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LA LIQUIDATION DE LA REVOLUTION DANS LES COTES-DU-NORD.

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Les événements des 18-19 brumaire an VIII (9-10 novembre 1799) laissèrent, au début, le département des Côtes-du-Nord à peu près indifférent. Depuis dix ans l'on s'était habitué aux transformations gouvernementales nombreuses et précipitées ; et le coup d'Etat de Bonaparte ne parut pas avoir plus d'importance que, par exemple, le coup d'Etat du 18 fructidor.

Même sembla-t-on y apporter une attention moins grande. C'est que le département était plus que jamais en proie à la Chouannerie. Les derniers mois de l'an VII avaient vu se commettre de nombreux vols, de nombreux assassinats. Le 4 floréal (23 avril 1799), une bande de seize ou dix-sept brigands avait enlevé, entre deux et trois heures de l'après-midi, Mathurin Lesné, agent municipal de la commune de Noyal, alors qu'il causait dans un champ avec un nommé Ollivier Gourel.

Entrainé à plus de dix kilomètres de là, à Quintenic, canton de Plédéliac, il avait pu s'enfuir au moment où l'on allait le massacrer, non sans avoir reçu un coup de feu à l’épaule gauche, et essuyé plusieurs décharges. Le 19 prairial (7 juin) c'est la diligence de St-Malo à Saint-Brieuc, qui est pillée et volée, à la Grande-Porte Plétin, dans la commune de Hénansal. Les 4 et à brumaire VIII enfin (26-27 octobre) St-Brieuc est attaqué, au pouvoir des insurgés pendant une partie de la nuit; plusieurs « patriotes » y sont tués, notamment Poulain-Corbion, l'ex-constituant, alors commissaire du Directoire Exécutif près de l'administration municipale du canton de Port-Brieuc, intra muros.

Partout les chouans avaient des complices, même dans les administrations ; les uns secrètement affiliés à leurs bandes et dévoués à leurs chefs comme Méheust, président de l'administration municipale de Landéhen qui les approvisionnait et leur donnait sa maison pour refuge [Note : Arch. Dép. des C-.d.-N. L. 8-7 (du 28 nivôse VI)], comme Pierre Michel, agent municipal de Ploufragan, qui a « toujours donné des preuves d'incivisme » [Note : Arch. Dép. des C-.d.-N. L. 8-7 (14 floréal VII)], comme surtout Pierre Morvan, président de l'administration municipale du canton de Bothoa, dont la complicité avec le chef de chouans Desvilliers-Deschamps, fut mise en pleine lumière [Note : Du 24 frutidor VII (17 septembre 1799) « Séance… L’administration centrale des Côtes-du-Nord ; - Considérant que Pierre Morvan, président de l’administration du canton de Bothoa est prévenu d'être complice des bandes de brigands qui infestent le territoire, et notamment la contrée qu’habite ledit Morvan. - Considérant qu’il a été trouvé dans la poche de la carmagnole que le chef des brigands Desvilliers-Deschamps, surnommé le Chevalier abandonna, il y a peu de jours, au lieu de Kerguével, en Maël-Carhaix, étant poursuivi par les Républicains, une lettre dont le texte est ci-après, adressée au dit Morvan. - Le 3 septembre 1799. Mon cher ami, il faut remettre les six cents livres au porteur de ma lettre. Vous retiendrez dix-huit francs pour vous. Tenez-vous sur vos gardes. Votre domestique a été blessé dans l’affaire que nous eûmes avec les bleus, et fait prisonnier. Ce scélérat a déclaré tout ce qu’il savait ; il a nommé tous les jeunes gens qui sont avec moi. On ne parle point encore de vous ; mais dites que ce coquin ne vous avait pas dit où il allait. Envoyez les pierres à fusil avec l’argent. Salut et amitié. Devillier-Deschamps ". Et pour inscription : à Mor, nom abrégé de Morvan. - Que d'après le contenu de cette lettre, il a été fait chez Morvan une fouille, pour résultat de laquelle on a trouvé un sac contenant 52 pierres à feu et un pochon d'argent contenant 504 francs que le dit Morvan a reconnu lui avoir été remis par Desvilllers-Deschamps. - Considérant qu'en effet le nommé Le Bihan, domestique de Morvan et faisant partie de la bande qui fut défaite le 13 de ce mois (30 août 1799), par la colonne républicaine à Plourach, canton de Plougonver, a été capturé par suite de la blessure qu'il a reçue à cette affaire, et que ledit Morvan n'avait point déclaré que son domestique était allé aux Chouans, parce que sans doute il avait favorisé sa rébellion. - Considérant que le dit Morvan a reconnu la lettre sustranscrite pour être de la main du chef des brigands Desvilliers-Deschamps, et pour lui être destinée, quoiqu’il ne l’eût pas encore recue ; - Qu'il a convenu qu'il y a environ deux mois " le même brigand lui écrivit pour lui défendre de fournir la liste que demandait le Département des jeunes gens du canton propre à servir dans la colonne mobile ", et lui faire des menaces terribles au cas qu'il la fournit. - Considérant que les relations de Morvan avec le chef de brigands sont prouvées même matériellement : 1° par non aveu propre ; 2° par la lettre qu'on lui avait écrite ; 3° par le dépôt des pierres à feu et d'argent trouvé en sa demeure d'après les renseignements contenus en cette lettre. -Considérant que Pierre Morvan a gardé le secret sur toutes les manœuvres des Chouans, et quoiqu'il allégue n'avoir gardé le silence qu’à raison de la crainte qu'ils lui inspiraient, il n'est pas douteux qu'il favorisât leur plan de pillage et de massacre. - Considérant qu'une conduite aussi criminelle ne permet pas de conserver plus longtemps dans sa place un fonctionnaire infidèle et parjure qui, au lieu de donner l'exemple de la fermeté et du dévouement au bien de la République et de ses concitoyens, va lâchement faire cause commune avec les vils brigands qui désolent le pays. Après avoir entendu le Commissaire du Directoire Exécutif. - Arrête, 1° En vertu de l'autorisation donnée par l'article 194, de la Constitution, Pierre Morvan, élu président du canton de Bothoa au mois de germinal dernier, est suspendu de ses fonctions. 2° Que le ministre de l'Intérieur est invité à demander au Directoire Exécutif, la destitution du dit Morvan. 3° Qu'à la diligence du commissaire du Directoire Exécutif près cette administration le présent sera inscrit sur les registres de la municipalité de Bothoa. 4° Qu'expédition du présent sera transmis de suite au Ministre de l'Intérieur ». En frimaire VIII, un arrêté des consuls destitua Morvan attendu que « la complicité de ce fonctionnaire public avec les Chouans qui infestent le Département est constatée par une lettre.... » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 7. L. III ff. 22-23)] ; les autres terrorisés par les menaces, souvent suivies d'effet, qu'on ne leur ménageait point, comme probablement ce Guégen, commissaire provisoire du Directoire Exécutif à Plédéliac que l'on destitua pour ne pas avoir rendu compte des manœuvres qui depuis plusieurs semaines se pratiquent dans ce canton [Note : « ... Sa conduite négative décèle soit de la connivence avec les meneurs, soit une faiblesse indigne d'un fonctionnaire public, spécialement chargé de veiller au maintien du bon ordre... Dans l'un comme dans l'autre cas il a trahi ses devoirs et compromis la tranquillité publique. » (Arch. Dép. des C.-d.-N. 7 L. II 26 prairial VI)] ou cet agent de St-Alban qui s'était « rendu coupable de négligence dans l'exécution des visites domiciliaires prescrites par la loi du 18 messidor » [Note : François Grogneuf, laboureur, qui avait acquis des biens d'émigrés, notamment une partie de la Métairie de la Ville-Poince confisquée sur Ch. Visdeloup de la Viliethéart].

Dans les campagnes, l'effroi était à son comble. Personne n'osait dénoncer les coupables. Même les parents des victimes craignaient de pleurer celui qu'on leur avait assassiné. A Yffiniac, la veuve de René Resmond, dans la crainte de représailles, déclarait renoncer au payement des 4,000 francs dont on avait rendu responsables les vingt plus riches de la commune, comme dommages et intérêts résultant du meurtre de son mari (Arch. Dép. des C.-d.-N. L.7. II (27 messidor VI)).

