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LA LUTTE ECONOMIQUE AU DEBUT DE LA REVOLUTION DANS LES COTES-DU-NORD.

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Une affaire de congément à Loguivy-Plougras.

Note : L'ouvrage le plus commode pour se faire une idée exacte du domaine congéable est celui d'A. Aulanier. Traité du Domaine Congéable. — Il sera bon de consulter aussi : Baudouin de Maisonblanche. Institutions convenantières ou Traité raisonné des domaines congéables en général et spécialement à l'usement de Tréguier et de Goëlo ; Edouard Barreau, Etude sur le droit de superficie en droit romain et en droit français (thèse) ; Jacques Vigneron, Le Bail à Domaine congéable ; H. Sée. Les classes rurales en Bretagne du XVIème siècle à la Révolution, pp. 263 à 300.

S'il est un fait sur lequel, à notre avis, l'on n'a pas assez insisté, c'est l'indéniable sympathie avec laquelle la Révolution fut accueillie non seulement chez les bourgeois [Note : On consultera avec fruit notamment le registre des délibérations de la communauté de la ville de Guingamp, (mars 1786-29 décembre 1789). BB. 15, où l'on trouvera la défense présentée par le maire, Lenormant de Kergré, député aux derniers Etats de Bretagne, qui avait été accusé d'avoir trahi la cause du Tiers], mais aussi chez les paysans de Basse-Bretagne [Note : C'est-à-dire des quatre Evêchés de Tréguier, Léon, Quimper, et Vannes, à l'ouest d'une ligne qui partirait de Binic par Châtelaudren et Elven pour atteindre l'embouchure de la Vilaine]. Et ce qui doit être noté aussi, c'est le peu d'aliment qu'y rencontrera plus tard la Chouannerie [Note : Il est en effet à noter que dans l'ensemble, c'est la région de langue française des Côtes-du-Nord qui subit le plus la Chouannerie, notamment les anciens districts de Loudéac, Broons, Lamballe et Saint-Brieuc, — Guingamp et Pontrieux se montrèrent généralement hostiles à ce mouvement]. Si la fièvre « patriotique » [Note : Cf. abbé H. Pommeret. L'Esprit public dans les Côtes-du-Nord] du début tomba bien vite, du moins conserva-t-on une sorte de loyalisme pour le régime qui avait amélioré la condition des classes rurales, les plus nombreuses de beaucoup [Note : On le verra très nettement dans l'ouvrage que nous préparons, sur la Vente des Biens Nationaux dans le Département des Côtes-du-Nord].

Déjà, à la nouvelle de la prise de la Bastille, en certains endroits, les paysans avaient couru sus aux châteaux, désireux de s'affranchir de redevances écrasantes ou ridiculement odieuses, par le brûlement des chartriers [Note : Cf. abbé Pommeret op. cit. : L'affaire de la Touche-Porée en Pleudihen. — Cf. égal. l'affaire des grains de Lannion : Pitre-Chevalier, Le Maout, etc. et surtout Registre des délibérations de la ville et communauté de Lannion (12 octobre 1787-24 janvier 1790), 17]. Mais où la joie fut la plus vive, c'est lorsqu'on apprit que, cédant à un généreux entrainement, les privilégiés, à quelque ordre qu'ils appartinssent, avaient fait abandon de leurs prérogatives et de leurs droits dans la nuit du 4 août. Tous pensèrent qu'avec les autres droits féodaux, le domaine congéable dont ils avaient tant souffert et contre lequel ils avaient fait entendre leurs doléances dans les cahiers, allait enfin disparaître.

Qu'était-ce donc que le domaine congéable, ou si l'on préfère, la tenue à convenant ? C'était un mode de tenure, d'origine fort ancienne, fort obscure et fort controversée [Note : « L'origine du domaine congéable se perd dans la nuit des temps. Pour en trouver les premières traces, il faut, avec le savant Montesquieu, liv. 18, ch. 21, recourir aux moeurs sauvages des hordes vagabondes de Tartares. Un auteur moderne (Baudouin de Maisonblanche) a cherché à justifier cet usement, en disant qu'il eut dans le principe pour objet la culture des terres incultes de la Basse-Bretagne, ce qui est vrai à certains égards... » Mem. de Huchet, Arch. Nat. D. XIV. 3-21. (Nous ne citons cet extrait qu'à titre de document)] qui s'étendait à peu près sur toute la Basse-Bretagne [Note : Vigneron, op. cit. Cf sa carte des principaux usements et domaines congéables en Basse-Bretagne. Il convient d'ajouter que certaines paroisses des environs Saint-Brieuc, comme Ploufragaan connaissaient ce mode de propriété] et qui peut se caractériser par une possession en partie double, celle du fond qui appartient au propriétaire ou foncier, celle des édifices et superfices qui appartient au colon ou domanier, ou encore convenancier. Le foncier avait le droit de congédier le colon à toute époque, sauf convention contraire, à condition de l'avertir un certain nombre de mois à l'avance, et de lui rembourser les améliorations, appelées également droits réparatoires ou convenanciers.

Tel était, dans l'ensemble, la caractéristique du domaine congéable. Mais, il était plus ou moins avantageux pour les tenanciers suivant qu'ils étaient régis par les usements de Tréguier et Goëllo, de Poher, de Porhoët, de Brouérec, de Cornouailles ou de Rohan [Note : Cf. Girard Traité des usemens ruraux de Basse-Bretagne, Quimper 1774], le plus dur de tous.

Que cette tenure ait eu sa raison d'être à l'origine, qu'elle ait été légitime, nous pensons qu'il n'est pas permis d'en douter. Qu'elle fût encore légitime, il le semble parfaitement et Baudouin de Maisonblanche [Note : Cf. notre étude Le Coup d’Etat du 18 fructidor et ses notes] l'avait montré avec assez de bonheur quelques années auparavant, en 1776, dans ses Institutions convenantières. Mais que des abus s'y fussent introduits, que le convenancier ait été souvent victime des exigences excessives du foncier, ou plus encore de son intendant, rien de moins contestable. La presque unanimité des paroisses à réclamer la suppression de la tenue à convenant dans leurs cahiers de doléances, en donne une preuve sans réplique [Note : La publication des cahiers de paroisses entreprise par MM. Sée et Lesort le prouvera surabondamment. Cf. aussi Arch. Nat. Papiers du Comité féodal D. XIV, 3].

Il est bien certain aussi que le domaine congéable n'était pas, dans son essence, « entaché de féodalité ». Mais comme les fonciers étaient généralement ou des nobles, ou des bourgeois acquéreurs de seigneuries nobles et de droits féodaux, ou de riches abbayes, comme celle de Bégard, qui possédait environ 700 tenues à convenant [Note : Cf. Soumission des biens de l'abbaye de Bégard par la municipalité de Guingamp (Arch. Nat. XIV. 3-21)], que, d'autre part, le tenancier se trouvait plus grevé par les droits ou chefrentes qu'il devait à raison de sa tenure que par les droits proprement féodaux, que certaines redevances, vraiment féodales, comme le droit de suite, s'étaient adjointes à la rente foncière et convenancière et en avaient altéré le caractère primitif, la confusion put se faire aisément dans l'esprit du paysan. Nous verrons même, au cours de la Révolution, des avocats, des procureurs [Note : P. ex. Huchet, procureur-syndic du District de Guingamp qui était avocat] soutenir cette thèse, et de très bonne foi.

Enfin les tenanciers semblaient avoir oublié que le foncier était propriétaire légitime du fond en vertu de droits anciens, que rien ne prescrivait. Il arrivait souvent que l'on se succédât de père en fils, pendant plus d'un siècle dans le même logis, que l'on cultivât les mêmes terres, et l'on s'imaginait qu'était intervenue je ne sais quelle prescription qui aurait assuré au colon non pas seulement la possession des superficialités, mais aussi celle des foncialités. Dès lors l'obligation de payer la rente convenancière soit en boisseaux de froment, de seigle ou d'avoine, soit en argent, soit en oies grasses et demi-poules blanches [Note : Cf. les diverses soumissions de la municipalité de Guingamp (Arch. Nat D XIV, 3-21)], le congément, même la faculté de faire exponse, c'est-à-dire d'abandonner sa tenure suivant certaines règles déterminées, apparaissaient au paysan impatient de posséder en pleine propriété comme singulièrement vexatoires.

