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L'ORGANISATION DU TRAVAIL DU PREMIER DIRECTOIRE DANS LES COTES-DU-NORD.

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Note : Les membres du Directoire sont Mathieu Le Mée, Rivoallan, Urvoi (de St-Mirel), Joseph Morand, Bouttier (de Villegaste), Fercoq, Corvoisier. Parfois Bameulle (de la Chabossais) président de l’administratien centrale prend séance avec eux. Le procureur-général-syndic est l'abbé Nicolas Armez. — La liste que donne Le Maout (Annales Armoricaines, p. 295) est celle des administrateurs élus par l'assemblée électorale tenue à Lamballe en décembre 1792, Comme cette liste fourmille d'erreurs orthographiques, nous rétablissons ici les noms des membres de ce Directoire. C'étaient Le Dissez fils, Raffray, M. Le Mée, Toussaint Prigent, Gouëffic, Hello, Ozou, Rupérou. Le président de l'administration centrale était Le Mercier et le procureur général syndic Le Saulnier.

C'est devenu un lieu commun de dire que la Révolution fit succéder au chaos et à la confusion de l'ancien régime, une période d'organisation et de clarté. Il nous a paru intéressant de rechercher quels furent les efforts de la première administration du Département pour réaliser ce souci de la méthode. Tout infime que semble ce sujet, il n'en a pas moins son importance, car il permettra de saisir sur le vif, dans une étendue restreinte, les progrès de cette élaboration.

En pareille matière, il fallait tout innover. L'Ancien Régime ne possède aucune circonscription que l'on puisse comparer à un département. Les différents objets d'administration, avec leurs organes distincts et leurs limites confuses, ne sauraient donner une impression analogue à celle que donneront les objets d'administration du nouveau régime. De l'un à l'autre, il y a un abîme. Les questions à traiter sont toutes différentes et infiniment plus complexes : il faut liquider tout l'Ancien Régime et ce sera le gros œuvre de l'année 1790, faire passer dans les mœurs, dans les usages, toutes les grandes réformes de l'Assemblée Constituante, répondre à une foule de besoins nouveaux. La vie administrative, non seulement se transforme, mais prend une intensité toute nouvelle. Les uns sont lésés par l'abolition des droits féodaux ; c'est au Directoire qu'ils réclament. D'autres voudraient que l'on apportât des tempéraments à certaines mesures trop radicales ; c'est au Directoire qu'ils s'adressent. Pétitions, demandes de secours, adjudications de travaux, mesures de sécurité, diffusion des lois, proclamations et décrets, nous trouvons trace de tout ce qui intéresse à quelque point l'activité humaine, activité décuplée chez tous, infiniment plus complexe.

Or que sont les membres du Directoire ? Des hommes, tout de dévouement et de désintéressement, sans doute, qui sentent qu'ils appartiennent à une grande époque, qu'ils sont, pour une part, responsables de la solidité du nouvel édifice politique et social. Certes, ils revendiquent hautement cette responsabilité, et, en lisant leurs délibérations, leur correspondance, nous les avons souvent comparés à des prêtres fervents. Mais dans cette tâche plus modeste de l'organisation du travail administratif, la bonne volonté, la foi ne suffisent pas.

Assurément ils ont pu y être préparés par certaines fonctions [Note : Le Mée était négociant ; Rivoallan, avocat ; Urvoi, avocat également ; Rupérou, sénéchal de Guingamp ; Morand, sénéchal à Paimpol ; Bouttier, Fercoq et Corvoisier, avocats] : ils ont appartenu à des corps municipaux, ils ont été officiers royaux, mais leur tâche était infiniment moins délicate. Ils n'avaient qu'à suivre, dans la majeure partie des cas, les leçons d'une routine tout au moins deux fois centenaire. Et voilà que soudain ils héritent en partie de la compétence de l'Intendant et de la Commission Intermédiaire des Etats, et dans un temps où tout se renouvelle. Combien leur expérience ancienne, nécessairement restreinte, devait leur être insuffisante !

On comprendra que nous insistions sur cette organisation du travail. Elle a longtemps échappé aux historiens de la Révolution et pourtant elle a exercé une influence considérable. C'est à elle que l'on doit en grande partie la diffusion des idées révolutionnaires, en un temps où les communications étaient si difficiles, et où l'on trouvait tant d'ennemis du régime nouveau. C'est elle qui a permis de répondre aux questions toujours diverses et toujours incessantes avec un sens droit, une compréhension exacte et une modération toujours heureuse.

Lorsque dans les premiers jours d'août 1790 [Note : Lamere (Histoire de la ville de St-Brieuc, tiré à part des Mém. Soc. Em. C.-d.-N. XXII, 1884, p. 197) dit que le Directoire du Département entra en séance fin juillet. Cette date peut être préférée à la nôtre. Le premier registre des délibérations qui devrait faire foi ne commence qu'au 5 août 1790, mais le premier feuillet en a été arraché. Malgré les actives recherches de M. D. Tempier, archiviste du Département, ce feuilet n'a pas été retrouvé], le Directoire du Département entre en séance, toute cette œuvre est à accomplir.

***

Au début, il semble bien que les administrateurs ne s'attachent pas chacun à une série d'objets bien déterminée, et que le travail n'est pas méthodiquement divisé entre les divers employés de l'administration. Mais peu à peu une organisation sérieuse succédera à cette première période d'anarchie bureaucratique.

Tout d'abord, il s'agit de trouver un local. Où le Directoire siégea-t-il les premiers jours ! Nous l'ignorons. Sans doute le corps municipal de Saint-Brieuc lui donna-t-il l'hospitalité.

C'est le 6 août (Arch. Dép. des C.-d.-N. L. 7. A. 1) que le département songe à « se mettre dans ses meubles » et qu'il décide de louer à la municipalité [Note : Elue en février elle se compose de Bagot, maire, Gourlay, procureur de la commune, Droguet, Fr. Jouannin, Hillion (recteur de la paroisse), Le Mée, Besné, Villaudoré, Le Meur, Barbédienne, Lorin, Isidore Gaultier, Deschamps-Oisel, Guimart, Beauchemin, Gaultier, Le Roux, Hinault, Meunier (D'après Ch. Le Maout, Annales Armoricaines, p. 291)] les locaux dont-il a besoin, à raison de 1200 livres par an, On signera pour quatre ans, avec clause de résiliation, à partir de la deuxième année, pourvu que le bail soit dénoncé six mois avant la Saint-Michel. On chargea le procureur-général syndic, l'abbé Armez, MM. Le Mée el Bouttier de traiter avec la municipalité. L'entente se fit aisément et le Directoire du Département trouva à s'abriter, à partir du 10 août, dans des bâtiments, aujourd'hui détruits, sur l'emplacement desquels s'étendent une partie des bureaux et la grande cour de la préfecture, presque en face de la cathédrale.