Après l'affaire de St-Brieuc, des accusations avaient été étroitement portées contre les administrateurs, qu'on allait presque jusqu'à accuser de complicité avec les chouans, et notamment contre le commissaire du Directoire, Denoual du Plessix (Cf. Ch. Le Maout. Annales Armoricaines. pp 405 et sqq.). Aussi était-on plus préoccupé, pour le moment, de se disculper aux yeux des habitants : tâche assez facile, tout au moins en apparence, car le président de l'administration, Vincent-Augustin Le Provost (Cf. notre étude Le coup d'Etat du 18 fructidor), sa femme et son fils avaient courageusement risqué leur existence et affirmé, même en face des fusils braqués, leurs convictions républicaines [Note : « Du 8 brumaire an VIII (30 octobre 1799. Séance tenue par les citoyens Le Provost, président, Barbédienne. Brichet, Loncle et Benjamin Delaunay. Présent le citoyen Denoual, commissaire du Directoire Exécutif. L'administration centrale et le commissaire du Directoire Exécutif établi prés d'elle, ont arrêté de faire une adresse à leurs concitoyens, notamment aux habitants de Port-Brieuc, comme suit : Les Administrateurs du Département et le Commissaire du Directoire exécutif près l'administration centrale des Côtes-du-Nord à leurs concitoyens et notamment aux habitants de Port-Brieuc. - Les événements qui viennent de se passer, la nuit du 4 au 5 de ce mois dans la commune du chef-lieu de ce Département, nous pénètrent de la plus vive douleur. Nous donnons des larmes et des regrets à ces martyrs de la liberté, dont les uns sont ravis à leurs famille et à la patrie, et dont les autres gisent sur le lit de douleur assassinés par de vils brigands. Nous prenons une part sincère à l’affliction que causent ces malheurs, et nous sommes bien résolus d'en tirer la vengance qu’autorise la loi et que nous dicte notre juste ressentiment. Nous le sommes égalemment de faire usage de tous les moyens possibles pour mettre Port-Brieuc à l'abri d'un coup de main, autant que le permet la situation et la distribution de la commune. - Mais quand nous n'avons cessé de faire le bien, et que nous redoublons d’efforts pour continuer à l'opérer, nous ne pouvons nous dispenser d’exprimer à nos concitoyens combien nous sommes affectés de ce que quelques personnes, mal instruites ou de mauvaise foi, paraissent se faire un jeu de dénaturer nos intentions, et en nous calomniant dans l’ombre, de donner à croire à la partie des citoyens qui n’ont ni le temps, ni les moyens d’approfondir les chosses que les administrateurs sont ou insouciants ou traîtres. - Nous croyions avoir donné assez de preuves de notre activité et de notre dévouement patriotique, pour être à l’abri de ces traits envenimés ; cependant certains individus ont l’impudeur d’avancer, d'une maniere affirmative, que nons étions instruits que Port-Brieuc serait attaqué par les Chouans dans la nuit du 4 au 5, et ils en concluent que, n'ayant pas pris des mesures extraordinaires pour faire échouer cette attaque, nous sommes nécessairement les complices des assaillants. - Il est des imputations tellement odieuses qu'on ne trouve pas d'expression pour les dépeindre ; il en est de tellement absurdes qu’elles se detruisent d’elles-mêmes ; celle, dont il s’agit, réunit ces deux caractères. Nul être raisonnable ne croira que des fonctionnaires publics, connus dans la carrière politique depuis 1789, et liés à la République par affection, comme par intérêt personnel, aient voulu favoriser l’irruption des brigands, pour courir les risques de se faire piller et égorger par eux. Non, malheurensement, nous n'étions pas instruits, nous n'avions pas le moindre indice, nous n'avions reçu aucun avis qui tendit à faire craindre les projets des brigands sur Port-Brieuc. Au contraire, tous les renseignements faisaient craindre une attaque sur Broons et sur les autres points éloignés. (Merdrignac fut effectivement attaqué le 2). Quand le danger s’est manifesté, nous ne nous y sommes pas montrés indifférents. Nous avons partagé l’honorable dévouement des citoyens qui, les armes à la main, ont repoussé les bandes de cannibales qui ont souillé la ville. L'un de nous a été sur le point d'être fusillé par les brigand, et il ne s'est échappé d'entre leurs mains que par un de ces hasards qui ne peut s'expliquer. Ces scélérats ont tiré sur son épouse et sur son enfant deux coups de feu, dans le dessein de se venger de sa disparution (sic). - Nous le demandons à nos calomniateurs qui, peut-être, se tenaient prudemment au lit, alors que nous affrontions la mort : est-il présumable que nous voulussions favoriser l'entrée des brigands pour courir de pareilles chances ?... - Nous ne poussons pas plus loin ces éclaircissements, persuadés qu'ils suffiront, dans l'état actuel des choses pour confondre nos détracteurs. Cependant nous portons le défi le plus formel à qui que ce soit d'administrer la preuve que nous ayons reçu le moindre avis de la marche des brigands sur Port-Brienc. Au reste, une enquête juridique, faite à notre réquisition, fera connaître les circonstances de cet événement déplorable. - La tactique de nos calomniateurs n'est pas nouvelle. Avilir l'autorité, lui ravir la confiance publique, diviser les républicains entre eux, telles sont leurs vues ; et il faut convenir que réussissant, elles ne serviraient pas mal la horde fanatique et royale qui, dans cette circonstance, donne vraisemblablement encore une impulsion machiavélique. - Citoyens, nous savons que la Dénonciation civique est une vertu et un devoir, mais vous savez aussi que le mensonge et la calomnie sont un crime affreux : quands ils compromettent la réputation soit d'un particulier, soit d'un fonctionnaire, ils sont un assassinat moral. Ne vous en rapportez pas sans examen et sans preuves aux assertions de certaines personnes qui se prétendent des êtres par excellence et très importants, parce qu'ils font un grand étalage de vaines paroles ; examinez, approfondissez la conduite de vos magistrats, scrutez les actions, mêmes les intentions de tous en général et de chacun en particulier, et alors rendez-leur la justice qu'ils méritent. Nous n'avons rien négligé, nous ne négligerons rien pour opérer le bien dans l'étendue du territoire dont l'administration nous est confiée. Dans les circonstances difficiles où nous sommes, redoublez de zèle et d'énergie dans le service qu'exige la sûreté publique, poursuivez avec courage les brigands partout où vous les rencontrerez. La réunion de vos efforts et des nôtres anéantira les rebelles, et ramènera dans votre sein la tranquillité et le bonheur ». Le Provost, président, Barbédienne, Brichet, Loncle, Benj.-Delaunay, Denoual (commissaire du Directoire Exécutif). (Arch. Dép. des C.-d.-N, L. 7 III, ff. 48-49)].

Mais, tout comme la prise de Saint-Brieuc par les chouans avait pu donner lieu à des imputations calomnieuses, ainsi le coup d'Etat du 18 brumaire permit aux ennemis de l'ordre de choses encore établi de répandre le bruit que désormais allaient être abrogées toutes les lois portées contre les émigrés et les prêtres réfractaires, que toute l'œuvre de ces dix années allait être considérée comme abolie ; que l'ancien régime tout entier, avec l'arbitraire et les privilèges devait enfin renaître.

Peut-être les auteurs de ces imputations étaient-ils sincères ! On s'abuse si singulièrement sur ce que l'on désire et l'exemple du comte de Provence [Note : L'on sait en effet qu'en septembre 1800, le futur Louis XVIII devait écrire à Bonaparte : « ... Nous pouvons assurer le bonheur de la France. Je dis nous, parce que j'ai besoin de Bonaparte pour cela et qu'il ne le pourrait sans moi » … et l'on cannaît la réponse du 1er Consul : « Vous ne devez pas souhaiter votre retour en France. Il vous faudrait marcher sur cinq cent mille cadavres... »] était bien bien fait pour les encourager. Peut-être cherchaient-ils seulement à faire croire ce qu'ils jugaient pour l'instant impossible dans l'espoir d'apeurer ceux qui s'étaient ralliés à la Révolution et en avaient profité, de faire craindre à tous des représailles, et de créer un courant factice d'opinion favorable au rétablissement de la monarchie absolue, avec toutes les prérogatives, non pas surtout du roi, mais de la noblesse et du haut clergé. C'était, sinon provoquer définitivement une réaction complète, du moins donner ainsi un aliment nouveau à la Chouannerie, et perpétuer les difficultés des années écoulées au point de faire envisager une restauration comme indispensable à l'union des esprits et au rétablissement de la paix.

