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CLÉDER ET LA BATAILLE DE KERGUIDU SOUS LA RÉVOLUTION.

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Du temps de la magistrature de Jean Riou, en juillet 1792, les Clédérois n'avaient pas craint de manifester contre les exigences officielles. Ainsi, le 25 juin, le District et la municipalité de Brest ayant ordonné des levées d'hommes pour les armées des frontières, et le Conseil général du Département ayant ordonné le 28 que les « volontaires » rendus à Morlaix seraient mis en route aussitôt pour leurs lointaines destinations, plusieurs communes du District de Lesneven s'opposèrent à ces mesures. Cléder, Sibiril et Plougoulm surtout se compromirent.

Brest leur envoya huit dragons de sa Garde nationale, sous le commandement du capitaine Bernard jeune, pour inspirer la terreur. Et le délégué du District de Brest, le terroriste Julien Jullien, qui, plus tard, évitera de justesse la guillotine, ordonna d'arrêter M. de Parcevaux, chef prétendu de la résistance.

Ce n'était qu'un commencement. Ceux qui s'étaient flattés de faire peur aux Clédérois ne tardèrent pas à comprendre leur erreur.

La Convention décréta, le 24 février 1793, la levée en masse de trois cent mille hommes, de 18 à 40 ans. L'arrondissement de Saint-Pol devait fournir 27 hommes, le tirage au sort devant être effectué le jeudi 14 mars, à 8 heures du matin, dans l'église des religieux Minimes expulsés.

Les paysans chassèrent de l'église les soldats et tinrent tête dans les rues au bataillon de volontaires du Calvados et à la Garde nationale de la ville. Le 15, Morlaix envoya un renfort de 300 hommes, avec 2 pièces de canon, le Conventionnel Prieur de la Côte-d'Or en tête, avec Le Denmat et Guillier, administrateurs du Finistère (le premier, ancien maire de Morlaix, homme de loi ; le second, marchand de Douarnenez ; l'un et l'autre guillotinés à Brest le 22 mai 1794). Les « appelés », pour la plupart, ne se présentèrent pas au tirage.

Le mardi 19, jour de marché, les paysans revinrent et combattirent avec une bravoure remarquable. Ils arrivaient en masses par plusieurs routes, et tâchaient de gagner la place de la Cathédrale. Les deux Botloré de Kerbalanec, père et fils, venus de Cléder, et un valet de pied du manoir de Tronjoly, tiraient avec succès, des paysans rechargeant leurs armes derrière eux. M. de Kerbalanec affirma ensuite que c'était lui qui avait abattu le chef des volontaires du Calvados. Ceux-ci prirent la fuite, surtout vers la grève. Mais les canonniers de Morlaix tinrent bon et mitraillèrent les paysans, qui se dispersèrent.

Signalons un exploit comique du citoyen Pierre-Marie Déniel, le procureur de la Commune de Saint-Pol. C'était un ivrogne dangereux. Deux fois la municipalité l'avait coffré, pour avoir voulu tirer sur des citoyens paisibles. Quand les paysans avaient attaqué la ville, il s'était placé devant eux pour « les pérorer », de telle façon que les canonniers n'osaient pas tirer de crainte de l'atteindre tout le premier, et que des patriotes avaient manqué d'être égorgés, grâce à ces « folies ».

« Quand cet homme n'est point bu, dit un document manuscrit, il est assez tranquille ; mais il est presque tous les jours épris de boisson ».

Une preuve de son déséquilibre mental, entre cent.

Un vieux canon rouillé gisait depuis plusieurs années devant la Maison commune. Déniel décida qu'il pourrait encore tirer.

« Mais quand bien même cette bouche à feu serait susceptible de réforme, écrivait-il, sa personne pourrait toujours servir ad terrorem, c'est-à-dire en imposer aux malveillants ». C'est pourquoi il demandait que le canon fût monté et posé, « avec consigne expresse aux sentinelles d'empêcher qu'il soit examiné par tout individu champêtre ou citadin, non reconnu pour vrai patriote ».

Cet imbécile, qui traitait de chiennes les Sœurs de l'hôpital, fut destitué par les délégués brestois des Représentants du peuple, le 9 décembre 1793, à la demande de la Municipalité tardivement indignée. Il fut remplacé par Le Bourguays, autre ivrogne !

Les Bleus du Calvados vaincus, se vengèrent sur les fermes isolées, volant et pillant à qui mieux mieux. Le mécontentement grondait dans les communes voisines. Saint-Pol, dont la municipalité avait l'habitude de trembler, demanda du secours à Brest.

