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LES PRÊTRES DE BUBRY PENDANT LA RÉVOLUTION
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I. — Le Clergé de Bubry en 1790.

En 1790, à la veille de la persécution révolutionnaire, la paroisse de Bubry, y compris la trêve de Saint-Yves, possédait cinq prêtres résidant sur différents points de son vaste territoire.

Le recteur était M. Benjamin Videlo. Né a Pontivy, le 11 avril 1757, « du légitime mariage de maître Julien Videlo, notaire et procureur de cette juridiction, et de demoiselle Anne-Marie Blouët, ses père et mère » [Note : Arch. de la mairie de Pontivy, Etat-civil], il avait reçu la prêtrise le 22 septembre 1781, dans la chapelle du séminaire, des mains de M. Amelot, évêque de Vannes [Note : Semaine Religieuse, année 1886]. Le 6 avril 1786, il prit part au concours qui lui valut, à vingt-neuf ans, l’importante paroisse de Bubry. Pourvu par le pape le 2 mai suivant, il prit possession le 19 juillet [Note : L’abbé Luco, Pouillé historique de l'ancien diocèse de Vannes, p. 199].

Au mois de janvier 1789, nous trouvons auprès de lui son frère, M. Louis Videlo [Note : Arch. départ., Etat-civil, Bubry]. Plus jeune de sept ans que Benjamin, — il était né le 3 novembre 1764 [Note : Arch. de la mairie de Pontivy] — Louis Videlo était prêtre depuis l’ordination du 20 décembre 1788 [Note : Semaine religieuse, année 1886]. Quatre mois après son arrivée à Bubry, il fut nommé curé, — nous dirions aujourd’hui vicaire — de cette paroisse dont son frère était recteur. Il remplaçait Damien Guégan qui mourut au mois de février de l’année suivante [Note : Arch. départ., Etat-civil, Bubry].

Ils avaient tous les deux le titre de chapelains de Saint-Yves, et, en cette qualité, outre le tiers des offrandes qui revenait, de droit, au recteur [Note : Abbé Luco, Pouillé historique de l’ancien diocèse de Vannes], ils percevaient chacun 100 livres sur les 460 que le chapitre de la cathédrale de Vannes, titulaire du bénéfice, payait chaque année aux prêtres chargés de la desserte de la chapelle [Note : Id. ; arch. départ., L, 1044].

Les deux frères, le recteur et le curé, habitaient la maison presbydérale, à laquelle étaient attachées des dépendances assez considérables consistant surtout en prairies et herbages [Note : Arch. départ., passim.].

Gros décimateur à la trente-troisième gerbe [Note : Luco, loc. cit.], le recteur retirait de son bénéfice de fort beaux revenus : l’évaluation en fut faite en 1790, et elle s’éleva, usufruits, dîmes, oblations et casuel compris, à la somme respectable de 3400 livres [Note : Arch. départ., L, 1035].

D’après le titre de fondation, il devait y avoir à Saint-Yves quatre chapelains et un sacriste [Note : Luco, loc. cit. ; arch. départ., L, 1043, 1044]. Mais en 1790 on n’y trouve plus qu’un seul chapelain, M. Olivier Le Fellic, — encore résidait-il ordinairement, croyons-nous, non auprès de la chapelle, mais au bourg même de Bubry [Note : Arch. départ., Etat-civil, Bubry (les signatures de M. Le Fellic y sont si fréquentes qu’on ne peut croire qu’il résidât à plus d’une lieue du bourg); et arch. dép., L, passim. (souvent les documents appellent M. Le Goff le « prêtre de Saint-Yves » — ce qui porte à croire qu’il habitait seul auprès de la chapelle)], — et un sacriste, M. Jean Le Goff, qui, lui, occupait avec sa sœur Jeanne, la maison de la chapellenie [Note : Arch. départ., Q, 177 et L, passim ], et faisait fructifier le jardin et les terres qui en dépendaient.

Né le 6 août 1754, au village de Keranduic en Noyal-Pontivy, de Gilles Le Fellic et de Marie Le Moign [Note : Arch. comm. de Noyal-Pontivy, Etat-civil], M. Le Fellic avait été ordonné prêtre en même temps que son recteur, le 22 septembre 1781 [Note : Semaine religieuse, année 1886]. Il exerçait les fonctions du saint ministère à Bubry en qualité de prêtre habitué, depuis l'année 1783 [Note : Arch. départ., Etat-Civil, Bubry], lorsqu’il fut nommé chapelain de Saint-Yves, le 15 janvier 1784 [Note : Arch. départ., L, 1043].

M. Le Goff était né le 11 octobre 1761, de Patern Le Goff et de Louise Taboureau, laboureurs à Lotuen en la paroisse de Kervignac [Note : Arch. départ., Etat-civil. Kervignac]. On constate pour la première fois sa présence à Bubry le 26 avril 1790 [Note : Arch. départ., Etat-civil, Bubry] ; quelques jours après, le 6 mai, il était appelé aux fonctions de sacriste de la chapelle de Saint-Yves [Note : Arch. départ., L, 1043. Nous n’avons pu nous procurer la date de l’ordination de M. Le Goff, ni trouver aucun renseignement sur les fonctions qu’il aurait remplies avant son arrivée à Bubry].

Ces deux nominations avaient été faites par M. Amelot, évêque de Vannes, sur la présentation de M. Ducouëdic, seigneur de Kernivinen et patron du lieu [Note : Arch. départ., L, 1043].

Enfin, à la sortie du bourg, vers le nord, dans la chapelle de l'Immaculée-Conception, située auprès du manoir de Perros dont elle dépendait, se desservait la chapellenie de la Trinité. Comme celle de Saint-Yves, elle était présentée par le seigneur du lieu [Note : Arch. départ., I , 1036], et conférée par l'Ordinaire [Note : Luco, Pouillé historique de l'ancien diocèse de Vannes]. La dotation du chapelain consistait en une maison avec appentis, sise à Perros même, plus « une maison-four et environ six journées de terres chaudes » [Note : Id. ; arch. départ., Q, 177].

M. Toussaint-Jean Bertrand, depuis plusieurs années, probablement depuis son ordination, qui avait eu lieu le 12 mars 1789 [Note : Semaine religieuse de diocèse de Vannes, année 1886], exerçait les fonctions de chapelain de la Trinité. M. Bertrand fut nommé titulaire de la chapellenie de Perros sur présentation, en date du 16 avril 1776, de Marc-Antoine Couriault Duquilio, seigneur du lieu. Il prit possession le 27 septembre suivant. Il n'était encore que clerc tonsuré. (Arch. départ., K, 9).

Par sa naissance il appartenait à une des familles les plus considérables du pays [Note : Arch. départ., Etat-civil de Bubry. Le père de M. Bertrand s’intitulait sieur de la Motte ; d’autres membres de sa famille s’appelaient Bertrand du Botper, Bertrand du Cosquer, Bertrand du Boispin...]. Il était né à Bubry même, le 11 janvier 1754, « de maître Louis-Marie Bertrand, sieur de la Motte », notaire et procureur de la juridiction de Brulé, et « de demoiselle Jeanne-Flore Cadoux, parain » avait été « messire Toussaint René de la Pierre, recteur de Bubry, docteur en Sorbonne et marainne, dame Jeanne Scholastique de Kerpaen », épouse de M. du Quillio [Note : Arch. départ., Etat-civil, Bubry], seigneur de Perros [Note : Semaine religieuse du diocèse de Vannes, année 1886].

Seul, parmi les prêtres de Bubry, M. Bertrand obéit, — bien tardivement d'ailleurs —, au décret de déportation et alla chercher à l'étranger un asile contre la persécution révolutionnaire.

Les autres restèrent dans le pays et même ne s’éloignèrent guère de la paroisse. Ils osèrent braver les lois de sang de la Convention, et, protégés par la fidélité des populations au milieu desquelles ils se cachaient, ils continuèrent, en dépit de toutes les menaces, à exercer les fonctions du saint ministère.

Un peu effacé, d’une prudence nuancée peut-être de quelque timidité, M. Le Fellic ne fit guère parler de lui. M. Le Goff était plus remuant : par son zèle ardent, son activité d'une hardiesse voisine parfois de la témérité, il exaspérait et déconcertait tour à tour les « patriotes » qui l’appelaient avec colère « le prêtre de Saint-Yves ».

Ils eurent tous deux une fin commune : à moins d’une année d’intervalle, ils montèrent sur l’échafaud pour expier leurs « crimes », — nous dirons, nous, pour recevoir la récompense de leur héroïsme.

Quant à MM. Benjamin et Louis Videlo, ils allaient trouver l’occasion de déployer les éminentes qualités que leurs contemporains se plaisaient dès lors à leur reconnaître, et dont leurs ennemis même durent plus d une fois convenir.

La suite montrera, croyons-nous, qu’ils avaient la décision prompte et hardie, qu’ils savaient se tirer d'un mauvais pas par un coup d’audace, et, quand il le fallait, allier à la rondeur du langage et des manières une grande prudence et une réelle habileté. Pieux et instruits, pondérés autant que zélés, capables, pendant dix longues années, — jusqu’à la paix —, de sacrifier chaque jour leur repos et de risquer à chaque instant leur vie pour la cause de l’Eglise et pour le service des âmes, tels ils nous apparaissent à travers la partialité des documents officiels qui les traitent le plus souvent de « scélérats » et de « monstres ».

A chacun d’eux on aurait pu appliquer ce que dit du plus jeune un écrit anonyme émanant d’un contemporain qui paraît bien renseigné : « il se montra constamment dévoré du zèle de la gloire de Dieu et du salut des âmes » [Note : Il s’agit d’une notice manuscrite sur le monastère des Ursulines d’Hennebont, trouvée dans les ruines du manoir de Coëtiquel, Bubry, et gracieusement communiquée à l’auteur de cet article par Mlle Rose Darrieux, de Sainte-Hélène, Bubry, qui le tient de M. l’abbé Jégat, ancien recteur de la paroisse. Nous aurons plus d’une fois l’occasion d’y revenir au cours de cette étude.].

 

II. — Premières difficultés : La lecture, des décrets de l'Assemblée Constituante. — Le Serment. — Questions d'argent.

On peut croire que, comme la plupart de leurs confrères du bas-clergé, les prêtres de Bubry accueillirent sans défaveur la réunion des Etats-généraux, le triomphe du Tiers et les premières mesures de l’Assemblée Constituante.

