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BOURGEOIS ET GENS DE MÉTIERS A CARHAIX (1670-1700)

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Maîtres d'école. — Chirugiens. — Notaires et Procureurs. — Commis des Aides et des Devoirs.

M. l'abbé P. D. Bernier, Ch IV de son « Essai sur le Tiers-Etat rural en Basse-Normandie » dit que « les petits fonctionnaires ruraux sous l'ancien régime sont l'instituteur, le chirurgien, le tabellion, les hommes de loi et leurs agents, les commis des aides et ceux de la Gabelle ».

Ce tableau des notabilités rurales s'applique tout aussi bien aux petites et même bonnes villes, d'avant 1789 : là se retrouve une hiérarchie à part, sortie du peuple et restant en rapport journalier avec lui, comme une émanation et une sélection des couches profondes du Tiers-Etat.

Les doléances de la communauté de Carhaix (Reg. des délibérations de la collégiale de Saint-Trémeur, commencé en 1786, f° 10) [Note : Assemblée du 29 mars 1789], portent, art. 2, des Vœux présentés. aux Etats généraux, « qu'il soit établi un collège en la ville de Carhaix pour l'éducation de la jeunesse ».

Déjà dans la délibération de l'Assemblée de ville, du 12 octobre 1690, « présidée par M. de Pomereu, commissaire du Roy », on lit sous la plume du syndic : « De plus vous remontre que ladite communauté a besoin de votre auttorité pour entretenir suivant les lettres doctroy de sa Majesté par des premières concessions, les deux régents et maistres d'escolles pour l'instruction des enfants ou pauvres habitants en la doctrine chrétienne, vous suppliant de leur accorder tel appointernent que vous jugerez raisonnable ».

Ce qui semble hors de conteste, c'est que les habitants de Carhaix se faisaient un point d'honneur de fournir au peuple un enseignement public, noble volonté souvent contrariée par les circonstances et les difficultés financières ; noble volonté qui se manifeste depuis bien longtemps, comme le démontrent les efforts tentés dès 1600 et 1610, pour l'établissement fixe et définitif, officiellement garanti, d'écoles à Carhaix.

Des documents récemmment déposés aux archives départementales en font foi et leur importance est telle qu'ils valent la peine d'être étudiés d'une manière plus spéciale, toute à part, comme l'histoire d'autres notables ; l'organiste et le spécialiste qui présidait aux destinées de l'horloge de la Collégiale de Saint-Trémeur.

Dans cette période de trente .ans (1670-1700) qui nous occupe, nous relevons, aux registres paroissiaux, la signature de trois maîtres d'école, suivie de qualifications plus ou moins pompeuses : Pierre Jouannin (1670), Yves Pellée (1679), Pierre Collet (1630), « maîtres enseignant la jeunesse ». Dans son acte de décès, du 3 juillet 1673, Me Pierre Jouannin est honoré du titre de « maistre escrivain enseignant la jeunesse ».

La Faculté et l'art de guérir « saluberrima Facultas, » comme on disait autrefois dans nos Universités, est représentée à Carhaix par Me Saurat de La Marque, maistre chirurgien, qui jouit de la plus haute honorabilité : Julien Le Clerc, Claude Vacher (en 1684, noble homme Maire de la communauté de Carhaix et en 1691, doyen des chirurgiens de Carhaix) ; Me Pierre Touchart ; Me Guillaume Le Termillier ; Me H. Julien Montfort « chirurgien et commis aux rapports de lestendue du siège de Carhaix et des sièges de Gourin, Chasteauneuf, Landelleau et Huelgoët » [Note : Ses expertises légales sont rédigées avec une admirable clarté et une discrétion de style fort rare chez ses confrères du temps] ; Charles Touchart, Guillaume Fontaine et Me Pierre Yvon, beaufrère , par Dame Michel Yvon, de Sauvat de Lamarque. Avec un appoint de rebouteurs et matronnes, Carhaix n'était pas trop dépourvu de gens qui se dévouaient à la conservation ou à la restauration de la santé publique.

Le corps des chirurgièns de Carhaix honorablement établis, pour la plupart, jouissant d'une considération méritée par la dignité de leur vie, était dépareillé par quelques-uns de ses membres. Par exemple, Guillaume Fontaine : quand il ne traîne pas son prochain en justice, y est traîné lui-même ; il semble avoir une exagération congénitale de la bosse de la combattivité. Puis, ce qui lui était contraire, il rentrait très tard dans la nuit, ce pouvait lui donner occasion de rencontrer les Thépault : et alors, rencontres, altercations suivies de coups et assignations où le malheureux s'entendait traiter sur papier timbré de frater de « soy disant chirugien » : Archives du Finistère ; consulter les Procédures criminelles ( 1670-1680). Quand il avait le dessous il était « plaintif et demandeur » ; quand il avait le dessus il lui arrivait d'être, à son tour, « accusé et défendeur. ».

Parfois les chirugiens arrivaient à se manger entre eux, sans doute sans que les malades ne s'en portassent plus mal.

Me Guillaume Le Termillier se maria le 27 novembre 1687 à damoiselle Marie Gloaguen, d'une famille de bons bourgeois de Carhaix. Le Me chirurgien juré n'était pas de ces professionnels qui livrent les secrets de l'art à un rabais honteux, comptant se rattrapper sur l'affluence des clients. Il le faisait bien voir par la plainte qu'il déposait à la Cour, le 27 juin 1600, contre Me Pierre Yvon « se disant chirugien ». A cinq heures du soir, le samedi précédent, Marie Jamet femme de Trémeur [...] boulanger se transporta chez Me Le Termillier pour le prier d'aller promptement à la geôle pour panser et médicamenter son mari qui avait été blessé, au genou. Le praticien « lui mit Lapareil pour arrester une émorogie de sang ». Conformément à la prière instante du patient, Le Termillier se présente, le lendemain, pour lever l'appareil : on lui dit que Me Pierre Yvon était venu vers cinq ou six heures faire un pansement après avoir levé l'appareil alors qu'il fallait le laisser en place au moins vingt-quatre heures sans le toucher.

