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LA FAMILLE CORNULIER DE LUCINIÈRE.

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VIII. — Jean DE CORNULIER, chevalier, seigneur de Lucinière et de Fayau, en Nort, en 1601 ; de Montreuil, dans la même paroisse, en 1612 ; de la Motte, en Ercé-en-Lamée, en 1640, etc. ; second fils de Pierre III de Cornulier et de Claude de Comaille, naquit à Nantes le 15 avril 1574 ; entra comme page, en 1588, au service de Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercoeur, beau-frère de Henri III, et gouverneur de Bretagne, qui le gratifia, dès 1591, d'une pension sur les Etats de cette province. Les témoins entendus dans l'enquête de 1593 disent qu'il était alors nourri près de la personne de ce prince, et qu'il portait les armes pour la garde et défense de la foi dans les armées de la Sainte-Union des Catholiques. Devenu capitaine de cinquante hommes d'armes et conseiller du Roi en ses conseils d'Etat et privé, il fut tout à la fois un administrateur habile et un militaire distingué.

Nommé, le 8 juin 1601, grand-prévôt de Bretagne et commissaire du Roi aux Etats de la même année ; il fut pourvu, en 1602, de l'office de grand-maître enquêteur et général réformateur des eaux, bois et forêts de France au département de Bretagne, et de celui de grand-veneur audit pays, à la place de Victor Binet, seigneur de Montifroy, son beaufrère, devenu premier président de la Chambre des Comptes de Bretagne. Dans des lettres du 19 décembre 1611, adressées à la Chambre des Comptes, le Roi dit : « En considération des services que le sieur de Lucinière, à présent grand-maître, nous a faits en ladite charge, nous voulons, vous mandons et expressément enjoignons, cette fois pour toutes et sans attendre autres lettres de jussion que la présente, faire jouir le sieur de Lucinière des gages de 3.000 livres pour son état de grand-maître et de ceux de 1.200 livres pour son état de grand-veneur ». Il exerça ces charges jusqu'en 1642, époque à laquelle il s'en démit en faveur de son fils, Pierre IV ; mais il remplissait simultanément diverses autres commissions. C'est ainsi qu'il assista encore, en 1604, en qualité de commissaire du Roi, aux Etats de Bretagne, et qu'il servit activement, sous les ordres du maréchal de Brissac, à la tête d'une compagnie de chevau-légers et d'un corps de carabiniers qu'il avait mis sur pied pour le service des rois Henri IV et Louis XIII, suivant leurs lettres de commission des années 1605 et 1616. Il assista ledit maréchal dans la revue des gens de guerre de la Bretagne faite en cette dernière année, et fut encore capitaine et gouverneur des villes et châteaux de Comper, dans la paroisse de Concoret, de Nantes, du Croisic et de Guérande, sous les ordres des ducs de Vendôme et de Montbazon, en 1616 et 1619.

Famille Cornulier : château de Lucinière.

Le 6 mars 1618, il fut gratifié d'une pension de 1.200 livres, « en récompense, disent les lettres, des bons et fidèles services qu'il a ci-devant faits et continue encore journellement, tant en l'exercice de sa charge de grand-maître qu'en diverses autres occasions où il a été employé, et lui aider à supporter les dépenses extraordinaires qu'il lui a fallu faire en l'exercice de ladite charge ».

Il vendit la terre de Fayau, qu'il avait eue en partage avec Lucinière ; mais il doubla l'étendue de cette dernière en y ajoutant, par divers acquêts, les territoires de Laurière et d'Alon, en Joué. Il acquit aussi la terre de Montreuil. Il rendit à la châtellenie de Nozay deux aveux pour son ancien domaine et seigneurie de Lucinière, en Nort : le premier, en 1610, au connétable de Montmorency ; le second, en 1633, au prince de Condé. Dans beaucoup d'actes, il est encore nommé de Cornillé, et c'est seulement après lui que ce nom fut tout-à-fait abandonné.

Jean de Cornulier mourut à Nantes le 28 décembre 1650. Il avait épousé dans cette ville, le 24 septembre 1603, Marguerite LE LOU, née à Nantes le 17 août 1582, et morte dans la même ville le 4 mai 1642. Elle était fille de feu Michel le Lou, seigneur du Breil et de la Haye, maître des comptes de Bretagne, ancien maire de Nantes, commandant une compagnie contre le duc de Mercoeur, qui brûla son château du Breil et le fit prisonnier, mais dont la rançon fut payée par Henri IV, et de Bonne de Troyes de Bois-Renault. Marguerite le Lou était le septième et dernier des enfants de Michel le Lou, qui s'était marié deux fois. En premières noces, il avait épousé Françoise de Rocas, dont il avait trois enfants : Yves le Lou, maître des comptes et premier capitaine de la ville de Nantes, marié avec Catherine Jallier, desquels descendent les Le Lou de Chasseloire et de la Biliais ; Marie le Lou, femme de Maurice Boislève, conseiller au Parlement de Bretagne ; et Jeanne le Lou, femme de Bernardin d'Espinose, aussi conseiller au Parlement de Bretagne. En secondes noces, Michel le Lou avait épousé Bonne de Troyes, veuve en premières noces de François Jallier, général des finances en Bretagne, dont elle avait une fille unique, Catherine Jallier ci-dessus. Du second lit vinrent : Michel le Lou, auteur des seigneurs de la Motte-Glain ; Pierre le Lou, auteur des seigneurs de Beaulieu ; Gabrielle le Lou, femme de Victor Binet, premier président de la Chambre des Comptes de Bretagne ; et Marguerite le Lou, mariée à Jean de Cornulier, dont elle eut au moins quatorze enfants, qui suivent.

1° Claude de Cornulier, seigneur de Lucinière, né à Nantes le 2 novembre 1604, aumônier du Roi et son conseiller en ses conseils d'Etat et privé, abbé commendataire de l'abbaye de Blanche-Couronne après son oncle, l'évêque de Rennes, qui s'en démit en sa faveur le 27 juin 1635 ; assista en cette dernière qualité aux Etats assemblés à Nantes en 1638. C'est lui qui introduisit la réforme de Saint-Maur dans son abbaye ; le contrat en fut passé avec les religieux le 28 juin 1652. Il était encore prieur de Betton, près de Rennes ; du Tertre, dans la paroisse de Lavau, en l'évêché de Nantes, et du Hézo, près de Sarzeau, dans la presqu'île de Rhuis ; et c'est sous le nom d'abbé du Hézo qu'on le désignait généralement depuis la réformation de son abbaye. Il fut un des commissaires nommés par les Etats, en 1647, pour arrêter divers articles avec la Chambre des Comptes ; donna partage noble à ses puînés par acte des 19 et 20 janvier 1651, et mourut à Nantes le 4 juillet 1681. Il fut inhumé dans l'église des Chartreux de cette ville, où son corps fut conduit processionnellement.

L'abbé du Hézo fut le restaurateur de la fortune de sa famille ; son père, par suite de toutes les commissions onéreuses qu'il avait remplies, avait laissé des dettes considérables, telles que sa succession avait dû être acceptée sous bénéfice d'inventaire. Grâce à sa bonne administration et à plus de 7.000 livres de bénéfices dont il était pourvu, l'abbé du Hézo amortit toutes les charges, acheta la terre de la Gazoire, en Nort, et, en 1666, les terres et seigneuries du Meix, du Vernay, de la Herpinière et de Tristan-des-Landes, dans la paroisse des Touches ; enfin, un hôtel à Nantes, en 1676. L'ancien fief de Lucinière s'étendait à l'ouest jusqu'à la forêt de Saffré ; les fiefs acquis par l'abbé du Hézo dans les Touches, en 1666, lui étaient contigus à l'est ; leur réunion formait un ensemble fort rare, une seigneurie compacte et sans aucune enclave qui s'étendait depuis le bourg de Trans jusqu'à la forêt de Saffré, sur une longueur de trois lieues. Quand, en 1721, le Vernay fut détaché pour former le partage d'un puîné, le domaine foncier lui fut seul attribué ; la juridiction dépendant de cette seigneurie fut réservée par son aîné et demeura annexée à Lucinière pour maintenir l'intégrité de cette belle féodalité, composé de trois hautes justices avec le Meix, et de deux autres moyennes justices. Lors de sa mort, les acquêts de l'abbé du Hézo furent estimés à 182.000 livres, somme considérable pour cette époque. Il fit aussi rebâtir une partie du château de Lucinière, où l'on voit encore, sur la cheminée de la salle à manger, ses armes peintes avec ses attributs d'abbé crossé et mitré.

2° Victor DE CORNULIER, écuyer, seigneur de Montreuil, né à Nantes le 18 février 1606, épousa dans la chapelle de Saint-Georges, près de Nort, le 29 juillet 1631, Jacqueline DE LA RIVIÈRE, fille de Louis de la Rivière, seigneur de la Bérangerais, dans la paroisse de Cugand, et de Marie du Ponceau. Il mourut en 1634, et sa veuve se remaria en secondes noces, en 1636, avec Roland Morin, seigneur du Tresle et du Boistréhan, baron de Guer, alors conseiller au Parlement de Metz, puis conseiller d'Etat, avocat-général et président en la Chambre des Comptes de Bretagne. Victor de Cornulier ne laissa qu'une fille unique :

Marie de Cornulier, dite Madame de Lucinière, née à Nantes le 5 octobre 1633, devait, après la mort de son oncle l'abbé du Hézo, se trouver la principale héritière de sa branche, et attendait, en outre, une grande fortune de sa mère, dame de la Bérangerais et héritière de la Ragotière, en Vallet ; de la Roche-Gautron, en la paroisse de Saint-Rémy-en-Mauge ; de la Roche, en Saint-Crespin ; de la Morlière, en Anjou, etc. ; mais elle renonça à ce brillant avenir. Elevée au couvent des Ursulines de Nantes, depuis que sa mère avait convolé, elle y puisa le goût de la vie religieuse. Le 7 avril 1648, elle fit appeler au parloir son aïeul et tuteur, Jean de Cornulier, et lui déclara que son intention était de se consacrer à Dieu dans cette maison et d'y passer le reste de ses jours. Une dot de 5.000 livres lui fut constituée ; elle commença immédiatement son noviciat ; et deux années après elle prononçait ses voeux.

Le couvent des Ursulines de Nantes était alors le rendez-vous des filles des premières familles de la province ; on voit parmi les religieuses de cette époque mesdemoiselles d'Anthenaise, de Montmorency, de Rieux, de la Roche-Saint-André, de Bruc, de Santo-Domingue, de Bastelard, de la Boissière, de Fourché, de Bédée, de Renouard, du Chaffault, de Goulaine, etc. Madame de Lucinière y avait déjà sa tante, Catherine de Cornulier, religieuse depuis longtemps ; c'étaient là des motifs suffisants pour la déterminer dans le choix de cette maison ; elle comptait bien d'ailleurs que la paix du cloître la dédommagerait de la position qu'elle abandonnait dans le monde et du sacrifice qu'elle faisait à l'agrandissement de l'aîné de sa branche. Sous ce dernier rapport, ses prévisions ne furent pas complétement réalisées. La division se mit dans le monastère en 1656 ; une minorité, appuyée d'influences extérieures, fit élire pour supérieure la dame de la Barre, de Chinon, appartenant à la famille d'un des juges d'Urbain Grandier ; la majorité se pourvut en justice contre cette élection irrégulière, mais, en attendant la décision du pourvoi, la dame de la Barre usait de tout son pouvoir pour maltraiter les opposantes : il en résulta un désordre complet dans la maison. On prêtait aux religieuses qui réclamaient les propos les plus violents ; que leurs voeux n'étaient que conditionnels ; qu'elles souhaitaient que leur couvent fût de paille pour y mettre le feu et en sortir ; qu'elles ne voulaient plus reconnaître aucune autorité et n'aspiraient qu'à sauter par dessus les murailles, à rompre la clôture et même à dissoudre le monastère pour partager entre elles le bien de la maison. Ces religieuses, au nombre desquelles étaient Catherine et Marie de Cornulier, adressèrent à l'évêque une supplique pour protester contre ces calomnies et de leur inviolable attachement aux statuts de leur ordre, mais pour lui demander en même temps à être gouvernées par une supérieure élue librement et canoniquement, conformément aux constitutions apostoliques. Marie de Cornulier vivait encore dans cette maison en 1690.

3° Yves de Cornulier, né à Nantes le 3 juillet 1607, mort jeune.

4° Pierre IV de Cornulier, qui suit.

5° et 6° Bernardin et autre Yves de Cornulier, jumeaux, nés à Nantes le 25 septembre 1613, et morts en bas âge.

7° Philippe-Emmanuel de Cornulier, auteur de la BRANCHE DES SEIGNEURS DE MONTREUIL, qui est la dernière de toutes.

8° Judith de Cornulier, née à Nantes le 17 décembre 1610, mariée dans la même ville, le 5 décembre 1628, à Pierre de Kermeno, chevalier, seigneur de Keralio, en la paroisse de Noyal-Muzillac, fils aîné, héritier principal et noble, de Prégent de Kermeno, seigneur de Botpillio, Liniac, Bodeuc, Lauvergnac, les Houmeaux, Quilfistre, la Haultière, la Bigotière, etc., gouverneur des villes de Guérande et du Croisic, et de Jeanne Charette. Elle mourut sans postérité vers 1643.

9° Isabelle de Cornulier, née à Nantes le 1er mai 1612, entrée en religion chez les Ursulines de la même ville.

10° Catherine de Cornulier, aussi religieuse de Sainte-Ursule, à Nantes, était supérieure dudit monastère de 1649 à 1652, et prieure en 1690.

11° Françoise de Cornulier, née à Nantes le 25 mai 1616.

12° Prudence de Cornulier, soeur jumelle de Françoise.

