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LA CORRESPONDANCE DU DIRECTOIRE (NOVEMBRE 1792-JUILLET 1793)

DANS LES COTES-DU-NORD.

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Contribution à l'histoire du Fédéralisme en Bretagne.

A peine la République avait-elle été proclamée que, au sein même de la Convention, s'engagea la lutte qui devait se terminer quelques mois plus tard par la victoire des Montagnards sur les Girondins.

Cette lutte que l'on ne connait guère que par les événements de Paris : la Convention contrainte de délibérer sous la menace des canons d'Henriot, l'arrestation de vingt-neuf députés et de deux ministres, l'exécution de vingt-deux d'entre eux, le triomphe de Robespierre ; — et par les événements de Normandie, la prise d'armes de Wimpffen et de Puisaye, la défaite de Vernon, la fuite des députés vers Brest à travers mille difficultés [Note : P. Hémon. Le Deist de Botidoux a-t-il trahi les députés girondins proscrits ? Paris-St-Brieuc 1909], la mort lamentable de Barbaroux, le suicide de l'ancien ministre Rolland ; cette lutte eut un retentissement profond, non seulement en Normandie, mais aussi en Bretagne.

Le Fédéralisme [Note : Cf. Aulard, Histoire politique de la Révolution, pp. 443 et sq.], c'est-à-dire la conception politique qui consistait, non pas à démembrer la France en un grand nombre de petits états, mais à réduire Paris, suivant la forte expression d'un député girondin « à son 83e d'influence », et en même temps le mouvement qui en suivit, trouva tout au moins dans les diverses administrations bretonnes un milieu favorable à son développement.

Ce n'est pas qu'elles aient accepté les griefs personnels des députés de la Gironde [Note : Rappeler ce mot de Danton à l'issue de l'entrevue inutile de Sceaux : « Guadet, tu ne sais pas sacrifier tes inimitiés à ton pays ! tu es opiniâtre ! tu périras »] contre le peuple de Paris qui n'avait pas consenti à les élire, mais elles considéraient que rien ne justifiait la prééminence tyrannique des sections parisiennes, que la Convention n'était pas entourée de l'atmosphère de sereine liberté si essentielle à ses délibérations. Plus éloignées du centre des agitations, elles craignaient l'entraînement des foules et auraient voulu assurer l'indépendance de leurs députés. A défaut de raison, ce mysticisme latent et grave [Note : Cf. Renan sur le mysticisme breton, notamment les Souvenirs d'enfance et de jeunesse (La Prière sur l'Acropole)] qui leur fit accepter la République avec ferveur, les aurait éloignées des mouvements populaires, et leur aurait fait concevoir la dignité de législateur comme quelque chose de particulièrement sacré, puisqu'elle était l'émanation de la vie nationale.

Désormais l'influence des masses qui s'était fait sentir dans les questions économiques le cède tout-à-fait à l'influence politique de la bourgeoisie. Celle-ci, tout imbue des principes des philosophes, avait bien pu précéder par ses arrêtés [Note : Cf. Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 G 3. Délibérations du Directoire du Département] l'œuvre des législateurs, tant qu'il s'était agi de réprimer les menées des nobles et des prêtres réfractaires. Maintenant que la forme de gouvernement était déterminée, que le sort du roi allait être décidé, la première constitution républicaine devait être élaborée dans un calme que ne troublerait aucune passion.

Ces bourgeois, devenus administrateurs, instruits au culte de l'antiquité, formés en majeure partie par l'étude spéculative du droit, se plaisaient à considérer la nouvelle République comme une de ces démocraties anciennes, romaine ou athénienne, suivant leur goût, idéalisées par des Fénelon et par des Montesquieu. Et pourtant ils devaient savoir qu'Athènes et Rome avaient dû plier au souffle des folies populaires, et ne pas espérer si proche le triomphe de la « vertu » et de la liberté.

Ce n'est pas à dire qu'en Bretagne, il n'y eut pas de parti montagnard ! Les de Reusse (Arch. Nat. F. b 11. Côtes-du-Nord 1-2.3 et D IV 25) de Dinan, les Digaultray [Note : Jean-Baptiste-Emmanuel Digaultray du Quartier, avocat à Quintin, fut nommé en 1700 membre du Directoire du District de Saint-Brieuc. En 1791 l'Assemblée électorale l'envoya siéger à l'Assemblée Législative le 5ème sur 8. Revenu dans le département, Il fut chargé à diverses reprises de missions dans certaines communes des environs de Quintin, hostiles à la Révolution. En l'an VII nous le retrouvons membre du Conseil des Cinq-Cents. M. P. Hémon, auquel l'histoire do la Révolution en Bretagne doit de si utiles contributions, prépare une étude qui éclairera la curieuse figure de Digaultray] de Quintin avaient un certain nombre d'émules dans les sociétés Populaires. Leur parti parut même l'emporter à une époque déterminée, sinon dans les administrations, du moins par sa puissance occulte. Mais l'ensemble de la bourgeoisie souhaitait une ère de paix intérieure et de prospérité. L'œuvre n'était-elle pas assez lourde ? Faire passer la constitution dans la réalité, repousser l'Europe armée contre la France.

Tel était, du moins dans les Côtes-du-Nord, très brièvement exposé l'état d'esprit de la bourgeoisie. C'était également celui des députés que l'assemblée électorale avait envoyés à la Convention. Les deux premiers élus, Gabriel-Hyacinthe Couppé et Julien François Palasne de Champeaux, respectivement président du tribunal de Lannion et président du tribunal criminel du Département, étaient d'anciens Constituants, de modération certaine. Un seul devait voter la mort du roi, René Charles Loncle [Note : Avocat à Moncontour, nommé en 1790 administrateur du Département, puis second juge au tribunal de Loudéac, mourut peu après la mort du roi]. Aucun des députés à la Législative n'était réélu ! Etait-ce parce que l'on approuvait et qu'on aurait voulu voir se renouveler la décision des Constituants s'interdisant de siéger à l'assemblée nouvelle ? Ou plutôt ne poursuivait-on pas un but d'apaisement, en désignant, sinon des hommes complètement nouveaux, du moins des hommes qui n'avaient pris aucune part aux mesures de persécution, — sans attacher à ce mot une réprobation que les circonstances ne permettaient pas de porter.

Les membres de la Législative, dans le département, nous apparaissent en effet comme de plus ardents révolutionnaires que les Conventionnels. Il n'en est pas un, ni Guyomar [Note : Pierre Guyomar, négociant, élu maire de Guingamp quand Ansquer qui avait succédé à Lenormant de Kergré eût été élu membre du Directoire de District. Il fut élu le 4ème à la Convention], ni Goudelin [Note : Guillaume-Julien-Pierre Goudelin, administrateur du département, puis administrateur du District de Broons. Il fut élu à la Convention le 8ème sur 8] que l'on puisse comparer à Digaultray, ou même à Bagot [Note : Jean-Louis Bagot, médecin, maire de St-Brieuc, commissaire pour la formation du département avec Armez et Dubois de Bosjouan. Elu le 7ème sur 8 à l’Assemblée Législative] et à Morand [Note : Joseph-René Morand (de Paimpol). Cf. les notes de notre étude : L'organisation du travail du Premier Directoire]. La raison en est que les membres de la Législative nommés pour organiser la monarchie sous le régime de la constitution de 1791 s'étaient exaspérés au contact des difficultés [Note : Les autres Conventionnels étaient René-Claude Gaultier, commissaire national près le tribunal du District de Pontrieux ; Hortoré-Marie Fleury, homme de loi commandant la garde nationale de Quintin, suppléant à l'Assemblée Constituante ; et Claude-Joseph Girault, commissaire de la marine à Dinan. (Cf. Jules Guiffrey. Les Conventionnels. Soc. de l’Hist. de la Rév. 1889)].

Certes on lisait les journaux et les papiers publics dans le département, mais comme le caractère des agitations de Paris semblait différent de leur caractère réel ! Deux fois le cœur de la France avait battu à l'unisson de celui de Paris lors de la fuite du roi et au 10 août. Les massacres de septembre, par contre, répugnaient.

A la fin de 1792, le danger n'apparaissait pas dans toute son imminence. L'on était vainqueur aux frontières ; le grand soulèvement de la Vendée ne se faisait pas encore prévoir. Le département était cependant troublé, mais ce n'était encore que pilleries et massacres isolés, et l'on pouvait espérer qu'une rude besogne de police en aurait raison.

En un mot, par sympathie, par éducation, députés et administrateurs des Côtes-du-Nord se sentaient attirés vers les Girondins. Mais cette modération même les détourna de commettre la grave faute de prendre part aux mouvements de Normandie. Ils préférèrent — et ce sera pour eux un titre de gloire — envoyer en ce moment à Nantes ce bataillon des Côtes-du-Nord qui, le 29 juin 1793, devait tant contribuer à la défaite des Vendéens.

Fédéralistes, ils le furent, mais surtout de sentiment. Jamais ils n'oublièrent que par delà les questions de parti, il y avait la France et que rien ne pouvait légitimer chez des administrateurs une désapprobation formelle qui, à cette époque critique pouvait ressembler à une trahison. Dépositaires du pouvoir exécutif dans leur département, ils surent accomplir strictement et dignement leur devoir. Je n'ai pas scruté le fond de leurs consciences, ce serait d'ailleurs œuvre vaine, mais de quelque manière qu'on les juge, on devra rendre justice à des hommes qui avaient au plus haut degré l'amour de leur patrie et le respect de leurs fonctions.

Assurément ils hésitèrent parfois, mais pour qui le devoir n'a-t-il jamais été obscur ? Peut-être, après juillet 1793, encensèrent-ils avec excès la Montagne victorieuse ? n'en reste pas moins qu'ils demeurèrent, à travers toute cette époque troublée, les disciples des philosophes du XVIIIème siècle, les défenseurs « des principes de 1789 », de ces principes qui consistent essentiellement dans le respect et la soumission à la souveraineté nationale, alors même que momentanément elle s'abuse.

***

Au moment où se réunit la Convention, l'administration départementale était encore composée des membres du premier Directoire, que les décrets avaient réduits à quatre : Le Mée, Bouttier, Fercoq et Corvoisier [Note : Le tirage au sort des membres du Directoire et du conseil général, en vertu de la loi du 15 juin 1791, eut lieu le 9 septembre suivant. — Rupérou. Le Mée, Rivoallan Corvoisier furent désignés par le sort. Mais l'assemblée électorale avait élu, comme députés à l'assemblée législative trois membres du Directoire : Bouttier, Urvoi et Rivoallan. Un seul membre devait donc sortir. Le nouveau tirage eut lieu le 15 novembre en vertu de la loi du 2 octobre « … Le Directoire a arrêté de procéder par la voie du sort, afin de connaître celui des trois membres déjà sortis qui devoit, en éprouvant un nouveau sort n'en laisser que quatre anciens au Directoire. Les noms de MM. Le Mée, Rupérou et Corvoisier, roulés dans les billets, le premier qui seroit tiré a été déclaré devoir sortir du Directoire. Le nom de M. Rupérou est sorti. Il a fait ses remerciements à l'Assemblée qui lui a témoigné que son estime qu'il demandoit lui était acquise par les travaux constants auxquels il s'était livré avec autant de zèle que de succés ». (Arch. Dép. des Côtes du-Nard. L 7 J 4 ff 2, 3 et 105)]. L'un d'entre eux, Le Mée faisait fonctions de procureur général syndic, remplaçant l'abbé N. Armez, démissionnaire [Note : Cette démission est du 31 décembre 1791].

Depuis quelques mois déjà les événements leur avaient paru singulièrement graves, et à diverses reprises [Note : Notamment en septembre 1792], ils avaient appelé près d'eux les membres du Conseil Général. Un certain nombre avaient répondu à leur convocation, et étaient venus passer quelque temps auprès d'eux : c'étaient Corbel, Guesnier, Ribault, Le Roux, Guyommart, Raffray, Prigent, Harel.

On s'attendait à d'importantes décisions. Les députés avaient promis aux administrateurs de les tenir au courant [Note : Lettre du 25 septembre 1792 aux Députés du Département, en leur adressant l'adresse à la Convention que l'on trouvera plus loin. Arch. Dép. des Côtes-du-Nord : 1 L 6/2. f. 174] ; certaines villes mêmes avaient résolu de correspondre régulièrement avec celui des représentants qu'elles pouvaient considérer comme leur [Note : « Arrêté que les membres du bureau s'assembleront une fois par semaine pour donner au citoyen Guyomard, député à la Convention Nationale, des nouvelles de ce qui se passe dans notre municipalité, en témoignage de reconnaissance. — 10 octobre 1792 ». Arch. Municipales de Guingamp. Registre des délibérations du bureau de la Municipalité de Guingamp (16 décembre 1790 — 3 frimaire II)].

