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CHÂTEAU-CEAUX (aujourd'hui Champtoceaux) aux VIème, VIIème et VIIIème siècles

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I.

Sellense Castrum et le duc Austrapius. — Portus Sellis et l'abbaye de Malmedy. — Castrum Sels et le roi Pépin.

Ruines du prieuré de Champtoceaux ou Chateauceaux (Maine-et-Loire).

Château-Ceaux, avant la Révolution, appartenait tout à la fois au pays d'Anjou et au diocèse de Nantes. Avec quelques paroisses voisines, il faisait partie de ce territoire qui, suivant une expression du pays, expression pittoresque mais peu flatteuse pour l'administration civile, dépendait d'Angers pour le diable et de Nantes pour le bon Dieu.

C'est en raison de ses anciennes relations avec le diocèse de Nantes que nous avons été amené à étudier quelques points de son histoire. A partir du XIème siècle, cette histoire abonde en documents qui fourniraient aisément matière à un volume ; mais nous voulons ici nous reporter au-delà de cette époque, et examiner si l'on n'aurait pas de sérieuses raisons de fixer à Château-Ceaux, aux VIème, VIIème et VIIIème siècles, trois faits que différents historiens ont cru pouvoir placer ailleurs.

Nous empruntons à Grégoire de Tours le premier de ces faits.

Le duc Austrapius, poursuivi par la colère de Chramne révolté contre Clotaire son père, s'était réfugié, vers 557, dans la basilique de Saint-Martin à Tours, et là, la protection du saint l'avait miraculeusement arraché à la mort. Grandement considéré à la cour de Clotaire, à cause de sa fidélité, il songea à mettre à profit les bonnes dispositions du roi. Il convoitait le siège de Poitiers alors occupé par le saint évêque Pientius.

Dans l'espoir de lui succéder, il voulut prendre ses dispositions d'avance. Laissant l'armée pour la cléricature, il se fit consacrer évêque à Château-Ceaux, apud castrum Sellense, qui était alors du diocèse de Poitiers.

Malheureusement pour les desseins ambitieux d'Austrapius, Clotaire mourut (561) avant l'évêque Pientius. Charibert, ne se croyant pas engagé par la parole de son père, mit à la tête de l'église de Poitiers Pascentius abbé de la Basilique de Saint Hilaire. Frustré dans ses espérances, Austrapius réclama à grands cris ce siège qui, disait-il, devait lui être rendu. Ses protestations hautaines restèrent sans effet. Lui-même, de retour à son château, fut, dans une révolte des Taiphali, blessé d'un coup de lance et mourut.

Il semble que, dans son impatience de jouir, en toute indépendance, des droits attachés à la dignité d'évêque, Austrapius ne voulut même pas attendre que Pientius fût mort. Après avoir rappelé sa fin cruelle, Grégoire de Tours ajoute : « l'église de Poitiers recouvra alors toutes ses paroisses ». De ces paroles, il est permis de conclure que le duc franc devenu évêque se tailla une circonscription épiscopale à cette extrémité lointaine du vaste diocèse de Poitiers. Il est même assez probable que pour réussir dans ce dessein il se souvint un peu trop de son premier métier de soldat. La révolte des Taifali était motivée par les excès dont il s'était rendu coupable envers eux, « quos sæpe gravaverat, » dit encore notre historien [Note : « Tunc et Austrapius Dux Chramnum metuens, in basilicam sancti Martini confugit.... Redeunte autem in regnum suum rege Chlothachario, magnus cum eo habitus est. Tempore vero ejus, ad clericatum accedens apud Sellense castrum, quod in Pictava habetur diœcesi, ordinatur : futurum ut, decedente Pientio antistite qui tunc Pictavam regebat Ecclesiam, ipse succederet. Sed rex Charibertus in aliud vertit sententiam. Denique cum Pientius episcopus ab hac luce migrasset, apud Parisius civitatem, Pascentius, qui tunc abbas erat basilicœ sancti Hilarii, ei succedit, ex jussu Chariberti, clamante Austrapio sibi hunc reddi debere locum : sed parum ei jactati profuere sermones. Ipse quoque regressus ad castrum suum, mata super se Theifalorum seditione, quos sæpe gravaverat, lancea sauciatus, crudeliter vitam finivit. Diœceses vero suas Ecclesia Pictava recepit. » (Greg. Turon.. lib. IV, cap. XVIII)].