Du fait de la suppression des privilèges au 4 août, les tenanciers estimèrent qu'ils allaient posséder, sans avoir besoin d'acquérir [Note : Tous ne le pensaient pas. Il suffit de feuilleter les premières pages du 1er registre d'enchères et de ventes de biens nationaux du District de Guingamp (Arch. Dép. des C.-d.-N. Q. 963) pour se rendre compte que de nombreux tenanciers soumissionnèrent des rentes foncières et convenancières, notamment à Pédernec, Tréglamus, Guénézan, etc.]. Toute une littérature va éclore qui s'efforceza de démontrer ou de détruire la légitimité du domaine congéable. A la tête des premiers se distinguait le théoricien de cet usement, Baudouin de Maison-blanche, député de la sénéchaussée de Lannion aux Etats-Généraux, dont l'influence allait être si considérable au cours de la discussion de la loi du 6 août 1791. Propriétaire de domaines congéables, il allait encore en acquérir sous le régime de cette loi [Note : On a prétendu le contraire. Mais voici notamment une lettre du Directoire de Département du District de Lannion, du 10 octobre 1792 qui ne permet pas d'accepter une telle dénégation. « Il existe une discution entre les citoyens Baudouin et Cadiou sur la propriété d'un même convenant qui leur a été séparément ajugé. Comme par l'art. 19 de la loi du 27 aoust der, les adjudicataires de pareils biens ont la liberté de renoncer à leurs adjudications et de se faire restituer le prix qu'ils en auront payé, nous présumons que les citoyens Cadiou et Baudouin useront de ces droits et qu'il est inutile de prononcer sur leur discution. Nous avons donc arrêté de vous écrire pour leur en conférer, les avisager s'il est possible, prendre d'avec eux par écrit leurs intentions quelconques, et si l'un d'eux se désistoit de son adjudication, que l'autre y persistât, alors ce dernier restroit (sic) propriétaire ». Arch. Dép. des C.-d.-N. Bureau des Domaines 3ème registre de corresp. f. 394], et y renoncer après la promulgation de la loi du 27 août 1792. Mais dans le département des Côtes-du-Nord, il était peu suivi. C'est à peine si, dans les nombreux papiers du Comité féodal, nous avons pu trouver deux partisans déclarés des convenants, Armez du Ruclé [Note : Le 1er mars 1790, Armez du Ruclé (frère cadet du procureur général syndic), écrit du Bourblanc, prés de Paimpol, au Comité féodal, que parmi les « matières traitées » aux fédérations de Pontivy quelques-unes n'ont pas été publiées. « Il transpire qu'il y a, entre autres, été question des droits féodaux et convenanciers ». Propriétaire des deux espèces de biens, il a applaudi aux décrets qui ont aboli les fiefs et il attend avec résignation ce qui sera décidé pour les convenants d’autant mieux que ce qu’il perdra d’un côté, il le gagnera de l’autre. Mais tous les propriétaires ne sont pas dans son cas, et le respect que l’Assemblée Nationale porte aux propriétés l’oblige en quelque sorte à lui faire part de ses idées sur cet « usement local ». Certe le régime des convenants renferme des abus, mais il y a loin de là à leur suppression. Ce sont des fermes par excellence : elles réunissent le triple avantage d’être profitables au propriétaire foncier, au cultivateur ou colon domanier, et à l’agriculture, puisque telle ferme, délabrée par une mauvaise administration, donnée à convenant, augmente le revenu du propriétaire, prend une nouvelle forme, se régénére, pour ainsi dire, sous la main du cultivateur ou colon, dont la jouissance se perpétue en raison des améliorations. En vain objecteroit-on que cette espèce de bien ne s’est établie que par une usurpation ; qu’on doit par conséquent investir le colon de la liberté de rembourser le propriétaire, enlever même à celui-ci la propriété des bois fonciers qu’il s’est réservé par le bail à convenant, sous le prétexte que l’autre en sera meilleur économe. Cette morale ironique se pratiqueroit à peine dans un bois. On y dépouilleroit le voyageur, mais on ne lui diroit pas que c’est pour ménager ses hardes. « Nous, Messieurs, et j’oppose aux détracteurs des convenans un argument sans réplique. Je soutiens, d’après l’expérience journalière qu’il n’est aucun fermier qui ne donnât de bon cœur des épingles, des gants, ou une augmentation de revenu pour jouir à titre de convenant, malgré la féodalité dont ce bien est frappé, de ce qu'il tient à ferme… » (Arch. Nat. D. XIV 3.21)], de Paimpol et Le Dissez [Note : Mars 1790. « Réflexions d'un laboureur armoricain [Note : Pierre Trémeur Le Dissez de Penanrun, autrefois sénéchal de Rostrenen, puis sénéchal de Lamballe, propriétaire de domaines congéables dans la région de Rostrenen et Carhaix] sur le domaine congéable de Tréguier, adressées à MM. du Comité féodal. « Messieurs, — Quoique plus habitué à remuer la terre qu'à manier la plume, aujourd'hui cependant que chacun parle du domaine congéable, et chacun suivant l'idée qu'il en prend, on l'intérêt personnel qui agit sur ses sens, je vous prie de permettre que je hasarde aussi mes réflexions. J'ai quelques rentes ronvenancières et je cultive des droits convenanciers, ce qui devroit neutraliser ma façon de voir, et malgré cela je ne puis être tout-à-fait neutre. — Je mets à coté l'usement de Rohan et quelques autres qui me sont étrangers : nonobstant que le domaine congéable de Cornouaille ressemble (excepté peu de chose) à celui de Tréguier, J'écarte aussi le premier pour ne m'occuper que du second sous le régime duquel je suis né. — Le domaine congéable est pour l'évêché de Tréguier ce que l'usage des fermes est pour les autres lieux. Ses principaux effets sont : 1° de travestir la ferme ou la métairie, dans une autre forme de tenue que les praticiens appellent convenant, — 2° d'échanger le prix du fermage avec une redevance représentative qu'ils nomment rente foncière et convenancière, ou rente domaniale ; — de diviser le propriété actuelle et d'y assigner au tenancier une place distincte et séparée, mais qui ne s’étend que sur la surface. — Le domaine congéable, fait donc deux possesseurs ; le possesseur du fond qui reste inaliéné, et le possesseur des édifices et superfices que le premier aliène pour une somme d'argent, subordonnée à leur valeur, ou au revenant bon que l'aliénation envisage. — Le possesseur du fond s'appelle dans notre langage propriétaire foncier convenancier ou propriétaire domanial, et le possesseur des édifices et superfices colon, convenancier, domanier ou superficiaire. Ces quatre désignations sont synonymes. — Le premier contrat, qui détache du fond les édifices et les superfices, ou les droits convenanciers, donne ouverture aux lods et ventes sur le prix payé pour leur valeur ; il (le demanier) se rédime ainsi du fief envers lequel lui et ses successeurs demeurent perpétuellement déchargés de tout genre de devoir et de service. — La durée de ce contrat est de neuf années, après lesquelles s'il ne couvre pas sa tenue d'une nouvelle assurance, il risque d'être congédié, soit par le propriétaire domanial, soit par celui à qui il en donne la faculté. Cette faculté qui produit des deniers d'entrée, est un droit utile dont la privation serait trés préjudiciable au possesseur du fond, et voici comment. — Le grand produit des convenans est entre les mains des colons qui payent des redevances, plus ou moins médiocres suivant les cantons : de là vient l'usage périodique des deniers d'entrée qui compensent, chez le propriétaire foncier, la médiocrité annuelle de sa recette. — J'aurois dû, Messieurs, vous dispenser de ces détails scolastiques, mais j'ai pu croire que quelques-uns de vos membres ne seroient pas fâchés d'être plus que moins instruits sur la nature d'un bien peu connu, hors du recoin on il est confiné. — Il seroit peut-être dangereux, et trop contraire au droit de propriété de confondre le bail à rente foncière et domaniale, avec le bail à simple rente, de laquelle l'Assemblée Nationale a décrété le franchissement. Dans le dernier cas, le preneur est investi du droit in tota re et placé in loco domini à la charge d'une redevance dite à la vérité foncière, mais moins pour signifier la retenue du fond que pour indiquer une pure délibération. — Au contraire, dans le bail à domaine congéable, on ne touche point au fond, seulement on l'isole, en le détachant de la superficie. Non seulement ce détachement place chacun sur sa ligne de propriété mais il est tellement réel et d'un genre si physique que lorsque le détacheur veut rentrer dans les choses détachées, ce n’est pas le prix qu'il a reçu qu'il doit rendre mais ce qu'elles peuvent valoir, à dire de priseurs. — On ne voit rien de contraire au négoce de la superficie ni dans le catalogue des lois, ni dans les règles du droit commun ni dans l'ordre de la nature. — Dans le catalogue des lois, tout ce qui n'est pas défendu est permis. Or rien ne défend d'aliéner les édifices et superfices, en retenant le fond qui les supporte. — Dans le droit commun, chaque canton peut avoir le sien. Or le droit commun de l'évêché de Tréguier est le domaine congéable. — Dans l'ordre de la nature, la terre ne subsistoit pas sans surface, mais elle subsistoit sans édifices et superfices qui ont sorti des mains de l'industrie pour les besoins ou la commodité du genre humain. Or sans offenser le droit de nature, l'homme peut faire une branche de commerce de tout ce que ses soins y ont ajouté. — Par rapport aux édifices et superfices, le domanier a tout le droit à la chose qu'il maîtrise à sa volonté, relativement au fond, dont il n'a que la détention usuelle, et à cet égard comparable à celle du fermier : ce seroit une injure même que de lui supposer un instant de substitution dans la place du propriétaire. Si, après le terme de son assurance expiré, il continue à jouir de la terre, seroit-ce pendant un siècle (ce qui arrive souvent) c'est parce qu'elle est le gage et la caution des reprises dont il attend le remboursement, et des lors il ne fait qu'ajouter au calcul de sa condition passive et précaire. — La position du débiteur des rentes déclarées franchissables par les décrets du mois d'août est tout autre : 1° il possède en son nom la totalité du bien, ce qui lui attribue une sorte d'aptitude à se libérer des charges qui molestent sa propriété ; — 2° il ne possède pas à la charge dêtre lui-même amovible et remboursable, de sorte que les décrets rendus en sa faveur ne doivent pas s'étendre jusqu'à de simples superficiaires, qui jouissent à des conditions tout-à-fait opposées. — Ils n'ont nul droit au fond, exactement distinct et détaché des édifices et superfices qui seuls composent leur part. Il seroit donc plus qu'étrange que sous prétexte des uns, ils pussent se rendre maîtres de l'autre, contre la loi du pays et leurs propres titres ; qu'ils parviennent ainsi à exproprier tout le monde et à renverser la fortune de tant de familles qui vivent sur la foi publique et sous la sauvegarde des conventions. — Au reste, Messieurs, je ne connois pas bien ni le but de ceux qui ont tant déclamé contre le domaine congéable ni la nature des reproches qu'ils lui font. Dans cet état je me fais à moi seul des questions et des réponses. — Est-ce parce que l'usement de Rohan est dur à réformer ? mais l’usement de Rohan et l'usement de Tréguier sont deux usemens qui ne se ressemblent presque pas. — Est-ce parce que l'usement de Tréguier dit qu'on peut congédier toutes fois et quantes ? Mais c'est une mauvaise branche qu'il faut couper, sans qu'il faille détruire le corps. — Est-ce parce que les superficiaires qui profitent des émondes, et autres fruits des arbres, ne disposent pas aussi du corps attaché par les racines au fond et reputé en faire partie ? Mais il est facile, il importe même à l'intérêt commun de prendre sur cette partie des tempéramens ultérieurs, qui, sans exproprier aucun, puissent suffire à la satistaction de tous. — Est-ce parce que les formalités de justice vexent l'exercice des congémens ? Mais l'organisation du pouvoir judiciaire va bientôt prononcer sur le sort des formalités de justice. — Est-ce parce que le domanier est sujet à la jurisdiction et au moulin de son seigneur foncier ? Mais la jurisdiction et la banalité du seigneur foncier sont abolies. — Est-ce parce que le superficiaire convenancier peut être congédié après un premier bail, s'il ne s'assure pas d'un second, ou après un second, s'il ne se munit pas d'un troisième ? Mais la position du fermier est la même et on ne reproche rien aux fermes. — Est-ce parce qu'à la fin de son bail il propose et paye ordinairement des deniers d'entrée pour obtenir un autre et que sans cela il risque d'être remplacé ? Mais les fermiers sont dans le même usage, surtout en Basse-Bretagne, et cependant on ne parle pas de les rendre propriétaires des biens affermés. — Est-ce parce que le propriétaire foncier peut ou rembourser le colon, malgré ses offres, ou le faire rembourser par un autre ? Mais autrement le mot de Liberté serait un mot dérisoire. — Est-ce parce que le colon ne peut pas à son tour contraindre le foncier à le congédier ? Mais le colon, si sa condition ne lui plait pas, peut faire exponse et déguerpir. — Est-ce parce qu'en déguerpissant, il perdroit la valeur de ses édifices et supertices ? Mais, sans déguerpir, il peut en faire ou un bail à ferme, ou un contrat de vente. — Est-ce parce qu'il seroit possible qu'il ne trouvât ni fermier, ni acquéreur ? Mais cela est assez sans exemple, et ne pourrait tout au plus passer que pour une privation passagère et commune à tous les genres de propriétés. — Est-ce parce que le domaine congéable seroit destructif de l'agriculture ? Mais l'agriculture ne sauroit souffrir d'un mode de tenir, le plus propre de tous les modes précaires, à encourager l'agriculture. Le superficiaire cultive et soigne son champ par l'intérêt qu'il a d'empêcher qu'il ne se détériore ; et le plus ordinairement le fermier néglige le sien par la crainte de le bonifier et de susciter des envieux que l'autre n'a pas lieu d'appréhender, par cela que, si le droit de se faire rembourser ne leur en impose pas, il est toujours sûr de leur vendre le prix de ses sueurs. — Est-ce parce que la nation assemblée abhorre les fiefs ? Mais dès lors elle doit chérir le domaine congéable de Tréguier, et le protéger au lieu de le détruire. — Est-ce parce qu'elle cherche des francs-aleux dans ses décrets du mois d'aout ? Mais précisément elle en a rencontré chemin faisant dans le régime de notre domaine congéable. — Quelques jurisconsultes, voués au droit féodal, avoient cru trouver dans le domaine congéable de quoi étendre leurs principes et l'avoient classé dans le vieux code de leurs visions sous le titre de fief anomal et hétéroclyte. Il est aujourd'hui reconnu que ce fut un rêve et que le fief anomal et hétéroclyte n'est qu'un fief cérébreux. — Qu'il aie ou qu'il n'aie pas principe de fief, tout propriétaire de terres peut les convertir en domaine congéable. Le fief n'agit donc pas sur l'acte de convertissement ; l'acte de convertissement ne peut donc constituer un fief quelconque. — Si le domanier suit la cour et le moulin du seigneur, lorsqu'il en a, ce n'est point par l'effet du régime féodal, puisque le contrat à domaine congéable n'en tire pas son principe, mais plutôt, ou par une suite des abus de ce régime qui, aujourd'hui détruit, n'entre plus en ligne, de compte, ou, ce qui est très probable, par le résultat d'une réserve conventionnelle ou d'un engagement réciproque, tous étrangers à la féodalité. — Je suis avec un profond respect, Messieurs, Votre très humble et très obéissant serviteur, LE DISSEZ, » (Arch. Nat. ibid.)], de Lamballe.

