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LES LIMITES DU DEPARTEMENT DES COTES-DU-NORD SUITE A LA REVOLUTION.

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S'il est un département français qui ne donne aucune idée de la conception géographique du pays, c'est bien le département des Côtes-du-Nord [Note : On trouvera une assez bonne description du département dans la Géographie des Côtes-du-Nord d’A. Joanne]. Fait de pièces et de morceaux, sans qu'on y puisse découvrir de rapports véritables, coupé en deux parties à peu près égales par la ligne idéale qui sépare la région de langue bretonne, de la région de langue française [Note : « La langue bretonne ne commence pas même à Rennes, mais vers Elven, Pontivy, Loudéac et Châtelaudren. De là jusqu'à la pointe du Finistère, c'est la vraie Bretagne, la Bretagne bretonnante, etc… » Michelet, Notre France, p. 35], divers au point de vue économique, avec d'une part ses nombreuses tenures convenancières [Note : V, à ce sujet : Baudouin de Maisonblanche, Institutions convenantières, etc., E. Barreau, Etude sur le Droit de superficie en droit romain et en droit français (thèse) ; A. Aulanier. Traité du Domaine congéable ; H. Sée, Les classes rurales en Bretagne du XVIème siècle à la Révolution (pp, 263-300) ; Jacques Vigneron, Le Bail à domaine congéable (thèse), etc.] et ses abbayes richement dotées, et d'autre part ses louages à ferme ou à moitié fruits comme dans la majeure partie de la France, on pourrait lui appliquer très exactement la définition que l'on donnait jadis de l'Italie : une expression géographique, et, peut-être mieux encore, une expression administrative.

Même son nom surprend et étonne. Il n'est pas, à beaucoup près, le plus élevé en latitude de nos départements côtier [Note : Joanne écrit avec fort peu d'à propos : « Le département des Côtes-du-Nord doit son nom à sa situation au bord de la Manche, la plus septentrionale des trois mers qui baignent la France (si l'on fait abstraction du littoral qui nous appartient sur La mer du Nord). Quelques départements ont cependant encore plus au Nord une longue étendue de côtes sur la même mer, tels sont, par exemple ; la Seine-Inférieure et le Pas-de-Calais, qui auraient donc mieux mérité le nom de Côtes-du-Nord. »]. Dès lors pourquoi ce nom de Côtes-du-Nord ?

Si l'ensemble des départements français ont des noms mal choisis et capables d'entrainer à des confusions, n'est-il pas, celui-là, le plus mal choisi, surtout si on le compare aux noms vraiment heureux de ses deux voisins, le Finistère et le Morbihan ?

Et pourtant tous ces défauts, toutes ces inconséquences apparentes ont eu leurs raisons. Créé en 1790, avec tous les départements français [Note : A l'exception du Tarn-et-Garonne créé par les sénatus-consultes des 4 et 21 novembre 1808, (Cf. Ch. Schmidt, Les Sources de l'Histoire de France depuis 1789 aux Archives Nationales, p. 277) et de ceux beaucoup postérieurs de la Savoie, de la Haute-Savoie et des Alpes-Maritimes], nous trouverons dans sa dénomination le reflet de quelques-unes des premières idées de l'Assemblée Nationale Constituante. Mais pour le bien comprendre, il convient d'examiner comment le département a été délimité [Note : « Sa superficie est de 688.562 hectares: sons ce rapport, c'est le dix-neuvième département de la France... sa longueur, en allant de l'est à l'ouest, est presque partout de 130 kilomètres ; sa largeur, en allant du nord au sud, varie beaucoup ; elle est de 70 à 75 kilomètres sous le parallèle de Lannion, le 80 kilomètres environ sous celui de Guingamp, d'une cinquantaine sous celui de Saint-Brieuc, d'une trentaine à peine sous celui de Dinan ; enfin, son pourtour peut étre évalué, en nombre rond, à 500 kilométres, en négligeant du côté de la mer, les petits golfes, du côté de la terre une foule de sinuosités secondaires ». A. Joanne (Géographie des Côtes-du-Nord, p. 2)] ce sera l'objet de cette étude.

***

Le 15 janvier 1790, sur les conclusions de l'abbé Sieyès [Note : Député du Tiers, nommé par Paris], l'Assemblée Nationale, désireuse de détruire toutes les circonscriptions territoriales qui pouvaient rappeler l'ancien régime et la féodalité, décrétait que la France serait divisée en 83 départements. Afin de concilier tous les esprits et pour mieux faire accepter cette importante réforme, il était entendu que leurs noms seraient tirés d'une circonstance physique.

Comment cette division fut-elle accomplie ? M. D. Tempier, archiviste des Côtes-du-Nord, le disait dans un rapport au Préfet du Département en 1891 : « ... On l'avait partagée (la France) par quatre grandes lignes qui, se croisant du haut en bas et de gauche à droite, donnaient neuf cases. Une division semblable dans chacune de ces cases donna 81 cases plus petites ; ce fut à ce nombre que l'on assimila celui des départements. En y ajoutant Paris et l'île de Corse, on en eut 83.