Mais les désordres anarchiques que ses réformes hâtives ou ses folles destructions déchaînèrent sur tout le pays, son hostilité au roi et à l'autorité royale, ses attentats contre les droits sacrés de l’Eglise, surtout le vote de la Constitution civile du Clergé, ne pouvaient manquer de modifier leur attitude. Pour bien marquer sa désapprobation, M. Benjamin Videlo cessa de publier en chaire les décrets de l’Assemblée. Il fut dénoncé au département qui s’occupa à peine de l’affaire [Note : Arch. départ., L, 1035], puis au district d’Hennebont qui, au contraire, la prit fort au sérieux. Dès le 2 septembre, le directoire écrivit au recteur de Bubry, ainsi qu'à quelques-uns de ses confrères qui s’étaient mis dans le même cas [Note : Arch. départ., L, 1042], pour leur rappeler que, d’après l’article 6 du décret du 2 juin précédent, les curés, vicaires et desservants étaient susceptibles d’être déclarés incapables de remplir aucune fonction de citoyen actif s’ils se refusaient à faire, au prône, à haute et intelligible voix, la puplication des décrets de l'Assemblée acceptés par le roi. « Et par état et par patriotisme, disaient en terminant les zélés administrateurs, faites connaître à vos paroissiens l'heureuse régénération et le bonheur que nous préparent nos législateurs. Nous serons flattés de recevoir une réponse qui nous confirmera la bonne opinion que nous avons de votre civisme » [Note : Arch. départ., L, 1032].

La réponse ne parvint au district que le 22 septembre. C’était une fin de non-recevoir habilement déguisée sous une forme très polie et des protestations de dévouement : « ... Quoi qu’il en soit, déclarait finalement M. Videlo, veuillez bien agréer la même réponse que j’ai déjà faite aux personnes chargées de m’écrire de la part du département : il faudra que les difficultés soient bien grandes pour que je ne les lève pas, si ma conscience le permet, quand il s’agira de ce qui sera commandé » [Note : Arch. départ., L, 858].

Cette réponse ne satisfit pas le district qui l’interpréta dans le sens d'un refus et en référa aussitôt au département [Note : Arch. départ., L, 1035]. L'administration départementale avait assez d’embarras sur les bras. Après avoir fait remarquer que, dans la lettre du recteur de Bubry, le refus de publier les décrets de l’Assemblée n’apparaissait pas bien clairement, — ce qui était vrai —, elle exprima le désir qu’on n’usât pas de rigueur pour porter les délinquants, — cette lettre concernait aussi M. Vallé, recteur de Plouhinec —, à faire leur devoir. « Cependant, ajoutait le département, si après avoir épuisé toutes les voies de douceur et de persuasion, ils s’obstinent à ne pas vouloir s’en acquitter, nous ne voyons d’autre moyen de les y rappeler que de faire exécuter la loi, après avoir fait toutefois dresser procès-verbal, à la diligence du procureur de la commune, de la réquisition à eux faite de publier les décrets de l’Assemblée et de leur refus. En conséquence nous vous prions de donner aux officiers municipaux des lieux les ordres et instructions nécessaires » [Note : Arch. départ., L, 134].

Six jours plus tard, le 27 octobre, « les ordres et instructions nécessaires » furent envoyés à Bubry comme à Plouhinec [Note : Arch. départ., L, 1035].

M. Videlo se résigna-t-il à obéir ? Nous ne le croyons pas. Il semble plus probable que les municipaux de Bubry, peu flattés du rôle qu’on leur imposait, et les administrateurs du district, absorbés par d’autres préoccupations laissèrent peu à peu tomber la question.

Une autre question surgissait en effet, autrement grave et menaçante pour l’Eglise de France, c’était la Constitution civile du clergé et le serment de conformité imposé à tous les ecclésiastiques « fonctionnaires publics », c’est-à-dire aux évêques, curés et vicaires, aux supérieurs, directeurs et professeurs de séminaires, etc..., sous peine d’être considérés comme démissionnaires (27 novembre — 26 décembre 1790).

Le recteur de Bubry et son vicaire furent sommés de prêter ce serment inacceptable, le 6 puis le 13 février 1791, au prône de la grand’messe.

Ils résistèrent courageusement. Ni les ordres de l’administration, ni les sommations deux fois renouvelées de la municipalité ne purent les décider à prêter un serment que réprouvait leur conscience. « ... Messieus s’entaite, écrivaient le 13 février, en parlant du recteur, les municipaux au directoire du district ; peine perdue pour nous parce que y nous a dit qu’il ne prêtera jamais le serment. Messieus vous aurez la bonté de [vous] charger de cette affaires, parce que nous ne voulons pas avoir de la peine à ses sujets... Y. Le Sciellour, maire ; Rivallan, proc. synd. ; Guégan, secrét. greff » [Note : Arch. départ., L, 861].

A partir de ce jour, le recteur de Bubry , qui connaissait le « zèle patriotique » des administrateurs du district d’Hennebont, dut s’attendre, en exécution du décret du 27 novembre, à être chassé de sa paroisse, pour être remplacé par un « curé » plus facile à prêter le serment de soumission à la Constitution civile.

Pendant les mois qui suivirent, en dehors des préoccupations d’ordre général de plus en plus angoissantes, les prêtres de Bubry eurent à traiter avec l’administration d’épineuses questions d’affaires qui étaient la conséquence de la confiscation des biens du Clergé et de la création du budget des cultes.

Depuis l’année 1630, le chapitre de la cathédrale, qui avait reçu à cet effet au constitut de 8000 livres, payait annuellement aux ecclésiastiques chargés de la desserte de la chapelle de Saint-Yves, une rente de 460 livres [Note : Luco, Pouillé historique de l’ancien diocèse de Vannes ; Arch. départ., L, 1043]. L’Etat s’étant emparé des biens du chapitre, comme des autres biens d’Eglise, c’était à lui de supporter les charges dont ils étaient grevés. Aussi, dès le mois de mars 1791, MM. Benjamin et Louis Videlo, Le Fellic et Le Goff, chapelains et sacriste de Saint-Yves, réclamèrent auprès du district le paiement des revenus qui leur étaient dus pour l'année précédente [Note : Arch. départ., L, 1043].

Le recteur et le vicaire furent bientôt mis hors de cause, parce que, « aux termes du titre primordial », il était « expressément réservé que le choix ne » devait « pas tomber sur eux pour la desserte de la chapelle et les émoluments qui y » étaient « atttachés » [Note : Arch. départ., L, 1044].

Au contraire, la créance de MM. Le Fellic et Le Goff fut aisément admise par le district et par le département ; mais pour entrer en possession des 260 livres qui devaient leur revenir, ils durent multiplier les sollicitations, fournir des explications sans fin, produire des pièces des archives capitulaires alors aux mains du district de Vannes [Note : Arch. départ., Q, 297]. Leurs démarches, commencées en février ou mars, malgré Lavis favorable de la municipalité de Bubry et du district d’Hennebont [Note : Arch. départ., Q, 297], n’avaient pas encore abouti au commencement de septembre [Note : Arch. départ., L, 1043], et l’attente, qui avait déjà duré plus de six mois, se prolongea sans doute encore quelques semaines... si même elle ne fut pas totalement trompée.

Le recteur de Bubry, à raison même de sa situation, eut à faire face à d’autres difficultés de même nature dont la solution ne fut ni plus aisée ni plus rapide.

Le 14 avril 1790, l’Assemblée Constituante avait décrété que, à partir du 1er janvier précédent, le clergé recevrait, en compensation des biens qui lui avaient été confisqués, un traitement en argent. Il avait été décidé en outre que les curés des campagnes continueraient néanmoins à administrer provisoirement les fonds territoriaux attachés à leurs bénéfices, à la charge pour eux d’en compenser les fruits avec leurs traitements et de faire raison du surplus s’il y avait lieu ; que les dîmes abolies cesseraient d’être payées à partir du 1er janvier 1791, et que cependant les redevables seraient tenus de les payer à qui de droit exactement, la présente année, comme par le passé, à défaut de quoi ils y seraient contraints [Note : Marius Sépet, La Chute de l'ancienne France, La Fédération, p. 233 et 234].

Le traitement du recteur de Bubry avait été fixé par l'administration, en raison de la population de la paroisse, à 2400 livres [Note : Arch. départ., L, 1035], celui de son vicaire, à 700 livres [Note : Arch. départ., L, 1043].

Le 18 mars 1791 le recteur, Benjamin Videlo, fut invité à passer au district pour régler ses comptes de 1790 ; il profita de l’occasion pour demander son traitement pour le premier trimestre de l’année courante. Deux jours après, le district lui renvoyait ses comptes en lui faisant remarquer qu'il mettait à sa charge 700 livres pour le traitement de son vicaire, alors que la moitié de cette somme était à la charge de la « Nation ». Quant au premier trimestre de 1791, conformément à une instruction de l’Assemblée nationale en date du 12 janvier, il ne devait être payé aux « fonctionnaires publics » que lorsqu’ils auraient prêté le serment prescrit, sans préjudice d'ailleurs de leur droit intégral à leur traitement jusqu’au jour de leur remplacement [Note : Arch. départ., L, 1043].

Dès les premiers jours de mai, l’apuration des comptes étant terminée, le district fit savoir à M. Videlo que, pour l’exercice de 1790, il restait redevable à la « Nation » de la somme de 903 livres 3 sols 1 denier ; il l’invitait en même temps à verser cette somme, dans la huitaine, dans la caisse du trésorier du district. Après des négociations qui n’aboutirent pas, le recteur dut s’exécuter purement et simplement (juin 1791) [Note : Arch. départ., L, 1043].

Quoiqu’il eût refusé le serment, il parvint cependant à se faire payer les 1200 livres qui représentaient son traitement pour les deux premiers trimestres de 1791 [Note : Arch. départ., L, 1035].

Il réussit aussi à faire agréer par le directoire du district une demande en réduction de sa « contribution patriotique » [Note : Il s'agit ici de la célèbre « contribution patriotique » fixée au quart du revenu de chaque citoyen, votée le 28 septembre 1789, à la demande du ministre Necker, après un discours fameux de Mirabeau], proportionnelle à la diminution de ses revenus. Calculée d’après un revenu de 3400 livres, elle avait été fixée primitivement, en 1789, à 850 livres, payables en trois annuités de 283 livres 6 sols 8 deniers. Le directoire ne pouvait refuser de faire droit à la pétition de M. B. Videlo. Il déclara cependant impossible la réduction de la première annuité, qui correspondait à l’année 1790, et avait été établie en raison du revenu de 1789 et années antérieures, qui avait été perçu en entier ; mais le traitement de M. Videlo étant tombé à 2703 livres en 1790 et à 2400 en 1791, il émit l’avis qu’on ne pouvait exiger de lui que 225 livres 5 sols pour le deuxième terme et 200 livres seulement pour le troisième (3 août) [Note : Arch. départ., L, 1035].