La thèse contraire devait trouver des défenseurs nombreux et véhéments. En janvier et février 1790, les fédérations de Pontivy, reprenant le vœu, presque unanime des cahiers de paroisses, demandera son abolition [Note : Procès-verbal de l'Assemblée de la Bretagne et de l'Anjou tenue à Pontivy, les 15 et autres jours de février 1790 (Paris 1790.). — Cf. également J. Trevedy. Les deux Fédérations de Pontivy, janvier et février 1790. (Vannes et Rennes 1895)]. Et bientôt René-Yves-Maurice Huchet, avocat et procureur syndic du District de Guingamp et Jean-Louis Labat, administrateur du même District, enverront un long factum au Comité Féodal qui, après cet aphorisme : « Voulez-vous avoir des cultivateurs, protégez-les contre la vexation et l'injustice » [Note : En 1758, Royou, recteur de Trébrivan, associé au bureau de Quimper, signala parmi les causes de la décadence de l'agriculture en Bretagne «…. l’avidité des gens d’affaires des Seigneurs, qui ne s’occupent qu’à augmenter les revenus, sans songer qu'en épuisant les colons, ils tarissent la source de ces revenus mêmes ». (Corps d’observations de la Société d’Agriculture, de Commerce et des Arts établie par les Etats de Bretagne. p. 95. Rennes 1760)], émis tout exprès par un des rédacteurs, commencera par ces mots : « Un cri général s'élève dans la Basse-Bretagne contre l'usement du domaine congéable [Note : Très rapidement, nous avons relevé aux Archives Nationales, dans les Papiers du Comité Féodal (D. XIV. 3. 21) les protestations suivantes : celles du Conseil général du Département (1er décembre 1796), des Districts de Guingamp, Loudéac et Rostrenen, des communes de Guingamp, Plouisy. Ploumagaar, Saint-Agathon, Saint-Michel-lez-Guingamp, Belle-Isle-en-Terre, Louargat, Tréglamus, Bourbriac, Moustéru Plésidy, Saint-Adrien, Gurunhuel, Loc-Envel, Magoar Lanrivain, Pédernec, Guénézan, Trégonneau, Pestivien, Plouagat, Bringolo, Goudelin, Plougonver, Lohuec, Plourach, Loguivy- Plougras, Plougras, Plounévez-Moëdec, Camlez, Langoat, Lanmérin, Mantallot, Minihy-Tréguer, Ploguiel, Quemperven, Loudéac, Cadélac, La Motte, Saint-Maudan, Corlay, La Chèze, La Ferrière, Plumieux, Saint-Barnabé,Saint-Etienne, Mûr, Caurel, Saint-Connec, Saint-Guen, La Prénessaye, Saint-Caradec, Le Merzer, Trévérec, Squiffiec, Rostrenen, Botoha, Canihuel, Peumerit-Quintin, Plounévez-Quintin, Sainte-Tréphine, Botmel-Callac, Carnouët, Duault-Quélen, Locarn, Mesle-Pestivien. Laniscat, Mellionnec, Lescouët, Perret, Plélauff, Tréogan, Plévin ; — et même Saint-Julien et Plœuc, dans le District de Saint-Brieuc]. Cinq cent mille bras sont tendus vers l'Assemblée Nationale pour en demander la suppression [Note : Ce mémoire fut approuvé le 28 août 1790 par le Directoire de Guingamp, composé de Vistorte, vice-président, ancien juge et subdélégue, Ansquer, médecin, Labat, agriculteur, Le Grontec, avocat, Huchet, procurent-syndic (Arch. Nat. D. XIV. 3. 21, et F 1 B. II, Côtes-du-Nord. 1). Il a été également publié par Sagnac et Caron : Les comités des Droits féodaux, pp. 490 et sqq] .... ». Adressé à toutes les communes de langue bretonne du département des Côtes-du-Nord, soumises à cet usement, il y rencontra une adhésion presque unanime. Il n'est pas jusqu'à la municipalité de Loc-Envel, au district de Guingamp, qui, le 13 décembre 1790, ne s'y rallie. « Crions tous ensemble à la suppression totale de l'infernal domaine congéable ou à la continuation de la révolte » [Note : Plus loin ils écrivent : «… C'est donc ici que nous avons à plaindre l'esclavage et les fers que cet infernal droit à domaine nous a fait et fait porter. Le meurtre, l'incendie, la ruine, le déshonneur, l'infamie et les forfaits les plus inouïs sont les suites de cet exécrable fief. Mourons donc si un pareil fief n'est pas supprimé...». (Arch. Nat. D. XIV. 3. 21.) — Cf. C. Boulanger. Le Droit de Marché, coutume des environs de Péronne. (Péronne-Paris 1906)]. Et elle conte, avec quel plaisir que le tocsin a déjà sonné dans une paroisse du pays (Loguivy-Plougras), que trois fois des priseurs, accompagnés de cavaliers de la maréchaussée et d'huissiers, sont descendus pour estimer une tenue à fin de congément et que « trois fois ils ont été repoussés par les courageux habitans de cette paroisse. ». On écrit en français, on écrit en breton [Note : Un recueil de documents concernant le domaine congéable dans les trois départements bas-bretons à l'époque révolutionnaire serait infiniment précieux. Il contribuerait beaucoup à faire comprendre les diverses caractéristiques de cette période en Bretagne. Aujourd'hui, on ne fait que commencer à se débarrasser des erreurs sans nombre que des auteurs, cependant consciencieux, avaient accumulées comme à plaisir. La Bretagne, dans son ensemble, est loin d'avoir été hostile à la Révolution comme le fut la Vendée et notamment la Vendée angevine. (Cf. Célestin Port)] « en faut d'avoir inducation » (Arch. Nat. D. XIV. 3), mais partout l'on maudit le domaine congéable.

