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La seigneurie particulière de Concarneau.

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La seigneurie particulière, dite de Concarneau, comprenait : les paroisses de Beuzec-Conc, avec Concarneau sa trève, Lanriec et Trégunc, c'est-à-dire les quatre communes formant le canton de Concarneau, en 1908, qui, comprenant 9.000 hectares, est le moindre de l'arrondissement de Quimper.

Mais le domaine propre du duc était très réduit. Il ne comprenait même pas tout l'îlot exigü qu'occupe la vieille ville : une partie appartenait à l'abbaye de Landevenec. De même une part du faubourg était à l'évêque de Cornouaille. Nous avons vu cela par ailleurs. Une déclaration du prieuré et un aveu de l'évêque, vers la fin du XVIIème siècle, nous renseignent sur ces deux fiefs [Note : Archives Loire-Inférieure. Chambre des Comptes. Papier terrier. Réformation du Domaine royal. B. 1238, n°21. Déclaration du prieuré, 6 septembre 1678, — et folio 454. Déclaration de l'évêque, du 29 septembre 1682. — En plus aveu reçu le 8 août 1684, 1er vol. des Sentences, f° 41].

Le prieuré comprenait, en 1678, « l'église de Saint-Guénolé avec son cimetière autour et autres issues ». Le prieuré avait eu autrefois : « la maison du prieur entre l'église et la porte du Passage, et une autre maison entre la chapelle Notre-Dame et le mur de ville » ; mais « ces deux applacements ont été employés aux fortifications ».

Les droits honorifiques et utiles consistent dans : « 1° patronage et prééminences à Saint-Guénolé, offrandes et oblations qui y sont faites » ; « 2° droit de passage en bateau, moyennant un péage de six deniers par personne, cheval ou beste de charge, entrant à Conquerneau ou en sortant » [Note : Il s'agit du passage de la Chambre, en sortant de la porte de l'Est vers Lanriec. Voilà le nom Conquerneau employé en 1678].

Il est observé que, « pour être quittes de payer ce devoir à chaque passage », les habitants des paroisses de Trégunc, Lanriec, Nevez, Nizon et partie de Melgven, ont de temps immémorial, consenti aux prédécesseurs du prieur « le droit de prendre, lever et percevoir une fois par chaque année, sur tous et chacun des habitants faisant feu et fumée [Note : Plus simplement par feu, par ménage. Certaines impositions étaient ainsi établies. Sur quoi arrêt du Parlement du 21 octobre 1578. Arch. Loire-Inf., B. 1238], savoir : à Trégunc et Lanriec, une gerbe de froment raisonnable et renable [Note : Renable, vieux mot qui veut dire raisonnable], et à Nevez, Nizon et partie de Melgven un minot d'avoine ».

Les passants de toutes autres paroisses paient la redevance originaire.

Le prieuré, restant chargé de l'entretien du bateau, afferme le droit de péage pour 81 livres tournois (environ 280 francs de notre monnaie, vers 1908), « payables chaque année à Noël ».

Le prieur déclare en outre « lui être dus lods et ventes, dîmes et neumes [Note : Lods et ventes. Droit de mutation perçu au cas de vente d'immeuble. Neume, droit perçu au cas de décès : il fut d'abord du neuvième des meubles du décédé (de là son nom), puis (1559) du neuvième du tiers : de là le nom de tierçage. La dime est bien connue] non seulement à Concq mais en quelques cantons voisins » ; mais il n'en jouit pas « les titres ayant été perdus dans les guerres civiles ».

D'autre part, l'évêque de Cornouaille, dans l'aveu mentionné plus haut de 1682 (Arch. Loire-Inf., B. 1238. Reg., f° 454), déclare avoir « la seigneurie de ligence, foi, hommage, chambellenage [Note : Chambellenage, chambellage. Originairement, droit du chambellan ayant présenté un vassal à l'hommage « de retenir l'épée, éperons et ceinture, pour le racquit desquelles choses, on prit l'usage de lui payer une pièce d'or ». Hévin, cité par Duparc-Poullain (Coutumes, II, p. 590). Le ch. 224 de la T. A. C. (1330-1340), fixa cette redevance à cinq sous, somme qui valait alors « dix livres de notre monnaie et plus », dit le Président de l'erchambault écrivant en 1720 (Coutume, p. 383). Disons au moins 28 fr. 25 de nos jours (en 1908). Eval. de Leber. Les 5 sols payés en 1789 valent 54 c. de nos jours (en 1908)], lods et ventes, rachapts [Note : Droit de mutation au cas d'héritage d'immeuble], obéissance à cour et juridiction, sur les habitants de la rue nommée l'Aire l'Evesque, l'un des faubourgs de la ville ».

