie Videlo ».

Ce sont ces déclarations que nous avons reproduites dans le récit qui précède.

Ruinet se fit ensuite amener par la force armée le prisonnier « libre de fers ». Il lui fit donner lecture, par le commis-greffier Le Botmel, des dépositions des témoins et lui demanda s’il avait quelque observation à faire.

Louis Videlo répondit qu'il n’avait aucune observation à faire, que les faits étaient vrais à quelques détails près, d’ailleurs insignifiants. Il ajouta cependant que « jamais il n’eut [eu] la pensée de se livrer à de pareilles extrémités, s’il n’avait été saisi par le ton et les menaces des deux officiers avec lesquels il venait d'avoir une conférence, qu’il était surtout frappé de la déclaration qu’on lui fit que son affaire serait terminée en vingt-quatre heures, et que tous les jugements d’absolution rendus par le tribunal spécial avaient été cassés ».

Et, répondant à une question de Ruinet, il déclara qu’il n’avait rien à changer aux réponses qu'il avait faites à son précédent interrogatoire. C’était dire que, même après les menaces qui lui avaient été faites, il persistait à refuser la promesse de soumission à la Constitution de l'an VIII.

On le reconduisit à la maison d’arrêt.

Cependant les habitants de Bubry continuaient leurs démarches. Une délégation composée de Jacques et Yves Le Sciellour, Le Corre, greffier du juge de paix, Gozanet, Le Puil, Amice, Bévan, et conduite par le maire Le Cunff, s’étaient rendue à Vannes. Le 5 thermidor-24 juillet, le jour même où se passait à Pontivy la scène que nous venons de raconter, elle présenta sa requête au préfet.

Après l'avoir lue, le préfet écrivit en marge : « Renvoyé se pourvoir devant le tribunal compétent ». En conséquence, le 6 thermidor-25 juillet, la délégation s’adressa au citoyen Lucas-Bourgerel, commissaire du gouvernement près le Tribunal criminel.

Lucas-Bourgerel connaissait l’affaire Videlo par son substitut pour l'arrondissement de Pontivy. Or il lui paraissait qu'aucune accusation précise ne permettait de traduire le prisonnier soit devant le Tribunal criminel, soit devant le Tribunal spécial. Sans doute, aux yeux de l'administration toujours soupçonneuse, il demeurait, moins que son frère toutefois, suspect d'intelligence avec les chouans ; mais aucune charge spéciale ne pouvait être relevée contre lui. Il était simplement insoumis. Dès lors sa mise en liberté ne dépendait plus de l'autorité judiciaire mais de l’admistration, seule chargée par le gouvernement de la surveillance des ecclésiastiques qui n’avaient pas fait la promesse. A son tour il ne put que renvoyer les pétitionnaires au préfet.

En conséquence, le 7 thermidor-26 juillet, les membres de la délégation, revenant à la charge, remirent au citoyen Giraud, une nouvelle pétition où ils s’efforçaient de faire valoir les raisons suggérées par la réponse du commissaire du gouvernement et de fléchir en faveur de leur vicaire le chef de l’administration départementale.

« Votre autorité, lui disaient-ils, peut seule prononcer sur le sort de ce prêtre. Nous vous attestons, citoyen préfet, que jamais Louis-Marie Videlo n'a nui par ses discours ni par ses actions à la tranquillité de la commune de Bubry. La situation toujours paisible de cette commune le prouve. Nous vous conjurons donc de rendre ce prêtre aux habitants de la commune de Bubry, nous soussignés nous déclarant caution de ses actions et de sa personne, et nous engageant à le faire se présenter toutes les fois que vous l’exigerez. Daignez, citoyen préfet, nous renvoyer au sein de nos familles et au milieu de nos concitoyens avec une réponse satisfaisante.... ».