La première tendance prévalut tout d'abord. La loi du 6 août 1791, rapportée par le député Le Lay [Note : Le Lay de Grantugen, député de la sénéchaussée de Morlaix à l'Assemblée Constituante, avec Mazurier de Pennanech], maintint le domaine congéable, mais supprima des divers usements tout ce qui pouvait rappeler la féodalité, comme l'obéissance à la justice ou juridiction du foncier, le droit de suite à son moulin, la collecte du rôle de ses rentes et cens, le droit de déshérence ou échûte. D'autres avantages encore étaient accordés aux colons, indépendamment de la possibilité d'acquérir la propriété du fond pour ceux d'entre eux qui payaient leurs redevances à des membres du clergé, à des abbayes ou à des émigrés.

En fin de session, la Législative [Note : Des 8 députés des Côtes-du-Nord à la Législative, 5 d'entre eux et le 1er suppléant avaient, comme administrateurs du Département signé la délibération du 1er décembre 1790 tendant à la suppression complète du régime féodal. C'étaient Delaizire, Urvoi, Derrien, Rivoallan, Morand et Rupérou] abolit ce genre de domaine par la loi du 27 août 1792. Mais cette suppression qui devait causer tant de trouble dans les départements bas-bretons, chez les acquéreurs nationaux des foncialités [Note : On en trouve la preuve dans l'abondance des renonciations. (Arch. Dép. Série Q. passim)], qui se trouvaient avoir acheté des droits qu'ils ne possédaient plus dans toute leur extension, ne dura, aggravée par la loi du 29 floréal an II (18 mai 1794), que jusqu'en l'an VI. Le domaine congéable fut alors rétabli (J. Vigneron, op. cit. p. 25) malgré l'opposition de la majorité des députés des Côtes-du-Nord qui, depuis, 1791, devaient en partie leur élection à ce qu'ils se déclaraient partisans de la suppression de cette tenure, ou du maintien de sa suppression [Note : Les élections de l'an VI où N Armez ne put être élu que haut-juré en sont une preuve].

Quoi qu'il en soit ce fut une cruelle désillusion pour les domaniers quand ils apprirent que les décrets du mois d'août 1789 ne pouvaient s'appliquer au domaine congéable. Spontanément, dans toute la Basse-Bretagne, les corps municipaux se réunirent, appelant auprès d'eux les électeurs les plus qualifiés, pour demander une loi, qui le supprimât. Lorsqu'en mars 1791, cette loi eût été promise, l'intensité du mouvement redoubla pour en hâter l'adoption. Partout l'on discutait les propositions de Le Lay, l'on critiquait les assertions de Baudouin de Maisonblanche [Note : Le Coguiec le jeune, notaire et procureur à Quintin, adresse le 25 août un mémoire avec observations sur les Institutions Convenantières de Baudouin de Maisonblanche et sur le Commentaire sur l’Usement de Rohan de Le Guével. « Vous y verrez, MM. les erreurs grossières, les abus énormes et les injustices infinies et irréparables auxquels ces MM. ont donné lieu. » — Le conseil général des communes du canton de Mûr déclare le 2 décembre 1790 : « ..... Le mémoire alarmant qui s'est répandu dans nos cantons de la part de M Baudouin l'un des députés bretons à l'Assemblée législative auroit révolté les trois départements bretons las Côtes-du-Nord, le Morbihan et le Finistère, si nos sages administrateurs de département et de districts ne nous avoient apaisés par les mémoires qu'ils ont eu l'honneur d'adresser à la dite assemblée en impunissement de celui de M. Baudouin… » — Les municipaux de Loc-Envel, réunis à quelques habitants écrivent le 13 décembre 1790, dans la délibération à laquelle nous avons déjà fait quelques emprunts : « … Mais MM vous savez comme nous que c’est un domaine que vous avez cru abolir par les décrets de 4 août et autres jours suivans 1789, et que ce n’est qu’une subtilité de la part de M Baudouin, auteur des Institutions Convenantières, qui le soustrait des autres régimes féodaux …» (Arch. Nat. D XIV. 3-21)], l'on approuvait le mémoire de Huchet « un vrai citoyen » (Délibération de Loc-Envel).

Détail à noter, ce furent les paroisses où l'instruction — la civilisation, allions-nous dire, — faisait le plus défaut, qui adressèrent les premières protestations et les plus énergiques. C'est que les fonciers avaient profité de l'ignorance commune pour aggraver encore les charges des convenanciers, comme cette abbaye de Bégard qui, vers le début du XVIIème siècle, avait inventé tout exprès une mesure particulière [Note : Cf. pétition des rentiers de Bégard du 27 septembre 1790 relativement à la quotité de la mesure a laquelle ils doivent acquitter leurs prestations en grains ; — requête présentée le 18 décembre 1790 au District de Pontrieux par les rentiers de Bégard des paroisses de Trézélan, Pédernec, Guénézan, Botlézan, Prat et Louargat — délibération de la municipalité de Guénézan du 24 septembre 1790 sur une lettre du Directoire de Guingamp (à l'art. 6 la municipalité demande la diminution de la mesure de Bégard) ; — délibération du Directoire de Département du 5 octobre 1790 qui charge le District de Guingamp de vérifier les faits exposés dans la requête du 27 septembre 1790, de l'« assurer de la légitimité » des réclamations des rentiers et de la légalité de la mesure, à laquelle ils doivent leurs prestations ; — l'avis longuement motivé du District de Guingamp du 15 juillet 1791 après enquête de Vistorte, vice-président du Directoire, et de Le Grontec, administrateur (du 8 novembre 1790 an 30 mars 1791), que chaque fois qu'il sera possible les prestations soient acquittées à la mesure de Guingamp ; — la délibération conforme du Département en août 1791 ; — sa lettre du 30 août 1791 au Comité féodal où il expose la nature du débat. Les rentiers de Bégard se plaignent d'avoir payé à one mesure idéale, plus forte que celle de Guingamp « par usurpation de la mainmorte usufruitière toujours avide d'accroissement et par une coalition injuste entre celle-ci et ses protecteurs ou agens ». Le Directoire du Département ordonne provisoirement de payer à la mesure de Guingamp, quand il y aura doute, en vertu de l'art. 4, titre 3, lui du 20 mars : « Lorsqu'il y aura pour raison d'un même héritage, plusieurs titres, le moins onéreux au créancier sera préféré, sans avoir égard au plus ou moins d'ancienneté de leurs dates ». — Arch. Nat. D XIV 3-21. Arch Dép L 7 A 1 ; L 7 G 3 ; 1 Q 10.963. — Cf. également Aulanier, Habasque et Buffe Usages et réglements locaux du département des Côtes-du-Nord 6ème édition 1905 titre 5, chap. II, des anciennes mesures où le boisseau de Bégard n'est même pas indiqué], le boisseau de Bégard plus grand d'un sixième environ que le boisseau de Guingamp ; c'est que dans ces paroisses arriérées, on s'était plus qu'ailleurs, bercé de rêves et de chimères, et l'on s'attendait à une appropriation du sol, non pas au profit des collectivités, comme dans la Russie moderne, mais au profit du fermier, — que l'illusion s'était faite d'autant plus forte que les esprits étaient moins cultivés et que le paysan se laissait aller davantage à sa passion, rarement assouvie, de posséder de la terre qui serait bien à lui. On lui avait dit qu'un régime nouveau, meilleur, plus juste, allait s'établir sur les ruines définitives de l'ancien. Or, pour lui, cet ancien régime se manifestait essentiellement par une oppression économique. Comment la mieux faire disparaître que d'abandonner au travailleur de la terre, et — pour ne pas sortir de notre objet, — au convenancier, en propriété parfaite ce sol dont il n'avait qu'une jouissance précaire !

