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CONFIRMATION DU DROIT DE HAUTE JUSTICE DE LA SEIGNEURIE DE GOULAINE |
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Parmi de vieux titres provenant de l'ancien auditoire du château de Goulaine et qui, par des circonstances fortuites n'ont pas suivi le sort déplorable des archives si nombreuses de cette châtellenie [Note : Vers 1826, on transporta du château de Goulaine à Nantes six ou sept charretées de vieux papiers et de parchemins provenant des archives de cette seigneurie et qui furent vendus à la livre. Parmi ces papiers se trouvaient un grand nombre de titres du XIVème et du XVème siècle. (Note de M. Ramet, ancien archiviste du département de la Loire-Inférieure], se trouvait une confirmation du droit de haute justice faite par le duc Jean IV à son amé et féal escuyer Jean de Goulaine.
Cette pièce m'a semblé présenter assez d'intérêt pour être insérée dans notre site. L'organisation judiciaire en France est un des côtés de notre histoire des plus curieux, des moins connus, mais aussi des plus obscurs, surtout en ce qui touche la période féodale.
Je n'ai point la prétention de développer ce grave, sérieux et difficile sujet de la justice au moyen âge. Je suis à cet égard d'une parfaite incompétence ; mais j'ai pensé qu'un résumé sommaire, extrait des auteurs qui ont traité du droit féodal, servirait utilement de prolégomènes au fait particulier que je vais exposer.
« Sous la période gallo-franque, l'organisation judiciaire était toute romaine ; elle ne périt même pas complétement quand les barbares envahirent la Gaule ; mais les envahisseurs apportèrent avec eux leurs lois et leurs coutumes.
L'autorité des chefs était plus militaire que civile.
Lorsque la fusion des divers peuples qui occupaient le sol gaulois fut faite, une justice régulière s'établit et de là prirent naissance les assemblées de la nation et des comtes.
La décomposition de l'empire de Charlemagne et l'établissement du régime féodal amenèrent un changement complet, dans l'administration de la justice. Chaque seigneur devint juge de son fief des différends survenus entre ses vassaux et si une contestation s'élevait entre les vassaux des seigneurs, elle était portée à la cour du seigneur supérieur, en remontant ainsi de supérieur en supérieur jusqu'à la cour du Roi, grand fieffeux du royaume.
De fait, le seigneur ne rendait pas personnellement la justice dans son fief, quoiqu'il en eût le droit : à partir du XIIème siècle, les seigneurs furent obligés de commettre des juges pour la rendre en leurs noms.
Les justices seigneuriales étaient de trois sortes : les basses, les moyennes et les hautes justices.
Dans les basses justices, les juges ne pouvaient prononcer que des amendes peu considérables.
Dans les moyennes justices, les juges ne condamnaient qu'à l'amende ; quelques coutumes seulement permettaient aux moyens-justiciers de prononcer le bannissement et les autres peines corporelles au-dessous des galères et de la question.
Les seigneurs hauts justiciers avaient seuls le droit de glaive ; ils jugeaient les affaires les plus considérables du fief et des fiefs subordonnés, notamment les grandes affaires criminelles, celles où l'accusé pouvait perdre vie ou membre. Ils avaient seuls dans leurs fiefs des carcans ou piloris et des gibets ou fourches patibulaires ».
Enfin, comme le dit M. de Cornullier, les justices étaient la véritable marque de la seigneurie.
A mesure que l'autorité royale se développa, les justices seigneuriales subirent de graves atteintes ; elles reçurent le dernier coup par l'établissement des Parlements.
Le parlement de Rennes ne fut établi que le 27 novembre 1475. D'où l'on peut conclure que c'est dans le duché de Bretagne que les seigneurs justiciers conservèrent plus tardivement leur autorité judiciaire, et, d'après Verger « il n'y avait pas de province où il y eût autant de juridiction ».
En 1397, un nommé Simon de Lisle, de la paroisse de Haute-Goulaine maltraita si brutalement sa mère, que mort s'en suivit. Les gens du seigneur poursuivirent activement le coupable et s'en emparèrent, mais comme il ne se trouvait pas de prisons dans la châtellenie, le criminel fut incarcéré dans les prisons de Nantes où il était encore détenu au mois de décembre 1398. — Lorsque vint l'heure de juger et de punir le coupable, les officiers de judicature de Nantes prétendirent que, vu l'énormité du cas, la punition du coupable appartenait au duc, ce qui motiva des réclamations du seigneur de Goulaine, demandant que ses droits fussent reconnus et maintenus. — Jean IV s'empressa de reconnaître le bien fondé de cette, demande, et par lettres patentes du 12 décembre 1398, il déclara « ne voulant ni préjudicier, ni troubler aucun des droits de ses sujets, après délibération du conseil, qu'aucune punition, ni exécution ne devait être faite du corps de Simon de Lisle, afin de ne point porter nuysance aux droits du dit de Goulaine ».
Jean de Goulaine, deuxième de nom, était fils de Guillaume, troisième de nom, grand partisan de Charles de Blois, et qui fut grièvement blessé à la bataille d'Auray, en 1364 [Note : Histoire généalogique des seigneurs marquis de Goulaine, par Guy Autret de Missirien].
Jean de Goulaine obtint du duc diverses fondations en plusieurs églises, et par lettres du 20 juillet 1384, il lui fut octroyé d'établir des foires en la ville de Goulaine. Mais le document que nous allons reproduire confirme le droit le plus élevé de cette seigneurie : le droit de haute justice, qui se désignait aussi sous le titre de cognaissance du sang.