Le préfet dut reconnaître le bien-fondé des observations de Lucas-Bourgerel. Il se déclara même prêt à ordonner la mise en liberté du prisonnier, mais à une condition : c'est qu'il fît, en bonne et due forme, la promesse de soumission à la Constitution de l’an VIII ; sinon il se verrait contraint de prendre contre lui un arrêté de déportation. C’est en ce sens qu’il écrivit le jour même au sous-préfet d’Haucour.

« Je vous engage à lui annoncer (la décision prise à son égard) et à l’instruire au surplus qu'il doit d’autant moins refuser de remplir ce devoir que déjà plusieurs prêtres s’y sont soumis et, entre autres, Mahé, qui jouit d’une certaine considération. Le Gal était sur le point de la faire (la promesse) quand il a été enlevé sans ma participation et, si j’en crois sa famille, il me l’enverra bientôt par écrit, ce qui motivera sans doute son retour.

Au surplus, en lui participant ces faits, il doit sentir que ce ne peut être que pour son seul avantage individuel et il doit tenir pour certain que s’il ne se soumet, je le ferai aussitôt déporter » [Note : Arch. dép.. Haute police, 5].

Sans doute la délégation rentra à Bubry satisfaite du résultat de ses démarches. Désormais la liberté de M. Videlo dépendait de lui seul ; et on pouvait raisonnablement espérer que, pour éviter la déportation, il se soumettrait, comme tant d’autres prêtres de grande valeur et de haute conscience, à la condition qui lui était imposée.

 

V. — Sous-préfet embarrassé et ami... peu généreux. — Louis Videlo à Vannes. — Au Petit Couvent. — Devant le préfet. — Arrêté de déportation. — Du sang et des larmes. — A l’île d'Oléron.

Le sous-préfet de Pontivy restait donc en quelque sorte chargé de la solution de ce cas embarrassant. Mais d’Haucour n'avait plus à l'égard des Videlo sa bienveillance vraie ou affectée d’autrefois. Il aurait pu, il aurait dû s’ingénier à gagner du temps; c'était facile. Il semble au contraire qu'il ait eu hâte d'en finir. C'est bien, croyons-nous, ce qui ressort de sa réponse au préfet (12 thermidor).

« Citoyen. J'ai reçu votre lettre du 7 relative à Louis-Marie Videlo... Ce Louis-Marie Videlo est frère : 1°) de Julien Videlo, chef des chouans, saisi dans une cache au château de Penverne le 27 germinal (lire prairial dernier... 2°) de Benjamin Videlo, recteur de Bubry, homme très dangereux, étroitement lié avec les chouans et communiquant en souverain de prétendus ordres de l'ancien évêque de Vannes à tous les prêtres des environs qu'il dirige ainsi dans son sens et toujours en haine du gouvernement qu'il a en horreur. Vous jugerés de ses principes et de son entêtement ainsi que de ceux de son frère par les deux lettres ci-jointes. Renvoyés-les moi, s'il vous plaît, quand vous les aurez luës, car c'est affaire de confiance.

Ces deux frères n'ont point changé de sistème depuis l'instant ou le gouvernement a tout fait pour les gens de leur robe. Ils mènent à leur gré tous les païsans à six lieues à la ronde et tout tremble devant eux, parce que le pouvoir exécutif est à leur disposition. La démarche qui a été faite auprès de vous par quelques citoyens de Bubry n'est que l’affaire de la crainte [Note : On remarquera que la persévérance avec laquelle les habitants de Bubry poursuivent leurs démarches soit à Pontivy, soit à Vannes, ne semble pas indiquer qu’ils aient agi sous l’empire de la crainte].Tout le païs, auquel les Videlo interdisent le culte public depuis longtemps, sera flatté de les voir disparaître. Je sais que leur coupable influence s’étend jusque dans Pontivy.

D’après cela je pense qu’il serait de la dernière impolitique de donner la liberté à Louis-Marie Videlo.