Ce morcellement de territoire fractionnait la Bretagne en cinq départements. Celui de Saint-Brieuc ou des Côtes-du-Nord fut divisé, suivant le même système, en 9 districts, et chaque district en 9 cantons » [Note : Conseil Général. Rapport du Préfet, août 1891. IIIème, partie, pp. 158 et 199. Les districts et les cantons étaient : Saint-Brieuc, Châtelaudren, Étables, Plédran, Plœuc, Plouvara, Quintin, Trégomeur, Iffiniac ; Broons, Caulnes, Le Gouray, Langourla, Mégrit, Merdrignac, Plénée, Plumaugat, Trémorel ; Dinan, Corseul, Evran, Plancoët, Ploubalay, Plouër, Plumandan, Saint-Méloir, Tréfumel ; Guingamp, Belle-Isle, Bourbriac, Gurunhuel, Magoar, Pédernec, Pestivien, Plouagat-Châtelaudren, Plougonver, Saint-Gilles-Pligeaux ; Lamballe, Hénanbihen, Jugon, Landehen, Matignon, Moncontour, Planguenoual, Plédéliac, Pléneuf ; Lannion, Loguivy-Plougras, Perros-Guirec, Penvénan, Plestin, Prat, Saint-Michel-en-Grève, Tréguier, Le Vieux-Marché ; Loudéac, Corlay, La Chèze, Mûr, Plémet, Plémy, Plouguenast, Saint-Caradec, Uzel ; Pontrieux, Lanvollon, Lézardrieux, Paimpol, Pommerit-les-Bois. Plouha, La Roche-Derrien, St-Gilles-les-Bois, Yvias ; Rostrenen, Botoha, Callac, Carnouet, Duault, Laniscat, Mesle-Carhaix, Mellionec, Tréogan].

On accommoda tant bien que mal ces lignes droites aux particularités physiques, chaines de hauteurs, tronçons de rivières, etc... et l'on forma les départements actuels.

La division de la Bretagne en cinq départements réalisait bien le désir de la Constituante de détruire jusqu'au dernier vestige du régime passé. Rien qui rappelât, avec une telle division, l'ancienne province, ses neuf évêchés [Note : Cinq pour la Haule-Bretagne : Dol. Saint-Malo, Saint-Brieuc, Nantes et Rennes ; quatre pour la Basse-Bretagne : Vannes. Quimper, Saint-Pol-de-Léon, Tréguier. On remarquera le grand nombre de villes épiscopales sur la côte nord. La raison en est que cette côte fut évangélisée la première par des moines venus d'Angleterre, et que l'on établit les évêchés là ou se trouvaient les communautés de chrétiens] et la multitude de ses juridictions [Note : Un parlement, une cour des aides, 4 sièges présidiaux, dans les 4 sénéchaussées de Rennes, Vannes, Nantes, Quimper ; 25 autres juridictions (barres ou prévôtés royales ; 2326 juridictions particulières (haute, moyenne et basse justice appartenant à des seigneurs. (Cf. notamment Pitre-Chevalier, Bretagne et Vendée. p. 5)].

De la province, on fit aisément peu de compte. Son étendue était beaucoup trop considérable et son organisation ne satisfaisait point l'ensemble de la population. D'ailleurs, même avec sa division nouvelle, elle subsistait en quelque sorte, et il devait toujours exister entre ses habitants une solidarité de fait [Note : Nous retrouverons cette solidarité dans la correspondance échangée entre les départements bretons (Cf. notre étude : l'Administration du premier Directoire), dans les Fédérations de Pontivy, même auparavant dans les troubles de Lannion ; plus tard dans le Fédéralisme, dans la Chouannerie], sinon de droit. Mais ce qui choqua le plus (sans vouloir toutefois rien exagérer, car la réforme fut généralement bien accueillie, en raison des avantages administratifs et judiciaires qu'elle apportait), ce fut de voir les nouvelles circonscriptions ne respecter en rien les anciennes circonscriptions épiscopales, où sous le pouvoir de l'évêque, une véritable unité s'était constituée entre les catholiques — et c'était la presque unanimité —, de chaque diocèse.

Un projet anonyme avec carte annexée [Note : Arch. Nat. D IV bis, 1-22] nous révèle bien cet état d'esprit. L'auteur consent à réduire le nombre des évêchés bretons, mais il voudrait qu'on tint un compte exact de leurs limites. On arriverait ainsi à diviser la Bretagne, non plus en cinq mais en six départements.

La Côte-du-Nord donnerait deux départements, l’un formé des évêchés de St-Pol-de-Léon et de Tréguier avec 280 lieues 1/2 carrées, l'autre des évêchés de Saint-Brieuc, Saint-Malo et Dol avec 288 lieues 3/4, sur la Côte du Midi, les évêchés plus importants de Quimper, Vannes et Nantes formeraient chacun un département, avec respectivement 280 lieues 1/2, 288 lieues 3/4, et 288 lieues 3/4. Enfin, dans l'intérieur, l'évêché de Rennes constituerait le sixième département avec 321 lieues 3/4 de superficie. Et, en marge de son projet, l'auteur écrit : « Cette division concilieroit tous les intérêts en conservant les convenances locales, puisqu'elle réuniroit dans chaque département les habitants parlant le même idiome et occupés des mêmes genres de commerce [Note : Corps d'observations de la Société d'Agriculture, du commerce et des Arts, établi par les Etats de Bretagne, années 1757 et 1758. Vatar imp. Rennes 1760 et volumes suivants].

Si cette division s'écarte un peu des proportions établies pour le territoire, le déficit est bien compensé par l'excédent de proportion en population. D'ailleurs, s'il est facile d'observer dans l'intérieur du Royaume, l'uniformité et l'égalité de territoire dans la division des départements [Note : Cette égalité, bien qu'elle ne fût pas absolue, l'était beaucoup plus qu'avec les provinces : les unes très grandes comme la Bretagne, le Languedoc, d'autres très petites comme l'Aunis, l'Artois, etc.], on ne le peut pas sur les côtes et aux extrémités du Royaume à cause de l'irrégularité des formes.

L'essentiel dans la circonstance est de satisfaire tout le monde pour établir la paix et l’harmonie » (Arch. Nat. D. IV bis, 1-22).