Il réclame sur « chacune de maison de la rue dite l’Aire de cheffrente à la Saint-Mathieu quatre deniers monnaie » [Note : 4 deniers (un tiers de sou), en 1789, aujourd'hui (1908) environ 4 centimes], plus quelques mesures de froment dues par un habitant.

Enfin, il déclare le four à ban mentionné plus haut.

On le voit, le domaine ducal puis royal à Concarneau, ville et faubourg, était peu important : il comprenait seulement les fortifications avec un large chemin de ronde ; l'espace laissé libre entre elles contenant les 115 maisons ou jardins mentionnés ci-dessus, enfin au faubourg, 33 maisons et 10 parcelles de landes données en baillées.

Chacune de ces maisons et parcelles payait une rente peu élevée : la plupart de ces rentes sont anciennes et elles sont acquittées selon leur valeur nominale, c'est-à-dire pour presque rien, dès le XVIème siècle. Elles ne suffisent pas au paiement des officiers et à l'entretien des fortifications. Nous avons vu l'exemption de toutes impositions concédée par les ducs et que les Rois vont continuer. — Double raison pour que le revenu du domaine de Concarneau ne figure pas dans l'état des revenus du domaine de Bretagne en 1534 (Morice. Pr., III, 1011).

En 1431, le revenu de Fouesnant et Rosporden est évalué 700 livres ; en 1438, par faveur pour son fils Pierre, Jean V le porte seulement à 460 livres. En 1534, le revenu non des deux seigneuries seulement, mais de la châtellenie entière, y compris Conc, figure à l'état général des revenus, pour 450 livres (13.500 de notre monnaie, en 1908). Donc, en même temps que le revenu de Fouesnant et Rosporden est réduit, celui de Conc est compté pour rien.

En signalant par ailleurs, l'exemption générale et perpétuelle d'impôts concédée aux habitants de Conc (en 1451 et 1457), nous avons mentionné « le devoir de pêcherie et sécherie » ; et nous avons fait remarquer que le produit de cette imposition ne figure pas dans les revenus particuliers de la seigneurie, mais dans les recettes générales du duché. Puisque nous parlons de ces recettes générales, disons quelques mots des « pêcheries et sécheries, » et notamment de celles de Conc.

Les mots « devoir de pêcherie et sécherie » doivent être interprétés par ces mots : « droit, impôt payé pour obtenir la licence de pêcher en mer et de faire sécher sur le rivage le poisson et les filets ». Ce droit avait autrefois un sérieux intérêt.

« On oserait presque dire que pendant des siècles, la pêche dite côtière a été exercée en Bretagne plus activement qu'aujourd'hui ». Une industrie fort importante autrefois a presque disparu. Je veux parler de la sécherie du poisson [Note : Je prends la liberté de renvoyer à mon étude, Pêcheries et sécheries de Léon et de Cornouaille, où se trouvent des détails sur les pêcheries seigneuriales dont je ne puis parler ici (Quimper, 1891)].

Avant que l'Europe allât pêcher à Terre-Neuve découverte en 1496, les morues, les congres, surtout les merlus pris et séchés sur les côtes bretonnes, tenaient en France et ailleurs, notamment en Espagne, la place qu'occupe de nos jours, la morue de Terre-Neuve et d'Islande [Note : Quand (1299) Jean Le Roux acquit le comté de Léon, il trouva les pêcheries concédées « à titre perpétuel à sept marchands de Bayonne » ; et il continua cette ferme en élevant la rente de 105 livres à 150 soit x 113, de 11.947 fr. à 14 792. Acte du 4 mai 1279]. A cette époque, où le carême étendait sur toute l'Europe ses rigoureuses lois, les poissons secs de Bretagne étaient la viande de Carême ; et ils faisaient, semble-t-il, le fond de la nourriture dans les abbayes et couvents où l'abstinence était ordinaire.

Le droit de pêcherie et sécherie appartenait aux seigneurs dans leurs fiefs situés au bord de la mer ; mais le domaine ducal comprenait quelques parties du rivage breton.