C'est ainsi que le mouvement se manifesta avec le plus de force dans les distrits de Loudéac et de Rostrenen, dans cette Cornouaille, soumise en partie aux usements aggravants de Cornouaille et de Rohan, avec ces droits de juveigneurie et de déshérence si défavorables aux colons [Note : H. Sée. Les classes rurales en Bretagne du XVIème siècle à la Révolution, pp. 12 et sqq] ; dans cette région forestière [Note : C'est la région des forêts de Coat-an-Nos, Coat-an-Hay et Beffou] encore aujourd'hui si difficile à atteindre de Gurunhuel, Loc-Envel, Loguivy-Plougras [Note : Il convient de noter que l'abbaye de Bégard n'avait pas de propriétés ni de rentes dans ses paroisses. — A noter également que la tenure à convenant n'existait pas sur le domaine du roi. Les communes du canton de Tréguier (à l'exception de Tréguier), en demandant le 15 décembre 1790 la suppression du domaine congéable déclarent que le vœu unanime des cahiers de paroisses en faveur de cette suppression était « fondé principalement sur les motifs qui déterminèrent Henri II de le supprimer en son fief par des Lettres Patentes du mois d'octobre 1556, registrées tant en Chambre des Comptes qu'en Parlement le 5 et 12 décembre de la même année. Ce bon roi étoit vivement persuadé que le domaine congéable étoit une grande servitude, une incommodité, une sujétion en laquelle étoient constitués ses sujets tenant de lui maisons, terres, roturiers et autres héritages. Il envisageoit cette abolition comme le moyen le plus efficace de procurer le repos et la tranquilité de ses sujets et l'augmentation du bien public. En conséquence il ordonna que la servitude du domaine congéable n’auroit plus aucun lieu en son pays de Bretaigne et d'icelle il déchargea les lieux, terres et héritages y sujets. Cette loi a été observée dans les fiefs du roi où les usemens avoient lieu.... » (Arch. Nat. D. XIV, 3)], courbée plus que toute autre, sous le joug des propriétaires nobles, dont l'absentéisme presque permanent permettait à l'intendant de gérer les biens à peu près à sa guise [Note : Cf. la pétition de François Le Guern, cultivateur de cette région. « Loguivy, évêché de Tréguier, district de Lannion, le 20 juillet 1790. A Monsieur, Monsieur le Présidant de l'Assemblé Natiannalle, à Paris. Suppliant très humblement les pauvre veuve et orfelin, et la grandes parties des cultivateur de la Basbretagne, béni soit à jamais le jour et la nuit du 4 oust dernier, la générosités des bon citoyens qui compose cette auguste assemblé, ont dellivré et brisé les fer de l'esclavage qui règnoit dans la plus grandes parties de la France en leur donnant la liberté. Il n'y a que nous Bas Breton qui reste toujours liez par la grandes chênes des cy-devant nobles Lion qui ne cessent dans tout moment de détruire leur brebis. Mais, Messieur, messieur, nous nous mettons sous la main secourable d'une assemblée sy auguste, et sy faisante pour dellivrer tout les captive de leur captivités, et nous espéront, par votre bontés que vous nous receverez sous votre protection, comme les peutit pouté sous les elles de leur mère qui croit estres sauvés de tout périls et dangés, nous espéront aussi estre dellivré de tout captivitez en exposant en peu de mot nôtre douleur très agravante aux yeux d'une assemblée sy auguste et sy bienfaisante. Primo. — Nous avons crier par nôtre premier cayez dolléance contre les receveur, agens, procureur fiscaux des foncier. Il nous reste plus à détruire que les pouvoirs et autorités et le fluance (l'influence) de receveur des cy-devant privilégiés, par la grâce de Dieu et de notre sire pénétré de cœur, inspiré par le ciel de mettre la pay et la justice dans sont royaume, que ce receveur nous mange cher et au sans miséricordes ny considération ; nous somme redevables de rentes foncières au sy-devant privilégié. Sa est juste dessus la plus grandes parties de notre terrain, et nous contestons point. Mais il y a n'a (il y en a) de souffrance dans ce payement. Je tâcherait de vous expliquer le mieux qu'ils me sera possible, la justice des juridiction subalterne qui appertien toute au foncier sont obligés de juger toutes les ans une apprécies des mesures de ville est de toute sorte de grain. Je subpose qu'il sera jugés à 3 # chaque mesure d'espèce de grain. Voilà un jugement fait. Nous allons directement a payer notre receveur comme fondé à recevoir par le foncier à qui nous devons, que nous sommes obligés de lui payer 4#, 4# 10s au lieu de 3#. Le receveur ne luy manque point de finesse pour faire sa quittance au collon par laquelle il déclare avoir reçu en espèce ce que le receveur ne reçoivent presque jamais. Ceux qui payent 20, 30, jusques 40 bausseau par ans, sont totalement ruynés. Il sufit qu'un receveur aura fait des recettes pendant 10, 15, 20 ans. Il deviendra sy riche que le foncier des biens des veuve et orfelin et cultivateur, O Grand Dieu ? du ciel et de la terre est-il possible que nous resteront dans une captivitez si injuste, nous sommes votre frère (en) patriotisme, et que nous espèront avec confiance la réformation antière des attouchement fait par les receveur jusques à ce jour même qu'il sera ordonné au foncier et au receveur de faire une procompte et une véritable restitution, vis-à-vis des pauvres veuve et orfelin et cultivateur, et qu'ils sera fait aux plus proche Ville au domicile de Mr. le Procureur du Roy, sans aucunes formalités de justice sur la vue du titre, et pour empêcher tout discution entre les foncier est le collon, nous vous demandons gracieusement au nom du ciel, de M. le Présidant et de toutes les députés d'une assemblée sy auguste et si bienfaisantes, que toutes les fonciers et autres seront tenu et obligés de communiquer leur titre premordieux au collon avant de toucher leur redevance est qu'il sera fait defence aux foncier et au receveur de faire encune attouchement à l'avenir et de ce jour que conformément aux titre premordiaux ; et que tout les déclaration rendue jusques à ce jour seront déclaré nul, comme étant la plus grande parties de cette déclaration construit par les receveur et procureur fiscaux des foncier qui ont augmentés l'arrantement d'une quart et trois quart et est ant quelque endroit la moytié, Je supplie très humblement Monsieur le Présidant, aussytôt qu’il aura reçu le présent de donner parfait connaissance au membre de la l'assemblé nationnale conformément aux exposé est réclamation par nous fait, et sy vous doutté de la veritez que nous venons d'avancé, ordonné qu'ils sera communiqué de la Basbretagne. En le faisant, les suppliant son obligés de redoubler leur veux pour votre conservation. Nous nous déclarons être bon sytoyens, que nous juron estre fidelle à la nation, et a la loy et au roy et adérer et approuver tout les décret de l'assemblé nationnale jusque le dernier gout de notre sens ? (jusqu'a la dernière goutte de notre sang). La présante réclamation est fait par un cultivateur nommé François Le Guern du village du Cosquer Huet en Plounévez près Bel-ille-en-terre, un des plus grand captive sous la dommination des receveur qui demandes de grace spécialle qui sera rendu un décret conformément aux exposé sous le 29 septembre venant pour empecher les receveur de boire et de mengé le sens des pauvres veuve, orfelin et cultivateur à l'avenir. Ce jour 20 juillet 1790. Leguern, C. Foll, F. Leroux, Joseph Huet ». (Arch. Nat. D XIV. 3)].

Les premières sollicitations que reçut le Comité Féodal sont datées du 5 janvier 1790, et lui sont adressées par les deux communes voisines de Loguivy-Plougras et de Plounévez-Moëdec [Note : Le même jour, des habitants de St-Julien protestaient également. « Nosseigneurs de l'Assemblée Nationale, Les soussignés, habitans de la paroisse de St Julien de la Côte, évêché de Saint-Brieuc, en Bretagne, représentent très humblement, priant leurs députés de Bretagne qui sont aux Etats-Généraux de les regarder en pitié. Ils sont convenanciers de de la Motte-Guiomarais, gentilhomme breton. Il fait abattre tous les bois qui sont sur ses terres, sans diminuer de la rente ; ils seront à l'avenir incapables de payer toutes les rentes et charges qui sont imposée sur leurs terres, si les bois ne leur sont point laissés. Si les maisons ……, ils ne pourront les relever, ni avoir même des ustensiles nécessaires pour la culture de la terre. Nous l'avons anjourd’hui opposé par devant deux témoins, sans lui manquer de respect, ne lui contestant pas à la vérité ses droits, mais voulant que l’Assemblés Nationale eût auparavant décidé sur cet objet. Il ne nous a répondu qu'en nous présentant un fusil chargé à deux coups, sans cependant en venir à l'effet... » (Arch. Nat. D. XIV. 3. 21)], précédant de plus de deux mois celles de Pestivien [Note : 11 mars 1790 : « A chaque neuvième année, ou nous sommes congédiés, ou nous payons une forte somme à la volonté du seigneur pour rester dans nos droits ». C'est ainsi que le marquis du Gage exige 27# tous les neuf ans sur chaque convenant (Arch. Nat. D XIV-3-21)] et des municipalités réunies de Plourach et Lohuec [Note : 20 mars 1790. Ces paroisses demandent que leurs terres soient considérées comme « de la même nature que celle des autres Français ». (Arch. Nat. D XIV. 3-21)] quelques jours avant les déclarations des fédérés à Pontivy (Trévédy. op. cit.).

Nous citerons en entier la lettre des habitants de Lognivy-Plougras. Elle nous aidera à comprendre l'état de leur esprit quand éclatera en 1791 l'affaire du congément que nous nous sommes proposé de retracer et contribuera, du moins, nous l'espérons, à orienter l'histoire des départements vers d'autres études que celles de biographies hâtives, et trop souvent partiales.