13° Marie de Cornulier, née à Nantes le 22 mai 1619, entrée en religion, en 1636, au couvent des Bénédictines de Vitré, où elle vivait encore en 1665. Elle avait dû succéder à sa tante, Philippe de Cornulier, au prieuré de Saint-Malo, de Teillay-aux-Nonnains, et jouissait, par compensation, d'une pension de 400 livres sur ce prieuré depuis qu'il avait été réformé.

14° Autre Isabelle de Cornulier, mariée en premières noces à Rennes, le 28 juin 1643, à René des Vaulx, de la maison de Lévaré, chevalier, seigneur de Beauchesne, Marigny, etc., mort le 22 janvier 1655 ; et en secondes noces, en 1657, à écuyer René le Lardeux, seigneur de la Gastière, en la paroisse de Lalleu. Par acte du 13 octobre 1644, son père lui donna en partage la terre de la Motte, dans la paroisse d'Ercé-en-Lamée, où elle se fixa avec son mari, et qui depuis a retenu le nom de la Motte-des-Vaulx ; mais la valeur de cette terre excédant sa légitime de cadette, elle dut, pour la conserver à la mort de son père, en 1650, donner un retour à son frère aîné. Isabelle de Cornulier mourut au château de la Motte le 19 septembre 1672, et fut inhumée dans l'église d'Ercé. Elle n'avait pas eu d'enfants du second lit, mais elle en laissa cinq du premier, entre autres Jean-Baptiste des Vaulx, qui épousa en 1682 Françoise le Meneust, et dont le fils unique se maria en 1706 avec Pélagie de Cornulier, sa cousine.

 

IX. — Pierre DE CORNULIER, IVème du nom, chevalier, seigneur de Lorière, du Pesle, du Branday, de la Grande-Haye et de la Moricière, dans les paroisses de Brains, Saint-Léger et Port-Saint-Père, né à Nantes le 5 octobre 1609, conseiller du Roi en ses conseils d'Etat et privé, capitaine d'une compagnie d'infanterie levée par lui suivant commission du 16 novembre 1635 ; fut pourvu, le 3 janvier 1642, des offices de grand-maître et de grand-veneur, enquêteur et général réformateur des eaux, bois et forêts de France au département de Bretagne, charges que son père lui avait résignées et qu'il exerça jusqu'en 1656. Puis il fut commissaire du Roi aux Etats de Bretagne des années 1657, 1659, 1661 et 1665. Il mourut à Nantes le 19 décembre 1668, et fut inhumé dans l'enfeu des Cornulier, en l'église de Sainte-Radégonde.

Comme puîné, Pierre de Cornulier n'eut en partage aucune des terres de sa famille ; ses charges de grand-maître et de grand-veneur de Bretagne lui tinrent lieu de légitime, et, à la mort de son père, leur valeur se trouvant excéder la part de juveigneur qui lui revenait dans sa succession, il dut même rapporter une certaine somme à l'abbé du Hézo, son frère aîné.

Son beau-père lui avait transporté, en 1647, à valoir à la dot de sa femme, un vaste terrain vague nommé Papolin et situé en la paroisse de Brains, qu'il avait lui-même afféagé du Roi en 1640. Pierre de Cornulier s'appliqua à enfermer une terre, qu'il nomma Lorière ; il y bâtit un manoir et y ajouta par acquêt, en 1655, les anciennes terres et seigneuries du Pesle et dépendances qui lui étaient contiguës. Par suite de l'intérêt qu'inspire toujours ce qu'on a créé, il préféra le nom de Lorière aux autres, quoique le Pesle fût une haute justice et eût un domaine fort étendu, tandis que Lorière n'avait point de juridiction. C'est donc sous cette dénomination qu'il fut généralement connu, et elle s'établit si bien, qu'elle prévalut encore dans sa postérité durant deux générations après lui ; en sorte que le nom de Lucinière, qui, souvent tout seul, avait servi à désigner le chef de la branche, ne fut réellement repris que par son arrière-petit-fils, bien que cette terre fût tout à la fois plus importante, plus décorée et plus ancienne dans la famille.

On lit dans un Mémoire imprimé du temps, que « Pierre de Cornulier fut grand-maître des eaux et forêts de Bretagne pendant quatorze ans, et qu'il s'acquitta avec honneur et intégrité de sa charge. Que ses procès-verbaux marquent le grand soin qu'il a apporté à la conservation des forêts, et qu'en bon officier de Sa Majesté, il n'a pas craint de choquer les personnes les plus qualifiées en s'opposant vigoureusement à leurs usurpations. Que ses visites extraordinaires, partout où il apprenait que le mal était le plus grand, lui ont occasionné d'excessives dépenses, et particulièrement son procès-verbal de 1643, qui est l'unique pièce qui fixe l'état des forêts. Enfin, que les dérèglements et la ruine des forêts n'ont commencé que depuis qu'il est hors de sa charge ».

Pierre IV de Cornulier avait épousé à Nantes, le 22 janvier 1645, Françoise-Josèphe DU PLESSIER, fille aînée de René-Louis du Plessier, chevalier, seigneur de Genonville, de la Blanchardais, en la paroisse de Vue ; du Pont-en-Vertais, à Nantes, etc. ; gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi et premier gentilhomme du duc de Vendôme, capitaine et gouverneur des ville et château d'Ancenis, maître des eaux et forêts de ladite baronnie, et de Marie Blanchard, fille de Jean Blanchard, seigneur de Lessongère, baron du Bois et Plessis-de-la-Muce, en Chantenay, maire de Nantes en 1611, superintendant du duc de Vendôme, conseiller d'Etat et premier président de la Chambre des Comptes de Bretagne en 1634.

Françoise-Josèphe du Plessier appartenait à une ancienne maison de Picardie qui avait de très-brillantes alliances, et qui, au commencement du XVème siècle, avait changé son nom de Foucanine en celui du Plessier, qui est une terre située près de Noyon. Elle-même avait été élevée dans l'hôtel de Vendôme, à Paris, près de la Duchesse, qui était sa marraine ; elle était liée avec tout ce qu'il y avait de plus considérable à la cour, et Madeleine d'Orléans, fille de Gaston, frère de Louis XIII, et mariée depuis au duc de Guise, entretenait avec elle une correspondance suivie et lui écrivait comme à une amie intime. Ses lettres, conservées à Lorière, y ont été brûlées avec la maison en 1793. En raison de son origine et de ses relations, madame de Lorière passait pour être très fière de sa naissance et un peu hautaine.

Elle était née au château d'Ancenis en 1625, et n'avait été nommée que trois ans et demi après, le 25 mars 1629, dans la chapelle de l'hôtel de Vendôme, sur la paroisse de Saint-Roch, à Paris, par Françoise de Lorraine, duchesse de Vendôme, et par M. de Lessongère-Blanchard. L'évêque de Lisieux, Philippe Cospéan, qui fit la cérémonie, omit, dans l'acte de baptême, de rappeler la date de sa naissance, ce qui, dans la suite et après qu'elle fut morte, donna occasion à sa soeur cadette, Elisabeth du Plessier, née le 14 septembre 1626, et mariée à Charles Hubert, seigneur de la Vesquerie, de prétendre qu'elle était l'aînée. Jean-Baptiste de Cornulier dut à ce sujet suivre une longue procédure contre sa tante et faire faire une enquête sur le droit d'aînesse contesté à sa mère. Interrogée judiciairement, à l'article de la mort, par une commission du présidial de Nantes, la dame de la Vesquerie ne voulut jamais répondre catégoriquement; disant qu'elle avait bien été élevée comme cadette dans la maison paternelle, mais qu'au surplus elle s'en rapportait aux extraits de baptême. En outre des dépositions de divers témoins, Jean-Baptiste de Cornulier produisit un livre-journal de M. de Genonville, où il avait inscrit jour par jour, depuis son mariage jusqu'à sa mort, tous les événements qui l'intéressaient, et un autre dial semblable tenu par M. de Lessongère, beau-père de M. de Genonville, lesquels établirent définitivement l'aînesse de madame de Lorière.

René-Louis du Plessier, plus connu sous le nom de marquis de Genonville, se fixa tout-à-fait dans le comté nantais, où il avait un frère prieur de Saint-Herblon d'Indre, non-seulement par son mariage ; mais encore par des acquisitions considérables qu'il y fit. En 1636, il acheta du marquis de Châteaurenault la belle terre de la Blanchardais, et devint propriétaire de l'île d'Indret, en Loire, qu'il échangea avec le Roi, en 1642, contre le fief du Pont-en-Vertais et la prairie de Biesse, à Nantes. C'était un esprit entreprenant, un grand spéculateur ; il s'était mis à la tête du projet de dessèchement du lac de Grand-Lieu. Il mourut en 1665, laissant deux fils et trois filles. Le marquis de Genonville avait une grande préférence pour la dernière de celles-ci, Marie-Anne du Plessier, mariée depuis à Sylvestre du Quengo, seigneur de Pontgamp, Crenolle, Penhoët, etc., et il lui fit don, en 1664, de tous les biens qui lui avaient été légués au bailliage de Clermont-en-Beauvaisis par Samuel Bochart, seigneur de Cauroy, son oncle, tandis qu'il avait déjà marié ses deux autres filles, mesdames de Lorière et de la Vesquerie, avec des dots fixes, les excluant de tout autre partage dans sa succession. Après sa mort, son fils aîné, Jean-Baptiste du Plessier, entré dans la congrégation de Saint-Lazare, où il mourut en 1668, répara de lui-même et sur sa propre fortune cette inégalité en donnant une augmentation de dot à ses deux soeurs aînées. L'héritier principal de cette famille fut définitivement Louis du Plessier, né en 1651, et marié avec Anne Rogier de Crévy, dont il ne laissa qu'une fille unique, mariée à M. le Febvre de la Falluère, président à mortier au Parlement de Bretagne.

Par acte du 5 février 1679, Françoise-Josèphe du Plessier se démit de tous ses biens en faveur de son fils aîné, devenu majeur. Elle mourut à Lorière le 22 avril 1680, et fut enterrée sous le banc seigneurial de la famille de Cornulier, du côté de l'Evangile, dans le choeur de l'église paroissiale de Brains, dont elle était devenue fondatrice et prééminencière en la rebâtissant, privilége dans lequel ses descendants furent maintenus par un arrêt du Parlement de Bretagne du 21 avril 1752. Son mari et elle avaient aussi fondé, en 1656, une chapelle avec un bénéfice à leur manoir de Lorière. Ils eurent sept enfants qui suivent.

1° Jean-Baptiste de Cornulier, qui suit.

2° Autre Jean-Baptiste DE CORNULIER, chevalier, seigneur du Pesle, du Branday, de la Grande-Haye, de la Moricière, et des châtellenies de Jasson et Malnoë, en 1686 ; naquit à Nantes le 13 février 1655 et fut d'abord destiné à l'état ecclésiastique. Connu sous le nom d'Abbé de Cornulier, il était, en 1677, pourvu du prieuré du Tertre, dans la paroisse de Lavau, par la résignation que lui en avait faite son frère aîné, destiné aussi à la prêtrise dans sa première jeunesse et qu'on nommait alors l'Abbé de Lorière. Jean-Baptiste de Cornulier, le jeune, fut reçu chevalier de Saint-Lazare et du Mont-Carmel en 1681. Il habitait ordinairement sa maison seigneuriale du Pesle, où il fut attaqué, en 1685, par une troupe de plus de cent paysans, ses vassaux, armés de fourches, de faux et autres instruments aratoires, et qui voulaient le tuer, parce qu'il avait fait renfermer certains marais auxquels ils prétendaient avoir droit. M. du Pesle repoussa cette agression furieuse à la tête de ses domestiques armés de fusils, puis présenta au présidial de Nantes une requête pour en obtenir satisfaction. Il y expose que ces excès ont fait injure à l'un des gentilshommes les plus qualifiés de la province, et qu'il s'agit de venger l'outrage fait par des vassaux à leur seigneur, le trouble qu'ils lui ont apporté dans la possession de son domaine seigneurial , ce qui constitue la félonie et entraîne la perte de ce qu'ils tiennent de lui, selon la règle des fiefs.

Il fut pourvu, par lettres du 13 novembre 1692, de l'office de président en la Chambre des Comptes de Bretagne, et reçu et installé dans ladite charge le 29 du même mois. L'enquête faite pour sa réception porte : « qu'il est homme d'honneur et de qualité, des gens les plus considérables, duquel toute la noblesse fait grande estime ; qu'il a beaucoup de mérite, possède de belles sciences et est fort savant, de bonnes vie et moeurs, bon catholique, etc. ». Il fut admis avec des lettres qui le dispensaient de tous services antérieurs ; mais la Chambre adressa, à ce sujet, des remontrances au Roi, pour le prier de ne plus accorder à l'avenir de pareilles dispenses, comme étant contraires à ses ordonnances.

Le président du Pesle fut encore nommé conseiller du Roi en ses conseils d'Etat et privé. Il mourut à Rennes le 6 septembre 1708, et fut enterré dans l'église des Pères Minimes de cette ville, dont MM. De Cornulier sont fondateurs. Ce fut un grand dissipateur ; la valeur de ses terres ne suffisait pas à couvrir les dettes qu'il laissa à sa mort, et sa seconde femme disputa longtemps aux héritiers de la première le prix de sa charge de président en la Chambre des Comptes pour la reprise de leurs deniers dotaux.