Ainsi, les côtes de l'évêché de Cornouaille, de l'entrée de Quimperlé à l'embouchure de l'Odet, étaient du domaine ducal. La rivière d'Aven les coupait en deux parties inégales : la moindre, à l'Est, était de la châtellenie de Quimperlé ; l'autre, à l'Ouest, était de la châtellenie de Conc, Fouesnant et Rosporden. Le rivage de l'Aven à l'Odet mesure environ 70 kilomètres.

Au delà de l'Odet, les côtes de Cornouaille appartenaient à diverses seigneuries [Note : Il faut ajouter que la paroisse de Tréoultré-Penmarc'h (aujourd'hui commune de Penmarc'h) relevait du duc. Mais il semble que (par une concession dont nous n'avons pas l'acte) le droit de pêcherie y était exercé par le seigneur de Pont-l'Abbé, sauf sur un point où le duc avait une pêcherie. C'est pourquoi nous ne parlons pas de Penmarc'h]. En plusieurs d'entre elles, nous voyons l'imposition (singulièrement variable) payée par le pêcheur en titre, le maître du bateau, et une imposition moindre frappant chaque homme de l'équipage [Note : Mais, en plusieurs paroisses, la pêcherie et sècherie semblent libres. Le sire de Rosmadec réclame un, deux, trois merlus secs, ou un paquet de papillons (petites raies)]. Ces règles étaient-elles suivies sur le domaine ducal ? Quelle était pour le pêcheur et ses hommes la quotité des droits ?

Nous n'avons sur ce point aucun renseignement ; et, à cause même de leur variété, les tarifs seigneuriaux ne permettent aucune induction sur le tarif ducal. C'est fâcheux, car nous savons, à trois époques, le total des droits entrés dans le trésor ducal ; et, si nous savions le tarif, un calcul assez simple nous donnerait le nombre approximatif des bateaux et des pêcheurs de la châtellenie. Il n'est pas douteux que le plus grand nombre devait être attaché au port de Conc ; et ce renseignement aurait eu quelque intérêt pour le Concarneau d'aujourd'hui et pour ses pêcheurs. — Disons du moins ce que nous savons de façon certaine.

Nous avons vu que, en 1438, les pêcheries et sécheries de Cornouaille rapportaient un impôt de 1.250 livres (soit X 41-25) 51.562. Nous ne savons si, à cette époque, le droit était perçu directement par le receveur du duc [Note : C'est très probable. La ferme de l'impôt paraît une importation française en Bretagne].

Nous avons plus tard deux états des recettes de Bretagne. Ils nous révèlent que les droits sont désormais affermés ; que en 1501, le fermier paie 2.000 livres par année (soit X 30) 60.000 francs (Morice, Pr., III, 855) ; et que en 1534, il paie 1.845 livres seulement, soit 55.350 fr. (Morice, Pr., III, 1011 (v. 1014)).

Il va sans dire que le fermier sera, comme à l'ordinaire, largement rémunéré de son temps, de ses peines et soins. Toutefois la diminution, en 1534, de 4.750 fr., un treizième de la rente payée en 1501, nous révèle une diminution dans les recettes.

L'apogée de la pêcherie bretonne (si l'expression est permise) se place donc vers 1501 ; et, de cette date à 1534, la décadence a commencé. La cause de ruine est permanente, progressive et irrémédiable. Quelle est-elle ? — La pêche de la morue inaugurée à Terre-Neuve ! Les Bretons sont pour beaucoup dans la décadence des pêcheries bretonnes.

En effet, avant même que la France ait pris possession de l'île, en 1525, les pêcheurs de Bréhat, cessant de pêcher le congre et le merlus en vue de leurs demeures, vont pêcher la morue à Terre-Neuve et même en Islande. Ils y sont avant 1514 [Note : Ce fait est appris par la sentence dont nous allons parler entre Beauport et les habitants de Bréhat] ; d'autres bretons les suivent ; et, avant la fin du siècle, en 1578, un breton, Troïlus de Mescouez, marquis de la Roche Coetremoal, sera nommé par Henri III, vice-roi de Terre-Neuve.

La France est loin d'avoir aujourd'hui à Terre-Neuve cette prééminence.

