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GRIGNION DE MONTFORT dans le diocèse de Nantes |
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Louis Marie Grignion de Montfort, missionnaire apostolique, du tiers-ordre de Saint-Dominique, fondateur des missionnaires de la Compagnie de Marie (Pères missionnaires Montfortains), de la Congrégation des Filles de la Sagesse, et des Frères de la Communauté du Saint-Esprit (Saint-Gabriel).
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Avant même de naître, en 1673, Louis Grignion avait des attaches avec le diocèse de Nantes : une grand-tante à lui, en effet, née Françoise Bécigeul, trottinait alors sur ses jambes de soixante-deux ans, en la paroisse de Campbon. Cette Françoise s'était mariée, vers 1637, avec un huissier nommé Pierre Grignion, frère du grand-père de notre bienheureux. Ce huissier mourut, à Campbon, dès l'an 1640, laissant un fils, Eustache, qui ne vécut que quatre ans.
En retour, la grand-tante ne mourut qu'à l'âge de quatre-vingt-seize ans, en 1704. A cette date, Louis-Marie Grignion était prêtre depuis quatre ans, et il avait vécu à Nantes pendant toute une année au lendemain même de son ordination sacerdotale. Connut-il sa grand-tante de Campbon ? C'est peu probable, bien qu'un chanoine Bécigneul, mort en 1701, eût pu la lui faire connaître. Gageons que lorsqu'il missionna à Campbon, en 1709, il fit disparaître, dans l'église, les tombeaux de ses oncle, tante et cousin, sans même prendre conscience de cette parenté.
Avant d'être ordonné prêtre, le 5 juin 1700, l'abbé Louis-Marie Grignion possédait, dans le diocèse de Nantes, un bénéfice qui lui servit de titre canonique pour recevoir les ordres. Ce titre était une chapellerie, dite de Notre-Dame, en la paroisse de Saint-Julien-de-Concelles, chapellerie qui lui avait été obtenu, en 1695, par les soins de M. Bauyn, l'un de ses maîtres à Saint-Sulpice. On était alors sous l'épiscopat de Mgr Gilles de Beauvau.
L'arrivée à Nantes
Comment l'abbé Louis Grignion fut-il amené à Nantes dès le début de son sacerdoce ? Par l'intermédiaire du saint prêtre René Lévêque, de Gorges, qui avait fondé la Communauté des Prêtres de Saint-Clément, où l'on s'adonnait, entre autres besognes, aux missions prêchées dans les campagnes. Les directeurs du Séminaire de Saint-Sulpice, qui recevaient M. Lévêque, tous les deux ans pour sa retraite, lui avaient indiqué le jeune Grignion comme une recrue désirable. Et le jeune prêtre avait souri à l'idée de l'évangélisation des « pauvres paysans ».
Hélas, l'ardent apôtre ne trouva point, à Saint-Clément ce qu'il rêvait.
Le Jansénisme régnait dans la maison : le trop illustre Lanoë-Ménard y résidait depuis quinze ans et l'infestait de ses doctrines hérétiques. La discipline, au surplus, s'en trouvait énervée : « Je n'ai pas trouvé ici ce que je pensais, écrivait l'abbé Grignion dès le 6 novembre 1700... M. Lévêque vu son grand âge (il avait alors 76 ans, n'est plus capable de faire des missions... ».
A Poitiers
Pour dissiper sa mélancolie, Louis-Marie, au printemps de 1701, fait un tour à Fontevrault et à Poitiers où il évangélise l'hôpital ; à son retour, il fait ses débuts de missionnaire, d'abord à Grandchamps, puis au Pellerin : tout de suite, par sa manière à lui directe, ardente, imagée, parfois extravagante, il s'empare de ses auditeurs, les bouleverse, leur arrache des larmes, les pousse au confessionnal... et la mission s'achève en apothéose. Le Père de Montfort, comme on l'appelle, a trouvé sa voie.
