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LA PIRATERIE AUX ILES GLENANS ET LE FORT CIGOGNE |
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Nous avons à plusieurs reprises parlé des pirates dont les incursions empêchèrent si longtemps tout établissement durable aux Glénans.
Au huitième siècle, les Normands, après avoir saccagé les côtes de Bretagne, remontèrent les rivières, attaquèrent et prirent même quelquefois de grandes villes ; la Bretagne fut alors entièrement dévastée.
Quand ces envahisseurs se furent installés sur les pays conquis, la piraterie n'en continua pas moins. On voit cependant les ducs de Bretagne, à partir de Pierre Mauclerc, faire de sérieux efforts pour éloigner ces forbans qui arrivaient montés sur de véritables flottilles, et Jean IV, au XVème siècle, songea même à leur opposée une importante flotte pour protéger le commerce.
Au XVIème siècle, les pirates barbaresques vinrent chercher jusque dans l'Atlantique des rivages moins dévastés et moins bien gardés que ceux de la Méditerranée. En 1625, un pirate marocain descendit dans la Cornouaille anglaise et put reprendre la mer emmenant 200 prisonniers et un énorme butin. Cent ans plus tard, les croisières de ces forbans étaient encore signalées au cap Finistère et à Ouessant.
D'autre part, les guerres maritimes entre les nations Européennes donnèrent lieu à l'armement par des particuliers de navires qui, sous le nom de corsaires, pouvaient impunément ravager les côtes de l'ennemi, s'emparer de ses navires, ou les détruire. Ils faisaient souvent un butin considérable, car ils se montraient peu scrupuleux de s'enrichir aux dépens d'alliés, ou même de compatriotes.
Il existait bien quelques navires garde-côtes, mais ils n'étaient pas assez nombreux, leur action se montrait peu efficace, et ils arrivaient presque toujours trop tard. Voici, à ce sujet, une lettre curieuse adressée par Guy Autret [Note : Guy Autret, seigneur de Missirien, appartenait à une famille noble de la Cornouaille, et habitait le manoir de Lésergué, près de Quimper. C'était un érudit, auteur d'ouvrages encore estimés ; il fut créé chevalier de Saint-Michel, par Louis XIII] à son ami et correspondant Ch. d'Hozier, le célèbre généalogiste. Elle montre ce que pouvait faire, à l'occasion, l'initiative d'un simple gentilhomme. Cette lettre a été publiée par M. de Rosmorduc avec d'autres lettres de Guy Autret, dans un ouvrage tiré à un très petit nombre d'exemplaires, et qui n'a pas été mis dans le commerce. Je crois donc intéressant de la reproduire :
« A Lésergué, ce 22 Avril 1648. MONSIEUR ET CHER CONFRÈRE, Je vous diray pour nouvelles que neuf ou dix vesseaux pirates espagnols et biscaïens infestent nos costes maritimes depuis 4 à 5 mois, ont prins de nos bouques marchandes et déprédé plus de 50 navires, sans que les vesseaux garde-costes entretenus du Roy y aye doné auceun ordres. Ses pirates en nombre de 9 auaient leur retraite en vne isle nomée Glelan située à 3 lieues de la terre ferme deuant les ambouchures de Conquerneau et de Benodet et la coste de Cornouaille. Messire René Barbier, marquis de Kerian que vous cognoessès à mon aduis, estant en diuorse depuis six ans aveq la dame de Mesarnou sa fame, s'est aduisé depuit deux ans pour faire passer sa melancolis, de faire bastir un grand vesseau, qu'il a bien armé aveq une patache, aveq lesquels il tient souvent la mer et done la chasse aux pirates et ayant eu aduis de ces 9 pirates, il partit de la coste de Léon la semaine de Pasques, double les pointes du Conquet et du Ras, done aveq hardiesse sur ses pirates qu'il trouue à l'ancre du haut de ceste isle, coule trois de leurs vesseaux a fond, en prend trois autres et done la chasse au reste, de forme qu'avec un vesseau, à la vérité plus grand et mieux armé que ceux de l'ennemi, il a gaigné une petite bataille ; les marchans de tous nos haures ont député vers lui, l'ont envoyé remercier, et lui ont fait rendre des viures et des vins en abondance. L'on m’a dit que ceste victoere a telement grossi le courage de ce marquis, qu'il parle desia d'ataquer la ilote des Indes, néamoins raillerie à part. Cest essait mérite louanges et quatre lignes de gazetes. Je suis et serait toute ma vie, mon cher confrère, votre très humble et obéissant serbiteur. MISSIRIEN ».
Il ne semble pas qu'au XVIIème siècle, il ait été pris de mesures efficaces pour écarter les pirates.
En 1675, la flotte de l'Amiral Hollandais, Ruyter, croisait sur les côtes de Bretagne ; sa présence au large se trouve confirmée par ce fait qu'un de ses navires put recueillir quelques-uns des chefs de la révolte du papier timbré, qui échappèrent ainsi au supplice qui les menaçait, car plus coupables que les paysans qu'ils avaient soulevés, ils devaient craindre de ne pas être amnistiés.
La question de l'espionnage fut également une cause de préoccupations pour les habitants du littoral. J'ai trouvé aux archives de la Guerre (section historique), les deux lettres suivantes.
Voici la première, adressée sans doute au Maréchal de Château-Renaud, récemment nommé gouverneur de Bretagne :
« A Moro, près Concarneau, le 2 May 1704. MONSIEUR, Le Sieur Villien, Permetté moy s'il vous plait de pour donner un advis, de très grandes consequences qui est qu'une ville appelée Concarneaux, fort recommandable, tant par sa force que par sa situation, dont M. de Vauban en scait la valeur, est menacée par les ennemis et par rapport à ce que j'ay l'honneur de vous mander, il y a quelques jours un batiment relacha dans le bassin de lad : place soubz prétexte de se reposer, y resta trois jours. C'estoit un espion qui venait reconnaître la forteresse, il s'en retourna et mesme j'ai appris qu'un matelot, qui scait connoistre l'endroit pour entrer, est party pour aller joindre led : espion soubz prétexte d'aller avec les autres matelots qui sont à Brest. Il y a plusieurs coursiers (corsaires) dans cette mere. Il est vrai que la flote qui alait à Brest fut ataquée jeudy 4 d'apvril aux isles des Glenans qui sont à 4 lieux en veû de lad : place , ou nos gens se défendirent vigoureusement et prirent un flessingois. Il y a six mois que M. le gouverneur est absent et que le cannon n'est point en estat. La place estant presque dégarnie, si les ennemis s'en rendaient les maistres, toutte la Brettagne serait perdue. Si vous jugez à propos j'auray l'avantage de vous donner advis de tout ce que je pourrai descouvrir. J'attendrai l'honneur de vos commandemens en vous priant d'être persuadé que je suis avec un profond respect. Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur. S. VILLIEN ».
