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L'ÉGLISE DE CLÉDER EN RUINES ET DÉLABRÉE SOUS LA RÉVOLUTION. |
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Pendant près d'un demi-siècle, l'église fut un des plus grands soucis de la paroisse. Une délibération du Conseil municipal, du 20 avril 1803, résume les faits de façon fort congrue.
Il se réunit ce jour-là « en vertu de l'arrêté des Consuls... et de celui du préfet » pour décider de la location, acquisition ou réparation du bâtiment destiné au culte et du rétablissement ou réparation du presbytère, et pour aviser au « mode le plus convenable de lever les sommes nécessaires ».
Le Conseil constate que, depuis 1790, l'église est tout à fait en ruines et délabrée. Le 30 mars 1789, le Parlement de Rennes avait arrêté que tous les riches propriétaires de la commune, y domiciliés ou non, verseraient une somme très forte pour aider à la reconstruction autorisée. Mais le marché (65.000 fr.) ne put être exécuté, « attendu le changement survenu à cette époque dans notre gouvernement ». Or, les murs s'élevaient à 6 ou 7 pieds hors de terre, et les pierres de taille et autres gisaient à côté en quantité suffisante pour achever l'ouvrage.
Cependant, dès le 3 juin 1796, les Administrateurs du canton avaient observé que « des pierres de taille destinées à la future église, et d'autres provenant de l'ancienne tombée en ruines, sont journellement enlevées par les habitants », et ils avaient mis le tout sous la surveillance de Louis Henry et de Charles Le Goff, du bourg, les plus proches voisins de la « carrière » improvisée.
Quant à l'adjudicataire Nédélec, il n'avait pas encore rendu ses comptes.
Et le 6 novembre 1802, comme « des pierres épargnées pour la reconstruction de l'église et d'autres objets lui appartenant sont enlevés par les particuliers », un arrêté municipal ordonne la restitution, et prescrit des poursuites contre les « dilapidateurs ».
Malgré tout, le total des larcins ne fut pas imposant ; en 1803, les pierres ne manquaient pas. Mais les autres matériaux, mais le salaire des ouvriers, comment les payer ? Il faudrait au moins 40.000 francs — que la commune, sans ressources, ne pouvait pas fournir. Le conseil suggère donc qu'une quote-part des contributions (20.000 fr.) serve à la construction, et que le préfet ou bien accorde une certaine remise d'impôts pendant quelques années, ou bien permette que les riches propriétaires cotisent selon leur revenu, « attendu qu'ils y ont consenti dans le tems ».
Qu'il soit permis d'opiner, cependant, que peut-être tous ne consentirent pas avec la même bonne grâce ! Ainsi Mme Grislet de Kersauson, domiciliée à Leslaou, adressa, en 1791, au général de Kergariou (futur guillotiné), président de l'Assemblée départementale, une lettre protestant contre la démolition projetée.
« Je suis une philosophe, disait-elle, amie de la Nation, pas dévote, pas amie des prêtres. Mais j'estime que c'est un meurtre que de vouloir abattre de pareille édifice bâtie à chaut et à sable ; c'est un antettement dun unbescile devaique et dun escervelé de recteur qu'y avait antreprit de faire une catredralle ».
Comme on voit, la protestataire manquait à la fois de religion, d'orthographe et de bon sens : ce qui est beaucoup pour une philosophe...
Reprenons le texte du Conseil de 1803, si clément, et considérons avec lui qu'à cette époque Cléder comptait 3.610 âmes, dont 713 hommes mariés ou veufs, 729 femmes mariées ou veuves, 1.131 garçons et 994 filles de tout âge, 13 « défenseurs de la Patrie ». La plupart, « peu aisés », avaient « d'ailleurs beaucoup souffert des malheurs du tems ». De plus, les oratoires de la paroisse ont été démolis par les acquéreurs ; un hangar sert d'église ; la flèche de l'ancienne est conservée, parce qu'elle passe « pour un des plus beaux monuments des communes rurales ».
Aussi, le 4 février 1805, il fut décidé que l'excédent en caisse serait affecté partie à la reconstruction d'un appentis au presbytère (240 fr.), partie aux réparations de la flèche (126 fr. 73). Christophe André, du Cosquer, fut déclaré adjudicataire des travaux de la flèche pour 234 francs, le 28 février.
Le 12 mai 1805, Jean Riou du Grand-Kersaint et Claude Le Milon de Luquent versent à la mairie l'un 100 livres tournois, l'autre 74 livres appartenant à l'église et dont ils étaient détenteurs. Ils imitaient là un exemple du 21 octobre 1802 : Jean Stéphan, gendre des feus Louis Edern et Jeanne Rozec, apportant alors un don de 105 livres tournois en espèces, pour l'église et spécialement pour les tréteaux, « en privé et pour ses beaux-frères et belles-sœurs ».
Le 2 juin 1805, l'adjudication du crépissage de la flèche est effectuée. Il est précisé que l'entrepreneur descendra et reposera le coq et la croix à ses frais, mais que leur réparation ou leur remplacement se fera au compte de la commune. Marc Beltour, de Saint-Pol, resta seul au troisième feu, moyennant 144 livres, — Le Rest de Saint-Pol « faisant valoir » à 300 francs sur Mathurin Balanant, de Saint-Pol (200 francs), au premier feu. Marc Beltour offrit 144 livres, et Jean Thomas de Roscoff, 150 francs au second feu.