Ces sages et judicieuses remarques pourraient trouver aujourd'hui quelque faveur dans un projet de saine décentralisation, mais, en 1789 et 1790, elles allaient à l'encontre du vœu le plus cher des Constituants, en conservant dans l'ensemble les circonscriptions ecclésiastiques. N'était-il pas à craindre que l'influence d'un clergé identiquement soumis aux mêmes inspirations, alors même que ces inspirations seraient plus lointaines, ne fût cause d'une résistance plus grande à l'établissement du régime nouveau ? [Note : N'avait-on déjà pas eu à se plaindre des agissements de Lamarche, évêque de Léon et de Le Mintier, évêque de Tréguier (Cf. B Robidou, Histoire du Clergé pendant la Revolution française, t. I et II. — Revue des Archives Historiques des C.-du-N. 1885, p. 123 et sqq.), et surtout Arch. Nat. Y. 10 507 (fond du Châtelet)] N'était-il pas dangereux de maintenir dans des circonscriptions fermées tous les habitants de langue bretonne ? [Note : Les assemblées révolutionnaires n'étaient pas hostiles à la langue bretonne. La Convention même estimait qu'on devait en faire usage dans les écoles pour apprendre le français, Mais elles tenaient avec raison à ce que tout le monde connut la langue de sa patrie et s'en servit] Ne valait-il pas mieux que les Bretons des divers évêchés, des diverses langues, des diverses tenures se compénétrassent pour que la fusion avec la France, toujours repoussée depuis la duchesse Anne, fût définitivement accomplie [Note : Toute l'histoire de la Bretagne en 1788 et pendant les premiers mois de 1789 en est une bien grande preuve], pour que l'union pour la résistance devint plus difficile à réaliser !

Ce projet de division est, d'autre part, sans date. Peut-être arriva-t-il après l'assemblée des députés bretons du 23 décembre 1789, dont nous parlerons plus tard. Dès lors il ne nous apparaît plus que comme un document curieux, mais de nulle importance. Nous avons préféré le considérer comme antérieur aux délibérations de la députation bretonne — ce qui est même assez probable — pour mieux montrer combien il ne pouvait influer sur les décisions de membres de la Constituante.

Que la division de la Bretagne en cinq départements ne soit pas le fait de ses représentants, ce n'est pas douteux, et M. D. Tempier nous l'explique dans le passage de son rapport que nous avons cité précédemment (Cf supra p. 3), mais ce qui leur revient, c'est la délimitation actuelle, l'accommodation, si je puis dire, du tracé géométrique idéal conçu par l'abbé Sieyès, aux contingences physiques, hauteurs, forêts, tronçons de rivières, etc. Ils s'y employèrent sérieusement pendant un certain nombre de séances, du dimanche 20 décembre 1789 au vendredi 29 janvier 1790, deux semaines après le vote de la loi. C'est à leurs travaux, que nous devons recourir pour étudier, non pas, le détail de la délimitation du département des Côtes-du-Nord, car, sans discussion, on tint compte des particularités géographiques et surtout des limites des anciennes paroisses qui en avaient déjà fait état, mais les contestations qui surgirent dans certaines régions limitrophes, désireuses d'appartenir à tel département plutôt qu'à tel autre.

Le samedi 19 décembre 1789, à l'Assemblée Nationale, les députés bretons furent invités à se réunir le lendemain au bureau n° 27, dans le chapitre des Feuillants. Cette séance fut essentiellement consacrée à des échanges de villes entre les trois départements de Rennes, de Vannes et de Nantes [Note : Les députés. de Rennes demandérent pour leur département la ville et le port de Rhedon compris dans le département de Vannes « attendu que la ville de Rennes tire ses subsistances par ce port et par la rivière qui conduit à Rennes dont elle entretient à grands frais les écluses ». A la majorité des voix, il en fut ainsi décidé et Redon forma le chef-lieu d'un district dans le département de Rennes, plus tard d’Ille-et-Vilaine (Cf. Léon Dubreuil — Le District de Redon). Par compensation le département dut céder à celui de Nantes, la villa de Châteaubriant et un petit territoire aux environs. Enfin le département de Nantes dédommagea celui de Vannes par la cession de la ville de La Roche-Bernard et des paroisses situées sur la rive gauche de la Vilaine (Arch. Nat. D IV bis, 1-22)]. Celle du mercredi 23, fut autrement importante. Peut-être les députés avaient-ils reçu le projet dont nous avons déjà parlé ! Tout au moins avaient-ils subi certaines influences pour les amener à proposer une division moins arbitraire de la Bretagne. Ils résolurent de décourager, dès le principe, les interventions et les sollicitations qui pourraient se produire et qui seraient en désaccord avec les idées directrices de la Constituante. Aussi, dès le début de la séance, sans qu'il apparaisse même que la question ait fait l'objet d'une discussion, ils arrêtèrent que « la province de Bretagne demeureroit irrévocablement partagée en cinq départemens, ainsi qu'il a été préalablement arrêté » [Note : Il s'agit très certainement ici d'un vote antérieur de l'Assemblée, vote acquis sur la proposition et l'intervention des députés dont l’influence était alors si considérable].

Quelques députés demandèrent alers que les chefs-lieux de ces départements fussent fixés d'une manière définitive. Pour quatre d'entre eux, il n'y avait point de difficulté, et Guingamp même, dont nous aurons à indiquer bientôt les ambitions, n'osa pas entrer à ce moment en concurrence avec Saint-Brieuc [Note : Il est vrai que Guingamp n'était pas représenté à la Constituante, par un de ses habitants. Il ne le sera pas plus à la Législative. Il n'en était pas moins, plus encore que Dinan et Lamballe, la citadelle avancée de la Révolution dans le département. Ses ambitions se donneront plus librement carrière dans la suite, quand il aura des représentants attitrés à la Convention et au Conseil des Cinq-Cents : Pierre Guyomar, Charles Hello, Pierre Toudic, Vistorte]. Il n'en était pas de même pour le cinquième et l'on ne savait trop encore qui l'emporterait de Quimper ou de Brest. Pour couper court à toute discussion, il fut entendu que la désignation des cinq chefs-lieux serait faite au scrutin secret. Rennes, Nantes, Vannes et Saint-Brieuc recueillirent l'unanimité des voix, Quimper ne fut choisi qu'a la majorité (Arch. Nat. D IV bis, 22).