Comme on vient de le dire, le président du Pesle s'était marié deux fois. Il épousa en premières noces à Nantes, le 16 mai 1683, Louise RAGUIDEAU, née le 23 juin 1652, morte au château du Pesle et inhumée dans le choeur de l'église de Brains le 26 novembre 1689. Elle était fille de François Raguideau, chevalier, seigneur du Rocher, en la paroisse de Monnières, et du Plessis-Grimaud, en Puceul, président en la Chambre des Comptes de Bretagne, et de Philiberte Morel, fille de Julien Morel, écuyer, seigneur de Grémil, en Saffré, et du Vauguillaume, en Puceul. Il épousa en secondes noces à Nantes, le 19 août 1692, Louise TROTEREAU, dame du Palierne, de la Clérissais, du Boisvert, du Vaubenoît, de la Trahanière, etc., dans la paroisse de Moisdon, fille unique de Louis Trotereau, écuyer, seigneur des mêmes terres, et de Jeanne Chrestien. Louise Trotereau, très-riche héritière, avait épousé en premières noces, en 1670, Jean Morin, seigneur de la Roche-Gautron, en Anjou, fils puîné de Roland Morin, seigneur du Treslé, et de Jacqueline de la Rivière, qui avait été mariée en premières noces, comme on l'a dit plus haut, à Victor de Cornulier, seigneur de Montreuil. De son premier lit, Louise Trotereau avait deux filles : la cadette mourut sans postérité, et l'aînée, Marie-Anne Morin, mariée à Achille Barrin, seigneur de la Galissonnière et du Pallet, resta seule héritière en 1701. Outre sa fortune personnelle, Louise Trotereau jouissait encore, comme usufruitière, des terres et seigneuries de la Roche-Gautron et de la Roche-Saint-Crespin, en Anjou. Le président du Pesle n'eut pas d'enfants de cette seconde femme ; mais il avait eu de son premier mariage deux filles, qui suivent.

A. Françoise de Cornulier, née à Nantes le 15 mars 1684, morte jeune.

B. Angélique-Thérèse de Cornulier, dite Mademoiselle de Jasson et du Pesle, née à Nantes le 18 mai 1685, morte dans la même ville avant son père, le 16 mars 1708, et inhumée à Sainte-Radégonde. Sans alliance.

3° Charles de Cornulier, né à Nantes le 19 avril 1656, officier de cavalerie, mort au service vers l'âge de vingt ans.

4° Jeanne-Marie de Cornulier, née à Nantes le 24 avril 1648, soeur jumelle de Jean-Baptiste de Cornulier, l'aîné, entra en religion, en 1663, chez les Carmélites de Nantes.

5° Louise-Charlotte de Cornulier, née à Nantes le 5 juillet 1649, entra aussi en religion, en 1667, chez les Carmélites de Nantes.

6° Françoise-Elisabeth de Cornulier, dame de Lorière, née à Nantes le 30 novembre 1650 ; mourut à Lorière, sans alliance, le 2 octobre 1727, et fut enterrée dans le choeur de l'église paroissiale de Brains, sous le banc seigneurial de la famille de Cornulier. Elle vivait retirée à Lorière, ne s'occupant que de bonnes oeuvres, et longtemps sa mémoire est restée en bénédiction dans tout le pays, où on la considérait comme une sainte. Elle ne quitta sa retraite qu'une seule fois, ce fut pour aller voir à Paris, quand elle entra définitivement aux Carmélites, madame de la Vallière, sa parente, et qui avait été son amie. Elle lui dit qu'elle l'avait méconnue pendant tout le temps que, par ses faiblesses criminelles, elle avait été placée au faîte des grandeurs, mais que, depuis qu'elle était devenue pénitente, elle s'enorgueillissait de lui appartenir, et qu'elle arrivait du fond de la Bretagne pour se réjouir avec elle de l'heureux changement qui s'était opéré.

7° Françoise de Cornulier, née à Nantes le 22 juillet 1652, morte avant 1669.

 

X. — Jean-Baptiste DE CORNULIER, chevalier, seigneur de Lorière, de Lucinière, du Meix, du Vernay, de la Herpinière, de Tristan-des-Landes, du Pesle, du Branday, de la Grande-Haye, de la Moricière, etc., baron de la Roche-en-Nort, en 1686, naquit à Nantes le 24 avril 1648, et fut d'abord destiné à l'état ecclésiastique. Dès 1657, il était clerc tonsuré et pourvu du bénéfice de la chapelle de Lorière ; plus tard, son oncle, l'abbé du Hézo, sous la curatelle duquel il resta à la mort de son père, lui abandonna le prieuré du Tertre, qu'il résigna lui-même, en 1676, à son frère cadet, qui fut depuis le président du Pesle. Il reçut une éducation très-soignée et alla, en 1669, terminer ses études à Paris, à l'Académie royale. Reçu conseiller au Parlement de Bretagne le 19 octobre 1676, il mourut dans l'exercice de sa charge le 12 décembre 1720, à Rennes, et fut inhumé dans l'église de Saint-Germain de cette ville.

Jean-Baptiste de Cornulier fut d'abord connu sous le nom de Monsieur de Lorière, comme l'avait été son père, puis sous celui de baron de la Roche-en-Nort, à partir de 1686 ; mais il reprit la dénomination de sa jeunesse à la majorité de son fils aîné, héritier de la Roche-en-Nort du chef de sa mère, parce que cette baronnie avait été acquise de ses deniers. En 1681, à la mort de son oncle, l'abbé du Hézo, qui était l'aîné de sa branche, il hérita des terres et seigneuries de Lucinière, de la Gazoire, du Meix, du Vernay, de la Herpinière et de Tristan des Landes. Il donna alors la Gazoire en partage à ses cousins puînés, de la branche de Montreuil ; Lorière à sa soeur Françoise-Elisabeth, qui dut lui faire une rente en retour de l'excédant de ce partage ; et abandonna pareillement, à la charge d'une rente, à son frère cadet, le président du Pesle, la terre et seigneurie du Pesle avec ses dépendances du Branday, de la Grande-Haye et de la Moricière. Celui-ci étant venu à mourir sans postérité, en 1708, il accepta sa succession sous bénéfice d'inventaire ; remit à M. de la Blottière les châtellenies de Jasson et Malnoë, en Brains et Cheix, que le président du Pesle lui avait achetées en 1686, mais qu'il n'avait pas encore payées ; et il lui vendit en même temps la terre du Pesle et ses dépendances à la condition qu'il acquitterait la totalité des dettes de son frère.

Le baron de la Roche-en-Nort rebâtit une partie du château de Lucinière, notamment la façade du Levant, où l'on voit encore ses armes accolées à celles de sa première femme. C'est lui qui fit tracer, par le célèbre Le Nôtre, les belles avenues qui percent cette terre dans toutes les directions. Il avait une existence fort considérable ; un grand état de maison à Lucinière, dont le mobilier fut estimé 40.000 livres à sa mort, somme qui représente une valeur triple de nos jours ; un hôtel à Rennes, pour le temps de son semestre au Parlement ; et, à Nantes, un autre hôtel qu'il avait acheté en 1689. Sa charge de conseiller lui avait coûté 130.000 livres, et c'était un capital à peu près mort, car les émoluments en étaient insignifiants.

A cette mauvaise direction donnée à ses affaires, il faut ajouter une longue suite de procès ruineux qu'il eut à soutenir, tant de son côté que de celui de sa première femme. Maître de toute la fortune de celle-ci, pour ainsi dire au lendemain de son mariage, par suite de la mort de son beau-père survenue dans l'année même, il débuta par dissiper des sommes considérables dévorées en repas somptueux donnés à Vannes, où le Parlement tenait alors ses séances. C'est ainsi qu'avec de grands biens il n'en fut pas moins toujours fort mal aisé. Constamment à court d'argent, il ne rendit jamais à ses enfants aucun compte de la succession de leur mère ; il obligeait son fils aîné à vivre sur des emprunts, jouissait par lui-même du bénéfice dont son fils cadet était pourvu, et ne payait que fort irrégulièrement les dots de ses filles religieuses et même de celles qui étaient mariées ; aussi ces dernières ne se faisaient-elles aucun scrupule de mettre, à toutes leurs visites, sa maison au pillage, emportant chacune quelque pièce d'argenterie ou autre chose à leur convenance.

Le baron de la Roche-en-Nort fut marié deux fois ; il épousa en premières noces à Hennebont, le 13 février 1679, Françoise DONDEL, qui mourut à Lucinière le 30 mai 1704 et fut inhumée dans le choeur de l'église paroissiale de Nort. Elle était fille d'écuyer Thomas Dondel, seigneur de Brangolo, receveur-général des devoirs, impôts et billots des évêchés de Vannes et de Cornouaille, et de feue Marie Touzé. Il épousa en secondes noces, à Nantes, le 19 février 1705, Jeanne LIBAULT, dame de la Templerie et de Belabord, dans la paroisse de Château-Thébaud, du Bois-Robin, en Grandchamp, du Bois-Elou, en Héric, etc., qui mourut à Lucinière, le 8 janvier 1722, âgée de quatre-vingt-quatre ans. Elle était fille unique de Gratien Libault, écuyer, seigneur du Perray, et de Jeanne Moreau. Jeanne Libault avait épousé en premières noces Denis Marion, écuyer, seigneur des Noyers, dont elle n'avait pas d'enfants ; elle n'en eut pas non plus de son second mariage contracté à soixante-sept ans.

Quant à Françoise Dondel, elle appartenait à une famille d'ancienne extraction noble, originaire du Maine, où la branche aînée des seigneurs de Montigné s'est fondue dans la maison du Hardaz vers 1620. Une branche cadette, mal partagée du côté des biens, vint se fixer dans l'évêché de Vannes à la fin du XVIème siècle, et plusieurs de ses membres s'y livrèrent au commerce. Thomas Dondel, l'un d'eux, s'était associé, en 1659, avec François de la Pierre, son beau-frère, seigneur des Salles, (auteur des barons de la Forest et des marquis de Fremeur, qui ont donné plusieurs grands maîtres des eaux et forêts de Bretagne et des officiers généraux à l'armée), pour l'exploitation des fermes et devoirs de Bretagne, où ils étaient intéressés chacun pour un quart ; ils faisaient en outre la banque dans les principales villes du royaume, et négociaient même au dehors, en Hollande, en Angleterre et en Espagne. Ils amassèrent une grande fortune dans ces opérations.

Ce Thomas Dondel laissa quatre fils et une fille. Pierre, l'aîné, mousquetaire dans la garde à cheval du Roi, se distingua particulièrement dans l'expédition qui fut envoyée dans l'île de Candie, en 1669, sous les ordres du duc de Navailles ; puis il fut pourvu, en 1672, de l'office de sénéchal de Vannes. Le second, Marc, après avoir servi pendant plusieurs années en qualité de lieutenant aux gardes-françaises, devint général des finances en Bretagne. Jean, le troisième, fut aumônier de S. A. R. belle-soeur de Louis XIV ; et le quatrième, Charles, fut sénéchal de Quimper.

Leur soeur, Françoise Dondel, mariée au baron de la Roche-en-Nort, n'aurait pu prétendre, suivant la coutume de Bretagne, qu'à un douzième des successions paternelle et maternelle, si leur partage avait dû se régler noblement ; mais il fut décidé, en 1679, que, pour cette fois, il devait se faire par portions égales, cette fortune ayant été acquise dans le commerce et par usage de bourse commune, auquel cas le gouvernement noble était suspendu dans la famille et dormait comme la noblesse elle-même. Ainsi, bien qu'ils eussent repris la vie noble longtemps avant la mort de leur père, les enfants de Thomas Dondel n'en recouvrèrent pas immédiatement toutes les prérogatives ; leurs descendants durent même attendre jusqu'en 1746 pour être admis aux Etats dans l'ordre de la noblesse, admission pour laquelle il fallait justifier de trois partages nobles consécutifs.

Les filles dans la position de Françoise Dondel étaient des partis fort recherchés en Bretagne, où elles apportaient à leur mari la fortune sans qu'il eût aucun sacrifice essentiel à faire du côté de la naissance. Hors de ce cas exceptionnel, il était difficile, en effet, de trouver les deux avantages réunis, car, dans les familles où le gouvernement noble était continu, les filles ne passaient qu'après tous les garçons, et il fallait qu'il n'existât aucun mâle pour que l'aînée d'entre elles devînt héritière principale.

Françoise Dondel obtint en partage une somme de 85.000 livres en argent, avec des maisons au Port-Louis et à Lorient, et des biens fonds importants aux environs de Josselin, d'Hennebont et de Malestroit ; à la mort de son mari, tout cela avait disparu ; et il avait en outre aliéné pour plus de 100.000 livres des propres de sa seconde femme.

Le baron de la Boche-en-Nort eut de Françoise Dondel neuf enfants, qui suivent.

1° Claude-Jean-Baptiste de Cornulier, qui suit.

2° Pierre-Eustache DE CORNULIER, chevalier, seigneur du Vernay, du Plessis, en Pont-Saint-Martin ; du Treget, en la Chevrollière, etc. ; pensionnaire des Etats de Bretagne, docteur en théologie de la Faculté de Paris ; fut d'abord destiné à l'état ecclésiastique. Il était connu sous le nom d'Abbé de Lorière, et pourvu déjà depuis longtemps d'un bénéfice, lorsqu'il quitta cette vocation et épousa au Pont-Saint-Martin, le 26 juin 1724, Jacquette-Marguerite BROSSARD DU VIGNEAU, fille unique de feu Jacques Brossard, écuyer, seigneur du Vigneau et du Plessis, et de Marie-Anne Gouin du Fief. Pierre de Cornulier avait demandé en mariage la mère, dont l'âge était beaucoup plus en rapport avec le sien ; mais celle-ci, ne voulant pas faire tort à sa fille, lui proposa de l'épouser, quoiqu'elle n'eût encore que douze ans. Les choses s'arrangèrent ainsi, et à treize ans et demi elle donna le jour à son fils aîné. Marguerite-Jacquette Brossard mourut à Nantes le 13 janvier 1778, et fut inhumée dans le cayeau de Sainte-Radégonde. Elle était veuve depuis 1739, et avait eu de son mariage les enfants qui suivent, tous nés au château du Plessis, en Pont-Saint-Martin.