Ce premier logement ne tarda pas à devenir insuffisant, et le 18 janvier 1791 (Arch. Dép. des C.-d.-N. L. 7 F 2 f° 9), le Directoire prenait une délibération par laquelle il invitait la municipalité, qui cohabitait avec lui, à lui céder des appartements. C'est que l'administration se trouve dans la « nécessité de multiplier ses bureaux en raison des matières importantes qui lui sont confiées », c'est qu'elle veut partout faire régner un ordre rigoureux. Elle arrête donc « d'inviter la municipalité de Saint-Brieuc et le conseil de la commune à céder à l'administration du Département, outre les êtres [Note : C'est évidemment aitres qu'il faut lire] qu'elle occupe actuellement, la chambre de lecture, celle au rez-de-chaussée occupée par le greffe municipal, et tous les greniers ou mansardes, régnant au-dessus du logement actuel de l'administration ». En échange, et pour que la municipalité ne se trouve pas à son tour trop à l'étroit, le Département fournira les fonds nécessaires pour convertir les écuries en « trois appartemens de plein pied, séparés par des cloisons, boisés et ouverts de belles croisées devant et derrière ; pour faire trois appartemens semblables au premier étage ; enfin pour démolir le mur qui sépare les deux cours si on le juge nécessaire, ainsi que le four et la vieille remise qui l'embarrassent ».

Rien ne nous indique que l'on donna suite à ce projet. Le nombre des bureaux, comme nous le verrons dans la suite ne fut pas augmenté, le nombre des employés ne le fut pas sensiblement et l'on eut recours, chaque fois qu'un travail urgent et de longue haleine se présentait, comme celui qu'exigèrent les domaines nationaux, la copie des rôles d'impositions, etc. d'avoir recours à des auxiliaires. [Note : Dans l’état des dépenses à la charge du Directoire pour 1791, le loyer se monte toujours à 1200 livres (Arch. Dép. des C.-d.-N.) L 7 J 4 Ff 43-44-45)].

Combien donc de bureaux comportait l'administration départementale, quels employés assuraient le service, combien étaient-ils rétribués, quels travaux exigeait-on d'eux ?

Nous ne savons pas au juste avec quels bureaux débuta l'administration. Un arrêté du 9 août 1790 nous apprend que MM. Le Gloannic, Duval et Pastol qui, déjà, donnaient leurs soins aux bureaux sont nommés commis de l'administration et prêtent le serment civique (Arch. Dep. des C.-d.-N. L 7 A 1). Peut-être ces trois commis suffisaient-ils au début, avec Huet (de Brangolo), secrétaire général de l'administration, à l'expédition des affaires, à la tenue du registre des délibérations et à celle de quelques registres de correspondance.

Mais dès novembre, il n'en est plus de même. L'administration du Département exige quatre bureaux qui se répartissent les différentes affaires. Ils sont surveillés chacun par deux membres de l'administration. C'est déjà une preuve que la division du travail s'impose et que les administrateurs doivent de plus en plus se spécialiser.

Le Mée et Corvoisier surveillent le travail du bureau des impositions de toute espèce, finances, contribution patriotique, comptabilité. MM. Urvoi el et Morand s'occupent du bureau de la confection des grands chemins et autres ouvrages d'art, de la navigation intérieure, des travaux publics, des embellissements et des réparations ; de l'agriculture, du commerce, des manufactures, des postes et des messageries. A MM. Rupérou et Fereoq revient le bureau de l’administration proprement dite, avec le rachat des droits féodaux, la régie, l'aliénation des domaines nationaux ; l'érection et l'arrondissement des paroisses, le traitement des clergés régulier et séculier, la chasse, les eaux et forêts. Enfin de MM. Bouttier et Rivoallan dépend le bureau de la guerre avec ses nombreuses attributions : les vivres, les étapes, les fourrages, les mouvements de troupes, les passages et cantonnements de troupes de ligne et de maréchaussée, les gardes nationales, les invalides, la garde et l'armement des côtes, les fortifications, les transports militaires, les armes, les munitions, les pensions et récompenses nationales, — puis les secours de bienfaisance, la mendicité, les hôpitaux, les ateliers de charité, les prisons (Arch. dép. des C.-d.-N. L 7 A 1, 2 nov. 1790). L'abbé Armez, procureur-général syndic, exerce sur l'ensemble une surveillance générale.

On pourra critiquer, si l'on veut, la manière dont les affaires étaient réparties entre les bureaux que nous n'osons trop appeler bureaux des finances, des travaux publics, de l'administration et de la guerre, attendu que chacun possède des attributions toutes différentes des attributions principales ; il n'en n'est pas moins vrai que l'on doit noter ici une sérieuse tentative d'organisation.

Outre le secrétaire-général de l'administration, les bureaux nécessitent quatre chefs, un chef de bureau des expéditions, quatre sous-chefs et trois commis. Ce sont, dans l'ordre, MM. Colin, Bienvenu, Depéry (ou d'Epery), Le Gloannic, Duval ; — Lancelot, nommé sous-chef le 21 Novembre, Beucher, Goudelin ; — Pelé, Pastol et Pichorel (Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 A 1 ff 78-79).

Ces employés étaient alors soumis au règlement, du 30 août, règlement en deux articles très nets que nous transcrivons ici :

« Le Directoire, désirant établir l'ordre et l’assiduité dans le travail des commis dans ses bureaux, arrête :

1° Que tous les commis seront au bureau depuis huit heures du matin jusqu'à midi et depuis deux heures du soir jusqu'à sept heures. Dans aucun cas, ils ne pourront en désemparer, pendant la durée des séances du Directoire ;

2° Ils ne pourront s'absenter sans en avoir prévenu le Directoire et en avoir demandé et obtenu l'agrément par écrit » (Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 A 1 ff 78-79).

