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EFFLAM et HENORA

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Le Grand Rocher de Saint-Efflam en Plestin-les-Grèves

Auprès de la Lieue-de-Grève qui s'étend entre Plestin-les-Grèves et le bourg de Saint-Michel-en-Grève, se trouve une oasis dont la verdure contraste avec l'aridité des dunes de sable qui l'entourent. Un rocher colossal l'abrite contre les vents de la mer. Un ruisseau, qui descend des hautes terres, y entretient la fraîcheur et la végétation. Il y a bien longtemps qu'on n'y voit plus aucune trace de la demeure que le seigneur prince d'Hybernie, Efflam, y avait créée ; mais la colline qui domine et cerne la baie au couchant, conserve encore des vestiges de l'oratoire également élevé par saint Efflam pour y abriter ses derniers jours dans une retraite austère (Note : Au pied de la falaise on voit une chapelle plus moderne dédiée à saint Efflam, mort vers 512, selon la chronique d'Albert de Morlaix).  

Voulant mettre fin à une guerre qui désolait l'Irlande, Efflam consentit à épouser Hénora (ou Hénorat), fille du comte Gurwallon, ennemi de son père ; mais la paix étant assurée, le jeune prince, que les dangers de la cour épouvantaient, emmena secrètement sa belle et vertueuse épouse. Ils s'embarquèrent aussitôt et vinrent aborder, en Armorique, dans la baie de la Lieue-de-Grève, où Efflam avait résolu de vivre loin du monde, dans la retraite qu'il s'était préparée. 

Ce fut là que, durant deux ou trois années, les jeunes époux goûtèrent un bonheur d'autant plus complet qu'une commune piété en formait le lien. 

Un jour, cependant, Hénora crut s'apercevoir qu'Efflam devenait triste et pensif. Plusieurs fois même, elle osa lui en faire la remarque. Puis elle s'efforçait d'éloigner, par un redoublement de tendresse, la mélancolie qui paraissait gagner le coeur de son mari. Cette tristesse pourtant ne provenait pas de l'oisiveté : la vie du gentilhomme était remplie, autant qu'il est possible, par la pratique continuelle des bonnes oeuvres. Nul ne trouvait sa porte fermée ; sa main libérale était ouverte pour tous les malheureux. 

Ainsi se passait l'existence de ces époux, heureux de leur isolement sur la terre. Dans leurs loisirs, ils aimaient à se promener sur le bord de la mer ; ils contemplaient avec ravissement cette immense et limpide plaine bleue, image de la pureté le leurs âmes ; et, lorsque le vent d'orage venait parfois la troubler, avec quelle ardeur leur prière s'élevait au ciel pour les matelots exposés sur les vagues !... 

Une corneille de mer toute noire, au bec de corail, élevée par les soins d'Efflam, était la compagne assidue de leurs courses ; elle ne manquait jamais de répondre à leur appel. L'oiseau fidèle voletait au-dessus d'eux en décrivant mille cercles rapides, et s'il venait à passer quelque bande de goëlands ou de mouettes, la corneille s'élançait à leur poursuite en poussant des cris ; puis, reprenant son vol, elle allait se poser sur l'épaule d'Efflam ou d'Hénora. 

Cependant l'incurable mélancolie du gentilhomme augmentait de jour en jour. Bientôt il lui devint impossible de la dissimuler. Un soir qu'ils se promenaient selon leur coutume sur le sable uni de la grève, la fille de Gurwallon, voyant son mari soupirer en détournant les yeux, lui demanda ce qui causait sa souffrance. « Pourquoi êtes-vous si triste, Efflam ? lui dit-elle. Vous ne pouvez me le cacher, je lis une peine secrète dans vos yeux. Vous souffrez, je le vois ; vous semblez malheureux ». 