Cependant, d’après votre lettre, j’ai conféré sur les dispositions où il peut être avec le citoyen La Gillardais, son beau-frère et j’ai reconnu bientôt qu'il était très éloigné de formaliser sa soumission aux lois de la République. Vous sentez, mon cher préfet, qu’après avoir prôné partout que cette soumission est un crime, il perdrait son crédit en la faisant, quoiqu’il pourrait dire qu’elle lui eût été extorquée par la violence lorsqu’il était dans les fers ».

D'Haucour n’était pas généreux pour les vaincus ; son ton était agressif, presque haineux ; il s’attachait à mettre en lumière ce qui était défavorable aux deux frères. Il se rendait même coupable à leur égard d’un véritable abus de confiance en livrant à son chef, en vue de prouver leur culpabilité, les lettres confidentielles qu’ils lui avaient écrites pour justifier leur attitude vis-à-vis du gouvernement consulaire. A n'en pas douter, il voulait que Louis Videlo fût sévèrement traité, à une condition cependant, c’est qu'il le fût par un autre que lui. Après les marques de confiance que lui avaient données les deux prêtres, il sentait que, décemment, il ne pouvait lui-même sévir ostensiblement contre eux. Aussi dût-il bénir l’initiative du substitut Guépin qui, sans le vouloir peut-être, lui offrit un moyen facile de se débarrasser du prisonnier gênant et de dégager, du moins en apparence, sa responsabilité dans cette désagréable affaire.

Il n’avait pas terminé sa lettre quand, vers deux heures, se présentèrent à la sous-préfecture le commandant de l’arrondissement et le lieutenant de gendarmerie Dhennin ; ils lui annoncèrent que Guépin, instruit que le cas Videlo était du ressort de l’administration, venait de leur donner l’ordre de transférer à Vannes le prisonnier et son dossier pour les mettre l’un et l’autre à la disposition du préfet.

C’était ce qu’il fallait à d'Haucour. Guépin voulut, il est vrai retirer ses ordres [Note : Arch. départ. Liasse non classée] ; le sous-préfet l’en empêcha et pressa autant qu’il put le départ du prisonnier ; puis, enchanté d’en avoir fini avec ce cauchemar, il termina allègrement sa lettre par une phrase qui ne dénote plus aucun embarras :

« Puisque Louis-Marie Videlo ne veut pas reconnaître le gouvernement, puisqu’il refuse d’obéir aux lois, sa présence est évidemment nuisible et sa déportation nécessaire. J’y conclus ».

Le lendemain, 13 thermidor, Louis Videlo fit sous bonne escorte les douze lieues qui séparent Pontivy de Vannes ; il montait le cheval saisi lors de son arrestation. A en croire d’Haucour, son frère, le recteur aurait eu l’intention de le faire enlever pendant le transfert [Note : Arch. départ., K. 11]. La tentative, si elle eut lieu, ne réussit pas, car le soir même le prisonnier fut écroué au Petit-Couvent. Il y trouva son frère Julien et les demoiselles Penvern. Ce fut pour lui une joie de bien courte durée : il apprit en effet, en arrivant, que le Tribunal spécial avait rendu la veille un jugement d’incompétence renvoyant les trois accusés devant la Commission militaire [Note : Arch., départ., Haute police. 12, et liasse non classée]. Tout s'assombrissait autour de lui. Qu'allait-il devenir lui-même ? Qu’allait devenir Benjamin poursuivi par tant de colères et tant de haines ? Qu’allaient devenir les excellentes et si dévouées châtelaines de Penvern et ce malheureux « Tancrède » livrés à des juges qui, non sans raison, passaient pour impitoyables ?

Le lendemain, il fut conduit entre deux gendarmes à la préfecture et comparut devant le préfet du Morbihan qui lui fit subir un nouvel interrogatoire.