Nous ne suivrons pas la députation bretonne dans tous ses travaux, nous bornant désormais à faire état de ceux qui intéressent le département de Saint-Brieuc.

Ce département, nous l'avons dit, est fait de pièces et de morceaux. S'il comprend au complet les sénéchaussées de Jugon, de Saint-Brieuc et de Lannion, il possède aussi une grande partie de celle de Dinan, des lambeaux de celles de Rennes [Note : Guingamp appartenait à la sénéchaussée de Rennes. (C'est d'ailleurs aux archives départementales d'Ille-et-Vilaine que l'on trouvera la plupart des cahiers de paroisse du futur département des Côtes-du-Nord). Loudéac appartenait à celle de Ploërmel, Rostrenen et Callac à celle de Carhaix], de Ploërmel, de Carhaix et de Morlaix [Note : Cf. Abbé H Pommeret. L'Esprit Public dans les Côtes-du-Nord. (Inédit.)]. Les deux évêchés de St-Brieuc et de Tréguier y entrent complètement, mais il existe un certain nombre de paroisses qui dépendent du diocèse de Saint-Malo [Note : Parmi les députés du diocese de St-Malo à l'Assemblée Nationale Constituante, nous trouvons Charles Rathier, recteur de Broons (Cf. A. Brette. — Les Constituants. Liste des députés et des suppléants élus à l'Assemblée Constituante de 1789)], et des diocèses de Vannes, Quimper et Saint-Pol-de-Léon. Il n'est peut-être pas un département français où l'on retrouverait, si disparates, tant de circonscriptions de la monarchie.

Il s'étend approximativement de la Rance, à l'est, jusqu'au Douron, à l'ouest. Du moins, aurait-il dû avoir la Rance pour limite (car cette rivière peut vraiment servir de frontière naturelle), si justement les protestations n'avaient éclaté de ce côté. Un peu au sud de Trémel, la limite abandonne le Douron et devient tout arbitraire, au moins jusqu'auprès de Saint-Jouan-de-l'Isle, suivant les limites des anciennes paroisses ou momentanément le cours des rivières.

Au sud et à l'ouest il ne semble pas s'être élevé la moindre protestation. Au nord, c'était impossible, puisque l'on trouvait la Manche.

Le 24 décembre, les députés de la province venaient de résoudre la question du changement des chefs-lieux de Districts dans le département de Vannes par suite de l'annexion de La Roche-Bernard et de décider de remplacer Questembert par Rochefort, quand les députés de St-Malo. en fin de séance, soit pour que leur ancien évêché ne fût pas coupé en deux, soit dans l'espoir de donner à leur ville une plus grande importance, par sa comparaison avec Saint-Brieuc qu'avec Rennes, demandèrent à être distraits du département de Rennes et annexés à celui de Saint-Brieuc. L'assemblée examina les plans et les cartes qui lui étaient soumis, et s'ajourna, pour trancher la question, au samedi 28, à 5 heures du soir. Les Malouins eurent beau s'employer et défendre leur projet, on décida, sans grande opposition, de ne rien changer à la décision primitive qui faisait de la Rance la limite des deux départements.

Il n'y avait qu'un recours pour les pétitionnaires : l'Assemblée Nationale. Aussi, le 30, adressaient-ils la lettre suivante à son Comité de Constitution : « Les députés extraordinaires de Saint-Malo auxquels viennent de se joindre trois nouveaux députés envoyés exprès par cette ville et arrivés ce jour, ont l'honneur de prévenir Messieurs du Comité de Constitution, qu'ils appellent à leur tribunal, de l'arrêté pris le 28 de ce mois par le Comité de Bretagne, contre la réclamation de la ville de St-Malo, se réservant de développer incessamment leurs motifs dans un mémoire qu'ils auront l'honneur de leur présenter » (Arch. Nat. D IV bis, 1-22).

Il faut croire que le siège du Comité de Constitution était fait. Il se borna à écrire sur la lettre même « Pièces inutiles aujourd'hui » et à aviser les députés de Saint-Malo qu'il ne leur était pas nécessaire de rédiger un mémoire qui n'avait pas de but.

Bon gré mal gré, il fallut se soumettre et la question de délimitation semblait désormais irrévocablement tranchée en faveur de la Rance, quand, à l'assemblée du vendredi 15 janvier 1790 [Note : Les députés tenaient séance au bureau n° 26, Jardin des Feuillants], les députés de Rennes demandèrent que la ville de Dinan fût réunie à leur territoire.

Quel était le motif de cette demande imprévue ? du moins le motif caché. Celui que la députation de Rennes mettait en avant est en effet bien connu : il reposait sur ce fait que Saint-Malo et Dinan se complétaient, la ville maritime par la ville commerciale. Mais alors pourquoi s'être opposé à une réclamation des Malouins ? Les députés du département de Rennes les jugeaient-ils donc fondées ?

Il est permis de le croire, mais ils voulaient les voir tourner à leur profit. La pétition de St-Malo n'avait pas été soutenue par les députés du département de Saint-Brieuc, dont l'influence était d'ailleurs moins grande que celle des Defermon et des Lanjuinais. Peut-être parviendrait-on à vaincre leurs résistances !

Les députés extraordinaires de Saint-Malo ne tenaient peut-être pas surtout à voir leur ville annexée au département de St-Brieuc, mais ils désiraient ardemment voir Dinan dans le même département. Leur premier espoir étant déçu, ils s'employèrent à obtenir en revanche l'annexion de Dinan au département de Rennes. Un parti existait dans les deux villes en faveur de leur union : c'était en somme le parti qui désirait l'annexion pure et simple de l'ancien évêché de St-Malo à l'un ou l'autre des deux départements.