Aussi quand le 25 septembre 1792, un courrier extraordinaire annonça la proclamation de la République, cette nouvelle fut-elle accueillie avec enthousiasme [Note : Il ne faudrait pas croire que les administrateurs aient été républicains avant la proclamation de la République. Les documents suivants le prouvent : « Adresse à l'Assemblée Nationale — Le 9 août 1792 — du conseil général le Département. Avec quels sentiments de surprise, nous lisons dans les papiers publics l'étrange question qui vous occupe sur la déchéance du Roi. Nous n'avons point à examiner dans ce moment la marche qu'a tenue le pouvoir exécutif. Vous devez le surveiller, mais nous avons juré la Constitution. Elle a placé le roi comme le représentant héréditaire de la nation. Voilà le nœud indissoluble qui nous attache à la dynastie régnante. Nous reconnoissons le roi jusqu'a ce qu'il se soit mis dans les cas de déchéances positivement prévues par le chapitre 2 de la Constitution. Quelle doit donc être notre indignation quand nous voyons une section de Paris avoir l'insolence de venir devant un pouvoir constitué, méconnoitre positivement l'autre pouvoir qui se trouve établi sur les mêmes bases ! Quel cet donc l'empire de ces sections turbulentes ? Quel article de la Charte constitutionnelle leur a délégué l'autorité des Français ? Si les mêmes citoyens allaient au Roi lui demander votre destruction, pensent-ils que les départemens ne voleroient pas pour maintenir leur droit dans la personne de leurs représentons élus ? Qui leur a dit qu'un grand nombre de départemens fidèles à la Constitution ne resteroient pas fidéles à tous les pouvoirs qu'elle a établis ? Qui peut calculer les suites d’une lutte aussi funeste ? La division de l'armée, les horreurs de la guerre civile, la désorganisation de l'empire ne paroissant donc rien aux yeux de ces factieux, de ces agitateurs du peuple qui ne voient que l'enceinte de lettre assemblées, où les nuages de mille passions diverses obscurcissent tous les objets. Mais. MM., l'empressement avec lequel vous avez improuvé l’arrêté de la section de Mauconseil calme nos inqniètudes, Nous faisons de suite réimprimer et répandre cet acte important du Corps Législatif ! Votre patriotisme nous rassure. Quand les Français sont occupés à combattre les ennemis du dehors, vous ne donnerez pas un prétexte à la guerre injuste par laquelle les tyrans coalisés veulent attaquer notre indépendance. Vous n'armerez point les citoyens les uns contre les autres, les régimens contre les régimens. Vous resserrerez les ressorts du gouvernement intérieur : nous vous en conjurons au nom de l'empire qui est entre vos mains. Vous êtes, MM., les représentons de tous les départemens. La France entière vous soutient ! Qu'un groupe de factieux qui se prétendent (sic) mal à propos les organes du vœu d'une ville immense et célébre par son patriotisme ne vous en impose pas ! Qu'une foule de pétitionnaires n’abussent (sic) plus de votre indulgence pour absorber un temps précieux ! Que les tribunes sachent enfin vous respecter, et que tous les pouvoirs marchent de concert sur la seule ligne de le Constitution. Si l'on s'en écarte, dans cette grande circonstance, rien n'arrête plus et vous ne pouvez vous-mêmes, MM., prévoir jusqu'où l'on serait emporté ». En envoyant cette adresse aux Députés des Côtes-du-Nord, le Conseil Général ajoutait : « Nous vous remettons l'expression de nos sentimens et de nos vœux. Nous serions très flattés que quelqu'un d'entre vous fit entendre une fois la voix de notre département en donnant lecture à l'assemblée, afin qu'elle paraisse ensuite dans quelques papiers publics ». (Arch. Dep. des C.-d.-N. 1 L 6/2 ff 153-154). Le 14 août, dans la réponse aux lettres de Rivoallan des 4, 6 et 8 août, on ajoute : « Vous avez dû recevoir notre adresse du 9 août à l'Assemblée Nationale ; elle sembloit préparer les esprits à d'autres résultats. Mais l'assemblée en a jugé autrement et nous nous sommes empressés de répandre les sentiments de confiance que les citoyens doivent avoir dans les représentons. » (Ibid.). Enfin le 18 août, le Directoire envoie une nouvelle adresse à l'Assemblée Législative pour adhérer à l'arrêté du 10 août relatif à la suspension du Roi. On ignorait les trop justes motifs qui aigrissaient le peuple de Paris, Sans prononcer la déchéance absolue, l'Assemblée a suspendu « la lutte d’un pouvoir qui vouloit renverser la Constitution, sous le bouclier des prérogatives qu’elle lui avoit données. Vous avez ainsi, MM., tout concilié ». C'est donc avec satisfaction qu'on a enregistré la loi du 10 août, car ainsi cessera l'inertie fatale qui paralysait les meilleures lois. Plus que jamais l'ou se déclare attaché aux idées de liberté et d'égalité. « Les Français examineront dans une Convention Nationale si un pouvoir qui, loin de concourir à faire le bonheur d'une nation, lutteroit par des trames cruelles et ténébreuses contre sa souveraineté, ne devient pas un obstacle incompatible avec l'action bienfaisante des lois qu'elle établit pour le bien de la société ». Le Directoire va s'efforcer d'inspirer ces idées aux habitants des Côtes-du-Nord. (Arch. Dép. des Côtes-du-Nord. 1 L 6/2). D'après ces documents on se rend compte que si les administrateurs n'étaient pas encore républicains, du moins étaient-ils préparés à le devenir. — On notera également une fois de plus combien ils se montrèrent toujours soumis aux lois. A leur exemple de nombreuses municipalités s'empressèrent d'adhérer au décret du 10 août. Dès le 14 août, Guingamp avait adhéré à ce décret. (Reg. mun.) Cf. également dans les mémoires de la Société d'Emulation des Côtes-du-Nord, les diverses publications de M. D. Tempier et notamment : Correspondance des Députés des Côtes-du-Nord à l'Assemblée Législative. XXVI-210 et XXVII.21 ; — Correspondance des Députés des Côtes-du-Nord à la Convention Nationale. XXX. 110]. Le même jour, ils écrivaient au ministre de l'intérieur, Roland [Note : Le 18 août, le Directoire écrivait à Roland pour le féliciter de sa rentrée au Ministère. Il en profitait pour désavouer à nouveau son adresse du 9 et pour renouveler son adhésion au décret de suspension du roi], que l'on adhérait aux premiers décrets de la Convention, et à la Convention on envoyait l'adresse suivante :

« Un courrier extraordinaire nous rapporte l’extrait du procès-verbal de votre séance mémorable [Note : A la demande de Collot-d’Herbois et sur la proposition de Grégoire, appuyée par Quinette, Bazire et Ducos, « la Convention Nationale décrète que la Royauté est abolie en France »] du 21 de ce mois.

Agréez l'hommage que nous rendons à vos premiers travaux. Ils portent l'empreinte de l'énergie gui vous caractérise et qui élève tous les Français à la hauteur d'un peuple entièrement libre. Le corps législatif étoit entravé par des liens que se fidélité lui faisoit regarder comme sacrés. La nation vous en a débarrassés en vous investissant de tous ses pouvoirs. Le premier usage que vous en avez fait justifie sa confiance. La Royauté nous précipitoit dans l'abîme. Elle a dû s'évanouir devant le principe de l'Egalité. Vous proclamez donc dans sa plénitude la souveraineté de la nation. Elle est la base de tous nos principes politiques. Elle sera celle de vos lois.

Français Républicains, nous allons embrasser les vertus qui ont toujours distingué les nations qui n’étoient flétries ni par le despotisme, ni par toutes les vices qu’entrainoit la corruption des cours. Puisse une sainte fraternité embraser tous les cœurs de nos concitoyens. Toutes nos opérations tendront à leur inspirer ces sentimens et à faire connoitre partout les avantages du gouvernement dont vos lumières et votre courage vont faire jouir la France enfin régénérée » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L , 6/2. f. 174).

Cette adresse reflétait bien les sentiments de la majorité de ceux qui prenaient intérêt aux affaires publiques : c'est-à-dire de la bourgeoisie et du peuple des villes [Note : Registre municipal de St-Brieuc : le 14 octobre 1792. Proclamation de la République française. Extrait publié par Ch. Le Maout. Annales armoricaines. pp. 317-318]. Le peuple des campagnes, déjà las des nombreuses élections auxquelles on le conviait, froissé dans ses convictions religieuses, excité par les ennemis du régime nouveau, pour lequel les avantages économiques du début se trouvaient contrebalancés par le manque de numéraire, la dépréciation des assignats, la mévente des grains, la torpeur du commerce et de l'industrie, se désintéressait de la politique, avant de manifester une hostilité ouverte ou déguisée [Note : Cf. à ce sujet tous les registres de délibérations et de correspondance du Département et des Districts].

Aussi, dans cette question du Fédéralisme, passera-t-il tout-à-fait à l'arrière-plan pour céder toute la scène à la bourgeoisie.

Celle-ci, tout avide de « vertu » et de « sainte fraternité » qu'elle pût être, n'éprouvait pas moins cependant de sympathie pour tel parti plutôt que pour tel autre, pour tel personnage de préférence à tel autre. Aussi quand, au début d'octobre, après les premières escarmouches de la Montagne et de la Gironde, cette dernière demeura victorieuse et qu'il fut avéré que Roland restait au ministère, le Directoire du Département s'empressait de le féliciter, tout, comme au 18 août précédent, il l'avait félicité de l'y voir rentrer. « Continuez donc, Citoyen Ministre, écrivait-il le 9 octobre, de sacrifier vos talens et vos jours au bonheur de la République et vous êtes assuré de la reconnoissanee des Français. » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L 6/2)

Mais les dissentiments ne faisaient que s'aggraver à la Convention. Tenus au courant des événements par les députés des Côtes-du-Nord, (D. Tempier, op. cit.) les administrateurs acceptèrent d'enthousiasme le projet de former une garnie « départementaire » qui concourrait « avec les Parisiens à la garde de la Convention ».

Dès le 25 octobre ils s'en ouvraient à la Convention elle-même [Note : Il est indéniable que le Directoire des Côtes-du-Nord ait prévu les agitations qui allaient entourer la Convention. Dans une circulaire du 14 août 1792 aux 82 départements, il propose la réunion de la nouvelle assemblée dans une ville du centre, projet cher aux futurs Girondins : « Quand l'ennemi est à nos portes, l'union devient pour nous un besoin plus pressant. Nos forces sont nécessaires pour repousser les tyrans coalisés. Maintenons le calme au dedans, et qu'une commotion violente ne se propage pas pour anéantir l'empire des lois…. Ne seroit-il pas à désirer que la Convention Nationale annoncée par la loi du 10 de ce mois, fût assemblée dans une ville centrale du Royaume, où nulle chaleur de partis étrangers ne pût altérer le calme de ses délibérations ». (Arch. Dép, des C-d.-N. 1 L 6/2, f. 156)], mais combien prudemment ! Rien, disaient-ils, n'est plus précieux à la République que la Convention qui organise son gouvernement. Certes, elle est au milieu de citoyens éclairés et patriotes, et les Parisiens ont vigoureusement concouru à renverser « le chef déloyal d'un pouvoir ennemi de la liberté » [Note : Allusion à la journée du 10 août]. Mais pour accomplir son œuvre, le calme lui est nécessaire, et l'on peut craindre qu'elle ne soit troublée par une minorité d'agitateurs, de factieux et d'oisifs mal intentionnés. « Il est donc important que vous soyez entourés, disaient-ils aux députés, d'une force armée capable d'en imposer à tous les ennemis du bien public.

D'ailleurs la caisse de l'extraordinaire, le trésor public, le garde-meuble appartiennent comme vous à toute la République. Leur conservation intéresse tous les citoyens. Notre vœu seroit de voir cette forte armée prise dans tous les Départemens.

En la renouvellant, vous n'aurez point à craindre l'esprit funeste des corps et les vices qu'entraîne le luxe inséparable des grandes cités. Tous les Français sont jaloux de concourir à vous préserver de toute agitation extérieure, ils désirent partager l'avantage d'être témoins de vos travaux immortels.

L'unité des principes et le bon esprit public seront ainsi propagés partout. La fraternité qui doit caractériser des Républicains se prononcera de plus en plus, et Paris jouira de l'avantage de présenter dans son sein le spectacle touchant d'une Fédération sans cesse renaissante » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L 6/2, f. 183).

Et le lendemain ils reprenaient les mêmes considérations dans une adresse « aux citoyens des 48 sections de Paris », qui fut communiquée au président de la Convention et aux représentants des Côtes-du-Nord.

« Vous avez vu de près les trahisons d'une cour perfide : vous les avez bien jugées : les représentans, les fédérés de tous les départemens ont, comme vous, été exposés au massacre de la St Lorent [Note : Le 10 août 1792. — Nous donnerons ici deux documents intéressant le Finistère, et où l'on retrouvera les idées des administrateurs des Côtes-du-Nord dont ils émanent. — Du 10 juillet 1792, à l'Assemblée Nationale, « Au milieu des secousses dont l'empire est menacé, nous avons les yeux fixés sur vous. Votre courage soutient notre confiance. Continuez de suivre le chemin de la liberté et de la Constitution et vous nous y trouverez toujours. Les ennemis du bien public mettent tout en œuvre pour embarrasser notre marche : méprisez leurs vaines déclamations, et surtout, Messieurs, ranimez l'action du pouvoir exécutif. Réveillez-le de sa léthargie funeste. Eclairez la conduite de ces ministres qui n'ont encore rien fait pour obtenir la confiance de la nation. L'un d'entre eux ne semble travailler que pour éloigner cette confiance précieuse qui seule devroit être l'objet de son ambition. Nous vous dénonçons la lettre du 30 juin du Ministre de l’Intérieur (Terrier) dont la copie est ci-jointe. Quand elle nous parvint, nos frères de Brest étoient on marche. Ils étoient autorisés par le conseil général du département du Finistère. Ils étoient annoncés par les administrateurs, vos collégues. Nous connoissions la pureté de leurs intentions et l'ardeur de leur patriotisme. Les citoyens de notre département les attendoient et leur préparoient un accueil fraternel. Quelle étoit donc la position dans laquelle cette lettre tendoit à nous jeter ? Devions-nous donc armer les citoyens contre les citoyens, lever l'étendard de la guerre civile entre des départemens voisins et amis ? Tel sembloit être cependant le but du ninistre, Mais votre sage décret du 2 juillet a su écarter ce piége dangereux. Le courrier extraordinaire nous le remit le matin même où nous venions de recevoir cette lettre que nous vous prions de soumettre à votre juste censure. Elle appelle votre improbation et la conduite ultérieur de ce Ministre ne peut inspirer aux bons citoyens les sentimens dont il avoit besoin de les animer pour remplir les importantes fonctions dont il est chargé. A-t-il paru pénétré de ce respect que donne le patriotisme pour l’assemblée auguste des représentans de la Nation ? N'a-t-il pas méconnu votre dignité en manquant à la franchise au milieu de vous, dans ses réponses tourtueuses relativement à la réimpression de cet arrêté illégal qui nous paroit l’ouvrage de courtisans adulateurs plutôt que celui d’administrateurs choisis par le peuple ? Les écénemens du 20 juin furent malheureux sans doute, mais l'observateur impartial qui ne les voit accompagnés d'aucunes cruautés, d'aucun de ces abus violents de la force armée n'y découvre que des mouvements indiscrets, que l'effet d'idées imprévues et de cette popularité franche qui ne sait pas assez calculer les égards dus à des postes éminces. Vous avez su tout apprécier, Messieurs, vous avez défendu de pareils rassemblemens qui, quoique formée avec des intentions pures, pourroient être égarés par les élans d'un enthousiasme irrefléchi. Vous faites tout pour assurer l'inviolabilité du représentant héréditaire et pour qu'il jouisse sans trouble des prérogatives puissantes que le constitution lui a accordées. Mais que fait-il de son côté pour seconder vos efforts et affermir cette Constitution ? Des ennemis intérieurs et extérieurs sont coalisés pour l’ébranler ; les prêtres furieux nous tourmentent en tout sens ; les tribunaux, ne trouvant que des complices au lieu de témoins, gémissent dans l’impuissance de nous mettre à l'abri de leurs manœuvres adroitement insidieuses, et constamment soutenues. Vous vouliez déporter une partie de ces fanatiques. Votre humanité exigeoit encore des mesures. tandis qu'une secte, par cela seul qu'elle fait profession de calomnier les loix, qu'elle n'a d'autre occupation connue que de révolter les esprits contre elles, devroit tout entière être bannie du sol de l'Empire qu'elle flétrit et qui la repousse. Vous avez déclaré la guerre à la ligue des traîtres et des ambitieux. Le Chef du pouvoir exécutif voit notre position. Il devient, comme ses premiers agens, responsable du salut de la France. La ruine de l’Etat retomberoit sur leurs têtes, à moins qu’ils ne profitent de l’ardeur d’un peuple libre pour écraser ses ennemis du dehors et qu’ils ne s’empressent de réprimer ceux qui déchirent au-dedans le sein de la patrie désolée, pour ne les vouer qu’au mépris, s’ils veulent passer les Alpes, ou les combattre en même tems, s’ils veulent passer le Rhin. Enfin. Messieurs, si le Roi nous oblige de ne prendre conseil que des circonstances critiques où il nous abandonne ; si sans attaquer ouvertement la Constitution, il la voit avec indifference minée dans ses fondements par les perfides qu’il mênage, vous proclamerez le danger de la patrie. Votre prudence et votre fermeté nous dicteront des loix. Vous dédaignerez les clameurs de ces prétendus sages qui auroient l’absurde et coupable foiblesse de laisser s’écroulr l’édifice sacré de la Constitution, plutôt que d’y porter une main protectrice et qui craindroient même de suppléer à ses dispositions douteuses et insuffisantes. Vous ne vous souviendrez qu'avec le dédain de la froideur de ce guerrier téméraire qui, par une indiscrétion sans exemple, abandonne le poste où rien encore n'a signalé sa présence et prétend manifester le vœu de l'armée qui seroit illégal, s'il étoit connu. Mais, en interprétant au gré de son ambition, les sentimens de ses compagnons d'armes, ne s’est-il pas exposé au risque de se voir démenti par un grand nombre d'entre eux et d'exciter ainsi la division au milieu de l'armée à laquelle il ne devait montrer que la route qui conduit à l'ennemi ? Nous nous croirons heureux. Messieurs, si l'expression de nos vœux peut vous convaincre de notre dévouement à la chose publique et vous persuader que la fermeté de vos résolutions sera toujours soutenue, par notre zéle et le patriotisme des citoyens qui nous honorent de leur confiance » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L 6/2, ff. 139-140-141).