Les membres de l'administration centrale des Côtes-du-Nord comprirent parfaitement la manœuvre, et comme ils savaient les masses promptes à s'affoler, ils jugèrent nécessaire de protester contre ces allégations dangereuses. A leurs yeux, comme aux yeux de la majorité des Français, le régime inauguré à St-Cloud le 19 brumaire ne faisait que continuer le régime du 18 fructidor. Des directeurs ou des consuls, qu'importait ? puisque restaient consacrés les grands principes révolutionnaires dont la Déclaration des Droits constituait la charte fondamentale et intangigible.

Qui alors aurait osé prévoir Napoléon derrière Bonaparte ? Et n'est-ce pas à cette équivoque, voulue et soigneusement conservée, que l'on dut de voir des républicains dont personne ne pouvait suspecter la sincérité, des Armez, des Le Provost, des Hello, des Barbédienne, devenir, au cours des années qui suivirent, des impérialistes convaincus ! La réaction ne devait vraiment commencer qu'aux jours sombres de 1815. Par tout ce qu'il conserve de l'œuvre révolutionnaire, l'Empire reste profondément imbu de Jacobinisme.

Quoi qu'il en soit, la Chouannerie, qui avait momentanément détourné les esprits des événements de Paris et de St-Cloud et avait retardé l'adhésion inévitable de l'administration au coup d'Etat, allait, par ses imputations intéressées, l'y ramener un peu plus tôt peut-être, et provoquer une de ces manifestations déclamatoires tant aimées des révolutionnaires.

Le 12 frimaire (3 décembre), l'administration ordonnait la réimpression de la proclamation du Corps Législatif concernant le 18 brumaire et rédigeait l'adresse suivante destinée à « détruire les impressions de la malveillance. ».

« Citoyens, y était-il dit, dès que la nouvelle des changements opérés dans le gouvernement par la loi du 19 brumaire transpira [Note : Noter ce mot que la suite de l’adresse explique] dans ce territoire, les ennemis de la tranquillité publique s'attachèrent à défigurer les événements dans le dessein perfide de répandre l'inquiétude chez les hommes paisibles qui soupirent après le rétablissement de l'ordre. Non contents de semer des bruits également absurdes et atroces, des individus, connus par leur duplicité et leurs dispositions à se réjouir des malheurs de la patrie, se sont permis de fabriquer et de faire circuler de prétendues dépêches télégraphiques [Note : Il s’agit bien entendu, du télégraphe aérien que Claude Chappe avait récemment inventé] qui annonçaient des massacres à Paris, l'abrogation des lois contre les émigrés, contre les prêtres réfractaires, de celles sur la conscription dans toute la République, sur les contributions mêmes ; la suppression des administrations centrales et municipales ; la création d'intendants, de subdélégués, enfin le retour de tout l'ancien Régime.

Les insensés et criminels auteurs de ces odieux mensonges ont été reconnus et punis ; ils sont aujourd'hui couverts du mépris général, et rongés par leurs fureurs impuissantes.

Que les hommes bien intentionnés qui, dans la privation des papiers publics occasionnée par l'interruptien forcée du service des postes, avaient concu quelques alarmes se rassurent. L'adresse décrétée par le Corps Législatif avant son ajournement volontaire, donne aux Français, comme à l'univers, la preuve évidente que les changements qui ont eu lieu sont l'ouvrage de la majorité libre et éclairée des Réprésentants du Peuple [Note : Les événements des 18 et du 19 brumaire sont désormais trop connus pour que nous rectifiions toute les erreurs de fait commises par les administrateurs] que ces changements n'ont pour but que de cimenter la République une et indivisible, en abattant toutes les factions qui la tourmentaient, en éteignant les feux de la guerre civile qui désolent les départements de l'Ouest, et enfin de fournir au gouvernement de plus puissants moyens pour fixer bientôt, par la paix intérieure, les glorieuses destinées de la France.

Citoyens, que ces événements réparateurs recevant notre assentiment commun, nous créent une nouvelle obligation de nous unir étroitement entre nous, pour mieux seconder les hommes courageux qui ont, dans des circonstances difficiles, accepté la tâche honorable, mais pénible, de conduire les rênes de l'Etat, pour conserver aux Français les fruits de leurs longs et nombreux sacrifices. Quelles que puissent être encore dans la suite les clameurs de la malveillance, repoussez ses coupables insinuations, preuves de sa faiblesse et de son désespoir. Croyez que le patriotisme sera constamment respecté, chéri et maintenu au rang que lui a assigné la carrière civique qui immortalise la République. Croyez que tous vos droits seront conservés, et qu'une terre devenue libre par la volonté spontanée du peuple le plus brave et le plus magnanime, ne reviendra jamais plus le domaine d'un maître » (Arch. Dep. des C.-d.-N. 7. L III. ff 64-64).

Néanmoins la Constitution de l'an VIII allait entrer en vigueur ; les départements seraient divisés en arrondissements et dans les listes de notabilités, le premier consul choisirait les préfets, les sous-préfets, les membres du conseil de préfecture, du conseil général, des conseils d'arrondissement, les maires, les conseillers municipaux, les juges.

Les nominations, dépendant de la faveur ou même de l'arbitraire du consul, il était tout indiqué qu'il fût assiégé d'innombrables sollicitations. C'est l'histoire de ces compétitions que nous voudrions mettre en lumière, d'après les cartons F. 2. 1. 507 et F. 1. b. II. Côtes-du-Nord. 3. des Archives Nationales. Connaître les incidents que souleva la division du département en arrondissements, savoir comment le personnel administratif de la Révolution devint le personnel du Consulat puis de l'Empire, tel est le dessein que nous nous sommes proposé. A la fin de cette première série d'études, nous devons au lecteur de lui ouvrir les portes de l'avenir.

***

La loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) divisa le département des Côtes-du-Nord en cinq arrondissements communaux qui, numérotés de 1 à 5 sont ceux de Lannion, de Saint-Brieuc, de Dinan, de Loudéac et de Guingamp. Ce numérotage n'a aucun rapport avec l'importance de ces arrondissements. Il semble qu'il soit dû à la méthode de l'administrateur inconnu chargé du placement des chefs-lieux. Après avoir désigné les sous-préfectures du Finistère, il aurait suivi le littoral d'ouest en est et serait revenu en sens inverse par l'intérieur. C'est ainsi que l'arrondissement de Guingamp dont l'importance peut jusqu'à un certain point contrebalancer l'importance de celui de Saint Brieuc, n'est que le 5ème arrondissement communal.

Mais ce n'était là, si l'on peut dire, qu'un travail de pure forme. La désignation des arrondissements remontait en fait au 19 frimaire an V (9 décembre 1796).

Après la suppression des districts, le receveur général du département [Note : Le Mée, administrateurs du Département depuis 1790, occupa les fonctions de receveur des Finances du 1er thermidor IV (19 juillet 1796) au 16 floréal VI (5 mai 1798) où il fut élu membre de la 2ème administration présidée par Baudouin de Maison-Blanche], Mathieu Le Mée, fut chargé de présenter un projet de division du département en arrondissements financiers pour faciliter la perception de l'impôt. Parmi les chefs-lieux de districts, il en choisit cinq, d'après leur importance et d'après leur situation : St-Brieuc, Dinan, Guingamp, Lannion et Loudéac, et en forma les circonscriptions. Le Directoire Exécutif approuva son projet.

Mais dans l'établissement des tribunaux correctionnels, il estima que le tribunal de Rostrenen devait être maintenu, pour décharger celui de Guingamp et pour ne pas trop éloigner la justice des justiciables.

La loi du 28 pluviôse VIII reprit donc le projet de Mathieu Le Mée, devenu membre du Corps Législatif, érigea en arrondissements administratifs les cinq arrondissements financiers, et par ce fait même, sans qu'une mesure particulière ait dû être prise, dépouilla Rostrenen de son tribunal.

Aussi la municipalité de Rostrenen allait-elle protester auprès du pouvoir et demander qu'un sixième arrondissement fût constitué en sa faveur.

Trois autres chefs lieux de districts, Broons, Pontrieux et Lamballe, se trouvaient également exclus. Les municipalités des deux premiers ne s'inquiétèrent nullement de cette espèce de déchéance. Elles n'ambitionnèrent pas de devenir les rivales de leurs voisines plus favorisées et plus importantes, Dinan et Guingamp.