Il trouva un appui dans la députation de Rennes qu'il avait d'abord boudé. Tout à fait à l'origine, il avait eu l'intention avouée de constituer un sixième département avec les anciens évêchés de St-Malo et Dol, qui aurait St-Malo pour chef-lieu. Defermon et ses collègues s'étaient particulièrement élevés contre cette idée, pour les raisons générales que nous connaissons déjà, et aussi parce que leur département privé de St-Malo et de Cancale n'aurait pas eu de véritable port sur la Manche, si même tout le littoral ne lui était pas enlevé. Consentir à être, dans l'ancienne Bretague, un département intérieur, c'était accepter de vivre dans la médiocrité.

C’est pourquoi Saint-Malo avait demandé l'annexion au département de Saint-Brieuc. L'appui de cette députation ne lui ferait pas défaut, et tout heureuse de cette aubaine, elle récompenserait la vieille cité malouine, si riche tout au moins de souvenirs, en lui accordant quelque établissement important que ne pouvait manquer de créer le nouveau régime [Note : La suite des temps devait montrer que ce désir avait d'autre motif que le caprice. St-Malo est en effet le siège d'une direction des douanes, d'une chefferie du génie, et dont St-Brieuc a été dépouillé]. Là encore, ce calcul avait été déçu. Il fallait donc, sous peine de renoncer complètement à son rêve, faire alliance avec les adversaires de la veille qui ne demandaient pas mieux que d'obtenir dans la région orientale de leur département, si dénuée de toute agglomération, la ville commerçante de Dinan et son territoire. C'était admirablement compléter le port de St-Malo, dont la ville, resserrée entre ses antiques murailles, n'était pas susceptible de développement.

Ces prétentions furent fort mal accueillies par les députés de St-Brieuc. Ils s'y opposèrent avec énergie « comme ayant été jugé que la ville de Dinan et le côté occidental de la rivière de Rance jusqu'à la mer [Note : Il s'agit ici du commencement de l'estuaire], avec les deux petites paroisses de Lanvallay et de Tressaint qui se trouvent à la tête des deux ponts sur la Rance au-dessous de la ville de Dinan, formant une partie de ses faubourgs [Note : Ces deux paroisses occupent une boucle de la Rance dont la convexité est tournée vers l'ouest. Dinan et Léhon y sont établis au centre], avaient été ci-devant jugés du département de Saint-Brieuc par les députés de Bretagne ... » (Arch. Nat. D IV bis 1-22).

Coupard [Note : Jean-Jules Coupard, avocat, lieutenant de maire de Dinan, élu député aux Etats Généraux pour la sénéchaussée de Dinan (A. Brette, Les Constituants). En octobre 1790, il fut élu second juge du tribunal du district de Dinan, et par suite de la non-acceptation de Bameulle, élu le premier, il en exerça la présidence. Es 1792, les électeurs le nommeront premier suppléant à la Convention. (Jules Guiffrey, Les Conventionnels). Il y siégea lorsque Couppé eut abandonné son poste. (Arch. Nat. F-B II, Côtes-du-Nord 1) — (Cf. égal. D. Tempier : Correspondance des Députés des C.-d.-N. aux Etats Généraux et à l'Assemblée Constituante — Soc. Em. C.d,-N. t. 26-27; 1888-89 ; — Correspondance des Députés à la Convention, t. 30, 1892)] et Gagon [Note : Marie-Toussaint Gagon du Chenay, né le 30 avril 1736 ; avocat, maire de Dinan. En 1789, député de la sénéchaussée de Dinan aux Etats-Généraux. Nous le retrouvons en l'an 8 sous-préfet de Dinan. — En l'an II, il est marié, père de six enfants, et possède une fortune de 45,000 fr. en capital. (Cf. supra les références)], tous les deux députés de Dinan protestèrent surtout avec véhémence et obtinrent gain de cause à une très forte majorité. Dépités, les représentants du département de Rennes refusèrent de signer le procès verbal, à l'exception de Lanjuinais qui fit suivre son nom de la mention pour attester ma présence seulement.

Le statu quo était donc maintenu. Une fois de plus la volonté de ne rien changer se manifestait dans la députation bretonne. Les partisans de l'annexion semblèrent se résigner, ou à peu près, comme nous le verrons tout à l'heure. Ils cherchèrent néanmoins à agiter l'opinion, et, au début de la Convention, il se trouva un parti à Dinan pour demander que le district fût rattaché au département d’Ille-et-Vilaine. Cette pétition produisit sur Guingamp un résultat curieux : ce fut de donner corps à ses aspirations. Guingamp, en effet, s'était affirmé depuis la Révolution. Son directoire de District, sa municipalité, sa société des Amis de la Constitution s'étaient toujours montrés à l'avant-garde des idées nouvelles. Les élections de 1792 avaient envoyé son maire, Pierre Guyomar [Note : Cf notre étude Le Coup d’Etat du 18 fructidor], siéger à la Convention. C'était enfin la seconde ville du Département. Pourquoi n'en deviendrait-elle pas le chef-lieu ? La proposition en fut faite par un officier municipal le 23 janvier 1793. « ... Sur la motion faite par un des membres de demander la translation du département en cette ville, attendu que le district de Dinan demandant à être annexé au département de l'Isle et Vilaine et le District de Morlaix [Note : Les rapports qui unissaient Morlaix et Lannion étaient aussi étroits que ceux qui unissaient Dinan et St-Malo. (Cf. Registre des délibérations de la ville et communauté de Lannion, du 12 octobre 1787 au 24 janvier 1790, n° 17 passim)] désirant se réunir aux Côtes-du-Nord, si cela s'effectuoit, Guingamp se trouveroit la ville la plus centrale de ce dernier département, et conséquemment la plus propre à l'établissement du Département des Côtes-du-Nord, l'assemblée a arrêté que l'on conférera avec le District et la Municipalité de Morlaix et a nommé à cet effet pour commissaires les citoyens Boulon [Note : Pierre Boulon d'abord juge de paix du canton de Guingamp, intra muros, et notable avait été élu maire, en remplacement de Pierre Guyomar, élu député à la Convention, après un intérim de Buhot, le décembre 1792 au 2ème tour de scrutin par 265, voix sur 338 votants. Le Normant-Kergré en obtenait 72 (Reg. des délib. etc.)], maire, et Bouetté, notable [Note : Registre des délibérations du bureau de la municipalité de Guingamp (du 16 décembre 1790 et 3 frimaire II)]…… ». Dinan resta aux Côtes-du-Nord. Morlaix au Finistère et Guingamp dut se contenter d'être, par son importance, la première sous-préfecture du département [Note : On verra plus tard Guingamp demander l'École Centrale du département et l'emporter pour un temps sur St-Brieuc. Cette querelle entre les deux villes sera une des causes du peu de progrés de l'instruction publique dans le département pendant les dernières années de la Révolution].