Du 3 décembre 1792. « Aux citoyens du département du Finistère et à la commune de Brest ». « Nous avons été flattés de revoir aujourd'hui nos frères qui ont échappé au massacre de la Saint-Laurent : ils ont combattu pour renverser le tyran ils ont ainsi préparé l'établissement de la République ! Nous les avons invités à prendre séjour ici demain. Ils se sont rendus à nos vœux. Nous désirons leur témoigner notre reconnaissance et dans un dîner fraternel, resserrer de plus en plus les nœuds qui unissent tous les bons républicains. A ce titre vous ne serez pas oubliés et nous les prierons de vous reporter les témoignages de notre entier dévouement. Ainsi il est possible que les Fédérés de Brest arrivent un jour plus tard, à moins qu'ils ne prennent pas de séjour à Morlaix » (Arch. Dép. des C.-d-N. 1 L 6/3 f. 6) : ils ont combattu comme vous, pour briser un sceptre ennemi de la Liberté et imcompatible avec l’Egalité ; comme les vôtres, nos Bataillons, sur les frontières, brûlent de répandre leur sang, pour repousser les Tyrans coalisés ; comme vous, nous alimentons le trésor public par nos contributions : nous avons tous fondé la République ; nous la voulons tout entière, nous devons tous en partager les bienfaits.

Notre Convention Auguste est placée dans un foyer actif de lumière et de patriotisme, mais elle doit jouir du calme qu'exige l'importance de ses hautes délibérations.

Braves Parisiens, nous rendons justice au bon esprit qui vous anime : ce n'est pas vous sans doute qui provoquez dans les tribunes le rappel à l'ordre nécessité par des clameurs indécentes [Note : Allusion à la séance mouvementée du 25 septembre précédent qui avait mis Marat et Vergniaud aux prises. « … Vergniaud. ? S’il est un malheur pour un représentant du peuple, c'est, pour mon cœur celui d'être obligé de remplacer à cette tribune un homme chargé de décrets de prise-de-corps qu'il n'a pas purgés (Murmures). Marat. — Je m'en fais gloire ! Chabot. — Sont-ce les décrets du Châtelet dont on parle ? Tallien. — Sont-ce ceux dont il a été honoré pour avoir terrassé La Fayette ? (Applaudissements). Vergniaud. — C'est le malheur d'être obligé de remplacer un homme contre lequel il a été rendu un décret d'accusation, et qui a élevé sa tête audacieuse au-dessus des lois ; un homme enfin tout dégouttant de calomnie, de fiel et de sang. Je n'ai jamais calomnié personne, quoique j'aie accusé quelquefois. (De vifs murmures interrompent l’orateur). Ducos, — Si l'on a fait l'effort d'entendre Marat, je demande qu'on entende Vergniaud. Lacroix. — Je demande que le président rappelle à l'ordre les tribunes qui se permettent des murmures. Elles ont trop longtemps tyrannisé l'Assemblée. — Le président rappelle à l'ordre les membres et les spectateurs qui interrompent » … On sait que c'est à la fin de cette séance que furent proclamées l'unité et l'indivisibilité de la République] qui portez une agitation tumultueuse autour du sanctuaire des législateurs. Vous sentez trop l'avantage de voir éclore, dans votre cité célèbre, ces conceptions heureuses qui vont régler la marche d'un gouvernement républicain.

Mais votre caractère faible souffre au milieu de vous une poignée d'agitateurs oisifs qui ne respecte rien : leur audace abuse de votre crédulité : leur ambition séditieuse fomente la Révolution au milieu de vous.

Ce sont ces factieux qui dirigent la plume de cet écrivain forcené (Marat) qui n'a pas encore purgé le décret d'accusation porté contre lui, qui prêche l'anarchie jusque dans la Convention Nationale avec la même obstination que le scélérat Maury [Note : Le plus ardent défenseur de la monarchie absolue à la Constituante] mettoit à soutenir le despotisme, et qui, comme lui, par l'excès contraire, se couvre du mépris et de l'indignation de tous les Français.

Ce sont ces agitateurs qui dernièrement ont eu l'impudence de tenir un langage irrespectueux [Note : Une députation des 48 sections de Paris s'était en effet présentée à la barre de la Convention le 19 précédent. Guadet présidait. « … L'orateur de la députation. Mandataires du souverain, vous voyez devant vous les députés des sections de Paris. Ils viennent vous faire entendre des vérités éternelles, vous rappeler les principes que la nature et la raison ont gravés dans le cœur de tous les hommes libres. Point de mots, des choses. On vous a proposé de vous mettre au niveau des tyrans, en vous environnant d'une garde isolée... (Un violent murmure éclate dans l'assemblée). — Lindon. Je demande que le décret sur la force publique soit prononcé à l'instant. (On applaudit) — Lasource. Je demande que les commissaires soient entendus jusqu'à la fin, parce qu'il est important que toute la République sache ce que les sections de Paris viennent vous dire à la barre. — L'orateur de la députation. On vous a proposé de vous mettre au niveau des tyrans, en vous environnant d'une garde isolée et différente de celle qui compose essentiellement la force publique. Les sections de Paris, après avoir pesé la valeur des principes sur lesquels réside la souveraineté du peuple, vous déclarent par notre organe qu'elles trouvent ce projet odieux en soi, et d'une exécution dangereuse .... Mais, dit-on, Paris semble vouloir s'isoler. Calomnie insultante, prétexte vain. Paris a fait la révolution. Paris a donné la liberté au reste de la France. Paris saura la maintenir ! Législateurs ! Les hommes sont là qui vous contemplent et attendent votre décision. — Le Président. Citoyens, c'est ici que réside l'exercice de la souveraineté du peuple français c'est à la Convention Nationale que tous les droits de la République sont confiés ; elle saura les défendre ; elle recevra toujours avec plaisir les conseils des bons citoyens ; mais elle promet que d'ordres elle n'en recevra que du peuple francais. Elle vous invite à sa séance ». L'affichage avait été demandé, Gensonné s'y opposa et la Convention passa à l'ordre du jour. Déjà le 6 octobre une pétition sur le même objet avait été présentée par la section du Temple] devant notre auguste assemblée relativement à la garde dont tous les départemens, toute les sociétés patriotiques la pressent de s'entourer.

La Convention, tous les élémens de ses grands travaux, ceux du conseil exécutif, les écoles nationales, la caisse de l'extraordinaire, le trésor public, tous ces objets n'appartiennent-ils pas à la République entière ? Ne devons-nous pas tous concourir à conserver des dépôts aussi précieux ?

Citoyens, nos frères, comment pourriez-vous voir avec peine une garde imposante tirée de tous les points de la République qui vous offriroit le renouvellement continuel du spectacle que vous procura la Fédération ?

Avec quel intérêt ne verrions-nous pas cette époque mémorable retracée constamment à nos yeux ? L'esprit public acquerroit bientôt un caractère uniforme : la fraternité resserreroit de plus en plus les nœuds qui unissent tous les vrais républicains.

Nos armées victorieuses vont ramener la paix que les despotes vouloient nous enlever. La Liberté va donner aux arts un nouvel essor : votre ville offre à leur culture de grandes facilités et de grands moyens. Ils y entretiendront l'abondance, mais hm arts ont besoin du calme de la paix : ils languissent et sont anéantis par les déchiremens des factions. Ce calme heureux ne peut exister que sous l'empire unique des lois. Tout vous invite à repousser de votre sein ces désorganisateurs ennemis de l'ordre et de tout gouvernement.

Si ces aristocrates d'un nouveau genre, si ces agitateurs, nos ennemis communs, troublent un instant par leurs clameurs les discussions et l'émanation de nos loix, s'ils portent atteinte à la majorité du peuple, en élevant une voix peu respectueuse devant ses représentans, annoncez leur que les bons citoyens de toutes les parties de la France sauront alors se réunir sous vos murs pour vous en délivrer » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L. 6/2. ff. 184-185-186).

Malgré un certain nombre de flatteries, il faut avouer que si cette adresse devait avoir pour conséquence de faire accepter par les Parisiens le projet de garde départementale défendu par Lanjuinais, dans la séance du 5 octobre, projet dont ils étaient les ennemis, elle eût été bien maladroite et serait sans doute allée directement à l'encontre du but poursuivi. Mais tel n'était pas le désir des administrateurs ! Il s'agissait d'influer sur la Convention en se montrant pour elle aussi empressés, aussi pleins de respect que les Parisiens l’étaient peu. Il s'agissait par l'afflux des pétitions d'encourager les représentants à décréter cette garde de 24,000 hommes dont la masse contrebalancerait l'influence de la Montagne appuyée sur les sections de Paris, et qui pourrait jouer à l'occasion un rôle particulièrement actif.

Dès lors les efforts des administrateurs tendront à réaliser ce projet : doter la Convention, même malgré elle, de cette garde capable d'en imposer aux Marat, aux Henriot, aux Sancerre, et d'assurer aux Girondins une suprématie effective. C'était en même temps défendre les droits de la province menacés d'être méconnus au profit des ambitions de Paris.

Sur ces entrefaites, se tint, à Lamballe, l'assemblée des électeurs chargée de procéder, en vertu de la loi du 22 septembre, au renouvellement des membres de l'administration centrale. Leur choix se porta sur Le Mercier de Dinan, comme président, sur Le Dissez fils, 3ème suppléant à la Convention, Raffray, maire de Loudéac, Prigent, Gouëffic, Hello, Ozou et Rupérou. De l'ancien Directoire seul Mathieu Le Mée était maintenu. Bonaventure Le Saulnier, élu en même temps que les Conventionnels, à Dinan, restait au syndicat du Département [Note : L'assemblée de Dinan en septembre 1792 n'avait mission que de nommer des députes. Elle nomma néanmoins un procureur genéral syndic en remplacement d'Armez démissionnaire. Le 15 septembre le Directoire en référait à l'assemblée nationale : « Persuadés que ses pouvoirs ne s'étendaient pas jusque-là, devons-nous admettre le citoyen qu'elle a porté à cette place quelque opinion avantageuse que nous puissions en avoir ». L'élection aurait dû normalement être faite en mars 1753. La Convention tout en approuvant le Directaire permit à Le Saulnier de siéger. Il prit séance le 10 octobre 1792]. Ces choix étaient significatifs. Tous les administrateurs comptaient dans la fraction modérée du parti républicain. Sauf Prigent, Hello et Rupérou, ils appartenaient à la région de langue française du département et avaient été choisis en dehors des groupes d'agitateurs qui s'étaient formés à Saint-Brieuc, Dinan et Lamballe. De même en était-il des trois administrateurs qui représentaient la région de langue bretonne, plus favorable à la Révolution.

Anciens hommes de loi pour la plupart, ils conservaient leur pondération coutumière. La droiture de leur raisonnement avait pu les amener, comme par des degrés insensibles, à la République, mais elle les écartait en même temps de toute agitation « révolutionnaire », au sens fort du mot. Si nous les voyons cependant user de moyens d'exception, la cause en sera surtout aux circonstances ; et jamais ils ne se lasseront (nous nous en sommes déjà rendus compte) de demander une constitution définitive. Ce sont, en dépit peut-être des apparences, surtout des « amis de l'ordre ».

Le premier acte du Directoire, cinq jours après son installation (27 décembre 1792), fut un acte de loyalisme à l'égard de la Convention. La nouvelle administration la félicite d'avoir établi la République et « anéanti le dernier des rois ». Mais dans cette adresse même, elle reprend la thèse de l'ancien Directoire. Cette œuvre, si brillamment commencée, la Convention doit la poursuivre sans se laisser intimider par les factieux. Elle peut compter sur les départements pour l'aider à conserver pour elle-même cette liberté qu'elle a donnée au pays.

Deux jours après, en lui communiquant l'adresse du 27 à la Convention, les administrateurs, après avoir félicité le ministre de l'Intérieur, Roland, de son attachement à la chose publique, ajoutaient : « Continuez, Citoyen Ministre, à développer de l'énergie contre les factieux. Vous êtes le Ministre de la République entière.... Nous ne voulons ni roi, ni dictateur, ni commune prépondérante ; nous sommes fermement attachés à la République une et indivisible ».

Détail plus symptomatique, le même jour, on exprime les mêmes sentiments à Barbaroux et on le prie de bien vouloir faire valoir l'adresse du 27 auprès de la Convention, « La motion du substitut du procureur de la commune de Paris (Hébert) du 19 de ce mois, nous a pénétré d'indignation. En rappellant la journée mémorable du 10 août, il osoit en provoquer le renouvellement contre la Convention : nous en avons frémi. C'est à vous à appeler la vengeance des lois sur la tête de ces factieux » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L. 6/3).

Toute cette correspondance, dont la sincérité est évidente, lave, par avance, le Département de l'accusation de Fédéralisme [Note : Voir le compte-rendu de la séance du 25 septembre 1792]. Ce n'était donc pas le démembrement de la France qu'il poursuivait, et l'accusation injuste, que les Montagnards lançaient aux Girondins, ne l'atteignait pas. Mais après Buzot, Barbaroux et Vergniaud, avec les Conventionnels des Côtes-du-Nord, il estimait qu'il fallait s'opposer à la prépondérance de la turbulente commune de Paris.

Aussi, comme il était facile de le prévoir, le 1er janvier 1793, il avisait la Convention que « des patriotes des Côtes-du-Nord » partiraient incessamment à son secours.

La veille, le Conseil général du Département avait adressé aux municipalités pour être répandue à profusion la proclamation suivante : « Citoyens, nos représentans sont menacés : ils délibèrent sous la hache des factieux et le poignard des assassins. Des magistrats, au sein de la commune de Paris, appellent les horreurs d'une troisième révolution. Citoyens, les factions sanguinaires qui désolent la terre qu'habitent nos représentans ne permettent plus d'hésiter. Partez à l'exemple de vos frères du Finistère, qui volent à la défense de la Convention et de la liberté. S'il étoit réservé aux Bretons du 10 août de donner l'exemple d'un si beau dévouement, il appartient à leurs frères du département des Côtes-du-Nord d'être les premiers à les imiter. Comme eux, vous naquites au milieu des rochers, sous un ciel orageux ; comme eux, vous fûtes les hommes des 26 et 27 janvier 1789, jours à jamais mémorables pour des Bretons ; comme eux, vous signâtes le pacte de Pontivy, ce pacte qui prépara la chute entière de l'artistocratie. Joignez-vous à nos frères de la fière Marseille, etc.. » (Ch. Le Maout. Annales Armoricaines, p. 318).

Bien entendu, la Convention, à qui la délibération et l'adresse du 31 décembre avaient été communiquées n'en accusa pas même réception. Il est probable que leur influence fut nulle. Elles n'en étaient pas moins singulièrement maladroites, puisque, avec les meilleures intentions, elles tendaient à aggraver encore les malentendus et les dissensions. Les administrateurs s'en étonnèrent : la Gironde n'avait-elle pas encore la majorité ? les dangers étaient-ils plus pressants ? Le 12, ils en écrivirent aux députés des Côtes-du-Nord. Ils leur annonçaient en même temps le prochain départ des volontaires qui s'étaient réunis [Note : En réalité ces volontaires étaient ceux qui s'étaient enrôlés lorsque quelques mois auparavant la patrie avait été déclarée en danger] en conséquence de la proclamation du 31 décembre.

« Nous vous avons envoyé le 1er de ce mois des exemplaires d'une délibération relative à l'envoi d'une force armée à Paris. Nous eussions été bien charmés que le comité des pétitions en eût fait mention dans le procès-verbal. Notre lettre d'envoi au président le prioit de regarder ces dispositions comme un gage de notre patriotisme. Nous joignons ici, un nouvel exemplaire [Note : Idiotisme caractérisé par la suppression du pronom personnel en].