Si Le Termillier était de mauvaise humeur, ses observations firent sortir Pierre Yvon de son caractère : il était porté, du reste, à la violence ; la plainte, et les témoins à charge le reconnaissent. Il y eut paroles peu mesurées, voies de fait, agression et tout ce qui amène une plainte en règle à la justice.

Le Termillier, qui tient à nous faire connaître son confrère, tient dans sa plainte à nous démontrer que ce délit professionnel n'est pas un acte isolé, mais la conséquence d'une façon de faire qui lui est coutumière.

« Et qu'il est encore vray que le mois dernier une femme riche de la campagne se transporta dans la boutique dud. Le Termillier à dessein de se faire seigner et comme ne voulaist donner que deux sols six deniers votre suppliant ne voulut pas la seigner à moins d'avoir cinq sols, et estant sur le seuil de la porte dud. Termillier, led. Yvon l'appella ce qui n'est pas permis de faire l'un au préjudice de l'autre et la seigna en mesme temps pour lad. somme de deux sols six deniers ». En opérant la saignée, il protesta être prêt à traiter tout autre au prix qui lui conviendrait « ce qui est défendu par les statuts des maistres chirugiens ».

L'administration centrale eût à se préoccuper de l'Assistance médicale et du service des hôpitaux de Carhaix. Nous avons relevé, à ce sujet, sur le Registre des Délibérations de la Communauté, les dispositions qui suivent :

Assemblée de ville du 19 mars 1689.

« Le syndic remontre de plus que le sieur Desbignou Berthelot, docteur médecin, ayant obtenu un arrêt du conseil en date du 14 d'avril 1688, suivant délibération de ladicte communaulté qui luy adjuge une somme de 200 livres sur nos deniers doctroy en considération des obligations y portées ; il est de conséquance que led arrest soit levé et enregistré sur le registre de lad. communauté à scavoir si le sieur Desbignon veult à ladvenir lexécutter en la forme, ayant aprins quil ne le pouvait faire attandu quel s'est extably en la ville de Quimper ».

« La communauté,
Sur cette remontrance et suivant la déclaration dud. Berthelot de ne pouvoir rester en ceste ville, ayant faict son establissement à Quimper, la communaulté à nommé en son lieu et place Me Claude Vachet, maître chirugien, lequel a accepté la commission aux conditions portées par led. arrest du conseil, lequel sera enregistré et demeurera loriginal par devant lat. sieur sindic

Extraict des registres du Conseil d'Estat.

« Vu la requeste présentée au Roy estant en son conseil, par le sindic de la ville et communaulté de Carhaix, en Bretagne, quil y a dans ceste ville deux hospitaux, lun pour les pauvres malades qui est gouverné par des relligieuses, et lautre pour les pauvres valides appelé lhospital général, lesquels sont dans une extreme pauvreté et à tel point quils nont pas le moyen davoir un médecin, qui est la chose la plus nécessaire aux hospitaux et principalement à ceux fondés pour les malades ; cest pourquoy c'est un des plus grands biens que l'on leur puisse procurer et à toute la ville est dengager un habile médecin de sy establir pour secourir les malades tant riches que pauvres, la communaulté avait résolue par délibération du 6 novembre 1686 d'arrester le sieur Bertelot, médecin de luniversité de Reims, qui depuis deux ans est venu demeurer en la ville de Carhaix, où il a donné de grandes marques de sa suffisante capacité, de son zèle et affection au soulagement des malades de la ville et notamment des pauvres malades des deux hospitaux, quil a secourus par les soins et par les remèdes qu'il leur a donné, mais dautant quon ne peut lobliger à sestablir tout à fait en ceste ville sans luy arrester des gages raisonnables, il auroit esté présenté requeste par led. sindic aux sieurs commissaires députés par Sa Maiesté aux Estats tenus à Sainct-Brieuc, lannée dernière, pour faire pourvoir led Berthelot d'une pension de 400 livres per chacun an ou à prendre sur les octrois et revenus patrimoniaux de la ville, mais cette requeste ayant esté renvoyée à Sa Majesté par ordonnance du 17 octobre 1687, le sindic se serait retiré par devers elle et luy auroit remontré que la ville ou communaulté de Carhaix peut aisément payer cette pension aud. sieur Berthelot, sans quelle soit à charge au public dautant que cette communaulté ne doit plus rien que toutes ses dettes sont payées et que ses charges ordinaires acquittées. Il restera des revenus de ses octrois et deniers patrimoniaux beaucoup au delà pour fournir ceste pension à quoy désirant pourvoir, ouy le rapport et tout considéré le Roy estant en son conseil a permis et permet à la communaulté de Carhaix de payer par chacun an, après les charges ordinaires acquitées au sieur Berthelot la somme de 200 livres de gages à prendre sur les revenus des octroys et deniers patrimoniaux à commencer du 1er jour du présent mois davril, tant et si longuement quil y fera sa résidance et quil y visitera et assistera les malades à condition quil sera tenu de visiter et assister de ses soins, sans autre rétribution, tous les malades des deux hospitaux et les pauvres habitans de la ville dans toutes leurs maladies. Laquelle somme de deux cents livres sera adioutée aux charges ordinaires de la ville portées par larrest du conseil du 28 juin 1681.
Fait au Conseil d'Estat du Roy, Sa Maiesté y estant, tenu à Versailles, le 14e jour avril 1688, ainsy signé Colbert »
.

Il y avait de plus, à Carhaix, un apothicaire, poitevin d'origine, qui, ainsi qu'on le verra par les pièces ci-dessous, après avoir commencé ses études dans son pays, vint les terminer à Morlaix.

Timbre de la Généralité de Poitiers (22 juin 1680).