Pour en revenir à notre objet, à l'issue de la séance du 15 janvier 1790, le département de Saint-Brieuc avait obtenu l'avantage, puisque non seulement on ne lui enlevait pas Dinan, mais encore qu'on lui confirmait la possession de Lanvallay et Tressaint sur la rive droite de la Rance. Le mécontentement en était donc plus vif chez les Malouins qui, une deuxième fois, étaient déboutés de leurs prétentions et chez les Députés du Département de Rennes qui les avaient soutenues.

Pour pallier leur échec, et aussi pour accroître le développement de leurs côtes les députés de Saint-Malo demandèrent alors les quatre paroisses de Saint-Enogat, Saint-Lunaire, Saint-Briac et Pleurtuit, situées sur la rive gauche de la Rance. En échange ils offraient au département de Saint-Brieuc, outre Lanvallay et Tressaint les paroisses de Pleudihen, Saint-Solen, Saint-Hélen, Evran, Saint-Judoce, Le Quiou, Tréfumel, Guitté et Plouasne. C'était, au moins en apparence se montrer généreux, puisque l'étendue proposée, de 12 lieues carrées, était trois fois plus considérable que l'étendue demandée. Ce n'était que l'apparence : en réalité, au point de vue économique, c'était le département de Saint-Brieuc qui était lésé.

Néanmoins il parut que cette combinaison allait être adoptée. Un véritable protocole, sans date, il est vrai, mais qui, selon toutes vraisemblances se place à ce moment, signé d'une part par Coupard et Gagon, de l'autre par Defermon, s'occupe de régler certains points de détail. On y lit notamment : « Il doit être stipulé que Saint-Malo cessera de percevoir aucun impôt à son profit, sur les marchandises, qui viennent par la mer et la rivière à Dinan et dans son District, le passe-debout, même dès-à-présent, et qu'il ne sera à la suite mis aucun impôt pareil sur les marchandises qui passeront par la dite rivière en passe-debout. » (Arch. Nat. D IV bis, I).

Il n'en était cependant rien. Les représentants de Dinan ne voulaient pas céder, et l'on allait s'en rendre compte à la séance du 25 janvier.

Jusqu'ici le président et le secrétaire des Assemblées de la députation bretonne changeaient à chaque séance, suivant un ordre arbitraire, du consentement de tous. Ce jour là c'était à Palasne de Champeaux et à Poulain de Corbion, tous les deux députés de la sénéchaussée de Saint-Brieuc, et que l'on pouvait supposer favorables à la thèse de Dinan, que revenaient la présidence et le secrétariat. A peine avaient-ils pris les places qui leur étaient réservées qu'un député, dont le nom ne nous est pas parvenu, mais qui était certainement favorable aux prétentions du département de Rennes, proposa d'élire une fois pour toutes le président et le secrétaire. Sa proposition fut accueillie. Palasne de Champeaux et Poulain de Corbion virent d'où venait le coup. Ils comprirent qu'une élection par acclamations leur serait défavorable, étant donné l'influence de leurs adversaires, et ils obtinrent qu'elle aurait lieu au scrutin secret. La bataille s'engagea sur le choix du président. Au premier tour Palasne et Le Gendre obtinrent le même nombre de voix ; au second tour, ce dernier l'emporta. Le vœu de l'Assemblée semblait hostile au Département de Saint-Brieuc. Il le sembla d'autant plus que Defermon, l'âme de toute la machination, fut élu secrétaire distançant de beaucoup Poulain de Corbion.

Les députés de Saint-Malo demandèrent à nouveau les quatre paroisses littorales et, se croyant sûrs de la victoire, proposèrent en échange à Dinan égalité de territoire et même un tiers en plus « de manière à fixer son arrondissement d'une façon plus parfaite », c'est-à-dire moins qu'il n'avait été offert le 15 janvier.

Gagon et Coupard s'élevèrent avec véhémence contre de tels procédés ; ils refusèrent d'abandonner Saint-Enogat, Saint-Briac, Saint-Lunaire et Pleurtuit dont la possession était indispensable au département, déclarant que la Rance devait fournir la limite contestée. A nouveau les députés de Saint-Malo, aidés de ceux de Rennes, soutinrent leur manière de voir. L'entente devenait impossible. L'assemblée, fatiguée d'un débat qui s'éternisait « croyant la question jugée par ses précédentes délibérations et son registre étant au Comité de Constitution, elle l'a envoyé chercher et a tardé à délibérer » (Arch. Nat. D IV bis, 1).

Une autre question, aussi irritante, restait en suspens dans le Département de Vannes : qui serait chef-lieu de district : Hennebont ou Lorient ? Les travaux de la députation bretonne se trouvaient ainsi traîner en longueur. L'Assemblée Nationale, qui avait voté la loi de division de la France en départements, s'impatientait, désireuse de voir partout la réforme passer dans la pratique. Aussi les représentants de l'ancienne Bretagne résolurent-ils de fixer dans leur séance du 27 les limites des cinq départements, en réservant pour plus tard la solution des questions encore controversées.