Louis Videlo renouvela les déclaratious qu'il avait faites à Pontivy devant le directeur du jury ; il s'expliqua sur la nature de ses relations avec ses frères et avec les demoiselles Penvern et avoua qu’il n’avait rien fait pour régulariser sa situation vis-à-vis du gouvernement. Il déclara en plus ne pouvoir faire, au moins pour le moment, la promesse de soumission à la Constitution, et, devant la menace de déportation, il se contenta d’ajouter qu’il réfléchirait. Dans ces conditions, sans plus tarder, le préfet crut devoir prendre contre le réfractaire un arrêté de déportation. « .... Vu ce qui résulte de l’interrogatoire ci-dessus, je soussigné, préfet du Morbihan, ai pris l’arrêté qui suit :

ART. 1. Le nommé Louis-Marie Videlo, ministre du culte non sousmissionné, sera conduit par la gendarmerie nationale de brigade en brigade à l'île d'Oleron.

ART. 2. Le présent arrêté n’aura néanmoins son exécution qu’après l’approbation du ministre de la police générale auquel il sera adressé et jusqu’à ce, le dit Videlo sera détenu dans la maison dite du Petit Couvent de cette commune.

Fait et arrêté à Vannes, le 14 thermidor an 9 de la République française ».

Avant de se retirer, le prisonnier réclama son cheval.

Le préfet fit remettre l'animal à son beau-frère Jean La Gillardaie qui l’avait suivi à Vannes et qui était en ce moment à la préfecture.

A l’issue de l’audience, il fut reconduit au Petit-Couvent. Il allait y attendre un long mois la réponse du Ministre de la police générale.

Ce fut un mois de douloureuse angoisse. Le prisonnier était journellement mis au courant de ce qui se passait par ses parents du côté maternel dont plusieurs habitaient Vannes, par des amis dévoués, Mademoiselle Forsans, Mademoiselle Flore Kerouallan, dame de compagnie des demoiselles Penvern qui avait tenu à suivre jusqu’au bout les nobles prisonnières. Or le procès de Julien et de ses « complices » devant la Commission militaire commença vers la fin de thermidor, et chaque jour qui s'écoulait faisait pressentir, avec une probabilité croissante, au moins pour le chef chouan, une condamnation capitale. Le 4 fructidor Julien, qui venait d’être transféré à la tour du Connétable transformée en prison militaire, essaya de se soustraire à la mort qu’il entrevoyait déjà ; sa tentative d’évasion échoua au dernier moment. Le lendemain 5, il fut condamné à mort, pendant que les demoiselles Penvern bénéficiaient d’un renvoi devant le Tribunal criminel. Le 6, Louis Videlo put entendre de sa prison, au-dessus des bruits de la ville, les coups de feu du peloton d'exécution qui mettaient fin à l’existence aventureuse de son jeune frère [Note : Arch. départ., liasse non classée].

Quant à Benjamin sa situation était loin de s’améliorer. Le 16 thermidor le préfet écrivait au Ministre de la police générale :

« J’ai eu l'honneur de vous mander que l’on avait saisi un prêtre nommé Videlo, etc.. Mais ce n’était pas lui que l'on cherchait. Il a un frère recteur de la commune de Bubry, contre lequel s'élèvent depuis longtemps de violents soupçons et qu’on n’a cessé de poursuivre sans pouvoir l’atteindre. Ces soupçons viennent maintenant de dégénérer en certitude par une découverte qui a été faite au château de Perrosse, commune de Bubry.

On a trouvé une correspondance qui prouve qu’il est la cheville ouvrière du parti royaliste. Le général Rostoland en est saisi.

La même cache contenait beaucoup d’effets à l’usage du citoyen Videlo : un calice et des ornements d’une grande beauté, 7000 francs en or et argent, soixante couverts d’argent et quelques autres pièces d'argenterie.

Une caisse contenait les titres de propriété de Mme Duquilio, femme de l'émigré propriétaire du château de Perrosse. Dans l’un des paquets étaient deux cocardes brodées portant pour exergue : Vive le Roi, vive la Religion !

..... Rien ne m’annonce que le jeune Videlo soit plus inculpé qu’il ne l’a paru jusqu'à présent » [Note : Arch. départ., K. 11].