A la suite de cette plainte, le Maréchal de Château-Renaud annonça l'intention de visiter la côte entre Benodet et Concarneau.
La seconde lettre datée de 1709 ne porte pas le nom du destinataire. Elle est écrite par M. de Penanjeun (de Kerguélen) :
« Vous devez en donner avis à M. le Maréchal de Chateaurenaud. MONSEIGNEUR, L'honneur que j'ai eu de servir vingt années sa Majesté, d'en avoir des pensions, la croix de Saint-Louis, celui que j'ai d'être commandant de la noblesse de l'évêché, le sermant de fidélité que j'ai pretté entre les mains du Roy et des vostres, Monseigneur, m'oblige à vous doner avis que le port de Benodet est très mal gardé, qu'il vient tous les jours des battaux pecheurs se rendant à Quimper qui y acheptent des blets, du pain et des provisions qu'ils vendent aux grenesiens (Guernesiais) et cela de nuit et de jour. Il paraît, Monseigneur, qu'il seroit à propos de faire aborder au fort tous les bataux entrant et sortant. Comme se sont quatre ou cinq péïsants des paroisses voisines mal disciplinés qui montent à leur tour cette garde, si sa Majesté le juge à propos, j'aurez le soin d'en faire la visite toutes les semaines et de remédier à ce désordre, sans en atteindre aucune rétribution que l'honneur de vous en rendre compte, et de marquer par là à votre Grandeur le zèlle que je conserverai toujours pour les intérêts du Roy. J'ay l'honneur d'être avec un très grand respect, Monseigneur, Votre très humble et très obéissant serviteur, DE PENANJEUN, Le grand bailly de Quimper. Quimper, ce 12 May 1709 ».
J'ai déjà dit qu'après le traité d'Utrecht, en 1713, les moines de Saint-Gildas escomptant un long avenir de paix avaient cherché de nouveau à tirer parti des Glénans. Malheureusement, les corsaires avaient reconnu que cet archipel contenait de bons havres, où leurs barques pouvaient se mettre à couvert par tous les vents, et y séjournaient sans être vus de la côte, ni du large. Ils connaissaient les passes et les écueils aussi bien que les pêcheurs français, et avaient fait à plusieurs reprises des établissements où ils s'installaient à demeure. De là, ils surveillaient les côtes depuis Groix jusqu'à Penmarc'h. Ils se tenaient cachés et fondaient à l'improviste sur toutes les barques qui sortaient du port de Concarneau, ou des rivières de Quimper et de Quimperlé, ils pillaient également celles qui faisaient entre Nantes, le Port-Louis et Brest, un cabotage d'une grande importance pour alimenter ce dernier port en temps de guerre. Ces corsaires causèrent ainsi un «tort immense au commerce et à la pêche, et enlevèrent un grand nombre de matelots à la marine du Roy ».
Vauban, qui avait fait à la fin du XVIIIème siècle l'inspection des côtes de Bretagne, s'arrêta à Concarneau en 1694 et y fit établir des batteries, mais il ne paraît pas s'être occupé de fortifier les Glénans.
C'est seulement au XVIIIème siècle que les autorités maritimes se préoccupèrent de mettre fin aux incursions des pirates, ainsi que le montre une note datée du 20 juin 1717, non signée, mais émanant certainement du commandant Robelin, ingénieur au Port-Louis, cité précédemment, qui venait de faire une étude sérieuse de tout l'archipel et proposait l'établissement d'un fort dans la petite île Cigogne. Le Maréchal de Montesquiou, à qui cette note était adressée, l'envoya au Ministre avec l'annotation suivante :
« Vu et examiné le présent mémoire. Je crois que cela mérite attention. Quand on ne ferait qu'un petit fort à y tenir un corps de garde de dix à douze hommes, il empêcherait dans les temps de guerre que des corsaires viennent se mettre à l'abri, puisque ce corps de garde par des signaux avertirait la côte qu'il y a des corsaires cachés. C'est à S. A. S. et au Conseil de la Marine d'en faire leur réflexion. Quimper, 20 Juin 1717 ».
La réponse ne se fit pas attendre, et, à la suite d'une délibération du Conseil en date du 4 juillet, des instructions furent données à Robelin. Le plan de l'archipel qu'il s'occupa immédiatement de lever est assez exact pour chaque île en particulier, mais très fautif, quant à leurs positions respectives. Robelin y joignit le 29 octobre 1717 une note destinée aux navires voulant mouiller dans l'archipel.
Aucune suite ne fut donnée à cette étude, pendant près de vingt ans. En 1744 seulement, on trouve un projet de La Ferrière de Vincelles, officier, prisonnier sur parole, qui se déclare prêt à s'installer aux Glénans pour les défendre contre les corsaires Jersiais et Grénésiais. Il demande seulement six petites pièces de canon, et une bonne chaloupe armée de quatre pierriers. Il s'engagerait par ailleurs à ne pas quitter les îles pendant toute la durée de la guerre.
Le 6 septembre 1745, M. de Marolles présenta un nouveau projet assez bien étudié, où il démontrait l'inutilité d'une seule batterie contre un ennemi qui voudrait débarquer. Il faudrait, d'après lui, une tour et une enceinte crénelée contenant des logements pour 160, peut-être même 200 hommes, et il se demandait si le Ministre voudrait approuver cette dépense qu'il estime 55.000 livres. Incidemment, il signale l'utilité d'un feu de bois qui serait allumé six mois de l'année sur l'île Penfret.