Le général marquis de Canclaux fut expédié avec 1.200 fantassins, des dragons, un détachement de Landerneau et 2 canons.

En chemin, le 18, il maîtrisa les paysans de Plabennec, puis ceux de Lannilis. A Lesneven il se fit accompagner par le citoyen Prat, commissaire du District, et il marcha sur Saint-Pol.

Mais les paysans coupèrent le pont de Kerguidu, à l'extrémité sud de Plougoulm, le samedi 23 mars, pour lui interdire le passage. Dès le lendemain, dimanche des Rameaux, 9 heures du matin, le commissaire du District de Morlaix, Pinchon, et Guillier, administrateur du Finistère (un fier anticlérical !) partirent avec 340 hommes du Calvados et 60 de Morlaix, à vive allure. Quatre charrettes de poutres et de planches suivaient. Surpris par les paysans, ils mirent un canon en batterie : trois boulets, et ce fut tout ! Les pelotons de paysans harcelaient les Bleus : des femmes combattaient avec résolution.

Il fallut former le carré, les grenadiers couvrant les travailleurs qui reconstruisaient le pont. Pendant une heure et demie, on tirailla de part et d'autre ; les Bleus allaient manquer de cartouches, quand l'essieu du canon se brisa. Les paysans avaient bataille gagnée !

Mais alors Canclaux survint, au pas de charge, tambours battants. A la baïonnette une partie des troupes fraîches essayèrent d'enfoncer les groupes de paysans, tandis que les autres, placés sur la hauteur opposée, ouvraient sur eux un feu terrible de mousqueterie et d'artillerie (un canon !). Les paysans reculèrent, en cet endroit, derrière les talus.

« Le Calvados » n'en fut que plus accablé. Il supplia Canclaux de descendre jusqu'au pont, de le franchir et de tomber sur les paysans. Canclaux finit par concéder cette manœuvre. Et alors grenadiers et fusiliers « portèrent partout la mort, dit Guillier, préférant de fusiller les rebelles à la gêne de les faire prisonniers... Le canon..., pointé sur des maisons et sur des granges où ils se cachaient, y répandait bientôt l'alarme et la fuite. ».

Un an plus tard, Guillier verra ses anciens amis préférer de le guillotiner à la gêne de le garder prisonnier...

A 4 heures, Canclaux et les deux troupes de Bleus repartirent vers Saint-Pol. Arrêtés à 3 kilomètres du pont par les paysans qui tiraillaient toujours, ils finirent par se décrocher à 5 heures, harcelés jusqu'aux approches de la ville, où ils entrèrent enfin à 6 h. 1/2.

Il faut méditer la fin du rapport de Guillier :

« Les soldats, au lieu de se contenter de les blesser (les paysans), ont tué tous ceux qu'ils ont pu atteindre. Étant tous partis... dès le matin, sans manger, nous nous flattions de faire halte au pont et d'y consommer nos vivres ; mais personne n'a eu le moment d'y penser, la troupe étant rentrée à Saint-Pol à jeun, excédée de fatigue et traversée par une pluie et une grêle presque continuelles ».

Canclaux écrivit au ministre de la guerre, le lendemain :

« Courant au bataillon du Calvados, je l'ai mené la baïonnette au bout du fusil contre quelques-uns de ces rebelles qui paraissaient vouloir tenir, ce qu'ils n'ont pas fait ; les moins lestes ont été attrapés et tués... Il m'a fallu encore tirer des coups de fusil et de canon toute la route, et ce n'est que assez près de Saint-Pol que j'ai été quitte de cette malheureuse engeance, qu'on ne sait par où prendre, et qui a été tellement acharnée hier et se présentant si à propos sur les points d'attaque qu'on ne peut douter qu'ils ne soient conduits par les personnes instruites et qui connaissent le pays ».

Les Clédérois et leurs compagnons s'étaient battus en héros. Mais des deux côtés, les pertes furent cruelles.

M. de Kerbalanec ne voulut garder avec lui, dans sa vie désormais errante, que les « conscrits » qui se refusaient à servir dans les armées de la République, se réservant d'appeler les autres fidèles combattants en cas de besoin. Leur cachette fut les bois de Kermenguy, à proximité de plusieurs paroisses qui leur fournirent aide et assistance matérielles, le temps qu'il fallut... Car peu à peu le chef restera seul, puis il chouannera en d'autres lieux.

Le jour de Pâques, 31 mars, le pauvre Guillier osait bien réclamer l'échafaud pour les prisonniers de Kerguidu.

« Il est urgent, écrivait-il, que ces punitions se fassent pendant que la troupe est ici. Quant à la facilité de faire mettre à mort ici les condamnés (déjà !), la chose est facile si le cas échoit ; il y a une guillotine, même montée, à Lesneven, et qu'il ne coûterait pas fort cher de transporter ici ».