Nous ne rappelons que pour mémoire que les Taifali habitaient le pays de Tiffauges. La rencontre de leur nom dans ce récit est un des éléments qui aident à chercher dans cette partie du diocèse de Poitiers, et à fixer à Château-Ceaux le castrumn Sellense de Grégoire de Tours. La distance relativement faible de Château-Ceaux à Tiffauges, explique les excursions d'Austrapius dans ce dernier pays, ainsi que l'attaque dans laquelle il périt, de retour à la résidence que notre historien appelle « son château ».

Ainsi donc, si loin que notre regard puisse pénétrer dans la profondeur des siècles, nous entrevoyons à Château-Ceaux un château et une église : un château qui a laissé son nom à la localité ; une église qui jouit pendant quelque temps des honneurs d'une cathédrale ; tous les deux, châteaux et église sous la dépendance d'un même personnage, un de ces guerriers-évêques mérovingiens qui, jusque sur le siège épiscopal, se conduisaient moins en évêques qu'en soldats.

Plus tard au XVème siècle, Château-Ceaux semble avoir encore servi de résidence à un évêque : Amaury d'Acigné évêque de Nantes. Dans sa lutte contre le duc de Bretagne, exilé de la partie de son diocèse qui dépendait du duché, il se réfugia dans celle qui était située en Anjou. Il pouvait y résider impunément à une faible distance de sa ville épiscopale. Quelques actes de son administration sont datés de Château-Ceaux. Bien qu'il ait pu les signer au cours de visites pastorales, il nous semble qu'on peut admettre qu'il fixa pendant quelque temps son séjour dans cet endroit.

Austrapius le rival entreprenant du saint évêque Pientius, l'aspirant malheureux au siège épiscopal de Poitiers, nous a fait évoquer le souvenir d'Amauri l'évêque légitime de Nantes, le prélat courageux qui préféra l'exil et la saisie de son riche temporel au sacrifice de ce qu'il croyait les droits de son Eglise. Au retour de cette excursion dans le XIVème siècle, hâtons-nous de remonter au VIIème, où nous trouvons un fait qui nous semble concerner Château-Ceaux.

Saint Remacle, né en Aquitaine, et successeur, sur le siège de Maëstricht, de Saint-Amand, né aussi en Aquitaine, venait de fonder, dans le diocèse de Cologne, l'abbaye de Malmedy, et, dans son diocèse, l'abbaye de Stavelo, qui depuis sa fondation demeura toujours unie à la première. Ces fondations faites de 650 à 656 eurent pour principal bienfaiteur le roi Sigebert III, mort en 656, et honoré lui aussi du titre de saint.

Le pieux roi accorda à ces abbayes plusieurs diplômes. Dans l'un d'eux il donne aux moines le droit de tonlieu qui appartenait au fisc sur certains ports situés sur la Loire et sur d'autres cours d'eau. Parmi ces ports il place le « portus Sellis... super Ligerim. ». Citons en entier ce passage, nous verrons mieux si nous ne pouvons pas identifier le portus Sellis de ce diplôme mérovingien avec le castrum Sellense de Grégoire de Tours.

« Telonium igitur quod ad portum Vetraria super fluvios Taunuco Ittaque, et portum illum qui dicitur Sellis, immoque et Vagatio super fluvium Ligeris quod Judices vel Agentes nostri ad portus ipsos.... solebant recipere.... concedimus » [Note : D. Bouquet, t. IV, p. 635].

C'est donc sur la Loire qu'il nous faut chercher ce portus Sellis donné à ces abbayes lointaines. Mais la Loire a deux rives sur laquelle sommes-nous autorisé à le placer ?

La vie de saint Remacle écrite à la fin du Xème siècle et un autre diplôme accordé vers 674 par Thierry III à ces mêmes abbayes, vont répondre à cette question. « Le même roi Sigebert, dit notre vieil hagiographe, Notger évêque de Liège, donna au bienheureux Remacle certaines choses en Aquitaine quedam in Aquitania » ; puis, précisant cette indication un peu vague, il emprunte au diplôme de Sigebert le passage que nous venons de citer. « Idem rex testamento legavit beato Remaclo quædam in Aquitania, puta telonium in portu Vetraria ad fluvios Taunacum et Ittam : itemque portum Sellis et Vogatium ad flumen Ligerim, cum omnibus ad eum attintinentibus » [Note : Vita S. Remdeli episcopi Trajectensis. C. 20].

L'Aquitaine pour les gens du Nord est évidemment au-delà de la Loire : c'est aussi au-delà de la Loire ultra Ligera que le diplôme de Thierry III place les biens mentionnés dans celui de Sigebert et dont il renouvelle la donation : « ipse Princeps (Sigebertus)... villas aliquas de fiscis, tam ultra Ligera res proprias, quas domnus Remaclus legitime possedit quam cæteras per præcepta sua manu roborata sub integra emunitate absque introitu judicum concessit » [Note : D. Bouquet, t. IV, p. 653].