Enfin, le 31 août, une ordonnance de paiement de 335 livres 5 sols 3 deniers était adressée par le district à M. B. Videlo, « ex-curé de Bubry » [Note : t., L, 1044. Pour pouvoir toucher le montant de cette ordonnance de paiement, le bénéficiaire devait produire les quittances de ses contributions de 1789 et 1790, et celle de sa « contribution patriotique » pour lesd eux dernières années (Id.)].

Aux yeux de l'administration M. B. Videlo n'était plus, en effet, recteur de Bubry. Considéré comme démissionnaire pour refus de serment, en vertu du décret du 27 novembre 1790, après bien des difficultés et bien des retards, il venait d’être remplacé par un curé constitutionnel, et cette dernière ordonnance de paiement représentait son traitement pour le troisième trimestre de 1791 jusqu’au jour de son remplacement (1er juillet-21 août). Désormais la « Nation » se contenterait de lui payer une pension annuelle de 500 livres, à titre de « curé remplacé ».

 

III. — L'établissement du régime constitutionnel à Bubry. — L’assemblée électorale du mois d'avril. — L'élection de M. Saintirque. — Acception suivie d’un refus définitif.

Le dimanche 3 avril 1791, sur la convocation du procureur-syndic, les électeurs des neuf cantons composant le district d’Hennebont, réunis au chef-lieu, s’assemblèrent dans l’église paroissiale de Notre-Dame de Paradis « pour procéder au remplacement des ecclésiastiques fonctionnaires publics qui » n’avaient « pas voulu prêter le serment exigé par la loi du 26 décembre 1790 » [Note : La loi prescrivant le serment avait été votée par l’Assemblée le 27 novembre ; mais elle n’avait été sanctionnée par le roi que le 26 décembre. C’est pour cela qu’on l’appelle tantôt le décret du 27 novembre, tantôt la loi du 26 décembre. Les opérations électorales durèrent cinq jours : il fallait en effet, avant la clôture, notifier à chaque élu son élection, attendre sa réponse, et, en cas de refus, recommencer l’élection. Or il y eut de nombreux refus. (Procès-verbal de l’assemblée électorale du district d’Hennebont, arch. départ., L, 861)]. Après avoir assisté à la messe paroissiale et avoir invoqué les lumières du Saint-Esprit, et aussi après que M. le procureur-syndic eût « de nouveau exposé le sujet » de « l’assemblée dans un discours qui » fut « généralement applaudi et dont l’assemblée » ordonna « la transcription à la suite du procès-verbal de ses séances », on procéda à la formation du bureau.

Furent nommés : président, Le Tohic, membre du directoire ; secrétaire, Laigneau ; scrutateurs, Durand et Huguet, de Lorient et Jubin de Kervignac.

La formalité du serment, la réception d’une députation du conseil de la commune d’Hennebont, conduite par le maire et le procureur qui harangua l’assemblée, la lecture de la loi relative à l’élection des curés, occupèrent le reste de la matinée.

Les opérations électorales commencèrent à la séance de l’après-midi. On élut successivement les curés de Saint-Gilles-Hennebont, Plouhinec, Plœmeur, Lesbin-Pontscorf, Kervignac, Languidic, Guidel. « Le président a ensuite annoncé continue le procès-verbal, qu’on allait procéder au scrutin pour l'élection d’un curé de la paroisse de Bubry. L’appel nominal fait, les billets déposés et comptés se sont trouvés être de cinquante, un nombre égal à celui des votants et le dépouillement en ayant été fait, Messieurs les scrutateurs ont annoncé à l’assemblée que M. Saintirque, vicaire de Plouay, ayant réuni quarante-huit suffrages, avait la majorité absolue et était élu curé de Bubry.... ».

Un courrier se rendit aussitôt à Plouay pour faire part à M. Saintirque de son élection et rapporter sa réponse. Le lendemain 4 avril, à la séance du matin, la réponse de M. Saintirque fut remise au président qui, aussitôt, en donna lecture à l’assemblée. L’élu acceptait la cure de Bubry. « Cette lettre, dit le procès-verbal, a été vivement applaudie ».

Un seul prêtre de Bubry attira, nous ne savons pourquoi, l’attention de l’assemblée électorale qui crut pouvoir compter sur lui. Dans la dernière séance, le 7 avril au matin, M. Bertrand fut élu curé de Lanvaudan par 37 voix sur 43 votants ; sa réponse fut, sans aucun doute, négative ; nous ne croyons pas que M. Bertrand ait appartenu un seul instant à l’église constitutionnelle.

Les opérations électorales étant terminées, commença la cérémonie de clôture : proclamation des élus, échange de discours, grand’messe solennelle, bénédiction du Saint-Sacrement et enfin Te Deum. La séance fut levée à deux heures et demie de l’après-midi et les électeurs se séparèrent [Note : Arch. départ, L, 861. « Dans ce moment, dit le procès-verbal, on a annoncé l’arrivée de M. Michel et des ecclésiastiques de Lorient qui avaient été invités. Ils sont entrés accompagnés de la municipalité et escortés d’un détachement de la garde nationale. M. le président a témoigné à ces dignes ecclésiastiques la satisfaction que leur présence causait à l’Assemblée. Tout étant disposé pour l’office divin, le président est monté en chaire et, parlant au peuple qui remplissait l’église, il a fait la proclamation des curés qui ont été élus par l’assemblé électorale... Onze ont accepté, on attend la réponse de sept. Il a ensuite prononcé un discours tendant à détruire les préventions que des prêtres fanatiques cherchaient à inspirer aux gens crédules contre les ecclésiastiques soumis à la Loy. Ce discours a été applaudi. M. Michel a ensuite exposé en peu de mots et avec autant de simplicité que d’onction, les motifs de son acceptation qui sont la soumission à la loy, l’amour de la paix et surtout le véritable intérêt de la religion. Son discours bien propre à dissillé les yeux de ceux qui sont trompés et à confondre ceux qui sont de mauvaise foie a obtenu les applaudissements de tous les assistants. La messe a été ensuite célébrée par M. Le Michel élu curé d’Hennebont, assisté de MM. Le Gouhir, Le Meur, Le Lièvre, Even jeune et Jaffré, élus aussi à différentes cures par l’Assemblée ainsi que des MM. Plaudrein, de la Salle, Duquêne, le vicaire des Capucins, et M. Jouan, diacre. La messe finie on a donné la bénédiction suivant l’usage de l’église au jour de jeudy et chanté un Te Deum en actions de grâces. Messieurs les ecclésiastiques se sont ensuite retirés dans lemême ordre qu’ils étaient venus et accompagnés d’une députation de l’Assemblée. L’Assemblée a arrêté qu’il serait fait une pétition au district pour que les électeurs qui se sont trouvés présents à ses séances reçoivent un traitement de trois livres par jour pour le temps seul qu’ils ont été présents. La séance a ensuite été levée à deux heures et demie après midy ». Ce Le Michel-Duroy prêta tous les serments qu’on voulut. Il roula jusqu’au fond du précipice. Le 11 novembre 1792, il se présenta devant la municipalité d’Hennebont avec Elise-Jeanne- Françoise Chardin, — une enfant de quinze ans —, fille d’un négociant de Lorient alors aux Indes, pour faire inscrire sur le registre ad hoc la déclaration de mariage civil contracté par eux le 1er mars précédent. Il eut un fils l’année suivante. (Arch. départ., E, Etat-civil, Hennebont). Sur les registres paroissiaux, à la date du 9 janvier 1793, on trouve l’acte de baptême de ce fils de prêtre que le père eut l’audace d écrire de sa main comme curé ! « Baptême d’un enfant mâle né du légitime mariage du citoyen Germain Le Michel-Duroy, né le 25 juin 1764, sur la paroisse Saint-Patern, à Vannes, et de la citoyenne Elise-Jeanne-Françoise Chardin, née le 31 janvier 1777, à Lorient. » (G. de Grandmaison, Un curé d'autrefois). Il changea son nom par trop incivique de Duroy en celui de Brutus qui lui fut donné dans la séance de la Société populaire d’Hennebont du 22 brumaire an II (2 novembre 1793), par le représentant du peuple Prieur de la Marne. (Arch. départ., E, Etat-civil, Hennebont). « Brutus et son ménage disparurent d’Hennebont en novembre 1794 ». Le Gouhir, Le Meur, Le Lièvre, Even avaient été nommés curés de Plouhinec, Guidel, Lesbin-Pontcorf et Inzinzac].

« Celui qui aura été proclamé élu à une cure, dit la Constitution civile du clergé, se présentera en personne à l’évêque, avec le procès-verbal de son élection et proclamation, à l’effet d’obtenir de lui l’institution canonique. L’évêque aura la faculté d’examiner l’élu sur sa doctrine et sur ses mœurs ».

M. Le Masle. élu le 27 mars évêque du Morbihan, ne fit son entrée à Vannes que le 21 mai. Ce retard sauva M. Saintirque. A la réflexion, il se prit à regretter le serment qu’il avait peut-être prêté à contrecœur, entraîné par l'exemple de son recteur M. Tatiboët et de MM. Le Diagon et Bouler, autres prêtres de Plouay ; le Pape d’ailleurs venait de condamner la Constitution civile du clergé. Aussi, même après l’installation de Le Masle à Vannes, malgré les instances pressantes du district, ne fit-il aucune démarche en vue d’obtenir les pouvoirs nécessaires pour entrer en possession de sa paroisse. Enfin, le 13 juillet, après trois mois d’hésitations, il annonça au district que, devant les difficultés de tout genre qui se dressaient devant lui, il renonçait à la cure de Bubry.

Il sut faire son devoir jusqu’au bout sans craindre les colères de l'administration et, au moins de mai 1792, il fit savoir au district qu’il rétractait son serment [Note : Arch. départ., L. 861. François Saintirque, fils de Pierre et de Marie Rello, de Croixanvec, avait été ordonné prêtre le 18 septembre 1773 (Semaine religieuse, année 1886). M. Le Diagon rétracta son serment six jours après l'avoir prêté et, dans la suite, répara noblement cet acte de faiblesse].

 

IV. — L'assemblée électorale du mois d'août. — L'élection de Louis Le Stunff. — Son installation.

La paroisse de Bubry restait donc sans curé constitutionnel ; dans le district, plusieurs autres, pour des raisons analogues, se trouvaient dans le même cas [Note : Par exemple Nostang, Kervignac, Riantec, Caudan, Languidic. (Arch. départ., L, 861, Procès-verbal des opérations électorales)].

C’était une situation que le zèle du directoire ne pouvait tolérer. Aussi les électeurs furent-ils convoqués de nouveau pour le 7 août. Ils restèrent assemblés jusqu’au 17, sous la présidence de Lapotaire, procureur syndic du district, assisté de Gourdin, secrétaire et de Barré, Jubin et Le Tohic, scrutateurs.