Les volontaires des compagnies nous fournissoient un grand nombre de patriotes sur lesquels nous comptons. Il y a quelque temps que les officiers de ces compagnies avoient demandé à passer au compte de la guerre. Le lieutenant-général Chevigné nous annonce qu'elles vont y passer. Mais ces compagnies ne remplissoient point un service d'une utilité pressante dans ce Département. Elles n'ont point été appelées par le général de l'armée du Nord, suivant le but de leur réquisition [Note : On remarquera que les administrateurs s'abstiennent de chanter victoire. En réalité les volontaires subissaient surtout l'influence du parti avancé des villes : sociétés populaires ou autres, plutôt favorables aux visées des Montagnards]. Elles seront à Paris aux ordres de la Convention qui pourra en disposer pour tous les lieux où elle jugera convenable. Rendues à Paris, elle pourront également passer au compte de la guerre. Et nous sommes persuadés que nous ne pouvons entraver ainsi la marche du gouvernement. Nous écrivons dans ce sens au Ministre de la Guerre... » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L. 6/3, f. 21).

En réalité les administrateurs étaient très indécis. Ces volontaires, enrôlés surtout pour combattre l'étranger, accepteraient-ils de remplir une mission pour laquelle ils s'en rendraient compte — ils ne pouvaient compter sur l'appui de l'Assemblée ? Une circonstance se produisit qui détruisit leur perplexité : les compagnies du 1er bataillon des Côtes-du-Nord, avant d'avoir quitté le département furent. incorporées à l'armée du Nord [Note : Le 14 février, ils écrivaient aux députés des Côtes-du-Nord, en leur faisant passer une adresse aux habitants du département, traduite en breton, pour réveiller leur courage au moment où se formait la 1ère coalition. « Nous n'avons rien de nouveau dans ce Département. Nous attendons toujours les commissaires de la Convention et les officiers militaires qui doivent faire armer nos côtes. Les seules forces que nous avons consistent dans les trois compagnies de grenadiers et chasseurs requis, passées actuellement au compte de la guerre, et dans un faible dépôt du ci-devant régiment de Walch. » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L. 6/3, f. 24)].

Les dangers de la guerre extérieure, bientôt ceux de la guerre de Vendée allaient d'ailleurs détourner les esprits des administrateurs des Côtes-du-Nord des querelles de la Convention. Et si, plus tard, il nous arrive de juger avec quelque sévérité l'attitude du Département, après les événements du commencement de juillet, il restera toujours à leur décharge, que, animés d'un patriotisme plus pur et d'une conception généreuse plus large que leurs collègues de Finistère ou de l'Ille-et-Vilaine, au moment où la France voit se lever contre elle l'Angleterre [Note : Dès le 8 janvier le Département félicitait Guével, juge de paix de Tréguier, de son patriotisme, « … Des motifs puissans, des renseignemens ultérieurs à prendre, certains soupçons qu'il faut réaliser, nous déterminent. Citoyen, à vous autoriser, et à vous charger même expressément de faire continuer avec tout le soin possible la garde du Bocq affleuré parmi les rochers entre l'île d'Erre et l'île Louaven... ». Qu'il empêche à toute force ce bâtiment de sortir de la station avant d'avoir reçu l'autorisation du Département. (Arch. Dép. des C.-d.-N.) 1 L. 6/3], la Hollande et l'Espagne coalisées avec l'Autriche, l'Allemagne, la Prusse, Naples et le Piémont, au moment où la Vendée lui « plante un poignard dans le dos », ils se montrèrent toujours zélés, et nous aurons l'occasion de le mettre en lumière, quelques-uns d'entre eux, héroïques.

Le 23 février 1793, ils indiquent aux commissaires de la Convention quels ont été leurs efforts pour préparer l'armement des côtes, bien qu'ils fussent démunis de tout secours [Note : Nous donnons le résumé de cette lettre. « On attend que les commissaires de la Convention fournissent les moyens de mettre les côtes à l'abri des attaques. On a préparé ces moyens de défense, et bien qu'on n'ait pas été secondé, on a fait de nombreux efforts dont jugeront les commissaires. Le 26 janvier, le conseil général a désigné trois de ses membres pour accompagner les officiers chargés de la défense, mais ces officiers ne sont pas arrivés et l'on ne sait quand ils viendront. Les forts de la Latte, des Sept-Iles, de Bréhat, toutes les côtes n'offrent aucun moyen de résister. Les canons ne sont pas montés sur affûts. Toutes les munitions sont éloignées. Cependant le département a redoublé sa correspondance avec le général Chevigné, mais on n'a rien repu qui puisse contribuer à calmer les inquiétudes, on a envoyé un membre de l'administration demander instamment à l'officier commandant l'artillerie à Saint-Malo des munitions et les ustensiles nécessaires pour monter les batteries. On a écrit aux communes de Guingamp, de Lannion et de Paimpol pour qu'elles préviennent le département du passage des Conventionnels (qui viennent de Brest) et de la date de leur départ. On a été fort étonné d'apprendre d'une manière indirecte que le Directoire du District de Pontrieux a reçu des Conventionnels une lettre par laquelle ils lui promettaient de lui annoncer leur arrivée à Saint-Brieuc, Comment le Département pourra-t-il exercer la surveillance de ce District, s'il n'a pas les connaissances qu'aura le District ? Comment d'autre part les Conventionnels pensent-ils être à Saint-Malo avant Saint-Brieuc, puisque Saint-Brieuc se trouve sur la route. — Quoiqu'il en soit on redoublera de zèle et d'efforts ». Cette lettre est fort symptomatique et montre bien de quel côté étaient tournées les inquiétudes du Département. (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1. L. 6/3). Ce n'est que le 20 mars que Saint-Brieuc recut les Conventionnels Defermon (d'Ille-et-Vilaine), Prieur (de la Côte-d’Or), Rochegude (du Tarn), commissaires « pour se rendre dans les départemens maritimes depuis Lorient jusqu'à Dunkerque » (Arch. Dép. des C.d.-N. L. 7-5. ff 184-185)].

Le 2 mars on fait passer aux députés des Côtes-du-Nord et au Comité de Surveillance Générale le procès-verbal de Rupérou [Note : Le nom de cet ancien sénéchal de Guingamp se trouve transformé en celui de Aupérou à la page 28 du recueil de MM. Sagnac et Caron : Les Comités des Droits Féodaux et de Législation. Paris 1907. Cette erreur s'explique car la lettre initiale de son nom, lorsqu'il signe, ressemble singulièrement à un A majuscule, sans barre transversale] sur les événements de la Guyomarais [Note : Je me bornerai à quelques indications tirées des registres de délibérations et de correspondance, pour faciliter les recherches que l'on pourrait faire et qui apporteraient un utile complément à l'ouvrage de G. Lenôtre. Le Marquis de la Rouairie et la conjuration bretonne — Paris, 1899. — 26 février 1793. Délibération qui nomme Rupérou commissaire du Département pour concourir avec les commissaires de la Convention à « déconcerter des complots contraires à la sûreté publique ». — 1er mars 1793. Envoi au Ministre et au Comité de Sûreté générale du procès-verbal de Rupérou et établissement d'un comité de surveillance composé de Rupérou, Le Mée et Raffray. — 2 mars. Même envoi aux députés des Côtes-du-Nord. — On annonce au Comité de Sûreté qu'on fait opérer des perquisitions dans divers châteaux du District de Lamballe. — 12 octobre 1793. Lettre au Comité de Sûreté générale pour demander une mention honorable pour Rupérou, — Lettre à Lalligan Morillon pour lui demander son témoignage]. Les offrandes patriotiques de souliers, de vêtements, de capotes abondent. Les rassemblements, les mouvements insurrectionnels prenant plus d'importance, au moment de la levée des 300.000 hommes [Note : Aux Commissaires de la Convention Nationale à Rennes (Billaud-Varenne et Sevestre), le 23 mars. « Nous apprenons avec plaisir votre arrivée à Rennes et nous attendrons avec impatience le moment do vous saluer en cette ville. Nous prenons part aux troubles qui affligent le département de l'Isle et Vilaine. Malgré le peu de force que nous ayons notre disposition, nous avons envoyé à Broons une compagnie de cent employés aux douanes que nous avions formée. Nous avons des détachemens dans les districts de Loudéac et de Rostrenen pour assurer l’excécution des décrets du 24 février relatifs au recrutement de l’armée et nous rassemblons ici des gardes nationales des campagnes pour étouffer les germes d'insurrection. Nous avons vu, le 20 de ce mois, vos trois collègues envoyés dans les départements maritimes. Ils ont approuvé toutes les mesures que nous avions prises. D'après les pouvoirs qu'ils nous ont donnés, nous avons mis en état d'arrestation provisoire six hommes des plus suspects de cette ville. Nous demandons des fusils au général Chevigné : il vous rendra compte de l'état militaire de notre département. Nous lui avons fait connoitre par notre lettre au citoyen Laval, commissaire supérieur du conseil exécutif pour le recrutement, que nous ignorions l'emploi que nous devions faire de suite des volontaires qu’enverroient les paroisses. Nous avons ici un dépôt du 92ème régiment auquel nous comptons provisoirement les attacher pour prévenir les désordres qui résulteroient d’un rassemblement nombreux dans lequel la bonne volonté ne seroit pas égale et qui seroient sans discipline et sans chef. Le directeur de l'artillerie et deux autres officiers passèrent hier ici. Ils partaient pour St Malo où ils sont appelés par les commissaires de la Convention. Il n'en fut pas moins affligeant pour nous de voir qu'ils n'eussent rien visité, rien ordonné sur les côtes du District de St Brieuc tandis qu'elles ne sont point armées et qu’à nos réclamations réitérées, on nous a toujours répondu que les officiers militaires devoient à leur passage s'en occuper efficacement. Vous sentez, citoyens Législateurs, que, malgré notre zèle, si les traîtres de Jersey connaissoient notre position, ils pourraient tirer avantage de notre crise intérieure et de notre dénuement. Nous vous envoyons notre arrêté du 16 mars relatif aux hommes suspects habitant les campagnes et un jugement du tribunal criminel, au pied duquel vous verrez l'arrêté que nous ont inspiré les circonstances. Nous vous instruirons de tout ce qui intéressera la sûreté de notre département. Nous vous prions de compter sur le zèle que nous mettrons à exécuter toutes les mesures que vous dicteront la chaleur de votre patriotisme et le salut de la nation » (Arch. Dép. des C -d.-N. 1 L. 6/3. ff. 41-42).], on redouble d'efforts. On demande au ministre une partie des troupes des Côtes-du-Nord qui ont été envoyées à Brest pour assurer l'exécution de la loi du 24 février. L'on concourt à réprimer l'insurrection de Pontivy dans le temps où l'on stigmatise la trahison de Dumouriez. Enfin l'on invite tous les administrateurs du département à se rendre à Saint-Brieuc le 17 avril, vu la gravité des circonstances.

Aussi les conventionnels Billaud-Varenne [Note : Au sujet de ce conventionnel cf. Alfred Bégis. Billaud-Varenne, membre du Comité de Salut Public] et Sevestre approuvent-ils sans restriction les efforts du département [Note : 14 avril 1793. — Arrivées des citoyens Billaud-Varenne et Sevestre, commissaires de la Conventions « A trois heures après midi l'administration du Département, instruite que les deux commissaires de la Convention pour le recrutement de l'armée étoient arrivés à Saint-Brieuc, a envoyé vers eux deux de ses membres et le procereur-général-syndic. Ils leur ont annoncé qu'ils alloient se rendre au Département. La garnison et la garde nationale se sont présentées rangées en bataille sur la place à leur passage. La compagnie des grenadiers, précédée de la musique, les a conduits au Département. Les membres du District et la Municipalité s'y sont trouvés réunis. Les citoyens Billaud-Varenne et Sevestre, entrés dans la salle des séances au milieu des applaudissemens et des cris de : Vive la République ! ont présenté le Décret de la Convention Nationale du 9 mars 1793 pour la nomination des commissaires dans les département et dans lequel les citoyens Billaud de Varennes (sic) et Sevestre sont désignés pour la 29ème division qui comprend les départemens de l'Isle-et-Vilaine et des Côtes-du-Nord. Le President leur a témoigné combien l'administration étoit flattée de voir dans son sein des représentans du peuple, capables de Lever toutes les difficultés qui pourroient encore entraver sa marche, pour terminer l'ouvrage essentiel du recrutement de l'armée, Il leur a annoncé que le contingent du département était presque entièrement levé, et que des mesures rigoureuses avoient réprimé dès le principe les troubles séditieux. Les commissaires ont approuvé la fermeté de l'administration. Ils sont ensuite entrés en conférences sur divers objets relatifs à l'armement des volontaires et aux forces dont les administrateurs leur ont fait connoître le besoin dans le département. On leur a surtout demandé des instructeurs canonniers, et des canons de campagne qui, de Saint-Brieuc, seroient dans le cas de se porter dans les lieux ou ils seront nécessaires. Jean Poulain, Hello, M. Le Mée, J. L. Ozou, Neuville, Billaud-Varenne, Sevestre, Raffray, J. P. Le Mercier, président, Gouëffic, T. Prigent, Le Saulnier, Rupérou. (Arch. Dép. des C.-d-N. L. 7-6. f, 12)]. Le 24 avril, on avise le ministre de la guerre que l'on a pris un arrêté en conséquence du projet du général Canclaux d'établir des « camps volants » pour la défense des côtes. On l'a vu à son passage, tandis qu'il se rendait à Rennes et l'on estime que l'on peut se reposer sur lui. « ... Nous sommes persuadés qu'il (l'arrêté) inspirera une confiance générale et nous vous prions de vouloir bien l'approuver et lui procurer la plus prompte exécution » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L. 6/3).

On redouble de vigilance à l'égard des prêtres réfractaires et des émigrés. De nombreux insermentés sont arrêtés, dont Lacour, ex-prieur de l'abbaye de Beauport [Note : Commune de Kérity, district de Pontrieux]. On défère au tribunal criminel [Note : L'organisation du tribunal criminel n'ayant pas toujours été bien mise on lumière, je crois devoir donner à ce sujet la délibération suivante en date du 21 décembre 1791 : « M. le Procureur général syndic a remontré que le tribunal criminel devoit entrer en activité au 1er janvier qu’aux termes du titre 2 de la loi du 29 septembre, il devoit, outre le Président, être composé de trois juges pris dans les tribunaux de Districts, et que, suivant la loi du 21 octobre, en forme d’instrution pour la procédure criminelle, le Directoire du Département doit désigner tous les trois mois les trois juges qui viennent siéger pendant ce temps au tribunal criminel, il a conclu à ce quele Directoire s’occupât sans délai de cette désignation. Délibérant sur cette remontrance. Le Directoire désigne pour remplir les fonctions de juges concurremment avec le Président du tribunal criminel, pendants trois premiers mois, MM. Loncle, juge au tribunal du district de Loudéac, Deniau, juge de celui de Dinan, et Pastol, juge de celui de Guingamp. Charge en conséquence le Procureur général syndic de leur écrire pour les inviter à se rendre à Saint-Brieuc, le 1er janvier prochain » (Arch. Dép des C.-d.-N. L 7. J. 4.f 149). A l’époque qui nous occupe le président est Le Roux de Cheff du Bois (Cf. P. Hémon. La Légende de Le Roux de Chef-Du-Bois. Ann. de Bretagne 1898-1899) ; les 3 juges, Digaultray, juge au tribunal de Saint-Brieuc, ancien, embre de l’Assemblée Législative, Le Dû de Rostrenen et Baudour, de Lannion] l'émigré Dupoirier, de Plouha. La tête de Vincent Jouannin fils d'un négociant de Saint-Brieuc, dont l'émigration était connue, bien qu’il se prétendait marin, tombe le 26 avril. « ... Il vient de subir son jugement... C’étoit un des plus ardents ennemis de la liberté qui vient d’éprouver le juste châtiment de ses crimes » [Note : Lettre du 27 avril au Comité de Sûrete Générale (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L. 6/3)].