Quelques années plus tard, en 1754, en prévision d'une guerre qui ne devait pas tarder à éclater, le duc d'Aiguillon récemment nommé Gouverneur de Bretagne, reçut du Ministre de la Marine, Machault d'Arnouville, des instructions précises pour s'occuper de la défense des côtes. En ce qui concerne les Glénans, tous les avis exprimés jusqu'alors étaient favorables à l'établissement d'un fort dans l'île Cigogne, quand le Chevalier Des Roches, en réponse à une lettre du Ministre de la Marine, émit un avis différent dans un mémoire très remarquable que sa longueur seule m'a empêché de reproduire in-extenso [Note : Le Chevalier du Dresnay des Roches s'est signalé dans les guerres maritimes du XVIIIème siècle, et il a été Gouverneur général des Iles de France et de Bourbon].
Après avoir exposé la question sous ses différents points de vue, il arrive à la conclusion suivante :
« Je crois n'avoir omis aucun des inconvénients qu'on peut imputer aux îles des Glénans dans leur état actuel, avoir prouvé que de ces inconvénients plusieurs sont imaginaires et que la Marine seule peut pourvoir aux autres, et je crois en conséquence, être en droit de conclure qu'il serait au moins inutile d'élever un fort sur l'île Cigogne ».
Le Chevalier des Roches ajoutait même que si les corsaires prenaient Cigogne et s'y installaient, il faudrait une armée navale pour les en chasser. Cet avis fut combattu par Le Roger de la Sauvagere qui présenta, deux mois plus tard, son projet du fort de l'île Cigogne, dont il évalua la dépense à 200.000 livres. Ce projet, reconnaît-il, est combattu par les officiers de la Marine de Brest « pleins d'ardeur à se rendre utiles, mais alors il faudrait deux frégates coûtant chacune 30.000 livres pendant toute la durée de la guerre... et un coup de vent peut les éloigner ».
En présence de ces avis contradictoires., le duc d'Aiguillon voulut examiner la question personnellement. Un. Nouveau plan de l'archipel, plus exact que les précédents, avait été dressé par Villeminot (2 juillet 1755) et, dès le 26 juillet suivant, le duc s'embarqua pour les Glénans. D'après son itinéraire, qui a été conservé, son navire mouilla successivement aux points suivants : Penfret, le Loc'h (nord-ouest et sud-est), Cigogne, Bananec, Saint-Nicolas et enfin dans la Chambre.
L'établissement d'un fort à l'île Cigogne fut alors définitivement adopté, et de nouveaux projets furent demandés aux ingénieurs.
Celui de Frézier, directeur des fortifications de Bretagne, comprenait une tour avec une enceinte bastionnée. Le projet de La Sauvagère consistait en batteries circulaires superposées occupant toute la surface de de l'île. Cet ingénieur proposa en même temps l'établissement d'une batterie circulaire au nord-nord-est de l'île Penfret.
Voici, d'après La Sauvagère, l'extrait d'une estimation générale des dépenses à faire, pour la défense des côtes aux abords de Concarneau : - Begmeil, batterie : 8.106 livres 3 sols 3 deniers. - Ile Cigogne, batteries circulaires (haute et basse) : 247.782 livres 4 sols 10 deniers. - Penfret, pointe-nord, batterie circulaire et retranchements : 39.216 livres 17 sols 6 deniers. - Plate-forme sur une des tours de Concarneau pour y placer 4 pièces de canon : 1.270 livres 6 sols 8 deniers.
En ce qui concerne le fort Cigogne, le projet, après avoir subi des réductions qui ramenaient le chiffre de la dépense à 115.000 livres, fut approuvé, ainsi que cela résulte d'une lettre, en date du 4 mai 1756, dans laquelle le Duc d'Aiguillon donne au Ministre quelques détails sur le commencement des travaux.
Voici cette lettre :
« ILES DES GLÉNANS. Fort ordonné dans l'île . Quimper, le 4 Mai 1756. LE DUC D'AIGUILLON, Les Glénans, Monsieur, sont un assemblage de plusieurs petites îles et de roches qui forment de bons havres pour les barques, où les corsaires peuvent être à couvert de tous les vents et s'y tenir sans être vus de la côte. Ils y avaient fait un établissement pendant la dernière guerre, d'où ils couraient sur toutes les barques qui sortaient des rivières de Quimper, Quimperlé, du port de Concarneau, etc., etc., et sur celles qui faisaient le cabotage de Brest au Port-Louis et à Nantes. Ils firent un tort immense au commerce, à la pêche, et enlevèrent une quantité prodigieuse de matelots. Parmi ces îles, il n'y en a que trois qui aient quelque consistance, les autres n'étant que des rochers un peu étendus. La plus considérable est celle du Loc, mais elle est presque entièrement occupée par un étang d'eau saumâtre, et tout le reste est fort marécageux. L'île de Penfret a un terrain moins aquatique et qui pourrait produire, s'il était cultivé ; le mouillage y est fort bon dans la partie de l'est, mais, comme elle est un peu éloignée dans le sud des autres îles, sa position n'est pas aussi avantageuse. Celle de l'île Saint-Nicolas est beaucoup plus favorable : outre qu'elle est plus près de Concarneau, dont elle n'est éloignée que de trois lieues et demie, c'est elle qui, avec l'île de Cigogne, forme le port des Glénans qu'on appelle Chambre, où on entre à tout vent, et où on peut échouer sans aucun danger quelque temps qu'il fasse. Cet asile est d'un grand secours pour toutes les barques de pêche et de cabotage, soit qu'elles se trouvent assaillies d'une tempête, qui les empêche de gagner les ports de la Grande terre, soit qu'elles ne veuillent pas s'y affaler pour pouvoir continuer leur route plus aisément lorsque l'orage est passé. Le fort que vous avez ordonné de construire sur l'île Cigogne leur assurera cet abri, dont les corsaires se seraient bientôt emparé, sans cette protection.