Le dimanche 14, à la séance du soir, ils procédèrent à l’élection du curé de Bubry. Il n'y avait que 34 votants, — beaucoup d’électeurs, semble-t-il, étaient restés chez eux — ; 27 voix se réunirent sur le nom de M. Le Stunff, prêtre d’Inguiniel, qui fut aussitôt proclamé élu [Note : Arch. départ., L, 861].

Louis Le Stunff était né le 24 février 1757, à Lanven, en la paroisse d’Inguiniel, de Joseph Le Stunff et de Jacquette Robic [Note : Arch. départ., E, Etat-civil, Inguiniel.]. Il avait été ordonné prêtre le 24 septembre 1785 [Note : Semaine religieuse du diocèse de Vannes, année 1886].

Cet homme n’était guère accessible aux scrupules qui avaient arrêté M. Saintirque ; il n’hésita pas devant l’usurpation schimatique qu’on l’invitait à consommer. Prévenu par exprès, il arriva à Hennebont le soir même [Note : Arch. départ., L, 861], et le lendemain, 15 août, fête de l’Assomption de la T. S. Vierge, à la séance du matin, le président Lapotaire donna lecture, aux applaudissements de l’assemblée, de sa lettre d’acceptation. « Je suis bien reconnaissant, écrivait-il, à l’assemblée électorale du district d’Hennebont, de m’avoir choisi pour la cure de Bubry, je l’accepte pour le bien public et la tranquillité du royaume et le bien de la religion seuls objets que j’ai et aurai à cœur... » [Note : Arch. départ., L, 861]. Cette fois les choses ne traînèrent pas en longueur. Le 16, Le Stunff se rendit à Vannes et le lendemain il se présenta devant Le Masle pour lui demander l’institution canonique [Note : Arch. départ., L, 861].

« Son mérite et ses talents la lui » firent « bientôt obtenir », — c’est le district qui parle [Note : Arch. départ., L, 1044]. Le même jour il était de retour à Hennebont et se présentait devant le directoire pour lui faire savoir « qu'il désirait prendre possession de sa cure et y être installé » le dimanche suivant 21 août [Note : Arch. départ., L, 1035].

Sur l’invitation du directoire, le procureur-syndic Lapotaire et Cordon, un des administrateurs, acceptèrent d’aller à Bubry au jour indiqué, pour représenter le district à l’installation de Le Stunff [Note : Arch. départ., L, 1035].

Pour préparer les voies au curé constitutionnel, le district écrivit le 18 à M. Benjamin Videlo et à la municipalité de Bubry les deux lettres qui suivent [Note : Arch. départ., L, 1044] : « M. B. Videlo, curé de Bubry, Nous vous prévenons, Monsieur, que le curé élu par le corps électoral du district d’Hennebont pour vous remplacer en la paroisse de Bubry, ayant reçu son institution canonique de M. l’évêque du Morbihan, doit se rendre dimanche prochain à l’église paroissiale de Bubry pour y être installé et faire toutes les fonctions de son ministère comme curé. Aussi vous voudrez bien vous dispenser de dire la grand'messe, et nous vous invitons de prendre les moyens de vuider le presbytère où le nouveau curé doit résider au moins le troisième jour après son installation ».

« Municipalité de Bubry. L’assemblée électorale de votre district a nommé M. Le Stunf pour curé de votre paroisse, ce digne ecclésiastique a accepté cette cure et de suite s’est rendu à Vannes pour recevoir son institution canonique. Son mérite et ses talents la lui ont fait bientôt obtenir et il doit se rendre dimanche prochain avec deux commissaires du district au bourg de votre paroisse. Vous vous joindrés à nos commissaires pour l’installation et vous préviendrez M. B. Videlo, votre curé actuel, que M. Le Stunf doit dire dimanche prochain la grand’-messe à l’église paroissiale et qu’il n’ait plus, à datter de l’installation de votre nouveau curé, à s’immiscer en aucunes fonctions curiales. « Nous vous engageons, MM., en votre qualité de représentants du peuple, à être tous présents à cette cérémonie et à aller au-devant de votre nouveau curé. C’est à vous de donner l’exemple de fidélité aux lois sans lesquelles on ne verrait partout que désordre. Vous voudrez bien passer chez M. Videlo et lui faire part qu’il ait à prendre les moyens de déloger son presbytère dans les trois jours qui suivront l’installation de M. Le Stunff ».

Le dimanche 21 août, à neuf heures du matin les municipaux de Bubry se réunirent « en la chambre ordinaire » de leurs séances. Presque aussitôt on leur annonça l’arrivée de M. Le Stunff. Ils se portèrent audevant de lui jusqu’à l’entrée du bourg.

Le nouveau curé, accompagné des commissaires du district, fut reçu au carillon des cloches et conduit à la salle municipale. Il déposa sur le bureau « un extrait du procès-verbal de l’assemblée électorale du 14, 15 et 16 août, contenant son élection à la cure de Bubry et sa proclamation signée Lapotaire président et Gourdin secrétaire, plus l’acte de son institution canonique en datte du 17, signé Charles Le Masle, évêque du Morbihan, et plus bas, par mandement signé de Douhet, et dûment scellé. ». On lui donna acte du dépôt de ces pièces, et, les sons ordinaires de la grand’messe paroisiale achevés, municipaux et commissaires, conduisirent Le Stunff par le cimetière jusqu’à la porte principale de l’église [Note : Arch. départ., L, 861].

Le bourg était fort tranquille : pas de cris hostiles ; mais aussi pas de manifestations sympathiques et surtout peu de monde. Au dire de l’administration [Note : Arch. départ., L, 1044], voici quelle en était la cause : le dimanche précédent, M. Videlo, sans doute dans le but de faire le vide autour de son successeur, avait annoncé au prône, que, le 21, la messe paroissiale serait célébrée dans une chapelle située à une lieue du bourg [Note : Probablement la chapelle, aujourd’hui ruinée, de Saint-Armel]. Cela se peut. Toutefois on ne saurait douter que ce qui détermina les habitants de Bubry à se tenir à l’écart, ce fut avant tout leur fidélité à celui qu'ils considéraient, avec raison, comme leur pasteur légitime et la répulsion que leur inspirait l’intrus qui venait s’imposer à eux, au nom de je ne sais quelle « Constitution » que la presque unanimité du clergé et le Pape lui-même déclaraient schismatique.

Le Stunff fut reçu à la porte de l’église par M. Fréteau, curé constitutionnel d’Inguiniel, qu’il avait lui-même installé un mois auparavant (24 juillet) [Note : Arch. départ., L, 861]. Echange de bons procédés. Ayant revêtu l’étole blanche, il s’avança jusqu’au maître-autel et entonna le Veni Creator. « A la fin de l’hymne, dit le procès-verbal, M. le procureur syndic a annoncé au peuple son nouveau pasteur en l’engageant à le recevoir et à le regarder comme un vrai et légitime curé, à lui porter hommage et respect et obéissance en tout ce qui concerne son saint ministère. M. Le Stunff après un discours analogue à la circonstance en langue bretonne, tant dans cette langue qu’en langue française et en présence du peuple, des officiers municipaux et du clergé et la main levée, [a] jurée à haute et intelligible voix de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse qui lui est confiée, d’être fidèle à la nation, à la loi et au Roi et de maintenir de tout son pouvoir la Constitution du royaume, décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le Roi. Ensuite il a célébré solennellement la grand’messe paroissiale à l’issue de laquelle il a chanté le Te Deum en actions de grâces ».

Au sortir de l'église, les municipaux et les commissaires accompagnèrent Le Stunff au presbytère. Ils y trouvèrent le curé, M. Louis Videlo, qui leur déclara que son frère, le recteur, était absent. Ils le chargèrent de dire au « ci-devant curé » que Le Stunff se proposant d’occuper incessamment le presbytère, il eut à déménager « de jour à autre ».

Restait à rédiger le procès-verbal de la cérémonie. Au pied de ce document, avec les noms de Le Stunff et de Fréteau, on peut lire les signatures suivantes : Jutard ; Le Priol ; Le Cunffe ; Boulai ; Serpeuille ; Guyard ; F. Jutard ; Cordon, administrateur du district d’Hennebont ; Le Tohic, procureur syndic ; Le Sciellour, maire ; Rivallan, procureur de la commune; Guégant, secrétaire-greffier [Note : Arch. départ., L, 861, Copie du procès-verbal de l’installation de M. Louis Le Stunff à la cure de Bubry].

Le curé constitutionnel de Bubry eut, quelques jours après, un grand sujet de satisfaction : le 25 août, par une lettre adressée à Cordon, l’ancien recteur fit connaître au district son intention de quitter sa paroisse, au moins pour quelque temps, et de se retirer à Pontivy, au sein de sa famille [Note : Arch. départ., L, 861]. Le directoire, au comble de ses vœux, lui répondit dès le lendemain en approuvant chaudement son projet : « Le parti que vous avez pris, disait-il, ne peut que nous persuader de plus en plus que votre dessein n’est en aucune manière de troubler la tranquillité publique. Vous devez exécuter ce projet au premier instant ; nous écrirons à la municipalité de Bubry de vous remettre le passe-port que vous désirez. Nous pouvons nous flatter d’aimer trop l’équité pour gêner un individu au point de le renvoyer du lieu qui lui plaît sans preuve reconnue qu’il y met le désordre ; mais nous devons suivre l’arrêté du département [Note :Il s’agit ici de l’arrêté du 1er juin 1791 « qui soumettait à l’internement à Lorient les prêtres réfractaires dont la conduite ou la présence pouvait faire naître des troubles ». (Voir M. Le Mené, Histoire du diocèse de Vannes, t. II, p. 274)], si nous reconnaissons que la présence, les discours des ecclésiastiques et surtout de ceux qu’on remplace, paraissent occasionner de la division dans les esprits et faire naître une inimitié qui deviendrait le germe des malheurs. Aussi, Monsieur, puisque vous avez l’intention de vous retirer à Pontivy, nous vous engageons à le faire de suite. Vous seriez dès lors à l’abry de toute inquiétude ; votre influence ne paraîtrait pas être la même que dans la paroisse que vous venez de quitter et on n’aurait pas autant les yeux fixés sur votre manière de faire » [Note : Arch. départ., L. 1044].

D’autre part, une lettre des mêmes administrateurs au département (31 août), montrait une fois de plus le prix qu’ils attachaient à la retraite de M. Videlo : « Si M. Videlo prend le parti que nous avons indiqué, il agira sagement ; nous l’engageons amicalement à se retirer, il ne peut rien faire de mieux pour sa tranquillité et pour celle des habitants de Bubry et pour la nôtre » [Note : Arch. départ., L. 1044].

De Le Stunff ils disaient : « Ce bon prêtre était ici aujourd’huy et paraît fort content des habitants des campagnes ; il ne l’est pas autant de ceux du bourg ; cela ne doit pas vous étonner : Messieurs les anciens prêtres [y] font plus de visites qu’ailleurs » [Note : Arch. départ., L, 1044].