Le 2 mai, en rendant compte des opérations que l'on a faites à Billaud-Varenne et à Sevestre, on exprime le vœu que la Convention permette de former au moins un bataillon dans les Côtes-du-Nord pour assurer la défense du département. D'autre part les troubles de la Vendée continuent à inquiéter les administrateurs. Le général La Bourdonnaye ne leur inspire aucune confiance : il ne s'est pas montré dans la Loire-Inférieure aussi zélé que Canclaux aux environs de Brest. Et l'on termine en annonçant que « deux émigrés revenus de Jersey ont été guillotinés ici ».

A nouveau, le mardi 6 mai, on convoque pour le jeudi soir les administrateurs qui n'ont pas répondu à la convocation d'avril. Des mesures importantes de défense intérieure et extérieure doivent être prises : le comité de Salut public en a écrit au département et il est essentiel que l'on puisse délibérer dès vendredi matin.

Les arrestations de réfractaires redoublent. Douze « patriotes » de Merdrignac, partis pour Ménéac (district de Josselin dans le Morbihan) pour saisir les prêtres Cochon et Elie, perdent trois des leurs. «... Il faut les venger et punir les scélérats ennemis de la liberté ».

Le département ordonne la formation d'un bataillon de 450 hommes. Le District de Dinan en enverra 62 avec une pièce de canon et des vivres. Celui de Broons, fournira 20 gardes nationaux et un commissaire qui se concertera avec le commissaire du District de Loudéac, et Guyommart, commissaire du Département. Le District de Loudéac requerra les grenadiers de Guingamp et de Lannion. On est au 8 mai. Pour le 9, la municipalité de Moncontour devra préparer le logement de 200 hommes de Saint-Brieuc et de Lamballe et les renforcer de 20 hommes. « Il faut que toutes les forces arrivent en même temps à Menéac, à la pointe du jour, le samedi 11 ».

Et cependant, le 4 mai, Marat a dénoncé le département. Indignés, dans une lettre du 11 adressée au Ministre de la Justice, les administrateurs s'élèvent contre « ce folliculaire effronté » [Note : Nous donnons en entier cette lettre intéressante, dont nous ferons peut-être usage dans une prochaine série d’études. « Au Ministre de la Justice. C’est à vous que nous sommes dénoncés dans la feuille du publiciste du 4 mai. Il faut que Marat dénonce : patroites, ou non, c’est sa manie. Sa cupidité lui a fait un besoin de remplir de plats libelles. Si un ami de Paris ne nous avoit pas envoyé sa misérable feuille, une aussi absurde dénonciation ne nous eût jamais été connue. Les journaux de Marat ne viennent point dans cette ville ni peut-être dans aucune autre du Département. De pareils écrits sont inutiles et même odieux aux bons citoyens qui veulent l’unité de la République et qui, par de coupables vœux, ne demandent jamais le pillage des magasins, la dictatures, ni l’avilissement de la Convention. Ils savent trop que ces despotes n’ont pas d’autres projets, et pour triompher de leur ligue ambitieuse, c’est à la convention qu’ils se rallient dans toutes les crises qui menacent la Liberté. Longtems avant la loi salutaire du 26 août 1792. Duport et Cahier de Gerville nous dénoncoient aussi au pouvoir exécutif, parce que nous retenions au château de Dinan les prêtres fanatiques qui nous étoient désignés pour agiter les campagnes par leurs perfides manœuvres. Quand nous avons travaillé pour éclairer les cultivateurs sur le compte de ces apôtres de l’avarice et du mensonge, quand, pour venger le sang d’un seul patriote, nous avons fait tomber cinquante révoltés sous les baionnettes de nos gardes nationales et dix têtes sous le glaive de la loi, quand nous avons aussi, dès le principe, détruit les germes des insurrections, fourni notre contingent à l’armée et préservé notre département des horreurs de la guerre civile ; quand l’activité de nos efforts, la constance de notre zéle nous a mérité l’approbation des commissaires de la Convention, Sevestre et Billaud-Varenne, nous ne nous attendions pas à nous voir inculpés pour avoir pris une mesure que ces mêmes commissaires ont souscrite sur nos registres et formellement approuvée. Quelques infirmités avoient fait profiter à plusieurs prêtres de la faveur de l'article 8 de la loi du 26 août. Plusieurs fanatiques non fonctionnaires publies avoient également été saisis. Ils etoient avec les sexagénaires dans une maison commune. Mais toute la surveillance des commissaires municipaux ne pouvait empêcher leur correspondance anticivique ni leurs coupables manœuvres. La Société Populaire nous les dénonçoit comme un ardent foyer de fanatisme. Les malheurs, que produisoint leur doctrine impie dans les départemens du Finistère, de la Vendée et de la Loire-Inférieure, irritoient les esprits. Il falloit nous en délivrer. Ils n’étoient point dans le cas de ceux qui devoient êtres transportés à la Guyane. Une seconde visite d’officiers de santé constate que leurs infirmités n’étoient pas de natures à les empêcher de supporter un trajet assez court. Nous leur permettons de frêter deux mauvais bateaux pêcheurs et nous envoyons aux îles anglaises ce présent digne de nos ennemis. Tout ce qui pouvait arriver, c’est qu’ils nous les renvoyassent au moins comme bouches inutiles. Cette mesures avait été concertée publiquement pendant plusieurs séances. Nous faisons visiter les malles. Nous les faisions accompagner jusqu’au bateau par un piquet de gardes nationales pour intercepter toute correspondance. Renfermés avec plus de soin, ils ne sortaient qu’au moment du départ. On exagéra à St-Malo la crainte de l'exportation d'effets prohibés. La corvette La Sentinelle saisit et ramena notre cargaison pestilentielle. Le district de St-Malo trouva environ trois millie livres de numéraire métallique. Cela formoit 100 livres pour chaque individu, puisqu’ils étoient trente. Il ne laissa pas cette embarcation suivre sa destination. Il se conformoit aux loix, mais indépendamment de quelques louis cachés, nous ne pension pas acheter trop cher l’avantage d’être délivré du fléau de ces fanatiques. La Convention donne 100 livres pour en arrêter un. Puissions-nous sacrifier autant de 100 livres qu’il en existe encore sur la terre de la Liberté et la voir entièrement purgée des monstres qui la désolent. N’est-il donc pas étonnant de voir un folliculaire (car dans les journaux de Marat personne ne peut respecter le représenter de la Nation), de voir ce folliculaire effronté, qui, toujours partisan de moyens révolutionnaires, en prêche souvent de contraires aux principes républicans, improuver et dénoncer aujourd’hui une mesure que provoquait la crise de la Révolution. Quel qu’en ait été le succès, nous espérons, citoyen Ministre, que, comme les commissaires de la Convention, vous approuverez la pureté des motifs qui nous avoient dicté cet arrêté dont nous vous envoyons une nouvelle expédition » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L. 6/3. ff. 54-55-56)], et demandent que justice leur soit rendue.

Mais une autre tâche s'impose. Une partie des troupes de Ménéac doivent revenir immédiatement. Les canonniers et les cavaliers se rendront à Dinan pour contribuer à former le contingent demandé à ce district comme à tous les autres. Les gendarmes, désignés pour partir, doivent se préparer sans délai. « Nous devons avoir une force de 500 hommes réunie à Saint-Brieuc, le 17 de ce mois, pour marcher au secours de nos frères de la Vendée » [Note : Lettre aux commissaires du Département et des. Districts de Broons et Loudéac, à Ménéac. On leur donnait en même temps diverses instructions pour faire payer à la commune de Ménéac les frais de l'expédition, et on leur enjoignait de faire en sorte que les troupes soient rentrées à Saint-Brieuc le samedi 18 ou le dimanche 19 mai].

Le 15, Le Dissez et Raffray, membres du Directoire, s'enrôlent pour la Vendée et les Deux-Sèvres « avec l'élite de la jeunesse du Département ». Le 21, on recommande au général Canclaux, le bataillon des Côtes-du-Nord qui va marcher sous ses ordres et qui compte quatre administrateurs du Département : Le Dissez, capitaine de la compagnie de Saint-Brieuc, Raffray, quartier-maître, Le Bihan et Guyommart. « Ils vous diront que la République se repose sur votre civisme et vos talens militaires du soin d'écraser ces vils ennemis de la Révolution. L'espérance publique ne sera pas trompée et nos collègues en revenant prendre place parmi nous, vous payeront de concert avec nous le tribut de reconnaissance qui vous sera si légitimement dû » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L. 6/3. f. 60).

Poulain-Corbion les accompagne jusqu'à Rennes où il a mission d'acheter différents effets d'équipement pour les cavaliers de Dinan et où ils sont accueillis avec enthousiasme [Note : Le 1er juin 1793 le Directoire remerciait le département d'Ille-et-Vilaine du bon accueil qu'il a réservé « aux citoyens Corbion, Le Dissez et Raffray »].

Aussi quelle joie d'annoncer à la Convention, le 25 mai, l'envoi pour la Vendée de 600 hommes, formant le deuxième bataillon des Côtes-du-Nord, sans y comprendre la compagnie franche déjà requise par le général Canclaux. « Ce bataillon qui a choisi pour le commander l'adjudant-major du 92ème régiment se compose de l'élite de la jeunesse et des meilleurs patriotes, armés et équipés ; quatre de nos collègues, plusieurs administrateurs et procureurs syndics de District en font partie. Il brûle de venger le sang de nos frères immolés par les fanatiques révoltés [Note : Je dois signaler ici la haute fantaisie du récit que Ch. Le Maout (Annales Armoricaines, p. 324) a fait de cet épisode. « Les fédérés partis de Brest, pour marcher au secours de la Convention nationale, s'adjoignent en passant à Saint-Brieuc, le bataillon des gardes nationaux des Côtes-du-Nord qui les suivent jusqu'à Rennes. Là, après délibération des chefs, le bataillon se porta au secours de la ville de Nantes, on il se signala d'une manière très remarquable pendant le mémorable siège de cette ville ». Le Maout ne s'est même pas rendu compte que le paragraphe qu'il avait écrit précédemment et que celui qu il allait écrire immédiatement, contredisaient formellement cette assertion sans preuve de la délibération que Gestin de Bourgogne et de Barthélemy (Etudes sur la Révolution en Bretagne, p. 61) semblent avoir reprise ; « Le représentant Palasne de Champeaux, la municipalité du chef-lieu et le directoire des Côtes-du-Nord, inclinaient eux aussi vers la Gironde : ils consultèrent les électeurs de Saint-Brieuc, qui furent d'avis de résister aux Jacobins. En conséquence, un bataillon fut armé et équipé pour se rendre à Caen ; mais les exaltés de Lamballe et de Saint-Brieuc entravèrent ce mouvement et le bataillon était à peine parvenu à Rennes, qu'effrayé de la tournure des événements, il changea de direction et se porta sur Nantes, pour de là passer dans la Vendée... ». Outre une extrême confusion de dates, on retrouve, dans ce second récit le mépris le plus élémentaire de la vérité historique. Jamais un bataillon ne fut armé pour se rendre à Caen. Nous verrons plus tard que la compagnie de 40 hommes qui fut équipée en juillet avait pour ordre de se rendre directement à Paris. Jamais il n'y eut de délibération à Rennes, ni de changement d'avis : il ne pouvait d'ailleurs y en avoir. Les lettres adressées, le 21 mai, au général Canclaux, aux déparments d'Ille-et-Vilaine et de la Loire-Inférieure le prouvent surabondamment. Rien n'indique, qu'après avoir combattu à Nantes, le deuxieme bataillon des Côtes-du-Nord passa en Vendée. MM. Geslin de Bourgogne et de Barthélemy semblent d'ailleurs le reconnaître eux-mêmes, quand après avoir résumé en cinq lignes (p. 63), et encore inexactes, la défense de Nantes, le 29 juin 1793, ils relatent avec une ironie, bien éloignée de l'impartialité de l'historien, les honneurs que le bataillon reçut à son retour à. Saint-Brieuc (p. 64)] : il arrivera à Nantes le 27 de ce mois ».

De toutes les communes, Plancoët s'est distinguée par son civisme. A peine compte-t-elle 300 hommes ; on lui demandait cinq volontaires, elle en a fourni 33.

Au même moment, le Département avait 400 hommes dans le Morbihan, sur les confins des Côtes-du-Nord. S'ils n'ont pu découvrir les assassins des trois patriotes de Merdrignac, du moins ont-ils démoli à Ménéac la maison « du privilégié Le Voyer » et ont-ils fait payer tous les frais de l'expédition à cette paroisse fanatisée.

Bien qu'il soit très dépourvu, le département reste calme. Si quelque danger le menaçait, il saurait qu'il peut compter sur le patriotisme de ses concitoyens. Sa seule inquiétude vient de ce qu'il manque d'armes et de munitions.

Pour terminer cette fière adresse, l'administration demande à la Convention une constitution républicaine qui s'élève au-dessus des passions, qui rallie les esprits. Il faut que l'assemblée sache éviter les préventions, ne pas tenir compte « de la malignité d'un libelliste » (Marat). — « Nous ne connoissons ni Montagne, ni Marais. Au centre de l'égalité, devroit-on jamais entendre parler de montagne, expression qui offre l'idée d'une élévation présomptueuse si contraire aux principes que nous avons tous adoptés ».

Les dangers que courait la Convention ont alarmé tous les départements prêts à se lever pour la défendre. Ceux qui excitent les passions de la foule sont des soudoyés de Pitt et de Cobourg qui n'aspirent qu'au renversement de la République. Qu'on respecte donc l'intégrité de la représentation nationale, qu'on ne demande pas l'éloignement de députés que ne peuvent ébranler des motions turbulentes, que les représentants ne reçoivent plus ces pétitionnaires. « Leur Marat existeroit-il au milieu de vous, si le respect pour cette intégrité ne l'eût pas emporté sur l'indignation générale qu'inspire ses écrits anarchiques et désorganisateurs ».

Le département conclut à la fraternité et à l'union. Les discordes apaisées, les Français sauront alors seconder la Convention « pour faire triompher la République une et indivisible des efforts des conspirateurs et des despotes coalisés ». (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L 6/3 ff. 60-61-62).

C'étaient là, en dépit de certaines allégations, très à la mode, que rien n'a jamais pu justifier, de fort sages conseils. Mais ils arrivaient trop tard, au moment où s'engageait la lutte décisive, et ils ne furent ni écoutés, ni même entendus.

Quoiqu'il en soit, lorsque les événements du 27 mai furent connus, l'administration n'hésita plus à prendre parti ; non pas contre la Convention qu'elle reconnaîtra toujours, mais contre les perturbateurs ou, si l'on préfère, contre la commune de Paris, en faveur des Girondins. C'est en ce sens que fut pris l'arrêté du 3 juin qui fut envoyé le 4 aux départements de la ci-devant province de Bretagne, en retour des délibérations des sections de Quimper et de Rennes précédemment communiquées au Directoire du Département.

« Nous sommes attachés, écrivaient les administrateurs, à la Convention nationale, à son indépendance et à son intégrité. Nous avons frémi, comme tous les bons citoyens de voir des factieux, des agitateurs entraver la marche de ses travaux et nous priver de la Constitution que nous attendons avec impatience. Nous n'avons point vu d'un œil d'indifférence les projets liberticides du 12 mars, la proscription de 22 représentants, la dernière séance du 27 mai.... Un mouvement salutaire doit se communiquer de proche en proche.