Le traitement du secrétaire-général était fixé à 1,500 livres par an [Note : Le traitement des membres du Directoire était de 1,600# ; celui du procureur général syndic de 3,000], celui des chefs de bureau à 1,050#, celui du chef de bureau des expéditions à 850#, celui des sous-chefs à 700# et celui des commis à 500 livres. Mais le Directoire avait pris soin d'arrêter « qu'il sera retenu 50# par chaque année sur les appointemens des chefs de bureaux, 35# sur ceux des sous-chefs, et 25# sur ceux des commis aux écritures, pour cette retenue être attribuée en nature de gratification à ceux des commis dans chaque classe qui auront montré le plus d'exactitude et de sagacité » [Note : Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 A 1. ff 77-78. Le Directoire fixait également les appointements du concierge à 350# par an. Cette fonction fut d'abord remplie par Louis Buart, puis par Le Chaix]. A partir du 1er janvier 1791, ces traitements, en vertu du décret des 30, 31 août, 1er et 2 septembre 1790 leur furent payés, chaque mois, par Poulain [Note : C'était le fils de Poulain de Corbion, ancien maire de Saint-Brieuc, député à l'Assemblée Constituante], trésorier du District de Saint-Brieuc. Au mois de janvier le total des appointements de ces employés ne s'élevait encore qu'à 820# 16s 8d (Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 F.2) ; — au mois de mars il s'élève à 1021 # 8s 4d ; pour descendre en avril à 921# 2s (Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 F.2) et remonter en juin à 1041# 16s 8d ; ce qui indique en somme une progression constante dans le nombre des commis. Ce traitement suffisait à peine d'ailleurs pour leur permettre de vivre. Dès août et septembre, ils se plaignaient même de son insuffisance, vu la cherté croissante des vivres et la perte de 10 à 12 pour 100 qu'ils éprouvaient sur les assignats. Le Directoire reconnut leur réclamation bien fondée et, pour les indemniser, leur accorda pour chacun de ces deux mois, un supplément de 62# 9s (Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 G 3).

Les commis que l'on rétribuait ainsi ne suffisaient d'ailleurs pas à l'ouvrage qui devait être fait. Aussi, à partir du mois de juin employa-t-on de nombreux commis extraordinaires à copier les rôles des impositions de 1790 [Note : Arch. dép. des C.-d.-N. L 7 G 3. C'étaient Diagou, Guyon, Doré, Chevalier, Ruello, Huguet, Gatebled, Lucas, Thomas, Ruellan, Terpin, Frelaud, Le Moine, Dubée, Guillaume, Damar, Vary].

Cependant le travail des employés devenait toujours plus considérable et plus complexe. C'est ainsi que le chef de bureau des Biens Nationaux, après une remontrance du procureur général syndic, dut ouvrir le 12 mars 1790, trois nouveaux registres. Le premier, destiné à insérer le compte-courant du payement des pensions et traitements des ecclésiastiques, véritable livre de raison, était lui-même divisé en trois parties ; l'une relative aux ecclésiastiques fonctionnaires, la seconde au traitement des membres des clergés régulier et séculier, la troisième aux paiements effectués aux mains des religieux et des religieuses. A la suite de chaque section, un chapitre, que l'on ouvrait, était destiné à recevoir la mention des dettes des corps et communautés reconnues et payées. Sur le deuxième registre on devait inscrire, par districts, les différentes liquidations des biens nationaux ; sur le troisième, celles des dimes inféodées (Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 F 2).

Le surcroît même du travail, l'absence due à la maladie du secrétaire-général Huet, qui s'était prolongée du 4 janvier 1791 au 13 avril [Note : Il avait été remplacé pendant ce temps par Louis Duval, chef du bureau des expéditions], peut-être aussi sa mansuétude avaient eu pour conséquence un très grand relâchement dans les bureaux. Il fallut aggraver le règlement du 30 août.

Celui du 20 mai 1791 maintint la même durée du travail. Il prévoyait même que les employés dussent rester après sept heures du soir si les séances du Directoire se prolongeaient. Les dimanches étaient seuls considérés comme jours de repos, et encore fallait-il que le Directoire ne fût pas obligé de se réunir. Puis, dans les onze articles qui suivaient, ii se montrait vraiment inquisitorial. Le secrétaire devait rendre compte chaque jour aux administrateurs du retard ou de l'absence des commis. Pour deux retards dans une semaine, ils étaient privés du quart de leur traitement mensuel. Ils l'étaient de la moitié pour avoir été absents sans autorisation pendant une séance entière du Directoire. Une seconde absence entraînait la suspension du traitement pour un mois ; une troisième l'exclusion.

Les chefs de bureau étaient chargés de tenir très exactement tous les registres. Ils devaient les représenter chaque mois au Directoire qui ne délivrait d'ordonnance de paiement qu'après les avoir vérifiés.

Chacun des fonctionnaires des bureaux était responsable des employés placés immédiatement sous ses ordres, et chaque samedi, les chefs, et, en leur absence, les sous-chefs avaient à rendre compte par écrit du travail de la semaine. Le silence, qui était de rigueur ; ne pouvait être rompu que pour l'utilité du service. Le Directoire, en outre, enjoignait « très expressément au secrétaire de veiller et tenir la main à peine de responsabilité à l'exécution ponctuelle de tous les articles du présent règlement ».

De congé, les employés ne pouvaient prétendre qu'à quinze jours par an. Encore devaient-ils en faire la demande par écrit. Tout autre congé entraînait la privation de leur traitement pendant la durée de leur absence (Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 F 2. ff 133-134).

Ce règlement, vraiment draconien, ne rencontra pas l'unanimité des administrateurs : Fercoq [Note : Fercoq l’aîné, avocat à Callac, avant la Révolution] refusa même d'en prendre la responsabilité. Nous ne pensons pas d'ailleurs que ce règlement ait été appliqué dans l'extrême rigueur. Ce Directoire, qui prêchait sans cesse la conciliation, qui se montrait si heureux des preuves de modération que donnait l'Assemblée Nationale, à la veille de se séparer, parce qu'elles lui permettaient de rapporter le premier article de son arrêté du 18 juin [Note : Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 J 4, f. 22. — Ce 1er article de l'arrêté du 18 juin éloignait à six lieues les prêtres insermentés, du lieu de leur résidence. Il souleva contre le Directoire de violentes colères auxquelles s’associa Duport, alors, ministre de la justice, comme nous aurons sans doute l’occasion de le montrer dans une prochaine étude], ne paraît pas enclin à une sévérité excessive à l'égard de ses employés. L'abbé Armez [Note : Cf, notre étude Le Coup d’Etat du 18 fructidor et le Fureteur Breton n°s 21, 22 et 23], procureur-général syndic, en dénonçant au Directoire, le 19 septembre 1791, l'attitude insolente de Pastol vis-à-vis du secrétaire Huet, déclarait que les administrateurs, au lieu de réprimer la négligence et l'insubordination des commis, n'avaient « presque jamais écouté que leur indulgence » [Note : « ... Monsieur le Procureur Général a dit : Messieurs. Je vous ai dénoncé quelquefois la négligence et l’insubordination d'une partie des commis. Vous n'avez presque jamais écouté que votre indulgence. Vous avez sûrement cru, et je l'ai espéré comme vous, que les égards que vous avez eus pour la foiblesse de leur âge leur eussent inspiré plus d'attachement à leurs devoirs. Mais loin que vos ménagemens ayent produit l'effet que vous en deviez attendre, l'un d'eux a poussé les jours derniers l’insolence jusqu'à menacer votre secrétaire général qui le rappelloit à son devoir. Il m'en coûte, Messieurs, d'appeller votre sévérite sur des excès aussi coupables, mais vous ne pouvez les laisser impunis. Si, par un exemple frappant, que la gravité de la faute justifie, vous ne rétablissez l'ordre et la subordination, craignez le dégout et la désertion de vos chefs et que la lenteur dans vos opérations n'attire sur l'administration des plaintes que vos ennemis accueilleront avec avidité et se feront un plaisir d'exagérer » (Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 J 4 f. 17)]. Et nous pensons que ces mêmes administrateurs accueillirent bien volontiers les sollicitations du secrétaire général pour ne pas avoir à remercier le coupable. « Le Directoire, délibérant sur cette remontrance, étoit dans l'intention de remercier M. Pastol, mais cédant aux instances et aux sollicitations du secrétaire en sa faveur, a arrêté de l'appeller (sic) et de lui recommander d'être plus honnête à l'avenir et de promettre, devant ses confrères, témoins de sa pétulance, une déférence entière aux avis qui pourraient lui être donnés » (Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 J 4 f. 17).