« Le vingt-deux jour de juin mil six cen quatre-vingt, après midi, nous François Chambault, maistre apothicaire, demeurant en la ville de Cholet, et Jean Daniel émancipé procédant sous l'autorité de Perrine Marolleau, ma (sic) mère, demeurant à Mauléon, soubz signez avons fait marché d'apprantissage et convention qui ensuivent à scavoir moy Chambault ay promis et moblige d'enseigner auq. Daniel la profession et lart de pharmatie et chirurgie [Note : Le mot chirurgie a été ajouté en surcharge dans le texte]. Tel que maistre peuvent faire sans rien lui receler, de le norir, blanchir lever et coucher. Et ce pendant le temps de deux années entières et consécutives pour commencer au jour et feste de la saint Jean-Baptiste prochaine et nous ay promis et moblige envers ledit sieur Chambault de luy obéir ainsi quapranti sont remis faire à maistres et moblige en outre de luy payer pour leq. aprantissage la somme de quarante ecus en argent. Et la somme de dix livres pour epingles, de laq. somme moy Daniel may présentement délivré auq. Chambault la somme de trante livres six sols trois deniers que jay ce jourdhuy receu de Jean Daniel mon oncle qui me debvoit pour ma part et portion de cent vingt une livres cinq sols provenant des successions des feus Mathurin Daniel et Perrine Charon mes ayeuls suivant l'acte passé par Cosneau, notaire à Mauléon le quatorze de may mil six cent soixante et dix-sept. Et le surplus montant cent livres, il en recevra quatre vingt dix livres des Révérends prieurs religieux chanoines de labbaye de la Sainte-Trinité de Mauléon d'huys en un an, et dont luy mettray le billet du père procureur dicelle abbaye toutefois et quantes au regard de la somme de dix livres dans un mois prochain fait à Mauléon en double sous nos seings privés Mauléon les jours et en que dessus. Chambault, Jean Daniel » [Note : Le 13 juillet 1692, Me Chambault délivrait à son apprenti un certificat constatant que Jean Daniel l'a fidèlement servi pendant deux ans, et qu'il se déclare « satisfaict de sa conduitte et du payement »].

Jean Daniel, quatorze ans après, nous apprend, 15 novembre 1694, dans une requête au Sénéchal, que par ouest de « la Cour du vingt-sixième octobre il avoit esté envoyé devant les maistres apothicaires de Morlaix pour procéder à ses interrogatoires et faire les autres actes requis et accoustumés ». Mais voilà qu'au greffe Me Larcher de Kerincuff refuse de lui rendre cinq pièces qu'il y a déposées, dont « les attestations des services signé de Chabrol, apothicaire de Madame de Guise, de Charmoy, de Bonnecampt et Ollivier, médecin de la Marine ».

Il rentra en possession de ses papiers et put exercer pour le soulagement de l'humanité souffrante.

***

Les nobles [Note : T. I. p. 37 et 38. La ville sous l'Ancien régime] se rattachaient par quelques points à l'aristocratie de la cité, mais ne la constituaient pas à eux seuls. Cette association se composait principalement des officiers de justice, de finances ou de la Maison du Roi, qui possédaient leurs charges, et, depuis l'édit de la Paulette, les transmettaient à leur famille. Recrutés parmi les marchands ou les praticiens enrichis, ils se regardaient comme supérieurs à eux, et, détenant une partie de l'autorité, luttaient à forces égales contre la municipalité, lorsqu'ils ne parvenaient pas à la dominer en s'y introduisant. Ils formaient autant de corps qu'il y avait de juridictions : parlement, chambre des comptes, grenier à sel, droits forains, eaux et forêts : ils avaient autour d'eux la clientèle nombreuse et active des avocats, des procureurs, des notaires, des huissiers et des sergents. Leur réunion formait un ensemble redoutable, qui pouvait résister aux corporations des marchands et des artisans.

« L'acquéreur n'avait pas toujours l'argent nécessaire pour payer sa charge ; il empruntait, il était gêné, il s'efforcait de vivre aux dépens de ses concitoyens ». Voïez, dit un marchand de Reims, en parlant des gens de justice d'Epernay, « voïez combien de gens à ronger un os, à se promener sous la halle, à parler de nouvelles et à chercher à manger comme des chenilles » [Note : Oudart-Coquault. Mémoires publiés par M. Loriquet, II, p. 460, cité par A. Babeau]. Mais à côté de ces gens de loi faméliques se trouvaient les représentants de familles locales, qui remplissaient leur charge avec honneur et désintéressement, sans autre ambition que de la transmettre à leurs enfants.

« La Bruyère affirme qu'il y a une chose que l'on n'a jamais vue sous le ciel, et que selon toutes les apparences on ne verra jamais : c'est une petite ville qui n'est divisée en aucuns partis. Les officiers de justice et de finances y sont même divisés entre eux ; les uns sont exemptés de tailles, tandis que les autres y sont soumis comme le reste des habitants. Mais d'ordinaire les procureurs, les notaires, les sergents, qui forment la clientèle des magistrats, se groupent autour d'eux dans les luttes qu'ils soutiennent contre les marchands et les artisans ».

M. Albert Babeau auquel on peut adresser parfois la critique de trop généraliser, à crayonné de main de maître le tableau de ces officiers de justice et de finances et de leur rôle prépondérant; encombrant, dans la vie d'une ville de province.

A Carhaix ils tiennent le haut du pavé et si on tente de les dénombrer, on se décourage bien vite après s'être mis à la tâche. En effet, on en retrouve à tous les coins où s'embusque une juridiction. On croit en avoir fini avec eux, que l'on voit surgir, on ne sait d'où, un officier d'importance, ou un détenteur d'office subalterne : c'est « un controlleur et commis ancien alternatif traval et quetraval des consignations de la juridiction », « commis à la marque des Imbotz » ou « à la recepte des taux et amandes de la juridiction de Carhaix », ou tous autres. Leurs rangs sont si denses, si serrés, que l'on arrive, avec une inquiétude bien légitime, à se demander comment ces gens font pour vivre : ils vivent de leurs offices, il est vrai ; mais comment arrivent-ils à vivre de leurs offices ?