Les anarchistes et les désorganisateurs doivent être réduits au silence et trembler. La Convention respectée doit étouffer enfin toutes les passions particulières et nous présenter une constitution républicaine. Nos concitoyens de cette ville ont vu avec intérêt les délibérations des sections de Quimper et du conseil général de la commune de Rennes. Ils doivent s'assembler en sections et là nous exprimeront sans doute un vœu unamine conforme aux principes qui nous sont communs et qui consistent dans la soumission aux loix, le respect pour la sûreté des personnes et des propriétés et l'avancement (!) de la République une et indivisible » (Arch. Dép. des 1 L 6/3. f. 66).

Comme ils l'avaient annoncé, trois jours après, ils envoyaient aux départements d'Ille-et-Vilaine, du Finistère et du Morbihan, ainsi qu'au district de Brest, la délibération des sections de Saint-Brieuc, « tout indignée » de l'attentat commis contre la Convention. « Notre arrêté du 31 mai vous annoncera que nous sommes disposés à préparer l'organisation d'une force armée pour combattre les factieux et les désorganisateurs, si les troubles de la Vendée pouvoient être réprimés. Nous ne doutons pas des bonnes dispositions de la plus grande partie de notre bataillon qui est à Nantes. Nous vous prions de faire part au citoyen Rupérou [Note : Olivier Rupérou était désigné pour Rennes. — Ollivier, d'Epery et Boyer, les deux premiers tout au moins employés dans les bureaux du département, étaient envoyés respectivement à Quimper, à Brest et à Vannes], l'un de nos collègues et que nous envoyons près de vous, de concert avec l'assemblée de la commune qui l'a nommé, des mesures que votre prudence vous dictera et des connoissances particulières que vous pouvez avoir sur la position de la Convention » [Note : En post-scriptum, ils ajoutaient : « Nos députés nous annonçoient que le citoyen Rabby devoit nous instruire de cette position, nous faire part de leurs sentimens. Quelle a été notre surprise de voir qu'il ait laissé cette lettre au corps de garde et qu'il ne nous ait pas donné un quart d'heure de conférence. S'il ne se fût pas chargé de cette mission, nos députés nous eussent alors écrit autrement. La fraternité qui nous unit et l'intérêt commun l’engageoit à nous voir et cependant nous sommes bornés à la lettre qui nous l'annonçoit. » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L. 6/3 f. 69)].

Une communication analogue était faite aux districts du département, auprès desquels on accréditait le citoyen Ozou [Note : Jean Laurent Ozou des Verries, avocat à Caragat par Dinan, maire de St-Juvat. Elu en 1790 administrateur du Département, il est désigné en décembre 1792 comme membre du Directoire. — Bientôt arrêté sur les ordres de Carrier, en même temps que Rupérou et Le Saulnier, comme nous le verrons bientôt. Boursault le rappellera au Directoire en frimaire III].

La veille, l'administration avait refusé de prendre connaissance d'une adresse du département de Paris. « Nous sommes instruits, lui disait-elle, que la représentation nationale, ce dépôt sacré confié par tous les Français à la loyauté des citoyens de Paris vient d'être violée. Notre indignation est à son comble. Nous vous déclarons ne pouvoir, dans l'état, communiquer avec vous. Nous vous retournons en conséquence votre adresse » (Arch. Dép. des C.-du-N. 1 L. 6/3 f. 68).

Peut-être le département allait-il se laisser aller à prendre part au mouvement insurrectionnel que Buzot, Salles, Pétion, Gorsas, Barbaroux, Guadet, Louvet et autres, réfugiés à Caen, préparaient en Normandie. Une lettre du 8 juin à Le Dissez et Raffray, alors à Nantes, tendrait assez à le prouver. « Nous vous avons déjà fait connoître notre délibération du 3 juin. Les circonstances sont encore devenues plus impérieuses. Le 6, nous n'avons point, reçu de nouvelles. La lettre du député Champeaux nous a donné l'éveil [Note : Cf. D. Tempier. op. cit.]. Il annonçoit positivement que la Convention avoit été forcée de rentrer et de délibérer, lorsque le 2 juin les sections armées l'entouroient et lui demandoient l'arrestation d'une partie de ses membres. Le citoyen Rabby a été envoyé à Quimper par la députation du Finistère pour donner les mêmes nouvelles. Hier, 7 juin, réunis en assemblées de sections nous primes la délibération [Note : On la retrouvera : Geslin de Bourgogne et de Barthélemy, La Révolution, etc., p. 241] dont nous joignons ici deux exemplaires imprimés. Nous en avons envoyé à tous les départemens. Nous avons dépêché le citoyen Ollivier à Quimper, d'Epery à Brest, Boyer à Vannes, Rupérou à Rennes pour porter cette délibération et nous faire part des mesures que ces départements se préparoient à prendre. Nous attendons à les connoître et à voir l'ensemble des mouvemens dont le concert deviendrait nécessaire pour adresser nos arrêtés à votre bataillon et pour inviter le commandant de les y faire proclamer » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L 6/3 f. 70).

Le courrier de Rennes du même jour leur apporta, avec une lettre de Rupérou, l’énoncé de ces mesures : constitution d'un bureau de correspondance à Rennes, en rapport avec le comité central de Caen, rétention du produit des impositions et des domaines nationaux dont la vente se continuait, élection d'un certain nombre de députés extraordinaires, rassemblement de troupes pour marcher à Paris contre la Montagne. — Ce qui n'était pas dit, c'est que ces troupes, une fois réunies, devaient se rendre en Normandie pour y former une véritable Vendée girondine.

Les administrateurs trouvèrent ces décisions singulièrement excessives. Il n'en délibérèrent même pas. Ils répondirent à leur collègue, le 11 du même mois, que l'intérêt seul du département devait suffire à les empêcher de garder par devers eux le produit des impositions et des ventes nationales, puisqu'il recevait du trésor plus qu'il ne pouvait lui envoyer. Jusqu'ici on est resté et dans l'avenir on restera attaché à le Convention parce qu'un pouvoir central est essentiel au maintien de l'unité et de l'indivisibilité de la République contre les despotes étrangers. Aussi n'a t-on refusé d'enregistrer aucun des décrets, sauf celui qui met en arrestation vingt-deux représentants, car on le considère arraché par la violence.

On a déjà adopté les deux dernières dispositions, mentionnées dans la lettre de Rupérou, et deux commissaires, Besné et Chaplain, ont été nommés pour concourir, le jeudi 13 juin, à l'élection qui doit être faite à Guingamp [Note : Le choix de Guingamp pour tenir celle assemblée était excellent. Guingamp était assurément, au sens large des mots, la ville la plus et la mieux révolutionnaire du département. Elle n'avait ni minorité réactionnaire turbulente comme Tréguier ou même Lannion, ni minorité jacobine influente comme Saint-Brieuc, Lamballe ou Dinan], des députés extraordinaires des Côtes-du-Nord. On espère que toutes les communes un peu importantes du département y seront représentées.

L'administration, on le voit, tardait à s'engager à fond. La réponse de Raffray et de Le Dissez, à sa lettre du 8, l'incita encore à réfléchir. Ceux-ci, rendus à Nantes, avaient une conscience plus nette des dangers que courait la France. Ils désapprouvèrent hautement les intentions de leurs collègues qui, réalisées, n'auraient tendu à rien moins qu'à augmenter encore la masse des périls. Ils n'avaient pas voulu faire part au bataillon de ces intentions dans la crainte de le diviser, au moment où les Vendéens victorieux, avaient attaqué et pris Saumur, et, maîtres du passage de la Loire, menaçaient Nantes.

Ces derniers détails, ainsi que ceux de la prise de Machecoul, Le Dissez et Raffray les ignoraient encore au moment où ils écrivaient, mais le département les connut le 12 au soir par le courrier de Rennes. Aussi le lendemain, dans leur réponse, les administrateurs s'empressaient-ils de désavouer en partie la lettre du 8. Ils approuvaient la prudence de leurs collègues, Ils ajoutaient même — ce dont il est permis de douter — que c'était pour éviter des discussions qu'ils n'avaient fait part qu'à eux de leur arrêté, sans l'envoyer ni au commandant, ni au conseil d'administration. Ils terminaient en témoignant les mêmes inquiétudes que le comité central de Nantes, et en demandant des nouvelles qu'ils allaient attendre avec anxiété. « ... Nous prions toujours l'un de vous ou d'autres camarades de nous donner un mot des événements importants dans lesquels vous allez jouer un rôle » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L. 6/3 f. 71).

Désormais la guerre de Vendée va passer une seconde fois au premier plan de leurs préoccupations, et toute leur correspondance, pendant la fin de ce mois de juin, nous en fournira la preuve.

Le 15, ils rendent compte à Rupérou des résultats de l'élection de Guingamp. Il a bien été choisi comme député, mais comme Hello a obtenu le même nombre de voix et qu'il est plus âgé, c'est donc lui qui se trouve élu. Rupérou n'est que suppléant. « Nous vous avons continué notre confiance, et comme plusieurs administrations ont nommé des députés dans leur sein et que les départements voisins en ont jusqu'à dix, nous vous avons nommé pour concourir avec eux au but commun, c'est-à-dire à rétablir l'harmonie et l'intégrité de la représentation nationale en maintenant toujours l'unité et l'indivisibilité de la République ».

L'administration ne se contente d'ailleurs pas de bien poser ce principe sur lequel elle revient sans cesse, elle fait tous ses efforts pour que son arrêté précipité du 3 juin soit considéré comme non avenu. Le 20, elle déclarait au comité de Rennes que, malgré ses vœux et ses efforts [Note : Ce n'est guère qu'une clause de style], de nombreuses difficultés se rencontrent qui retardent l'envoi d'une force armée destinée à concourir avec les bons citoyens de Paris à réprimer les agitateurs. On a ouvert des registres pour recevoir l'inscription des volontaires, mais qu'il sont loin d'être remplis ! On comptait tout d'abord sur le bataillon des Fédérés, qui est à Nantes, parce que les premières nouvelles permettaient de supposer que les rebelles étaient réduits à l'extrémité et que le bataillon allait rester libre. Mais il en est aujourd'hui bien autrement. Les yeux sont plutôt tournés vers Nantes que vers Paris, et le département estime, avec la majorité de ces concitoyens, qu'a Nantes est en effet le plus grand danger. Il faut d'abord écraser « les rebelles qui arborent l'infâme drapeau blanc... ». Aussi a-t-on proposé au général Canclaux les deux compagnies franches qui restaient dans les Côtes-du-Nord, à Loudéac et à Bréhat. Lorsqu'elles seront parties, (ce qui sera incessant), la garde nationale les remplacera. Le 17, on a arrêté une réquisition permanente de 800 hommes pour protéger les côtes et tenir les garnisons. On songe à en prendre l'élite pour l'envoyer à Paris, mais encore faut-il que ces 800 hommes soient rassemblés.

Dans l'esprit des administrateurs, ils ne devaient l'être que très difficilement, si encore jamais ils pouvaient l'être.

Le même jour, dans une lettre à Rupérou, ils exprimaient leurs sentiments avec beaucoup plus de franchise. On voit qu'ils regrettent de s'être trop engagés et ils n'hésitent pas à reculer. Ils déclarent d'abord sans ambages qu'ils ne peuvent envoyer de contingent à Paris. La Vendée est en ce moment beaucoup plus intéressante et les autres départements feraient beaucoup mieux d'y diriger leurs troupes. Le procès-verbal de l'assemblée des électeurs se borne à énoncer les demandes que les députés extraordinaires sont chargés de porter à la Convention, mais il ne spécifie pas que ces députés devront être accompagnés de volontaires armés. Pourquoi ceux qui ont été désignés par les départements ne se réuniraient-ils pas et ne se rendraient-ils pas immédiatement à Paris pour exprimer à la Convention l'indignation générale qu'a causé l'attentat du 2 juin ?

Cette lettre se terminait par une critique à l'adresse du bureau de Rennes. « Nous n'avons jamais cru qu'un comité central dût prendre aucune délibération. Ce soroit un pouvoir rival de la Convention que nos concitoyens ne reconnoitroient pas ». Ils veulent, ils y insistent encore, l'unité et l'indivisibilité de la République. Si ce comité délibérait, il semblerait la violer. Il ne peut, il ne doit être qu'un bureau d'instruction et de correspondance.

Et bientôt l'on va rappeler Rupérou. Le 25, en lui communiquant une lettre que les sections de Saint-Brieuc adressent aux neuf députés extraordinaires du Département, on lui déclarera qu'on le voit, à regret, membre d'un comité qui prend des délibérations. On préférerait de beaucoup le voir à l'administration où sa présence est de plus en plus indispensable... « Si le Comité ne se borne donc pas à une simple correspondance, et si même dans ce cas, votre présence n'y est plus absolument nécessaire, nous vous prions de revenir auprès de nous ».

Informés sur ces entrefaites qu'il était chargé de mission auprès du Comité central de Caen, ses collègues revenaient à la charge le 27, dans une lettre qu'ils lui adressaient à Rennes ou à Caen. Ils lui rappelaient qu'ils ne l'avaient envoyé à Rennes que pour assister à la correspondance du bureau qui s'y était constitué et pour les instruire des événements. Là se bornait son rôle, et le comité n'a pas le pouvoir de l'envoyer en députation. Les communes elles-mêmes n'ont donné à leurs commissaires que la mission de porter leurs vœux à l'Assemblée nationale. Et l'on insiste à nouveau sur les événements de Vendée. « Notre bataillon nous inspire un intérêt particulier. C'est pour écarter les rebelles que nous avons proposé nos forces au général Canclaux ». Il a requis les grenadiers du 92ème, les deux compagnies de grenadiers et de chasseurs de Bréhat et de Loudéac. On ne peut donc fournir d'autres troupes. Et, pour en revenir à Rupérou, son rôle est de correspondre de Rennes avec le département. Qu'il revienne !

Il ne se hâta pas de se conformer aux injonctions qui lui étaient faites.