Mme Duquilio fut arrêtée à son tour : le 17 thermidor elle arrivait à Lorient. Le 1er fructidor la caisse contenant la correspondance et les objets saisis était mise à la disposition du directeur du jury qui, aussitôt, prit en main l’affaire. Il interrogea la prévenue, entendit de nombreux témoins. On voulait prouver que tout ce numéraire et toute cette argenterie n'appartenait pas à Mme Duquilio ; que tout cela avait été déposé chez elle par Benjamin Videlo dénoncé par « La Bretagne » comme caissier des chouans ; que c’était le trésor de guerre des rebelles.

Parmi les papiers saisis, écrivait le sous-préfet de Lorient au citoyen Dubodan, conseiller de préfecture remplaçant le Préfet absent, on en a trouvé beaucoup à ce prêtre qui prouvent jusqu’à l’évidence que les chouans et les prêtres insoumis, dans ces départements dirigés par les évêques qui sont en Angleterre, font cause commune et tendent au même but qui est de renverser le gouvernement actuel comme n’étant pas légitime » [Note : Arch. départ., Haute police, 4].

Il y avait plus. Le 18 fructidor-5 septembre 1801, vers sept heures du soir une bande de chouans surprit le manoir de la Villeneuve à deux portées de fusil de Baud. C’était là que demeurait le citoyen Villemain, acquéreur des biens de l’abbaye de Lanvaux et autres. Et sans doute c'est à lui qu'ils en voulaient. Il réussit à s’enfuir en sautant par une fenêtre. Mais le lieutenant de vaisseau Bonamy et une fillette de onze ans furent tués. « On assure, écrivait le capitaine de gendarmerie Michelot, que le recteur de Bubry, Videlo, était à la tête de ces cannibales » [Note : Arch. départ., Haute police 1. et passim. ].

Rien n’était plus faux. L’enquête qui suivit ne contient pas une allusion à la présence de Benjamin Videlo ; pas plus que le rapport du citoyen Villemain qui, dit-il, fixa assez les agresseurs pour pouvoir le reconnaître ; pas plus que la correspondance du farouche antiprêtre Corbel, de Baud, qui revient à plusieurs reprises sur cette affaire, recherche avec soin les coupables, nomme avec complaisance les individus soupçonnés.

Mais c’est assez l’habitude de la police politique de tous les temps de chercher à déshonorer par la calomnie les suspects qui s’obstinent à ne pas se laisser prendre.

Le 3 fructidor le Ministre de la police avait approuvé l’arrêté déportant Louis Videlo.

Le 13, le conseiller de préfecture remplaçant le préfet absent donnait ordre au capitaine de gendarmerie Michelot de le faire conduire de brigade en brigade à l’Île d'Oléron. Sur la route, les maires des communes du Morbihan étaient requis et ceux des communes étrangères au département, priés de fournir un cheval de selle pour l’usage du prisonnier.

Le départ eut lieu le lendemain 4 fructidor.

Louis Videlo dut arriver à destination vers la fin du mois ; il fut interné à la citadelle.

 

VI. — Le Concordat. — Le serment. — La visite au nouvel évêque. — Les nominations. — Moréac et Languidic.

Cependant la paix était proche. Signé à Paris le 26 messidor-15 juillet 1801, le Concordat avait été ratifié par le Pape le 15 août suivant. Il fut voté par le Corps législatif le 18 germinal-8 avril 1802 et promulgué très solennellement à Notre-Dame, le 18 du même mois, dimanche de Pâques.

Mgr Amelot était du nombre des trente-six prélats qui crurent devoir refuser ou différer leur démission. On sait comment le Pape et le Premier Consul passèrent outre. Le nouvel évêque de Vannes, Mgr Mayneaud de Pancemont, nommé le 9 avril par le chef de l’Etat, fut institué le 10 et sacré le 11 par le cardinal-légat. La soumission de presque tous les prêtres jusque-là réfractaires ne pouvait tarder.