Loguivy, diocèse de Tréguier, subdélégation de Morlaix [Note : Les départements n'étaient pas encore constitués. La loi ne fut votée que le 15 janvier. Cf. notre étude ; La délimitation du département des Côtes-du-Nord]. Messieurs nos députés aux Etats-Généraux, Suplient très humblement les citoyens de la Tréve de Loguiry [Note : Plus tard Loguivy-Plougras deviendra chef-lieu de canton], paroisse de Plougras, près de Belile en Terre, disant qu'ils ont avec raison crié par leurs cahiers de doléance [Note : Les cahiers sont à peu près unanimes sur ce point. Le même jour les habitants de Plounévez-Moëdec rappellent que leur cahier formule comme revendications : l'abolition du régime congéable, des banalités de four et de moulin, de la milice, des corvées, franc-fief, centième denier, etc…] et par leurs justes réclamations contre le régime des domaines congéables, les dimes, la banalité de four et de moulin, les corvées, etc... sous lesquels abus ils gémissent depuis plusieurs siècles. Mais comme les congémens ne sont connus que dans une petite partie du Royaume des François, nous espérons, MM. que dès que l'ordre de travail le permettra, vous ne négligerez pas d'attaquer cette espèce de féodalité [Note : Nous avons vu que le domaine congéable n'a rien de féodal dans son essence. Cf. supra] très aggravante au peuple breton. Il n'est pas croyable qu'un monarque et qu'une nation si bienfaisante soulage une partie de son Royaume sans établir le même ordre et la même loi parmi tous les habitans de let nation [Note : C'est un argument qui a été souvent repris. Cf. p. 85. Note 2. — Pourquoi demande Huchet, dans son factum du mois d'août, conserverait-on « dans un petit coin de la France un régime qui dépareroit infailliblement l'unité de lois qu'on se propose, et le sublime ouvrage de la régénération de l'Empire françois ». — Le District de Loudéac écrit, le 12 octobre 1790 : « Nous osons nous persuader qu'elle (l'Assemblée Nationale) ne terminera pas ses utiles travaux sans rendre à la liberté plus des deux tiers des habitans de la ci-devant province de Bretagne qui gémissent sous les lois barbares des usemens, dont l'existence semble heurter de front la constitution libre que vous vous occupez à nous donner... » — De Corlay, le 24 novembre 1790 : « … Le même conseil général (celui de Corlay), déclare s'opposer fermement au projet de décret de M. Baudoin, et à tous autres qui tendroient à perpétuer aucune espèce d'usement particulier, demandant à jouir, comme le reste de la France des avantages d'une loi générale », etc, etc. (Arch. Nat. D XIV. 3-21)]. Les suites qu'entrainent après eux les congémens sont considérables et funestes aux citoyens de Bretagne ; ils sont la cause de la ruine des familles les plus anciennes et les plus respectables, de la mort de plusieurs personnes et de l'incendie de plusieurs maisons [Note : Gabriel Flouriot, procureur de la commune du Merzer, canton de Pommerit-le-Vicomte au District de Pontrieux indique, les mêmes conséquences dans son exposé à la municipalité de Trévérec et aux municipalités voisines : « Aujourd'hui on ne voit que l'oncle congédier son neveu, le cousin congédier son cousin, le frère congédier son frère, le fils même expulser l'auteur de son existence. Voyez, MM. nous vous en conjurons, la haine et la malice que ces malheureux congémens sèment entre des personnes qui étoient et devroient être liées de la plus intime et étroite amitié... Demandez de nos pasteurs, curés, vicaires et autres fonctionnaires publics, quelles sont les difficultés qu'ils ont à réconcilier leurs pénitens au sujet de ces malheureux congémens… » (Dossier remis au Comité Féodal par Gabriel Flouriot le 18 juillet 1790. — Arch. Nat. D XIV-3-21). — Cf. également C. Boulanger. Le Droit de Marché] et la malice qui se conserve jusqu'au tombeau. Veuillez bien, MM. remarqué que la faculté de congédier que donne un noble au demandeur en congément lui coûte une somme de 300, 400, 500 et jusques à 600# ; les frais pour juger ce congément coûte 180# ; les trois priseurs emportent chacun d'eux 150# qui font un total de 900 à 1200# . Par conséquent un convenant qui ne sera prisé que 6000# [Note : C'était d'ailleurs le cas général. On sen rend compte en examinant, par exemple, le proces-verbal d'estimation des biens d'estimation de l'abbaye de Bégard qui est particulièrement précieux à cet égard (Arch. Nat. Q2 42)], la 5ème ou 6ème partie du total de la somme du dit convenant reste entre les mains des nobles et de messieurs les priseurs [Note : Les priseurs ont soulevé des tempêtes contre eux] qui ont jusqu'à présent vécu aux dépens de nos biens et de notre vie ; et comme les nobles ont été l'un juge à l'autre [Note : Les juridictions seigneuriales dont la suppression avait été précédemment prononcée virent cette suppression consacrée par l'art. 2 de la loi du 6 août 1791 sur décret de l’assemblée nationale du 30 mai et des 1er, 6 et 7 juin 1791], nous sommes dans l'impossibilité de défendre aucune vérité. Nous déclarons être toujours fidèles au roi, à la nation et à la loi constitutionnelle. Nous élevons les bois [Note : Cette question des bois a certainement le plus contribué à rendre le domaine congéable odieux aux colons. Les droits du foncier et du convenancier étaient si rapprochés, en cette matière que de là devaient naître d'innombrables conflits. On trouvera un excellent exposé de la question dans Aulanier : Traité du Domaine congéable] sur nos terres congéables et les nobles, nos seigneurs, nous les enlèvent. Veuillez donc, Messieurs, nous préter vos mains secourables en nous tirant de la gueule du noble et des mains pesantes des receveurs [Note : Je ne garantis pas que ce soit le mot du texte que je n'ai pu déchiffrer avec sûreté, mais le sens ne saurait être douteux] qui prennent souvent au lieu du 16ème, le 8ème, souvent le 4ème, et quelquefois le 3ème. Si vous doutez de ce que nous avons l'honneur de vous observer, ordonnez un soit-communiqué aux paroisses de Bretagne du département de Bretagne, et notamment au diocèse de Tréguier [Note : Cette pétition a très visiblement inspiré, tout au moins dans la présentation des arguments, celle de Français Le Guern. On y verra notamment comment se rencontrent des incorrections inattendues, qui proviennent de ce que le rédacteur avait mal compris ce qu'il avait lu, ou l'avait mal retenu. Le document ci-dessus, comme la plupart de ceux que nous citerons, paraît l'œuvre d'un de ces hommes de la loi si répandus dans les campagnes à l'aurore de la Révolution]. Ce faisant les suplians sont obligés de redoubler leurs voeux pour la conservation du roi et de toute l'assemblée nationale. Les citoyens et frères patriotiques de la trêve de Loguivy-Plougras, proche Belile-en-terre, en Bas-Bretagne, ce jour 5 janvier mil sept cent quatre vingt dix, Jean Le Goff [Note : Procureur de la commune], délibérant. Joseph LE BLEVENNEC, Charles LE BRICON, P. LE GALL, Y. BOEC, G. LANCIEN, G. PRIGENT, CAVAN, BOAIDEC, F. LE ROUX, Yves LE LAGADEC, Gme DOURY, LESCOUET, René LE GALL, Sébastien LE LIVISIN, François SALAÜN (Arch. Nat. D XIV. 3-21).

Puis l'on attendit quelque temps avec patience. Mais bientôt les esprits s'exaltèrent, surtout quand, en mars, l'Assemblée Nationale eut promis de consacrer une loi à ce mode de propriété. Les fonciers, craignant d'être dépossédés et résolus à tirer le plus d'avantages possibles de leurs domaines, redoublèrent de vexations, multiplièrent les congéments pour toucher les deniers d'entrée, abattirent, pour les vendre, les arbres que le colon avait plantés pour en récolter les émondes. Les convenanciers, impatients de devenir propriétaires de leurs tenures, montrèrent une extrême mauvaise volonté à acquitter leurs redevances, multiplièrent les délais, opposèrent même parfois la force, comme nous l'avons vu dans la délibération de Loc-Envel que nous avons précédemment citée.

L'effervescence était déjà à son comble quand, en août 1790, le mémoire de Huchet [Note : Un autre mémoire contribuait aussi à cette surexcitation : c'était celui de Le Goff et de Lefèvre, députés extraordinaires de la Bretagne à l'Assemblée Nationale], approuvé par le Directoire de District de Guingamp, fut envoyé à toutes les municipalités des Côtes-du-Nord où existaient de semblables tènements. La surexcitation en fut encore accrue. Partout l'on se réunit pour y donner une entière adhésion.

Malgré l'afflux nouveau des pétitions au Comité Féodal, l'Assemblée Nationale ne se hâtait pas de voter la loi promise et tant attendue. Les habitants de Loguivy-Plougras se montraient particulièrement impatients et quand, en mars 1791, Hervé Louis Bilouard de Lagadec, ancien chef d'escadron au régiment des chasseurs de Languedoc, retiré en sa terre de Kerroué, en Loguivy, voulut congédier Gme Prigent, le nouveau procureur de la commune, celui-ci n'hésita pas à user de l'influence qu'il devait à ses fonctions, et à faire servir l'animadversion de ses concitoyens à son intérêt particulier [Note : Il est vrai qu'en défendant son intérêt particulier, il croyait aussi défendre les intérêts de tous les convenanciers molestés].

En conséquence, le 27 mars 1791, la municipalité de Loguivy-Plougras prenait, sur les conclusions de Prigent, la délibération suivante, tendant à suspendre tout congément jusqu'au vote de la loi.

Extrait du registre des délibérations de la municipalité de Loguivy-Plougras où est écrit folio 25, recto et verso. " Ce jour, vingt sept mars mil sept cent quatre vingt onze, le Conseil général de la commune assemblé à la manière accoutumée, où se sont trouvés Jean Le Goadet, maire, François Le Bricon, Joseph Le Blévennec, Yves Le Joncour, François du Bourg et François Salaün, officiers municipaux, Rolland Boudehen, Guillaume Le Barbier, François Le Guillerm, Pierre Le Neuder, Yves Cloarec, Joseph Thomas, Guillaume Ezou, Pierre Péron ; se sont encore présentés Guillaume Lancien, Jérôme Cavan, 0llivier Jobic, Chartes Le Guillerm, le sieur Pierre Faudet, Noël Quérou, Jean Le Goz, Yves Le Lagadec, et plusieurs autres ".

" L'Assemblée présidée par M. le Maire,
Présent le Procureur de la commune lequel a dit que journellement il reçoit des plaintes de la part des habitons de cette commune, de ce que les propriétaires prétendus fonciers font abatre tous les bois qui se trouvent sur les convenons et domaines congéables de leurs colons, de ce que les congémens continuent d'avoir leur cours, malgré les décrets de l'Assemblée Nationale qui réservent de statuer par une loi particulière sur le régime domanial. En conséquence le procureur de la commune requiert que l'assemblée est aprend
[Note : Ait à prendre] un arrêté par lequel elle s'opposera à toutes les exploitations et à tout exercice de congément jusqu'à ce que l'Assemblée Nationale n'ait définitivement statué sur le sort des colons et a signé. Ainsi signé, G. Prigent, pr de la commune.

Le Conseil général de la commune avec les habitons présens qui ont demandé l'entrée en sa séance, après s'être délibéré sur la remontrance du procureur de la commune a, d'une voix unanime, déclaré que, par les décrets du 4 août et autres jours 1789, l'assemblée avoit cru le fief dommanial supprimé comme le reste des autres fiefs, que cependant par un décret postéricur elle a vu que l’Assemblée Nationale a réservé de statuer sur ce fief par une loy particulière, que nonobstant cette réservation, les congémens et l'exploitation des bois sur les tenures à domaine congéable continuent d’être faits et exercés dans l'étendue de cette municipalité ; l'assemblée a arrêté qu'elle regarde lesdits décrets comme une surcéance qui doit arretter et les dittes exploitations et les dits congémens et a déclaré s'opposer par la présente à toute exploitation et congément jusqu'à la décision déffinitive de l'Assemblée Nationale, ordonne de faire lire et publier la présente au prône et à la grand’messe et de délivrer des extraits à qui en requièrera. Fait, conclu et arrêté sous les seings de ceux qui savent signer.

Signés au registre : Joseph Le Blévennec, Yves Le Lagadec, François Le Bricon, Yves Le Péron, Le Goadet, maire, Jean Jacob, P. Faudet, Rolland Boudehen, François Salaün, Y. Joncour, Y. Cloarec, Ch. Guillerm, F. Dubourg, J. Thomas, Guillaume Ezou, G. Lancien, T. Goadet, F. Guillerm, J. Cavan, P. Neuder, P. Coz, N. Quéro, Ollivier Jobic, René Ropers, R. Salaün, P. Cadiou, Nozay, Guillerm, Péron, secrétaire-greffier. Collationné conforme au registre, Péron, secrétaire greffier " (Arch. Dép. des C.-d.-N. Domaine congéable. Q. 1. 2ème dossier).