Remontons maintenant le cours de la Loire depuis son embouchure et cherchons sur sa rive gauche, dans ce qui était alors l'Aquitaine, un port auquel le nom de Portus Sellis puisse s'appliquer avec le plus de raison.

Pour le trouver, nous n'avons pas besoin de sortir de ce pays. Tout près de nous, dans le diocèse de Poitiers, et par conséquent, en Aquitaine, se dressait dès lors le château que Grégoire de Tours nous a fait connaître. S'il lui a donné le nom de Castrum Sellense, personne ne se laissera arrêter par la forme adjective de ce dernier mot : il est facile d'en dégager la forme substantive et de constater qu'elle présente avec le nom de Portus Sellis un rapport très étroit. Le mot de château n'avait pas encore pénétré si intimement qu'aujourd'hui le nom de Châteaux-Ceaux. Cette localité devait s'appeler simplement comme elle s'appelait au siècle suivant : Sels. Comme elle renfermait deux parties différentes le château et le port, on devait dire suivant les occurrences : le château de Sels, le port de Sels ; les noms de castrum Sellense et de Portus Sellis ne désignaient que les différents quartiers du même endroit.

Les dénominations de château et de port conviennent d'ailleurs parfaitement à Château-Ceaux. Elles paraissent à chaque instant dans son histoire. Le château protégeait le port : il abritait les guerriers capables de prêter main-forte, au besoin, aux agents du fisc. La seule vue de la forteresse perchée sur ces hauteurs devait enlever aux matelots qui passaient sous ses murs tout désir de résister à leurs réclamations. Des droits appuyés sur de pareils titres se font toujours mieux respecter.

Ce droit de tonlieu qui, au VIIème siècle, appartenait aux rois francs, était exercé au moyen-âge en faveur des seigneurs de la localité. A la fin du XIème siècle, Daniel du Palais, qui jouissait de ce droit, affranchit les vaisseaux de l'abbaye de Marmoutiers de toutes les coutumes qu'ils lui devaient en passant à Nantes et à Château-Ceaux [Note : « Cum rediret D. Abbas Bernadus de Nanneto et veniret ad Castrum Celsum, invenit ibi Danihelem de Palaiio, rogavitque eum ut consuetudines quas habebat de navigio B. Martini majoris monasterii... B. Martino concederet, Cujus petitioni libenter annuens, quidquid de consuetudinibus navigii éjusdem sancti et apud Nannetum et apud Castrum Celsum tenuerat, dereliquit. » (D. Morice, t. 1. p. 474)].

Dans son diplôme en faveur des abbayes de Malmedy et de Stavelo, le roi Thierry prévoyait le cas où des seigneurs transporteraient sur leurs terres les ports concédés, afin de soustraire plus facilement au fisc royal les droits attachés à ces ports. Il ordonnait en conséquence aux vaisseaux de passer toujours, pour y payer le droit de tonlieu, par les ports par lesquels ils avaient coutume de passer depuis le temps des rois ses ancêtres.

La prévision du roi Thierry n'avait rien de chimérique : quant à son ordonnance, Château-Ceaux en connut, à ses dépens, la vanité. Lorsque l'épouse du comte Guérec construisit sur la Loire le Château d'Ancenis (987), il est à croire qu'elle n'oublia pas le port de cette localité située en vrai pays Nantais. C'est ainsi que le port de Château-Ceaux dut souffrir tout près de lui la naissance et le développement d'un rival armé pour la défense de ses droits de moyens aussi puissants que les siens.

D'ailleurs on peut se demander si les modifications apportées dans le cours de la Loire par la suite des siècles, n'ont pas été funestes aux ports de sa rive gauche. Port-es-Chaises en Saint-Sébastien, et Rezé un peu plus bas ont perdu l'importance qu'ils semblent avoir eue au VIème siècle et au IXème. Si donc les expressions du diplôme mérovingien supposent que, au Portus Sellis, ce que nous appelons de nos jours le mouvement du port devait être assez considérable, on ne peut pas tirer de ce fait une objection sérieuse à l'identification que nous proposons de ce port avec celui de Château-Ceaux.

Comme le château de l'antique Sels a toujours été plus important que son port, il n'est pas étonnant qu'il ait concouru à former le nom de la ville à laquelle il avait donné naissance. On avait si souvent occasion de parler du Château-Sels que ces deux mots distincts à l'origine, et souvent séparés dans les documents les plus anciens, finirent par s'unir dans le langage vulgaire pour donner à cette localité le nom qu'elle porte depuis le XIème siècle.