A Pierre-Jean-Baptiste-Henri de Cornulier, chevalier, seigneur du Vernay, du Plessis, du Treget, etc., né le 13 octobre 1725, épousa à Angers, le 11 octobre 1763, Marie-Louise Collas de l'Epronnière, fille de Charles-François Collas, chevalier, seigneur de l'Epronnière, dans la paroisse de Rochefort-sur-Loire, en Anjou, de la même famille que les Collas de la Baronnais, en Bretagne, et de Louise Claude Hernault de Montiron. Il n'eut pas d'enfants de ce mariage, assista aux Etats assemblés à Nantes le 1er octobre 1764, et mourût détenu à l'hôpital révolutionnaire de cette ville le 14 décembre 1794.

B Claude-Etienne-Pélage, chevalier de Cornulier du Vernay, né le 26 janvier 1729, assista aussi aux Etats assemblés à Nantes le 1er octobre 1764. C'était un homme rempli d'esprit et plein de connaissances ; il faisait des vers charmants, mais sa verve était satirique et mordante. Il était presque aveugle et l'avait même été tout-à-fait dans sa jeunesse. Cet accident, que les médecins avaient attribué à l'influence de la lune, parce qu'étant au collège à Paris, il couchait sans rideaux auprès d'une fenêtre, l'obligeait à avoir un lecteur à gages. La petite vérole, au surplus, avait fait d'horribles ravages dans toute cette famille. Le chevalier de Cornulier du Vernay fut reçu, en 1759, sous le nom de Comte de Cornulier, en qualité d'associé étranger, membre des Académies royales d'Angers et de Nancy. Le journaliste Fréron a donné une analyse du discours qu'il prononça lors de sa réception à Angers dans l'Année Littéraire 1758, t. IV, p. 353, et deux de ses pièces fugitives dans ses Lettres sur quelques écrits de ce temps, t. V, p. 143, et t. X, p. 22.

Il était lié d'amitié avec le célèbre littérateur Titon du Tillet, et plus encore avec son compatriote le poète Desforges-Maillard. C'est ce dernier qui lui procura son admission à l'Académie de Nancy ; il écrivait du Croisic à cette Compagnie, « M. le comte de Cornulier du Vernay fait de très-jolis vers et d'excellente prose ; il possède le latin, le grec, l'anglais et l'italien, et c'est, selon moi, un des hommes de cette province qui aient le plus d'esprit et de goût. C'est mon ami intime, un homme parfait, d'une générosité sans bornes. Il a composé un traité très-curieux sur le genre de littérature qu'on nomme Nouvelles. ». De son côté, le comte de Tressan, président de l'Académie de Nancy, répondant au discours que le nouvel associé avait adressé à sa Compagnie, disait que « le comte de Cornulier était un des hommes de l'Europe les plus profonds dans les belles-lettres anciennes et modernes ».

Le chevalier de Cornulier du Vernay ne s'était pas marié ; il mourut, le 15 avril 1796, à Blois, où il avait été déporté pendant la persécution révolutionnaire.

C. Philippe-Toussaint de Cornulier, né le 23 juillet 1735, mort au Plessis le 13 septembre 1736.

D. Françoise-Elisabeth de Cornulier, née le 12 septembre 1727, morte sans alliance, au mois d'août 1794, à Blois, où elle avait été déportée avec son frère le chevalier.

E. Marie de Cornulier, née le 30 avril 1731, morte jeune.

F. Marguerite-Rosalie de Cornulier, née le 18 septembre 1732, aussi morte en bas âge.

Les deux frères et la soeur survivants demeuraient ensemble à Nantes ; l'aîné n'ayant point d'enfants, sa femme avait adopté une nièce, mademoiselle Céleste-Renée-Rose Collas de la Baronnais, devenue depuis madame de Gouyon de Saint-Loyal. Leur maison était citée pour la bonne chère et pour le choix de la compagnie qui s'y réunissait. Dans le but de se faire une existence plus large, ils avaient vendu à viager leurs biens maternels. Ces dispositions, qui semblaient si bien prises pour s'assurer une vie agréable, furent cruellement dérangées par la Révolution.

3° Françoise-Josèphe de Cornulier, née le 23 novembre 1679, nommée à Brains le 5 octobre 1680, morte à Nantes le 16 septembre 1681.

4° Marie-Prudence de Cornulier, née à Nantes le 16 mars 1683, mariée dans la chapelle de Lucinière, le 1er juin 1701, à Claude-François Louail, chevalier, seigneur de la Saudrais, dans la paroisse de Saint-Grégoire, près de Rennes ; de Senegrand, etc. ; fils de défunts Jean Louail et de Claudine de Revault. Il mourut à la Saudrais le 28 novembre 1726, laissant de sa femme, qui lui survécut assez longtemps, trois enfants : un fils, qui n'a pas laissé de postérité ; une fille religieuse, et une autre fille mariée à M. du Baudiez. Celle-ci était une espèce de folle ; riche de 12 à 15.000 livres de rentes, elle vivait à la campagne comme une paysanne. Elle était restée veuve avec deux filles qu'elle mit en apprentissage : l'une pour être couturière, l'autre pour apprendre à chanter dans les rues en s'accompagnant d'un instrument. M. de Lucinière, leur oncle à la mode de Bretagne, alla trouver le premier président du Parlement, qui était aussi parent de ces demoiselles, et lui fit part de l'étrange idée de madame du Baudiez. Un arrêt fut immédiatement rendu, par lequel M. de Lucinière fut chargé de retirer ces demoiselles de leur apprentissage, de les placer dans un couvent et d'en prendre la tutelle ; il obligeait, en outre, la mère à leur faire une pension convenable. M. de Lucinière maria, dans la suite, l'aînée au comte de Bonteville, capitaine au régiment du Roi, frère de l'évêque de Grenoble, et la cadette à M. le Voyer.

5° Renée-Elisabeth de Cornulier, née à Lucinière le 22 juin 1684, entrée en religion en 1705 chez les Ursulines de Vannes.

6° Jeanne de Cornulier, entrée en religion en 1706 chez les Hospitalières de Quimper.

7° Marie-Anne-Marcuise de Cornulier, dite Mademoiselle de Lucinière, née à Lucinière le 18 décembre 1686, nommée à Rennes le 9 janvier 1693, mariée dans la chapelle de Lucinière, le 26 avril 1712, à Louis-Bernard Chotard, seigneur de la Loyenne et de la Loirie, intendant-général de S. A. S. le prince de Condé dans les provinces de Bretagne, Anjou, Touraine et Poitou, fils de Jacques Chotard, aussi intendant-général du prince de Condé, et de Marguerite Laurencin. Madame de la Loirie mourut à Nantes le 25 janvier 1729, et fut inhumée à Sainte-Radégonde. Elle ne laissa qu'un fils, qui fut maître des comptes de Bretagne en 1745, charge dont il obtint des lettres d'honneur en 1776, et qui ne laissa lui-même qu'une fille unique, mariée au marquis du Boisde-la-Musse, conseiller au Parlement de Bretagne.

8° Pélagie de Cornulier fut mariée deux fois : en premières noces dans la chapelle de Lucinière, le 4 novembre 1706, à François-Bernard des Vaulx, chevalier, seigneur de la Loizellière, dans la paroisse de Donges, son cousin issu de germain, fils unique de Jean-Baptiste des Vaulx et de Françoise le Meneust. Elle épousa en secondes noces à Nantes, le 6 mai 1726, Emmanuel Cassard, seigneur de la Jou, conseiller du Roi, juge criminel au siége Présidial de Nantes, veuf de Françoise Merlet de la Guyonnière, fils de Paul Cassard, écuyer, seigneur de la Frudière, de la Jou, de Vigneux, de la Poissonnière, du Port-Lambert, etc., aussi juge criminel au Présidial de Nantes, ancien maire de cette ville, et de Françoise Mesnard. Pélagie de Cornulier avait eu en partage les métairies d'Alon, près de Lucinière, qu'elle vendit en 1763 à M. de Lucinière ; elle était alors veuve de son second mari. Elle avait été si frappante pour sa beauté, qu'étant présentée à Versailles, au grand couverts la Reine lui fit donner l'ordre de sortir, tant elle craignait qu'elle ne donnât dans la vue du Roi. Elle n'eut pas d'enfants du second lit, et laissa du premier un fils unique, Vincent-Marie des Vaulx, capitaine de cavalerie au régiment de Conti, mort sans alliance. A cette époque, l'usage était fort répandu, surtout dans la famille des Vaulx, de différer excessivement les cérémonies du baptême ; on ondoyait immédiatement l'enfant, mais on négligeait souvent d'enregistrer sa naissance ; c'est là ce qui était arrivé pour Vincent-Marie des Vaulx. Né au château de la Loizellière le 9 août 1715, il ne fut baptisé à Nantes que le 2 mars 1742 ; l'évêque ordonna une enquête, où sa mère dut comparaître, et où elle subit une réprimande pour sa négligence.

9° Françoise de Cornulier, née à Lucinière le 10 février 1692, morte jeune.

 

XI. — Claude-Jean-Baptiste DE CORNULIER, chevalier, comte de la Roche-en-Nort, seigneur de Lucinière, du Meix, de Lorière, du Pesle, de Brains, etc., naquit à Vannes le 21 janvier 1686 et fut nommé à Nort le 24 juin 1687. Il fut émancipé par lettres du mois de juin 1708, et reçu conseiller au Parlement de Bretagne, à la place de son père, le 15 octobre 1721. Il épousa à Rennes, le 7 mai 1720, Anne-Marie DE GENNES, née en 1701, morte à Nantes le 31 août 1773 et inhumée dans l'église de Sainte-Radégonde. Elle était fille de Benjamin de Gennes, seigneur de Vaudué, fermier-général des deniers de Bretagne, et d'Anne-Marie Pommeret de la Villeguerry.

Cette famille de Gennes tirait son nom de la paroisse de Gennes, près de Vitré, elle avait embrassé tout entière la religion prétendue réformée, ce qui lui avait attiré de grandes persécutions ; mais elle était revenue depuis au catholicisme de bonne foi et avec une ardeur égale à celle qu'elle avait mise à le combattre, car les de Gennes ne savaient rien faire à demi. Cette conversion, néanmoins, ne s'opéra pas d'une manière uniforme. Madame de Cornulier avait cinq frères, dont quatre furent religieux ; deux étaient jésuites et marchaient à la tête des molinistes avec une ardeur telle, que leur compagnie leur décerna le titre de défenseurs de la foi, tandis que les deux autres n'étaient pas de moins fougueux jansénistes. L'un, savant bénédictin, bibliothécaire de la célèbre abbaye de Saint-Vincent du Mans, où la congrégation de Saint-Maur avait établi son Académie littéraire ; l'autre, oratorien, exilé sans cesse à cause de sa véhémence, avait fait passer dans l'esprit de ses soeurs, madame de Cornulier et madame de la Motte-d'Aubigné, son enthousiasme pour les prétendus miracles du diacre Pâris. Le cinquième frère, connu sous le nom de chevalier de Gennes, était receveur des impôts de l'évêché de Rennes ; il avait épousé mademoiselle Pinczon du Sel, dont il n'eut pas d'enfants.

Le comte de la Roche-en-Nort ou comte de Lorière, car on le désignait indifféremment des deux manières, était venu, de droit sinon en fait, en possession de la baronnie de la Roche-en-Nort du vivant même de son père, parce qu'elle avait été acquise des deniers maternels ; il la fit ériger en comté en 1713. Cette seigneurie de premier ordre avait eu autrefois pour chef-lieu le château même de Lucinière, anciennement nommé la Roche. Depuis que le domaine de Lucinière en avait été détaché, au XVème siècle, la bardnnie ne consistait plus qu'en fiefs volants répandus sur un espace de quinze lieues du Levant au Couchant, entre Maumusson et Quilly, et sur une pareille étendue du Midi au Nord, entre Quiheix sur l'Erdre et Saint-Erblon dans l'évêché de Rennes. Elle avait juridiction supérieure sur les paroisses de Nort, Nozay, Quilly, Saint-Mars-de-la-Jaille, Saint-Julien-de-Vouvantes, le Pin, Vritz, Soudan, Louifert, Saint-Vincent-des-Landes, Saint-Aubin-des-Châteaux, Maumusson, Saint-Erblon, etc., etc. Elle avait été dans l'origine un bailliage de l'immense baronnie de la Roche-Bernard, à une époque où celle-ci comprenait la majeure partie du comté nantais au nord de la Loire ; parmi les hommages qui en relevaient, il y en avait de princiers, tels que la Motte-Glain et la châtellenie de Nozay, à raison de laquelle le duc de Bourbon fit, en 1716, foi et hommage à Jean-Baptiste de Cornulier, pour cause de sa baronnie de la Roche-en-Nort.

A cette belle seigneurie, le comte de la Roche-en-Nort devait, comme héritier principal, réunir un jour la plupart des anciennes terres de sa famille, mais son père venait d'en laisser échapper une des plus importantes par l'engagement qu'il avait contracté, au mois de décembre 1709, avec M. de la Blottière. Dégoûté de la chicane, par les discussions sans nombre et presque toujours malheureuses que lui avaient suscitées les mouvances de la Roche-en-Nort et du Meix, aussi bien que la succession de son beau-père Thomas Dondel, pour la liquidation de sa société avec François de la Pierre, il n'avait pas voulu rentrer dans de nouveaux débats au sujet de la succession embarrassée du président du Pesle ; autant donc par lassitude que par amour du repos, il s'était déchargé de ce soin sur M. de la Blottière, et s'était résigné à un sacrifice en lui cédant la terre et seigneurie du Pesle avec ses dépendances à vil prix : un quart de moins cher qu'il ne l'avait comptée à son frère en 1682. Son fils vit cet arrangement avec regret et, profitant de la faculté que lui donnait la coutume, il se fit adjuger, du vivant même de son père, par sentence du Présidial de Nantes, du 20 décembre 1713, la prémesse lignagère de cette terre. Ce retrait fut pour lui la source d'interminables et ruineux procès ; entré dans le dédale des affaires de son oncle, il lui aurait fallu, pour en sortir heureusement, un esprit d'ordre et une aptitude qui lui manquaient totalement.