Et cependant le 25 août 1701 — en la fête de saint Louis. — le missionnaire reçoit une lettre de Mgr Girard, évêque de Poitiers : les pauvres de l'hôpital, qu'il a visités au printemps, le réclament à grands cris : il savait si bien les comprendre, les réconforter, les consoler. Qu'il vienne à Poitiers : il y sera bien reçu. Sur quoi, l'abbé Grignion quitta Nantes Il n'y devait revenir qu'en 1708.
Ayant reçu du nouvel évêque de Poitiers, Mgr de la Poype, interdiction de prêcher dans son diocèse, l'ardent missionnaire se met en route : à pieds il chemine jusqu'à Rome, en revient avec le titre de missionnaire apostolique passe par Rennes, et, en 1708, arrive à Nantes où le reçoit un ami de sa famille. M. Barrin, vicaire général et grand chantre de la cathédrale.
Or à ce moment, les Jésuites donnaient une mission à Saint-Similien : M. de Montfort, comme on l'appelait, se joignit à eux et, par son verbe populaire, gagna le cœur des artisans du Marchix : un soir, comme les étudiants, mécontents d'avoir vu leurs vices flagellés durement par le missionnaire, s'apprêtaient à maltraiter celui-ci, il fut défendu victrieusement par les artisans du Bourg-Neuf.
La Mission de Vallet
La mission de Vallet suivit de près : elle se termina par la plantation d'un calvaire sur les hauteurs de Fromenteau : la croix majestueuse, semée partout de coeurs dorés, devait s'y dresser longtemps comme émouvant souvenir.
Nous arrivons ainsi au fameux hiver de l'an 1709 : le froid commença à sévir dès la fin d'octobre ; puis le temps s'adoucit ; mais, à partir de l'Epiphanie, le gel devint intense: les pins, les noyers, les chênes eux-mêmes périrent ; les vignes furent anéanties ; les oiseaux disparurent quasi totalement. S'en suivirent les misères que l'on devine et spécialement la famine.
Or, c'est au cours de cette rigoureuse saison que le Père de Montfort poursuit le plus activement ses missions dans le diocèse de Nantes : La Remaudière et La Boissière l'entendirent ; puis, après un léger détour en terre angevine, ce fut La Chevrolière qui bénéficia de son éloquence persuasive : c'est là, pourtant, que le curé interrompit le missionnaire au cours d'une de ses exhortations, sous prétexte qu'il ne sortait que des « bagatelles ». Avec son compagnon, M. des Bastières, le saint chanta le Te Deum à la suite de cette algarade : « Voici une belle croix, disait-il ». Les fruits de la mission furent abondants.
De son fiacre à Pont-Château
Les paroisses de Saint-Fiacre et de Vertou le reçurent ensuite, par un froid intense. Un soir, du moins, l'on put se chauffer : M. de Montfort faisait brûler sur la place Saint-Martin, les livres licencieux et les gravures indécentes que lui avaient apportés ses auditeurs.
Toujours dans la même froidure, le missionnaire se dirigea vers Campbon ; son aide, M. des Bastières, se souvenait, longtemps après du pénible voyage effectué de Nantes à Campbon, le mercredi des Cendres, le 13 février 1709. C'est dans cette paroisse, on le sait que M. de Montfort accomplit l'un de ses exploits : il fit enlever sur le champ, à la suite de son sermon, les pierres tombales qui pavaient l'église ; le lendemain, on pila partout la terre battue, puis on blanchit à, la chaux les murs salpêtrés, faisant disparaître la litre seigneuriale et les blasons des Coislin. Sur quoi il y eut grande colère : on parlait de tuer l'audacieux vandale. La chose ne lui serait jamais pardonnée.