Même, au cours de la Révolution, s'il arriva que des hommes de leurs circonscriptions exerçassent une profonde influence, ce fut presque toujours en dehors de l'étendue de leurs districts. Aux Armez, aux Le Provost, aux Pouhaër, aux Couëssurel il fallait une scène plus vaste. Les districts de Pontrieux et de Broons avaient vécu dans un calme relatif, comme en dehors de la tourmente. Leurs directoires s'étaient volontairement restreints à leur besogne administrative.

Lamballe sembla aussi au début prendre parti de son exclusion. Mais il y avait toujours dans cette ville un noyau de personnes turbulentes, dont l'influence finira par prévaloir ; mais ce ne sera qu'en 1811.

Donc deux protestations : celle de Rostrenen, parce que sa pauvreté même exigeait qu'on y maintint les institutions dont la Révolution l'avait dotée ; celle de Lamballe, parce que, tout au contraire, elle avait beaucoup perdu au régime révolutionnaire et qu'il était juste qu'on lui rendit sa prospérité disparue ...

... Dès le 19 pluviôse IX (8 février 1801), le conseil municipal de Rostrenen adressait directement une pétition tendant à obtenir une sous-préfecture aux ministres de l'Intérieur et de la Justice. « Rostrenen, y lisait-on, chef-lieu de District, fut originairement distribué en neuf cantons et arrondi de trente belles communes [Note : Rostrenen, Glomel, Kergrist, Plouguernével. Botoha, Canihuel, Peumerit-Quintin, Plounévez-Quintin, Sainte-Tréphine. Botmel-Callac, Calanhel, Plusquellec. Carnouët. Duault-Quélen, Locarn, Mesle-Pestivien. Laniscat, Gouarec, Plussulien. Mesle-Carhaix, Le Moustoir, Paule, Trébrivan, Treffrin. Mellionnec, Lescouët, Perret, Plélauff. Treogan, Plévin. (D'après D. Tempier. Rapport au Préfet. Loc. cit.)].

Rostrenen se trouvait positivement le centre, distant de 4 à 5 lieues des plus éloignées.

Rostrenen avait un tribunal civil, 9 justices de paix, un receveur de district, un bureau de poste, un de conservation des hypothèques, trois bureaux d'enregistrement [Note : Rostrenen, Kergrist-Moellou, Plouguernével, Bonen (trêve), Locmaria-Gaudin [trêve], Mellionec, Plélauff, Lescouët, Perret [trêve]. Tréogan, Trégornan [tréve], Plévin, Mesle-Carhaix, Le Moustoir [trêve], Glomel, Saint-Michel [trêve], Paule, Gouarec, [trêve]. Callac, Plusquellec, Botmel [trêve], Calanhel. Landujean [trêve], Duault-Quélen, Locarn [trêve], Saint-Nicodème [trêve], Burthulet [trêve]. Mesle-Pestivien, Le Loch [trêve], Carnoët, Saint-Corentin [trêve]. Trébrivan, Treffrin. Saint-Nicolas-du-Pélem, Botoha, Canihuel [trêve], Sainte-Tréphine [trêve], Plounévez-Quintin, Trémargat [trêve], Laniscat, Saint-Gelven [trêve], Rosquelven [trêve], Saint-Igeau [trêve], Plussulien. Peumerit-Quintin. (Arch. Dép. des C.-d.-N. L. 7 J 4, ff. 20-21)], une masse d'imposition de 300.000 francs, année commune, une population de 50.000 âmes, en un mot Rostrenen avait tous les établissements que pouvait avoir un district considérable et considéré.

A la suppression des districts, il devint le lieu d'établissement de quantité de caisses publiques (Cf. registres de police). Alors même sa situation parut telle au gouvernement qu'il y conserva un tribunal criminel.

... A la formation des nouveaux arrondissements, des douze représentants des Côtes-du-Nord un seul (Mathieu Le Mée) était resté au Corps Législatif. Rostrenen alors agité par les troubles qui déchiraient les départements de l'ouest était nuit et jour en armes, comptant que ses preuves multipliées de civisme, jointe à sa localité décisive, le classait de droit comme tribunal correctionnel dans les nouveaux arrondissements ».

Et pourtant Rostrenen n'a pas obtenu de sous-préfecture. On ne lui conserve pas même son tribunal, dernier souvenir, sous le régime nouveau, de ses soixante juridictions de jadis. Encore si la ville était industrieuse et prospère !... Et à nouveau la pétition fait valoir le civisme dont les habitants ont fait preuve à l'époque de la Chouannerie. « … Rostrenen mériterait d'ailleurs des égards, ne fût-ce que par les pertes qu'il a essuyées dans la Révolution sans cesser d'y demeurer attaché. Ce n'était pas assez de la perte de ses établissements. Un moment fatal est venu achever sa ruine. Des ordres d'évacuer du soir au lendemain, ont causé le pillage et la proscription de ses habitants chassés de leurs foyers et dispersés en différentes villes pendant deux mois et plus.

Il nous en coûte de rappeler ici le souvenir de ces scènes d'affliction, mais innocents de nos malheurs, nous ne pouvions résister au désir, comme à l'espoir de les voir réparer, etc... » [Note : Le 25 nivôse (15 janvier 1801) le conseil municipal de Kergrist-Moëllou avait demandé l’établissement d’un tribunal de 1ère instance à Rostrenen].

Une telle pétition valait tout au moins d'être examinée, alors même qu'on n'y eût pas déféré. Un coup d'œil jeté sur une carte des départements bretons aurait fourni encore un nouvel argument en faveur de l'établissement d'une sous-préfecture à Rostrenen : c'est l’éloignement de son chef-lieu, Guingamp, et d'une manière générale l'éloignement des autres chefs-lieux, Loudéac et Pontivy. A une époque où, pour améliorées qu'elles fussent, les communications laissaient encore beaucoup à désirer, notamment dans la Cornouaille, ont eût pu juger cette création utile, sinon indispensable.

L'argument défavorable que l'on aurait pu tirer de la faible importance de la ville aurait paru bien faible en comparaison des sacrifices réels qu'elle s'était imposés depuis 1789, et d'ailleurs l'exemple voisin de Montfort-sur-Meu, en Ille-et-Vilaine, eût pu suffire à le détruire.

Il est permis de penser enfin que l'établissement d'une sous-préfecture à Rostrenen, au centre d'une région si longtemps délaissée, pouvait avoir d'heureuses conséquences politiques et sociales...

La pétition du conseil municipal de Rostrenen méritait donc, pour toutes ces raisons, d'arrêter l'attention du ministre. Il n'en fut cependant rien et le 22 germinal (12 avril), Lucien Bonaparte signifiait dédaigneusement à Boullé, préfet des Côtes-du-Nord, que cette pétition ne pouvait être prise en considération. « ... Les consuls ont décidé qu'il ne serait fait, quant à présent, aucun changement aux circonscriptions établies par la loi du 28 pluviôse VIII ». Il priait en outre le préfet de rappeler « ce fonctionnaire [le maire]... à l'ordre hiérarchique de la correspondance » (Arch. Nat. F 2 1-507).

Il est très probable qu'une telle réponse n'eut pas seulement pour résultat de détruire les velléités ambitieuses de Rostrenen, mais qu'elle eût aussi de modérer celles des habitants de Lamballe. Ardents et turbulents même, comme ils s'étaient montrés pendant la Révolution, leur abstention jusqu'en 1811 nous paraitrait absolument inexplicable. Seule la crainte d'un refus catégorique pouvait les retenir.

Mais quand, en 1808, par la création du département du Tarn-et-Garonne, il fut avéré que l'Empereur ne comptait plus rester lié par la loi de pluviôse VIII, puisqu'il ne se bornait pas à créer à l'étranger des départements français, et qu'il en formait avec des lambeaux de territoire arrachés aux départements voisins, Lamballe crut pouvoir tout espérer. Elle attendit encore néanmoins des circonstances plus favorables.

Dans sa pétition du 11 mai 1811, le conseil municipal de la commune, fit valoir qu'avant la Révolution, Lamballe avait été le chef-lieu du duché de Penthièvre, que près de soixante paroisses ressortissaient à sa juridiction comme à sa subdélégation, que 180 justices seigneuriales en relevaient. « Le barreau, ses diverses administrations, faisaient vivre dans son sein une foule de familles ».

Lamballe, très prospère, faisait un commerce considérable de grains, avait des manufactures florissantes. Cent maisons nobles « consumaient » leurs revenus au milieu de leurs propriétés.