A ce moment d'ailleurs, les événements de Nantes allaient accaparer les esprits au point de ne laisser place à nulle autre préoccupation. Le 29, les Vendéens y avaient été repoussés. Cathelineau était tué [Note : Contrairement aux assertions de Geslin de Bourgogne et de Barthélélmy (op. cit. p. 64) ce n’est pas Cathelineau, mais Charette qui occupait le faubourg de Pont-Rousseau. Cathelineau accupait le côte opposé de la route de Vannes. On sait comment il fut tué sur la place Viarmes]. Le bataillon des fédérés s'était couvert de gloire, mais Raffray et Le Dissez étaient blessés et vingt-cinq volontaires étaient morts [Note : Le 2 juillet, La communs de Nantes félicitait, en ces termes. Le bataillon des Côtes-du-Nord : « Braves guerriers, encore une fois, les vils et féroces ennemis de la Patrie ont éprouvé tout ce que peut dans l’âme de républicains, le désir de la gloire joint à l'honneur, au patriotisme. Encore une fois, nos champs ont été jonchés des cadavres des dignes satellites de quelques scélérats, et la Patrie a été sauvée. Votre valeur à la journée mémorable on leurs nombreuses cohortes vinrent échouer devant nos murs, votre valeur à cette fameuse journée du 29 juin dernier, en passant dans les fastes de la liberté, voile assure l'immortalité, prix digne de votre courage. Mais il en est un autre peut-être sans égal, c'est un tribut de reconnoissauce présenté par des concitoyens que vous avez aidés à échapper au pillage, à la mort que leur préparoient de lâches et cruels ennemis. Oui ! qu'au milieu des horreurs d'une guerre malheureuse, nous abandonnant à la douceur de ce sentiment, nous prouvions de concert, à l'univers étonné, ce que peut l'énergie d'un peuple de frères, d'un peuple qui combat pour ses foyers, pour sa liberté ! » — Le 6 juillet, l'administration des Côtes-du-Nord, écrivait au bataillon des Fédérés : « Le 29 juin, vous vous êtes couverts de gloire. L'estime et la reconnaissance de tous les bons citoyens vous est assurée ; nous vous devons des remerciements particuliers pour l'honneur que vous faites rejaillir sur notre département ». Puis elle s'inquiétait des blessés, disait de ne pas ménager la dépense pour leur rétablissement, annonçait que le District de Loudéac avait fait arrêter 13 déserteurs. « Vous devez penser que nous allons leur témoigner toute l'indignation qu'appelle leur conduite. Ils doivent sentir le poids de la honte et des remords. Ils vont être mis en prison. Le repentir qu'ils témoignent nous porte à croire qu'ils sont disposés à laver leur ignominie dans le sang des rebelles, s'ils sont assez heureux pour en trouver l'occasion.... ». Elle demandait en terminant l'état nominatif des tués, des blessés et des déserteurs. Le même jour en remerciant Figuenel, secrétaire des représentants du peuple prés l'armée du Nord. à Arras, des nouvelles qu'il avait données du 1er bataillon, l'administration ajoutait : « Nous avons eu un moment d'inquiétude pour Nantes qui a été investi de toutes parts. Nous y avons un excellent bataillon composé de l'élite de nos jeunes gens. Il étoit disposé à s'ensevelir sous les ruines de la ville plutôt que de se rendre. Mais la journée du 29 juin a changé la face des choses et nous annonce de nouveaux avantages... ». De même elle écrivait à Le Dissez et Raffray : « Le sujet de votre gloire devient celui de nos inquiétudes. Votre position redouble l'intérêt que vous nous avez inspiré. Nous espérons que vos blessures ne seront pas dangereuses. Nous vous prions de ne rien ménager pour rétablir votre santé et de nous en faire parvenir des nouvelles le plus souvent possible »]. D'autre part quelques rares enrôlés s'étaient montrés particulièrement lâches et l'on tenait à les punir [Note : Le même jour, on s'inquiétait auprès du département d'Ille-et-Vilaine de Bernard fils, officier du bataillon, qui, sous prétexte de son emploi près du directeur des postes, a déserté et serait, paraît-il, réfugié à Rennes. S'il n'a pas de congé en bonne forme, qu'on veuille bien l'arrêter. — Quelques semaines plus tard les membres du Directoire du District de Loudéac refuseront de siéger auprès de leur ancien collègue Colledo qui a déserté à Nantes. L'administration du Département le suspendra donc de ses fonctions en attendant qu'il en soit complètement relevé, malgré le semblant de défense qu'il présentera]. Enfin on recevait d'heureuses nouvelles du premier bataillon incorporé à l'armée du Nord [Note : Lettre à Figuenel. On le prie de donner des nouvelles fréquentes du 1er bataillon auquel l'administration prend un intérêt particulier. « Nous vous serions obligés de le lui témoigner quand vous en trouverez l'occasion et de nous donner des nouvelles particulières de ce qui le concerne... » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L. 6/3)].

Mais l'on apprenait en même temps que les « brigands » avaient passé la Loire. Le Morbihan craignait une invasion. On était sans nouvelles du département d'Ille-et-Vilaine et des commissaires qu'on avait envoyés à Rennes. Plus de troupes. Sur la réquisition de Canclaux, le 92ème régiment partait pour Brest. Les compagnies franches étaient en route pour Nantes. La levée des 800 hommes n'était point achevée et encore n'avait-on que des recrues. Il ne restait guère dans le département que les gardes nationales des villes, composées de pères de famille, les jeunes gens s'étant enrôlés dans les deux premiers bataillons.

Dans une telle conjoncture, l'on allait sans doute définitivement oublier les premières décisions prises en faveur des Girondins, décisions si peu suivies d'effets, quand soudain l'on apprit que la Convention avait décrété l'arrestation de 84 députés, dont trois des Côtes-du-Nord, Girault, Couppé [Note : Dès le premier juillet, Couppé avait quitté son poste, comme en fait foi la lettre suivante, émané du premier suppléant, Jean Jules Coupard. « Dinan, Département des Côtes-du-Nord, 11 juillet 1793, l'an deux de la République Françoise. Citoyen Ministre. Lorsque j'ai vu dans le Bulletin de la Convention Nationale du 1er de ce mois, qu'elle avoit décrété ce jour-là que le citoyen Coupé, député du département des Côtes-du-Nord avoit volontairement abdiqué son poste, et qu'elle avoit nommé son supléant pour le remplacer, j'ai pensé devoir en attendre l'avis officiel, me trouvant le 1er supléant du Département, pour me rendre à la Convention. Mais comme cet avis ne me parvient pas et que mes concitoyens me témoignent leur étonnement de ce que je ne suis pas encore parti, je vous prie, citoyen ministre, de me faire passer directement ce décret, ou de me marquer, si je puis, sans me compromettre, l'attendre plus longtemps par telle voie que ce soit. Car je suis disposé à remplir mes devoirs et mon vœu pour la République, comme je le fais dans la place de président du tribunal civil que j'occupe ici, comme je l'ai fait avec vous, citoyen, dans l'Assemblée Constituante, et qu'ainsi je me le propose en toute occasion. Mais l'ambition ne me gourmande point, et j'aurois craint qu'on l'eût cependant supposé si je m'étois présenté à la Convention sans y avoir été spécialement mandé. Je n'en écris point ailleurs, espérant que vous voudrez bien me donner l'avis convenable et me croire avec reconnoissance. Citoyen Ministre. Votre très humble et obéissant serviteur, Jean Jules Coupard ». La réponse est du 22. « Le décret qui vous appelle, citoyen, à remplacer à la Convention Nationale le citoyen Coupé ne m'a pas été envoyé. Je l'ai demandé au Comité des Décrets qui l'a adressé au Procureur général syndic de votre Département pour vous être remis, Probablement vous l'avez reçu actuellement. Au surplus le même comité s'est chargé de vous en faire passer directement une nouvelle expédition. » (Arch. Nat. F. b 11, Côtes-du-Nord 1)] et Fleury [Note : Ils ne furent réintégrés qu'en frimaire III. L'administration leur écrivit le 15 frimaire (5 décembre 1794) : « Les orages révolutionnaires ont aussi pesé sur nos têtes : mais nos inquiétudes ne nous ont pas fait oublier les vôtres. La voix que nous eussions élevée pour vous témoigner nos sentiments d'estime eût été eussions élevée pour pour vous témoigner nos sentiments d’estime eût êté impuissante. Mais aujourd'hui que la justice a rendu la liberté aux pensées, nous nous félicitons hautement de vous voir réintégrés dans vos droits. Nous sommes charmés que la Convention Nationale ait reconnu et fait éclater votre innocence. Notre département recouvre trois défenseurs pour soutenir ses intérêts avec ceux de la République entière. Recevez l'assurance de notre entier dévouement ». (Arch. Dép. 1 L. 6/4. f. 17). On trouvera dans notre étude Le Coup d'Etat du 18 fructidor des détails plus abondants sur Coupé et Fleury. Quand à Girault, ancien commissaire de la marine à Dinan, et dont le rôle nous paraît avoir été fort obscur, nous ne pouvons que renvoyer pour le moment au Dictionnaire des Parlementaires. — Quelques mois auparavant René Charles Loncle était mort. Il n'avait pas été remplacé par son suppléant Pierre Toudic qui s'était compromis dans les délibérations du bureau de Rennes. (Cf. Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L 6/3. F 163)].

L'administration, indignée, rédigea immédiatement une adresse aux Districts (le 7 juillet 1793). L'anarchie est à son comble, y disait-on. Des « anarchistes de la montagne » ont violé les droits les plus sacrés à l'égard de leurs collègues. « Citoyens, cette liberté chérie n'aura été qu'un beau songe si les départemens ne se lèvent simultanément contre cette oppression et ne présentent une masse de résistance imposante ». Paris « cette Babylone moderne » veut dominer. La majorité des départements [Note : C'est là une assertion dont nous laissons la responsabilité à l'administration des Côtes-du-Nord] s'est prononcée contre cette tyrannie « plus hideuse que l'ancienne ».

Avec cette majorité des départements, celui des Côtes-du-Nord a arrêté d'envoyer une force armée à Paris pour y ramener l'ordre. Déjà le midi de la France est en marche.

« Les bannières départementales vont flotter encore une fois aux yeux des Parisiens. C'est le rameau d'olivier que leurs frères vont leur représenter comme un témoin de cette auguste fédération qui les a réunis en 1790, et qui va serrer de nouveau les liens éternels de leur amitié ».

Et l'adresse se terminait par la demande d'un certain nombre « d'hommes d'élite » de « vrais et vertueux républicains » qui devraient se trouver armés et équipés à Saint-Brieuc, le 12 suivant.

Le 9, on reprend la correspondance avec le bureau de Rennes et l'assemblée centrale de Caen, en leur faisant passer l'adresse du 7 juillet.

Mais l'enthousiasme est beaucoup moins vif que ne le pensaient les administrateurs. Les sociétés populaires, à tendances jacobines, ne sont pas restées inactives à Lannion, à Guingamp, à Dinan, à Lamballe et à Saint-Brieuc surtout. Très peu de volontaires s'enrôlent, et ce mouvement avorté fait un singulier contraste avec l'entrain avec lequel on se portait contre la Vendée.

Le 15 juillet, le Directoire informe les Districts et les municipalités de Châtelaudren, Moncontour, Plancoët, Tréguier, Quintin, Jugon, Matignon, Uzel, La Roche-Derrien et Paimpol que le départ des fédérés a été retardé par la mauvaise volonté des volontaires du district de St-Brieuc. Mais les citoyens se sont réunis la veille en sections, et, stimulés par les enrôlés de Lamballe, de Lannion et de Guingamp, « ont senti à quels reproches ils se seroient exposés si le Département des Côtes-du-Nord, après avoir fortement exprimé ses intentions de faire respecter la Convention Nationale et les avoir fait connoitre à tous les autres départemens abandonnoit aujourd'hui ses frères et donnoit aux ennemis du bien public le cruel avantage de triompher de leurs divisions ».

Mais aujourd'hui l'accord s'est établi. Une proclamation précédera cette force à la Convention pour annoncer qu'elle vient la protéger contre une poignée de factieux. L'enthousiasme a suivi une discussion approfondie [Note : Singulier « enthousiasme », qui nous éloigne bien du sens étymologique], et, au lieu des douze volontaires que l'on demandait à Saint-Brieuc, quatorze se sont enrôlés. Que les districts et les municipalités stimulent donc les patriotes. Le départ est fixé de Saint-Brieuc au jeudi 18. L'on se rendra le soir à Lamballe, puis l'on passera par Dinan où l'on rencontrera les volontaires de ce district. « Les fédérés ne désirent pour compagnons de leur gloire que des patriotes de bonne volonté ».

Ces « patriotes » étaient bien peu nombreux, puisque, à peine allait-on en compter une quarantaine [Note : J'avoue n'avoir rien compris aux quelques lignes très incomplètes que Geslin de Bourgogne et de Barthélemy (op. cit. p. 64) consacrent à cet épisode. « Le 10 juillet, le conseil général du district de Saint-Brieuc, réuni à des délégués de la municipalité de cette ville et de celle de Châtelaudren fut appelé à « former une compagnie de quatorze patriotes incorruptibles pour aller concourir avec la majorité des honnêtes Parisiens qui gémissoient sous l’oppression, à rétablir la Convention Nationale, violée dans la puissance souveraine que lui avoient déléguée les Francois » C’estait le moment où la Montagne lutait et contre les Enragés et contre les Girondins. Nous l’avons dit, dans les Côtes-du-Nord comme dans le Finistère, l’opinion publique penchait de ce dernier côté : ausssi le conseil général, tout en prescrivant cette mesure ordonnée de Paris, ne mit-il pas une grande vigueur à la faire exécuter : chacun s’excusa de prendre part à cette mission ». — Sans insister sur l’inexactitude qui fait désigner 14 citoyens le 10 juillet, alors qu’on n’en choisit que 12, encore très irrésolus, il est à se demander ce que signifie la dernière phrase du passage que nous citons].

Ils partirent néanmoins le 18, précédés de la bannière fédérale, et l'administration s'occupa d'envoier l'adresse annoncée et d'organiser leur étape.

« Nous vous prions, écrivait-elle à la Convention, de voir dans l'adresse ci-jointe l'expression de nos sentimens et de nos vœux.

Les citoyens de Saint-Brieuc, réunis en sections, l'ont souscrite avec les membres des autorités constituées.

Nos patriotes fédérés de toutes les principales villes du Département partent aujourd'hui. Ils n'ont d'autre but que de fraterniser avec les Parisiens et de concourir avec tous les bons citoyens à maintenir l'autorité de la représentation nationale contre les entreprises des anarchistes et des factieux. » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L 6/3. f. 83).

L'on priait le représentant Guyomar [Note : On ne confondra pas, j'espère, Pierre Guyormar, ancien maire de Guingamp, député à la Convention avec Jean-Francois Guyommart, avocat à Plénée, membre du premier Directoire du District de Broons, nommé en 1792, administrateur du Département et qui, en cette qualité fut nommé commissaire à Ménéac, puis s'enrôla dans le deuxième bataillon des fédérés pour aller au secours de Nantes. — Pour ce qui concerne Pierre Guyomar, nous renvoyons à notre étude Le Coup d'Etat du 18 fructidor] dont « on voit souvent éclater la fermeté à soutenir les bons principes » de la lire, et s'il ne le pouvait de la faire insérer dans les papiers publics.

On avisait le comité central de Caen et le bureau de correspondance de Rennes du départ des fédérés dont l'organisation définitive devait se faire le 21 à Dinan.

De même on informait le district de Dinan que le petit bataillon, coucherait le soir à Lamballe, le lendemain à Jugon, pour arriver le samedi 20, au matin à Dinan. On priait les administrateurs de lui faire fournir le logement et de procéder le dimanche 21 à son organisation, sous la surveillance d'un commissaire du District et de Le Coq, administrateur du Département.

L'on demandait aux districts et municipalités de la République situés sur la route d'Evreux et de Paris de réserver le meilleur accueil aux Fédérés qui, à leur passage, fraterniseraient avec les patriotes.

Enfin, détail symptomatique qui montre bien que les administrateurs ne songèrent jamais à répudier le pouvoir de la Convention, ils rendaient compte de leurs démarches, le 20 juillet, aux représentants en mission près l'armée des côtes de Brest.

Cette compagnie, si laborieusement formée, n'alla pas loin.

« La commune de Dol, écrivait-on le 24 juillet dans une circulaire aux districts et aux principales municipalités, sur l'invitation d'un bataillon de la Seine-Inférieure s'est formellement opposée au passage de nos fédérés. Vous sentez qu'une seule compagnie ne pouvoit opposer la force à la force, quand d'ailleurs elle n'avoit d'autre but que de fraterniser avec les Parisiens et de protéger contre les factieux la liberté et l'intégralité de la Convention.

Vous verrez par notre arrêté... que nous la rappelons, puisqu'il paroît que la tranquillité intérieure pouvoit être troublée par une mesure que dictoient les vues les plus pures du bien public.

On saura toujours rendre justice à notre bonne volonté » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L. 6/3 f. 87).

Le lendemain on annonçait les mêmes événements aux représentants en mission, alors à Ancenis : « Ils portoient la bannière comme un symbole de l'union ». Et, comme si déjà l'on songeait à réparer la faute commise : « Nous pensons qu'elle (la compagnie) sera disposée à aller combattre les brigands, et si nous pouvons y réunir un certain nombre de citoyens, nous leur offrirons toutes les facilités ». Quant à la constitution de 1793, promulguée le 24 juin, elle avait déjà été acceptée par les villes de Guingamp et Lamballe, et tout faisait penser que les citoyens y adhéreraient aisément.

Le même jour on notifiait le rappel de la compagnie aux districts et aux municipalités auxquels on avait réclamé un bon accueil, et aux comités de Caen et de Rennes.