Cette reconnaissance à l'égard d'une simple châtellenie est un fait intéressant, quand on pense combien les rois eux-mêmes étaient jaloux de leurs droits de haut justicier [Note : Voir l'intéressante communication de M. Achard, archiviste de la préfecture de Vaucluse, à M. Viollet le Duc : Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIème au, XVIème siècle. T. v, p. 553].
La circonscription ecclésiastique qui dépendait, au moyen âge, de la prévôté de Vertou, présentait alors cinq grandes juridictions : au midi, la Maillardière, dont les fourches patibulaires à trois piliers s'élevaient dans la lande de Belleville, proche le village du Chêne-Creux, au lieu dit de nos jours la Carrée. — Ogée, dans sa grande carte géométrique de la province de Bretagne (1771), indique la Justice en avant de Ragon, et bordant la grande route de Nantes à La Rochelle. Les fourches patibulaires, dit Loyseau, dans son Traité des Seigneuries étaient placées au milieu des champs, près des routes, et sur une éminence. De là le nom de Justice que portent en France divers lieux. — Ainsi, pour la Bretèche et la Salle, en Château-Thébaud, deuxième juridiction de l'ancienne circonscription ecclésiastique de Saint-Martin, de Vertou, le moulin de la Justice, sur la route de Clisson, rappellerait peut-être le gibet de cette seigneurie ; mais, ce qui est plus certain — c'est que proche de l'aire de la Salle se trouvait le Pilori. — La troisième juridiction était celle de Touffou, justice ducale, qui, en raison de sa proximité de Nantes, lui renvoyait les affaires criminelles ; mais Touffou servait de prison d'État, puisque c'est dans ce château que furent incarcérés, en 1223, Amaury de Craon et Jean de Montoir, sous Pierre de Dreux, après la bataille de Châteaubriant. (Voir Lebaud).
La justice prévôtale de Vertou s'exerçait sur la place du bourg, devant le monastère ; et enfin la justice de la grande seigneurie de Goulaine, qui comprenait cinq châtellenies et neuf juridictions, avait droit de fourches patibulaires à quatre piliers et droit de menée en la cour du siége présidial de Nantes ; c'est-à-dire que, n'ayant pas de prison pour détenir les malfaiteurs dangereux, ces malfaiteurs étaient sequestrés Nantes, mais les exécutions capitales avaient lieu sur les dépendances de la seigneurie de Goulaine ; ce que démontre le document suivant :
Lettre de Jehan IV, duc de Bretagne, justifiant le droit de haute justice de la seigneurie de Goulaine.
12 DÉCEMBRE 1398
[Note : Le texte de cette lettre est la reproduction exacte de l'original, sauf les accents et le complément des abréviations].
« En cest jourduy, en jugement, a esté leu et publié le mandement de monseigneur de Bretaigne, contenant la forme qui ensuist :
Jehan, duc de Bretaigne, conte de Richemont, à tous ceulx qui cestes presentes verront ou orront, salut. Comme nostre amé et féal escuier Jehan de Goulaine nous ait naguieres signiffié qu’un nommé Simon de Lisle et la mère dicelui Simon estoint des hommes et subgez estaigiers et mansionniers en ses fez et seignorie de la paroesse de Goullaine, esquelz il a haute justice et congnoessance de sang si comme il dit, et que depuis un an en cza ycelui Simon, en ceulx fez du dit de Goullaine, avoit mutillé celle sa mère et lui fait les grieffes de quoy la mort se estoit ensuivie en ycelle et que par les gens dicelui Goullaine et en ses fez, en chaulde poursuite fut prins dit de Lisle, et pour ce que ne avoit prinsons où le detenir et garder, l'avoit fait amener à nostre ville de Nantes, et daucuns de nos officiers du dit liéu avoit emprunté l'une de nos prinsons de Nantes pour le mettre, où il a depuis esté et encore est, senz ce que le dit de Goullaine le ait peu retraire à en fere justice, pour ce que aucuns de noz officiers de Nantes ou aucuns diceuix dient, considéré l'énormité du cas, que à nous en appartient la pugnicion, jasoit ce que le dit de Goullaine ait haute justice et congnoessance de sang, et pour ce nous eust supplié le dit de Goullaine lui fere, sur ce , convenable provinsion. Savoir faisons que nous qui ne vouldrions préjudicier à ycelui ne à autre de nos subgez ne perturber aucuns de leurs droiz, à la deliberacion de nostre conseill avons voulu et voulons que pugnicion ne execution qui de par nous soint faiz du corps dicelui de Lisle, puissent ne doient porter préjudice ne nuysance aucuns, au dit de Goullaine, à ses droit et tenue, ses hoirs ne successeurs en aucune manière ou temps avenir. Donné en nostre ville de Nantes le xijème jour de décembre l'an mil iijc iiijxx deiz et ouyct, par le Duc, de son commandement à la relation de son conseill ou quel vous estiez, l'evesque de Vennes, maistre Guille de St André, Jehan Du Fou, trésorier, et plusieurs autres. Ainxin signé Brd Marion. Sur quoy après ce à la requeste de Jehan Rivière ou nom et comme procureur par p. lettres du du dit de Goullaine qui supplie à la court que de ce li feust donné lettre, et pour li valoir ce que devra, li en fut donné ceste. Ce fut fait par notre court aux plez de Nantes, sur sepmaine le samedi après occuli mei, l'an dessus dit. JAMET LAMOROUX, PASSE. ».
L'original de ce vidimus est extrait de la collection de notre collègue M. Louis Petit, qui recueille avec tant de zèle de nombreux documents sur le comté nantais.
(Charles MARIONNEAU).
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