Le Concordat exigeait des évêques et des prêtres le serment de fidélité au gouvernement établi et à la Constitution de la République française, et le sénatus-consulte du 6 floréal, reçu à Vannes le 21 [Note : Arch. départ., Haute police, 10], le rendait obligatoire dans le délai d’un mois.

Le général préfet Jullien en donna le plus tôt possible communication aux municipalités chargées de le publier : tous les prêtres devaient se présenter en personne à la préfecture entre le 22 floréal et le 22 prairial pour faire entre ses mains « les déclarations et renonciations exigées ».

Le Pape avait parlé ; Mgr Amelot n'était plus rien : les Videlo se soumirent, non assurément sans qu’il leur en coûtât. Louis était sorti de la citadelle d’Oléron, sans doute contre la promesse de soumission. Il accomplit la formalité requise le 20 prairial en même temps que M. Bertrand dont nous avons signalé plus haut la rentrée en scène [Note : Le même jour que M. Sylvestre Dorso, ancien vicaire de Theix, plus tard recteur de Cléguer, puis d’Ambon, et Jean-François Puissant, vicaire d’Ambon (Arch. départ.. Haute police, 8)]. Benjamin ne se présenta qu’au dernier moment, le 22 prairial [Note : A la même date, on signale le serment d'un autre réfractaire fameux, Louis Richard, de Locminé (Arch. départ., Haute police, 8)]. Devant le préfet assisté du conseil de préfecture, chacun d'eux dut prêter « le serment d’être fidèle au gouvernement établi par la Constitution, de n’entretenir ni directement ni indirectement aucune liaison avec les ennemis de l’Etat », et déclarer de plus « n'avoir obtenu des puissances étrangères ni places, ni titres, ni décorations, ni traitements, ni pensions quelconques, desquels serment et déclaration il leur » fut « décerné acte » [Note : Arch. départ., Haute police, 8]. Ils étaient désormais à la disposition de l'autorité diocésaine.

Mgr de Pancemont arriva à Vannes le 11 août. Il se mit aussitôt en contact avec ses prêtres. Il les invita tous à venir à Vannes pour les connaître personnellement et s’assurer de leur adhésion au Concordat [Note : Voir M. LE MENÉ. Histoire du diocèse de Vannes, t. II. p. 391 et 392]. Conformément aux instructions épiscopales, les recteurs et curés devaient se présenter d'abord : les vicaires ne pouvaient se mettre en route qu’après le retour des premiers. On serait heureux de savoir quelle put bien être l'entrevue de ce prélat conciliant, dévoué au nouveau pouvoir et des deux Videlo si longtemps irréductibles dans leur opposition, dont l'un depuis dix ans était la « bête noire » des « patriotes », dont l’autre venait de subir la déportation à cause de son attachement à sa foi politique qu’il confondait peut-être trop avec sa foi religieuse.

Les nominations suivirent. Dans une lettre écrite le 1er septembre au conseiller d’Etat Portalis, Mgr de Pancemont nous apprend lui-même comment il opéra.

« J’avais, dit-il, des notes relatives à tous les prêtres du diocèse par chaque arrondissement : ces notes m'instruisaient du temps de leurs services, de leurs opinions politiques et religieuses, de leurs vertus et de leurs défauts. J'ai conféré, avec mon estimable préfet, toutes mes notes avec les siennes et celles fournies par les autorités constituées. Nous nous sommes respectivement rendu la justice que nos notes étaient conformes à la vérité, puisqu’elles étaient les mêmes à très peu de différence près.

Cette collation faite, nous avons procédé au choix des individus. Tel est le travail que je soumets à votre jugement » [Note : Cité par M. LE MENÉ, Histoire du diocèse de Vannes, t. II, p. 392].

Enfin le 26 fructidor an X-13 septembre 1802, il publia dans un mandement d’une extrême importance le tableau des paroisses érigées et des recteurs nommés.