Plus disposé à récompenser qu'à punir, lorsque, le 12 octobre, le chef de bureau, Le Gorrec, écrit que les électeurs l'ont choisi comme administrateur du District de Pontrieux, le Directoire s'empresse de lui témoigner combien il a été heureux de son zèle, le temps qu'il a passé à l'administration, et lui envoie, outre ses appointements largement comptés jusqu'au 12 octobre, sans tenir compte de l'absence qu'il a dû faire pour se rendre à Pontrieux, une ordonnance de 22#, 15s 2d, sur la retenue annuelle des 50# qu'on lui a fait subir sur son traitement (Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 J 4 f. 17).

Etait ce donc de la mollesse de la part des administrateurs ? [Note : Il convient de noter que les registres sont tous parfaitement tenus] Ou plutôt n'était-ce pas un large libéralisme provenant à la fois de l'éducation que le XVIIIème siècle donnait à la bourgeoisie et de leur expérience des hommes ? Plus sévères pour eux, s'ils pardonnaient beaucoup aux employés placés sous leurs ordres, ils se croyaient obligés de donner l'exemple d'un travail assidu.

Le Directoire se réunissait tous les jours, en deux séances, le matin et le soir. Seuls les dimanches et les jours de fêtes étaient exceptés, tout au moins dans le principe. Mais il n'hésita pas plus à délibérer ces jours-là qu'à tenir des séances de nuit, à la moindre alarme [Note : En voici un exemple. Le bruit avait couru que les Anglais étaient descendus à Plancoët, le 27 juin 1791. « Séance du matin, etc..., Un particulier arrêté par la sentinelle a rapporté qu'on entendoit des coups de canons sur la côte de Saint-Cast et du Guildo, que des femmes éplorées s'étoient réfugiées à Jugon en disant qu'on venoit pendre leurs maris, que plusieurs personnes annonçoient une descente. Tôt après, M. Desfossés, capitaine général des Douanes Nationales en cette ville a remis au Directoire une lettre d’un employé portant que depuis plusieurs jours on appercevoit à la hauteur de Pléhérel et d'Erquy une flote d'environ 40 voiles et qu'on ignoroit où elle veut cingler. Quelque temps après un gendarme de Broons a apporté une lettre du Directoire qui aunoncoit que 5 à 6,000 ennemis de la Révolution étoient descendus du côté de Plancoët et qu’ils faisoient beaucoup de ravage. Le Directoire délibérant sur les mesures les plus propres à mettre promptement nos côtes à l'abri de toute attaque, a arrêté d'en prévenir sur le champ le Directoire de l'Isle-et-Vilaine en le priant de tenir du secours prêt au besoin. Il a marqué à M. de Toustaint. commandant la 13ème division militaire que sa présence seroit nécessaire à Saint-Brieuc. A deux heures un courrier extraordinaire a été expédié pour Rennes. Le Directoire a fait de suite connoître l'état des choses à Brest, Morlaix, Guingamp, Pontrieux, Paimpol. Lorient, Pontivy. Il a chargé par des exprès les municipalités voisines de la mer de surveiller exactement et de rendre compte de ce qu'elles apercevroient et prié M. Colin garde national et chef de bureau de se rendre à Plancoët et à Matignon pour rapporter exactement la situation où se trouvent ces côtes. Le District de Lamballe, moins éloigné de ces lieux que celui de Broons ne donnant aucune nouvelle, le Directoire s'est tenu prêt à contremander les secours au cas que les allarmes fussent sans fondement. Corvoisier, P.-A.-M. Urvoy, Fercoq. Bouttier, Rivoallan, M. Le Mée. Rupérou. J. Morand, N. Armez, prêtre et procureur général syndic. Séance de la nuit du 27 au 28 juin, tenue par MM. Le Mée, Rivoallan, Urvoi, Rupérou, Morand, Bouttier, Fercoq, Corvoisier. Présent M. le procureur général syndic. Le Directoire a préparé des lettres pour contremander les secours ; il a donné ordre au Directeur des postes d'arrêter un instant le courrier afin que, d'après les nouvelles reçues de Lamsballe, on pût répondre de suite à Brest, Morlaix et Guingamp. A une heure et demie après minuit, un garde national du poste de l'entrée de la ville est venu avertir de la venue du courrier. On a d'abord envoyé chercher les paquets de Lamballe. Après avoir ouvert une lettre de ce District, une autre de M. Carillet, administrateur du District de Dinan, dattée de Plancoët, il a été constaté qu'il n'y avoit eu aucune descente, que les allarmes n’avoient été causées que par l'arrêtation de quelques ci-devant privilégiés qui tentoient d'émigrer au mépris du décret du 21 juin et par le bruit du canon de Saint-Malo. Le Directoire, sans attendre le retour de l'exprès qu'il avoit envoyé, a remis de suite au courrier qu'il n'avait retardé qu'un quart d'heure, les lettres préparées pour Brest et Morlaix afin de contremander de suite les secours que le patriotisme envoye de toutes parts : il a expédié des exprès à Guingamp, Lannion, Pontrieux. Pontivy et Lorient pour cet objet. Sur les neuf heures du matin, 28 juin, M. Collin est arrivé et a remis le procès-verbal rapporté par les municipalités de Plancoët et Matignon par lequel on voit qu'elles avaient rassemblé des gardes nationales pour empêcher l'émigration de plusieurs ci-devant privilégiés et dissiper le rassemblement qui se fesoit chez M Hingant et que tout étoit dans ce moment tranquille. La délibération du Directoire au District de Lamballe a appris qu'il avoit envoyé des couriers sur le chemin de Rennes pour empêcher les forces qui auroient pu être en route d'avancer plus loin. » (Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 G 3. f. 24)].