Le Stunff était donc content. Il y avait bien l’hostilité du bourg, mais il pouvait espérer qu’elle désarmerait à la longue ; en tout cas, elle était largement compensée par les bonnes dispositions des campagnes, surtout par le départ prochain de M. Videlo, l’ancien recteur, dont la rivalité seule aurait pu lui créer les plus cruels embarras. Enfin, pour comble de bonheur, en ce temps même, le département prenait une mesure qui ne pouvait manquer de rendre le nouveau « curé » tout à fait maître de la situation. Par un arrêté en date du 3 septembre, il obligeait tous les recteurs et vicaires remplacés à se retirer sans délai, à dix lieues de la paroisse où ils avaient exercé leurs fonctions, ou dans leur famille, faute de quoi l’arrêté du 1er juin serait bien et dûment exécuté contre eux. A la demande du district d’Hennebont, la faculté de se retirer dans leur famille leur fut même ôtée quelques jours après [Note : M. Le Mené, Histoire du diocèse de Vannes, t. II, p. 277]. Le Stunff pouvait être content.

 

V. — Les premiers conflits. — Le Stunff dénonce les prêtres insermentés. — Il leur interdit « son » église.

Le bonheur de Le Stunff ne fut pas de longue durée. M. Videlo ne pouvait se résoudre à quitter la paroisse dont il demeurait, malgré tout, le seul pasteur légitime, ni à abandonner à un Le Stunff les âmes dont il avait la charge. Il continuait à administrer les sacrements ; ses vicaires, son frère, MM. Bertrand, Le Fellic et Le Goff agissaient de même et ne semblaient nullement disposés à cesser les fonctions du saint ministère.

A la sécurité des premiers moments succéda promptement dans l’âme du curé constitutionnel, une agitation de jour en jour plus grande, faite de désillusions sur le présent, d'appréhensions pour l’avenir. Sans plus tarder, il se décida à porter ses plaintes au district et à provoquer, contre ces « rebelles » qui troublaient sa quiétude, l’application des arrêtés barbares du département. Voici sa lettre :

« Messieurs les administrateurs du district, à Hennebont. A Bubry ce treize septembre 1791. Messieurs, Je vous fait savoir la manière dont se sont conduits les prêtres de Bubry depuis ma prise de possession de cette cure.

Art. 1er. — Les deux Videlo ci-devant curé et vicaire de cette paroisse ont exercé les fonctions curialles en donnant les sacrements [de] pénitence, d’eucharistie et d’extrême-onction. En conséquence ils se sont mis dans le cas d’être entrepris (surtout le fesant sans ma permission).

Art. 2. — Ils ont couru un grand [nombre] de villages de la dite paroisse en disant qu’il ne fallait point venir à la grand’messe, ni prendre de moi aucun sacrement et tâchent d’éloigner les brebis de leur véritable pasteur, et m’empêchent par là de leur rendre les services dont ils ont besoin (cas très grief) puisqu’ils mettent mes paroissiens dans la voie de la perdition.

Art. 3. — Messieurs Le Gof et Le Felic ont dit et fait à peu près la même chose, le dernier surtout en faisant une quête dans la paroisse a dit [dans] toutes les maisons où il a été que c’était se damner que d’aller à la messe des prêtres qui pour le bien de l’état avait prêté le serment ; en dernier lieu le sieur Bertrand, prêtre, ne cesse de dire que la relligion est changée épouvantant par là des gens qui n'ont point d’éducation et blâmant tous les citoyens et la nation elle-même (il faudrait savoir si c’est avec raison ou non), tout cela peut se prouver lorsque besoin sera requis. En conséquence pour n’être point coupable moi-même, je les dénonce dans toutes les formes et vous prie de faire venir ici tout au plus tard pour samedi soir quelques-uns de la gendarmerie. En outre j ai été encore injurié par les sieurs Videlo et leur domestique ou présence de témoins.

Je suis, Messieurs, avec un véritable estime et sincère amitié, et en dieu votre très umble et très obéisannt serviteur.

Le Stunf, curé de Bubry » (Arch. départ., L. 1070).

Non content de dénoncer, il crut devoir agir, et, dès le 14, il voulut empêcher les prêtres réfractaires de la paroisse de dire la messe dans « son » église. Une lettre de protestation, adressée le jour même aux administrateurs du district par Louis Videlo, nous apprend comment il s’y prit.

« M’étant transporté ce matin à la sacristie, écrivait le vicaire de Bubry, dans l’intention de dire la messe comme de coutume, j’ai été fort surpris de trouver les calices sous clefs, n’ayant surtout eu aucune connaissance qu'il y eut quelque décret qui m’interdise cette fonction de mon ministère ; ne sachant trop à quoi attribuer cet acte d’autorité, je me suis transporté avec Monsieur l’abbé Bertrand chez M. Le Stunff curé constitutionnel de cette paroisse pour savoir quelles pouvaient être les raisons qui l’avaient porté à ou agir ainsi à notre égard, vu surtout que nous n'étions pas remplacés. Il nous a répondu en présence de deux personnes de cette paroisse que vous serez à même d’interroger, c’est que je l’ai voulu. Cette réponse est fort brève, mais je ne crois pas qu’elle puisse avoir force de loix, attendu qu’il y a, autant que je le puis croire, un décret qui permet aux prêtres non conformistes qui se présentent dans les églises conservées d’y dire la messe. Veuillez bien nous éclairer l'un et l’autre sur cet objet et vous obligerez celui qui a l’honneur d’être Votre très humble et très obéissant serviteur,
L.-M. Videlo, vicaire de Bubry »
[Note : Arch. départ., L, 1070].

Nous ne savons si la conduite de Le Stunff fut approuvée par le district ou s’il fut fait droit aux justes réclamations de Louis Videlo. Toujours est-il que pendant les derniers mois de 1791, le conflit semble moins aigu entre le clergé constitutionnel et le clergé réfractaire de Bubry.

Mais toute entente était évidemment impossible et la paix, toute de surface, ne pouvait être durable. La lutte reprit bientôt et, en raison de la surexcitation croissante des esprits, devint même plus passionnée et plus violente.

 

VI. — Le Stunff et la municipalité dénoncent M. Benjamin Videlo. — Arrêtés du district et du département contre le recteur de Bubry. — Les réparations du presbytère.

Le Stunff sentait que la paroisse restait profondément attachée à ses prêtres : les mariages se célébraient en dehors de lui : les insermentés bénissaient les unions dans leurs demeures, dans les chapelles ou même dans les maisons particulières ; les mourants refusaient son ministère ; il ne baptisait qu’un très petit nombre de nouveau-nés [Note : Arch. départ., Etat-civil, Bubry. Lorsque le registre des naissances fut enlevé à Le Stunff et remis à la municipalité (novembre 1792), en quelques semaines l’officier public dut enregistrer environ cinquante déclarations de naissances remontant aux dix mois qui avaient suivi l’installation du curé constitutionnel. Si ces naissances n’avaient pas été enregistrées par Le Stunff c’est que les enfants ne lui avaient pas été présentés et avaient été baptisés par d’autres que lui]. La population, peu empressée au début, s’éloignait de plus en plus de l'intrus.

Au commencement de 1792, Le Stunff recourut de nouveau au district auprès duquel il se répandit en plaintes et en récriminations. Les administrateurs lui répondirent le 3 février. Ils lui demandaient de préciser ses dénonciations et lui indiquaient la marche à suivre pour arriver au résultat qu’il désirait : provoquer une réunion de la municipalité pour recevoir par écrit les dépositions des témoins ; si les prêtres insermentés étaient perturbateurs, les désigner nettement. Au cas où l’enquête de la municipalité confirmerait ses accusations, le directoire lui promettait son appui. Déjà il avait réussi « à éloigner nombre de ces malveillants. Ainsi disait-il en terminant, que rien ne vous arrête pour agir et faire agir » [Note : Lettre adressée le 2 mai 1791, par le directoire du département du Morbihan au département de la Seine. V. M. Le Mené, Histoire du diocèse de Vannes, t. II, p. 282].

Le Stunff ne se fit pas prier. Le moment était d'ailleurs bien choisi pour dénoncer M. Videlo. Pour les « patriotes », les insermentés étaient des êtres malfaisants qu’il fallait frapper de « peines sévères », « même capitales » (3). « Les prêtres seuls sèment la division, osait dire un administrateur du directoire départemental dans la séance du 7 février ; revêtus du manteau de la religion, ils trompent et égarent le peuple : ils lui persuadent qu’une religion nouvelle est la religion de l’Etat et que ses ministres sont des sacrilèges, que l’administration des sacrements est de leur part une profanation, qu’il vaut mieux s’unir comme les animaux que de recevoir d’eux le sacrement de mariage, qu’il vaut mieux se passer de messe que d’entendre la leur, qu’ils vaut mieux confesser ses péchés à un cochon que d’aller à confesse à eux... ». Et il terminait par ces mots : « ... nous vous dirons de solliciter auprès du Corps législatif une loi que les circonstances rendent impérieusement nécessaire... La patrie est en danger; notre devoir est de l'en prévenir ».

L’invitation fut entendue et, séance tenante, le directoire adressa à l’Assemblée législative une pétition par laquelle il sollicitait un décret qui l’autorisât « à faire mettre en arrestation les prêtres perturbateurs... » [Note : M. Le Mené, Histoire du diocèse de Vannes, t. II, p. 282 et 283].

Le Stunff toutefois ne put mener l'affaire aussi rapidement qu’il l’aurait désiré. Ce ne fut que vers le milieu du mois de mars qu’il eut enfin la satisfaction de voir ses efforts aboutir au succès.

Sur sa demande, la municipalité se mit en devoir de faire son enquête. L’habileté de M. Videlo et l’extrême réserve de ses fidèles la rendirent longue et difficile. On apprit sans doute, — ce qu’on savait déjà, — que « l’ex-recteur » faisait des baptêmes, recevait les promesses des fiancés, célébrait des mariages ; mais à l’appui de tous ces dires, il semble bien qu’on ne put guère obtenir de témoignages formels ; les accusations ne reposaient que sur le « bruit courant ».

Et puis M. Videlo, qui n’avait pu ignorer ce qui se tramait contre lui, n’entendait pas se laisser faire. Le dimanche 4 mars, ayant appris que les municipaux s’étaient réunis pour continuer leurs recherches, il pénétra hardiment dans la salle des séances et, d’accusé se faisant accusateur, il leur reprocha vivement leurs menées et les mit au défi de prouver qu’il contrevenait aux lois.

C’en était trop : la municipalité, humiliée, ne pardonna pas à l’audacieux recteur de l’avoir ainsi bravée [Note : Arch. départ., L, 1071].