La Cigogne est d'autant plus favorable à ces établissements qu'elle est très élevée, et domine sur toutes les autres îles, et principalement sur la Chambre, dont elle bat les deux entrées à la portée du fusil. D'ailleurs c'est un rocher vif dont le fort embrassera toute la circonférence, et dont les approches seront par conséquent impossibles. On ne pourra l'attaquer qu'en établissant des batteries sur l'île Saint-Nicolas, ce qui serait une opération longue et difficile, et, en supposant la brèche faite et praticable, on ne pourrait y arriver qu'en traversant à découvert un bras de mer dans lequel il reste même à basse mer deux ou trois pieds d'eau, dans une étendue de 400 toises, dans la partie la plus étroite. Je ne pense donc pas que ce fort puisse jamais être attaqué avec succès, et je suis persuadé que le commerce, le cabotage et la pêche en retireront de grands avantages ; mais je crains que les Anglais, qui les connaissent aussi bien que nous, ne nous donnent pas le temps de le mettre en état de défense, quelque diligence que nous puissions apporter à son exécution. J'ai pris toutes les précautions convenables pour l'assurer au moyen du détachement que je fais passer dans l'île Saint-Nicolas, et je suis très persuadé que les corsaires, quelque nombreux et hardis qu'ils puissent être, n'oseront pas l'attaquer ; mais, si les grands préparatifs que les Anglais font depuis si longtemps dans leurs ports ont pour objet quelque partie de la Bretagne, ils ne manqueront pas de commencer par s'emparer de ces îles, et, quelque ferme que soit l'officier que j'y place, quelque bien retranché qu'il soit, il n'est pas possible de se flatter qu'avec 50 hommes il puisse résister aux forces d'une escadre nombreuse qui aura résolu décisivement de le prendre. Il me semble que c'est le cas où, pour la certitude d'un grand bien, il faut risquer l'incertitude d'un petit mal.
J'ai l'honneur de vous envoyer le projet du fort que nous avons adapté à la forme de l'île et qui me parait remplir toutes les vues de défense de protection et de commodité qu'on peut avoir ; on l'exécutera si vous l'approuvez. La dépense, excède de 12.501 livres 2 sols 10 deniers celle que vous avez fixée, mois, comme on peut retrancher certains articles, qui ne sont que de commodité et peuvent par conséquent se différer, il n'y aura que 3.601 livres 3 sols 5 deniers à ajouter à la somme que vous avez déterminée ; et on les prendra, si vous l'approuvez, sur les 68.072 livres affectées au rétablissement des batteries. Le local n'a pas permis qu'on diminuât la capacité du fort, étant indispensable d'embrasser toute l'île, ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le faire observer. D'ailleurs, la construction des barraques pour loger la troupe emporte une somme de 1.500 livres, qu'il n'est pas possible de retrancher.
Je vous supplie d'ordonner à M. de Morogues d'envoyer incessamment sur ces îles 4 pièces de canon de 22 et 2 de 8 avec leurs affûts, armement et munitions, afin que le détachement puisse s'y établir et être en état de s'y défendre et de protéger les ouvriers. Il n'est pas moins nécessaire que vous ayez la bonté d'ordonner à M. Hocquart d'affecter une chaloupe au service de ce poste, tant pour les besoins qu’il peut avoir dans la grande terre que pour faire passer soir et matin les ouvriers de l'île Saint-Nicolas, où ils logeront, à l'île Cigogne où ils travailleront, et les soldats qui les escorteront. J'ai écrit à M. de Conflans pour le prier de faire croiser une frégate dans cette partie, pour protéger les ouvriers, jusqu'à ce que l'établissement des troupes soit fait, et que les canons soient arrivés. Cette protection est d'autant plus nécessaire, qu'il y a paru un corsaire depuis quelques jours qui a fait deux prises assez considérables. Mais elle sera bientôt inutile, si les canons ne tardent pas à arriver, les baraques étant déjà fort avancées. Vous. connaissez, Monsieur, mon respectueux attachement pour vous. LE DUC D'AIGUILLON ».
Les travaux du fort Cigogne furent en effet commencés, mais ils se trouvèrent brusquement interrompus au bout de deux ans, car, à l'approche de la flotte anglaise, tous les ouvriers s'enfuirent. En 1768, les travaux n'avaient pas été repris, bien que les pièces de canons demandées eussent été envoyées, et qu’il y eût pour les servir cinq canonniers, dont « un maître », fournis par les bataillons gardes-côtes.
Pendant cette période, la garnison était assez nombreuse et avait son aumônier, ainsi que le démontrent plusieurs actes de décès inscrits sur les registres de la paroisse de Fouesnant, dont dépendaient les Glénans :
« L'an 1758, le 24 novembre, j'ai enregistré l'inhumation faite à l'île Saint-Nicolas des Glenans par Missire François Guillou, aumônier du Roy, de deux corps morts jetés par les flots de la mer à la côte des îles de Glenans et qu'on croit provenir du naufrage de la barque ou chasse marée la Sainte-Anne, dont estait maitre Clément Guillotin de la paroisse d'Arzon, Evêché de Vannes, suivant la reconnaissance faite par le Sr. Beriet, commis aux devoirs et Rochedreux, canonnier, et demeurera la lettre dudit St. Guillou d'attache au présent enregistrement, ladite inhumation faite aux Glenans le 1er octobre de la présente année. Signé : PERROT, Recteur de Fouesnant ».
« Le 16 mars 1760, le corps de Charles Duchemin, fils de Jean-Baptiste Duchemin, et de Marie-Marguerite du Bois, paroisse de Saint-Pierre-de-Chaillot, faubourg de la Conférence, de Paris, soldat de la Compagnie de M. de la Hoche, capitaine au régiment de Chartres-infanterie, décédé aux Isles de Glenans, a été inhumé dans l'île Saint-Nicolas par Missire Guillou, aumonier de la garnison aux dites Isles, le 3ème jour du mois de mars, suivant le certificat qui nous a été envoyé pour faire l'enregistrement sur le registre des sépultures de la paroisse de Fouesnant, ledit certificat signé dudit sieur Guillou, de Larseur, lieutenant audit régiment et de Baunis, chirurgien, qui demeure d'attache aux present. Enregistré par nous, ce jour de mars 1760. Signé : PERROT, Rr. de Fouesnant ».