La Révolution lui a ravi tous ces avantages. Aussi l'Assemblée Constituante pour compenser les pertes que la ville avait subies lui donna un directoire et un tribunal de district. La constitution de l'an III l'en a dépouillé.

« Le receveur général du département des Côtes-du-Nord [Note : M. Le Mée], continuait la pétition, présenta le 19 frimaire an V (9 décembre 1796), un projet de division du département en cinq arrondissements de perception. Ce projet, approuvé le 8 ventôse suivant (26 février 1797) par le Directoire Exécutif, a servi de base à la division en cinq arrondissements communaux du Département par la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800), sans considérer l'éloignement respectif de chaque commune de son chef-lieu ni l'avantage des administrés.

Lorsqu'on discuta la nouvelle division des départements en arrondissements communaux, tous les membres du Tribunat convenaient qu'elle renfermait beaucoup d'inexactitudes que le temps ferait connaître et qui seraient rectifiées. Ils ajoutèrent que certain arrondissements leur paraissaient trop étendus ; qu'en administration l'intérêt général se composant des ménagements apportés à la conservation des intérêts particuliers, les réclamations fondées sur des raisons solides y feraient apporter les changements que l'on jugerait nécessaires. C'est sans doute, d'après ce principe, que Votre Majesté a, par son décret du 4 novembre 1808, créé le nouveau département de Tarn-et-Garonne... » (Arch. Nat. F 2 1-507).

La pétition faisait remarquer en terminant que Lamballe compte 3873 habitants et que les communes avoisinantes qui ont intérêt à l'avoir pour chef-lieu en ont 56.000 ; que les départements du Calvados, de la Charente-Inférieure, de l'Ille-et-Vilaine « moins populeux » que celui des Côtes-du-Nord ont six arrondissements. Le conseil municipal de Lamballe, mieux avisé que celui de Rostrenen, transmit sa pétition à l'Empereur par la voie hiérarchique.

Le 2 août, on demandait l'avis du conseil du 2ème arrondissement [Note : Les signataires sont Denis, président, Leuduger-Fortmorel, Le Breton, Veillet-Dufrêche et Morand] à ce sujet. La faible distance qui séparait Lamballe de St-Brieuc, le désir de ne pas amoindrir l'importance de l'arrondissement de St-Brieuc firent que la majorité désapprouva le projet.

Pour les mêmes raisons, le 22 août, le Conseil Général du département [Note : Les signataires sont Peltier, Pierre Carré, Quérangal, Le Gorrec, Y. Lavergne, Ribault, Perrin, J.-M. Morice, G. Viet, Daniel-Kérinou, Buhot-Kersers, Corouge-Kersaux et Deminiac] émit également un avis défavorable.

Dès lors le rejet de la demande de Lamballe ne faisait plus de doute. En novembre 1811, le préfet des Côtes-du-Nord, Boullé, baron de l'Empire, recevait la mission d'avertir la municipalité du refus de l'Empereur. Les formes furent moins dédaigneuses que pour Rostrenen : Lamballe était victime de son voisinage avec St-Brieuc. Plus éloignée du chef-lieu du département, peut-être aurait-elle obtenu satisfaction.

L'œuvre de M. Le Mée, ancien receveur général, devait donc être maintenue. Encore aujourd'hui, à part quelques modifications cantonales ou communales, elle n'a pas varié. Les Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) ont toujours les mêmes cinq arrondissements et rien ne fait prévoir qu'un sixième puisse y être désormais créé. Les arguments qui militeraient en sa faveur, auraient encore beaucoup moins de poids qu'ils ne pouvaient en avoir en 1801 ou en 1811.

***

Comment allait être recruté le personnel administratif et judiciaire ? C'est ce qui nous reste désormais à examiner.

Au 18 brumaire (9 novembre 1799), le département des Côtes-du-Nord comptait douze représentants. Le Sénat Conservateur n'en maintint qu'un seul au Corps Législatif, Mathieu Le Mée. De ce fait, onze représentants, pour la plupart sans fortune, allaient se trouver dépourvus de situation. Presque tous avaient accepté, dès le début, les principes révolutionnaires et avaient rempli une belle carrière administrative. Hommes de loi ou procureurs [Note : Seuls M. Le Mée et P. Guyomar étaient négociants] avant la Révolution, ils avaient renoncé à leur gagne-pain, et maintenant qu'il y avait pléthore d'avocats, d'avoués et de notaires, ils couraient risque de se trouver sans ressources.

Si une entente spéciale, un flair particulier, avait pu permettre à certains spéculateurs [Note : Comme par exemple Louis et Joseph Morand] de s'enrichir par l'achat des biens nationaux, qu'ils payérent à une époque favorable, nous devons reconnaître que la majorité des représentants et des administrateurs n'en profita que fort peu.

Aussi les anciens députés, les anciens administrateurs usèrent-ils de leurs influences pour obtenir des places rémunératrices et honorifiques. Disons tout de suite qu'ils avaient chance de réussir, car Bonaparte eût été bien embarrassé de choisir ses préfets, ses sous-préfets et ses juges en dehors des personnalités révolutionnaires.

C'est en ventôse, germinal et floréal que furent désignés les préfets, les sous-préfets et les membres du conseil de préfecture du département des Côtes-du-Nord. La liste en est intéressante. Le préfet était Boullé [Note : Du 24 germinal, l'an VIII (14 avril 1800). « Séance tenue par les citoyens Le Prévost, président, Brichet et Benjamin Delaunay, adnimistrateurs. Présent le citoyen Barbedienne suppléant le commissaire du gouvernement. Le citoyen Loncle, administrateur, absent à raison de commission, à lui donnée par l'administration pour l'exécution de la loi du 4 vendémiaire VIII (26 septembre 1799). - L'administration instruite que le citoyen Boullé, du Morbihan, nommé préfet de ce Département, était arrivé hier en cette ville, se transporta auprès de lui, environ les 7 heures du soir, pour lui témoigner sa satisfaction particulière de le voir rendu au chef-lieu de l'exercice de ses fonctions et pour lui demander à quel moment il lui serait commode de s’installer. Le citoye Boullé, ayant exprimé sa sensiblilité relativement à cette démarche, répondit qu’étant porteur de sa commission, il avait l'intention de se présenter aujourd'hui au local du Département, pour se faire reconnaître et être installé avant midi. - L'administration municipale du lieu les chefs militaires et de la garde nationale sédentaire, infirmés de cette circonstance, ont fait leurs préparatifs, pour recevoir le préfet avec les marques d'honneur dues à son caractère personnel, comme au titre de principal magistrat du Département dont il se trouve revêtu. - Les membres des corps civils et un grand nombre de citoyens se sont rendus au lieu des séances du Département pour prendre part à la cérémonie. - A onze heures l'administration municipale est allée, accompagnée de la troupe sous les armes, et au son de la musique, prendre le citoyen Boullé à l’hôtel où il était descendu. - Peu de temps après le citoyen Boullé, accompagné de la municipalité et d'une foule de citoyens, s’est présenté dans la salle des séances du Département, où il a trouvé les administrateurs. Il a annoncé que le premier Consul lui ayant fait l'honneur de le nommer préfet de ce Département, il se présentait pour en remplir les fonctions, après avoir justifié de son titre. A l'instant il a exhibé son brevet et un acte du 19 de ce mois (9 avril 1800) qui constate qu'il a prêté le même jour devant le préfet au département du Morbihan le serment prescrit par l'arrêté des consuls du 17 ventôse dernier (8 mars 1800). - Sur sa demande, le président du Département a fait donner par le Secrétaire en chef lecture de ces deux pièces, a décerné acte de leur représentation, de la lecture qui en a été faite publiquement, et ordonné qu'elles seraient littéralement transcrites sur les registres. COMMISSION DE PRÉFET. Au Nom du Peuple Français, Bonaparte, Premier Consul de la République, Nomme le citoyen Boullet (du Morbihan), Commissaire général aux fonctions de Préfet du département des Côtes-du-Nord. Ordonne en conséquence qu'il se rendra à son poste, après avoir prêté le serment entre les mains du premier Consul, ou en celles du Commissaire qui sera délégué à cet effet. Donné a Paris le vingt trois ventôse de l'an VIII de la République française (14 mars 1800). Signé : BONAPARTE, Par le Premier Consul, Le Secrétaire d'Etat ; signé Hugues B. MARET. Le Ministre de l'Intérieur. Signé : Lucien BONAPARTE. Et scellé du sceau du Premier Consul. Copie de la lettre du Secrétaire d'Etat du 5 floréal an VIII (25 avril 1800) au Préfet du Département des Côtes-du- Nord. J'ai fait rectifier à la minute, citoyen, l’erreur qui se trouvait dans l’orthographe de votre nom. Cette rectification sera faire dans l’expédition de l’arrêté qui sert de minute au Ministre de l’intérieur. Signé : Hugues B. MARET], ex-commissaire du Directeur Exécutif près l’administration centrale du Morbihan : les sous-préfets étaient : à Lannion, Le Grontec, homme de loi, ancien administrateur ; à Dinan, Gagon, ex-constituant ; à Loudéac, Barbédienne, homme de loi, ex-administrateur ; à Guingamp, Mauviel, homme de loi, ex-administrateur ; — Les membres du Conseil de Préfecture : Baudouin-Maisonblanche, ex-Constituant, ancien président de l'administration centrale des Côtes-du-Nord ; Jacob, ex-administrateur, évêque du département ; Hello, ex-législateur ; Guynot-Boismenu, ancien député ; Le Minihy, ex-administrateur......