Je mentionnais en commençant l'usage des merlus secs dans les couvents et abbayes. Cette fourniture était un don assez ordinaire des seigneurs riverains de la mer, et des ducs.

C'est ainsi que, en 1202, Alain de Penthièvre, comte de Guingamp, Tréguier et Goello, fondant l'abbaye de Beauport, donne aux moines le revenu de ses pêcheries voisines ; et, plus tard, ils obtiennent la dîme des congres, morues, merlus pêchés et séchés par les Bréhatins [Note : Nous n'avons pas la date de cet acte, mais il est antérieur à la découverte de Terre-Neuve. Les Bréhatins pêchant à Terre-Neuve, la dîme des poissons bretons diminua ; alors, l'abbé de Beauport, arguant de l'acte dont s'agit, réclama la dîme des morues prises par les Bréhatins à Terre-Neuve et en Islande. Sa requête fut rejetée et très justement. — Soc. Arch. des Côtes-du-Nord, t. II, p. XXXIII].

Le duc de Bretagne, lui-même, est débiteur à Beauport de onze cents « merlus secs, renables, bons et marchands sur ses pêcheries et sécheries de Conc ».

Le vicomte Alain de Rohan a fondé, en 1184, l'abbaye de Bon-Repos (Morice, Pr., I, 696). En 1381, le duc Jean IV obtient des moines Cisterciens de Bon-Repos « un grand service à son décès, pour son âme et celles de ses prédécesseurs avec commémoration et prières de chaque jour » ; en récompense, il donne aux moines « cinq cents de merlus secs à prendre sur les profits, droictures et revenus des sécheries de Cornouaille et de Kerluinec » [Note : Morice, Pr., II, 374-375. Il y a près de la pointe de Mousterlin, Kermahuec, serait-ce Kerluinec (ker, leunec, lieu (poisson) ?].

Ce n'est pas tout. En 1678, l'abbé de Langonnet, Claude de Marboeuf, et le couvent de Langonnet déclarent qu'il leur est dû « cinq cents merlus secs, renables, bons et marchands, au grand cent, à raison de six-vingts pour cent, payés [Note : Payés, c'est-à-dire remis, livrés : même sens que rendus] et rendus à l'abbaye, francs et quittes, sans aucun devoir ni paiement de deniers, à chaque jour fête de saint Jean-Baptiste, 24 juin » [Note : Arch. de la Loire-Inférieure. Papier terrier. Réformation, B. 1238, f° 3678. Déclaration du 24 septembre 1678. L'abbaye de Langonnet (commune de Langonnet, canton de Gourin, arrondissement de Pontivy), avait été fondée, en 1156, par le duc Conan III. La déclaration dit que cette rente est la « récompense de parties de terres et rentes, » cédées au duc par l'abbave. De 1649 à 1754, l'abbaye a eu trois Marboeuf pour abbés, Isaac, Claude, et René-Auguste nommé en 1725. L'acte explique que « la livraison du poisson en nature ou de sa juste valeur en espèces est à l'option du couvent ». Le grand cent porte le nombre de 500 à 600 merlus. L'abbaye reconstruite au XVIIIème siècle fut presque aussitôt saisie nationalement. En 1807, un haras y fut établi, et la chapelle devint l'écurie des étalons. En 1850, je l'ai vue en cet état. V. dans Ogée, v° Langonnet, I, p. 441, une description enthousiaste du haras « un des plus magnifiques de France ». Le haras a été supprimé et la profanation a cessé en 1858].

Au temps où nous reporte cet acte, le receveur du Roi faisait sans doute acheter ces 600 merlus de premier choix : encore une somme à ajouter aux dépenses de la seigneurie.

Mais on peut croire que les exemptions concédées « perpétuellement » par les ducs n'existaient plus. Les Rois ne leur reconnaissent pas ce caractère de « perpétuité, » puisque Henri III, en 1577, les confirma pour neuf années ; et nous n'avons pas d'actes confirmatifs postérieurs.

Il faut reconnaître que le privilège accordé aux habitants au milieu du XVème siècle, en récompense et en encouragement de leur zèle à la défense de la place, ne se justifiait plus deux siècles après. La garnison royale suffisait désormais à défendre Concarneau.

 

XXXX

Une remarque est à faire.