Nous trouvons une liste officielle d'une partie notable de ces gens attachés à la Cour à titre de notaires, procureurs, huissiers, sergents, priseurs et arpenteurs Elle est dressée par Me Thomas Dondel et datée de l'année même de la Révolte du Papier timbré, si bien qu'on y voit taxé le 25 septembre 1675 le malheureux Sébastien Le Balp, tué le 3 du même mois, par Montgaillard, au château du Trimeur.

Thomas Dondel, escuyer sieur de Brangolo, conseiller du Roy, recepveur des fouaiges et autres deniers royaux de levesché de Cornouaille, aux cy après nommés, procureurs, nottaires, huissiers, sergeants, priseurs et arpenteurs royaux de la juridiction royale de Carhaix ; salut,

Suivant la commission à nous donnée par M. d'Harouys, trésorier des Estats de Bretaigne en date du 12 mars 1675, enregistré à Quimper le 5 avril dernier, au greffe, pour les taxes cy après, nous vous mandons que vous ayes chacun de vous à nous payer dans Nostre bureau ches le sieur de Champripault, à Quimper, en un seul payement, dans le dixiesme doctobre prochain, les sommes auxquelles vous aviez esté taxés pour jouir et exercer vosdicts offices suivant lordonnance de nosseigneurs les Estats de Bretaigne dans leur dernière assemblée thenue à Vitré en 1674.

Les procureurs, nottaires, huissiers chacun 42 l, 13 s. 4 d.

Les huissiers ès eaux et forests et sergeants généraux et darmes à chacun 34 l. 6 s. 8 d.

Les sergeants royaux à chacun 16 l. 18 s. 4 d.

Priseurs et arpenteurs à chacun 13 l. 16 s. 2 d.

A quoy vous ne fairez faute à paine destre courus contraint suivant la rigueur des ordonnances et comme pour les propres deniers et affaires de Sa Majesté. A Hennebond, le 26 septembre 1675. Doudet.

Suict le rolle du nom des officiers de la jurisdiction royale de Carhaix. Emplois auxdicts rolle et subjets à ladicte taxe

11 procureurs. — Estienne Glaziou ; Pierre André ; Christophe Rospabu ; Pierre Tonneaux ; Claude Guillou ; Allain Chauveau ; Michel Revault ; Bonaventure Mével ; Yves Daffnet ; Charles Audry ; Henry Garnier.

28 nottaires royaux. — René Daffnet ; Michel Ferrec ; François Guillaume ; 0llivier Lauzet ; Yves Le Boédec ; François Larcher ; Christophe Rospabu ; Guillaume Thépaut ; Yves Rioual ; Sébastien Le Balp ; Henry Le Houiller ; Jan Quéméneur ; Jan Le Put ; René du Drézit ; Guillaume Quénemeur ; Allain Chauveau ; Claude Dagorn ; Michel Revault ; Guillaume Quillec ; Yves Le Délivre ; Gilles Bochez ; Yves Caillou ; Nicollas Lamotte ; Guillaume Jouan ; Pierre Connezre ; Thomas Guillou ; Jan Thibault ; Mathieu Le Roux.

Huissiers. — Thomas Esmard ; Phelipe Estienne.

Huissiers des eaux et forests. — Gilles Renet ; Nicollas Destable ; Jan Fleury.

Généraux d'armes. — Thomas Rosselin ; 0llivier Renet.

Sergents royaux. — Jan Le Put ; Yves Marion ; Mathieu Cauzic ; François Jan ; Pierre Brassart.

81 priseurs et arpenteurs (beaucoup en même temps notaires et procureurs) — Le sieur de La Boiessière Kervir ; sieur de La Varenne ; le sieur de La Garenne Bouday ; le sieur de Keradennec Kerenor ; le sieur de Lestavet Le Coz ; escuyer Yves de Suasse ; escuyer Phelipe Emanuel de Launay ; La Roche-Huon ; François Bahezre, etc.

Nous ne citons de ces priseurs et arpenteurs que ceux dont le nom semble indiquer une supériorité de classe ou noble extraction.

Dans la Déclaration de la ville de Carhaix, publiée le 24 septembre 1675, à la suite de la mort du notaire Le Balp [Note : La révolte dite du Papier Timbré, par M. J. Lemoine, p. 269], nous trouvons comme avocats signataires de ce document : F. Gobert, C. Lozanne, T. Guillet, J.-Joseph Le Gogal, F. Touchart et autre Me Touchart.

Nous devons y ajouter Jan Dupaïs.

Dans le ressort de Carhaix il y avait un nombre très grand de justices seigneuriales qui comportaient nombre d'officiers de judicature. Ces juridictions inférieures, souvent odieuses et toujours exposées à la suspicion légitime des justiciables, étaient recherchées ou récusées d'après les craintes ou les espérances des parties engagées.

Le 20 juillet 1700, Guillaume-René Dieulangard, premier huissier-audiencier, dresse un procès-verbal de rébellion contre Marguerite Laurans, veuve de Pierre Raoul, du Moustoir, à laquelle il vient signifier une ordonnance du procureur du Roi. Celle-ci refuse de le suivre et répond sans une hésitation « qu'elle ne relève pas de la cour royale, mais bien de celle de Trébivan », où, sans doute, la justice se rendait en famille.

Mais la cour royale était obligée d'évoquer à sa barre nombre d'affaires qu'elle retirait à cette justice boîteuse et, louche de petites juridictions locales que la monarchie elle-même travailla à entraver, à éteindre, en attendant une suppression qui aurait été effectuée, même sans 1789 !

