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RAOUL TRÉAL, ÉVÊQUE DE RENNES

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Dom Lobineau consacre seulement cinq ou six lignes à cet évêque de Rennes, et, disons-le, malgré tout notre respect pour le savant bénédictin, ces quelques lignes contiennent de graves erreurs. Voici le texte de l'historien breton : « Il y avait alors à Rennes (ad annum 1382), un évêque (Guillaume de Treal) (sic) qui déshonorait son caractère par une vie scandaleuse et des crimes affreux. Les vicaires généraux de l'archevêque de Tours donnèrent commission le 21 de juillet à Guy de Cleder, Raoul de Caradeuc, Guy le Barbu, et Pierres Hattes, juges de la province, d'informer contre cet indigne prélat, et d'implorer ensuite le secours du bras séculier pour le mettre en prison. L'on ne sait point quel fut le succèz de cette commission ; mais cet évêque mourut l'année suivante » (D. Lobineau, t. I, p. 444).

Restituons d'abord à l'évêque si maltraité par dom Lobineau son véritable nom. Il s'appelait Raoul, RADULPHUS, et non pas Guillaume. Tous les catalogues, depuis et y compris Dupaz jusqu'à l'abbé Tresvaux, l'inscrivent sous ce nom de Raoul, qui lui est aussi donné par Jean Maan, l'historiographe de l'Eglise de Tours, — et à bon droit. J'en trouve la preuve positive et irréfragable : 1° dans l'épitaphe gravée sur le tombeau de ce prélat, qu'on voyait dans notre ancienne Cathédrale avant sa destruction, en 1756 ; 2° dans un vieux martyrologe de l'Eglise de Rennes de la fin du XIVème siècle. Ce respectable document contemporain mentionne, à propos d'une fondation faite par Pierre Levesque, chanoine de Rennes, une autre circonstance curieuse, bonne à noter ici en passant. Ce chanoine, fils de messire Guillaume Levesque, seigneur du Molant, en Bréal, fut élu par le Chapitre après la mort de Raoul de Tréal, comme le constate le passage suivant textuellement extrait du martyrologe : « ad ecclesiam Redonensem dudum vacantem per obitum BONAE MEMORIAE RADULPHI DE TREAL concorditer electus ».

Cette note révèle un fait historique dont personne n'a signalé l'existence : c'est que le Chapitre de Saint-Pierre de Rennes et le duc Jean IV n'étaient pas en très-bons termes : le duc saisissait toutes les occasions pour contrecarrer et vexer les chanoines. Il est certain que, après la mort de Raoul de Tréal, le duc fit pourvoir un étranger au Chapitre et à la province, Guillaume Briz, qui ne siégea à Rennes qu'un an, puis le remplaça en 1386 par un autre étranger, un Dauphinois, Antoine Lovier.

Pendant ce temps-là, le Chapitre, tout en se soumettant, pour ne pas organiser un schisme, au prélat imposé par le prince, faisait des démarches pour obtenir que le chanoine élu librement par lui et pris dans son corps fût canoniquement institué et sacré. Les mots dudum vacantem indiquent bien que le Chapitre regardait comme vacant le siège de Rennes occupé par des évêques qui n'avaient point la ratification de son choix spontané. Cette mésintelligence entre le duc Jean et les chanoines de Rennes datait déjà de longues années.

Dès le principe de la guerre de succession en Bretagne, Rennes s'était déclarée pour Charles de Blois, compétiteur de Jean de Montfort, et lui était restée fidèle jusqu'à la fin. Lorsqu'en 1342 les bourgeois eurent rendu leur ville à l'époux de la princesse Jeanne de Penthièvre, qu'ils regardaient comme la légitime héritière du duché, ils ne varièrent plus dans leurs affections. Les chanoines ne furent pas des derniers à se réunir aux bourgeois ; tous reconnurent ensemble Charles de Blois pour vrai duc de Bretagne : et le prince, sensible à ce dévouement, ne négligea rien pour achever l'édifice de l'église cathédrale et le mettre en état de célébrer la dédicace, qui eut lieu effectivement par ses soins le 3 novembre 1359. L'évêque Pierre de Guéméné, alors titulaire du siège de Rennes, procéda à cette cérémonie, qui se fit avec tout l'éclat possible dans la circonstance.