Au cours de cette séance, on entendit tous les députés extraordinaires qu'il avait plu aux communautés de villes d'envoyer, on lut les nombreuses adresses venues de tous les points de la Bretagne. Les députés du futur département des Côtes-du-Nord parlèrent après ceux de Rennes, Nantes et Vannes, avant ceux de Basse-Bretagne. C'était Fleury, député extraordinaire de Quintin, et Launay-Provost, député de Pontrieux [Note : Tous les deux avocats et députés suppléants à l'Assemblée Constituante]. — Jugon, Tréguier, Uzel, La Roche-Derrien, Plancoët, Châtelaudren, Moncontour, Matignon, Merdrignac, Callac, La Chèze et la Prénessaye [Note : Presque toutes ces localités demandaient à étre chefs-lieux de Districts] avaient envoyé des adresses. — On confirma alors le choix de Saint-Brieuc comme chef-lieu de département et l'on désigna pour les huit autres chefs-lieux de districts : Dinan, Lamballe, Guingamp, Lannion, Loudéac, Broons, Pontrieux et Rostrenen.

Le lendemain 28 janvier, dans une séance interminable qui dura de deux heures de l'après-midi à dix heures du soir, la députation bretonne détermina les limites des cinq départements. Celui de Saint-Brieuc était séparé de celui de Rennes par une ligne qui irait de Gaël à Saint-Méen jusqu'à la mer, en laissant Saint-Jouan dans le département de Saint-Brieuc « par la rivière de Rance, sauf les exceptions qui seront particulièrement déterminées » (Arch. Nat. D IV bis 1-22).

Comme on ne pouvait trouver aucun accident géographique continu pour séparer les départements de Saint-Brieuc et de Vannes, on dut énumérer les paroisses limitrophes. C'étaient Mauron, St-Brieuc de Mauron, Brignac, Guillers, Mohon, La Trinité de Porhoët, Ménéac et Evriguet sa trève, St-Samson, Brehan-Loudéac, Rohan, Saint-Gonnéry, Noyal-Pontivy, Missillac, Cléguérec, Silfiac, Langoelan et Plouray, toutes du département de Vannes.

Enfin, comme le Douron ne pouvait non plus servir de limite unique entre le département de Saint-Brieuc et celui de Quimper, on décidait que le premier aurait pour paroisses frontières Plestin, Trémel, Plufur, Lanvellec, Plounévez, Plougras, Lohuec, Plourach, Plusquellec, Carnoët, Lochrist, Trébrivan, Maël-Carhaix, Plévin, Tréogan et Trégornan.

La question des paroisses contestées entre Saint-Malo et Dinan subsistait toujours. Il convenait pourtant d'en finir. Mais qui oserait à nouveau remettre cette question à l'ordre du jour ? Ce furent les députés de Dinan, et d'une manière toute incidente. Ils se plaignirent en effet le lendemain, soit le 29 janvier, que d'après les résolutions précédentes, la paroisse de Saint-Jouan-de-l'Isle attribuée au département de Saint-Brieuc ait été séparée de sa trêve la Chapelle-Blanche qui restait à celui de Rennes. Ils demandèrent en conséquence qu'on leur cédât la Chapelle-Blanche, moyennant une indemnité [Note : Dans un des rebuts du Comité de Constitution nous avons retrouvé une demande semblable de la commune de St-Jouan-de-l'Isle à la date dit 10 juin 1790 : St-Jouan a 500 communiants. La Chapelle-Blanche n'en compte que 300, les deux grandes routes de Paris à Brest et de St-Malo à Lorient y passent. St-Jouan possède de nombreuses commodités : elle a un marché le vendredi, la plus belle halle de Bretagne, un superbe auditoire, un habile chirurgien, un « savant classique » (sic). Arch. nat. D IV 569].

Les députés de Saint-Malo reprirent immédiatement leurs précédentes propositions. Ils ajouteraient volontiers cette trêve aux paroisses qu'ils avaient déjà offertes pour peu que Saint-Briac, Saint-Lunaire, Saint-Enogat et Pleurtuit leur fussent reconnues. Une fois encore les représentants du département de Saint-Brieuc opposèrent une fin de non-recevoir absolue et l'assemblée, en désespoir de cause, résolut de porter le différend devant le Comité de Constitution pour qu'il en prît connaissance et en fit son rapport à l'Assemblée Nationale qui statuerait en définitive.

Néanmoins, par acquit de conscience, les députés des départements de St-Brieuc et de Rennes résolurent de se réunir en assemblée privée, le soir même, pour tâcher d'arriver à un arrangement. Les représentants de Dinan se montrèrent plus conciliants. Ils consentirent à un échange (c'était la première fois), des quatre paroisses lttorales contre certaines paroisses intérieures, mais sur une question do détail, l'accord, qui paraissait enfin devoir se faire, fut rompu, comme en fait foi le procès-verbal rapporté par le secrétaire Defermon.

Le même jour, 29 janvier, les députés de Saint-Brieuc et Rennes réunis, il a été proposé par MM. de Dinan d'échanger les quatre paroisses de Pleurtuit, Saint-Briac, Saint-Lunaire, Saint-Enogat, si on veut leur céder en échange, vis-à-vis Dinan, Lanvallay, Tressaint, St-Hélen, Saint-Solen, Pleudihen, Evran, Saint-André-des-Eaux, Le Quiou et Saint-Suliac.

A quoi MM. de Saint-Malo ont représenté que Saint-Suliac était trop dans le territoire de Saint-Malo pour en être séparé, que, quant aux autres paroisses dénommées, ils étient consentans de les céder, et même celles de Tréfumel, Guitté et Plouvasné (sic), ce que MM. de Dinan ont refusé.

En conséquence la contestation reste en l'état au jugement de l'Assemblée.
DEFERMON
(Arch. Nat. D IV bis, 1-22).