Note : DÉPARTEMENT DU MORBIHAN. EXTRAIT DES REGISTRES DE LA PRÉFECTURE Du Département du Morbihan. Ce jour 19 germinal an VIII de la République Française (9 avril 1800). S'est présenté à la préfecture du département du Morbihan devant moi Préfet du même Département le citoyen Jean-Pierre Boullé, nommé Préfet du département des Côtes-du-Nord, par brevet délivré au nom du peuple français par Bonaparte, premier Consul de la République le 23 ventôse dernier, contresigné par le secrétaire d'Etat Hugues B. Maret et scellé du sceau de la République, que le dit citoyen Bouillé nous a représenté. Nous requérant en conséquence, vu que personne n'a êté à sa connaissance particulièrement délégué pour recevoir de lui le serment qu'il doit prêter pour l’exercice de cette commission, de l'admettre à prêter le dit serment devant moi à quoi déférant, le dit citoyen Boullé a de suite promis et juré d'être fidèle à la Constitution, de laquelle promesse je lui ai fait délivrer le présent acte qu’il a signé sur le registre avec moi et le Secrétaire général de la Préfecture. Pour expédition conforme : signé GIRAUD. Par le Préfet du Morbihan. Le Secrétaire général provisoire : signé CHAPAUD. Inmédiatement après le citoyen Boullé a remis au président une lettre datée de Paris le 24 ventôse (15 mars) adressée par le ministre de l'Intérieur à l'Administration Centrale et au Commissaire du Gouvernement dans le département des Côtes-du-Nord, de laquelle il a été donné lecture comme suit : Paris, le 24 ventôse an VIII de la République française une et indivisible, Le Ministre de l'Intérieur, à l'administration Centrale et au Commissaire du Gouvernement dans le département des Côtes-du-Nord. - Je vous annonce, Citoyens, que la nouvelle organisation administrative va être mise en activité. Le citoyen Boullet vient d'être nommé Préfet dans votre Département. - Vous voudrez bien l'installer en cette qualité, lui faire la remise des archives, lui donner tous les renseignements administratifs et le faire reconnaître par les administrateurs secondaires. - Les administrateurs communaux et de canton doivent continuer leurs fonctions jusqu'à la nomination des sous-préfets. Je vous envoie l'arrêté du Premier Consul qui confirme les Secrétaires généraux. Je compte sur notre zèle pour toutes les notions administratives et locales que vous vous empresserez sûrement de donner au Préfet de votre Département. - En quitant vos fonctions, citoyens administrateurs, agréez le témoignage de satisfaction que le gouvernement vous adresse par mon organe : Salut et fraternité, Signé : Lucien BONAPARTE. Et plus bas, le Secrétaire général, signé… Il a été également donné lecture de l’arrêté dont la teneur suit : LIBERTÉ - ÉGALITÉ. AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS. Du douze ventôse l'an VIII de la République une et indivisible (3 mars 1800) Bonaparte, premier Consul de la République. Arrête : Article 1er. Les Secrétaires généraux des administrations centrales exerceront provisoirement les fonctions de Secrétaires généraux des Préfectures. Article 2. Le Ministre de l'Intérieur est chargé de l'exécution du présent arrêté. Signé : BONAPARTE. Par le Premier Consul, le Secrétaire d'Etat ; signé : Hugues B. MARET. Pour ampliation, le Ministre de l'Intérieur, signé : Lucien BONAPARTE.
« Le président a ordonné le dépôt de la lettre et la transcription de l'arrêté sur le registre,
Et, conformément à la recommandation du Ministre, il a au nom de l'administration, annoncé que le citoyen Boullé était installé préfet du département des Côtes-du-Nord. Il a aussi déclaré que, dès ce moment, et conformément à l'arrêté des consuls du 17 ventôse (8 mars), les administrateurs du département et le commissaire cessaient leurs fonctions. Il a aussitôt cédé le fauteuil au citoyen Préfet qui s'y est placé, et qui a prononcé le discours suivant, à la suite duquel les plus vifs applaudissements se sont fait entendre.
Citoyens du Département des Côtes-du-Nord.
Le Gouvernement m'appelle à remplir dans ce Département les premières fonctions administratives. Bien facilement sans doute il eût pu trouver au milieu de vous plus de capacité et plus de lumières et vous donner à vous-même une garantie plus assurée de l'exécution de ses vœux de bienfaisance. Mais nous devons fléchir sous la règle générale à laquelle il a surbordonné ses propres choix et respecter les motifs qui l'ont déterminé à se la prescrire.
Ce n'est point au reste un homme étranger aux circonstances et aux besoins qui vous pressent qui paraît au milieu de vous. Né dans un département voisin, appelé deux fois à concourir à son administration, je n'ai que trop épuisé l'expérience des calamités publiques que vous avez partagées avec ce Département malheureux.
Mais le Gouvernement veut enfin y mettre un terme et c'est ce qui m'a fait envisager avec moins d'effroi, malgré mon insuffisance, la nouvelle carrière qui s'ouvre devant moi, et m'a déterminé à ne pas balancer à y entrer. Que de motifs, Citoyens, doivent justifier à cet égard votre propre confiance. Par tout ce que le Gouvernement a déjà fait pour le salut de la République et pour la replacer dans le rang qui lui appartient, vous devez juger de ses vues réparatrices. Il n'est point de plaies qu'il ne veuille sonder et connaître parce qu'il n'en est aucunes qu'il n'ait l'intention de cicatriser et d'adoucir. C'est sur les débris de toutes les factions qu’il s’est élevé par la volonté presque unanime du peuple français ; à sa voix tous les partis doivent disparaître avec ces fatales dénominations qui les alimentent et qui ont versé sur nous tant de calamités et de proscriptions qu’il n'existe plus maintenant dans la République que des Français. Ce nom est assez beau pour qu'on le porte avec orgueil. Ramenons comme le veut le Gouvernement, la Révolution vers son principe : à cette égalité devant la Loi qui constitue seule la véritable liberté ; que tous les fonctionnaires publics soient impassibles comme elle, et qu'il n'y ait plus de distinctions à leurs yeux que celles qu'établissent eux-mêmes entre eux par leurs actions les bons et les mauvais citoyens.
Citoyens du Département des Côtes-du-Nord, secondez ces intentions du Gouvernement par votre zèle et par cette soumission aux lois qui constitue seul l'esprit républicain. Quelques sacrifices sont encore nécessaires pour atteindre le principal but qu'il se propose, la douce paix d'où doit découler toutes les consolations et tous les biens. Envisagez ce but et vous vous livrerez avec joie à tout ce qui vous est demandé pour l'atteindre. Que je n'aie à remplir au milieu de vous qu'un ministère de direction et d'impulsion ; que tout se fasse ensuite par patriotisme, et, s'il est possible, que les voies de la contrainte nous soient inconnues. C'est ainsi que vous assurerez vous-mêmes votre tranquillité, que vous marcherez à grands pas vers la prospérité publique et que vous procurerez à vos administrateurs les encouragements dont ils ont besoin et la plus douce récompense de leurs travaux »
.

« Des salves d'artillerie et la musique ont annoncé l'installation du Préfet.