MM. Benjamin et Louis Videlo y figuraient, le premier, comme recteur de Moréac, le second comme recteur de Languidic [Note : Ordonnance de Mgr de Pancemont].

Quant à M. Bertrand, il fut nommé vicaire à Plœmeur [Note : Peu après, en janvier 1803 il obtint la liquidation de son traitement comme ancien titulaire de la chapellenie de Perros : il fut fixé à la somme de 171 francs. (Arch. départ., K., 9)].

Nous n’ajouterons qu’un mot en ce qui concerne les deux Videlo : l'importance des paroisses qui leur furent confiées, le mode de nomination employé, l’approbation accordée par un gouvernement qui ne pouvait être favorablement disposé, — tout prouve que les deux frères avaient su traverser l'effroyable tourmente sans perdre ni la confiance de leurs supérieurs ecclésiastiques, ni l’estime de leurs adversaires politiques.

Pour nous qui avons cherché la lumière avec la plus entière bonne foi, qui n’avons ni dissimulé les erreurs ni caché les faiblesses, à la fin de ce modeste travail, nous ne pouvons que nous incliner avec respect devant ces prêtres à la foi pure et au cœur vaillant qui, dix années durant, ont joué leur vie et leur liberté pour Dieu, pour l’Eglise et pour les âmes.

 

ÉPILOGUE.

Des cinq prêtres qui exerçaient le ministère à Bubry en 1790, deux, Olivier Le Fellic et Jean Le Goff, avaient péri sur l’échafaud. Les trois autres devaient survivre de longues années à la Révolution, et occuper de hautes situations dans le clergé du diocèse de Vannes.

Le 28 mai 1812, sur la proposition de Mgr de Beausset, M. Bertrand fut agréé comme chanoine titulaire de la cathédrale [Note : Bulletin de la Société polymathique du Morbihan, année 1900 deuxième semestre : Le chapitre de la Cathédrale, par M. Le Mené]. Il mourut à Versailles le 19 mars 1825, des suites d’une opération chirurgicale [Note : Communication de M. LE MENE. Arch. com. de Versailles. Etat-civil. « Extrait du Registre des Actes de décès de la ville de Versailles pour l’année 1825. D’un acte en date de Versailles, du dix-neuf mars mil huit cent vingt-cinq. Il appert : que Toussaint Jean-Marie Bertrand, prêtre, chanoine titulaire de la Cathédrale de Vannes (Morbihan) y domicilié, âgé d'environ soixante-onze ans ; né à Bubry, même département, est décédé le dix-neuf mars mil huit cent vingt-cinq à onze heures du matin, rue de la Paroisse, 133. »].

Louis Videlo fut treize ans recteur de Languidic. Il fut nommé curé d’Hennebont à la fin de 1815. Il mourut le 17 septembre 1817 [Note : Arch. comm. d’Hennebont, Etat-civil. « Du 17 septembre 1837. L’an mil huit cent trente-sept, le dix-sept du mois de septembre à onze heures du matin, par devant nous Denis Verquet, adjoint faisant fonction de Maire de la commune d’Hennebont, arrondissement de Lorient, département du Morbihan, officier de l'Etat-civil, sont comparus Messieurs Louis Guiomard, âgé de trente-huit ans et Joseph Carnac âgé de trente-huit ans, tous deux vicaires de cette paroisse, demeurant sur la Place, point parents du décédé : lesquels nous ont déclaré que ce jour à deux heures et demie du matin, Messire Louis-Marie Videlo, curé de cette paroisse, âgé de soixante-treize ans, natif de Pontivy, fils de feu Monsieur Julien Videlo et de feu dame Anne Blouet, est décédé en la maison numéro 85, sise sur la place Duquel décès nous sommes assuré et avons signé le présent acte avec les déclarants, après lecture. Carnac, vicaire à Hennebont, Guyomard, vicaire d’Hennebont. VERQUET »], à l’âge de soixante-treize ans, après un long et fécond ministère dont Hennebont n’a pas perdu le souvenir. Il eut pour successeur Joseph Le Sciellour qu’il avait lui-même baptisé, en 1796, dans la chapelle du château de Keraly.