Le Comité de Constitution prit acte des dernières avances des députés de Dinan. Il estima comme sans importance la question de Saint-Suliac, qui l'était en effet. Il lui sembla que les représentants de la partie orientale du département de Saint-Brieuc, poussés à céder, n'avaient pas voulu le faire de bonne grâce et n'avaient parlé d'obtenir cette paroisse que pour sauvegarder les apparences et remporter ainsi une satisfaction d'amour-propre. La compensation offerte par les députés de Saint-Malo parut suffisante aux membres du Comité qui se rangèrent en définitive à la thèse des représentants du département de Rennes. L'Assemblée les suivit, et si elle refusa Saint-Suliac au département de Saint-Brieuc, elle lui accorda, malgré lui, Tréfumel, Guitté et Plouasne.

Ce qui ne manquera pas d'étonner — et nous l'avons déjà dit au début de cette étude — c'est que, des limites du département de Saint-Brieuc, les limites arbitraires n'aient soulevé aucune discussion et que les contestations ne s'élevèrent qu'à l'est, où une rivière importante, bien faite pour former, géographiquement parlant, une frontière naturelle, développait son cours.

La raison en est en somme bien simple : c'est que la région de Dinan et de Saint-Malo est une région infiniment plus riche, infiniment plus capable de développement économique que les régions limitrophes du côté des départements de Vannes et de Quimper, plus pauvres, plus arides, et — disons le mot — moins civilisées. Et cette constatation nous permet déjà de comprendre l'importance très réelle, et très souvent méconnue, des considérations économiques au cours de la période révolutionnaire. Nulle part, nous le verrons dans d'autres études, elles n'exercèrent peut-être une influence plus décisive que dans le département de Saint-Brieuc.

Restait un nom à trouver pour ce département. La loi du 15 janvier prévoyait que les dénominations devaient être empruntées aux particularités. Or qu'y a-t-il de plus intéressant, de plus pittoresque que les côtes de cette région ? Peut-être toutefois un député des districts de Pontrieux ou de Guingamp aurait-il pu faire prévaloir le nom de Trieux, de la rivière la plus importante. Mais ni Pontrieux, ni Guingamp n'avaient de représentants directs à l'Assemblée Constituante. A peine avaient-ils obtenu un suppléant, bien sûr de ne pas siéger, puisqu'il avait été élu le troisième : Vincent-Augustin Le Provost de Launay [Note : Cf. notre étude Le Coup d’Etat du 18 fructidor. On le trouve indifféremment sous les noms de Le Provost de Launay, Le Provost-Launay, Launay-Le Provost, etc.].

On fit état, d'autre part, de ce que la Bretagne faisait face sur deux mers, et on donna au département de Saint-Brieuc le nom de Côtes-du-Nord, avec la signification implicite qu'il s'agit des côtes de la Bretagne et non de celles de la France. Pour mieux marquer l'opposition, il aurait fallu que le département de Vannes prit le nom de « Côtes-du-Sud ». On y songea certainement, et ce qui est significatif c'est qu'il emprunta sa dénomination, non pas à une rivière, mais à une particularité littorale : le Morbihan. Le choix, il faut l'avouer, fut singulièrement plus heureux que celui des Côtes-du-Nord.

A la fin de février, toutes ces questions de délimitation étaient réglées. On n'aurait plus, dans la suite, qu'à remanier les limites de quelques districts [Note : Guingamp demandera et obtiendra qu'on modifie le tracé des limites qui le séparent des districts de Lannion et de Pontrieux], et à arrondir quelques cantons [Note : Deux grandes questions seront agitées, en ce qui concerne les cantons ; la création du canton de Bégard avec les paroisses et trèves de Guénézan, Trézélan, Botlézan, Lanneven et St-Norvez, et la réunion du canton de Pestivien à celui de Callac]. Au début de mars, l'abbé Armez, Bagot [Note : Jean-Louis Bagot, médecin avait été choisi comme maire de St-Brieuc, à l'exclusion du lieutenant de maire Prudhomme, après l'élection de Poulain de Corbion aux Etats-Généraux. Il fut élu Député à l'Assemblée Législative, le 7ème sur 8 (Cf Louis Kuscinski. Les Députés à l'Assemblée législative de 1791)] et Dubois de Bosjouan [Note : Lettre de Palasne de Champeaux au Comte de St-Priest : « Monsieur le Comte. Deux des commissaires nommés par le Roi pour l'organisation des districts et cantons du Département des Côtes-du-Nord ont eu l'honneur de vous écrire pour vous prier de relever les erreurs et omissions commises dans l'expédition de leurs commissions. La première de ces erreurs consiste dans l'oubli de la qualité du sieur Dubois de Bosjouan qui est procureur du Roy du baillage de Saint-Brieux. Comme il a son père vivant, celui-ci a réclamé la commission. Cependant le fils qui est le Procureur du Roy est celui que la députation du Département avait indiqué. La seconde erreur est dans l'orthographe du nom de l'abbé Armez. On a mis Darnais. Il est essentiel, Monsieur le Comte, que ces erreurs et omissions soient promptement levées afin que les commissaires puissent commencer leurs opérations. Je suis avec respect, Monsieur le Comte, votre très humble et très obéissant serviteur. DE CHAMPEAUX-PALASNE, député de St-Brieuc. Paris, le 27 mars 1791 » (Arch. Nat. F 2 1-469). Cette lettre arriva d'ailleurs trop tard. Le 25 mars le Marquis de la Coste avait demandé au Comte de St-Priest, de rectifier le nom d'Armez, ce qui fut fait le 26. — Dès le 22 mars le Comte de St-Priest avait désigné nommément Dubois de Bosjouan, fils, dans deux lettres, dont l’une au père où il était dit : « .... en nommant M. votre fils, c'est en quelque sorte vous nommer l'un et l'autre ». (Arch, Nat. ibid.)] recevaient leurs commissions de commissaires du Roi pour la formation du Département.

(Léon Dubreuil).

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