— Malheureux ! s'écria Efflam ; vous vous trompez, Hénora ; je ne saurais l'être auprès de vous ; mais, je dois vous l'avouer, de vagues inquiétudes, des pensées que je ne puis définir, portent le trouble dans ma conscience, à la vue du bonheur sans mélange qui m'a jusqu'à ce jour entouré. Et si je songe à tant d'infortunés, à tant d'êtres éprouvés qui gémissent ici-bas, je me demande quelle sera la récompense de ceux qui trouvent un paradis sur la terre. Dieu bon, Dieu juste, peut-il leur accorder même part ? 

—  Je ne puis vous comprendre, reprit l'épouse alarmée. Si ce Dieu que vous m'avez fait aimer davantage, nous comble de félicité, c'est qu'il le trouve utile et que telle est sa sainte volonté. Et ne m'avez-vous pas appris à dire chaque jour : «  Seigneur, que votre volonté soit faite ? ». 

—  Il est vrai ; et pourtant, Hénora, rien ne saurait calmer mes inquiétudes à l'endroit de mon salut et du vôtre. Je ne voudrais pas vous causer de douleur, mais j'ai plus souci de votre âme que du bonheur éphémère que vous avez pu rêver dans ce monde. Lorsque je vous emmenai d'Irlande, vous connaissiez à peine ce Jésus crucifié qu'aujourd'hui vous aimez et adorez comme moi. Vous savez qu'il a souffert pour tous les hommes, et qu'il a voulu par sa croix nous donner l'exemple de la souffrance et du sacrifice. S'endormir dans une vie de mollesse et de félicité me semble donc contraire à ce divin exemple... 0 Hénora, n'allez pas m'accuser d'un barbare oubli : jamais je ne vous aimai plus tendrement que le jour où j'ai compris que Dieu nous ordonnait de ne plus vivre que pour lui, de nous immoler à lui, et, dois-je vous le dire ? de nous séparer, afin de vivre unis dans son éternel amour. 

— Ciel ! qu'entends-je ? s'écria la jeune femme éperdue. Me quitter ! Est-ce ainsi que vous prétendez m'aimer ?... En quel lieu irez-vous, infortuné, où vous puissiez trouver plus de tendresse ? Où porterez-vous vos pas ? Quelle retraite choisirez-vous qui vous procure plus de calme et de bonheur ? Où trouverez-vous des soins plus constants, un coeur plus dévoué, une soeur plus attentive, une épouse plus fidèle ?... Et si vous êtes assez barbare pour vous immoler vous-même, songez du moins à la malheureuse Hénora, que votre cruel abandon condamnerait à un malheur irréparable et sans doute à une mort prochaine!... 

Hénora s'interrompit, suffoquée par ses sanglots, et tomba à genoux sur le bord de la grève, où les flots commençaient à monter. Efflam détourna les yeux pour les élever vers le ciel, auquel il demanda peut-être un courage prêt à l'abandonner ; puis, remarquant que la mer s'avançait rapidement et baignait déjà les genoux de sa jeune femme, il la saisit dans ses bras et l'emporta jusqu'à leur habitation. 

Efflam passa la nuit dans la prière, suppliant Dieu de répandre sur sa compagne une partie de cette lumière qui l'avait éclairé lui-même. 

Le ciel n'est jamais fermé aux prières qui s'élancent d'un coeur pieux, ardent et sincère. 

Le lendemain matin, Efflam priait encore, lorsque Hénora s'introduisit dans son appartement. Elle était vêtue de deuil ; son visage, pâli, mais empreint d'une touchante sérénité, portait les marques de l'angoisse douloureuse qui l'avait agitée pendant la nuit. Son époux comprit, au premier coup d'oeil, qu'il s'était accompli un grand changement dans cette âme que la grâce avait touchée. « Efflam, lui dit-elle, vous le voyez, j'ai déjà pris le deuil de mon veuvage. Hier je ne pouvais me faire à l'idée de vivre loin de vous. Il me semblait que rien ne devait remplacer votre présence pour moi. Je ne croyais pas même que l'amour de Dieu pût être assez grand pour combler le vide que vous laisseriez dans mon coeur déchiré ; mais j'ai prié à votre exemple, et bientôt j'ai senti la lumière dessiller mes yeux. Vous demandiez un miracle au ciel, et ce miracle s'est opéré en moi... Je suis prête ; partez, frappez ; je bénirai votre main ! ».