A Concarneau, ni dans les autres seigneuries du duc puis du Roi, il n'est question de ces droits et devoirs féodaux qui nous semblent singuliers, sinon souvent ridicules. M. de la Borderie n'a pas cru déroger à la dignité de l'histoire, quand il a mentionné et décrit plusieurs de ces droits dans sa grande histoire de Bretagne ; mais il en a connu bien d'autres qu'il a signalés ailleurs [Note : Droits et usages curieux de la féodalité eu Bretagne. Histoire..., t. III, p. 120- 129. — Conf. de Rennes, t. II, p. 81-86. — Mélanges d'histoire et d'archéologie bretonne. T. 1er, table, Droits féodaux, grenouillage. T. II, Droits féodaux, notamment chevauchée à Rennes, chansons, esteux, pelotes, etc.], ou qu'il n'a pas signalés : il a omis notamment les droits de ce genre exercés à Quimper et à Pont-l'Abbé.

Les grands-pères et les bisaïeuls des Concarnois nos contemporains ont été témoins, au XVIIIème siècle, de l'exercice de ces droits ; c'est à ce titre qu'il est peut-être permis d'en rappeler la mémoire à leurs descendants.

Ces droits ou devoirs ont souvent marqué le souvenir d'une concession accordée ou d'un service rendu ; et au Moyen-Age tout service, même considéré comme un honneur par celui qui le rendait, recevait sa rémunération. Ces droits publiquement exercés ont été originairement, ou sont devenus des réjouissances publiques, et on peut remarquer que tous s'exercent pendant la belle saison.

Parlons de Quimper d'abord.

Le seigneur de Coatfao a fourni, dit-on, beaucoup de bois pour la charpente de la cathédrale de Cornouaille [Note : Coatfao (le Bois du hêtre), haute justice en Pluguffan, canton de Quimper, unie à la haute justice de Pratanras, et possédée au milieu du XVIIIème siècle par Louise-Marguerite de la Marck, future duchesse d'Arenberg]. En récompense, il aura « le droit de sonnerie et de cueillette des oeufs, » qui sont corrélatifs.

Le droit de sonnerie s'exerce les jeudi, vendredi et samedi de la semaine sainte. Quatre vassaux de Coatfao viennent à Quimper. Munis de « cornes en terre, ils entrent à la cathédrale, s'asseoient un moment au choeur, puis font le tour de l’église en cornaillant comme des fous » [Note : J'emprunte ces expressions, et celles qui suivent, au receveur de l'évêque qui, seul peut-être à Quimper, se refusa à la cueillette des oeufs. En 1741, le sr. Amette, receveur de l'évêque, refusa le paiement du droit (en son nom personnel) et fit si bien, avec la maladroite assistance de son procureur au parlement, qu'il se trouva être le seul adversaire de haut et puissant seigneur Louis Engilbert, comte de la Marck, lieutenant général, grand d'Espagne, etc., etc., tuteur de sa fille. Le parlement renvoya l'affaire au juge royal de Concarneau ; mais elle fut arrangée entre l'évêque et le comte de la Marck. Sur cette affaire, voir Promenade à Pratanras et Coatfao, par J. Trévédy, 1882] ; après quoi, ils vont « corner dans les rues et faubourgs du fief épiscopal ». Tous les «« polissons » de la ville entière leur font cortège [Note : De ce qu'ils cornent dans l'église et pendant un office, puis le samedi, après que les cloches « sont revenues de Rome, » il faut conclure que la sonnerie n'est pas un appel remplaçant « du Jeudi saint la bruyante crécelle, » mais un droit spécial que le seigneur réclame comme honorifique].

Le mardi de Pâques, se fait la cueillette des oeufs, suite de la sonnerie. Les quatre paysans « cornards » reviennent « porteurs de paniers, de pinces et marteaux ». Ils vont de porte en porte, réclamant deux oeufs des maisons où il y a gens mariés, un oeuf seulement où il y a veuf ou veuve ; mais au lieu d'oeufs ils acceptent en paiement deux liards. Le même bruyant cortège les suit. On rit, on paie la redevance si minime. Malheur à celui qui ne paierait pas, les paysans enlèveront la serrure de sa porte !

Le seigneur de Guengat réclame comme un honneur d'être un des quatre porteurs des évêques de Cornouaille, à leur entrée solennelle (Guengat, canton de Douarnenez). Est-ce en prix de ce « service » d'honneur, qu'il a « le droit de percevoir un os moellier de chaque boucher de la ville et de faire courre une poule blanche aux bouchers, la veille de saint Pierre, » 28 juin ?