C'est donc à Château-Ceaux que nous nous arrêtons pour placer le Portus Sellis, donné par saint Sigebert à saint Remacle pour l'entretien de ses moines et des luminaires de leurs basiliques. Libre à ceux qui ne sont pas de notre avis de continuer leur voyage sur la Loire, jusqu'à ce qu'ils rencontrent sur sa rive gauche, et en Aquitaine, un port qui réponde mieux aux données topographiques que nos documents nous ont fournis.

Ceux qui nous font l'honneur de rester avec nous, en seront récompensés par le beau spectacle que le huitième siècle leur réserve. Ils seront rendus, cent ans d'avance, pour recevoir en 768, la reine Bertrade, la députation des Sarrasins et le roi Pépin le Bref, accompagné de toute sa cour.

« Admirable matière à mettre en... calvacade ! ».

Elle, vaut la peine d'être signalée aux habitants de Château-Ceaux qui n'ont peut-être pas encore songé à l'exploiter.

Les faits dont nous avons à parler nous ont été rapportés par plusieurs chroniqueurs contemporains, sans rappeler toutes les localités où les historiens les ont placés ; voyons, après en avoir fait le récit, si nous n'avons pas de justes raisons de les revendiquer pour Château-Ceaux.

Pépin le Bref était alors occupé dans sa longue guerre contre l'opiniâtre Waïfer duc d'Aquitaine. Il résidait depuis quelque temps avec la reine Bertrade à Bourges où il avait passé les fêtes de Noël et de l'Epiphanie. Au milieu du mois de février 768, il réunit toute son armée pour reprendre la guerre interrompue par la mauvaise saison.

La reine Bertrade, le laissant dans ces préparatifs, se rendit d'abord de Bourges à Orléans. Là, s'embarquant sur la Loire, elle vint jusqu'au château de Sels situé sur ce fleuve.

De son côté, Pépin conduisant ses troupes en Aquitaine parvint jusqu'à Saintes et y fit prisonnières la mère, une sœur et les nièces de son ennemi. Puis, après une expédition heureuse qu'il poussa jusque sur les bords de la Garonne il vint pour célébrer les fêtes de Pâques au château de Sels où la reine Bertrade l'attendait.

Ce fut dans ce même château qu'il reçut l'ambassade d'Amormun, roi des Sarrasins. Cette ambassade avait accompagné, à son retour, celle que Pépin le Bref avait envoyée, depuis trois ans, vers ce roi. Débarqués à Marseille, où ils avaient été magnifiquement reçus, les envoyés sarrasins avaient été conduits à Metz sur l'ordre de Pépin, pour y passer l'hiver.

Dans l'impossibilité où Pépin se trouvait de quitter l'Aquitaine, il ordonna à l'ambassade de venir le trouver au château de Sels, ad Sellus castrum. Les Sarrasins y vinrent, présentèrent au roi les présents dont ils étaient chargés, reçurent en retour ceux de Pépin, et furent conduits avec de grands honneurs à Marseille où ils s'embarquèrent pour leur pays.

Après la fête de Pâques, Pépin quitta le château de Sels emmenant avec lui à Saintes, la reine Bertrade et toute sa famille. Les laissant dans cette ville, il se lance de nouveau à la poursuite de Waïfer qui, chassé de forêt en forêt, de montagne en montagne, traqué de tous côtés, fut tué par ses propres gens, le 2 juin.

Maître de toute l'Aquitaine par cette mort, Pépin retourna à Saintes où résidait la reine Bertrade. Il n'y put jouir longtemps de son triomphe. Saisi par une fièvre maligne, forcé de précipiter son retour, il revint par Poitiers et Tours à Paris. Il y mourut le 24 septembre, suivant de près dans la mort l'ennemi qu'il avait eu tant de peine à vaincre.

Nous distinguerons dans ce récit deux faits principaux : le séjour au château de Sels de Bertrade, de Pépin et de leur cour, et la réception dans ce même château de l'ambassade des Sarrasins.