Quelques mois plus tard, le 21 juin 1760, le même registre mentionne la mort de deux grenadiers du régiment d'Ailly, compagnie de Faloir, noyés par accident aux environs des îles de Glénans. L'acte est signé par l'aumônier en présence du capitaine de la Grasserie et des lieutenants Lesparre et Beaurepos.
Le 27 février 1781, le registre mentionne le décès de deux soldats du régiment de Lorraine, compagnie Thomas. Ce sont les seuls actes que j'ai pu découvrir concernant les Glénans.
Après le funeste traité de paix de 1763, l'achèvement des fortifications des Glénans fut perdu de vue, et sembla possible de reprendre les tentatives précédemment faites pour mettre ces îles en valeur. C'est alors que le Sr. Landais circonvint l'administration des domaines de la Bretagne à Concarneau et obtint, en 1768, comme on l'a vu précédemment, l'afféagement des Glénans dans des conditions absolument irrégulières. A peine installé, il se plaint de l'envahissement de ses nouvelles propriétés, et envoie des protestations d'une part contre le surveillant des travaux qui, dit-il, s'en considérait comme le maître, d'autre part, contre l'entrepreneur du fort qui avait ouvert de nouvelles carrières. Dans un rapport sur ces réclamations, il est rappelé que les ouvriers employés aux travaux du fort Cigogne ne trouvaient dans cet îlot rien de ce qui leur était nécessaire, et qu'ils devaient venir chercher à Saint-Nicolas leur eau, toutes leurs provisions, et un gîte. C'était pour eux que le duc d'Aiguillon avait fait construire des barraques ayant coûté six mille livres. Le surveillant des travaux, également forcé de se loger à Saint-Nicolas, cultivait quelques lopins de terre sans importance. Les réclamations de Landais, jugées mal fondées, ne furent pas accueillies.
En 1772, le commandant de la Rosière, chargé d'une reconnaissance générale des côtes de Bretagne entre la Normandie et le Poitou, a consacré aux Glénans, un chapitre qu'il est intéressant de reproduire [Note : Une copie de ce rapport fait partie d'un lot de documents remis au général Bernadotte, commandant l'armée de l'Ouest après le 18 Brumaire (en 1800), et renvoyés, en 1861, par le roi de Suède, son fils, à l'empereur Napoléon III] :
« On appelle les Glénans, douze petites îles entremêlées et environnées d'une quantité de rochers dessus et dessous l'eau, qui sont à trois petites lieues au sud sud-est de la pointe de Mousterlin, dont l'étendue de l'est à l'ouest est de deux lieues et du sud au nord d'une lieue.
Quatre de ces îles : Saint-Nicolas, Drenec, Cigogne et Bananec, forment un port appelé La Chambre, assez étendu pour contenir 30 navires, et où le mouillage est excellent par deux brasses au plus. Il y a une passe à l'est, et une à l'ouest, qui en facilitent la sortie à tous vents, et les bâtiments y sont d'autant mieux placés qu'ils ne sauraient être aperçus que lorsque l'on n'est plus à portée de les éviter. Il est défendu par un fort construit sur l'île Cigogne qui répand son feu à l'est, au nord et à l'ouest, mais qui est encore imparfait, et sur lequel il n'y a que deux pièces de canon.
Il y a sur l'île Saint-Nicolas, qui couvre le port au sud, quelques bâtiments militaires, une chapelle et deux batteries, ensemble de six canons, pour la défense de deux petites anses de sable qu'elle a, l'une au nord, et l'autre au sud, et qui lui servent de port.
L'île de Penfret, la plus à l'est, est la plus grande et serait susceptible de quelque culture. On peut mouiller à l'est et au nord de celle-ci par 10-12 brasses. Un fortin y serait très bien placé et très utile pour la protection du cabotage et de la pêche. Il y a dans cette île un bon puits d'eau douce.
Celle de Lock, ou de l'Etang, la plus au sud et la plus grande après la précédente, a, au sud-ouest, une petite anse appelée Port-Sterval, où il reste à basse mer deux brasses d'eau et dont l'entrée est en partie défendue par le fort Cigogne. Il y a au milieu de cette isle un étang qui sèche quelquefois et un puits d'eau saumâtre. La partie du nord serait assez élevée pour mettre à couvert du feu de l'Isle Cigogne.
Entre les Glénans et la pointe de Mousterlin, est un gros rocher appelé l'Isle aux moutons, et au sud sud-est de ce dernier, le banc des Pourceaux qu'on laisse à gauche, lorsqu'on vient des Etocs de Penmarck, et qu'on passe en terre des Glénans. On peut passer entre ce banc et l'Isle aux Moutons, mais il faut beaucoup d'attention pour éviter les rochers ».
A la suite de ce travail fait par la Marine, M. de la Servinière, ingénieur en chef au Port-Louis, envoya en 1773, M. du Breuil, ingénieur sous ses ordres, faire l'inspection des travaux de défense des côtes et en rendre compte. « Les bâtiments, dit ce dernier, à propos du fort des Glénans, sont en assez bon état, et les couvertures solides, mais les portes, les fenêtres et les chassis ont été volés par les matelots. Il faudrait achever la citerne et y envoyer le gardien de Saint-Nicolas, qui y mange plus que ne valent tous effets du Roy, et, en un mot, s'occuper de finir ce fort, dont la plus grande partie est terminée ».
M. de la Servinière se transporta à Saint-Nicolas, mais il reconnaît que pendant son séjour il ne lui fut possible d'aborder qu'une fois à l'île Cigogne. Il put cependant constater que la face de l'est et les deux bastions étaient dégradés et les pièces de canon culbutées. « La chapelle et le bout des casernes, auraient été emportés par la mer, qui a déjà mangé quatre toises, si le gardien n'avait fait un mur de pierres sèches pour les protéger ». A la suite de son inspection, cet ingénieur fit, à son tour, des propositions pour la mise en état du Fort Cigogne, mais, dans un mémoire fort détaillé, il reconnaît combien l'entretien en est difficile. « Les vaches des afféagistes passent partout, les matelots, qui abordent nuit et jour, en font autant, et tout est dans le plus grand désordre. De plus, le fort toujours abandonné, est toujours à refaire à la première guerre ».