Le 14 juillet 1805, le Conseil municipal entérinant un arrêté de M. Duquesne, sous-préfet de Morlaix, décida que dans les huit cabarets de la commune il serait désormais perçu un octroi de 6 francs par barrique de vin, et de 12 francs par barrique d'eau-de-vie de 120 pots, le produit annuel devant être affecté à la reconstruction de l'église : ce genre de contribution était une trouvaille !
En janvier 1806, la population de Cléder était de 3.568 âmes, dont 1.113 garçons, 1.015 filles, 622 hommes mariés, 627 femmes mariées, 88 veufs, 103 veuves et 39 militaires. Mais la misère continuait...
Aussi le 11 juillet 1806, le Conseil, après avoir rendu hommage à la foi séculaire de Cléder, concluait comme suit :
« Ce peuple est dans l'impossibilité de parvenir, moyennant une contribution volontaire, à la continuation de la construction de son église.
L'octroi sur la boisson, dont le produit doit être très modique, attendu le petit nombre d'auberges et la baisse des denrées, seul commerce dans le païs, serait d'un secours très lent pour achever la dite construction ;
la contribuction mobiliaire, somptuaire et personnelle, non seulement dans cette commune, mais dans les autres en général, ne se porte qu'à peine au quart de ce qu'elle se portait en 1790 et aux années antérieures ;
aucun propriétaire ne se refuserait ou ne devrait se refuser à payer par an 10 ou 15 centimes additionnels sur la contribution foncière pour aider à procurer à son (?) un local décent et propre pour y rendre hommage à la divinité et y exercer le culte de ses père... ».
En conséquence le conseil demande au Préfet d'obtenir de Sa Majesté l'Empereur et Roi :
1° 15 centimes additionnels sur l'impôt foncier ;
2° une moitié d'augmentation sur la cote mobiliaire, somptuaire et personnelle ;
3° un impôt de 12 francs par hectolitre d'eau-de-vie et de 6 francs par hectolitre de vin vendus au détail ;
4° l'affectation de ces droits à la reconstruction de l'église.
Le 20 mars 1807 le Conseil, « considérant que cette commune n'a qu'un hangar pour exercer le culte et qu'elle n'a aucun espoir de voir achever son église dont les murailles étaient avancées en 1791, si le gouvernement dans sa bonté ne vient en notre secours par lui-même et en faisant contribuer les absens qui possèdent des biens-fonds dans la commune, aussi bien que les propriétaires habitans » et que les recettes ordinaires ne suffisent pas aux dépenses courantes, le Conseil institue un octroi sur les boissons vendues en gros et en détail, sur les objets apportés ou consignés, sur les bestiaux amenés à la foire de Brélevenez ou toute autre place publique, sur tous les comestibles, fruits, denrées, marchandises, à vendre en quelque lieu et local que ce soit, — et les sommes recueillies serviront à rebâtir l'église.
Le 10 mai 1810, le Conseil déclare qu'il ne peut fournir un devis estimatif des dépenses à engager pour la future église, puisque le plan a été déposé aux archives du département au début de la Révolution. Que le Préfet veuille bien le faire rechercher, et le Conseil fournira le devis. Elle garde pour cet effet l'encaisse municipale : 1.950 fr. 16.
Le 28 mai 1812 le Conseil municipal adopte les conclusions du Conseil de fabrique, en vue de l'interminable affaire de l'église. Ils demandent que le produit des octrois, établis à l'origine pour la seule destination religieuse, y reste affecté en entier.
Ils supplient le Préfet « d'aviser, dans sa sollicitude paternelle, à nous procurer les autres moyens les plus éclaires (sic)... de jouir paisiblement et sans craindre de perdre la vie, des jouissances chrétiennes que tout honnête homme peut se promettre en remplissant le premier de tous les devoirs, d'où découle et se fortifie dans son cœur son amour pour son Créateur, qui lui ordonne expressément par la voix des ministres de ses autels d'être soumis et respectueux envers le Chef auguste qui les gouverne... Nous ajoutons que l'amour de la Patrie est réuni dans tous les cœurs de nos concitoyens. Procurez-nous donc nous vous en supplions, et à la totalité de nos concitoyens, l'espace nécessaire pour se réunir dans un local décent et sain pour qu'ils puissent profiter ainsi que nous des instructions chrétiennes qu'on fait dans notre église et desquelles ne peuvent profiter que le quart de notre population, eu égard au peu d'espace dont elle est. Si la totalité pouvait s'y rassembler, ils joindraient conjointement avec nous leurs vœux ardents dans leurs prières pour la conservation de notre auguste empereur, ainsi que pour la prospérité du premier des Empires... ».
Enfin le 10 mai 1816, l'octroi ayant produit 3.008 fr. 67 nets, le Conseil les mit à la disposition du maire — toujours M. de Parcevaux — « pour la reconstruction de la maîtresse église, dont nous sommes dépourvus depuis 1790 ».
Mais l'évêque, peu satisfait de tant d'atermoiements, interdit la grange-église. Il fallut se décider incontinent, mettre la main à l'ouvrage... et la construction de l'église neuve fut terminée en 1830. Cléder avait dû souffrir cinquante ans dans l'attente de ce jour bienheureux, qui mettait fin à une des séquelles néfastes de la Révolution.
(René Cardaliaguet).
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