Ce dernier fait nous est raconté par un auteur anonyme, le quatrième continuateur de Frédegaire [Note : « Bertrada Regina Aurelianis veniens et inde navali evectione per Ligerem fluvium usque ad Sellus castrum super fluvium ipsius Ligeris pervenit... Inde ad Reginam suam ad. Sellus veniens (Pippinus) legationem Sarracenorun quam Mettis ad hyemandum miserat ad Sellus castrum ad se venire prœcepit ; et ipsi Sarraceni munera, quæ Amormuni transmiserat, ibidem prœsentant. Prœcelsus rex Pippinus iterum de Sellus castro eum paucis ad persequendum Waifarium eo anno iterum perrexit et usque ad santonis mira celeritate primus cum paucis venit » (Fredegariani chronici continuati, IV. CXXXIV)] : mais cet auteur devait être bien informé puisqu'il écrivait par l'ordre du comte Nibelung, cousin de Pépin. Son récit qui comprend tout le règne du roi des Francs, a le caractère de ces mémoires intimes que les traditions de familles, au défaut des documents officiels, aident à composer peu de temps après les événements accomplis. Peut-être le comte Nibelung assista-t-il lui-même à la réception de l'ambassade des Sarrasins. Quoi qu'il en soit, ce fait, bien qu'appuyé sur un seul témoignage, est entré dans notre histoire ; il n'y a de discussion possible que sur l'endroit où il faut le placer.

L'autre fait, c'est-à-dire le séjour de la cour royale au temps de Pâques au château de Sels, a été enregistré par un plus grand nombre de chroniqueurs des VIIIème et IXème siècles. Tou semblent s'être inspirés d'une chronique également anonyme, connue sous le nom de Annales Tilliani parce qu'elle a été publiée d'après un manuscrit de Jean du Tillet. A partir de 759 jusqu'en 806 l'auteur, qui vivait en 808, cite avec un soin scrupuleux tous les endroits où la cour célébrait les fêtes de Noël et de Pâques ; c'est là, pour ainsi dire, une de ses spécialités. Il laisse de côté une foule de faits remarquables dont la mention n'entre pas dans son programme. Parfois il résume tous les événements de l'année en deux lignes : il n'omet jamais sa formule stéréotypée qui en remplit une : « Pépin célébra Noël et Pâques dans tel endroit ».

C'est ainsi qu'il passe sous silence l'arrivée de Bertrade et celle des Sarrasins à Château-Ceaux. Le nom de cette localité ne se rencontre sous sa plume que parce que Pépin y célébra les fêtes de Pâques en 768. « Celebravit Pascha in castra qui (sic) dicitur Sels ».

Cependant il ajoute que Pépin repartit de Château-Ceaux avec la reine Bertrade et sa famille qu'il laissa à Saintes « Iterum iter adsumens cum domna Bertrada regina ad Sanctones pervenit ». Pour quitter le château appelé Sels, Bertrade avait évidemment dû y venir : ce château était donc le même que le château appelé Sellus par notre premier chroniqueur : château situé sur la Loire ; « Sellus castrum super fluvium ipsius Ligeris » pour lequel Bertrade avait quitté Orléans et dans lequel eut lieu la réception des ambassadeurs sarrasins.

Du reste, si le continuateur de Frédégaire omet de nous dire que Pépin célébra au castrum Sellus les fêtes de Pâques de 768, c'est de ce château qu'il le fait partir pour se lancer à la poursuite de Waïfer, après le départ des Sarrasins pour Marseille : puis il ajoute que le roi vint ensuite à Saintes où la reine Bertrade résidait [Note : « Præcelsus rex Pippinus iterum de Sellus castro cum paucis ad persequendum Waifarium eo anno iterum perrexit et usque ad Santones mira celeritate primus cum paucis venit.. Jan tota Aquitania acquisita... cum magno triumpho et victoria Santones, ubi Bertrada Regina residebat, venit » (Fredeg. chron. cont. CXXXVI)].

Les renseignements des Annales Tilliani se retrouvent presque mot à mot dans une autre chronique connue sous le nom de Annales Loiseliani, et dont l'auteur semble avoir vécu en 814. De là, ils sont passés dans plusieurs autres chronques parmi lesquelles nous nous contenterons de citer celle de Réginon, les Annales de Metz et les Annales attribuées à Eginhard [Note : DCCLXVIII. « Pascha celebravit in Castro qui dicitur sels. Iterum iter assumens cum damna Bertradane regina ad Sanctones civitatem pervenit » (Annales Loiseliani). — « In castello quod dicitur sels Pascha celebravit assumptaque secum uxore atque familia sua, iterum ad urbem santonicam venit » (Annales Eginhardi). « Pascha celebravit in Castro quod dicitur sels. Indeque promotu exercitu, assumens secum Bertradam Reginam iterum ad Sanctonas civitatem venit ». (Annales mettenses). « Il (Pépin) retorna à un sien chastel qui avoit non cels pour celebrer la sollempnité de Pasques. Quant la feste fu passée, il prist sa fame la roine Berthe et toute sa mesnie et ala, à la cité de Saintes » (Chronique de S. Denis).].