Le 22 mai 1794, le Tribunal de Brest estimera urgent de punir Guillier ; si urgent même, que deux heures après la sentence, ce condamné aura gravi l'escalier raide de la guillotine, toute montée, à Brest.

Pour Kerguidu, deux maires furent exécutés : celui de Plouzévédé, M. Prigent, 29 ans, et celui de Ploudalmézeau, M. Barbier, 60 ans. Leur crime était d'avoir soulevé le peuple contre la tyrannie. Restait « à prendre les deux Kerbalanec, de Cléder, reconnus comme des plus enragés, et pour avoir été à la tête de la révolte », spécialement le fils.

A ces rapports officiels, Lan Inizan, « prêtre de Plounévez-Lochrist », le merveilleux conteur d'Emgann Kergidu, ajoute des détails à lui racontés par des combattants paysans : son grand-père Paul Inizan, M. Postec, recteur de Saint-Cadou, etc... Il a même pu embellir ces récits.

Pour lui c'est M. de Kerbalanec de Plouvorn (le père ? le fils ?) qui organisa la résistance paysanne. Il partagea « ses troupes » en trois bandes : Jean Kéranguéven, de Kérouzéré, commandait Cléder, Sibiril et Plougoulm ; Paul Inizan, de Lanzeon, commandait Plouescat, Plounévez, Lanhouarneau, la Paganie ; Pierre Prigent, maire de Plouzévédé, commandait ses administrés et leurs voisins. La bravoure et l'habileté manœuvrière du grand chef firent l'admiration de tous. A la fin, c'est lui qui donna l'ordre de rompre le combat, pour éviter l'encerclement et le massacre. Canclaux ne lui refusa ni le courage, ni la science militaire, ni la connaissance du pays.

Lan Inizan signale la vaillance de deux jeunes filles, de l'Arvor de Cléder. Elles transportaient deux blessés vers une maison lorsque survint une escouade de soldats. Ceux-ci voulurent achever les malheureux. Ils furent reçus par les deux héroïnes à coups de fourche et d'épieu. Et ils furent mis en fuite par une vingtaine de paysans accourus.

Reprenons les textes officiels.

Le lendemain de la bataille, Canclaux écrivit aux maires des communes insurgées : Cléder, Plougoulm, Sibiril, Roscoff, Plouescat, Plounévez, Plouzévédé, Tréflaouénan, Plouvorn... qui vinrent faire leur soumission. Ils durent livrer des otages aux commissaires civils, promettre de livrer les armes, payer cent mille francs et les frais de l'expédition. — A noter que, dès le 20 mars, trois citoyens notables de Plougoulm avaient été arrêtés comme suspects, en pleine salle de la municipalité à Saint-Pol : le maire René Olier, le procureur de la Commune, René Olivier, et Guillaume Glas, officier municipal.

Les otages furent mis en liberté le 12 avril, à condition de vivre paisibles et de dénoncer les séditieux. C'étaient, de Plougoulm : Henri Milin, Claude Roualec, Fr. Cousquer, Fr. Ollivier ; de Cléder : René Bastard, Paul Pennors, Fr. Guillou, Jérôme Riou ; signèrent après eux : Jacques Mével, Fr. Moal, Y. Quivijer, V. Floch ; — Hervé Péron, Henri Quivijer, Fr. Bian, Nicolas-François Stéphan.

Les deux Kerbalanec, déclarés « hors la loi », ne se privaient pas cependant de paraître à Cléder, toujours armés et libres.

Le juge de paix de Saint-Pol, Jos.-M. Guillaume, les accusait par écrit d'avoir pris part à l'émeute de Saint-Pol, à la bataille de Kerguidu, à des Assemblées électorales, — d'avoir empêché des paysans, par la force, d'accepter la Constitution, — et le père d'avoir tiré à balle sur le sieur Ollivier, ancien procureur fiscal de Kergournadec'h, — d'avoir « tué le lieutenant-colonel du Calvados », — d'avoir « dit qu'il ne mourerait content que lorsqu'il aurait tué cent patriotes ». — enfin les « deux scélérats » d'avoir commis « des faits très graves qu'on donnera quand ils seront arrêtés ».

L'affaire traîna jusqu'en novembre. Mais à cette époque, la Convention accentua les mesures anti-fédéralistes, anti-modérantistes, etc..., et la province s'en ressentit comme la capitale et comme l'Assemblée elle-même.

L'affaire Kerbalanec va rebondir !

(René Cardaliaguet).

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