Ayant donc obéré tout-à-fait sa fortune, tant par sa mauvaise gestion que par ses folies de jeunesse, il épousa Mlle. de Gennes dans le moment où ses affaires étaient dans le plus grand désordre ; elle lui apporta en mariage cent mille écus en argent, somme énorme pour ces temps-là, et c'est à cette respectable aïeule que ses descendants durent la conservation de leur fortune.

Le comte de la Roche-en-Nort était un homme parfaitement aimable, de beaucoup d'esprit, faisant de jolis vers, mais intolérable pour la dépense. Son genre de vie plus que dissipé ne pouvant convenir à sa femme, ils s'étaient séparés ; il demeurait à Joué et sa femme à Lucinière, où il venait la voir, de temps en temps. Non-seulement il trouvait Lucinière un séjour sévère par son site, mais il lui répugnait encore davantage par la compagnie qu'on y rencontrait. Homme de plaisir avant tout, les disputes théologiques de l'époque ne l'intéressaient guère ; or Mlle. de Gennes avait fait de son château une sorte de petit Port-Royal-des-Champs : il était devenu l'asile de tous les jansénistes persécutés. Presque tous appartenaient au couvent des bénédictins des Blancs-Manteaux de Paris ; c'étaient pour la plupart des hommes d'un rare mérite, mais austères. Les filles de Mme de Cornulier furent instruites par eux ; ils leur enseignèrent non-seulement le latin, qu'elles possédaient dans la perfection, mais encore les éléments de la langue grecque, dans laquelle Mlle. du Pesle avait particulièrement fait de grands progrès.

En 1737, Mlle. de Gennes obligea son mari à se démettre de tous ses biens en faveur de ses enfants qui restèrent sous la tutelle de leur mère, puis elle le fit interdire par arrêt du Parlement. Mais cette mesure n'ayant pas encore paru suffisante au conseil de famille, il demanda et obtint une lettre de cachet en vertu de laquelle il fut, lors de la naissance de son dernier fils, en 1740, enfermé à l'abbaye de Saint-Gildas-des-Bois où il est mort en 1750, après dix années d'expiation.

Placée à la tête de la fortune que l'inconduite de son mari avait failli anéantir, Mme de Lorière (son mari et elle ne furent plus connus que sous ce nom depuis la démission de 1737) l'administra si bien que non-seulement elle répara ses mauvaises affaires, termina les procès, paya les dettes, mais qu'elle se trouva encore en état de bâtir la belle façade de Lucinière qui regarde le jardin, et de réédifier en entier le petit château de Lorière, brûlé depuis pendant les guerres, de la Vendée. C'est là, qu'après le mariage de son fils, elle se retira avec ses filles ; celles-ci renoncèrent généreusement à se marier pour que leur frère pût recueillir un jour tout l'héritage, et Mme de Lucinière refusa pour ce motif d'épouser le comte de Crux-Courboyer, qui habitait le château voisin de Saffré.

Le comte de la Roche-en-Nort fût père de onze enfants qui suivent.

1° Jean-Baptiste-Ange-Benjamin-Toussaint de Cornulier, né à Rennes le 18 décembre 1722, vivait encore en 1730, mais mourut jeune.

2° Claude-Toussaint-Henri, comte de Cornulier, seigneur de Lucinière, né à Lucinière le 20 mai 1729, capitaine de cavalerie, ne fut pas marié et fut tué en duel à Angers, étant au service, vers 1750. Par suite de sa mort malheureuse, ses soeurs, qui seules auraient pu en transmettre le souvenir, évitaient d'en jamais parler, ce qui fait qu'on n'a conservé ni le nom du corps dans lequel il servait, ni la connaissance exacte du lieu et de la date de sa mort.

3° Julien-Benjamin de Cornulier, né à Lucinière le 30 mai 1730, mort le 2 juin suivant.

4° Anonyme de Cornulier, mort à Lucinière le 7 novembre 1733.

5° Jean-Baptiste-Benjamin de Cornulier, qui suit.

6° Anne-Marie-Elisabeth de Cornulier, dite Mademoiselle de Lorière, née à Rennes le 19 janvier 1724, mourut à Nantes le 15 janvier 1783, et fut inhumée à Sainte-Radégonde. Non mariée.

7° Marcuise-Edmée, dite Mademoiselle de Cornulier, née à Lucinière le 19 août 1725, morte sans alliance de 1772 à 1778.

8° Félicité-Louise-Marie de Cornulier, dite Mademoiselle du Pesle, née à Lucinière le 25 janvier 1727, morte sans alliance, à Nantes, le 8 janvier 1778 et inhumée à Sainte-Radégonde.

9° Rose-Charlotte de Cornulier, dite Mademoiselle de Lucinière, née à Lucinière le 5 mars 1728, morte sans alliance en 1769.

10° Jeanne-Eulalie de Cornulier, née à Lucinière le 24 août 1731, morte jeune.

11° Un autre enfant qui ne vécut pas.

 

XII. — Jean-Baptiste-Benjamin DE CORNULIER, chevalier, seigneur de Lucinière, du Meix, de la Herpinière, de Lorière, du Pesle, de Brains, au comté nantais ; du Cosquer, en Pommerit-Jaudi, et de Kergaro, en Quemper-Guézennec, près de Pontrieux, etc. ; fut le dernier des enfants du comte de la Roche-en-Nort et d'Anne-Marie de Gennes, ce qui lui fit donner le nom de Benjamin. Il naquit au château de Lucinière le 18 février 1740, et eut pour parrain son frère aîné, le comte de Cornulier. Son éducation fut dirigée exclusivement par sa mère, femme d'un rare mérite, et elle l'éleva en enfant que l'on destine à devenir un jour un homme vraiment homme. Grâce à ses soins éclairés, il annonça dès ses premières années cette bonté, cette probité stricte, cette haine de tout mensonge, de toute duplicité, et cet inébranlable attachement à ses devoirs qui depuis se firent remarquer dans toutes les occasions de sa longue vie.

Retirée à Lucinière avec ses filles, ce furent celles-ci qui se chargèrent de la première éducation de leur frère ; elles lui enseignèrent les principes de la langue latine qu'elles possédaient parfaitement. Jamais sa mère ne consentit à le mettre en pension, dans la crainte qu'il n'y corrompît ses moeurs, ou qu'il n'y perdît l'amour de la religion qu'elle cherchait surtout à lui inspirer. Lorsqu'il fut assez avancé pour commencer sa quatrième, elle prit un logement à Nantes, afin d'envoyer son fils au collége sans le perdre de vue ; elle choisit celui de l'Oratoire, et l'y envoyait comme externe seulement, pensant réunir par là le double avantage de l'éducation publique et de l'éducation particulière, sans avoir les inconvénients de l'une ou de l'autre exclusivement. Ses soeurs, et particulièrement mademoiselle du Pesle, lui servaient de répétiteurs ; elles continuèrent à remplir cet office jusqu'à ce qu'il eut terminé ses classes.

Quand il alla faire son droit à Rennes, il y fut placé sous la surveillance de son oncle de Gennes. C'était un homme d'une vivacité extrême, et son joug était loin d'être léger ; il ne fallait rien moins que le caractère si doux et si conciliant de M. de Lucinière pour endurer le despotisme du chevalier de Gennes ; il se conduisit néanmoins avec tant de réserve et de prudence, qu'il ne tarda pas à gagner son affection et sa plus intime confiance.

M. de Lucinière fut pourvu de l'office de conseiller au Parlement de Bretagne le 20 avril 1763, puis de celui de président de la Chambre des Enquêtes le 10 juin 1784. Il s'acquit au Parlement l'attachement et l'estime de tous ses confrères, comme il s'était acquis chez lui toute l'affection de ses voisins et le respect et la confiance de ses vassaux. Le président de Lucinière, dit M. de Kerdanet, avait au Parlement la réputation d'un des plus grands jurisconsultes de France ; c'était le meilleur conseiller-rapporteur, l'homme le plus juste, le magistrat le plus savant comme le plus vénéré. On le citait comme un type parfait, soit comme homme public, soit comme homme particulier ; ferme dans l'accomplissement de ses devoirs, inébranlablement attaché à ses principes, rien au monde n'eût été capable de l'en écarter ; toute considération humaine s'arrêtait là. Sa bonté naturelle le portait à une indulgence peut-être excessive ; il ne craignait rien tant que les discussions, et on le vit souvent fuir ou garder le silence en des occasions où il semblait qu'il eût mieux valu qu'il tînt sa place ; mais il avouait qu'il en agissait ainsi dans l'appréhension de se livrer à un transport de colère. Il était l'ami de la jeunesse, et comme il avait fait son droit avec beaucoup de distinction et qu'il aimait passionnément l'étude des lois, on lui confia le soin de faire des conférences aux jeunes élèves en droit ; et c'est ainsi qu'il eut au nombre de ses disciples le général Moreau, si célèbre depuis dans les fastes de la Révolution française. Hors de son semestre, c'était un des chasseurs les plus intrépides de la province ; il avait organisé en société régulière tous ceux du pays de Châteaubriant qui le reconnaissaient pour leur chef, et l'avaient choisi pour arbitre de toutes les discussions qui s'élevaient entre eux.

A l'époque où il entra dans la magistrature, on était dans toute la chaleur de l'affaire des Parlements ; il y prit une part très-active et fut successivement exilé à Lucinière, à Saint-Hilaire-du-Harcouët, puis à Civray, en Poitou ; enfin, arrêté à Houdan, en 1788, alors qu'il faisait partie d'une députation de douze membres que sa Compagnie envoyait près du Roi.

La Révolution débuta à Rennes, dès 1789, par le massacre de MM. de Boishue et de Saint-Riveul ; les événements prenaient chaque jour un aspect de plus en plus menaçant ; le Parlement cessa ses fonctions, et bientôt, chacun de ses membres chercha son salut dans la fuite. M. de Lucinière resta à Rennes l'un des derniers ; aimé et considéré de toute la ville, il y jouissait d'une grande popularité. Les gens du Tiers-Etat essayèrent par des démarches de l'engager dans leur parti ; mais il repoussa ces ouvertures avec tant d'énergie, qu'ils devinrent furieux contre lui. Il dut abandonner sa maison et se cacher chez les Cordeliers, en attendant qu'il pût sortir furtivement de la ville pour regagner Lucinière. Là, en butte à des visites domiciliaires incessantes ; parlant et écrivant avec une liberté qui dégénérait en imprudence ; refusant de déférer aux injonctions soi-disant patriotiques des municipalités ; ne voulant, en un mot, plier en aucune façon devant l'idole du jour ; menacé à chaque instant d'arrestation et d'incendie, il ne lui restait d'autre parti à prendre que la fuite pour dérober sa tête à la guillotine. Il prit donc avec sa famille la route de Saint-Malo, où il s'embarqua pour Jersey le 23 mai 1791.

Le séjour de M. de Lucinière dans cette île s'étant prolongé bien au-delà de ses prévisions, il se trouva réduit pour vivre à se faire pêcheur et ses filles couturières ; tous ses biens étaient séquestrés, et d'ailleurs la peine de mort était prononcée contre ceux qui faisaient passer le moindre secours aux émigrés. « Nous commençâmes, dit mademoiselle de Lucinière, par vendre le peu d'argenterie que nous avions emporté avec nous, montres, boîtes d'or, bijoux, tout fut sacrifié. Mon père passait une grande partie des nuits sur la mer avec un de ses compagnons d'infortune, M. de Sceaux, de Saint-Malo, homme assez grossier et de peu d'éducation, mais fort habile à manier la rame et les filets, et le matin on les voyait vendre au marché le poisson qu'ils avaient pris. Nous, levées dès l'aurore, nous travaillions aux gilets, habits et culottes que la charité anglaise fournissait aux ecclésiastiques déportés ou fugitifs à Jersey. Le nombre des prêtres excédait quatre mille ; et la prévoyante sollicitude de la marquise de Buckingham, qui avait eu l'idée d'établir nos ateliers, avait mis pour condition que ces vêtements seraient confectionnés par les dames françaises pour leur assurer quelques moyens d'existence. Les plus habiles en couture devinrent les maîtresses et les guides des autres. Jusqu'alors ce métier m'avait été bien étranger ; mais dame nécessité est industrieuse, et, à l'aide de quelques amies plus adroites que moi, je venais à bout de ma difficile besogne ».

Dans cette extrémité, Fouché, devenu ministre, se souvint de M. de Lucinière ; élevé au Pellerin, tout près de Lorière, il l'avait connu dans sa jeunesse et revu depuis dans les séjours qu'il y faisait de temps à autre. Fouché, donc, fit proposer à M. de Lucinière un sauf-conduit, s'il voulait mettre pour un instant le pied sur le territoire français, et là, faire dresser un certificat de présence au moyen duquel il se faisait fort d'arrêter la vente de ses biens et de le mettre en jouissance de ses revenus. M. de Lucinière fit remercier le ministre de ses bonnes intentions à son égard, mais il refusa de sauver sa fortune au moyen d'un acte qui lui paraissait un faux, et tout ce qu'il possédait fut vendu nationalement.

Peu de temps après, à la fin d'août 1795, il se décida à quitter Jersey, où lui et sa famille ne connaissaient plus que douleurs et misères ; à la lettre, ils y mouraient de faim. Arrivé à Londres, il obtint du gouvernement anglais une petite pension comme ancien magistrat, et vécut de cette modique ressource jusqu'en 1814 ; mais, dans le but de faire l'aumône autant qu'il le pouvait, il se fit jardinier de l'établissement de l'abbé Carron, Cet homme admirable, cet humble chrétien ne comprenait la vie que pour s'y rendre utile. C'est ainsi encore que, sans consulter son âge et ses forces, et n'écoutant que son zèle, il voulut s'embarquer pour l'expédition de l'Ile-d'Yeu, à la suite du comte d'Artois ; il en revint avec une santé totalement délabrée.