C'est à la munificence de Charles de Blois qu'étaient dues et la grande vitre en forme de rose qui s'épanouissait au mur Nord du transept de l'église, et toutes les verrières qui éclairaient le haut du choeur. L'érection de plusieurs autels, la fondation de chapelles en l'honneur de saint Judicaël, de saint Salomon et de saint Yves, canonisé environ dix ans auparavant (en 1348), signalèrent encore la piété du même prince, qui fit don  à l'église de Saint-Pierre de magnifiques tapisseries d'Arras pour orner le chœur, sans compter plusieurs tableaux et un grand nombre d'ornements. Aussi, par une délibération du 3 novembre 1361, le Chapitre, plein de gratitude, arrêta que tous les ans serait célébrée à pareille date une messe du Saint-Esprit à l'intention du duc Charles, pendant sa vie, et après sa mort une messe de requiem.

Raoul de Tréal, qui dès lors était chanoine et archidiacre du Désert, appartenait à une ancienne et noble famille, attachée à la fortune de Charles de Blois. Ce nom de Tréal n'était pas seulement illustre dans les armes, comme toutes les vieilles races de gentilshommes bretons, mais la prudhommie et la sagesse des temps anciens comptaient des adeptes parmi les chevaliers ancêtres du digne archidiacre. Si l'on en croit Noël du Fail, un seigneur de Treal, surnommé le Fier, aurait concouru, vers 1330, à la rédaction de la très-ancienne Coutume de Bretagne.

Chartes de Blois avait pour l'archidiacre Raoul une amitié et une estime singulières : c'était entre ses mains qu'il déposait les sommes destinées par lui à finir l'église de Saint-Pierre. Ce fut à la recommandation de ce prince, pendant qu'il séjournait à Rennes, que le Chapitre élut et fit sacrer évêque Raoul de Tréal, après la mort de Pierre de Guémené.

Il était difficile que Jean de Montfort, l'ennemi et le vainqueur de Charles de Blois, fût animé de bienveillantes dispositions à l'égard d'un prélat favori de son adversaire, et on s'explique facilement l'opposition qu'il dut mettre à l'élection d'un successeur du choix de ce même Chapitre qui avait été si attaché à Charles.

Pendant la vie de Raoul de Tréal, son zèle pour travailler à la réformation des mœurs du clergé et à soutenir les droits de l'épiscopat lui attira bien des traverses et des persécutions de la part d'un souverain tel que le duc Jean IV ; on sait assez combien étaient implacables chez ce prince les rancunes de la haine ; il ne reculait même pas devant la trahison pour en faire ressentir les effets à ceux qui avaient encouru sa disgrâce. Il poursuivit donc de sa malveillance l'évêque de Rennes et parvint (à quoi ne parvient pas la puissance ?), il parvint, dis-je, à noircir la réputation de Raoul, et à le faire poursuivre devant l'officialité métropolitaine de l'archevêque de Tours.

Deux pièces qui constatent l'introduction de cette procédure existent encore. La première, tirée des archives de la Loire-Inférieure, Trésor des Chartes de Bretagne, N. C. 18, m'a été communiquée avec la plus gracieuse obligeance par mon ami M. A. de la Borderie ; c'est une commission donnée par le métropolitain de Tours à quatre officiers de la justice du duc de Bretagne, pour informer sur les faits graves, disons mieux, les crimes énormes imputés à l'évêque Raoul de Tréal. « Suivant le bruit public, disent les vicaires-généraux de l'archevêque de  Tours, si l’on en croit des rapports et des dénonciations répétées, à eux parvenues ». — Fama publica refferente et insinuacione clamosa sepius preveniente. Tout le monde conviendra qu'il aurait fallu d'autres preuves que ces rumeurs, qui m'ont bien l'air de provenir d'une seule et unique source, pour reconnaître un coupable dans un prélat jusqu'alors à l'abri du soupçon, surtout quand il ne s'agit de rien moins que d'adultères, de meurtres, d'actes de simonie des plus graves.