Mettre plus de décence dans les églises et chapelles, débarrasser celles-ci des enfeux qui les encombraient, des corps qui les empestaient, était l'une des oeuvres du Père de Montfort : il avait ainsi remis en ordre les églises de Saint-Fiacre et de Vertou ; il ferait de même à Besné, à Crossac, à Pont-Château, où il allait passer au printemps de 1709. En général, on acceptait ses objurgations sur ce sujet, après un moment d'humeur mauvaise. C'est ainsi qu'à Crossac, en 1708, quarante-deux sépultures furent faites dans l'église, et aucune dans le cimetière. Il en fut de même en 1709 jusqu'au 25 août ; seul le curé, M. Halgand, fut enterré dans le cimetière. Mais après le 25 août, toutes les inhumations se font dans le cimetière, même celle du seigneur de Bellébat.
Pont-Château (ou Pontchâteau)
Nous voici à Pont-Château, en mai 1709 ; le missionnaire atteint son apogée ; il a désormais pour compagnon un abbé Gabriel Olivier, de la Cour-Catuit, en Saint-Similen. Il promène avec lui, de paroisse en paroisse, un beau Christ en bois, de grandeur naturelle, une « figure » comme il dit : il cherche un endroit propice pour l'établir à demeure.
Le Calvaire
Or, il a remarqué les hauteurs de la lande de la Madeleine, entre Pont-Château et la Brière : c'est une éminence qui domine tout le pays. C'est là qu'il va ériger le plus important de ses calvaires. Très réalisateur, dès que les semailles sont terminées, il convoque les paysans qu'il vient d'évangéliser : parmi les ajoncs et les genêts, on creuse un large fossé, dont les terres rehaussent l'éminence : ce fossé préservera la colline de l'incursion des animaux. Pendant tout l'hiver, des centaines d'hommes, de femmes aussi, apportent la terre et les pierres des environs immédiats, au moyen de paniers, et les entassent sur le tertre. Des charrettes, attelées de boeufs, y transportent la pierraille des alentours. L'abbé Olivier assure avoir vu au travail, ensemble, jusqu'à cinq cents personnes. Le soir, dit-il, les ouvriers, harassés, se trouvaient payés par un baiser qu'on leur permettait de déposer sur le grand Christ en bois...
Le peuple était dans l'enthousiasme. Mais on avait oublié dans l'exaltation religieuse, le duc de Coislin, propriétaire de la lande de la Madeleine. Celui-ci, Pierre de Cambout, vivait à Paris, sans souci de ses terres ; mais ses hommes d'affaires y regardaient de plus près : de là naîtraient bientôt de graves difficultés.
En attendant, le travail allait bon train ; le Père de Montfort continuait de missionner dans les environs, à Missilac, à Herbignac, à Camoël, surveillant ainsi les travaux et les dirigeant activement. A Missillac, il obtint un franc succès : en 1706, sur cent-trente sépultures, cent quatorze avaient été faites dans l'église ; on devine, par là, ce que devenaient les églises de par une pareille coutume. Or, pendant sa mission, M. de Montfort fit acheter par les paroissiens un champ dont il fit un cimetière, qu'il bénit lui-même, le 1er décembre 1709.
Quel était, cependant, l'aspect que prenait peu à peu le fameux calvaire ? Des rapports de l'époque, et surtout une gravure (Note : Il semble que, pour calmer l'opinion, on ait fait venir sur les lieux Mgr de Bauvau : le 12 octobre, en effet, il était à Pont-Château, et apposait sa signature sur le livre des comptes de paroisse. " G.E. de Nantes ") du temps, nous permettent de le décrire vaguement. Autour de la montagne artificielle, un rosaire était figuré par cent cinquante sapins, que séparaient, de dix en dix, de beaux cyprès. Au delà du fossé, un mur de quelque cent trente mètres de longueur, retenait les terres entassées. Une seule porte donnait accès à la sainte colline. Un chemin en colimaçon, soutenu par une muraille, permettait de monter lentement vers la hauteur. Une grotte-chapelle, aménagée dans le monticule, deviendrait le tombeau du Christ.