Il fallait être, avouons-le, singulièrement aveuglé pour suspendre des dispositions législatives sous le prétexte qu'elles pouvaient être abrogées un jour [Note : Il convient d'ajouter que la municipalité de Loguivy-Plougras n'était pas seule à penser ainsi. Cette thèse était celle aussi du tribunal du District de Rostrenen composé alors d'Ollivrin, président, Hamon de Kersalioux, Le Dû, Le Bourhis et Guyot juges. Guiton, commissaire du roi. (Arch. Nat. F. 1. B II Côstes-du-Nord, 1 ). « Glomel, le 14 février 1791. Question proposer au Comité de Constitution. Le sieur Emmanuel Joseph Marie de Saisi a toujours été soumis aux décrets du Corps Législatif. Pour les exécuter, il les a lus, et il a vu que l’Assemblée Nationale avoit ordonné que tous droits anciens dûs aux fins d'actes ou suivant les usages et coutumes auront lieu jusqu'à abolition, modification ou remplacement par un décret formel, et charge les corps administratifs et judiciaires d'y tenir la main. Cependant le tribunat du District de Rostrenen refuse de juger dans une affaire de ce genre, sous le spécieux prétexte que l'Assemblée Nationale abolira peut-être le droit que je réclame et qui est fondé sur la Coutume de Bretagne et sur un titre particulier. Voicy les faits : Le 20 Juillet, le Sr Jean Baptiste de Saisi, maire de la municipalité de Glomel, a consenti au sieur Emmanuel Joseph Marie de Saisi, son fils puiné, la baillée de la tenue Diantec au village de Kerhot, situé sur la dite paroisse de Glomel, relevant du district de Rostrenen, pour, de sa part, congédier et expulser le Sr Mathurin Le Blévec, domainier de la dite tenue, et rembourser de ses deniers au dit Blévec le mérite de ses droits réparatoires. Pour parvenir à ses fins, le sieur Emmannuel Joseph Marie de Saisi mit en main d'un procureur sa baillée pour faire les formalités requises en parcil cas. Il a mis la cause à l’audience par trois fois différentes, et par trois fois MM. Les juges ont différé de faire droit, jusqu’à ce que l’Assemblée Nationale eût statué sur le domaine congéable… » (Arch. Nat. D. IV-564)]. Si l'on ne peut, sauf de très rares exceptions [Note : Nous trouvons une de ces exceptions dans la loi du 9 brumaire an VI (30 octobre 1797) sur le domaine congéable. Le rapporteur en avait été Tronchet qui, des 1790, défendit les usements congéables comme la coutume la plus libérale et déclarés, par la société d’Agriculture « tellement utiles au peuple que la France entière devrait les adopter » (Cf. Pitre- Chevalier, Bretagne et Vendée, p, 7, n° 1). — Cf. également l’intéressante discussion de Vigneron. Le Bail à domaine congéable (pp. 28 et sqq.) au sujet de la rétroactivité de cette loi du 9 brumaire an VI à dater du 27 août 1792 (date de la 2ème loi révolutionnaire sur le domaine congéable)], admettre la rétroactivité d'une loi, à plus forte raison ne peut-on faire état d'une loi qui n'existe pas.

Aussi le Directoire du Département, quel que fût son désir, dut-il renvoyer, le 4 avril, cette délibération comme illégale au Directoire du District de Lannion. Celui-ci la fit repasser, le 11 du même mois, à la municipalité de Loguivy-Plougras, le jour même où Bilouard de Lagadec qu'elle visait particulièrement, produisait un mémoire de protestation.

Lagadec résumait d'abord l'arrêté du 27 mars qu'il regardait comme « attentatoire à l'autorité de l'Assemblée Nationale, seule compétente pour détruire et faire les lois ». Il établissait que tous les habitants de Loguivy sont convenanciers, et qu'en prenant la délibération du 27 mars ils se sont érigés en juges de leur propre cause. Est-il donc besoin d'ajouter aux privations qu'éprouvent les propriétaires fonciers, depuis deux ans que les convenanciers ne payent, pour ainsi dire, plus aucune redevance, si pour toucher ses rentes convenancières, vendre ses bois, recevoir des commissions de congément, il faut attendre la décision de l'Assemblée Nationale ?

La loi ancienne est toujours en vigueur. La municipalité de Loguivy, qui en a suspendu l'effet, a usurpé le pouvoir législatif. Si un pareil abus de pouvoir n'est pas réprimé, ce sera, en quelque sorte encourager les pires désordres. Aussi une conclusion s'impose : il faut que l'arrêté du 27 mars soit annulé, et que l'ordonnance qui en prononcera l'annulation soit affichée et publiée trois dimanches consécutifs dans les trêves de Loguivy et de Lohuec [Note : Lohuec, canton de Plougonver, district de Guingamp ; — Plougras, canton de Loguivy-Plougras, district de Lannion. — Avec Loguivy, ce sont les trois communes qui enveloppent la forêt de Beffou. Kerroué se trouve un peu au nord de cette forêt entre Loguivy et Plougras] et à Plougras (Arch. Dép. des C.-d.-N. Domaine congéable. Q 1. 2ème dossier).

La municipalité ne voulut pas se soumettre, et dans une longue dissertation, visiblement inspirée par un homme de loi, elle entreprit de répondre à la pétition de Bilouard de Lagadec, pourtant modérée dans le fond et dans la forme, et de défendre la légitimité de son arrêté auprès du Directoire du Département. Elle pensait d'autant mieux y parvenir que le Conseil Général du département avait demandé le 1er décembre précédent la suppression du domaine congéable [Note : Les signataires en étaient Bameulle, Rivoallan, Urvoi, Rupérou, Morand, Bouttier, Fercoq, Corvoisier, Corbel, Noisseville, Ozou, Bonniec, Le Roux, Jacob, Le Corvaisier, Lozahic, Hamon, Derrien Le Bail, Guesnier, Loncle, Goudelin, Hervard, Moisan, Brélivet, Delaizire — et détail intéressant — l'abbé Armez. (Arch. Nat. D XIV. 3. 21)]. Nous ferons de très larges emprunts à cette défense du 15 avril.

Que Bilouard de Lagadec se soit plaint de l'arrêté de la commune, rien de plus naturel. Mais s'il défend ses prérogatives, il appartient à la municipalité de défendre « les droits du peuple », et sans insister davantage, pour le moment, sur la pétition qui lui est opposée, elle va développer sa thèse touchant la nature du domaine congéable, thèse qui est en réalité la thèse même de Huchet, et en quelque sorte, celle de Poullain du Parc, qui considère le convenant comme un fief « anomal, hétéroclyte et batard » [Note : Principes du droit français suivant les maximes de Bretagne. 1768. Vatar, Rennes].

Il faut distinguer « en matière de domaine congéable deux co-propriétés que les usemens mêmes distinguent... Le vassal a la propriété de tous les édifices et superfices qui composent les utiles du convenant et le ci-devant seigneur ne possède ligitimement que la rente foncière. Tous les autres droits qu'ils prétend ne sont que des abus qui ont excité les réclamations d'un peuple innombrable (sic) et dont la plupart sont formellement abolis par les décrets, comme le droit de jurisdiction, suite de moulins, corvées personnelles, cueillette de rentes et autres.

Que reste-t-il donc après cela au ci-devant seigneur ? Est-ce le droit de rachapt, déguisé sous le nom de commission au renouvellement des baillées ? Il n'est nullement établi par aucun des usemens. Est-ce celui de subroger, à prix d'argent un envieux dans le droit qu'il a de congédier ? C'est là précisément l'abus intollérable qui est attaqué devant le Corps Législatif et qui est si funeste au peuple. Est-ce celui de disposer de tous les bois des convenans ? Cette disposition est bornée aux rabines [Note : Avenues] et bois de décoration, et par une vexation cruelle étendue à tous les bois [Note : L'art. 8 de la loi du 6 août 1791 essaya d'obvier à l'inconvénient résultant de l'indétermination des bois] dans l'intérieur des terres ».

La municipalité de Loguivy s'efforce d'établir ensuite que les droits des colons, qu'elle appelle vassaux, par suite de cette tendance à considérer le domaine congéable comme un fief féodal, sont infiniment supérieurs à ceux des propriétaires fonciers.

« En effet les droits utiles qui leur appartiennent font tout le mérite de ce qu'on appelle convenant et qui produisent même la rente qu'avec raison l'on doit qualifier de foncière, puisque la superficie et tout ce qui en dépend sont inhérans au fonds, qui par lui-même, n'est qu'une idée vuide de sens, une pure fiction de droit domanial pour jetter de la poussière aux yeux. Les droits du ci-devant seigneur, en les supposant, pour un instant, dans toute leur étendue, ne consistent que dans la perception d'une rente bornée, du droit de jurisdiction qui ne profitoit à rien, du droit de moulin qui fesoit quelque augmentation de ferme, de quelques corvées qui produisoient douze livres par an [Note : Sans doute s'agit-il ici du convenant d'où Bilouard de Lagadec voulait expulser Guillaume Prigent] ; tout cela n'est rien en comparaison de la manutention et disposition générale de tous les produits des convenans augmentés par les travaux et l'industrie des cultivateurs. Mais si l'on veut observer que tous ces objets sont abolis par les décrets, on verra clairement que la propriété des vassaux est infiniment plus étendue que celle des seigneurs et il semble que des propriétés de cette nature doivent sauter aux yeux de toute administration éclairée et mériter autant de protection que celles des seigneurs. C'est dans ce sens que la municipalité a cru devoir prendre son arrêtté et elle espère que les corps administratifs animés du même amour de la Justice et du Bien public soutiendront la même thèse et ne désaprouveront pas un arrêté fondé sur le vœu public et qui respecte également les propriétés légitimes des seigneurs... ».