Du reste, cette commission, en vertu de laquelle les juges bretons devaient procéder à une enquête, et une fois les faits prouvés, réclamer l'aide du duc et du bras séculier pour mettre la main sur le coupable, cette commission ne paraît pas avoir été suivie d'aucun acte exécutoire. On ne trouve nulle trace ni d'enquête, ni de poursuite ultérieure. S'il avait existé quelque chose de pareil, la chancellerie de Jean IV n'eût pas manqué d'en conserver les actes. Il y a tout lieu de croire qu'on n'a pas osé faire usage de cette pièce déposée dans les Archives de la Tour de Nantes.

Toutefois, les ennemis de Raoul de Tréal ne s'en tinrent pas à cette unique tentative. Nous apprenons par une seconde pièce datée du 3 juin 1383, retrouvée par nous aux archives d'Ille-et-Vilaine (fonds de l'évêché de Rennes, 4 G, 12), qu'une nouvelle batterie avait été dressée pour suppléer au vague de la première attaque. Cette fois, on parvint à mettre en avant des noms propres : quelques ecclésiastiques du diocèse de Rennes avaient, paraît-il, consenti à jouer un rôle dans cette affaire. Un archidiacre du Désert, maître Hervé de Keroulay, favori et conseiller de Jean IV, deux chanoines du Chapitre de Rennes, un abbé de Saint-Pierre de Rillé, quelques chapelains, quatre ou cinq recteurs et une demi-douzaine d'autres prêtres, figurent dans cet acte comme accusateurs de leur évêque. Et de quoi l'accusent-ils ? On croirait naturellement que l'on va entendre reproduire les affreuses imputations du précédent réquisitoire. Pas du tout : il ne s'agit plus de cela. Raoul, évêque de Rennes, est prévenu de faire des statuts sans l'assentiment de tous les membres de son Chapitre, de les publier et de les faire exécuter ; — d'exiger que les recteurs, vicaires, curés et bénéficiers, résident dans leurs paroisses, cures et bénéfices ; — d'avoir menacé de suspension et d'excommunication les ecclésiastiques complaignants ; — de tenir deux fois l'an son synode, et de n'accorder aux prêtres qu'on lui présente pour avoir charge d'âmes qu'une institution provisoire jusqu'au prochain synode, agissant ainsi, dit l'accusation, pour extorquer de doubles droits de sceau. Ne devrait-on point trouver plutôt dans ce fait l'indice d'une légitime sévérité et d'une défiance prudente commandée au chef du diocèse par l'état moral d'un clergé qui avait besoin de réformes ? Le reste des imputations est de même force. On demeure confondu en présence d'une impudence semblable. Voilà les griefs que trouvent à formuler en dernière analyse contre un prélat recommandable une vingtaine d'ecclésiastiques, interjetant appel de la juridiction de leur évêque à celle du métropolitain de Tours. C'est en vertu de cet appel que les vicaires-généraux et le Chapitre de l'Eglise de Tours, le siège vacant, adressent une citation de comparaître à leur barre au vénérable évêque Raoul de Tréal.

Toutes ces tracasseries et ces persécutions abrégèrent sans doute sa vie : ce qu'il y a de certain, c'est qu'il mourut la même année ; au lieu de paraître au tribunal de l'officialité métropolitaine, le successeur de saint Amand, de saint Melaine et de saint Moderamne, alla rendre compte des actes de son pontificat à celui de qui il tenait sa charge, son pouvoir et sa mission.