— Béni soit le ciel! s'écria le saint jeune homme attendri ; béni soit-il de m'avoir donné une épouse telle que je la rêvais depuis longtemps !... 0 Hénora, vous exagérez à votre tour le sacrifice que Dieu nous demande. Si nous n'habitons pas le même toit, nous respirerons sur le même rivage. Nos âmes seront encore ensemble et nous vivrons unis par nos communes pensées... 

— Ah ! que ce bonheur est digne d'envie ! dit Hénora ; puis elle ajouta avec une touchante naïveté : Pourtant il me semble qu'il doit être bien dur de se garder souvenance sans se revoir jamais ?... Hénora se tut un moment, et, comme si elle se fût rattachée à un dernier rayon d'espoir humain, elle murmura en soupirant : « Ne disiez-vous pas que nous vivrons sur le même rivage ? — C'est la vérité, répondit Efflam. Voyez cette colline aride qui domine la baie : c'est là que je vais me retirer pour m'y consacrer entièrement à Dieu. J'y élèverai un oratoire et une cellule. Une cloche y sera placée par mes soins. Tous les matins, à l'aube du jour, la voix pieuse de l'airain vous dira que ma première pensée à mon réveil sera de prier pour vous ; et quand l'ombre descendra sur la mer, la même voix viendra vous avertir que le pauvre Efflam invoque le ciel pour tous les malheureux, et qu'il le supplie d'accorder à Hénora la paix céleste et le calme de la résignation... Et maintenant, ajouta-t-il en se détournant pour cacher ses larmes, adieu, adieu pour jamais... sur la terre »

En cet instant, la corneille, qui pendant cette pénible entrevue tournoyait autour de ses maîtres avec des croassements plaintifs, vint se poser sur le bras d'Efflam. « Va, pauvre oiseau, dit Hénora ; accompagne-le du moins dans sa solitude, et chaque fois qu'il sera souffrant ou affligé, reviens, reviens m'en porter la nouvelle, afin que, s'il est possible, je prie avec plus d'ardeur pour l'allégement de ses peines... »

Depuis quelques années, un humble oratoire avait été construit sur la falaise. Au lever et au coucher du soleil, les sons d'une cloche, répétés par les échos de la grève, faisaient naître dans les pauvres chaumières du voisinage la pensée de la prière et du recueillement. 

Chaque soir aussi, on apercevait sur le bord de la mer, au milieu de la brume des vagues, une femme en deuil qui errait comme une ombre, jusqu'au moment où la brise lui apportait les accents affaiblis de la cloche. Alors, comme poussée par une main invisible, elle tombait à genoux sur le sable humide, et restait longtemps abîmée dans une silencieuse méditation. 

Un soir, pourtant, elle ne vint pas contempler la mer..., et, dans la cellule de l'ermite, la corneille au bec de corail voletait en poussant des cris incessants, plus plaintifs que de coutume. Elle semblait vouloir entraîner Efflam et lui dire : — Suis-moi, suis-moi ; le temps presse ! 

Un sinistre pressentiment s'empara de l'âme de l'anachorète. — Hénora ! s'écria-t-il, Hénora se meurt ; elle m'appelle ! 

Et il s'élança à la suite de l'oiseau... Etendue, dans l'ombre, sur un lit de mousse et d'algues desséchées, Hénora, pâle et blanche comme un lis, paraissait attendre son mari pour mourir... Elle essaya de murmurer le nom d'Efflam, puis le nom, si doux aux mourants, du Christ Jésus ; et montrant par son dernier regard le ciel à son époux, elle expira. 

Efflam, dit la tradition, modèle des solitaires, vécut encore de longues années dans sa cellule de la falaise, au milieu d'étonnantes austérités et d'une piété surhumaine (E. du Laurens de la Barre).

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