Ainsi arrivait-on au faîte de l'éminence. Là s'élevaient les trois croix, parmi les statues de Notre-Dame des Sept Douleurs, de saint Jean et de sainte Madeleine. La croix du milieu, peinte en rouge-sang, était vraiment majestueuse : le Père de Montfort y avait employé le fût d'un châtaignier de Camoël, haut de près de vingt mètres : douze paires de boeufs l'avaient péniblement amené de Camoël à la Madeleine. La croix du bon larron, peinte en vert, celle du mauvais larron, peinte en noir, étaient d'un puissant symbolisme, plus que de bon goût. N'importe, l'effet produit était énorme : cela seul était envisagé. Ajoutons qu'un pesant Rosaire festonnait la plate-forme supérieure : Marie et la croix, c'était le tout de la dévotion de M. Grignion.
Les travaux étaient quasi terminés à la Saint-Jean de 1710 ; l'inauguration du beau calvaire fut fixée au 14 septembre suivant. Ainsi le décida l'apôtre de la croix ; mais l'enfer allait s'y opposer.
« Il faudrait enfermer le Missionnaire ... »
Les gens du duc de Coislin avaient gardé quelque rancoeur contre le missionnaire qui avait effacé, à Campbon, les armoiries de leur maître. Or, ils voyaient M. Grignion faire un autre exploit en s'emparant de la lande de la Madeleine pour y établir son calvaire. Ils y firent objection. Mais le maître avait changé à Pont-Château : Pierre de Cambout était mort en mai 1710 ; son frère Henri évêque de Metz, lui succédait comme propriétaire. Interrogé, l'évêque permit que l'oeuvre fût continuée.
Le sénéchal de Pont-Château, Pierre Guischard de la Chauvelière, alors, porta l'affaire sur le plan national : il envoya un rapport au gouveneur militaire de Bretagne, M. de Châteaurenault : le missionnaire Grignion, disait-il faisait construire une forteresse sur sa terre de la Madeleine les Anglais pourraient s'y retrancher ; les bandits y trouveraient un refuge redoutable.
Or, l'année précédente, les Anglais avaient failli descendre sur les côtes guérandaises : un combat naval avait été livré près de l'île du Met. De son côté l'Intendant de Bretagne, M. Ferrand, avait fort à faire avec les brigands qui attaquaient les convois de blé.
Le maréchal de Châteaurenault fut impressionné ; il fit suivre le rapport jusqu'à la Cour : le ministre M. de Torcy, petit-neveu de Colbert, en prit connaissance. Naturellement le ministre commanda à l'Intendant, M. Ferrand, de faire une enquête. Celui-ci prenait la chose d'assez haut : « Il faudrait enfermer le missionnaire », écrivait-il. Son rapport au ministre ne fit qu'aggraver celui de M. de Châteaurenault. L'évêque de Nantes, interrogé de son côté, confirma les faits ; il avait pourtant vu de ses yeux les travaux au mois de mai.
Alors, le 7 septembre 1710, de Marly, le ministre des Affaires étrangères, M. de Torcy envoya à l'évêque et au gouverneur militaire la réponse royale : « Sa Majesté... a ordonné... que tout ce qui a été fait soit détruit ». Louis XIV, comme bien on pense, s'était laissé circonvenir.
A Saint-Donatien et à Bouguenais
Pendant ces louches tratactions, le Père de Montfort faisait mission à Saint-Donatien de Nantes et à Bouguenais. A Saint-Donatien, il restaurait, entre autres, la vieille chapelle du cimetière ; il y faisait même bénir et placer une cloche dont il fut le parrain le 21 juin 1710. A Bouguenais il clôturait les exercices par le déploiement de quatorze étendards en satin blanc.