Le citoyen Le Gorrec, ancien secrétaire en chef du Département a exprimé qu'il se soumettait aux ordres que lui donnait le Premier Consul de remplir provisoirement les fonctions de Secrétaire général de la Préfecture ; qu'il ferait ses efforts pour remplir ses devoirs, et par là tâcher de mériter la bienveillance du gouvernement, la confiance et l'estime du citoyen Préfet, l'estime et l'amitié de ses concitoyens.

Il a été arrêté que, pour satisfaire à la recommandation du Ministre de l'Intérieur adressée aux administrateurs de faire reconnaître par les administrations secondaires, le citoyen Boullé en sa qualité de Préfet de ce Département, le présent procès-verbal sera imprimé et envoyé partout on besoin sera.

Conformément à l'article 2 de l'arrêté des consuls du 17 ventôse, l'administration centrale a remis an citoyen Préfet l'inventaire du mobilier dépendant de l'administration.

Le citoyen Préfet a déclaré la séance levée.

Il est sorti dans le même ordre qu'il était entré dans la salle des séances, et a été reconduit à son logement par les membres des autorités civiles et la force publique précédée de la musique.

Clos sous nos seings, la signature du Citoyen Préfet et celle du Secrétaire général provisoire, les dits jour et an.

Le Provost, président ; — Brichet ; Benjamin Delaunay ; — Boullé (préfet) ; — Le Gorrec, Secrétaire général provisoire.

Arrêté le présent registre par moi soussigné Président de l'administration centrale du Département des Côtes-du-Nord, à Port-Brienc, le 24 germinal an VIII (14 avril 1800) de la République française.

Le PROVOST, président.
(Arch. Dép. des C.-d.-N. L. 8-8 ff. 59 à 63)].

Mais bien avant ces désignations, des compétitions s'étaient fait jour. Un des plus ardents solliciteurs et des plus inlassables fut Charles Hello, de Guingamp, le seul qui, à notre connaissance, ait demandé la place de préfet des Côtes-du-Nord.

Son dossier, conservé aux Archives Nationales (F 1 b II : Côtes-du-Nord), est des plus curieux et mériterait plus qu'une sèche analyse. Dès le 21 nivôse (11 janvier 1800), il entre en campagne. Il fait valoir qu'il a quatre enfants, que le malheur s'est acharné sur ses parents et ses alliés au point qu'il doit soutenir douze personnes, dont une infirme. Ses titres, il les énumère avec quelque complaisance. Avant la Révolution, il est notaire royal, archiviste-feudiste et régisseur de plusieurs terres. Il adopte avec enthousiasme les idées nouvelles. En 1789, il est lieutenant de la garde nationale à sa première formation ; en 1790, procureur de la commune de Guingamp ; en 1791, administrateur du District du Guingamp ; en 1792, 1793, 1794, administrateur du département. Retiré en l'an III [Note : Déférant à la loi, le 8 brumaire III (29 octobre 1794), Hello membre du 2ème Directoire du Département opta en effet pour les fonctions de notaire public à Guingamp], le représentant Corbel [Note : Lors de leur mission, Guermeur, Guezno et Grenot avaient trouvé leur collègue Corbel, caché dans le Morbihan, à la suite des événements de juin et de juillet 1793 (Cf, notre étude sur le Fédéralisme). Non seulement ils firent cesser son exil, mais encore le chargèrent de mission dans l'espoir qu'il coopérerait utilement à l'apaisement religieux], en mission dans les Côtes-du-Nord, le nomme à nouveau procureur de la commune de Guingamp ; la même année, il est élu officier municipal. Le Directoire Exécutif, en nivôse IV, le choisit pour son commissaire près l'administration municipale de sa ville, et il en exerce les fonctions jusqu'en germinal VII, où l'assemblée des électeurs l'envoie siéger au Conseil des Cinq-Cents.

Comme la plupart des représentants que le coup d'Etat du 18 brumaire avait mis « en disponibilité », Ch. Hello était resté à Paris [Note : Il habite alors rue Neuve Roch, 121. En prairial il habitera 86, Rue Saint-André-des-Arts], où il était plus facile de multiplier les démarches et où l'on avait plus de chances de recueillir une situation.

Il se rendit aisément compte qu'il n'obtiendrait pas ce qu'il demandait, et, devenant plus modeste, le 24 pluviôse (13 février 1800), il sollicite de Lucien la sous préfecture de Guingamp. Cette sous-préfecture, considérée comme la plus importante du département, excitait d'ailleurs de nombreuses convoitises ; elle faisait l'objet des vœux de Vistorte [Note : Le 26 ventôse VIII (17 mars 1800)], de Nicolas Faisant [Note : Moins difficile, Faisant demande le 23 nivôse VIII (13 janvier 1800) une place quelconque au premier Consul, n'ayant que peu de revenus. Pourtant il avait acheté un certain nombre de métairies de 1ère origine dans les districts de Dinan et de Broons], tous les deux anciens députés aux Cinq-Cents, de l'ancien administrateur Daniel-Kérinou [Note : Le 27 ventôse VIII (18 mars 1800), Daniel-Kerinou demande une place de sous-préfet ou de juge. « Il n'a que 51 ans », etc.], du secrétaire-greffier de l'administration de Lamballe, Hervé, fils, d'autres encore.

Ce fut Mauviel qu'y nomma le premier consul [Note : Nous n'avons que peu d'indications sur Mauviel. C'était un homme de loi de Pontrieux qui en 1790 avait été élu 3ème suppléant au tribunal du District de Pontrieux]. Mais les démarches incessantes de Hello avaient attiré l'attention, et probablement celle d'0llivier Rupérou [Note : On trouvera d'intéressants renseignements sur Rupérou dans la brochure de M. P. Hémon. Le Deist de Botidoux a-t-il trahi les députés Girondins proscrits ? — Paris, Saint-Brieuc 1909. Nous croyons utile de noter qu'a notre avis M. Hémon juge avec une sévérité excessive et Rupérou et l'administration département de 1793. Cf. notre étude sur le Fédéralisme], alors juge au Tribunal de Cassation, qui ne l'aimait pas.

Peut-être n'avait-il pas oublié que les électeurs de l'assemblée extraordinaire de Guingamp le lui, avaient préféré à l'époque du Fédéralisme [Note : Cf. notre étude sur le Fédéralisme] ; peut être, jalousie de clocher, en voulait-il à Hello de n'avoir pas été inquiété par Carrier, alors qu'il était contraint de se cacher ; plutôt n'y avait-il pas entre eux de ces querelles remontant à l'époque où l'un était sénéchal de Guingamp et l'autre notaire royal ?