Bameulle [Note : Bameulle de la Chabossais, avocat à Dinan, correspondant de la Commission Intermédiaire des Etats de Bretagne, demeura président de l'administration départementale jusqu'en décembre 1792. L'assemblée électorale réunie à Lamballe le remplaça par Le Mercier], président de l'administration départementale n'assista que rarement aux délibérations, et seulement quelques jours avant et après les tenues du conseil général. Les membres du Directoire choisissaient chaque mois dans leur sein, et à tour de rôle, un vice-président qui avait la voix prépondérante, au cas de partage des voix, et signait avec le procureur général syndic, les ordonnances et les arrêtés. Le premier élu fut Mathieu Le Mée, dont l'influence allait être si considérable sur les diverses assemblées du département.

... Déjà, par ce que nous avons écrit, il a été facile de se rendre compte combien le premier Directoire du département veillait à l'organisation matérielle de ses bureaux. Dès le 7 août 1790, il avait décidé « sur la remontrance du procureur-général syndic que les arrêts définitifs qui interviendront sur les requêtes présentées, seront transcrits tout au long sur le présent registre et que mention sera faite de l'objet des dites requêtes » (Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 A 1). C'est à cette décision que l'on doit de trouver dans les divers registres de l'administration départementale la source la plus précieuse de l'histoire de la Révolution dans les Côtes-du-Nord.

Mais les membres du Directoire ne se bornent pas à ce louable souci de l'exactitude matérielle. Mal préparés, comme nous l'avons vu, à remplir leurs fonctions, ils sont curieux de tout ce qui pourra les en instruire. Justement, ils apprennent que certains départements ont établi entre eux un échange de correspondance et on leur propose « l'établissement d'une correspondance habituelle entre toutes les administrations de l'Empire ». Aussitôt, sur les réquisitions de l'abbé Armez, ils y acquiescent avec empressement et décrètent de répondre à cette proposition par la lettre suivante qu'ils transcrivent au long sur leur registre [Note : …… Monsieur le procureur général syndic ayant représenté que plusieurs des Directoires de Département du Royaume ont écrit à celuy des Côtes-du-Nord à l'effet de lui proposer l'établissement d'une correspondance habituelle entre toutes les administrations de l'Empire. Le Directoire a arrêté conformément aux conclusions du dit procureur général syndic. 1°. Qu'il seroit écrit à tous les Directoires des dits départemens pour leur témoigner qu'il accepte avec gratitude la proposition qui luy est faite. 2° Qu'il seroit en conséquence imprimé cent exemplaires de la lettre qui sera rédigée à cet effet et dont copie sera transcrite au long dans le registre des délibérations à la suite du présent arrêté .... » (Arch. Dépt. des C.-d.-N. L 7 A 1. f 22)].

Saint-Brieuc, 1er septembre 1790.
Messieurs.
Persuadée que l'un des devoirs de l'homme public est de ne jamais négliger ce qui peut les lui apprendre, nous nous empressons d'applaudir à l'heureuse idée d'une correspondance habituelle entre tous les Départemens. De cette communication d'opinions, de projets et d'opérations, doivent résulter des connoissances, une unité de mouvement, sans lesquelles l’administration ne sauroit se promettre de succès. Nous acceptons donc avec reconnoissance la proposition d'un commerce qui sera si avantageux au bien général, et dans lequel nous aurons particulièrement à gagner, puisque des citoyens vertueux et éclairés voudront bien nous honorer de quelque témoignage d'intérêts et nous faire part de leurs travaux politiques. Recevez, Messieurs, nos sincères et fraternelles salutations. Les administrateurs composant le Directoire du Département des Côtes-du-Nord
[Note : Sans doute Corvoisier qui n'a pas signé cette lettre était-il absent. Corvoisier (Jean-Gilles) est né le 12 février 1750. Il était avocat à Jugon. Il fut nommé en juin 1790 administrateur du Département et membre du Directoire et y siégea jusqu'en décembre 1792. Peu après il est juge au tribunal du District de Lamballe. En frimaire III le représentant Boursault le nomme membre du Directoire épuré du Département. Il démissionnera le 4 floréal III à la suite de la mort de sa mère. En l'an VIII nous le trouvons membre du Conseil général des Côtes-du-Nord, et l'an XI magistrat de sûreté. Il est marié, a deux enfants et une fortune de 32,000 francs en capital]. M. Le Mée, Rupérou, Rivoallan [Note : Jean-Marie Rivoallan, avocat à Lannion. En 1788 il est député des communes pour la pacification des troubles des Etats de Bretagne. En 1789 il est premier électeur de la sénéchaussée de Lannion, puis procureur de la commune de Lannion. Elu au Directoire du Département en juin 1790, il est désigné comme suppléant du procureur général syndic. Il siège jusqu'en octobre 1491, date à laquelle il est nommé député à l'Assemblée Législative. En 1793 il est administrateur du district de Lannion, et il se déclare « agriculteur à la charrue ». Le Directoire Exécutif le nomme son commissaire auprès de l'administration municipale du canton de Lannion. En l'an VI il est élu Membre du Conseil des Anciens. Il y siégea jusqu'au coup d'Etat de brumaire. Il a alors 51 ans, il est marié et est père de 8 enfants], Fercoq, Bouttier [Note : Bouttier de Villegaste était avocat à Caulnes], P. A. M. Urvoi [Note : Pierre-Anne-Marie Urvoi de Saint-Mirel, avocat à Beaubois, paroisse de Bourseul, près de Jugon, était né le 20 octobre 1753. Il présida l'assemblée électorale pour la formation du département (25 mai-9 juin 1790) et fut élu membre du Directoire du Département. Il siégea à l'Assemblée Législative. Nous le retrouvons en l'an XI, marié, père de 4 enfants, avec une fortune de 100,000 francs de capital], J. Morand [Note : Joseph-René-Pierre-François Morand est né à Paimpol le 22 juin 1755. Il en était le sénéchal en 1789. Il siégea au Département jusqu'à son élection à l'Assemblée Législative. Il fut élu le 8ème et dernier par 201 voix sur 393 votants. En lan XI, il est juge de paix à Paimpol et le préfet des Côtes-du-Nord se plaint de sa conduite privée qui n'est pas régulière. Il mourut le 9 mai 1822], N. Armez, prêtre et procureur général syndic (Arch. dép. des C.-d.-N. L. 7 A 1 f. 22).