En outre, l'afféagiste Landais, dont nous avons vu les plaintes au moment de son installation, fut mis en demeure de démolir des bâtiments construits trop près du fort, et qui en bornaient la vue. Ayant créé des jardins entourés de murs, il vendait des légumes aux matelots très nombreux à l'époque de la pêche, et avait fini par s'associer avec un nommé Viau, ancien capitaine de vaisseau marchand, qui était venu s'installer là avec une douzaine de petits enfants.
Comme l'emplacement des bâtiments n'avait pas été soumis à l'approbation des ingénieurs, Viau fut obligé de prendre, vis-à-vis l'Etat, l'engagement de les démolir à première réquisition, et, comme il y avait mis tout son argent, sur les conseils de Landais, il devint furieux. Les rapports avec le surveillant n'en furent que plus difficiles, et ce dernier fut dénoncé comme faisant de la fraude, « c'était un vieux maréchal des logis, honnête homme et fort considéré à Concarneau » et les commis assurèrent qu'il ne « fait aucune fraude », aussi ne fut-il donné aucune suite à la dénonciation.
Au mois de Mars 1780, la proposition de M. de la Servinière fut envoyée par le maréchal de Maillé à M. le Marquis d'Aubeterre, en indiquant subsidiairement une solution moins coûteuse. Au dossier figure une note de M. le Chevalier de Palys, ingénieur au Port-Louis, qui explique la situation au point de vue financier. Il convient de la reproduire :
« On a établi sur cette île (Cigogne), en 1756, un fort en maçonnerie pour cent hommes de garnison, avec casernes voisines à l'épreuve de la bombe, citerne, chapelle, etc. L'estimation de dépenses pour la construction était de 115.000 livres. Dans trois années qu'on y a travaillé, on y en a dépensé 75.000 livres. Il restait donc à faire pour terminer cet ouvrage, une dépense de 40.000 livres. Depuis 1758 que ce fort a été discontinué, on y a volé toutes les portes et fenêtres, et on estime que leur remplacement, ainsi que la réparation des dégradations, que vingt-et-un ans d'abandon peuvent avoir produit, peuvent monter à dix mille livres ; ainsi, pour mettre ce fort à l'état convenable à l'objet essentiel pour lequel il est fait, il en coûterait donc à peu près cinquante mille. Si l'intention de la Cour est que ce fort soit rétabli, il est nécessaire qu'elle donne promptement des ordres à ce sujet, afin qu'on ait le temps de faire les approvisionnements convenables pour pouvoir y travailler dans la belle saison. Le Chevalier de PALYS ».
M. d'Aubeterre répondit à M. de Maillé que la dépense à faire pour l'achèvement des travaux au fort Cigogne, semblait bien élevée et qu'il n'était pas possible de statuer sur le vu de devis faits depuis 24 ans, d'autant que, s'il était possible d'établir de nouveaux fonds, ils seraient beaucoup plus utilement employés à l'île de Bréhat. Il ajoutait qu'il serait préférable d'adopter une autre combinaison indiquée par M. de Maillé, d'après laquelle il suffirait de mettre en batterie les quatre pièces qui existaient à l'île Cigogne, d'y rétablir le magasin à poudre, le corps de garde, en un mot, de former dans cette île un établissement pour un détachement de 24 hommes au plus. M. de Montbarey serait alors invité à y envoyer un poste de 25 hommes qui suffirait. L'envoi d'un mortier serait ajourné.
En l'absence de documents relatifs aux années suivantes, on ne peut faire que des conjectures sur l'état des défenses des Glénans. Il est probable qu'elles furent désorganisées, comme tous les autres services publics pendant les premières années de la République. Cependant il en subsistait quelques restes, car Cambry, qui dans le récit de son voyage, en Bretagne en 1794, parle des Glénans, probablement sans y être allé, mentionne une garnison dont l'existence me paraît fort problématique ; car tout semble indiquer que ces îles furent alors presque abandonnées.
Cette même année, le représentant du peuple, Nion [Note : Nion, ingénieur de la Marine, député à la Convention, fut, avec Treilbard et Jean Bon-Saint-André, envoyé en mission dans le Finistère en 1794 et 1795], présenta, le 28 frimaire an III (8 décembre 1794), sur la situation des côtes Sud de Bretagne, un long mémoire dans lequel, à propos des Glénans, il se borne à insister sur la nécessité d'y construire plusieurs phares. Ce rapport fut renvoyé le 9 nivôse an III (23 janvier 1795) à la section de Législation.
D'autres propositions furent faites pour remédier à cet abandon, et une conférence se réunit pour les examiner en l'an IV. Elle mit en présence les divers services intéressés de la Guerre et de la Marine, mais la Marine réclama contre la part que s'attribuait la Guerre, et la conférence n'aboutit pas. Bref, rien ne fut décidé, bien que plusieurs projets de mise en état du fort eussent été présentés en 1796 et 1801.
Le Général du Génie Marescot raconte qu'étant, en 1802, en tournée d'inspection avec l'amiral de Rosily, il trouva le fort Cigogne fermé et sans garnison ; ils y pénétrèrent cependant sans la moindre difficulté en escaladant les clôtures. Cet abandon ne pouvait se prolonger, car il était facile de prévoir que la paix avec l'Angleterre, signée à Amiens en 1802, n'aurait qu'une durée éphémère, et, sous l'impulsion du premier Consul, les côtes de France se couvrirent de batteries. Il en fut établi deux à Benodet et à Saint-Gilles, sur la rive gauche de l'Odet, et sept dans la baie de Concarneau, à Begmeil, à Beuzec-Cong, à la Croix et au Fer-à-Cheval de Concarneau, à Lanriec-Cabellou, à la Jument et à Trévignon en Trégunc.