Il n'est pas inutile pour notre thèse de faire remarquer que la situation de Château-Ceaux répond parfaitement aux préoccupations qui devaient alors animer le roi Pépin.

Forcé de se séparer de sa famille par les nécessités de la guerre d'Aquitaine, il devait chercher à la mettre en sûreté dans un lieu qui ne fût pas trop éloigné du théâtre de ses opérations. Son plan, autant qu'on peut en juger, était de tomber sur Saintes où toute la famille de son ennemi se trouvait réunie, s'y croyant sans doute à l'abri de tout coup de main. Maître de Saintes, il en fait son quartier général. C'est de là qu'il rayonne dans toute l'Aquitaine, jusque sur les bords de la Garonne. C'est aussi là que, lorsque son ennemi ne sera plus en état de lui disputer cette position, il fera venir la reine Bertrade et sa cour.

En attendant, il la fait descendre d'Orléans et lui assigne pour séjour, à l'occasion des fêtes de Pâques, époque si importante pour la cour, une localité assez voisine de Saintes pour que, en cas de succès, elle puisse venir l'y rejoindre, et assez éloignée du théâtre de la guerre pour que, en cas de revers, elle pût trouver son salut par une fuite facile dans le pays qu'elle avait quitté.

Les fortifications de Château-Ceaux offraient à Pépin toutes les garanties de sécurité qu'il pouvait désirer pour sa famille. Au premier bruit d'un danger, Bertrade, forcée de précipiter sa fuite, remontait rapidement la Loire et, à travers des pays amis, parvenait à Orléans et de là à Paris.

Quant aux Sarrasins que Pépin, dans l'ignorance des événements futurs avait envoyés pour l'hiver à Metz, espérant peut-être aller les y rejoindre, il leur fallut pour cette entrevue se rapprocher des pays où la guerre retenait le roi. Il est à croire qu'ils vinrent de Metz à Orléans et que de là, comme Bertrade, ils descendirent la Loire jusqu'à Château-Ceaux.

II.

Observations philologiques sur le nom de Château-Ceaux.

Ruines de la léproserie de Champtoceaux ou Chateauceaux (Maine-et-Loire).

En faveur de notre thèse nous pouvons encore apporter les raisons philologiques tirées de l'étude même du nom de Château-Ceaux. La dernière syllabe de ce nom dérive régulièrement du mot Sels ; si bien que le nom de Château-Ceaux est l'équivalent exact de Castrum Sellense, castrum Sellus, castrum qui dicetur Sels.

Ce nom de Sels paraît avoir été autrefois la forme vulgaire du nom de la localité. D'après Pierre Pitou, les Annales Loiseliani sont « les mêmes que les annales écrites en langue vulgaire et rustique, et que Réginon, abbé de Pruym, dit avoir suivies jusqu'en 814 ».

Cette remarque a ici son importance. Les annales reproduites par tous les chroniqueurs dont nous avons parlé avaient donc été primitivement écrites en langue vulgaire ; or c'est dans ces annales que se trouvait le nom de Sels. Le premier qui les a traduites a respecté l'orthographe des noms propres, et c'est ainsi que le nom de Sels nous est parvenu sans avoir été défiguré. Les autres chroniqueurs n'ont pas eu le même scrupule : ils ont latinisé ce nom chacun à sa manière, et ont montré à tous leurs successeurs une voie déplorable dans laquelle ils n'ont été que trop bien suivis.

Reconnaissons cependant, à leur décharge, que l'altération qu'ils ont fait subir au mot de Sels n'est rien en comparaison de celle dont l'ont défiguré ceux qui pour la première fois en ont tiré le nom monstrueux de Champtoceaux.

Comment ce dernier peut-il venir du premier ? C'est un peu l'histoire du couteau qui reste toujours le même, bien qu'il ait fini par perdre successivement toutes les pièces de sa constitution primitive : la lame, le manche, tous les rivets en ont été plusieurs fois remplacés, et cependant c'est bien toujours le même couteau.

C'est ce que pourront constater les lecteurs qui voudront bien lire, malgré leur aridité, nos observations philologiques sur la formation de ce nom.

Donnons d'abord les différentes formes que nous en avons rencontrées.

Castrum Celsum, vers 1045, vers 1070, 1123, 1151, 1224, 1230 etc. — Castrum Celsi, 1224, 1253, 1277, 1554. — Castrum Celci, 1254, X. de Castro Ceaux vers 1142. — Chetiauceaux 1232 ; Castiauceaux 1229 ; (Guillaume de Nangis) ; Chantouceaux, 1366, 1468. — Chasteauceaux 1418 ; Chantoceaux 1286, 1646 ; Chantoceaulx 1568. — Chantosseaulx 1643, Chantouceaux 1623. Chaptoceaux 1487, Champtoceaux XVème siècle ; Chastonceaux, (Froissart) [Note : Par suite de la confusion du t et du c, confusion facile dans les anciens manuscrits, on trouve même, dans les imprimés, la forme Thatontel].