La pièce suivante montre que c'était un bien à souhaiter que cette disparition définitive d'une institution qui ayant pu rendre des services n'était plus qu'une occasion d'abus.

« A Monsieur le sénéchal et premier magistrat du siège royal de Carhaix supplye humblement Charles Quilcuff, pauvre villageois de la paroisse de Plonévézel, disant que sur le dénoncy quil a faict aux officiers de la juridiction de Rozquigeau contre Jacob Bézegan, Nicolas Larhantec, Guillaume Le Bras et leurs complices, Ils auroient estés décrettés de prinse de corps avec saisye et annotation de biens et lesdicts Larhantec et Bras emprisonnés aux prisons de ce siège, et quoy qu'on ait ouy en charge contre eux, plus de quarante tesmoingns, lesdicts officiers de Rozquigeau les favorisans avoint négligé d'instruire leur procès à raison de quoy et de ce que lesdicts Bezegan et Larhantec tienent comme de précidant le peuple en subjection par le port d'armes, Et quy pour cause dudict denoncy espient et recherchent le temps d'assassiner le pauvre suppliant, — il a esté obligé de le faire entendre en la la cour, laquelle par arrest du vingt et neuffiesme décembre dernier a esvoqué l'instance criminelle pendante en la jurisdiction dudict Rozquigeau et la renvoyée devant vous pour estre instruicte et jugée avec toute cognoissance de cause, et considérées qu'il vous plaize, Monsieur, voir ledict arrest de la cour à ceste attachée et en conséquance recevoir la commission portée et ce faisant ordonne qu'à la diligence de Monsieur le procureur du Roy le greffier de ladicte juridiction de Rozquigeau sera dès ce jour et autres signiffié pour dellivrer et mettre au greffe de ce siège toutes les charges et informations criminelles faictes en ladicte jurisdiction contre lesd. Bézégan, Larhantec et Bras, pour passé de ce estre procédé à l'instruction de leur procès avec fraicts de quy il appartiendra attandu la déclaration qua toujours faict ledict Quilcuff de n'entendre ny ne voulloir estre en aucune manière partye auxdicts accuzés laquelle déclaration il repette encore d'abondant par le présant et ferez justice. 7 mars 1672. Signé Thépault, greffier.

Ce commandement fut signifié le 2 mai 1672, à Me Alain Chauveau, greffier de la juridiction de Rozquigeau, par Me Ma : Rozic, sergeant royal ».

Les juridictions seigneuriales relevant de la cour de Carhaix reçurent un coup terrible par l'arrêt de la Cour du Parlement de Rennes du 5 septembre 1708. Leur compétence était réduite à son minimum par l'évocation au siège royal de Carhaix des cas royaux tant au civil qu'au criminel. L'arrêt concernant la cour de Lannion, et dont les dispositions étaient étendues au siège de Carhaix, énumérait 10 cas royaux au civil, et au criminel 34, et « tous autres cas royaux dont l'énumération, serait trop longue ».

Arrest de la cour de parlement.

« Qui déclare l'arrest du 5 Novembre dernier ; rendu pour la Jurisdiction Royale de Lannion commun pour celle de Carhaix, et en conséquence conformément à iceluy, fait défenses aux Juges Subalternes de connoistre des Cas Royaux sous la Jurispdiction Royale de Carhaix ; leur Ordonne d'en renvoyer la connoissance aux Juges dudit Carhaix, à peine de cassation et de mullité ».

Extrait des Registres de Parlement.

« Veu par la Cour la Requeste de Jean Raguideau de la Raudiere, Conseiller du Roy, Seneschal de Carhaix, contenant que les Juges et Officiers qui relevoient de la Jurisdiction Royale de Carhaix, affectoient contre la disposition des Ordonnances, et des Arrest et Reglemens de la Cour, de connoistre des Cas Royaux, quoyque la connoissance leur en estoit interdite, et qu'ils devoient renvoyer ces sortes de matières devant ledit Seneschal de Carhaix, auquel seul la connoissance en appartenoit privativement aux autres Juges. Ce déreglement avoit donné occasion aux Juges Royaux de Lannion d'en porter leurs plaintes en la Cour, laquelle par son Arrest du cinquième novembre dernier, avoit fait défense aux Juges Subalternes de connoistre des Cas Royaux sous la Jurisdictfon Royale de Lannion ; leur Ordonnoit d'en renvoyer la connoissance aux Juges de Lannion, à peine de nullité et de cassation ; et auroit permis de faire lire ledit Arrest oû requis seroit.

A ces causes, ledit Exposant requeroit qu’il plût à ladite Cour voir attaché ledit Arrest, et en conséquence le déclarer commun pour estre observé et executé dans toute l'étendue du ressort de la Jurisdiction Royale de Carhaix, et en conséquence et conformément audit Arrest faire défenses aux Juges et Officiers sous le ressort dudit Carhaix, de connoistre des Cas Royaux, sur les peines y portées ; et leur enjoindre d'en renvoyer sur le champ la connoissance audit Seneschal de Carhaix : et afin que personne n'en ignore, Ordonner que l'Arrest qui interviendroit seroit lû et publié à l'issue des Grandes Messes des paroisses, à l'Audience publique de ladite Jurisdiction de Carhaix, et aux Audiences des Jurisdictions qui en relevoient : Ladite Requeste signée desdits Raguideau seneschal, Jean-Joseph Veller procureur du Roy, et Le Breton procureur : Considéré.

La Cour a declaré l'Arrest d'icelle du 5 Novembre dernier, rendu pour la Jurisdiction Royale de Lannion commun pour celle de Carhaix, et en conséquence conformément à iceluy, fait défenses aux Juges Subalternes de connoistre des Cas Royaux sous la Jurisdiction Royale de Carhaix ; leur Ordonne d'en renvoyer la connoissauce aux Juges dudit Carhaix, à peine de cassation et de nullité : Et à ce que personne n'en ignore, Ordonne que le présent Arrest sera lu et publié où requis sera. Fait en Parlement à Rennes le cinquième Septembre 1708. Signé, M. Picquet ».