D'ailleurs ne peut-elle se recommander du principe du statu quo que l'on applique quand une cour est saisie d'une contestation ? Toutes les municipalités de la province assemblées à Pontivy n'ont-elles pas formé leurs réclamations contre le régime féodal ? Les pétitions, demandant la suppression du domaine congéable, ne sont-elles pas abondantes ? Le décret du 15 mars n'annonce-t-il pas une loi ? Il y a donc bien contestation et par suite tout doit rester en état.

D'autre part, des raisons de fait militent en faveur de cet arrêté du 27 mars. Les esprits étaient surexcités : il était important de maintenir l'ordre public et d'empêcher le peuple de se porter à des violences. « ... En cassant et annullant l'arrêté, ajoutait le rédacteur, et donnant par là un libre cours aux vexations qui font les griefs des peuples, en les autorisant par des décisions respectables des administrations, qui pouroit répondre d'un peuple grossier dans son désespoir, abandonné par ses protecteurs à la discrétion de ses anciens tirans ? L'administration municipale qui le voit de plus près n'en répondroit pas : elle trouveroit sa décharge dans la sagesse de son arrêtté et le mal retomberoit sur ceux qui l’auroient occasionné ! Quelle platitude dans un seigneur d'exposer qu'outre qu'on le prive de ses rentes, on veut encore lui ôter la resource de la vente des bois et des commissions de congément qui lui sont devenues nécessaires pour vivre et pour suppléer en quelque sorte à ses redevances annuelles que le convenancier ne paye presque plus depuis deux ans ! »...

Mais si le convenancier ne le paye pas, n'a-t-il pas la voie ouverte pour le contraindre au paiement ? Si le convenancier est indigent, la faute n'en est-elle pas aux abus du temps passé que le nouvel état de choses a fait disparaître ? Le régime nouveau ne peut manquer de ramener la prospérité, et alors le propriétaire sera certainement payé. Il ne court aucun risque, tandis que s'il ravage les bois, et non seulement les bois de rabine et de décoration, mais bien ceux que les vassaux ont élevé autour des propriétés, la ruine du domanier est irrévocable. C'est d'autre part faire acte de possession sur les fossés qui appartiennent au convenancier, c'est le priver de l'émonde nécessaire à son chauffage, c'est en un mot, violer sa propriété.

Pour tout conclure, la municipalité de Loguivy-Plougras maintenait son arrêté [Note : Arch. Dép. des C.-d.-N. Domaine congéable. Q 1. 2ème dossier].

On ne peut nier que cette défense ait été adroite. Enveloppés en ce style déclamatoire, si caractéristique de l’époque, les arguments présentés pouvaient faire illusion ; les sophismes avaient chance de passer inaperçus. Le corps municipal de Loguivy était d'autant mieux fondé à le croire qu'il n'ignorait pas que sa thèse rencontrerait de précieuses approbations. Mais si les administrations supérieures estimaient que le domaine congéable devait disparaître, elles estimaient qu'avant même d'assurer le triomphe des convictions personnelles de leurs membres, elles devaient se montrer fidèles dépositaires et fidèles servantes de la loi.

Dès le 25 avril, le Directoire du District de Lannion [Note : Le Directoire de Lannion se composait alors d'Yves Guillou, laboureur à Pleumeur-Baudour, de Daniel-Kérinou, ancien maire de Lannion, et avocat, de Jean Le Bricquir du Meshir, avocat en Parlement, maire de Lannion en 1789, subdélégué de l'intendance et commissaire des Etats de Bretagne, d'Yves-Jean-Thomas Cadiou, avocat et subdélégué. — Nayrod avait été procureur à Lannion. Ses démêlés avec Cadiou qui lui succédera en 1792 comme procureur syndic seront retentissants. Nayrod deviendra plus tard membre du Conseil des Anciens. Son élection sera annulée au 18 fructidor comme entachée de royalisme (A rch. Nat F. 1 b. 11. Côtes-du-Nord 1. — Arch. Mun. de Lannion. Registre des délibérations de la ville et communauté de Lannion, 17)], sur le réquisitoire du procureur syndic Nayrod, prononçait l'illégalité de l'arrêté pris le 27 mars « par le conseil général de la commune de la paroisse de Loguivy-Plougras » qui tendait « à opposer à l'exercice du régime convenancier dans l'étendue de la dite municipalité, toute exploitation de bail de la part des propriétaires de convenans et tout congément jusqu'à la décision ultérieure et définitive de l'Assemblée Nationale ».

Le Directoire se basait sur les lois existantes, même sur celles déjà votées par l'Assemblée Constituante et promulguées pour déclarer qu’une municipalité ne peut prendre de délibérations contraires à des usements, des décrets, des lois non abrogés ; que le seul droit de pétition lui était reconnu. Puis il prenait à partie le procureur de la commune, Guillaume Prigent, pour s'être « grièvement inculpé en provoquant une délibération qui excède le pouvoir de la municipalité, tend à troubler l'ordre public, et à exciter les peuples à l'insurrection et à la révolte : cet officier est d'autant plus répréhensible qu'il paroit avoir été ému par son intérêt personnel, ayant été signifié pour le congément d'une tenue quelques jours avant son réquisitoire ».

Et le Directoire de Lannion concluait : « ... Déclare la délibération du Conseil général de la commune de Loguivy-Plougras, le 27 mars dernier, ensemble le réquisitoire du procureur de la commune, nuls et incompétemment rendus, séditieux et attentatoires à la puissance législative ; en conséquence, il est d'avis que la dite délibération soit cassée et annullée, même biffée et croisée sur ses registres ; qu'il soit fait défenses et inhibitions expresses à la dite municipalité d'en prendre de pareilles à l'avenir, ni de s'immiscer dans la connaissance d'aucune matière de propriété — sous peine d'être poursuivie extraordinairement et punie suivant l'exigeante du cas, — finalement que la décision du Directoire du Département, qui interviendra, soit publiée au prône et à l'issue de la grand’messe, affichée à la porte de l'église paroissiale de Loguivy, et partout ailleurs où besoin sera ; même transcrite sur le registre de la dite municipalité, à la diligence de M. le Procureur général syndic, sans préjudice des dommages et intérêts qui pourroient être réclamés vers la dite municipalité et le procureur de la commune, résultans de la dite délibération » [Note : Arch. Dép. des C.-d.-N. Domaine Congéable. Q 1. 2ème dossier].

La Municipalité de Loguivy n'estima pas sa cause perdue : certainement le Directoire du Département lui donnerait raison. Du moins feignit-elle de le croire. Mais pour donner plus de force à cette nouvelle délibération du 15 avril, qui reprenait celle du 27 mars, elle la fit approuver par toutes les municipalités du canton (Plougras, Plounévez-Moëdec, Plounérin). Le Directoire du District ne put que s'en plaindre.

Les administrateurs de Département ne se hâtèrent point de se ranger à l'avis du Directoire de Lannion. Leur manifestation de décembre 1790 [Note : Le Directoire du District de Lannion ne semble pas avoir pris part au mouvement pour la suppression du domaine congéable, Du moins nous n'avons rien trouvé qui nous l'indique] leur faisait une situation particulièrement délicate. Ils n'étaient d'autre part nullement soucieux d'indisposer contre le régime nouveau tout un canton, et par contre-coup la majeure partie du département. Peut-être espéraient-ils aussi que la loi promise interviendrait enfin et leur tracerait impérieusement leur devoir.

Mais ni la municipalité de Loguivy-Plougras, ni le district de Lannion ne pouvaient admettre que l’on différât trop longtemps. La question de principe n'était plus seulement en jeu, mais aussi leur amour-propre. Le département dut donc se résoudre à prendre une décision (15 juillet 1791). Elle était, elle devait être conforme à celle du Directoire de Lannion. La délibération de la commune de Loguivy était annulée « comme séditieuse et attentoire à la puissance du corps Législatif » [Note : Il convient de noter, et peut-être le montrerons-nous un jour plus en détail, que tous les arrêtés du Département contre les prêtres et les nobles, en 1791 et 1794 ont précédé les mesures législatives. Jusqu'au vote des lois, ces arrêtés étaient donc illégaux], et il était interdit à tout particulier d'en tirer induction. Enfin l'on décidait d'envoyer copie des diverses délibérations au Comité Féodal de l'Assemblée Nationale chargé du rapport relatif à l'usement convenancier (Arch. Dép. des C.-d.-N. Délibérations L 7 G 3).

Le même jour, le Département répondait à une question de Godefroy, procureur de la commune de Plouha, en vue de savoir s'il pouvait s'opposer à un congément, que, jusqu'à plus ample informé, il devait suivre les règles tracées par les usements (Arch. Dép. des C.-d.-N. Correspondance générale 1 L 6/1).

La municipalité de Loguivy-Plougras prit alors le parti de se soumettre. Bilouard de Lagadec, ainsi que les autres propriétaires fonciers obtenaient donc satisfaction. Mais c'était une victoire bien platonique. Les convenanciers n'en furent pas plus exacts à payer leurs redevances. Persuadés que leur cause était juste, confiants dans l'Assemblée Nationale à qui étaient dus les décrets des 4 août et jours suivants, ils pensèrent obtenir bientôt, par des dispositions législatives, une éclatante revanche. Si la loi du 6 août 1791 ne combla pas leurs vœux, du moins apporta-t-elle un grand adoucissement à une condition que les abus avaient souvent rendue intolérable [Note : Il ne faudrait pas exagérer l'importance de cette affaire de congément que nous avons rapportée tout au long, et qui se place dans une région singulièrement fruste, aux confins des Districts de Lannion et de Guingamp. Mais on reconnaîtra qu'elle est particulièrement symptomatique de l'état d'esprit des masses rurales à l'aube du régime nouveau. Il est indéniable que la Révolution a été accueillie en Basse-Bretagne, sinon vraiment avec enthousiasme, du moins avec une réelle sympathie car elle tendait à émanciper l'individu et surtout la propriété].

(Léon Dubreuil).

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