La Bénédiction du Calvaire est interdite
Et il se rendit à Pontchâteau pour la bénédiction du Calvaire, fixée au 14 septembre. La veille de ce jour, vers quatre heures du soir, un pli lui fut remis de la part de Mgr Gilles de Beauvau : défense lui était faite de procéder à la bénédiction du Calvaire. L'intrépide missionnaire part aussitôt pour Nantes, à pied. Le matin du 14, il peut voir Monseigneur : celui-ci réitère sa défense, et, par l'intermédiaire de M. Barrin, lui fait connaître les ordres reçus du roi. M. de Montfort ne fut de retour à Pontchâteau que le 15 dans la soirée. Il avait accepté l'humiliation avec la soumission d'un saint, déclarait l'évêque lui-même.
La journée du 14, fête de l'Exaltation de la Sainte-Croix, avait pourtant été splendide au Calvaire : de toutes les paroisses de l'Archidiaconé, et même des diocèses de Vannes et de Rennes, les paysans étaient accourus en foule : la lande avait retenti de chants et de prières, parmi les étendards flottants partout. Mais la bénédiction n'avait pas été faite.
Défense de reparaître à Pontchâteau
Pour se dédommager, Louis-Marie Grignion se rendit à Saint-Molf pour y faire mission : c'est là qu'il reçut de Mgr de Beauvau, ordre de rentrer immédiatement à Nantes, et défense de reparaître à Ponchâteau. Au reçu de ce mot, il pleura.
L'évêque, pourtant, dans l'affaire du Calvaire l'avait timidement défendu : « on pourrait se borner, écrivait-il à la Cour, à combler les fossés, à détruire les souterrains (les grottes). Que du moins on laissât subsister la chapelle de la Madeleine, où des messes devaient être dites et qu'on permit de dresser une croix sur le terrain applani ». Satisfaction lui fut donnée pour la chapelle mais pour tout le reste, l'Intendant, M. Ferrant, maintenait la décision royale ; dans sa correspondance, il ironisait volontiers : « Grignion est un grand fou, écrivait-il le 18 septembre ». « Si on laisse quelques murailles, ajoutait-il le 23, ce sera pour enfermer Grignion ». Et en apprenant les efforts de Mgr de Beauvau, il écrivait, le 27 octobre, à M. Mellier, son subdélégué à Nantes : « Votre prélat était, en vérité, hors de son bon sens ». Et, le 24 février : « Grignion est un extravagant, Monsieur de Nantes l'est plus que Grignion, de ne pas le chasser de son diocèse ».
L'intendant Ferrand était donc très monté contre le Père de Montfort : comme celui-ci avait envoyé à Nantes en septembre, un groupe de ses amis qui essayeraient de montrer qu'une butte artificielle n'est pas une forteresse, que des chapelles souterraines ne sont pas des casemates, Ferrand écrivit avec son sarcasme ordinaire : « J'ai bien perdu de ne pas m'être trouvé à Nantes lorsque la députation de Grignion y est arrivée. J'en aurais bien ri. Pour toute réponse : tout sera abattu ».
Le Calvaire est démoli
L'exécution suivit donc la décision : les mêmes paysans qui avaient dressé le beau calvaire furent requis pour le démolir. C'était vers le 10 ou le 12 octobre : trois jours ils résistèrent en pleurant, agenouillés devant les saintes « images ».
Puis, pour éviter le pire, ils descendirent respectueusement le Christ et les deux larrons, qui furent déposés, avec les autres statues, dans une maison de Pontchâteau. Soigneusement, ils abattirent les trois croix, qu'ils remisèrent précieusement. Et ils firent traîner les travaux de démolition. L'argent vint à manquer. L'entrepreneur, M. d'Esperrose, proposa de remettre la suite à plus tard, ce qui fut accepté en haut lieu. Plus tard on n'y pensa plus, et la « butte » demeura.