Le 1er Vendémiaire an XI (24 Septembre 1802) l'armement du fort Cigogne consistait en un mortier de 10 pouces et huit canons en fer (3 de 24 et 5 de 16). Il y avait dans l’île, « corps de garde, poudrière, boulangerie, hôpital, citerne et gril à rougir les boulets ». Un gardien et une vigie y étaient installés, avec 25 hommes de garnison. Deux ans plus tard, le 1er Vendémiaire an XIII, la situation était la même, mais on réclamait le remplacement du gril par un fourneau à réverbère, « la poudrière renferme 3.000 kil. de poudre ». En 1809 et 1813, l'armement du fort Cigogne ne s'était pas modifié.
Pendant cette période, se place l'épisode du Vétéran, raconté en grand détail par Levot, et peut-être un peu dramatisé, si on se reporte à la relation officielle. C'était un vaisseau de 86 canons, tout neuf, commandé par le prince Jérôme Bonaparte, le plus jeûne des frères de l'Empereur, à qui on avait adjoint un état-major de choix d'où sont sortis quatre amiraux [Note : Le capitaine de frégate, Halgan, second devint vice-amiral ; le lieutenant de vaisseau Duperré, amiral ; l'enseigne de vaisseau Massieu de Clerval, vice-amiral ; l'aspirant de Mackau, amiral]. Ce vaisseau se trouvant isolé et poursuivi par la flotte anglaise jusque sous la pointe de Begmeil, était, le 26 Août 1816, à la merci de l'ennemi. S'il ne voulait pas se laisser prendre, il n'avait qu'à se faire sauter, quand un simple marin de Concarneau, Furic [Note : Furic a été décoré le 15 décembre 1848], s'offrit à conduire le vaisseau à travers tous les écueils, et réussit à l'amener sous les murs de la ville auprès du bac de Lanriec dans une fosse ou le vaisseau pouvait flotter à mer basse, à condition d'être maintenu par quatre amarres. Il fut désarmé et on dut attendre près de deux ans avant de trouver une occasion favorable pour le ramener à Lorient. La côte avait été préalablement hérissée de canons et des feux allumés sur les roches les plus dangereuses ; il put ainsi échapper à la surveillance des croiseurs anglais.
A la suite de sa tournée en Bretagne, le général Marescot, dans un rapport daté de 1807, constate, à propos du fort Cigogne, que le mur est trop faible pour résister au canon. Il faudrait, d'après lui, porter la garnison au chiffre de 120 à 150 hommes avec 10 à 12 bouches à feu, et, en tout, si on voulait armer trois batteries sur les autres îles, 250 hommes et une vingtaine de bouches à feu.
L'Empereur était partisan, pour la défense des côtes, de tours en maçonnerie à l'épreuve de la bombe et pourvus d'une forte artillerie. Il en aurait été, paraît-il, construit deux à Quélern. En ce qui concerne les Glénans, la décision du 23 mars 1811, qui autorise une dépense totale de 60.000 francs, prévoit 35.000 francs pour la mise en état du fort Cigogne et 25.000 francs pour établir sur l'île Saint-Nicolas des batteries, ou une tour. On ne peut aujourd'hui identifier l'emplacement de cette tour, car il n'en reste aucune trace, et il est probable qu'elle n'a pas été construite, les ingénieurs ayant émis un avis défavorable.
En 1816, tous les forts et batteries de la côte ayant été désarmés, les officiers du génie furent invités à faire des propositions pour les dépenses d'entretien à prévoir dans leurs services, propositions qui devaient être soumises à la Commission de la défense des côtes. Leurs rapports, unanimes pour reconnaître l'absence d'utilité du fort Cigogne, insistent sur ce que, pendant la dernière guerre maritime, les Anglais avaient trouvé un bon mouillage derrière l'île Penfret, et s'y étaient maintenus constamment malgré le fort Cigogne, tandis que la garnison française, quelquefois bloquée pendant 15 jours de suite, s'était vue obligée de négocier avec l'ennemi une espèce de convention pour qu'il n'interceptât pas le passage des bateaux chargés de son approvisionnement, par contre, on ne tirait pas sur le mouillage de l'escadre anglaise, où les bombes ne pouvaient l'atteindre que par un tir d'ailleurs incertain. On avait même été forcé de fermer les yeux sur les communications de nos pêcheurs avec les bâtiments ennemis auxquels ils fournissaient quelques provisions fraîches pour avoir la liberté de pêcher tranquillement dans la baie [Note : Une sorte de trève analogue existait entre l'ennemi et les habitants des îles de Houat et de Hoedic].
La conclusion des Ingénieurs était que la conservation du fort n'avait plus désormais aucun intérêt ; mais, que, puisqu'il existait, il était toujours bon de le maintenir, ne fût-ce que pour gêner les mouvements de l'ennemi, s'il ne pouvait les arrêter totalement.
Toutefois, en 1817, il n'était point occupé et la garnison ne se composait que d'un seul gardien. Voici en quoi consistait alors cet ouvrage :
« La forme du fort Cigogne est celle d'une redoute, dont les quatre faces sont courbes ; la face antérieure et une partie de la face gauche ont des parapets. Le reste est sans terrassement et n'est point terminé. Un pont-levis et des ponts dormants donnent entrée dans le fort dont la porte d'entrée est au fond d'un renfoncement demi-circulaire. La grande quantité d'îles et de rochers qui l'entourent, le rendent inaccessible à tout vaisseau de haut bord ; des bâtiments légers peuvent seuls en approcher, mais les abords en sont dangereux quand on ne les connaît pas. Il est, en outre, presque impossible d'emporter cette petite forteresse de vive force, l'espace qui sépare l'enceinte de la mer est très étroit et d'un accès difficile, à cause des rochers escarpés et des varechs ou gouëmons qui l'entourent. On a proposé, autrefois, de couvrir la porte d'entrée par une demi-lune ; cet ouvrage parait à juste titre superflu. Ce serait un excès de précaution dont on peut se passer, et ce qui le prouve, c'est que l'ennemi n'a pu s'emparer de ce fort, et n'a même pas essayé malgré l'intérêt qu'il avait à s'en rendre maître.