Toujours est-il qu'un des amis les plus dévoués de l'ancien député au bureau de corespondance de Rennes, Le Bouetté, agent municipal du canton rural de Guingamp [Note : Il est probable que Le Bouetté agissait par rancune personnelle. Il avait été inquiété à l’occasion de ses fonctions par l’administration centrale et il est à croire qu’il en rendait Hello responsable. — Nous n’avons qu’une certitude : c’est que depuis vendémiaire IV, Hello jouissait d’une très réelle influence auprès de l’administration du Département qui lui demandait volontiers avis sur les solliciteurs et les fontionnaires de Guingamp et des environs (Cf. appendice)], résolut de s'opposer à la désignation de Hello, comme sous-préfet du 5ème arrondissement, et écrivit à Lucien la très curieuse lettre suivante, le 28 floréal an VIII (18 mai 1800) :
« Citoyen Ministre,
Nous ne pouvons qu'applaudir à la nomination qui a été faite du citoyen Boullé, pour préfet du Département des Côtes-du-Nord. Les principes de justice et d'équité le rendent cher à tous ceux qui ont recours à lui.
Pour achever de ramener la paix et la tranquillité
[Note : On ne saurait en effet accuser Hello de coquetterie avec les chouans ! Pourrait-on en dire autant de Rupérou, par exemple, auquel rendent hommage Geslin de Bourgogne et de Barthélemy (op. cit.)] dans ce département, il ne s'agit que de placer dans les sous-préfectures des hommes également recommandables par leur sagesse et la droiture de leurs intentions. Ne vous laissez pas de grâce circonvenir par un tas d'intrigants et d'ambitieux qui ne se sont fait distinguer dans la Révolution que par les maux qu'ils y ont causés. De ce nombre est un citoyen Charles Hello, ex-représentant, qui, dit-on, assiège vos bureaux et trotte du matin au soir pour tâcher de se faire nommer sous-préfet de la commune de Guingamp (sic), qui l'a en horreur.
Ce Hello est le fils d'un mauvais tailleur de Guingamp. Quand la Révolution a éclaté il n'avait pas une bonne paire de souliers à se mettre dans les pieds (sic). Il s'est jeté dans cette révolution, parce qu'il a vu qu'en exaspérant les esprits il pouvait s'y faire un principe de fortune, Il ne s'est pas trompé. Per fas et nefas
[Note : Hello acquit un certain nombre de biens nationaux, à Guingamp et aux environs, notamment la maison des Capucins de Guingamp], il a acquis 12 ou 1500 francs de rente [Note : Dans une note fournie au Ministre de l’Intérieur en l’an XI, nous relevons : Hello Charles, né le 24 septembre 1759, 4 enfants, juge de paix, 30.000 fr. de capital], et dès cet instant, il a affiché une insolence qui a révolté tous ceux qui qui l’ont connu.
Au commencement de 1793, il se faisait appeler le petit Danton, parce qu'en effet il a le nez écrasé comme l'avait Danton, Sans avoir la centième partie des talents de son modèle, il en avait l’impudence, la hardiesse et la forme acerbe et atroce. Il n’y a pas un honnête homme, à Guingamp, un vrai patriote, qu'il n'ait vexé, torturé et persécuté. Je ne crains pas de vous dire, citoyen Ministre, que sa nomination à la Sous-préfecture de Guingamp serait un fléau, une calamité pour toute la ville. Je connais de mes concitoyens, des femmes surtout, qui ne récitent jamais leurs litanies sans y ajouter, a furore Hello, libera nos, Domine.
Le citoyen Rupérou, ancien sénéchal de la ville de Guingamp et présentement juge an Tribunal de Cassation, peut vous certifier ce que j'ai l'honneur d'avancer dans cette lettre.
Salut et respect.
LE BOUETTÉ,
Agent du canton rural de Guingamp
(Arch . Nat. F 1 b II, C.-d.-N.).

Le Bouetté et les « réciteuses » de litanies pouvaient se rassurer ; la nomination de Mauviel était faite. Hello était, comme nous l'avons dit, nommé conseiller de préfecture, mais il ne renonçait pas à l'ambition de devenir sous-préfet. Le 13 prairial VIII (2 juin 1800), en avisant le ministre de l'Intérieur qu'il rejoignait son poste, il faisait remarquer que, puisque Barbédienne avait dû démissionner de la sous-préfecture de Loudéac, une permutation serait possible [Note : Barbédienne ne sera appelé au Conseil de Préfecture que le 19 prairial IX (8 juin 1801), en remplacement de Jacob, décédé le 8 précédent (28 mai 1801)]. « Plus libre que lui, dans la position où je me trouve, je puis l'accepter si vous m'en jugez digne » (Arch. Nat. F 1 b II. C.-d.-N.).

Cette sollicitation n'obtint pas plus de succès que les précédentes et Hello resta conseiller de préfecture jusqu'en pluviôse X (février 1802), date à laquelle il fut nommé juge de paix du canton de Guingamp. Il était remplacé par Le Provost de Launay [Note : Il devait démissionner en frimaire XIV], ancien président de l'administration centrale, membre du conseil général du Département.

Moins ambitieux et de beaucoup, Rivoallan avait cependant sollicité une place et de préférence la sous-préfecture de Lannion [Note : Le Grontec, avocat, ancien administrateur du District de Guingamp y fut nommé]. Le 24 nivôse VIII (14 janvier 1800) il faisait passer ses états de services à Lucien Bonaparte, avec lequel il était assez lié. Après avoir exercé la profession d'homme de loi et de juge pendant vingt ans, il avait été élu en 1788 député des communes pour la pacification des troubles des Etats de Bretagne, et en 1789 premier électeur de la sénéchaussée de Lannion. Procureur de la commune en 1790, il devint cette même année membre du Directoire du Département. L'Assemblée électorale de 1791 l'envoie siéger à l'Assemblée Législative. En 1793, on le retrouve « agriculteur à la charrue », membre de l'administration du District de Lannion et « arbitre des différends des cultivateurs ». Nommé en l'an IV commissaire du Directoire Exécutif près de l'administration municipale du canton de Lannion, il conserva ces fonctions jusqu'en l'an VI où il fut élu membre du Conseil des Anciens. Il ajoutait que pendant les années IV, V et VI les « quartiers » qu'il habitait n'avaient point été entamés par les Chouans ; qu'étranger à toute faction, à tout parti, à toute intrigue, il n'avait jamais eu d'autre « coterie » que celle de sa femme et de ses enfants. C'est pour ses enfants qui font son bonheur, mais qu'il ne peut aisément élever, faute de ressources, qu'il sollicite une place. Or la place qui lui conviendrait la mieux serait celle de sous-préfet de Lannion, car il jouit de l'estime et de l'amitié de ses concitoyens.

Trois jours avant de recevoir ces états de services, Lucien qui avait su particulièrement apprécier Rivoallan, trouvant qu'il serait malaisé de le placer dans l'administration, priait son collègue de la justice de lui accorder un poste de juge soit à Paris, soit dans les départements...

Claude Le Gorrec [Note : Né à Mantallot, le 21 août 1768, Claude Le Gorrec avait été en 1788-89 secrétaire particulier d'un commissaire aux Etats de Bretagne puis commis aux écritures chez un négociant. En 1790 il devient secrétaire de l'administration du District de Pontrieux, puis en brumaire IV conservateur des hypothèques également à Pontrieux. Le 14 mai 1815 il sera élu député des Côtes-du-Nord à la Chambre des Cent Jours. (Cf. Le Dictionnaire des Parlementaires : art. Le Gorrec)], secrétaire général de l'administration centrale, puis secrétaire général provisoire de la préfecture, en vertu du décret du 17 ventôse songeait à devenir titulaire de cette charge que devait bientôt occuper Concedieu. Appuyé par son frère Guillaume, par Pouhaër, tous deux anciens députés aux Cinq-Cents et par Mathieu Le Mée, membre du Corps Législatif, il ne rencontra pas l'opposition du préfet dont les rapports avec Concedieu étaient extrêmement tendus. Le secrétaire général avait en effet la prétention d'imposer son entremise obligatoire entre le préfet et les employés des bureaux, c'est-à-dire de réduire Boullé au rôle de préfet « fainéant ». Bientôt la situation devint intenable et Concedieu dut céder la place à Claude Le Gorrec.

Nous n'insisterons pas sur les compétitions aux places de conseillers de préfecture, de juges, etc... Qu'il nous suffise d'indiquer que presque tous ceux, parmi les partisans de la Révolution, qui ont exercé des fonctions à quelque titre que ce soit, sont pourvus par le premier consul [Note : Nicolas Armez sera nommé président du Conseil Général]. Le conventionnel Couppé devient président du tribunal criminel du Département ; Jacque-Ollivier Ribault y est juge ; Pouhaër est nommé président du tribunal de 1ère instance à Saint-Brieuc ; Jean-François Denoual-Duplessix, directeur des contributions directes et membre du jury d'instruction publique ; Jean-Gilles Corvoisier, magistrat de sûreté près le tribunal du 3ème arrondissement ; Vistorte, président du tribunal de 1ère instance à Guingamp ; Lenormant-Kergré, commissaire près ce même tribunal ; Toussaint Prigent, Joseph-René Morand, Honoré Fleury, respectivement juges de paix des cantons de Lannion, Paimpol et Quintin ; Guillaume Le Gorrec, procureur impérial et membre du Conseil général du département, etc...

Tous ceux qui ne recevaient pas de telles affectations étaient appelés à siéger au Conseil général et aux Conseils d'arrondissement (Voir l’appendice).

Le coup d'Etat du 18 brumaire ne semblait donc pas, en apparence, avoir causé de réelles transformations dans le département. Les nouvelles circonscriptions communales concordaient avec les anciens arrondissements financiers ; le personnel administratif, avec des attributions différentes, restait le même ; la forme républicaine était conservée. Mais comme on l'a très heureusement écrit, le Premier Consul avait plus d'autorité que le roi Louis XVI en 1789. Il allait apprendre à ses fonctionnaires à sentir au-dessus d'eux un maître incontesté et respecté, et quand, en 1804, il lui plaira de changer son titre de consul à vie contre celui d'Empereur, il trouvera les républicains de 1793 déjà devenus impérialistes sans le savoir.

(Léon Dubreuil).

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