Le dimanche suivant, elle écrivit au district pour lui dénoncer M. Videlo. Nous reproduisons, avec quelques corrections indispensables , cette lettre curieuse où abondent les réminiscences plus ou moins heureuses de la phraséologie révolutionnaire alors à la mode et dont la langue est aussi barbare que l’orthographe en est fantaisiste.

« Bubry, 11 mars 1792. Nous tardons de vous informés de la conduite de Monsieur Videlo, mais l’objet de notre retard n’était que de vous la mieux exposer ; le toute en vain malgré toutes nos recherches, nous ne pouvons réussir à faire de découverte plus certaine que celle que nous avons précédemment faite ; en un mot c’est un mystique que nous ne pouvons pénaitrer ; Monsieur Videlo par les gîtes secrets dont il s est servi, a si bien maintenu ses gens que ce n’est qu une lueure pour nous de les voir aller. Sans doute messieur, vous entendez cette parabole contre-évangélique [Note : Les municipaux de Bubry n’avaient pas oublié leur évangile ; il est vrai qu'ils s'en excusaient. Dans ce passage de lettre ils entendaient sans doute faire allusion au verset 27 du ch. XXIV de saint Mathieu : « Sicut enim fulgur exit ab oriente et paret usque ad occidentem, ita erit adventus Filii hominis. Comme l’éclair qui sort de l'orient et soudain luit à l'occident, ainsi sera l'avènement du Fils de l’homme »]. Monsieur Videlo, ex-curé, ainsi qu’il doit maintenant être qualifié, comptant fermement sur une contre-révolution prochaine qui le rétablira dans ses fonctions primitives, s'est prévalu de faire des baptêmes chez lui et même des mariages avant les gras dernier, et par cet esprit de réligion dont il a sacrifié (?) tous les principes dont il s’est servi pour parvenir au but par un mellange d’hipocrisie, ne se contentant pas d’avoir reçu les promesses de mariages, il s’est hasardé on peut le dire, à faire lui-même ou par étranger c’est ce que nous ignorons, les noces au lieu de Perrosse en cette paroisse , suivant le bruit courant ; et encore a-t-il eu la hardiesse, dimanche dernier, en pleine municipalité séance tenante, de dire à haute voix que s'il contrevenait aux lois, qu’on pouvait le lui prouver. Cette double outrance nous a enfin tout à fait irrité et nous ne pouvons souffrir qu'avec indignité (!) qu'il aille plus loin dans sa course ; car Messieurs vous êtes les organes choisis par le peuple pour le maintien et l’exécution des lois sous lesquelle il fait un devoir de vivre libre ou de mourir. Nous contons donc, Messieurs, que pour rétablir l’ordre et la tranquillité et déconserter nos ennemis intérieurs, que vous maitré enfin un frain à cette conduite dénaturée, et nous vous prévenons de plus que si vous décidez d'arrêter ce faux ministre des hotelle, que vous n’avez d’heures favorables pour vous assurer de sa personne que celle de huit heures du soir qu’il sacrifie à faire le catéchisme aux enfants. Dans une parfaite résignation de réprimer de semblables abus, nous avons l'honneur d’être avec respects Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur. Y. Le Méchec, Procureur de la Commune, Y. Rivallan, Maire, J. Guégant, Secrétaire-Greffier » [Note : Arch. départ., L, 1071].

Cette lettre décida le district : il agit vite et sans bruit ; « il ne faut pas disait-il, éventer la mèche si on veut réussir » [Note : Arch. départ., L, 1071].

Avec M. Videlo, qu’il jugeait « d’autant plus dangereux qu’il était plus prudent » [Note : Arch. départ., L, 1071], il voulut frapper un autre insermenté, M. René Guillevic [Note : Ne pas confondre M. René Guillevic, vicaire de Plœmeur avec M. Marc Guillevic, recteur de la même paroisse, déjà lui aussi très en vue à cette époque et fameux plus tard dans les annales de la Chouannerie et de la « Petite Eglise »], vicaire de Plœmeur, dénoncé lui aussi par le curé constitutionnel de la paroisse [Note : Arch. départ., L, 1036 et 1071. Le curé constitutionnel de Plœmeur était Louis Esvan, prêtre de la paroisse, qui après le Concordat devint recteur de Brandérion. (Luco, Pouillé historique de l'ancien diocèse de Vannes)].

Donc, dans sa séance du mercredi 14 mars, « l’an 4 de la liberté » [Note : Arch. départ., L, 1071. A cette séance assistaient Lapotaire, Gourdin. Laigneau, Peyron, administrateurs, et Le Tohic, procureur-syndic], le directoire, convaincu, dit-il, tant par la lecture des lettres de dénonciation « que par les renseignements déjà pris sur la conduite des sieurs Videlo et Guillevic, que leur présence » sur les lieux où ils ont exercé leur ministère, « est très nuisible au bien de la paix, arrête de solliciter du département leur éloignement à dix lieues de leurs paroisses respectives » [Note : Arch. départ., L, 1071].

De son côté, le directoire du Morbihan à qui les administrateurs d’Hennebont s’empressent de communiquer leur délibération [Note : Arch. départ., L, 1045], accorde plus qu’on ne lui demande. Dans sa séance du 15 mars, il « arrête que les dits Guillevic et Videlo s’éloigneront de ce département dans les vingt-quatre heures de l’instant de la notification du présent, et faute à eux d'y obéir, ils seront saisis par la gendarmerie nationale ou toute autre force publique dans quelque lieu du département qu’ils soient trouvés et de là seront conduits à la citadelle du Port-Louis » [Note : Arch. départ., L, 257 et 1071. A cette séance du directoire du département « étaient MM. Esnoult, président, Le Gouesbe, Bécheu, Lucas, Danet aîné et Bosquet, administrateurs ; présent M. Gillet procureur général syndic »].

Le même jour l’arrêté du département parvient au directoire d’Hennebont qui, séance tenante, charge le procureur-syndic d’en adresser une expédition aux municipalités de Plœmeur et de Bubry, « avec ordre d’en suivre l’exécution » [Note : Arch. départ., L, 1036. — On remarquera que ces arrêtés du district d’Hennebont et du département du Morbihan étaient entachés d’illégalité L’Assemblée législative avait bien voté le 29 novembre 1791, un décret en ce sens ; mais le roi qui regrettait l’approbation qu’il avait donnée à la Constitution civile du Clergé et au serment, refusa cette fois courageusement sa sanction].

Nous ne savons si M. Videlo réussit, en se cachant, à rester dans sa paroisse où s’il obéit purement et simplement à l’arrêté qui le frappait. Ce qui est certain, c’est que dans trois mois au plus nous le retrouverons, à Bubry, à son poste de combat.

D’ailleurs, même pendant ce temps, il eut à compter avec l'administration [Note : Au mois de mars, M. Videlo avait obtenu son traitement de « curé remplacé » pour l’année 1791, à partir du jour de son remplacement. La pension des « curés remplacés » était de 500 livres. Arch. départ., L, 1045). Moins heureux, son frère avait vainement demandé son traitement comme vicaire « non remplacé » de Bubry : le 3 février le département avait rejeté sa pétition « parce qu’il avait refusé d’assister le nouveau curé dans ses fonctions » (Arch. départ., L, 1036)].

Non contente de l’avoir forcé à déloger pour faire place à Le Stunff, la municipalité exigeait qu’il fit au presbytère certaines réparations dont le montant était évalué à 287 livres. Toutefois sur sa demande et moyennant le paiement de cette somme, elle consentit à lui donner « bonne et entière décharge ». Le 14 mars, le jour même où il lançait contre M. Videlo l’arrêté dont il a été question plus haut, le district en portant l’affaire devant le département, donnait un avis favorable [Note : Arch. départ., L, 1045].

L’administration départementale en jugea autrement. Dans sa séance du 24 avril, elle fit « défense à la municipalité de Bubry de recevoir du sieur Videlo, ex-curé de cette paroisse, aucune somme pour demeurer quitte des réparations qu’il était tenu de faire, avec ordre à ce dernier d'y travailler d’instant à autre ». Elle chargeait le procureur de la commune, sous la surveillance du district, de l’y contraindre par toutes voies [Note : Arch. départ., L, 1036].

Etrange situation de M. Videlo, condamné par le même tribunal et en même temps, — car rien n’indique que l’arrêté d’expulsion eût été repporté, — d’une part à sortir de Bubry et même du département, sous peine d’être jeté en prison, de l’autre, à faire au presbytère occupé par l’intrus, des réparations qui rendraient nécessaire sa présence à Bubry !

 

VII. — Les petits ennuis de Le Stunff. — Incidents à Saint-Yves.

Magré la proscription dont il avait réussi à faire frapper M. Videlo, tout n’allait pas au gré de Le Stunff ; ne venait-il pas d’être dénoncé comme un simple réfractaire ?

Voici la lettre écrite contre lui aux administrateurs du district, le 16 avril 1792, « an 4 de la liberté ».

« Messieurs et chers Concitoyens,
J’ai l’honneur de vous dire que Monsieur Le Stunff notre curé constitutionnel a désermentée hier au prone de sa grand-messe devant toute le peuple en disant qu’il ne se fiet (fiait) plus aux décret de l’assemblée nationale et qu’il était trompé
[Note : Ces paroles du curé constitutionnel de Bubry étaient-elles une allusion aux décrets par lesquels l’Assemblée législative venait d’ordonner l'expulsion des congrégations hospitalières ou enseignantes épargnées jusque-là, et d’interdire le port de tout costume ecclésiastique ou religieux (6 avril, vendredi-saint) ? Une telle protestation ferait honneur à Le Stunff], et le monde était froidie en entendant les paroles dont il prononçait, parce que au paravent il y avez plus de la moitié des aristocrates, et à présent les plus par des citoyens deviendra aussi aristocrates. Messieurs maitée vos avis la desus. J’ai l'honneur... etc. P. J. Guégant, Secrétaire-Greffier » [Note : Arch. départ., L, 1070].

Repoussé par les uns, suspecté par les autres. Le Stunff était loin d’avoir ce qu’un diplomate célèbre a appelé « la sécurité dans la possession ». Les événements qui suivirent ne firent qu’aggraver ses soucis.

Le dimanche 20 mai était le jour du pardon de Saint-Yves. Le Stunff voulut profiter de sa présence à la chapelle pour mettre les réfractaires, qui commençaient à en faire leur quartier-général, dans l’impossibilité d’y exercer les fonctions du culte. Après les vêpres, quand tout fut fini, il ferma à double tour la porte de la sacristie qui contenaient les ornements, mit la clef dans sa poche et reprit la route du bourg.