Le fort Cigogne était pourvu de tous les établissements nécessaires. Des casemates à l'épreuve de la bombe étaient établies sous le massif du rempart, à droite et à gauche de la porte d'entrée, et sous une partie des faces contigües. Leurs façades donnaient sur la cour intérieure.
Ces casemates servaient de caserne pour une garnison de 100 hommes, de chambres pour les officiers, de magasin à poudre, de magasins aux vivres, de boulangerie et de cantine. A droite de l'entrée, deux autres chambres souterraines séparées par un mur de refend, servaient la première de prison et l'autre en arrière de cachot. A gauche, un bâtiment construit pour servir d'hôpital, est en assez bon état, à l'exception du plancher qui demande à être refait à neuf. Tous ces logements voûtés sont humides, il paraît que les chapes n'ont pas été faites avec soin. La citerne se trouve en avant de l'hôpital ; elle est voûtée, à l'épreuve de la bombe, et peut contenir 288.000 litres d'eau, quantité suffisante pour la consommation de cent hommes pendant six mois.
Le magasin à poudre également voûté à l'épreuve de la bombe, pouvait recevoir 10.000 kilogrammes de poudre. Le plancher est vieux et est à changer ».
En somme, les maçonneries du fort étaient généralement en bon état, sauf quelques infiltrations dans l'intérieur des casemates, dont la réparation fut ajournée.
La question de la défense des côtes restait toujours à l'ordre du jour. En ce qui concerne les Glénans, il existe au Ministère de la Guerre un mémoire de l'ingénieur Corréard [Note : Corréard était un des dix survivants du naufrage de la Méduse, que le pinceau de Géricault a rendu célèbre] où se trouve indiquée la préoccupation du danger possible d'un séjour prolongé de l'ennemi au mouillage de Penfret, à l'abri du tir du fort Cigogne. Corréard estime qu'il serait impossible à la garnison du fort de résister à l'attaque d'un ennemi supérieur en force, tant en hommes qu'en bouches à feu. Il indique que « pour une distance très éloignée, on pourrait employer, comme on l’a fait au siège de Cadix, à Toulon et à Oléron, les obusiers du système Villantroys » [Note : Le modèle de cet obusier avait été créé par le colonel de Villantroys, directeur général des forges de l'artillerie, en vue du bombardement de la ville de Cadix, à 4 kilomètres de distance].
La Commission, dite de la défense des côtes, constituée en 1818, s'occupa à plusieurs reprises des Glénans. Après avoir écarté le projet du général Marescot, qui voulait augmenter l'importance du fort Cigogne, elle fut cependant d'avis de le conserver, en demandant seulement qu'on améliorât le côté sud-ouest de l'enceinte et en signalant comme urgent l'entretien des casernements. La Commission par contre demanda l'établissement de redoutes dans chacune des trois îles de Saint-Nicolas, du Loc'h et de Penfret.
Après une étude plus attentive des localités, le Comité du Génie se borna, en 1825, à demander la construction d'un fortin à Penfret, proposition qui fut l'objet d'avis favorables de la Commission de défense des côtes en 1836 et 1841.
En 1840, l'horizon politique s'étant de nouveau obscurci, les vieux canons en fonte du fort Cigogne furent remplacés par quatre canons de 30, destinés à battre les principales passes de la Chambre. La Commission insista de nouveau sur l'urgence qu’il y avait à réparer et aérer les casernements, remplacer les charpentes pourries et rendre habitable les magasins et corps de garde. Ce fort, ainsi complété, pouvait battre les trois îles de Saint-Nicolas, du Loc'h et de Penfret à 800, 1.800 et 3.000 mètres de distance. A la suite de ces travaux, il a été l’objet d’un arrêté de classement (3ème importance), le 10 août 1853, et à la suite de conférences mixtes, son armement fut augmenté en 1859 d’un mortier de côte de 32.
Mais, après la guerre de 1870-1871, une nouvelle Commission s’occupa de la défense des côtes ; d’autres idées avaient prévalu et un grand nombre de petites places furent reconnues inutiles. Le fort Cigogne se trouva du nombre, fut abandonné et finalement déclassé par la loi du 27 mai 1889.
Malgré les avis donné par la Commission de défense des côtes, en 1825, rien n’avait été fait à Penfret quand les Ingénieurs des Ponts-et-Chaussées présentèrent en 1834 un projet de phare à la pointe sud de l'île. Le projet du fort sortit aussitôt des cartons du génie, des conférences mixtes s’ouvrirent et un accord s’établit entre les deux services sur les bases suivantes. Le fort devait être placé sur la pointe nord de l'île, qui en est le point le plus élevé, et, comme son tir aurait été gêné, si le phare avait été établi à la pointe sud, il fut décidé que le phare serait reporté dans la partie nord de Penfret, à l’emplacement même que devait occuper le fort. Le phare, dont la construction fut commencée immédiatement, eut son feu allumé le 1er octobre 1838.
Quant au fort, il fallut la crise politique de 1840 pour en faire décider la construction. En 1841, la Commission émit l’avis qu’il y avait lieu d’occuper l'île Penfret ; 1° pour défendre le mouillage qui se trouve à l'est-nord-est ; 2° pour battre le bras de mer qui sépare les Glénans de Trévignon. Les travaux aussitôt commencés furent terminés en 1847. Le fort se composait d’un réduit et d’une batterie circulaire, placée à 50 mètres en avant du phare, il avait 5.0 mètres de longueur sur 40, et contenait des casernements et une très grande citerne. Par une porte débouchant dans le fossé, il communiquait avec la batterie qui fut armée de 8 pièces, 3 canons de 30, 3 obusiers de 22 et deux mortiers de 30, dirigeant leurs feux, partie sur le mouillage, partie sur la pointe de Trévignon. La butte sur laquelle le phare avait été établi couvrait suffisamment ces ouvrages contre les feux directs du large.
Le fort de Penfret a été classé (2ème importance) le 27 septembre 1861, mais il a été désarmé en 1873 et déclassé ainsi que le fort Cigogne, le 27 mai 1889, après une existence de quelques années. Le 9 mai 1891, tous les bâtiments, devenant de simples annexes du phare, ont été remis à l’administration des Travaux Publics (Villiers du Terrage).
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