La restauration des Bourbons sur le trône de leurs ancêtres ne permit pas à M. de Lucinière de balancer un moment entre la terre d'exil et une patrie qui, malgré ses injustices, lui était toujours chère. Il nourrissait d'ailleurs dans son coeur le plus vif désir de revoir, avant de mourir, sa femme et sa famille, dont il était séparé depuis douze ans. Il partit donc immédiatement pour Paris et de là pour Lucinière, dont il était absent depuis vingt-trois ans. Le retour du vieux châtelain fut fêté avec effusion dans tout le pays ; mais ces beaux jours de 1814 furent de courte durée. Bonaparte, revenant de l'île d'Elbe, lança un décret par lequel tous les émigrés qui n'étaient rentrés qu'avec le Roi devaient quitter le territoire français dans un bref délai. Atteint par cette nouvelle proscription, M. de Lucinière se disposait de nouveau à regagner l'Angleterre, lorsqu'une puissante protection obtint, en raison de son âge avancé, que pour lui l'exil serait converti en surveillance de la haute police, qu'il dut aller subir à Nantes même, sous les yeux de l'autorité supérieure ; mais cet état de contrainte ne se prolongea pas longtemps, le second Empire étant venu à crouler.

Lors de sa rentrée en France, en 1814, on avait envoyé à M. de Lucinière un brevet de conseiller à la Cour royale de Rennes ; mais il le retourna immédiatement au ministre, en disant que la place de premier président pouvait seule être acceptée par le doyen des anciens conseillers au Parlement. On la lui promit, et le vingt mars dérangea seul cette nomination ; mais sa santé devint si mauvaise dans les Cent-Jours, qu'on ne songea point à renouer cette affaire depuis. Ne voulant pas absolument être un homme inutile, il accepta, en 1816, les fonctions de maire de Nort, et termina dans l'exercice de cette modeste magistrature une carrière qui semblait, par sa direction, devoir être tranquille, et qui ne fut en effet qu'une suite non interrompue d'orages. Malgré ces tribulations, il rendait grâces à la Providence des compensations qu'elle lui avait accordées. « Si elle a souvent appesanti sa main sur moi, disait-il, à un malheur, à une affliction, elle faisait bientôt succéder un bienfait, en sorte que je l'ai toujours trouvée attentive à mon égard ». Ce fut dans ces sentiments qu'il mourut à Lucinière le 4 juin 1818, et fut inhumé dans la chapelle du château. A cette occasion, M. du Bourblanc, ancien premier avocat-général au Parlement de Bretagne, alors conseiller d'Etat, écrivait à sa fille : « Vous avez perdu le modèle des bons pères ; il était mon ami depuis cinquante-six ans ; nous avons couru la même carrière, subi les mêmes exils, les mêmes privations ; fidèles à nos anciens principes, nous avons toujours marché du même pied, et je suis condamné à survivre au plus ancien et au  meilleur de mes amis ! ».

Cecidit justissimus unus - Qui fuit in gallis et servantissimus oequi. (AEneidos, lib. 2, v, 427 et 428).

M. de Lucinière avait épousé à Saint-Hilaire-du-Harcouët, en Normandie, le 3 août 1767, Jeanne-Marcuise-Pétronille DU BOUBBLANC, née à Kergaro en 1740, fille de Charles-Adolphe du Bourblanc, chevalier, marquis d'Apreville (qui est-la traduction française du nom breton de Kergaro), et de Saint-Hilaire-du-Harcouët, comte de Poilley, près de Fougères ; seigneur de la Roche-Musset, près de Langeais, en Touraine, etc. ; commandant du régiment de Bricqueville, infanterie, chevalier de Saint-Louis, et de Marie-Geneviève Poulain de Boisgourd. Ce mariage se fit contre l'avis de madame de Lorière, sa mère ; celle-ci avait voulu successivement faire épouser à son fils deux riches héritières, mais il avait déjà disposé de son coeur, et mademoiselle du Bourblanc l'avait tellement captivé, qu'il avait pris la résolution de l'épouser, quelques obstacles qu'on pût mettre pour empêcher cette union. Madame de Lorière était en effet loin de l'approuver, non qu'elle ne la trouvât très-honorable et très-avantageuse sous tout autre rapport que celui de la fortune. Mademoiselle du Bourblanc n'en possédait point d'effective ; et celle qu'elle pouvait espérer un jour, c'est-à-dire à la mort de son oncle, qui était l'aîné de sa branche, et à celle de ses père, et mère, dépendait en grande partie du gain éventuel d'un fameux procès contre les sieurs de Princey de la Nocherie, procès qui durait déjà depuis cent vingt ans entre cette famille et celles de Poilley et du Bourblanc, qui lui avait succédé. Cette monstrueuse chicane n'effraya pas le conseiller au Parlement. Deux ans se passèrent en pourparlers et en négociations entre la mère et le fils ; enfin, ce dernier fut réduit à faire des sommations respectueuses, et le mariage s'accomplit. De ce moment, madame de Lorière combla sa belle-fille de présents et de caresses. Elle remit à son fils la terre de Lucinière et se retira avec ses filles à celle de Lorière, qu'elle avait fait rebâtir pour leur servir de demeure lorsque leur frère serait marié.

Madame de Lucinière émigra avec son mari, mais elle rentra en France dès 1802, assez à temps pour sauver quelques débris de sa fortune personnelle. Elle mourut à Lucinière le 6 juin 1818, deux jours après son mari, et sans avoir jamais soupçonné qu'il l'avait précédée. Elle repose sous la même pierre tombale que lui. L'abbé Bahu, leur aumônier, l'ancien précepteur de leurs enfants, qui les avait suivis en Angleterre, écrivait à cette occasion à M. du Bourblanc : « Le même trait qui perce votre coeur a aussi percé le mien,.... Notre perte est commune et nos regrets sont les mêmes. Mes bons et puissants Amis, sur lesquels je fondais tout mon espoir et mon Bonheur présent, sont arrivés au terme et jouissent de l'immortalité. Et moi je Suis encore dans la voie ! Ainsi, le temps détruit tout, ainsi passe la figure de ce monde ; rien de solide ni de constant, sinon les grands exemples de leurs vertus éminentes qu'ils nous transmettent…. Consolons-nous, quoiqu'ils nous aient précédés, parce que leur mort a été précieuse aux yeux du Seigneur, et que la mémoire du juste vivra éternellement ! ».

De ce mariage sont issus :

1° Benjamin-Auguste-Martin de Cornulier, né à Rennes le 31 juillet 1771, mort à Nantes le 8 avril 1772, et inhumé dans l'enfeu de sa famille à Sainte-Radégonde.

2° Jean-Baptiste-Théodore-Benjamin de Cornulier, qui suit.

3° Louis-Henri de Cornulier-Lucinière, né à Rennes le 13 janvier 1777, émigra à Jersey avec sa famille en 1791. C'était un jeune homme rempli de vivacité et de moyens, ne connaissant ou du moins ne redoutant aucun danger, d'une taille svelte, mais un peu délicat. Tout annonçait qu'il fût devenu dans la suite un homme parfaitement aimable et tout propre à la société, si une mort prématurée ne l'eût ravi sitôt. Devenu assez grand pour ne plus pouvoir rester dans l'inaction, Henri de Lucinière, c'est ainsi qu'on l'appelait, demanda, au commencement de 1793, à entrer dans le régiment de Loyal-Emigrant, que le comte, depuis duc de la Châtre, organisait à Londres, et il y fut incorporé comme volontaire dans la compagnie de Bretagne, commandée par le marquis de la Moussaye. Débarqué à Ostende avec l'armée anglo-hanovrienne du duc d'York, il se trouva au siége de Dunkerque et à la bataille d'Hondschoote dans les premiers jours de septembre 1793, et s'y acquit dès son début une réputation de bravoure qu'il a toujours soutenue. Il se distingua particulièrement dans une sortie de Menin, où, écarté en tirailleur, il se trouvait seul dans une prairie, quand il fut rapidement chargé par un grenadier à cheval républicain ; ses camarades éloignés, tout en courant à son secours, le croyaient perdu, lorsque, plein de calme et de sang-froid, il attendit son ennemi de pied ferme, le tira à bout portant et le tua raide, en faisant un écart pour éviter le choc de son cheval, qu'il saisit et ramena au milieu des félicitations universelles. Il périt dans le premier bateau qui essaya la sortie du canal de Newport, en Belgique, le 6 juillet 1794 ; il y fut coupé en deux par un boulet.

4° Anne-Charlotte-Marie de Cornulier, dite Mademoiselle de Lucinière, née au château de Saint-Hilaire-du-Harcouët, en Normandie, le 31 mars 1769, fut confiée dès sa plus tendre enfance à sa grand'mère de Gennes. Ses tantes, qui avaient déjà fait la première éducation de son père, se chargèrent aussi de la sienne. Elle fut élevée au château de Lorière et y resta jusqu'à la mort de la dernière d'entre elles, arrivée en 1783 ; ce fut alors seulement qu'elle retourna chez ses père et mère, qu'elle suivit quelques années après en émigration. Elle entra, dès leur formation à Londres, dans les établissements d'éducation fondés par l'abbé Carron, et y est restée jusqu'à la mort de ce vénérable ecclésiastique, arrivée au mois de mars 1824, à Paris, où il avait, à la Restauration, transféré son institution, sous le nom de Marie-Thérèse ou des Nobles Orphelines. Ses fonctions y étaient de surveiller les demoiselles, de donner des leçons de français aux Anglaises ; elle tenait, en outre, tous les registres relatifs à la comptabilité des pensionnaires, tant filles que garçons, et était chargée seule de la correspondance anglaise de l'établissement, qui était fort étendue. Elle était l'âme de cette maison, qu'elle avait adoptée par goût et par reconnaissance. « J'ai remis entre les mains de la Providence mes plus chers-intérêts, écrivait-elle en 1802, et je n'en veux point reprendre le fatigant soin. Consacrée par choix à l'état précieux que j'ai embrassé, je m'y regarde liée aussi fortement que si j'en avais fait le voeu solennel ». Et, en 1814, elle disait de l'abbé Carron : « Vous ne connaissez encore cet homme de Dieu que par ses oeuvres extérieures ; que serait-ce si, comme moi, vous l'aviez suivi dans sa vie privée pendant vingt années ? C'est un François de Sales ! c'est un Vincent de Paule ! ». Mademoiselle de Lucinière était une femme d'un mérite supérieur ; on peut juger de la rectitude de son jugement par une de ses lettres qui a été publiée dans la correspondance de l'abbé Félicité de la Mennais ; en quelques mots de bon sens pratique, elle met à néant les sophismes par lesquels le malheureux prêtre se laissa surprendre. Elle est morte à Paris le 26 janvier 1844, sans alliance.

5° Félicité-Marie-Marcuise de Cornulier, née à Lucinière le 29 septembre 1775, émigra aussi avec ses parents à Jersey. C'était une personne charmante ; il ne lui manquait qu'une taille plus élevée pour être une beauté accomplie. Avec ces avantages et dans la position précaire où sa famille se trouvait, on dut la marier de bonne heure. Elle épousa à Jersey même, le 17 septembre 1793, Marie-Auguste du Bahuno, chevalier, vicomte du Liscouët, ancien chevau-léger de la garde du Roi, fils de Jacques du Bahuno, marquis du Liscouët, et de Françoise-Marie-Reine de Coëtlogon. C'était un homme peu agréable de sa personne et absolument nul du côté de l'esprit. Fatigué de l'émigration, il revint en France, contracta un second mariage, et, méprisé de sa famille et de tous ceux qui le connaissaient, mourut en prison à Auray le 5 février 1807. Après l'abandon de son mari, madame du Liscouët passa à Londres, où elle entra, en 1796, dans une pension comme maîtresse de français. Elle y est morte le 21 avril 1808. Depuis longtemps elle s'était donnée parfaitement à Dieu. Elle porta le deuil de son mari, et ne parla jamais des sujets de mécontentement qu'il lui avait donnés. Elle n'avait eu qu'une fille, morte à Jersey, âgée de six semaines.

 

XIII. — Jean-Baptiste-Théodore-Benjamin, comte DE CORNULIER-LUCINIÈRE, né à Nantes le 3 mars 1773, émigra au commencement de 1791, se rendit à Worms, près du prince de Condé, et fut immédiatement incorporé dans le régiment de la Reine, cavalerie. Il fut à Ettenheim et Oberkeim durant l'hiver de 1792, fit la campagne de 1792 et celle de 1793 dans la deuxième compagnie noble d'ordonnance, brigade de Lasteyrie, sous les ordres du Comte du Hallay, et rejoignit sa famille à Jersey après le licenciement de l'armée des princes. Il entra, en 1793, dans le régiment d'infanterie du Dresnay, à la solde de l'Angleterre, et y fut nommé sous-lieutenant à la fin de 1794. Il avait déjà obtenu ce grade à son arrivée à Worms, mais, dans cette armée de volontaires, on servait tantôt comme officier, tantôt comme soldat ; ici à pied et là à cheval, selon que l'exigeaient les circonstances ; l'honneur et le dévouement le plus désintéressé étaient les seules règles de l'émigration. Manquant souvent du nécessaire, condamnés à mort s'ils étaient pris, soit par suite de blessures, soit par excès de fatigues ; traités en mercenaires par les puissances alliées, abandonnés par elles à la paix, les émigrés firent preuve d'une abnégation surhumaine et qui n'a jamais été appréciée.

Jean-Baptiste-Théodore-Benjamin, comte DE CORNULIER-LUCINIÈRE (1773-1824).