Ces comités n'existaient plus. L'armée de Wimpffen avait été battue à Vernon, le 13 juillet. Les députés girondins avaient refusé la proposition du général de faire cause commune avec l'Angleterre, et mis hors la loi, tentaient de gagner Brest, cachés dans le bataillon du Finistère qui avait pris leur défense....

Telle fut l'histoire du mouvement fédéraliste dans les Côtes-du-Nord. Mais certains événements devaient s'ensuivre que nous allons essayer de retracer à larges traits.

Ainsi que l'avaient prévu les administrateurs, l'ensemble du département accepta volontiers la constitution de 1793 : Dinan, Guingamp, Lannion et Lamballe furent les premières à se prononcer pour elle. A Saint-Brieuc elle obtint l'unanimité des assemblées primaires auxquelles les membres du Département avaient participé.

Mais bientôt les députés Girondins allaient avoir à traverser les Côtes-du-Nord [Note : Nous renvoyons à ce sujet aux belles études de M. P. Hémon et notamment à sa brochure : Le Deist de Botidoux a-t-il trahi les Députés girondins proscrits ?]. L'administration qui, excepté pour le décret du 2 juin, s'était toujours montrée loyale vis-à-vis de la Convention, qui tout en plaignant les fugitifs, estimait que leur conduite en Normandie n'avait été ni digne, ni utile, devait nécessairement s'opposer à leur passage. Il n'y eut de sa part ni revirement, ni palinodie.

Le 5 août, elle écrivait au District de Lamballe : « Nous ne pouvons qu'applaudir aux vues patriotiques de la Société populaire de St-Servan et aux vôtres. Nous désirons comme eux et comme vous que les traîtres à la patrie soient arrêtés. Nous avons peine à croire que nos frères du Finistère qui reconnoissent les loix et s'y soumettent, veuillent les soustraire à leur exécution, et, s'il en existoit parmi eux, nous aimons à penser que ce seroit à leur insu. Si vous parveniez donc à en reconnoitre, vous voudrez bien requérir la gendarmerie de les mettre en état d'arrestation. Nous sommes très persuadés que nos frères du Finistère n'y mettraient aucun obstacle. Nous vous recommandons la plus exacte surveillance à cet égard ; nous en agirons do même à leur passage en cette ville et nous allons la recommander aux autres lieux de passage de notre Département » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L. 6/3 f. 90).

Dans le même ordre d'idées, le lendemain, l'administration déclarait au Comité de Salut Public et au Ministre de l'Intérieur qu'en dépit des liens qui l'unissent aux départements voisins, elle n'hésitera pas à obéir aux lois. Déjà, sur son ordre, a été enregistré le décret du 28 juillet qui déclare ces députés traîtres à la patrie. Jusqu'ici, il est vrai, ses recherches ont été infructueuses [Note : 31 août 1793. Au citoyen Duval, député d'Isle et Vilaine, sur les députés fugitifs. « C'est avec surprise que nous lisons dans un des derniers numéros du Républiquain que le club de Saint-Brieuc nous avait en vain sollicités d'envoyer des courriers dans toutes les municipalités pour faire arrèter les députés fugitifs. Nous devons à la vérité de déclarer que le rapport qui vous a été fait est absolument faux.. ». Quand les commissaires de la Société Populaire se présentèrent au département, celui-ci avait déjà écrit au District de Lamballe et avait requis le général de brigade d'employer tous les moyens. Il envoya le commissaire des guerres et l'adjudant général provisoire passer le bataillon du Finistère en revue à Lamballe. A la demande du Département, la Société Populaire y joignit un 3ème commissaire pris dans son sein. Le lendemain un administrateur passa une revue identique à Saint-Brieuc. On écrivit à Moncontour, et si on ne le fit pas à Uzel et à Loudéac c'est qu'un envoyé du club de Lamballe déclara que des commissaires y étaient déjà rendus. « …On ne nous parla pas d'écrire à d'autres municipalités. Dernièrement encore sur la dénonciation que quelques-uns de ces fugitifs étoient dans les environs d'Uzel, nous envoyâmes l'un de nos membres avec un détachement. Il visita inutilement plusieurs maisons qui nous avoient été désignées » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L. 6/3. ff 97-98)], mais elle redoublera d'efforts, pour les atteindre, en même temps qu'elle emploiera tous les moyens pour empêcher des divisions de se manifester parmi les Républicains du Département.

Le 8 août, elle répondait aux représentants du peuple, toujours à Ancenis. « Vous verrez par les copies de notre délibération du 5 août et de notre lettre au Comité de Salut Public que nous sommes bien éloignés de favoriser l'influence qu'eussent pu exercer les députés fugitifs. Si nos recherches ont été infructueuses, elles n'en sont pas moins propres à montrer notre dévouement à la Convention. Nous sommes sensibles à l'intérêt que vous nous témoignez par votre lettre du 1er de ce mois. Nous vous prions d'être persuadés que nos députés n'alloient point à Caen et que leur intention n'étoit pas de se ranger sous les ordres de Wimpffen. D'après les sentimens que nous avions tracés dans notre adresse du 16 juillet, leur ordre de route étoit de se rendre directement à Paris » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L. 6/3. ff 90-91).

Quelques jours après, on écrivait au ministre de l'Intérieur : « Nous vous remettons une expédition de la prestation de notre serment, sur l'autel de la patrie, le 10 août. Vous y verrez également qu'aux termes de la loi du 28 juillet, nous avons brûlé publiquement dans cette fête la bannière de la Fédération sur laquelle nous avions déjà effacé depuis longtems les signes odieux de la Royauté » (Arch. Dép. des C.-d-N. 1 L 6/3. f. 93).

Et, comme sur ces entrefaites, le département était attaqué par le Journal des Hommes Libres, il écrivit à Duval, député d'Ille-et-Vilaine la lettre très digne que nous donnons en entier :

« Nous avons été sensibles à l'article qui nous concerne dans le n° 285 du Journal des Hommes Libres, à la rédaction duquel vous concourez.
L'on nous accuse d'avoir entraîné les citoyens de St-Brieuc dans des démarches inconsidérées et criminelles. Vous ignoriez sans doute que nous ne fimes qu'adhérer au premier arrêté de cette commune, en date du 7 juin. Nos sentimens communs n'étoient-ils pas fondés sur le procès-verbal même de la Convention, puisque l'assemblée convient aujourd'hui qu'il étoit rédigé d'une manière propre à égarer les esprits. Notre erreur étoit donc bien naturelle. Nous ne fimes que suivre l'impulsion que nous donnèrent nos concitoyens, et nous n'avons jamais poussé l'égarement jusqu'à méconnoitre l'autorité de la Convention. Nous avons enregistré tous ses décrets, nous n'avons jamais interrompu le service des caisses publiques. Les représentans du peuple près l'armée des Côtes de Brest ont toujours entretenu avec nous la correspondance la plus fraternelle, et nous leur avons toujours rendu compte de nos opérations. Voici le langage que nous tenions dans notre adresse : Quelque part que vous siègiez, dans la plaine ou sur la montagne, vous êtes tous également nos représentans et nous vos défenseurs.
Nous étions persuadés que l'empressement que nous mettions à retirer du tribunal criminel un exemplaire de l'acte constitutionnel qui ne nous étoit pas parvenu, à le faire réimprimer ainsi que la Loi pour convoquer les assemblées primaires offrait à la Convention que nous en instruisions, une preuve de notre empressement à nous serrer autour d'elle et à y rallier tous les esprits.
Nous avons fait passer en revue ici le bataillon du Finistère, sur la nouvelle qu'il renfermait des députés fugitifs. Nous donnâmes des ordres à la gendarmerie de Lamballe de les arrêter. Mais dès Dinan, ils avoient quitté ce bataillon et pris l'avance en des chemins détournés.
Nous avons adressé à la Convention et au Comité de Salut Public la déclaration dont nous vous remettons une expédition.
Nous espérons que votre impartialité saura apprécier notre position et que vous rendrez justice à la pureté de nos sentimens.
Il est instant qu'un moment d'erreur ne laisse pas plus longtemps peser sur nos têtes des soupçons qui, en altérant la confiance publique, nous empêcheraient de faire le bien. Le Comité de Salut Public saura distinguer l'erreur de la rébellion, et nous attendons avec sécurité les décrets que provoquera son rapport pour qu'aucune incertitude n'arrête plus la marche des affaires »
(Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L. 6/3 ff. 94-95).

L'administration parvint-elle à faire admettre sa bonne foi ? Il le semble bien, et c'était d'ailleurs justiee. Une preuve s'en trouverait dans le fait qu'elle ne fut pas épurée avant le mois de frimaire III (novembre-décembre 1794), plus d'un an après les événements que nous venons de retracer. Cependant le nombre de ses membres allait être sensiblement réduit. Carrier [Note : Cf. A. Lallié. — J.-B. Carrier représentant du Cantal à la Convention 1756-1794 Paris 1901] fit arrêter le procureur général syndic Le Saulnier et Ozou qui s'étaient particulièrement compromis. Rupérou avait pu s'enfuir et se cacher : on dut se borner à perquisitionner à son domicile [Note : Ils ne furent déchargés de toute accusation (aucune d'ailleurs n'avait été formellement portée contre eux) qu’en octobre 1794. L’administration écrivait à Rupérou (a Guingamp) et à Ozou (à Dinan), le 4 brumaire III (25 octobre 1794) : « Citoyens collègues, vous ne devez pas douter du plaisir que nous avons éprouvé en voyant le Comité de Sûreté générale de la Convention reconnoitre l’innocence et rendre la liberté à des patriotes intégres. Nous avons pris l’intérêt le plus vif à cet heureux événement. La loi du 8 ventôse (26 février) laisse aux citoyens acquittés par le tribunal révolutionnaire la faculté de reprendre les fonctions publiques auxquelles ils avoient été appelés. Votre position nous paroît encore plus favorable puisqu'aucune accusation, aucune destitution, aucun jugement n'avoit été prononcé contre vous. Vous gémissiez sous le coup d'un mandat d'arrêt et il est relevé par une autorité supérieure à celle qui l’avoit lancé. Vous pouvez donc reprendre vos fonctions. Nous vous invitons à user de cette faculté que vous donne la loi, et nous vous prions d'être persuadés que nous vous verrons avec plaisir revenir à votre poste pour concourir de nouveau à nos travaux ». (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L. 6/4 f. 7). — Ni l'un ni l’autre ne répondit à l'invitation. En frimaire Boursault réintégrera Ozou au Département et nommera Rupérou au Directoire du District de Saint-Brieuc. Guezno, Guermeur et Grenot, en floréal, maintiendront Ozou et nommeront Rupérou procureur général syndic].

Le 13 septembre [Note : Jour de leur arrestation], l'administration s'en ouvrait à Carrier lui-même : « Nous ignorons si c'est par un ordre exprès de votre part ou si c'est une suite des pouvoirs généraux que vous a donnés le Comité de surveillance ; dans les deux cas, nous respectons les effets du pouvoir que la Convention Nationale a remis entre vos mains ». On lui demande simplement de faire connaître les imputations qui leur sont faites [Note : Le 23 messidor II (11 juillet 1794), le Directoire, écrivant au Comité de Salut Public et au représentant Le Carpentier, faisait allusion à la situation de ses collègues qui n'avaient pas encore été jugés. On a vu ci-contre qu'ils ne devaient pas l'être. — A en croire ses collègues Rupérou aurait aussi répudié entièrement le Fédéralisme. Ils écrivent le 12 octobre 1793, au Comité de Sûreté générale à propos de la conjuration de la Rouairie : « … Notre collègue Rupérou concourut à toutes les recherches et perquisitions faites à la Guyomarais Il éclaira le juge de paix dans ses rapports et de retour à Saint-Brieuc, il rédigea, d’après son procès-verbal, l'avis ci-joint.... Cet avis offre l'expression de nos sentimens patriotiques et du civisme brûlant et pur qui a toujours animé, le rédacteur ; le citoyen Rupérou. Et quoiqu'il ait partagé une erreur qu'il n'a pas tardé à abjurer, il a toujours montré les mêmes principes de haine contre les Tyrans et d'amour pour la liberté... » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 1 L 6/3. ff. 110-111)]. Le Directoire est alors réduit à trois membres (Ozou et Rupérou sont menacés de condamnation, Raffray et Le Dissez sont à peine remis de leurs blessures, Prigent a opté, conformément à la loi, pour pour les fonctions de juge) et n'a plus de procureur général syndic....

Quoi qu'il en soit, le Directoire se montrera désormais l'agent dévoué de la Convention, ou, si l'on veut, de la Montagne. Les relations reprennent cordiales avec la commune de Paris qui lui envoie la médaille commémorative du 10 août et que l'on remercie avec chaleur (24 septembre 1793). La Montagne devient la « Montagne chérie ». On écrit à Prieur de la Marne : « brave Montagnard », etc.

En novembre, les fédérés, auxquels d'autres citoyens se sont réunis, iront combattre les Vendéens qui ont atteint Dol et menacent Dinan. Ils participeront à la défaite de Pontorson, due en grande partie à l’incapacité du général Tribout. Puis l'on viendra en aide au Morbihan dont les communes se soulèveront à nouveau, en attendant que la Chouannerie gagne les Côtes-du-Nord.

De Fédéralisme, il n'est plus désormais question que pour le rejeter [Note : Le 1er germinal II (21 mars 1794), on répond au Comité des Décrets qui a demandé des renseignements sur le suppléant du Conventionnel René Charles Loncle, décédé « … le citoyen Pierre. Toudic de Lannion qui étoit généralement connu pour un bon patriote, fut envoyé par ses compatriotes au Comité dit Central formé à Rennes au mois de juin et qu'il a partagé les erreurs funestes de plusieurs personnes sur les événemens des 31 mai et 2 juin, et qu'il y a voté jusqu'au 5 juillet. » (Arch. Dép. des C.-d-N, 1 L. 6/3. f. 163)] ....

Quel jugement porter sur l'administration départementale durant cette période de près d'une année ? L'accusera-t-on de n'avoir pas osé prendre nettement position ? de ne pas avoir su ni défendre ni maintenir ses opinions d'un républicanisme modéré ? d'être devenu, après la ridicule équipée de sa compagnie, un ardent thuriféraire de la Montagne ? Tels sont pourtant les faits, et il faut avouer qu'ils apparaissent comme bien peu honorables.

Mais si nous repassons par la pensée toute cette correspondance à laquelle nous avons rattaché notre étude, il nous sera bien difficile de ne pas nous départir de notre sévérité. Certes, et les administrateurs ne s'en sont jamais cachés, leurs penchants les entraînaient vers les Girondins. Mais ils comprenaient qu'au-dessus de la Gironde, il y avait la Convention, c'est-à-dire l'incarnation de la France nouvelle ; qu'il fallait que toutes les discordes s'évanouissent pour lui permettre de réaliser le régime républicain qu'ils avaient accepté, d'arracher la nation aux fureurs de la guerre étrangère et de la guerre civile, de la faire grande et glorieuse.

S'ils déplorèrent les événements des mois de mai et de juin, si la conduite qu'ils devaient tenir à une époque aussi troublée ne leur apparut pas toujours bien nette, du moins est-il qu'ils refusèrent de s'associer au soulèvement de Normandie préférant combattre la Vendée, et qu'ils se rallièrent sans arrière-pensée à la Montagne, lorsque la Montagne représenta la France. C'est là, sous un régime démocratique, un bel exemple de respect à la loi. Aussi, comment pourrions-nous condamner des hommes qui, non seulement versaient leur sang pour la France, mais encore pratiquaient, ce qui est peut-être un héroïsme supérieur, la vertu civique d'obéir et de faire obéir à la loi, contre les secrets mouvements de leur pensée et de leur cœur !

(Léon Dubreuil).

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