« Lû et publié à l'Audience publique dudit Carhaix du quinzième Novembre 1708, tenuë par Monsieur le Senesehal et premier Magistrat dudit Siège, le requerant le Procureur du Roy, pour estre executé suivant la forme et teneur ; et envoyé aux Jurisdictions et Paroisses du Ressort dudit Carhaix, pour y estre pareillement lû et publié afin que personne n'en ignore ».

***

M. de la Villemarqué [Note : Barzaz Breiz ; p. 322. « L'orpheline de Lannion »] fait du maltôtier une peinture saisissante. « Il y a, dit-il, trois sortes de personnes, selon un ancien proverbe breton, qui n'arriveront point au paradis, tout droit par le grand chemin ; c'est à savoir : les tailleurs (sauf votre respect), dont il faut neuf pour faire un homme, qui passent leurs journées assis et qui ont les mains blanches ; les sorciers qui jettent des sorts, soufflent le mauvais vent et ont fait un pacte avec le diable ; les maltôtiers (les percepteurs des contributions) qui ressemblent aux mouches aveugles, lesquelles sucent le sang des bêtes.

Le maltôtier est d'ordinaire querelleur, bavard, bel esprit, beau parleur ; il est même facétieux et assaisonne volontiers de gros sel ses vexations légales ».

Le maltôtier est l'expression la plus odieuse du fisc et de ses agents ; c'est l'aspect la plus répugnant, la façon d'être la plus antipathique de l'Administration centrale. Les commis des devoirs font bande à part, une classe séparée qui ne saurait trouver ni sympathie, ni autorité morale. Si un de ces fonctionnaires privilégiés, — généralement étrangers au pays, — est bas-breton, il n'en sera que plus exécré. La marque et les droits de « trop bu » sont des tyrannies que le peuple maudit. Du « trop bu », il faut que ces messieurs en trouvent, s'ils veulent mériter de l'avancement. Les prétextes pour verbaliser ne manquent pas et les bénéfices des prises est partagé entre les employés et leurs supérieurs. L'appât du gain les anime et étouffe en eux toute pitié, et lorsque l'indignation populaire éclate en rébellion, exaspérés par la résistance, par la haine populaire, ils deviennent cruels et voient rouge !

Les abus de pouvoir relevés à leur compte expliquent les actes de rébellion et de rassemblements armés qui accueillaient leur apparition dans un quartier, lorsque s'élevait le cri d'alarme : Voilà les maltoutiers ! [Note : Cf. Les procédures criminelles du siège de Carhaix : les officiers de la sénéchaussée agissent passivement : ils poursuivent mais sans conviction, et on voit bien n'ont pas un enthousiasme outré pour la Maltôte son personnel et ses procédés].

Pierre Derien, 13 février 1674, hôte à Pont-Melvez, était à Rennes pour affaires : trois records opérant pour le compte du Sr Le Gac, fermier des devoirs, apportent une contrainte contre Pierre Derien absent. Ils exagèrent les ordres qu'ils ont reçus„ expulsent la femme de l’hôte et son enfant, brisent les armoires, s'emparent de l'argent, couchent dans la maison, faisant main basse sur tous les comestibles et sur le vin, et se retirent, après ce carnage, laissant la clef à un sergent ; et au bout d'une douzaine de jours, sans une formalité de justice, ils reviennent et emportent tout ce qu'il y avait dans la maison. Le 3 mars, le sergent pénètre par la fenêtre dans l'asile qu'avait trouvé la femme Derien ; il se saisit des meubles et de l'argent qu'on y trouva. De ce chef, Derien réclame des juges à la Cour de Rennes, 14 mars 1674, et il est renvoyé pour demander justice et réparation devant la Cour royale de Carhaix.

Nécessairement la fraude devait être grande, en raison de la consommation de boissons faite dans cette région, alors contaminée par l'ivrognerie. Si on examine les procédures criminelles de Carhaix : plaintes, interrogatoires ou informations d'office, on relevera trois fois, au moins, sur cinq, l'ivresse intervenant comme circonstance du crime ou délit. On retrouve invariablement la formule « esprins de vin » pour caractériser l'état mental des parties ou de l'une d'elle, qu'il s'agisse d'attentat à la propriété, à la vie oui à l'honneur.

La consommation étant grande et désordonnée, la fraude devait se faire sur une grande échelle :

La pièce suivante nous édifiera à ce sujet :

« MM. les juges royaulx de Carhaix supplie humblement noble homme Jan Le Gouverneur sieur de Cheduboif faisant pour Me Thomas Courtin, fermier général des grands et petits debvoirs des estats des vins, cildre et autres breuvages quy se débitent au bailloge de cette jurisdiction.

Disant que quelque chose quil aye peu faire ny les veilles et soigns quil se soit donnés depuis quil faict la recepte desdits debvoirs il luy a esté impossible de pouvoir empescher les paroessiens de Scrignac et de Poullaouen particulièrement de frauder et débiter des vins tous les ans entr'autres en la saizon de Carnaval, quy est la saizon ou les debvoirs doibvent plus valloir au suppliant par le debit que feroient les cabarettiers quy débitent dordinaire auxdites paroisses, Mais des meschandz et malins fraudeurs prenent pied et se font forz de ceste saizon pour débiter clandestinement, partages entre eux et vendre à vil prix à potz et à pinte au préjudice des droitz de Sa Majeste quy véritablement sont tous péris et ruinés, sur le pied, disent-ils, quil leur est permis au Carnaval de se resjouir et festoyer leurs amys. Et quoy que par plusieurs arrests et sentences lesdits fraudeurs ayant esté coudemnés pour le promp débit partage et vente quils ont ainsy faict des vins tous les ans avec deffense de récidiver, ce néantmoins les mesmes fraudeurs ont encore en la saizon du Carnaval dernier débité clandestinement fraudé et partagé plus de quatre vingtz bariques de vin par contravention au bail général, arrests et reglementz et sentences donnés vers eux en conséquence en ce siège. Ce que voyant le suppliant s'est veu obligé de faire descendre des nottaires royaulx avec ses commis jurés en leurs demeures lorsquil a pu sçavoir quilz achetoient des vins, et car y a quelque peu de temps après encore faict de rescheff descendre ou lon a trouvé les futz vides et les vins débitez en fort peu de jours et en autre partie partagée. Ce quy est vérifié et prouvé à veue d'oeil par le peu despace de temps aucquel ils ont faictz lesditz debitz par les procès-verbaux desditz commis et nottaires en dabte des vingt et troisiesme febvrier, huictiesme mars et autres jours suivantz (9 avril 1672) ».