C'est en qualité de sous-lieutenant au régiment du Dresnay que le comte de Cornulier fit partie de l'expédition de Quiberon en 1795. Grièvement blessé d'un coup de baïonnette dans le côté à l'attaque du fort Penthièvre, et se traînant à peine, il gagna, non sans opposition, une embarcation anglaise, qui le jeta à bord d'un vaisseau. Débarqué mourant à Southampton, il y fut recueilli par M. et Mme Picaud, ses compatriotes, qui lui prodiguèrent les soins les plus assidus, et c'est à leur hospitalité qu'il fut redevable de la vie. Le régiment du Dresnay ayant été licencié à son retour en Angleterre, le comte de Cornulier fut, après son rétablissement, nommé capitaine dans le corps noir de Nestre ; mais, au moment de partir pour l'Amérique, il entra, en 1796, dans le régiment de Royal-artillerie, corps français au service de l'Angleterre, commandé par M. de Rotalier, et alors en cantonnement à Lymington. Il partit avec ce corps pour le Portugal, où il fit les campagnes d'Abrantès et autres en 1799 et 1800, et y servit jusqu'au licenciement du régiment, qui eut lieu à Portsmouth le 1er octobre 1802.

Peu après cette époque, il rentra en France, où il fut amnistié le 15 février 1803. Il refusa le grade de chef de bataillon qu'on lui offrit dans les armées impériales, et ne voulut accepter d'autres fonctions publiques que celles de maire de la commune de Nort, où il fut nommé le 23 novembre 1807. Revenu à la vie privée, il s'appliqua tout entier à rassembler les débris de sa fortune, ou plutôt à s'en créer une nouvelle, car tout ce que possédait son père avait disparu dans la tourmente révolutionnaire ; il était, à la lettre, sans feu ni lieu, et même moins que cela, car il ne retrouvait pas un sou de bien, mais seulement, des dettes anciennes à payer. Quelques spéculations heureuses, des transactions avec la plupart de ses acquéreurs, lui permirent de rentrer progressivement dans la propriété de son ancienne terre de Lucinière, et lui donnèrent la certitude de pouvoir élever désormais sa jeune famille, qui semblait croître en proportion de l'agrandissement de son domaine. Heureux de posséder le nécessaire après avoir éprouvé tant de vicissitudes, il vivait satisfait de sa médiocrité et de la considération dont il jouissait dans son petit cercle. C'est en cet état obscur, mais paisible et exempt de soucis, que le trouva la Restauration.

Il fut nommé chevalier de Saint-Louis par ordonnance du 27 novembre 1814, et reçu, à Nantes par le chevalier de Cornulier, le 8 janvier 1815. Reconnu comme capitaine de cavalerie, à prendre rang du 1er octobre 1802, par ordonnance royale du 31 mai 1814. Nommé commandant de la garde nationale de Nort en 1816, et lieutenant-colonel des gardes nationales à cheval de l'arrondissement d'Ancenis, par ordonnance du 28 avril 1818. Il était encore membre du Conseil d'Arrondissement de Châteaubriant et de la Société royale Académique de la Loire-Inférieure, où il avait été reçu le 18 janvier 1818. Il refusa la préfecture de la Corse, qui lui avait été offerte.

La Restauration, tout en comblant les voeux les plus chers des émigrés, n'en fut pas moins fatale à beaucoup d'entre eux, chez qui elle développa des ambitions sans les satisfaire. Le changement subit arrivé dans leur position en 1814 était bien capable, en effet, de les enivrer et de leur tourner la tête. Suspects de droit et à peine tolérés sous l'Empire, ces proscrits amnistiés trouvaient tout naturel de vivre médiocrement et à l'écart de la seule vie de famille : aucune autre ne leur était permise, et ils n'y prétendaient pas. Les richesses et les dignités du jour appartenaient à des gens avec lesquels ils tenaient à honneur de ne point se mêler ; ils supportaient donc patiemment et sans en être blessés une position d'infériorité qu'ils avaient franchement acceptée, et qui d'ailleurs leur était commune à tous, à l'exception de certains individus qui avaient renié leurs principes et qui leur étaient odieux comme des transfuges. Les Bourbon’s rentrant dans tous leurs droits, leurs compagnons d'exil reprenaient naturellement avec eux le rang qu'ils avaient eu autrefois dans la société ; ils se trouvaient, même malgré eux et par nécessité de situation, jetés dans la sphère du gouvernement ; ils durent faire figure, représenter dans les réunions électorales, et paraître dans maintes circonstances où leur ancienne simplicité n'était plus de mise. Il leur fallait, pour soutenir cette position nouvelle, ou des places qui ne furent qu'en espérance, ou une fortune que la Restauration ne leur rendit pas. A cette première déception vint s'en joindre une autre ; une profonde scission se fit dans leurs rangs mêmes, jusque-là nivelés sous la médiocrité. Quelques-uns furent réintégrés dans la possession de vastes forêts qui n'avaient pas été vendues, et recouvrèrent tout-à-coup leur ancienne opulence ; d'autres furent pourvus de fonctions largement rétribuées. Ce n'étaient que des exceptions, mais elles excitèrent les convoitises de la masse des déshérités. Tous avaient souffert les mêmes exils, les mêmes misères chez l'étranger, tous auraient voulu que la même justice leur fût faite ; mais comprenant que l'Etat ne pouvait les satisfaire, chacun ne compta plus que sur son intelligence pour s'élever au niveau matériel qu'il jugeait lui appartenir ; de là une fièvre de spéculations qui échauffa quantité de têtes restées calmes jusqu'alors.

Le comte de Cornulier subit cette funeste influence. Comptant pour rien ses travaux passés, dominé par l'idée fixe de l'avenir de ses enfants, il se mit à l'oeuvre sans relâche. Une entreprise qui semblait bonne en elle-même, mais dans laquelle il s'engagea dans une proportion qui dépassait ses forces, le dessèchement des marais de Donges, éprouva des obstacles et suscita des oppositions locales qui la firent traîner en longueur. Les revenus étaient ajournés, tandis que les appels de fonds ne discontinuaient pas ; il fallait à tout prix trouver le moyen d'y satisfaire, sous peine de déchéance, et, pour sa part, 500.000 francs étaient déjà enfouis dans ces tourbières. Depuis longtemps ses affaires ne lui laissaient plus aucun repos, et ce père si tendre en était réduit à écrire à son fils aîné à Toulon, à la fin de 1823 : « Tu ne saurais croire combien je souffre de ne pouvoir rien t'envoyer, mais cela m'est absolument impossible ; de ma vie je ne me suis trouvé aussi gêné ! ». Lui seul connaissait toute sa position ; il renfermait dans son sein ce secret rongeur ; une confidence l'eût soulagé, mais cette révélation aurait désolé sa famille : il préféra souffrir seul, et cette contrainte le mena au tombeau.

Cependant ses créanciers se lassent d'attendre ; il n'a plus rien à leur jeter en pâture pour les faire patienter encore ; une à une, il a épuisé toutes ses ressources. C'est alors qu'ils mettent à exécution la menace qu'ils faisaient depuis longtemps : Lucinière est saisi ! Surprise au milieu de la sécurité la plus complète et frappée comme d'un coup de foudre, sa femme, éperdue, laisse le champ libre aux gens, de justice, court à la grande route, saisit la diligence au passage, s'y précipite et arrive à Nantes auprès de son mari. Elle demande des explications, ce que signifie au juste ce qu'elle tremble d'avoir trop bien compris ; mais déjà il est trop tard pour obtenir une réponse, et bientôt elle reste seule, veuve avec sept enfants mineurs, et plongée tout à la fois dans la douleur la plus profonde et dans un inextricable dédale d'affaires.

Le comte de Cornulier succomba frappé d'apoplexie à cinquante-et-un ans, et l'on peut dire victime de son dévouement paternel, car dans toutes ses combinaisons le présent était sacrifié à un avenir qui ne pouvait être le sien. Il mourut à Nantes le 25 avril 1824, et, selon le désir qu'il en avait témoigné, fut inhumé dans la chapelle de Lucinière, près de son père et de sa mère. Il avait épousé à Londres, le 2 juin 1802, Anne-Henriette D'OILLIAMSON, née au château de Couliboeuf, près de Falaise, le 10 octobre 1786, fille de Marie-Gabriel-Eléonor, comte d'Oilliamson, marquis de Courcy, en Normandie, vicomte de Couliboeuf, etc. ; lieutenant-général des armées du Roi, grand'croix de Saint-Louis, commandeur de l'ordre noble du Phénix de Hohenlohe, etc., et de Marie-Françoise d'Oilliamson, marquise de Saint-Germain-Langot, près de Falaise ; baronne des Biards, de Baux, de Caligny, etc., sa cousine germaine. La comtesse de Cornulier est morte à Pornic le 3 août 1847, et a été inhumée à Nantes.

Le comte de Cornulier-Lucinière laissa de son mariage sept enfants, qui suivent.

1°. Ernest-François-Paulin-Théodore DE CORNULIER-LUCINIÈRE, né à Nantes le 4 janvier 1804, entra dans la marine, comme élève de troisième classe, à l'Ecole navale d'Angoulême, le 1er janvier 1818 ; fut nommé élève de deuxième classe le 1er septembre 1819, et élève de première classe le 1er décembre 1821. Promu enseigne de vaisseau le 4 août 1824, lieutenant de vaisseau le 26 avril 1831, et chevalier de la Légion-d'Honneur le 14 août 1842. Fut admis à la retraite, sur sa demande, le 30 septembre 1843. Il a publié différents Mémoires sur l'astronomie nautique, sur l'artillerie de la marine, la tactique navale, et sur l'histoire du comté nantais ; et est l'auteur de la présente Généalogie. Il a épousé à Orléans, le 16 juillet 1833, Charlotte-Germaine-Néalie DE LA BARRE, née à Auxerre le 15 août 1809, fille de Jean-Baptiste de la Barre, chevalier, et de Modeste-Eugénie-Edmée-Elise du Faur de Pibrac, dont il a une fille unique :

Alicie-Charlotte-Eugénie-Marie de Cornulier-Lucinière, née à Lorient le 19 février 1843.

2° Albert-Hippolyte-Henri DE CORNULIER-LUCINIÈRE, né à Lucinière le 17 juillet 1809, admis dans la marine, comme élève de troisième classe, à l'Ecole navale d'Angoulême, le 20 octobre 1825 ; nommé élève de deuxième classe sur le vaisseau-école l'Orion, en rade de Brest, le 7 octobre 1827 ; passa garde-du-corps du roi Charles X au mois de juillet 1830 ; lieutenant dans l'armée du roi don Miguel de Portugal, commandée par le maréchal de Bourmont, en 1833 ; élu membre du Conseil Général de la Loire-Inférieure, de 1848 à 1852 ; par le canton de Saint-Philbert. A épousé à Nantes, le 12 mai 1835, Céleste-Claire DE COUËTUS, née dans la même ville le 17 novembre 1810, petite-fille de M. de Couëtus, successivement page de la Reine, officier au régiment de cavalerie de Royal-étranger, chevalier de Saint-Louis, et général commandant en second l'armée vendéenne de Charette, fusillé à Challans en 1796 ; et fille de Jean-Baptiste de Couëtus, chevalier de Saint-Louis, ancien officier au régiment de la Reine, cavalerie, et de Anne-Marie-Jacqueline de Galard de Béarn de Brassac. De ce mariage sont nées deux filles, qui suivent.

A. Marie-Rogatienne-Anne-Philomène de Cornulier-Lucinière, née à Nantes le 29 mai 1836, mariée dans la même ville, le 21 novembre 1860, à Marie-Charles-Adrien de Couëtus, son cousin germain, fils de Louis-Albert de Couëtus, ancien page du roi Charles X, ancien officier de dragons, et de Léontine-Charlotte de la Roche-Saint-André.

B. Alix-Marie de Cornulier-Lucinière, née à Nantes le 23 octobre 1841.

3° Alphonse-Jean-Claude-René-Théodore de Cornulier-Lucinière, qui suit.

4° Théodore-Gabriel-Benjamin-Charles DE CORNULIER-LUCINIÈRE, né à Lucinière le 14 juin 1817 ; licencié en droit, fit partie du premier détachement des volontaires Orléanais qui marchèrent au secours de Paris, en juin 1848, et se trouvèrent à l'affaire du Carrousel. A épousé à Orléans, le 27 avril 1840, Caroline-Germaine-Marie DE SAILLY, née à Orléans le 21 août 1822, fille unique d'Armand-Joseph, vicomte de Sailly, chevalier de Malte de minorité, et d'Anne-Marie-Louise-Alexandrine du Faur de Pibrac, dont il a une fille unique.

Caroline-Henriette-Marie de Cornulier-Lucinière, née à Orléans le 18 février 1841.

5° Marie-Alfred-Ernest DE CORNULIER-LUCINIÈRE, né à Lucinière le 15 janvier 1822 ; nommé élève à l'Ecole militaire de Saint-Cyr le 20 novembre 1840 ; sous-lieutenant au 5ème bataillon de chasseurs à pied le 1er octobre 1842 ; lieutenant au 6ème bataillon de la même arme le 25 janvier 1846 ; capitaine au 3ème bataillon de chasseurs à pied le 6 décembre 1850 ; chef de bataillon, commandant le 9ème bataillon de chasseurs, le 27 janvier 1855 ; commandant du bataillon de chasseurs à pied de la garde, le 22 août 1855. Décoré de la Légion-d'Honneur, le 23 janvier 1848, à l'occasion de la prise d'Abd-el-Kader, et du Medjidié de Turquie après la bataille d'Inkermann. Tué sur la brèche, à l'assaut de Sébastopol, le 8 septembre 1855.