La perception de l'os moellier se fait sans cérémonie, à supposer qu'elle se fasse. Il en est autrement du vol de la poule. Le 28 juin, au matin, « un gentilhomme » vient présenter une poule au sénéchal de l'évêque, le priant de donner acte qu'elle est toute blanche. Le sénéchal donne acte et la poule portée au parvis de la cathédrale est donnée à courre aux bouchers.

La place est pleine de curieux dont les sympathies sont à la poule. Que celle-ci, prenant un haut vol, se réfugie sur quelque pierre en saillie de l'église, de quelles joyeuses acclamations sera-t-elle saluée !

Passons à Pont-l'Abbé.

Le droit de bienvenue consiste « à prendre de chaque nouveau venu pour demeurer dans la ville, noble ou roturier [Note : On a vu là un ressouvenir du droit d'aubaine], une poule, un pot de vin rouge et un sou de pain, lequel droit est laissé par le seigneur aux jeunes gens bourgeois de la ville, pour leurs divertissements du carnaval ; lesquels, le mardi gras, accompagnés du syndic, lèvent le dit droit ; et faute de paiement, les dits jeunes gens ont le droit, en présence du syndic, de faire ouvrir les portes par serrurier, et de prendre par leur sergent, nommé Pantalon [Note : C'est le nom du personnage bouffon de la comédie italienne], une pièce de meuble, et de la faire vendre aussitôt au bout de la cohue ».

Un droit analogue est réclamé en même temps, avec la même sanction et la même destination, aux nouveaux mariés de l'année, nobles et roturiers. Ce droit est dit de bazoche ou caquinerie [Note : Comment expliquer l'emploi de ces mots si éloignés de leur sens ordinaire : « communauté des clercs du palais » et « habitation de caquins, caqueux ou lépreux ? »].

Enfin, le seigneur de Pont-l'Abbé réclame et exerce un autre droit, dit de viande à garçon. Il est ainsi énoncé : « Les possesseurs des terres soumises au droit sont tenus de fournir à deux garçons, bons mangeurs et bons beuveurs, de la bonne chair salée, du bon pain blanc et du bon vin, tant qu'ils pourront manger et boire, sans se lever de table, le long du jour de soleil levant à soleil couchant ».

Ce devoir exceptionnel est dû par deux biens ecclésiastiques : deux cures. Le curé de Loctudy doit recevoir quatre fois dans l'année ces goinfres privilégiés !

Voilà une grosse farce dans le goût du vieux temps ! Rabelais a connu la danse bretonne du trihori, que nous ne connaissons plus, décrite par Ambroise Paré, célébrée par Noël du Fail [Note : Rabelais, Pantagruel, liv. V, chap. XXXII. — Ambroise Paré, Voyage en Bretagne (1543). — Noël du Fail, chap. XIX : « La danse du trihori est l'honneur depuis longtemps acquis à la Bretagne..., » etc.].

Que Rabelais eût connu le droit de « viande à garçon », comme il aurait ri et fait rire !

Ces droits féodaux, vraiment pantagruéliques, ne se trouvent qu'à Pont-l'Abbé. Depuis Rabelais, le goût a changé. Le droit de « viande à garçon » n'aura pas le don de plaire. Du moins n'enflammera-t-il pas des colères posthumes, comme cet autre droit, ridicule terreur des naïfs, quand, en temps d'élections législatives, retentit à leurs oreilles l'écho de cette phrase d'un député breton à l'Assemblée constituante :

« Qu'on nous apporte ces titres, qui obligent les hommes à battre les étangs pour empêcher les grenouilles de troubler le sommeil de leurs voluptueux seigneurs » [Note : L'historien Lacretelle avait mal lu ou mal retenu, ou, comme d'autres, n'avait pas lu le discours qu'il résume. Il écrit que Le Guen parla « d'étangs battus pour procurer à de voluptueux seigneurs le plaisir d'entendre la musique des grenouilles ». Hist. de l'Assemblée constituante, p. 137. Le grave historien n'avait sans doute jamais lancé une pierre dans une mare à grenouilles].

C'est l'affreux droit de grenouillage.