Après avoir été recteur de Moréac pendant quelques semaines, et de Plouay [Note : Au mois de décembre 1802, alors que Benjamin venait d’être nommé recteur de Plouay, les deux frères obtinrent la restitution des effets, vases sacrés, linges et ornements d’église etc., qu’ils avaient confiés à la garde de Mme Duquilio et qui avaient été saisis au château de Perros en août 1801. Cette mesure fut prise par le préfet du Morbihan, grâce à l’intervention de Mgr de Pancemont, qui n’avait, disait-il, « que de bons témoignages à rendre de ces messieurs depuis leurs signatures du Concordat ». (Arch. dép., Q, 553)] pendant dix ans, Benjamin fut nommé, avec l'agrément du gouvernement impérial, curé de Plœmeur au commencement de 1812. C’est là que Mgr Garnier alla le prendre, à la fin de 1826, pour en faire son vicaire général. Il accepta ces hautes fonctions sans renoncer pour le moment à sa cure qu’il ne quitta que le 12 décembre 1827, après avoir été confirmé dans la dignité de vicaire générai par Mgr de Lamothe de Broons, successeur de Mgr Garnier [Note : M. Le Mené, Arch. de la paroisse de Plœmeur, communication de M. le chanoine PICHODO, curé-doyen de Plœmeur]. Il avait alors soixante-dix ans. Il mourut à Vannes, dans la maison qu’il habitait, rue des Bons-Enfants, aujourd'hui n° 14 de la rue Richemont, le 2 novembre 1851 : il était dans sa quatre-vingt-quinzième année [Note : M. Le Mené. Arch. comm. de Vannes, Etat-civil. Acte de décès de Benjamin Videlo : « L’an mil huit cent cinquante et un le deux novembre, à deux heures du soir, par devant nous, Paul-Marie, Thomas, Pellé de Quéral. adjoint au maire de Vannes et officier de l’état-civil, sont comparus Messieurs Bon-Yves La Gillardaie, âgé de soixante ans. docteur-médecin, domicilié demeurant à Vannes et François-Marie Lorans, âgé de quarante-sept ans, avoué, domicilié et demeurant à Pontivy, département du Morbihan, lesquels nous ont déclaré que Monsieur Benjamin Videlo, âgé de quatre-vingt-quatorze ans, vicaire général titulaire du diocèse de Vannes, natif de Pontivy, fils célibataire de feu Monsieur Julien Videlo, notaire et procureur et domicilié à Vannes, dame Anne-Marie Blouët son épouse, oncle des deux déclarants, est décédé en sa demeure, rue des Bons-Enfants, ce jour à cinq heures du matin, et ont les dits comparants signé avec nous après lecture du présent acte. B. LA GILLARDAIE, LORANT, P. DE QUERAL, adjoint.......].

Parmi nos contemporains plusieurs se rappellent avoir vu passer et repasser par les rues de Vannes, pour se rendre à l’évêché ou à la cathédrale, ce vieillard plus que nonagénaire, appuyé sur un long bâton et comme rapetissé par l âge, mais entouré du respect universel et déjà comme auréolé par le prestige des souvenirs, plus ou moins déformés par la légende, des temps héroïques qu’il avait traversés. Sur sa tombe a été gravée l’épitaphe suivante : CI-GIT — BENJAMIN VIDELO — VICAIRE GÉNÉRAL — DU DIOCÈSE DE VANNES — NÉ A PONTIVY — LE 21 AVRIL 1757 — DÉCÉDÉ A VANNES — LE 2 NOVEMBRE 1851. — Reqaiescat in pace. — Résumé banal d’une vie qui ne le fut pas.

(abbé P. Nicol).

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