Mais il n'avait pu accomplir cet exploit sans être aperçu ; il fut poursuivi par quelques habitants du quartier qui protestaient et réclamaient ; ce ne fut qu’après avoir été harcelé pendant trois quarts de lieue, jusqu’au manoir de Kerleshouarn, qu'il réussit à se débarrasser de leurs importunités et à rentrer dans son presbytère avec la précieuse clef.

Il croyait avoir joué un bon tour aux réfractaires.

Or dès le lendemain, on apprit au bourg que M. Le Goff avait ouvert les portes de la sacristie et emporté les ornements. La chose était certaine et pouvait être attestée par plusieurs témoins : Julien Le Sourd, l’un des notables, Marie Rose Rivallan, Joseph Rivallan, Louis Le Sourd...

Dès le 22 mai, le maire de Bubry porta ces faits à la connaissance du directoire du district et lui demanda ses lumières pour la confection du procès-verbal qu’il se proposait de rédiger le dimanche suivant, au retour de « Monsieur le vicaire » qui « était absent parce qu'il était à Pontivy au sujet de la contribution foncière » [Note : Arch. départ., Q, 300. — Nous ne savons qui était ce « Monsieur le vicaire » dont parle le maire de Bubry dans sa lettre au district. A notre connaissance, il n'y eut jamais de vicaire constitutionnel à Bubry il s’agit probablement de Le Stunff lui-même ; les gens des campagnes étaient exposés à employer l’un pour l’autre les mots de curé et de vicaire depuis que, officiellement, on appelait vicaires ceux qu’ils avaient l’habitude d’appeler curés].

Les administrateurs du district accordèrent-ils au maire de Bubry la réponse immédiate qu’il sollicitait avec insistance ? laissèrent-ils au contraire Rivallan et Le Stunff se débrouiller tous seuls ? Nous ne savons. Ce qui est sûr, c’est qu’à quinze jours de là, il se produisit un nouvel incident qui les décida à agir.

Tous les ans, la chapelle de Saint-Yves prêtait à la paroisse, pour la procession du Saint-Sacrement, ses bannières, sa croix d’argent et son ostensoir. Le Stunff et ses partisans tenaient beaucoup au maintien de cet usage ; mais comment mettre la main sur ces objets autour desquels sans doute on montait bonne garde ? Le curé constitutionnel et la municipalité se mirent en campagne.

Le mercredi 6 juin, veille de la Fête-Dieu, le maire Yves Rivallan qui habitait le village de Coëtsar-bras « à cinq quarts de lieue » de Bubry, vint rejoindre au bourg Le Stunff, Julien Priol, procureur de la commune et Pierre-Jean Guégant, secrétaire-greffier, puis tous quatre ils se rendirent à Saint-Yves accompagnés de quatre témoins : Jean Hervode Kerguéno, Yves Hellec de Kerscaven, Louis Hellec et François Lolier de Kerbris.

Ils allèrent droit à la maison de la chapellenie où demeurait M. Le Goff avec sa sœur Jeanne [Note : Plus âgée que son frère de près de six ans, elle était née le 9 janvier 1756 (Arch. départ., Etat-civil, Kervignac)]. Dans la cour ils rencontrèrent cette dernière et lui demandèrent où était son frère. Elle répondit que cela ne les regardait pas. Il était inutile de parlementer. Abordant directement la question, ils lui ordonnèrent de leur remettre « les deux drapeaux, la croix d'argent et le soleil de Saint-Yves » ; et ils invoquèrent l’usage traditionnel à l’appui de leur demande. Jeanne Le Goff répondit qu’ils étaient sans doute « des gens instruits », qu'ils en savaient bien plus long qu’elle, mais... « que les biens de Saint-Yves » n’appartenaient pas « à ceux du bourg ».

Pour l’intimider ils lui déclarèrent qu’ils prenaient acte de son refus et qu’ils allaient l'insérer dans leur procès-verbal. Jeanne commençait à perdre patience : Votre procès-verbal, s’écria-t-elle, allez donc l'afficher au pied de la potence de Saint-Yves ! Puis éclatant tout à fait, elle les appela « des diables, des voleurs », oui, des voleurs, ne voulaient-ils pas comme des voleurs, la forcer à leur ouvrir sa porte ?

L’arrivée de « ceux du bourg » avait répandu l’émoi dans tout le quartier ; la scène que nous venons de rapporter ne s'était pas passée sans bruit. Plus de cent personnes « tant hommes que femmes », accourus de Saint-Yves et des villages voisins, se pressaient devant la maison de la chapellenie. Se voyant à la merci de cette foule hostile et irritée, Rivallan, Le Stunff et leurs acolytes jugèrent prudent, « pour éviter de plus grands malheurs », de déguerpir au plus vite. Ils s’empressèrent de reprendre le chemin de Bubry, non sans avoir menacé les manifestants des vengeances de l’administration [Note : Arch. départ., Q, 299].

 

VIII. — Mesures prises contre les prêtres de Bubry.

Aux yeux des « patriotes » les vrais coupables, les auteurs de tout le mal, c’étaient les prêtres insermentés ; à tout prix il fallait les châtier et les mettre dans l’impuissance de nuire. La municipalité de Bubry ne perdit pas de temps. Pour faciliter la répression, dès le 11 juin, elle sollicita, auprès du district et du département, l’autorisation de faire réparer la sacristie de la chapelle de Notre-Dame pour servir de maison de police. Trois jours après le département accordait l’autorisation demandée, avec cette restriction toutefois, que ce local ne servirait de maison de police que provisoirement, jusqu’à la vente de « ce bien national » [Note : Arch départ., L 77. La chapelle de Notre-Dame se trouvait dans le bourg, à proximité de l'église paroissiale à laquelle elle était reliée par une tour. La vieille chapelle et l’ancienne église furent détruites en 1804, lors de la construction de l’église actuelle].

Bubry avait désormais sa prison.

Mais le district avait de plus vastes pensées.

Le 15 juin de l’an 1712, « de la liberté le 4e », Beysser, capitaine de gendarmerie nationale, reçut du directoire l’ordre de saisir et arrêter soixante-dix ecclésiastiques de son ressort et de les faire conduire à Vannes de brigade en brigade pour les mettre à la disposition du directoire départemental. Pour rendre l'opération plus aisée, les administrateurs d’Hennebont autorisèrent Beysser à « requérir à discrétion la force armée » et lui remirent un état nominatif des prêtres visés par leur arrêté avec indication, pour chacun d’eux, de ses qualité et domicile.

En tête de la liste figuraient les prêtres de Bubry :

« Videlo, ex-curé de Bubry, demeure à Bubry, au bourg, maison dite de l'Enfer ;

Videlo, ex-vicaire de Bubry, demeure à Bubry, au bourg, maison dite de la Chapellenie ;

Bertrand, prêtre de Bubry, demeure à Bubry, au bourg, maison dite de la Chapellenie [Note : Il s’agit ici d’une maison sise au bourg, qui faisait partie de la dotation et était affectée au logement du chapelain de Perros. C’était celle qu’avait habitée avant les troubles et qu'habitait encore M. Bertrand (Arch. départ., L, 1072)] ;

Le Goff, prêtre de Bubry. demeure à Saint-Yves, sur la route d’Hennebont au bourg ;

Le Fellic, prêtre de Bubry, demeure à Saint-Yves, sur la route d’Hennebont au bourg ».

Muni de ces précieux renseignements, le fougueux Beysser se mit, avec ses brigades, en campagne. Le 20, il était à Pontivy ; pour être plus libre de ses mouvements, il se présenta au directoire du district et déposa sur le bureau une copie des ordres dont il était porteur [Note : Arch. départ., L, 861].

Sa chasse toutefois ne fut guère fructueuse ; pour le moment quatre ou cinq ecclésiastiques seulement tombèrent entre les mains de ses gendarmes et furent internés, entre le 19 et le 26 juin, à la citadelle de Port-Louis [Note : Arch. départ., L, 1071. Ces cinq ecclésiastiques étaient MM. Mathurin Le May, recteur de Guern ; Pierre Noailles, chapelain des Ursulines d’Hennebont ; Louis Guyomard, prêtre de Guidel : Vincent-Pierre Le Barz, curé de Cléguer et Louis-Pierre Rivallain, sous-diacre de Guidel, mort curé de Lorient en 1849].

Les autres échappèrent, au moins pour quelques semaines, à toutes les recherches. C’était un piteux résultat; le directoire ne voulut pas rester sur cet échec.

Les administrateurs d’Hennebont et de Vannes savaient fort bien qu’aucune loi, jusque-là, ne justifiaient les arrêtés par lesquels ils avaient tenté d’éloigner, d’interner, d’incarcérer ou d’expulser les prêtres insermentés. Le roi avait opposé son véto au décret du 29 novembre; malgré une pression violente, malgré l’affreuse journée du 20 juin, il persistait à refuser sa sanction à celui du 26 mai qui frappait de déportation les ecclésiastiques réfractaires [Note : Le 13 juin le directoire du département du Morbihan avait envoyé une adresse au roi pour lui demander de sanctionner le décret de déportation. V. M. Le Mené, Histoire du diocèse de Vannes, t. II, p. 287].

Mais ils savaient aussi que toute mesure de rigueur contre « ces faux ministres des autels » serait approuvée par l'Assemblée législative.

Ils n’hésitèrent pas à faire un pas de plus dans la voie de l’arbitraire, et, le 18 juillet, à leur arrêté du 15 juin ils en substituèrent un autre qui prescrivait la déportation des prêtres dont Beysser ne parvenait pas à s’emparer [Note : Arch. départ., L, 861].

Cette seconde mesure, plus odieuse, ne fut guère plus efficace que la première. Il y eut un certain nombre d'arrestations ; peu à peu la citadelle de Port-Louis s’emplit de détenus amenés de tous les points du département. Mais la plupart des ecclésiastiques réussirent encore à éviter les gendarmes.

Peu s’en fallut cependant que le recteur de Bubry ne tombât entre leurs mains. Surpris un jour au château de Perros par la brusque irruption de la force armée, il n'eut que le temps de se jeter dans une étroite cachette avec le seigneur du lieu, M. du Quillio. Ce dernier a souvent raconté depuis ses angoisses : il aurait pu s’enfuir en se glissant par une étroite ouverture qui donnait sur les champs ; mais M. Videlo, qui était plus gros, n’aurait pu le suivre et il ne voulut pas l’abandonner. Pour comble de malheur, il toussait beaucoup ; il dut, pendant tout le temps que durèrent les recherches, faire des efforts inouïs, dévorer en quelque sorte son mouchoir, pour ne pas trahir le secret de leur commune retraite [Note : Ce fait se raconte encore à Bubry. M. du Quillio émigra peu après. Le 14 octobre, le directoire du district nomma un commissaire pour faire « l’inventaire des meubles et bestiaux existant chez M. Duquilio, émigré de Perros ». (Arch. départ.. L, 1036). Mme du Quillio, n'émigra sans doute pas. Le 30 messidor an VII (18 juillet 1799), elle était à Perros avec « deux beaux jeunes gens, l’un son fils, l’autre son neveu », sans qu’on songeât sérieusement à l’inquiéter, (Arch. départ., L, 309)].