Or, voici le grenouillage de l'évêque de Saint-Brieuc, le seul existant en Bretagne et le mieux connu des cinq grenouillages authentiquement constatés dans la France entière [Note : Qu'il me soit permis de renvoyer à mon étude Le droit de grenouillage (Assoc. Bretonne, 1899). On a signalé en France 14 grenouillages. Cinq seulement résultent d'actes authentiques; et, sur les cinq, deux sont signalés seulement au XIIème siècle... Il en serait donc resté trois au plus au XVIIIème siècle].

Deux citoyens de Saint-Brieuc, de bonne bourgeoisie, peut-être nobles, possédent au centre de la ville deux maisons bordant un ruisseau, dit Lingoguet, à raison desquelles ils déclarent dans leurs aveux une rente de 12 sous, plus le devoir qui suit :

« Sont tenus chaque année (le 23 juin, la vigile de saint Jean-Baptiste), de quérir le seigneur évêque ou son receveur et le prier d'assister à la servitude qu'ils sont tenus de faire à cause des dites maisons, qui est qu'ayant une baguette de bois en main, ils frapperont sur le ruisseau par trois fois et diront : « Grenouilles, taissez-vous, laissez Monsieur dormir » ; et en défaut de ce faire, ils doivent 15 sols monnaie d'amende ».

Quelques observations : Le devoir se rend dans la journée, puisque le débiteur va chercher l'évêque pour assister à cette « servitude » ; or, le jour, les grenouilles ne chantent guère. — Si l'évêque avait la fantaisie de répondre à la convocation, c'est en sa présence, et lui bien éveillé qu'il serait dit : « Monsieur dort ». Enfin, le ruisseau de Lingoguet est infect ; il charrie les immondices de la ville, et jamais grenouille n'y a vécu ; il est couvert depuis la fin du XVIIème siècle. Tout cela est donc plaisanterie [Note : Ogée prend tout cela au sérieux, sinon au tragique. Il dit que le devoir se rend à l'heure des vêpres, le jour de la fête de la saint Jean-Baptiste, célébrée alors à l'égal du dimanche ; et il ajoute : « Suivant ce droit, il faut que l'évêque dorme pendant les vêpres ». Nous ajouterons: « Suivant ce droit, il faut aussi que l'évêque endormi vienne assister à l'injonction faite aux grenouilles » — V° Saint Brieuc, II, p. 710. — Ogée aurait mieux fait de nous dire (ce qu'il omet) que ce grenouillage est purement facultatif, comme on va voir].

Ce devoir est rachetable, moyennant l'amende de 15 sous, acquittée au XVIIIème siècle selon sa valeur nominale, environ 1 fr. 65 d'aujourd'hui (en 1908). Le choix du devoir ou de l'amende est aux propriétaires. Sont-ils d'humeur joviale ? Veulent-ils amuser le public ? Ils accompliront le devoir. Au cas contraire, ils paieront l'amende.

Un devoir facultatif n'est pas vexatoire, et qui peut s'en plaindre ?

Ce ne sont assurément pas les débiteurs du grenouillage, quand ils peuvent s'en libérer en acquittant une amende de 15 sous ! Une rente de 12 sous, une amende de 15 sous par an pour la jouissance de la place de deux maisons, ce n'est pas cher !

Ce grenouillage nous paraît le prototype du droit. Ce fut une pure plaisanterie aux yeux des députés à l'Assemblée nationale, puisqu'ils ne l'ont pas compris dans la longue énumération des droits féodaux supprimés [Note : Le député à l'Assemblée nationale, auteur de la phrase citée plus haut, est Le Guen (de Kerangal, du nom de sa mère), marchand de vins et de toiles à Landivisiau. Jamais discours si décousu et si faible, n'eut un tel succès. Il semble que biographes et historiens se soient entendus pour le citer, sans l'avoir lu au Moniteur. On lit partout que Le Guen de Kerangal, dont plusieurs font un gentilhomme, fut le premier à proposer l'abolition des droits féodaux. Or, le vicomte de Noailles et le duc d'Aiguillon l'avaient proposée avant lui ; et Le Guen, à la fin de son discours, leur rendait hautement témoignage. — Dans un banquet à Rennes, le 11 août 1896, le Président de la République (M. Faure) disait : « N'est-ce pas un breton, Le Guen de Kerangal, qui, dans la nuit du 4 août, fit voter d'acclamation l'abandon des privilèges de la noblesse ? »].

(Julien Trévédy).

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