La procédure suivante nous montrera les maltôtiers en campagne, flanqués de leur procureur qui ne chômait pas souvent et longtemps.

Un beau dimanche de janvier 1675, le temps vraisemblablement était exceptionnellement beau et clément, Yvon Le Bihan, maître tonnellier, de La Magdelaine, âgé de 33 ans, prit fantaisie d'aller du côté de Tronjolliff faire une partie de cidre.

La grand'messe venait de finir ; il rencontre Pierre Le Bras, 23 ans, « texier », qui venait, portant son fusil, « affin de tirer avec des estourneaux », puis Pierre Le Brun, compagnon-maréchal chez Jean Le Rumen, qui parti immédiatement après l'office à Saint-Trémeur, allait avec Jean Le Borgne pour se rendre chez ce dernier à Kergallet afin d'attacher une pièce quelconque à une armoire. Yvon Le Bihan, homme prévoyant, avait apporté « un gobelet d'estain dans sa poschette », et fait venir de chez Louise Guinigou un verre et un buire ou pot de « sept pintes de cildre à un soult la pinte ». Survinrent de plus pour prendre part à la fête Jean Bréal, coutturier, Jean Brionne, boucher, et Hervé Fraval, 21 ans, « picotteur de pierre », Mathurin Lebideau, 17 ans, compagnon boucher, et Yves Crec’hquillivic, 44 ans : celui-ci eut dû, par pudeur, lui pris en flagrant délit contre les Devoirs, taire du moins sa qualité « d'assistant au Record » ! Tant il est vrai qu'à Carhaix, par un côté quelconque, de près ou de loin, ils appartenaient à la Justice ou la Finance, s'en targuaient avec beaucoup de complaisance ; déjà mûrs qu'ils étaient pour le fonctionnarisme.

Nos Epicuriens dégustaient leur cidre dans un parc nommé Par-ar-Feunteun, près de la fontaine, aux doux murmures de la source, à la distance de 150 pas de Tronjoliff, mais les commis des devoirs surveillaient, surprenaient les délinquants. Que faire avec des gens qui avouaient et avaient la conscience tranquille, puisqu'ils avant payé ce qu'on leur avait demandé ? Ils avaient fourni toutefois un renseignement qui ne tomba pas à terre : le nom de leur fournisseuse : Louise Guinnigou.

On se rend donc à Tronjoliff pour enquêter.

Cette fois, en compagnie, sur ordre du sénéchal, de Pierre André, procureur, on donne, victorieusement « pour appuré qu'il n'y a aucun brandon, fouillet ny enseigne d'aucune hostelleruye à la porte au-dessus ». On découvre, dans le cellier cinq fûts dont trois pleins de cidre ; un vide et l'autre l'étant d'un demi-quart : « l'on a fraîchement tiré du cildre par picquets outre les douvelles d'une barrique sont toutes mouillier de cildre ». Dans la chambre au-dessus, on trouve un fût fraichernent vidé, et en bas, un baril de cinq ou six pots, aussi tout humecté « et paroist avoir sorti du cildre nouvellement ».

Les réponses de la veuve et de ses trois filles sont identiques comme une leçon concertée et bien apprise : Elles ont fait sept barriques de cidre : « vandu une à honorable femme Madellaine Le Brun, hottesse de la ville de Carhaix, et une autre à Nicollas Floc’h. geollier des prisons du siège, pour la somme de neuf livres la baracque à conditions de bailler à ladite Guinizou une baricque vide sur le marché : restent cinq baricques, dont une est en perce ».

A la requête du procureur, on se rend au manoir de Kerouriou où « parlant à Marguerite Lelan, servante domestique de Mademoiselle du Hilly, nous a dict que ladite Guinigou, et ses enffents n'avoient faict faire que quatre baricques de cildre sur la fin de l'année ». Ce témoignage receuilli, avec les charges relevées plus haut, mettaient les commis des devoirs en mesure de conclure, sans jugement téméraire, qu'ils avaient mis la main sur un débit claudestin et de faire procéder en conséquence la sénéchaussée de Carhaix, et Louise Guinigou dut savoir ce qu'il en coutait de frauder les commis.

Nous trouvons peu de poursuites pour fraudes sur le tabac, dans la période qui nous occupe. Citons pour mémoire une contravention constatée, vers midi, le 19 septembre 1690, à la requête de Me Nicolas du Plantier, adjudicataire général de la ferme et vente exclusive du tabac de France, un jour de marché devant la boutique de Marie-Anne Dupaïs dite Traguant. Là se trouvait un homme qui vendait de la « chandelle de rozine dans deux grands paniers de somme » : au fond d'une poche de grosse toile dissimulée dans un des paniers, les commis ambulants perquisitionnant trouvèrent un reste « de rolle de tabac anglois non plombé ni marqué de la marque ordinaire dudit Plantier ». Le délinquant est sequestré dans les prisons de Carhaix « pour y estre nouri au pain du Roy ». Il déclare se nommer François Le Borgne, dit demeurer au bourg de Cléden, puis se reprenant, se déclare de Kergloff. Interrogé « doù il prenoit son tabac de fraude, a dit quun soldat le luy avait vandu ». Le tabac, pesant deux livres, fut confisqué ainsi que les deux paniers, un petit sac de sel et trois paquets de « chandelle de rozine ».