 

IX. — La déportation. — Les derniers mois de 1792. — Le Stunff regimbe.

Cependant les événements se précipitaient. Le 10 août, l’Assemblée législative, sous la pression de l’émeute, votait la suspension des pouvoirs du roi. Le 26, la loi de déportation des prêtres insermentés dont le véto royal avait jusque-là empêché l’exécution, recevait la consécration légale ; et le 1er septembre elle parvenait à l'administration départementale du Morbihan qui s’empressa de la notifier. A l’exception des sexagénaires et des infirmes, c’était le bannissement immédiat et en masse de tout le clergé paroissial, on pourrait presque dire de tout le clergé séculier [Note : Voici le texte ou le sens des principaux articles de cette loi sauvage qui, du jour au lendemain, jetait hors de France, 50.000 prêtres : ART. 1ER. — Tous les ecclésiastiques qui, étant assujettis au serment prescrit par le décret du 27 novembre 1790 et celui du 15 avril 1791, ne l’ont pas prêté, ou qui, après l’avoir prêté, l’ont rétracté et ont persisté dans leur rétractation, seront tenus de sortir dans huit jours hors des limites du district et du département de leur résidence, et dans la quinzaine hors du royaume : ces différents délais courront du jour de la publication du présent décret. (Etaient assujettis au serment des évêques, curés, vicaires, professeurs de séminaires, prédicateurs, aumôniers de prisons et hôpitaux). ART. 2. — En conséquence, chacun d’eux se présentera devant le directoire du district ou la municipalité de sa résidence pour y déclarer le pays étranger dans lequel il entend se retirer, et il lui sera délivré sur-le-champ un passeport qui contiendra sa déclaration, son signalement, le route qu’il doit tenir et le délai dans lequel il doit sortir du royaume. (L’omission de cette formalité avait, pour les ecclésiastiques qui quittaient la France, des conséquences graves ; elle les rendaient passibles de toutes les peines qui frappaient ou allaient frapper les émigrés). ART 3. — Passé le délai de quinze jours ci-devant prescrit, les ecclésiastiques non sermentés, qui n’auraient pas obéi aux dispositions précédentes, seront aussitôt arrêtés et déportés à la Guyane française... ART. 5. — Tout ecclésiastique qui serait resté en France après avoir fait sa déclaration de sortie et obtenu un passeport, ou qui rentreraient après être sorti, sera condamné à la peine de détention pendant dix ans. ART. 6. — Tous autres ecclésiastiques non sermentés, séculiers et réguliers, prêtres, simples clercs, minorés ou frères lais, sans exception ni distinction, quoique n'étant pas assujettis au serment par les décrets..., seront soumis à toutes les dispositions précédentes lorsque, par quelques actes extérieurs, ils auront occasionné des troubles venus à la connaissance des corps administratifs, ou lorsque leur éloignement sera demandé par six citoyens domiciliés dans le même département. Ainsi la loi, dans ses premiers articles, bannit en bloc le clergé paroissial. Mais cela ne suffit pas, le but qu'elle poursuit c’est la suppression du culte catholique : il faut donc veiller à ce qu’il ne puisse être exercé clandestinement par les religieux, les ex-chanoines, les simples prêtres à qui on permet provisoirement de rester en France. Aussi tout prêtre de cette catégorie devient déportable s'il exerce quelque fonction du saint ministère ou s’il se trouve dans son département six prêtrophobes pour le dénoncer. Quant au serment de liberté et d'égalité du 14 août, il mettait ceux qui l'avaient prêté à l’abri de la suppression de la pension qui pouvait leur être allouée par l’Etat ; il ne les mettait pas l’abri de la déportation (V. Ludovic Sciout, Histoire de la Constitution Civile du Clergé).

Dès lors il fallut choisir entre l’exil si plein d'amertumes, et la vie de proscrit si grosse de menaces.

Il se peut que M. Bertrand ait eu, à ce moment, la pensée de se conformer à la loi : certains textes, d’ailleurs suspects, insinuent qu’il fit en temps voulu la déclaration requise et prit à la municipalité de Bubry un passeport pour quitter la France et se retirer à l’étranger [Note : Arch. départ., Q, 329. Certificat donné pas la municipalité de Bubry, le 16 décembre 1807, a l’appui d’une pétition adressée par M. Bertrand, alors vicaire à Plœmeur, au préfet du Morbihan, pour obtenir main-levée du séquestre apposé sur ses ses propriétés non vendues].

En tout cas, comme nous le verrons, ce ne fut que bien longtemps après qu'il mit son projet à exécution.

Quant aux autres prêtres de Bubry, avec la moitié environ de leurs confrères du diocèse de Vannes, ils préférèrent rester dans le pays. A partir de cette époque, il est vrai, et pendant plusieurs mois, leurs traces se perdent presque complètement. Il semble que le district n’entende plus parler d’eux. Cependant il reçut le 15 novembre une information qui, vraisemblablement, les concernait. ll apprit en effet que, « au mépris des lois promulguées, des prêtres rebelles parcourant librement les campagnes à la faveur de divers déguisements, y propageaient le poison du fanatisme et exerçait tranquillement et publiquement les fonctions curiales ».

Aussitôt Beysser reçut l’ordre d’organiser une battue vers le nord du district ; à sa réquisition, les municipalités, les habitants eux-mêmes étaient tenus de lui prêter main-forte ; il devait fouiller soigneusement les maisons suspectes et traduire devant le district les personnes qui donneraient asile aux prêtres « rebelles » ; enfin il était autorisé à assurer une récompense de 60 livres à quiconque indiquerait la retraite d’un ecclésiastique réfractaire ou faciliterait son arrestation [Note : Arch. départ., L, 861].

L’expédition de Beysser ne produisit apparemment aucun résultat, pas plus sans doute que la dénonciation d’un nommé Morphy qui, le 26 décembre, signalait la présence aux environs de Plouay de sept prêtres réfractaires au nombre desquels il nommait M. Bertrand [Nota : Arch. départ. L, 1071. Les autres étaient « les ci-devant recteurs de Lanvaudan (M. Le Métayer) et de Berné (M. Morgan qui, après avoir juré, avait rétracté son serment), le ci-devant curé de Plouay, nommé St-Irque (sic), Fravalo, Le Diagon et Doussalle, curé de Calan »].

Bref, pendant les derniers mois de 1792, comme pendant les premiers de 1793, les prêtres de Bubry cédèrent à l’orage ; ils disparurent momentanément et cherchèrent sans doute, en s’effaçant, à se faire oublier ou à faire croire à leur départ pour l’étranger.

Ils allaient bientôt rentrer courageusement en scène, résignés à tout souffrir pour sauver les âmes.

Pour sauver sa cure, Le Stunff se présenta le 21 octobre au greffe de la municipalité et, devant le maire et les officiers municipaux, il prêta le serment nouveau, et d’ailleurs peut-être licite en conscience, de « maintenir la liberté, et l’égalité ou de mourir en les défendant » [Note : Arch. départ., L, 861].

Cet acte de soumission ne put empêcher un violent conflit d’éclater peu après entre le curé et la municipalité de Bubry.

L’Assemblée constituante avait laïcisé l’état-civil ; en conséquence, le décret du 20 septembre 1792 prescrivit la remise immédiate aux communes des registres courants des baptêmes, mariages et sépultures laissés jusque-là entre les mains des curés.

Le Stunff refusa obstinément de se dessaisir de ceux qu’il détenait et aux sommations réitérées du maire, du procureur de la commune, du secrétaire-greffier il ne répondit que par des insultes et des menaces.

Le 9 novembre, la municipalité, à bout de patience, dénonça sa conduite au directoire du district.

Les administrateurs nommèrent un des leurs, Gourdin, « commissaire à l’effet de se transporter à Bubry, pour concilier, si faire se peut les esprits, dans tous les cas, faire exécuter la loi » et remettre à qui de droit les registres en question.

Le commissaire se rendit le 11 à Bubry. Il ne put ni concilier les esprits ni faire exécuter la loi ; sa qualité de commissaire du district ne le mit même pas à l'abri des violences de langage de Le Stunff qui l’accabla d’outrages tout comme un simple officier municipal. Mais il sut du moins faire respecter son mandat et somma le curé récalcitrant de le suivre à Hennebont où il le fit mettre en état d’arrestation.

La prison rendit Le Stunff plus traitable, et dès le surlendemain, Gourdin, munie d’une nouvelle commission, put retourner à Bubry pour terminer cette désagréable affaire. Il se fit accompagner d’Even, « chargé de pouvoirs » de Le Stunff et d’un ouvrier serrurier emmené d’Hennebont « pour faire ouverture des lieux » [Note : Arch. départ., L, 1037].

Les registres, cette fois, furent remis à Pierre-Jean Guégant, « officier public de la commune » [Nota : Arch. départ., Etat-civil, Bubry].

Le district aurait eu mauvaise grâce à se montrer sévère pour le curé de Bubry qui, d'ailleurs, avait donné tant de preuves de son civisme ; il le mit sans doute en liberté sans plus attendre. Mais à peine rentré dans sa paroisse, Le Stunff donna une nouvelle marque d’indépendance ; c’est qu’il aurait bien voulu garder intacts, pourvu que ce fût à son profit, tous les droits, que, sacrilègement, il avait usurpés. Sous prétexte que la loi qui le prescrivait n’avait pas été publiée, il s’opposa à ce qu’on fit l’inventaire de l’argenterie de son église. Sa résistance contraignit la municipalité à demander successivement au district deux délais de huit jours ; l’opération ainsi retardée n’eut lieu que le 4 décembre.

D’ailleurs ce ne fut pas long : une croix pesant sept livres « petit poids », un encensoir et une navette pesant ensemble trois livres six onces, et c’est tout [Note : Arch. départ., Q, 299].

C’était peu ; mais ce n’est pas nous qui blâmerons la municipalité ni Le Stunff, qui sans doute y fut pour quelque chose, d’avoir ainsi cherché à soustraire à la rapacité des révolutionnaires, ce qui, en dépit de toutes les confiscations, n’avait pas cessé d’appartenir à l’église de Bubry.

Ainsi s'achevait pour cette paroisse comme pour tant d’autres, la triste année 1792 qui annonçait et préparait la sombre année 1793 : ses prêtres proscrits, cachés ou en fuite, le culte catholique supprimé, les âmes sans pasteur ou livrées à un excommunié sans pouvoirs qui les scandalisait par son intrusion en attendant, hélas ! qu’il les effrayât par ses crimes !

(abbé P. Nicol).

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