Cette correspondance, malheureusement trop intermittente et trop peu généralisée, donna cependant quelques bons résultats [Note : La correspondance sera assez active avec les quatre départements bretons, notamment pour ce qui concernera les troubles. On peut encore citer les lettres relatives à l’affaire du lieutenant Davigneau, commandant d'un détachement de Conty-Dragons, qui refusa d'obtempérer à un ordre du Directoire du Département ; — aux prétentions identiques des Départements et de Berthier, commissaire ordonnateur des guerres pour l'établissement de certaines ordonnances de paiement. (Arch. Dép. des C.-d.-N. Correspondance de la Guerre. 1. L. 7. 1 et 2)]. Elle aura peut-être aussi pour conséquence — dirons-nous pour conséquence fâcheuse ? — d'entrainer tout au moins momentanément le département des Côtes-du-Nord dans le mouvement fédéraliste qui suivit dans l'ouest de la France le triomphe des Montagnards sur les Girondins, à la Convention Nationale [Note : C'est le second Directoire qui se laissera entraîner dans le Fédéralisme. Ses membres étaient Le Dissez fils, Raffray, M. Le Mée, T. Prigent, Gouëffic, Ch. Hello, Ozou, Rupérou. Le procureur général syndic était Le Saulnier. (Cf. Arch. dép. des C.-d.-N. Correspondance générale. 1 L. 6/3].

Mais, pour en revenir à notre objet, d'après quels principes le Directoire pensait-il administrer ? Nous les trouvons parfaitement exprimés dans la remontrance de l'abbé Armez, à la date du 3 septembre 1790. Le Directoire exigera des assemblées qui lui sont subordonnées, des directoires de district notamment, que toutes les informations et vérifications qu'il ordonnera lui soient fournies avec un avis sérieusement motivé dans « le plus grand et le plus exact détail ». Et le procureur général syndic ajoute avec sagesse : « Telle a toujours été la conduite des tribunaux judiciaires que les administrateurs représentent dans l'ordre politique, Sans cette précaution vous ne pouvez prononcer avec dicernement. Les districts faits pour préparer vos jugements vous les dictent, votre utilité devient au moins un problème et vous devez vous attendre à voir les ennemis de la Constitution aiguiser pour vous les traits de leur critique » [Note : « Du trois septembre mil sept cent quatre-vingt-dix. Séance du matin tenue par MM. Le Mée, Rivoallan, Urvoi, Rupérou, Morand, Bouttier, Fercoq, Corvoisier. Présent M. le procureur-général syndic qui a ouvert la séance et qui a dit : « Messieurs, les administrations de département et de district sont surement un des plus précieux bienfaits de l'Assemblée Nationale, mais elles ne seront qu'une belle et grande spéculation si elle ne répondent pas à l’attitude des peuples. Pleines de zèle pour les progrés de la Révolution, égallement animées du désir de procurer le bien public, elles ne différent que sur les moyens. Il vous appartient, Messieurs, de développer toutes les ressources des corps soumis à votre surveillance ; c'est sur vous surtout que l'Assemblée Nationale s'est reposée du soin de les rendre aussi utiles qu'ils peuvent l’être. Vous atteindrez infailliblement le but si vous leur tracés les régles générales de la conduite qu'ils doivent tenir. Dans l'exécution des commissions dont vous les chargés l'une des plus essentielles et dont vous avez dû fortement sentir la nécessité depuis que vous êtes assemblés, c'est que les informations et vérifications que vous ordonnez de faire, vous soient, outre l'avis motivé, renvoyés par écrit dans le plus grand et le plus exact détail. Telle a toujours été la conduite des tribunaux judiciaires que les administrations représentent dans l'ordre politique. Sans cette précaution, vous ne pouvez prononcer avec dicernement. Les districts faits pour préparer vos jugemens vous les dictent, votre utilité devient au moins un problème et vous devez vous attendre à voir les ennemis de la contitution aiguiser pour vous les traits de leur critique. Le Directoire du Département des Côtes-du-Nord, délibérant sur le réquisitoire du procureur général syndic, arrête de prévenir les administrations de district, de produire au département, au soutient de leur avis, lorsqu'ils seront fondés sur des informations, des inspections de lieux et autres vérifications, les procès-verbaux qu'elles seront tenues de rapporter pour remplir les commissions dont elles auront été chargées. M. LE MÉE, BOUTTIER, FERCOQ, CORVOISIER, J MORAND, RIVOALLAN, P.-A.-M. URVOI, RUPÉROU, N. ARMEZ, prêtre et procureur général syndic » (Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 A 1 f 23)].

La pratique ne démentit jamais de tels principes, et, si nous avions un reproche à adresser au Directoire du Département, c'est bien plutôt d'avoir souvent multiplié les atermoiements dans la crainte de voir surprendre sa religion. Il suffit de lire les nombreuses consultations que les corps constitués lui demandent, de voir avec quelle minutie, chaque question, même la plus intime, est examinée, pour connaître de quel esprit de justice les administrateurs sont animés.

Aussi n'est-il pas étonnant que leurs séances se soient prolongées et multipliées. Nous avons déjà vu comment, au 29 septembre, ils s'étaient répartis la surveillance des bureaux, d'abord pour en assurer le fonctionnement, mais aussi parce qu'ils étaient persuadés que toute question méritait d'être étudiée par des spécialistes [Note : Du moins le devinrent-ils], et qu'une fois bien exposée par son rapporteur, elle pouvait être résolue avec équité par des hommes de, droit sens.

Mais cette division du travail était encore bien rudimentaire. D'autre part, les séances du Directoire qui étaient tenues avec régularité, ne l'étaient pas avec méthode. Au fur et à mesure qu'une affaire se présentait, on l'abordait, et comme on avait un peu de cette propension à s'égarer en de longs développements et en de sonores phrases creuses, à s'écouter causer, il arrivait qu'avec la meilleure volonté, et un travail ininterrompu, des retards se produisaient [Note : Cf. passim plusieurs remontrances du procureur général syndic]. Parfois aussi une discussion s'élevait pour savoir qui ferait entendre son rapport le premier, chacun estimant que le sien avait plus d'importance et faisant longuement valoir ses raisons avant d'arriver à son objet. Il en résultait encore que cette spécialisation, dont nous avons tout à l'heure indiqué les bons effets, pouvait entrainer les administrateurs, chargés d'une autre spécialité, à se moins intéresser aux travaux de leurs collègues.