Le 16 juillet 1700, nous trouvons une autre contravention à Kergrist, de fraude sur des tabacs cachés dans une écurie par un valet domestique.

Les vins doux d'Espagne, très prisés par le populaire, et le vin d'Aunis, parvenaient par Morlaix et aussi par la voie d'Hennebont.

***

Le duc de Chaulnes, écrivant de Rennes, le 30 juin 1675, à Colbert [Note : La Révolte dite du Papier timbré, par M. J. Lemoine, documents, p. 169], pour presser le remboursement des avances qu'il avait faites pour le service du Roi, énumérait entre autres dépenses urgentes qu'il avait dû faire, le prix de cinq voyages pour des Anglais habitant Morlaix, envoyés sur les côtes de la Grande-Bretagne pour suivre, dans la Manche, les opérations de l'escadre de Ruyter ; plus « toutes les bateries qu'il fit faire au Conquet, pour la deffense de deux descentes, .... pour les travaux de Brest, lorsquestant pressé de les achever, il fit donner un extraordinaire aux travailleurs quil y fit venir deux fois au nombre de plus dix mille ».

Cette levée de terrassiers et de gardes-côtes avait produit dans la Haute-Cornouaille un trouble profond, dont nous trouvons un retentissement dans la façon dont les commis des devoirs furent traités à cette époque, dans la surexcitation qui éclate dans les faits qui motivèrent les procédures suivantes.

0llivier Allexandre et Pierre Bruneau, commis jurés de la Marque, faisant pour Me Charles Trépaigne, fermier général des devoirs, le 11, 12 et 13 juin 1674, font leur visite ordinaire chez les hôtes et cabaretiers de la ville de Carhaix et bourgs de Ruergrouas, Poullahouen, Saint-Udecq, Scrinacq, Bolazecq, Ploura'h, etc. (en tout 23 lieux cités), où, disent-ils, « nous naurions trouvé auchun débit ni diminution de leurs vins depuis nostre précédente visite. Ce qui nous a obligé de leur demander pourquoy ils ne débitoient pas, ils nous auroient faict réponse que nous devions bien scavoir les raisons pourquoy ils ne débitoient point et que la cause est de ce que tous les gentilshommes habitants et la plus grande partie des peysens estoient allez à Brest les uns pour travailler aux forteresses et les autres pour empescher la descente des Hollandois sur les castes et que par ces moyens, nous pouvionts pas trouver du débit et que lavenir nous entrouvrions encore bien moins, puisque tous les payssens auroient esté obligés de quitter leur travail pour aller à la garde aux costes et que mesme il y avoit quantité de pauvres gens qui auroient esté obligés de vendre la plus grande partie de leurs hardes pour agetter des armes et quils séthonnoint de ce que nous allions chez eux ».

Les commis retournent le 7, 8 et 9 juillet dans les mêmes 23 localités et « advertissent tous les hostes et cabaretiers de porter de l'argent du débit, quils ont faict pendant le quartier d'avril dernier ». Ils ne rapportent qu'une réponse encore plus catégorique : « Qu'ils rien avoient poinct et que touts ce qu'ils en avoient leurs mary et enfant lavoient emporté à Brest et autres endroits où ils estoints à faire la garde depuis plus de six semaines ou deux mois, et que sils en avoient encore qu'ils aimeroint mieux le garder que de le donner au recever (sic), et qu'ils se mocquoint de tout ce qu'on leur pouvoit faire et que nous ferionts bien mieux d'aller avec leur mary garder les costes que de leur demander de largent ! ».

Le 23 juillet, dans leur procès-verbal de visite, Jean Penost et Jean Rebotier, commis de la Marque, sous le baillage de Rostrenen, enregistrent la même note : ils réclament dans vingt-quatre paroisses « des cabaretiers et autres débiteurs des debvoirs de payer ce qu'ils doivent tant du quartier de janvier que de celuy d'avril ». Ils essuient le même refus justifié par les mêmes motifs, signifié avec la même insistance, et « qu’ils ne se mettoint guère en peine de menace que nous les faisions de les faire contrainte par huissier et que nous serions bien mieux d'estre aussy à garder les costes que d'estre à demander de larguent à des gens qui n'en avoint poinct ! ».

Ainsi parlaient les femmes, et l'on sait, par expérience, l'appoint que leur passion exaspérée apporte aux chances d'une révolte.

Nicolas Marion, sergent voyer et son assistant ont reçu commandement de se saisir de Guillaume Savin, accusé de l'homicide de defunt Me Noël Beauregard. Ils arrivent à cet effet au Roscoat, en Maël-Carhaix : les parents et voisins s'ameutent, et détachent les chiens ; on veut casser la tête au malheureux sergent, mais un détail horrible nous est fourni par le cahier de répétitions de Me Nicolas Marion [Note : 12, 13 et 14 décembre 1679] et de son assistant : Une de ces femmes, Catherine Jourch, disait avec instance à la femme dudit Savin qui portait un petit enfant sur le bras, « egorger et teurtre le col à son enfen afin de trouver occasion de faire pendre ces voleurs » !

De telles gens étaient pour l'émeute des recrues implacables, prêtes à tout, le jour où le mot d'ordre leur aurait été donné, en des temps de calamités, pour faire savoir au Roi dans son Louvre que là où il n'y a rien, le prince perd ses droits.

Sources consultées : 1° Registres paroissiaux de Saint-Trémeur et de Plouguer ; — 2° Délibérations de la communauté de ville (du 1er juillet 1687 au 30 mai 1694, composées de 81 rollets), et archives de la Fabrique. — 3°. Série B (non classée), Cour royale de Carhaix. Archives départementales.

(Abbé Antoine Favé).

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