Passé en Afrique aussitôt sa sortie de l'Ecole militaire, Alfred de Cornulier s'y distingua immédiatement dans plusieurs expéditions dont il fit partie dans les provinces d'Alger et d'Oran, par son entente de la guerre, son ardeur dans l'action et son aptitude à parler la langue arabe, chose rare encore dans l'armée malgré l'importance qu'on y attachait. Il était parti muni de lettres de recommandation pour plusieurs généraux et officiers supérieurs, mais il n'eut rien de plus pressé que de les jeter à la mer pendant la traversée, ne voulant rien devoir à la faveur. Cependant ayant été remarqué de son chef de bataillon, M. de Canrobert, depuis maréchal de France, celui-ci le désigna au choix du lieutenant-général de la Moricière, qui lui avait demandé un officier d'ordonnance, et il servit en cette qualité près de lui depuis le mois d'août 1845 jusqu'en 1848. Il fit partie de l'armée de Paris comme adjudant-major au 3ème bataillon de chasseurs à pied, puis fut embarqué pour l'armée d'Orient le 19 mars 1854. Assista à la bataille de l'Alma, sous les ordres du général Bosquet, et se distingua par son intrépidité à celle d'Inkermann, où il reçut deux blessures graves et eut un cheval tué sous lui. Evacué sur Constantinople, pour guérir ses blessures, il rejoignit, sous les murs de Sébastopol, le 15 mars 1855, le 9ème bataillon de chasseurs à pied dont on lui avait confié le commandement ; assista dès lors à toutes les opérations du siége et s'y fit remarquer par ses qualités militaires, son sang-froid et son brillant courage. Nommé commandant des chasseurs à pied de la garde, il quitta le vieux siége, où il avait été employé depuis son retour en Crimée, pour passer à l'attaque de droite, du côté de la tour Malakoff. Le jour de l'assaut général, il entraîne ce corps d'élite avec un élan irrésistible, franchit successivement, au pas de course, six parallèles remplies de nos soldats, sous une grêle de balles et de mitraille, sans jamais souffrir que personne le devance. Toujours le premier, il gravit la batterie noire, escalade le parapet, et de là, brandissant son épée, crie à ses chasseurs : en avant ! Mais, au même instant, frappé de plusieurs balles, à bout portant, il roule sans vie au fond du fossé. Sur mille combattants environ, son bataillon avait eu 450 hommes hors de combat en quelques minutes.

Marie-Alfred-Ernest DE CORNULIER-LUCINIÈRE (1822-1855).

« Ce brave jeune Alfred de Cornulier, comme il est mort vaillamment l'épée à la main, à la tête de son bataillon ! écrivait le général Mellinet. J'avais passé la journée de la veille avec lui ; et, lorsqu'il partit pour s'engager avec son bataillon, je lui serrai encore fortement la main en lui souhaitant une chance qu'il n'a pas eue, le digne et valeureux garçon ».

Quelques mois avant sa mort, un autre officier général disait : « Cornulier est un homme exceptionnel ; s'il n'est pas tué ici, c'est un homme qui marquera en France ».

Quand on apprit sa mort, ce fut un deuil général dans l'armée d'Orient ; depuis le général en chef jusqu'au dernier soldat, il jouissait de l'estime et de l'affection universelle ; nul officier n'a été plus sincèrement regretté ; destiné à fournir la plus brillante carrière, il n'avait pas un envieux. A la bataille d'Inkermann, il avait excité l'admiration de l'armée entière ; tout le monde avait mis pied à terre pour se dérober à la terrible mitraille des Russes, seul de toute l'armée il eut l'audace de rester à cheval au milieu de cet ouragan de fer. « Il était brave !... il était juste !... et il était bon », disaient de lui ses chasseurs, résumant ainsi son éloge en trois mots dans leur concision militaire. « C'était, disait le général Trochu, un noble coeur, une âme pleine d'élévation, un officier accompli, et la perte de ce vaillant jeune homme, qu'attendait un grand avenir, est l'une des plus irréparables que le pays et l'armée aient faites devant Sébastopol, où tant de braves gens ont succombé ».

Le même, écrivant à sa veuve, lui disait : « Commandant sous mes ordres une troupe dont il avait fait une élite ; aimé de tous, honoré de tous pour sa brillante valeur et l'élévation de son caractère, votre mari, madame, était mon ami et comme mon enfant. J'éprouvais une vive satisfaction à penser que je contribuerais au développement de cette belle carrière, et quand, sur sa réputation, il fut arraché à mon affection pour aller servir loin de moi, j'en fus, et je crois qu'il en fut mortellement affligé. On ne se séparait jamais d'un ami, dans cette guerre terrible, sans avoir de douloureux pressentiments d'une séparation éternelle ; et quand il vint me faire ses adieux, quand je lui donnai l'accolade militaire, j'eus la pensée que l'un de nous ne reverrait pas ses foyers. Cette pensée qui m'obsédait, s'est hélas réalisée ; et, au milieu des périls communs, Dieu a voulu appeler à lui celui qui, bien plus jeune, n'eut pas dû être appelé le premier. On ne parle pas à une épouse et à une mère des gloires qui ont environné la mort de son mari ; mais nous, madame, qui sommes des soldats, nous éprouvons quelque consolation à la pensée qu'un compagnon d'armes, un ami, est descendu dans la tombe entouré de tant d'honneurs et de regrets ».

A ces vertus, militaires, Alfred de Cornulier joignait le courage des principes, la fermeté des sentiments et des convictions, union de qualités devenue si rare de nos jours. Chez lui, jamais le désir d'obtenir des honneurs ne l'emporta sur le besoin de les mériter. La générosité de son coeur et sa loyauté ne lui permettaient même pas d'altérer l'expression de sa pensée, quand même elle devait compromettre sa carrière.

Immédiatement après le coup d'Etat du 2 décembre 1851, des feuilles furent envoyées dans tous les corps pour y faire signer aux officiers leur adhésion au nouveau 18 brumaire. Alfred de Cornulier refusa noblement d'y apposer sa signature, quelques instances que lui fissent ses camarades et son chef de bataillon, lui représentant qu'il perdait son avenir. Ce dernier, appelé au ministère de la guerre pour donner des explications sur ce refus exceptionnel, répondit : « Cet officier est le meilleur de mon bataillon ; mais ayant été attaché pendant plusieurs années à la personne du général de la Moricière, il répugne à sa délicatesse de s'associer à une mesure qui le frappe d'exil ».

Lui-même rendait compte ainsi des circonstances qui accompagnèrent sa nomination au commandement des chasseurs à pied de la garde impériale, dans une lettre écrite devant Sébastopol, le 28 août 1855 : « Je me présentai d'abord chez le général de Martimprey, chef d'état-major général, et je me plaignis à lui de ce qu'on m'avait choisi pour un poste qui me convenait si peu. Il me répondit que le général en chef avait tout pesé, et qu'il ne s'était arrêté à la détermination qui me concernait qu'en parfaite connaissance de cause.

De là je fus faire mes visites d'arrivée, d'abord à mon nouveau général de brigade, M. de Pontevès, que j'ai connu jadis à Oran ; ensuite au général Mellinet, qui devient mon général de division, et enfin au général en chef de la garde, M. Regnault de Saint-Jean-d'Angély. En m'entendant annoncer, celui-ci prit un air des plus graves et des plus soucieux, et me conduisit dans un coin mystérieux et retiré de sa baraque, où j'eus à subir l'interrogatoire suivant : — Aviez-vous demandé à venir dans la garde ? — Non, mon général. — Aviez-vous le désir d'y être admis ? — Non, mon général. — On m'a dit que vous étiez parent du général de la Moricière. Cet officier général a des opinions hostiles au gouvernement ; si vous les partagiez, ce serait fâcheux ; car, dans la position que vous allez occuper, vous aurez de doubles devoirs à remplir, d'abord ceux qui sont imposés à tout officier, et ensuite des obligations plus étroites envers la personne du souverain, pour laquelle chaque officier de la garde doit professer un attachement particulier. — Je ne suis pas parent du général de la Moricière ; mais j'ai eu l'honneur de faire partie pendant trois années de son état major. Je ne partage pas ses opinions politiques ; mais j'appartiens à une famille qui en professe d'autres qui ne sont pas davantage dans le sens du gouvernement, et je déclare, en toute franchise, que mes sympathies personnelles sont de ce côté. Je ferai mon devoir en toute circonstance, comme il convient à un officier d'honneur ; mais je déclare nettement que je n'éprouve pour le chef actuel de l'Etat aucun sentiment d'attachement particulier.

Mon vieux général semblait très-malheureux de toutes mes réponses. Quant à moi, j'étais posé en face de lui, bien carrément, parfaitement à l'aise, n'éprouvant aucun embarras à satisfaire sa curiosité. Enfin, je fus congédié avec ces mots : — Je respecte, Monsieur, toutes les convictions ; mais il est regrettable qu'on ne consulte pas les officiers avant de les nommer aux emplois de la garde. — Je m'inclinai sans répondre, remontai à cheval, et arrivai au camp de mon nouveau corps ».

« Mort, Alfred de Cornulier avait sur sa figure un air de sérénité ineffable, image de sa belle âme, dit un témoin oculaire ; il était si calme, qu'il paraissait dormir. Je me rappelle son souvenir avec bonheur, écrivait le R. P. de Damas, aumônier de l'armée d'Orient, et, pour me servir d'une expression de l'Ecriture, son âme semblait s'être collée à la mienne, tant notre union était intime ».
Alfred de Cornulier avait épousé à Nantes, le 5 août 1846, Marguerite-Amélie LAW DE LAURISTON, née à Nantes le 3 avril 1823, fille de Louis-Georges Law de Lauriston, ancien receveur-général des finances à Nantes, chevalier de Saint-Louis et de la Légion-d'Honneur (frère du marquis de Lauriston, maréchal de France), et d'Agnès de Vernely. De ce mariage sont nés quatre enfants qui suivent :

A. Pierre-Marie-Alfred de Cornulier-Lucinière, né à Nantes le 27 mai 1847, mort du choléra à Paris le 6 juin 1849.

B. Charles-Marie de Cornulier-Lucinière, né à Nantes le 27 janvier 1849, mort aussi du choléra à Paris, le même jour que son frère.

C. Pierre-Charles-Marie de Cornulier-Lucinière, né à Douai, en Flandre, le 20 avril 1851, mort à Nantes le 29 mai 1859.

D. Anne-MarieMarguerite de Cornulier-Lucinière, née à Nantes le 18 avril 1850.

6° Antoinette-Mathilde-Anne-Camille-Marie-Clotilde-Bathilde de Cornulier-Lucinière, née à Lucinière le 20 janvier 1807, nommée, par brevet du 8 janvier 1825, dame chanoinesse honoraire du chapitre royal de Sainte-Anne de Munich ; a épousé à Falaise, le 25 juillet 1829, Louis-Henri Robert de Grandville (de la famille Robert, anciens seigneurs du Moulin-Henriet, en Sainte-Pazanne, au comté nantais), fils de François-Julien Robert de Grandville et de Anne-Françoise-Madeleine de Sartoris. Devenue veuve après une année de mariage, elle est restée sans postérité.

7° Hélène-Anne-Marie de Cornulier-Lucinière, née à Lucinière le 19 mars 1820. Sans alliance.

 

XIV. — Alphonse-Jean-Claude-René-Théodore, comte DE CORNULIER-LUCINIERE, né au château de Lucinière le 16 avril 1811, est entré au service comme élève de la marine de deuxième classe, sur le vaisseau-école l'Orion, en rade de Brest, le 16 octobre 1827 ; fut nommé élève de première classe le 16 juillet 1830 ; décoré de la Légion-d'Honneur pour la prise de la casbah de Bône, le 10 mai 1832. Promu enseigne de vaisseau le 1er janvier 1833, et lieutenant de vaisseau le 1er décembre 1840. Nommé, en 1847, officier de l'ordre portugais de la Tour et l'Epée, pour sa participation au traité de Sétuval. Promu capitaine de frégate le 2 décembre 1852 ; officier de la Légion-d'Honneur le 12 août 1854, à la suite d'une croisière dans la mer Noire ; puis capitaine de vaisseau et officier de l'ordre turc du Medjidié, le 2 décembre 1855, pour la prise de la forteresse de Kinburnn, à l'attaque de laquelle il commandait la batterie flottante la Lave ; commandeur de la Légion-d'Honneur le 10 août 1861.

Il a épousé à Nantes, le 4 janvier 1838, Louise-Elisabeth-Charlotte DE LA TOUR-DU-PIN-CHAMBLY DE LA CHARCE, née à Paris le 25 septembre 1814, fille de Louis-Henri-Alexandre, vicomte de la Tour-du-Pin-Chambly de la Charce, ancien capitaine d'état-major, chevalier de Malte, et d'Elisabeth-Marie-Modeste de Sesmaisons.

De ce mariage sont nés :

1° Henri-Raoul-René de Cornulier-Lucinière, né à Nantes le 31 octobre 1838, admis à l'Ecole militaire de Saint-Cyr le 5 novembre 1858, nommé sous-lieutenant au 14ème régiment d'infanterie de ligne le 1er octobre 1860.

2° Paul-Louis-Ernest de Cornulier-Lucinière, né à Nantes le 18 février 1841, admis à l'Ecole navale de Brest, sur le vaisseau le Borda, le 20 octobre 1858 ; nommé élève de la marine de deuxième classe le 1er août 1860.

3° Camille-Louis-Marie de Cornulier-Lucinière, né à Nantes le 23 mai 1844.

4° Gustave-Jean-Marie-Alfred de Cornulier-Lucinière, né à Nantes le 8 novembre 1855.

5° Anne-Augustine-Marie-Victorine de Cornulier-Lucinière, née à Nantes le 4 août 1847.

6° Louise-Anne-Henriette-Marie de Cornulier-Lucinière, née à Nantes le 24 juillet 1851.

(E. de Cornulier-Lucinière).

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