Aussi pour remédier à ces divers inconvénients, d'un commun accord, les membres du Directoire élaborèrent, pour leur propre gouverne, l'important règlement en huit articles que nous transcrivons :

« ARTICLE PREMIER — Il ne sera fait de rapport que les lundis, mercredis et vendredis depuis 10 heures du matin jusqu'à midi et depuis trois heures et demie jusqu'à cinq heures et demie.
ART. 2. — L'administrateur qui voudra faire un ou plusieurs rapports s'inscrira sur une feuille tenue à cet effet par le secrétaire, et l'ordre des rapports suivra celui des inscriptions.
ART. 3. — L'ordre des inscriptions ne pourra être troublé par quelque cause que ce soit que du consentement des administrateurs présents qui jugeront de la légitimité de l'intervention.
ART. 4. — Pendant la durée des rapports les administrateurs présens ne pourront ni lire ni écrire, ni s'occuper d'aucune affaire étrangère à celle rapportée ou discutée alors.
ART. 5. — Pendant le même tems, personne ne pourra avoir entrée au directoire, pour quelque cause que ce soit ; en conséquence le portier sera tenu de se tenir à son poste.
ART. 6. — Il en sera de même tous les jours de courrier, pendant l'ouverture et la lecture des paquets qui, le matin, seront ouverts à neuf heures, et dans le cas où le courrier ne serait pas arrivé à cette heure, aussitôt après qu'ils auront été reçus. Ils ne seront aussi ouverts le jour qu'à trois heures et demie et dans le cas où ils ne seraient pas délivrés alors, on les ouvrira incontinent après leur réception.
ART. 7. — Les lettres des Ministres, des Comités, et les paquets, autres néanmoins que les requêtes, lesquelles seront sur le champ remises au secrétaire, pour la réception en être enregistrée sans délai, resteront déposés sur le bureau pendant tout le jour de l'arrivée du courrier ; et, à la fin de la séance du soir du même jour, le secrétaire les remettra aux chefs des parties qu'ils concerneront. Rien entendu que la présente disposition ne sauroit empêcher qu'on répondit sans délai, s'il est nécessaire, à ces lettres et paquets qui seront incessamment après rapportés sur le bureau par ceux des administrateurs ou des commis qui en auront été ressaisis pour y faire les réponses dont on sera convenu.
ART. 8. — Les paquets pour le courrier de Brest ne seront portés à la signature qu'à cinq heures et demie du soir, et ceux pour le courrier de Paris à dix heures et demie du matin, et ces paquets ne seront signés qu'après avoir été lus, hautement au Directoire, par quelqu'un des administrateurs ou des commis »
(Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 F 2, ff 132-133, le 19 mai 1790).

C'est alors que, le travail réglé pour le Directoire, les administrateurs songèrent à établir le règlement du 20 mai pour les bureaux.

Il est extrêmement rare que le Directoire ne tienne pas ses séances. Il ne les suspendit que du 15 au 26 novembre 1790 pour permettre à ses membres d'assister aux assemblées électorales pour la nomination des juges de paix, et à l'époque des séances du Conseil général du département. Même, quand la moitié de ses membres était absent et qu'il ne pouvait valablement délibérer, il se réunissait pour s'occuper « de préparer les rapports de plusieurs affaires et de divers objets de correspondance portés sur les registres des bureaux » [Note : Ainsi les 6 et 7 juin 1791. lorsque Fercoq, Rupérou. Corvoisier et Morand, ce rendirent au chef-lieu de leurs Districts pour l’élection des curés constitutionnels ; — au 23 juin quand tous (sauf Le Mée, Rivoallan — et le procureur général syndic) étaient occupés aux assemblées primaires pour la nomination des électeurs des membres de la Législative. (Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 G 3)].

Il arrivait en effet à quelques membres de l'administration de s'absenter, soit, pour des raisons personnelles, soit pour accomplir leurs devoirs de citoyens actifs. Mais dès le 24 juin 1791, alors que l'émotion causée par « l'enlèvement » du roi est à son comble, tous les administrateurs reparaissent aux séances et ils ne s'en absenteront guère désormais que pour remplir des missions déterminées, sur l'ordre du Directoire. Ils tiennent d'autre part à ce que leur exemple soit suivi, et dès le lendemain, ils ordonnent aux directoires des districts d'appeler auprès d'eux les membres de leur conseil général, les circonstances leur paraissant singulièrement critiques (Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 G. 3).

Aussi lorsque trois des administrateurs, Urvoi, Rivoallan et Morand eurent été choisis comme députés à l'Assemblée Législative [Note : Auguste Kuscinski. — Les Députés à l’Assemblée législative de 1791. — Les élus furent, dans l'ordre, Delaizire, Urvoi, Derrien, Rivoallan, Digaultray, Glais de Bizoin, Bagot et Morand ; les suppléants étaient Rupérou, J.-B. Gaultier et F.-L.-B. Cadiou], leurs collègues, dans la crainte de se trouver, par suite de circonstances imprévues, moins de cinq et conséquemment dans l'impossibilité de valablement délibérer, s'empressèrent-ils d'appeler auprès d'eux F.-J. Limon, membre du conseil général du Département [Note : François-Julien Limon, né à Quintin le 22 octobre 1742. Elu député aux Cinq-Cents le 23 germinal an V par 291 voix sur 334 votants. Son élection fut annulée au 18 fructidor comme entachée de royalisme. Il rentra alors dans la vie privée. Il mourut à Quintin le 16 janvier 1807. Cf infra notre étude Le Coup d’Etat du 18 fructidor. — Il déféra à l'invitation du Directoire et le 1er octobre 1791 il signe avec le titre d'adjoint. Déjà il avait rempli un certain nombre de missions].

Malgré ce désir évident de bien faire, malgré le règlement du 19 mai, il semble que le Directoire ait subi, comme tant d'autres assemblées révolutionnaires, l'influence de l'événement qui survient. A chaque instant, nous le voyons célébrer les bienfaits de la Constitution qui les invite à établir un ordre de choses nouveau, et par une contradiction, bien humaine et bien compréhensible à la vérité, il semble négliger l’œuvre de longue haleine qui, mieux que les délibérations quotidiennes sur telles requêtes, asseoit un régime.

L'abbé Armez finit par perdre patience, et le 19 septembre 1791 il adressa trois remontrances successives au Directoire. Nous connaissons déjà la première qui a trait « à la pétulance » du commis Pastol. Les deux autres sont infiniment plus symptomatiques.

L'article 23 de la loi du 27 mars 1791 enjoignait aux Directoires de Département de fournir au ministre de l'intérieur un tableau mensuel et raisonné des affaires « et des progrès de l'exécution des diverses parties confiées à leurs soins ». Or, cette loi, enregistrée le 26 avril, n'a point été exécutée. En vain le ministre a t-il récriminé le 5 août. Peine perdue ! Et le procureur général syndic déclare : « Un plus long délai... outre les inconvéniens qui peuvent en résulter pour la chose publique, pourroit vous attirer des reproches que vous êtes sûrement jaloux de ne pas encourir. Je vous exhorte donc, Messieurs, à prendre toutes les mesures que vous jugerez convenables pour accélérer une opération aussi essentielle, et sans laquelle le pouvoir exécutif ne peut exercer la surveillance qui lui est spécialement attribuée par les décrets ».