Les formes latines des XIème, XIIème et XIIIème siècles, nous donnent les deux parties très distinctes de ce nom. La persistance à cette époque du mot castrum est tout particulièrement à signaler. C'est l'expression même employée par Grégoire de Tours et par nos annalistes du IXème siècle dans les passages cités plus haut : « Castrum Sellense, castrum qui dicitur Sels ». Le mot de château renfermé dans Château-Ceaux est rigoureusement une déviation de castellum et une simple traduction de castrum. Un scribe qui à cette époque eût eu à traduire en l'absence de toute tradition locale le mot de ChâteauCeaux eût mis : Castellum Celsum. Nous n'avons rencontré que deux fois cette expression de castellum : l'une dans Eginhard « in castello quod dicitur Sels », l'autre dans un acte du XIIème siècle qui l'emploie par pléonasme : « castellum castri Celsum ». L'emploi du mot castrum dans tous les cas allégués s'explique par une longue possession, par une sorte de vitesse acquise. Il sent beaucoup moins le moyen âge que les temps mérovingiens ou gallo-romains.

Le changement de la seconde partie du nom ne souffre aucune difficulté : Sels a donné régulièrement Saux Seaux ou Ceaux.

On peut rapprocher cette transformation de celle des mots suivants : agnels, agneaux ; lioncels, lionceaux ; damoisels, damoiseaux ; scel, sceaux ; oisels, oiseaux, etc.

Un très grand nombre de nos noms ou adjectifs en au employaient autrefois la désinence en au ou celle en el : Manteau, marteau, chameau, jumeau, etc., se disaient mantel, martel, chamel, jumel.

Beau de nos jours se dit encore bel.

Toutes ces transformations se sont faites en vertu du principe général d'après lequel l'l suivi d'une autre consonne se résout en u son équivalent : autre, autel, mauve, sauver, aube, viennent de alter, altare, malva, salvare, alba.

C'est grâce à ce principe que les noms et les adjectifs terminés en al ont fait régulièrement leur pluriel par l'addition d'un s qui modifiant la prononciation de leur terminaison l'a, changée de al en au. Cheval, chevals, chevaux ; moral, morals, moraux, etc.

Si à la suite du changement de l’l en u on a eu oiseaux, seaux et non pas oiseux, seux, c'est que l'e suivi d'une des liquides l, m, n, r, s'est prononcé indifféremment e ou a parfait, parjure, condamner, viennent de perfectus, perjurium, condemnare, l'e dans solennel et dans plusieurs adverbes comme : prudemment, différemment, etc., a le son de l'a ; et l'on rencontre parfois des personnes qui prononcent parmission pour permission, marcredi pour mercredi.

C'est par l'application combinée de ces principes que le nom de Sels a donné Ceaux, qu'il serait plus régulier d'écrire avec un s à la place du c.

Si ce nom de Ceaux se tire régulièrement de Sels on ne peut dire la même chose des noms de Celle, Celles, Selles et Chelles : lieux où l'on a quelquefois placé l'un ou l'autre des événements racontés plus haut. Le « féminisme » persistant de ces formes suppose que le nom primitif était lui-même au féminin. Ces localités doivent avoir pour origine un monastère mérovingien désigné autrefois sous le nom de Cella du Cellæ. Il nous paraît difficile que la philologie puisse tirer ces différents noms de celui de Sels : si bien que, sur la seule déclaration de leur nom nous serions tenté de dire à ces localités : « Inutile de passer à l'examen de vos titres : votre nom seul parle contre vous. Montrez-nous patte blanche ou je n'ouvrirai point ».

Nous devons cependant reconnaître que l'auteur des Chroniques Annaulx s'est permis de donner à Château-Ceaux le nom latin de Castrum Cellarum [Note : 1224. Petrus cornes Britanniæ Castrum Cellarum absidet... D. Morice, Preuves, t. 108]. C'est une fantaisie qui ne tire point à conséquence. Nous ne l'indiquons que parce que Travers semble l'avoir prise trop au sérieux.

« Renauld, dit notre historien, bâtit sur la Loire ... une maison forte qui de sa situation sur une hauteur a été appelée Chasteauceaulx (castrum celsum), et de quelques celles de moines qui s'y établirent dans la suite, Chasteaucelles (castrum cell arum) » [Note : Hist. de Nantes, t. 1. 181].