Nous avons entendu le langage intéressé des adversaires du prélat ; maintenant, si nous consultons la tradition locale et les monuments particuliers de l'Eglise de Rennes, nous y puisons de Raoul de Tréal une toute autre idée que celle qu'inspirent des documents empreints de l'esprit d'injustice et de persécution, rédigés sous l'influence des ennemis du courageux évêque.

Nous avons vu ci-dessus que, lorsque le Chapitre rappelait sa mémoire, c'était avec un sentiment d'affectueuse vénération et de regrets « bonœ memoriœ Radulfus de Treal ».

Après sa mort, un tombeau lui fut élevé dans la chapelle de Saint-Louis et Saint-Méen, qu'il avait fondée et fait bâtir à ses frais, à l'Orient du transept méridional de l'église cathédrale. Ce monument, exécuté en marbre, représentait la statue de Raoul en costume épiscopal, couché sur la partie supérieure d'un socle décoré de bas-reliefs, avec statuettes abritées sous des arcades ogivales. Les chanoines de Saint-Pierre, avaient fait graver sur trois côtés une longue épitaphe à la louange du défunt, épitaphe qui malheureusement ne nous a pas été conservée en entier, car nous y aurions retrouvé sans doute un résumé de la vie du prélat. Dès le XVIIème siècle, on n'en pouvait plus déchiffrer que quelques mots ; relevée à cette époque par un membre du Chapitre, aux notes duquel nous les empruntons, ces fragments se trouvent encore, mais en leçon plus défectueuse, dans le procès-verbal de l'état de l'église cathédrale dressé en 1756, sur l'ordre de M. Le Bret, intendant de Bretagne, et aux termes d'un arrêt du Conseil d'Etat. Voici ces témoignages précieux pour la mémoire du prélat calomnié : « Radulphus (Treal)... immensis pugil... pravos clericorum mutavit mores gregique vigilavit... campana magna datur... per eum templum reparatum... conservando sua jura... non perdit... plurima dans... ac alienata revocantur... mansio pluralis (?) renovata ou renovatur pontificalis. — Conservera pia velit templum virgo Maria. Amen ».

De ces lambeaux de phrases on peut conclure que Raoul de Tréal, pendant sa carrière épiscopale, eut à supporter d'immenses travaux, à soutenir des luttes formidables ; qu'il réforma les moeurs de son clergé en faisant revivre la pureté de la discipline ; qu'il veilla avec la sollicitude d'un bon pasteur sur le troupeau qui lui était confié ; qu'il ne déploya pas moins de zèle pour l'ornement matériel de la maison du Seigneur [Note : On lit dans le livre des usages de l'Eglise de Rennes rédigé en 1415 : « Lévesque de Treal que Diez absolie y bailla et presenta pluseurs draps dor de grand valour, il fist fere la table d'auter, les ymages de S. Père et S. Poul, et moult d'autres biens »], se montra jaloux de conserver les droits et la liberté de l'Eglise, répandit dans le sein des pauvres d'abondantes aumônes, en un mot, qu'il fut un évêque digne de tous les regrets et de tout le respect de ses ouailles.

0ù trouver dans tout cela le moindre fondement aux horribles accusations trop légèrement admises par dom Lobineau ?

Nous dirons donc en terminant, avec le digne chanoine qui nous a servi de guide dans ce travail de réhabilitation tardive : « Toutes ces preuves de piété, de vigilance pastorale, de libéralité, de fermeté dans les combats et les persécutions qu'il eut à soutenir, ne s'accordent guère avec ce que dit le père Lobineau … de cet évêque. — Si cet historien, au lieu de consulter (exclusivement) les titres déposés, après la mort du prélat, par ses ennemis dans les archives du château de Nantes, avait consulté les monuments de l'Eglise de Rennes, où cet évêque était mieux connu, il en aurait apparemment donné une idée plus raisonnable et plus conforme à la vérité des faits » (P. D. V.).

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