Puis, sans désemparer, aussitôt que le Directoire a arrêté « de faire compulser les registres de délibération et ceux de conrrespondance » pour qu'à la fin du mois le ministre reçoive satisfaction, l'abbé Armez rappelle que le conseil général du Département est sur le point de s'assembler, qu'une de ses attributions les plus importantes, en vertu du décret du 21 décembre 1789 est de recevoir et d'arrêter le compte de gestion du Directoire. Or, les administrateurs n'y ont pas encore songé. « Il me suffit de vous dire, ajoute le procureur général syndic [Note : L'abbé Armez démissionna le 31 décembre 1791 par la lettre suivante : « Messieurs et chers collègues. L'altération sensible de ma santé ne me permettant point de remplir dans toute leur étendue les obligations infinies de la place de procureur général syndic que j’occupe, mon devoir m’ordonne d’y renocer. Je m’en acquitte aujourd'hui en vous priant d'agréer ma démission. C'est avec peine, Messieurs, que je vois le terme de notre associations politique. Si quelque chose peut adoucir l’amertume des regrets que me cause notre séparations, c’est que j’emporte l’espoir consolant que celui sur lequel vous allez fixer votre choix, aussi attaché que moi à la constitution la servira plus utilement, et que vous voudrez bien me continuer l’amitié dont vouz m’avez donné tant de témoignages. Je suis avec un fraternel attachement, Messieurs et chers Collégues, votre très humble et très obéissant serviteur. N. ARMEZ, prêtre. » (Arch. Dép, des C.-d.-N.- L 7. 5 f. 6). M Le Mée exerça les fonctions de suppléant de cette date au 10 octobre 1792 où fut remplacé par Le Saulnier qui fut confirmé bien qu’élu illégalement], qu'associé à vos travaux, il me serait infiniment pénible d'être témoin des reproches qui affecteroient votre sensibilité. Je vous invite donc, Messieurs, à ne pas négliger un travail que l'honneur et le devoir vous prescrivent impérieusement ».

Le Directoire dut reconnaître le bien-fondé de ces observations, mais il se montra quelque peu froissé de la manière aigre-douce dont la remontrance était présentée. Il arrêta on conséquence « de presser dans les bureaux les travaux préparatoires qu'il a recommandés depuis quelque tems, afin de pouvoir terminer l'ouvrage dont il connoit l'importance et dont il a prévu la nécessité et de présenter sous huitaine le rapprochement des différentes parties » (Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 J 4. ff 18-19).

Une dernière question doit nous arrêter quelques instants. A combien s'élevaient les frais d'administration du Directoire du Département ? Nous en trouvons le montant indiqué d'une manière très nette dans l'Etat des dépenses générales à la charge du Département des Côtes-du-Nord pour l'année 1791, et arrêté le 6 octobre de l'année en cours. Le total s'élève à 102.530#. Les dépenses fixes ne dépassent pas 17.300# [Note : Arch. Dép. des C.-d.-N. L 7 J 4. ff 18-19. (Cf à l'appendice le budget de 1791)]. — 85.320# sont donc attribuées aux dépenses variables. Ce qui nous frappe le plus dans ce relevé, ce sont les 65.000# affectées aux frais d'impression, somme énorme comparée à l'ensemble, mais qui s'explique par ce fait que le Département avait à sa charge l'impression à un très grand nombre d'exemplaires, en feuilles et en placards, pour toutes les communes, des décrets de l'Assemblée Nationale. Et l'on sait s'ils étaient nombreux !

Tel est, dans son ensemble, le tableau de l'administration du premier Directoire du Département. On pourra évidemment se demander s'il n'aurait pu adopter une méthode de travail plus rationnelle ? Si ses membres ont toujours montré une exacte compréhension de leur tâche ? S’ils n'ont pas trop subi l'influence des événements au détriment de l'œuvre durable ? toutes questions auxquelles nous avons par avance répondu. Mais ce qui doit surtout nous frapper, c'est ce souci très réel de la réglementation, tant il est vrai qu'au régime du chaos succédait le régime de l'organisation et de l'ordre.

 

APPENDICE.

Répartement des Contributions Foncière et Mobiliaire pour l'année 1791 (6 Octobre 1791).

... Le Directoire s'occuppoit depuis longteme des travaux préparatoires pour asseoir le répartement entre les Districts des contributions foncière et nobiliaire de 1791. Il a définitivement arrêté cette opération et en a envoyé ce jour les tableaux au ministre ; il a expédié au ministre les commissions qui leur font connoitre les sommes qu'ils doivent supporter. Outre ces commissions, il leur a fait passer un tableau total de ce répartement et un état des dépenses, à la charge du Département, conformes à ceux ci-après inscrits.

Répartement de la Contribution Foncière pour l'année 1791

 

Répartement de la Contribution Mobiliaire pour l'année 1791

 

Etat des dépenses à la charge des Côtes-du-Nord pour l'année 1791

 

Etat des dépenses à la charge des Côtes-du-Nord pour l'année 1791

 

Etat des dépenses à la charge des Côtes-du-Nord pour l'année 1791

(1). Du six septembre mil sept cent quatre vingt onze, séance du soir tenue par MM. Bameulle président, Le Mée, Rivoallan, Urvoi, Rupérou, Morand, Bouttier, Fercoq, présent M. le Procureur général syndic. Le Directoire délibérant sur la manière de répartir entre les neuf districts du Département la somme de deux millions cinq cent soixante six mille sept cents livres, à laquelle le décret du 27 mai dernier a fixé le montant de ses contributions foncière et mobiliaire pour la présente année 1791 ; reconnoissant à regret qu'il lui est impossible de se procurer pour cette année aucunes bases certaines d'après lesquelles il puisse établir, comme il le désireroit une répartition équitable entre les districts, que l'Assemblée Nationale elle-même n'a pu s'en procurer et qu'elle s’est conformée dans la répartition qu'elle a arrêtée entre les cinq départermens qui forment l'arrondissement de l'ancienne province de Bretagne à celle qui lui ont été indiquées par son comité des Contributions publiques dans son rapport sur la répartition des contributions ; Sur ce, ouï le Procureur général syndic, a arrêté de suivre également les mêmes bases ; en conséquence de répartir d'abord entre les Districts la dite somme de deux millions cinq cent soixante six mille sept cents livres au marc la livre de celle de quatorze cent quatre vingt neuf mille trois cent soixante deux livres, onze sous, deux deniers, montant de la capitation, vingtièmes et fouages du département des Côtes-du-Nord en 1790 et pour opérer le partage des deux contributions foncière et mobiliaire, de diviser, après soustraction faite des vingtièmes seulement, la somme restant par trente ; vingt-trois de ces trentièmes réunis aux vingtièmes la contribution mobiliaire. (Arch. Dép. des C.–d.–N. L 7 G 3. ff 148-149).

(Léon Dubreuil).

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