Ici encore nous avons le regret de ne pas être de l'avis de l'abbé Travers. La vieille Chronique de Saint-Brieuc, qui nous donne ces détails sur Renaud, ne dit nullement que le nom de Chasteauceaulx fut donné à la maison bâtie par ce seigneur. Elle dit que Renaud demanda la permission de bâtir une maison à Château-Ceaux : elle suppose par conséquent que cette localité existait déjà et portait dès lors son nom séculaire: « petivit ut apud Castrum celsum domum sibi propter commoditatem Ligeris ad hospitandum facere concederet » [Note : D. Morice, Preuve, t. 1. 33].

Quant aux deux étymologies proposées par Travers nous avouons n'éprouver de sympathie pour aucune. Bien que les religieux de Marmoutiers aient fondé au XIème siècle d'importants établissements à Château-Ceaux, cette ville n'a pu tirer de ce fait un nom qu'elle portait déjà antérieurement.

Il semblerait plus plausible de traduire castrum celsum par château élevé sur une hauteur. La position de Château-Ceaux favorise fortement cette interprétation. Adrien de Valois, avant Travers, s'y était laissé prendre. « Castrum Celsum, dit-il, a sito dictum, quod in monte positum sit ». Quand on a à sa portée une expression qui signifie hauteur, élévation, comment n'être pas tenté de la jeter à un château si haut perché ?

Mais avant d'admettre cette étymologie il faudrait être bien sûr que le mot celsum a été, dans cette circonstance, emprunté au latin. La rencontre des formes les plus anciennes, castrum Sellense, Sellus, Sels, détruit par la base cette supposition. Ce nom est emprunté à la langue de peuples établis en cet endroit avant les Romains.

Quel en était le sens ? nous perdrions notre temps à le chercher. C'est assez d'avoir entrepris de ramener le nom de Château-Ceaux à la pureté de son origine. En dégageant ce nom de quelques additions étranges, il semble que l'on voit mieux se dresser devant nous le château qui lui a donné naissance. « Châteauceaux, écrivait autrefois. M. de la Borderie, que je ne puis me résigner à appeler Champtoceaux, comme l'exigerait cependant l'orthographe officielle qui prouve par là d'abondance qu'elle a oublié le latin ».

Dans toute cette étude nous nous sommes obstiné à écrire Château-Ceaux, laissant au compte des différentes administration le nom barbare de Champtoceaux qu'elles affectionnent. Ce ne sont pas les administrations actuelles qui en sont coupables, dès le XVème siècle les registres de la chancellerie de Bretagne le mentionnent plusieurs fois. Devons-nous espérer qu'un jour viendra où ces administrations faisant le sacrifice, ou, pour mieux dire, l'économie de deux lettres l'm et le p transformeront Champtoceaux en Château-Ceaux ? Comme elles se font un point d'honneur de ne pas se déjuger même quand on leur montre leurs torts, ce n'est guère à croire. Une commission formée pour corriger les noms de nos communes n'empêcherait pas les Postes et les Chemins de fer de continuer à employer le nom de Champtoceaux. Nous échouerions sûrement où cette commission ne pourrait réussir. D'ailleurs suivant la pensée d'un moraliste il est des choses où il suffit de voir juste, sans se mettre en peine d'amener les autres à son sentiment.

En résumé, de l'étude qui précède nous croyons pouvoir dégager les conclusions suivantes.

La situation de Château-Ceaux répond premièrement à celle du Castrum Sellense placé par Grégoire de Tours dans le diocèse de Poitiers, aux environs de Tiffauges.

Elle répond deuxièmement à celle du Portus Sellis donné à l'abbaye de Malmedy et placé au delà de la Loire, en Aquitaine, sur la Loire elle-même.

Elle répond troisièmement à celle du Sellus castrum, relié à Orléans par la Loire ou du Castrum qui dicitur Sels où Pépin rejoignit la reine Bertrade et reçut les ambassadeurs des Sarrasins.

Le nom de Château-Ceaux est, malgré quelques modifications accidentelles qui n'ont en rien altéré son essence, l'équivalent et le seul équivalent exact au point de vue philologique de tous ces anciens noms.

Par ailleurs les ruines anciennes de Château-Ceaux témoignent de la très haute antiquité de cette ville, l'une des plus importantes de la contrée dans les temps féodaux.

Jusqu'à ce que d'autres localités nous montrent des titres aussi nombreux et aussi solides, nous croyons pouvoir sans témérité faire honneur de tous ces faits glorieux à Château-Ceaux.

(G. Durville).

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