Les « figures », trois ans après cette destruction, furent transportées, par le Brivet et la Loire, jusqu'à Nantes, à la Cour Catuit, en Saint-Similien, où le Père de Montfort séjournait de temps à autres. Elles y resteront pendant près de quarante années, jusqu'au jour où le Calvaire de Pontchâteau sera restauré. Entre-temps, les héritiers du Père de Montfort cèderont à la Fabrique de Saint-Similien, en 1716, lors de la mort du saint.
Le Missionnaire se retire à Saint-Similien
Ayant reçu de la part de Mgr de Beauvau l'ordre de rentrer à Nantes, en octobre de l'an 1710, Louis-Marie Grignion se réfugia naturellement chez ses bon amis de Saint-Similien, à la Cour Catuit, parmi les filassiers et les tisserands qui composaient la population de ce quartier réservé jadis aux lépreux.
Il n'y demeura point inactif : toujours suivant son caractère primesautier et son zèle impulsif, il continuait ses exploits : à Saint-Nicolas, il entre dans un bal public le chapelet au bout de son bras levé ; sur la Motte-Saint-Pierre, il se jette entre artisans et soldats qui se battaient, en criant des Ave Maria ; sur les Hauts-Pavés, il renverse les tables de jeux qu'avaient installés les soldats de la garnison.
En février 1711, il fait mieux : une crue formidable avait inondé les bas quartiers de Nantes ; Biesse et Vertais, bloqués, mouraient de faim, M. de Montfort assemble quelques mariniers, s'embarque avec eux et traverse les eaux tumultueuses qui venaient d'emporter les ponts : il réussit à ravitailler la pauvre population des mégisseurs et des tisserands, soeur de celle qu'il côtoyait sur les Hauts6Pavés.
Nantes lui est interdit
Et sur ce, il reçut l'ordre de s'éloigner : Mgr de Beauvau, circonvenu, poussé à bout par l'Intendant de Bretagne, lui interdisait de prêcher, et même de célébrer la messe, dans son diocèse. Il partit, laissant du moins trois Oeuvres de lui dans la ville de Nantes : la Société des Coeurs à Saint-Donatiens, les Amis de la Croix, à Saint-Similien, et l'hospice des Incurables, établi dans la rue des Hauts-Pavés, n° 21 (vers le milieu du XXème siècle) dans la Cour-Catuit.
La Cour Catuit
Qu'était-ce que cette Cour-Catuit ? Une gentilhommière du XVème siècle, où les ducs de Bretagne avaient, jadis, logé leurs veneurs et leurs meutes. Au XXIIIème siècle, elle était devenue un ramassis de petits logements pour les pauvres gens. Une dame Olivier y possédait quelques appartements : or, son fils cadet, Gabriel, devenu prêtre, était le compagnon de M. de Montfort dans ses missions. On devine comment celui-ci s'y introduisit. Il n'y pouvait, naturellement, demeurer inactif : ayant remarqué que Nantes ne possédait aucun asile pour les miséreux atteints de maux inguérissables et couverts de plaies purulentes, il eût tôt fait de les recueillir « chez lui ».
Parmi les personnes qui l'aidèrent dans son oeuvre charitable, se trouva une demoiselle Elisabeth Dauvaise, propriétaire, avec sa soeur Marie, d'une maison de commerce dans la Haute-Grand-Rue et d'une maison de campagne au Vau-Moreau, près de l'église de Saint-Donatien. Cette demoiselle fut la providence de l'hospice des Incurables. Quelques jours avant sa mort, en avril 1716, le Père de Montfort lui enverra deux religieuses de la Sagesse. En attendant, ce sont des dames charitables qui continuent l'oeuvre amorcée par le missionnaire.
Les dernières armées
Celui-ci, pendant son « interdit », revint plusieurs fois à la Cour-Catuit, en 1712, au retour de la mission de l'Ile d'Yeu, en 1713, année où l'administration diocésaine reconnut, dans un certificat, sa piété, sa saine doctrine et son éminente modestie. Pour chacun de ces courts séjours, en effet, le missionnaire avait soin de demander à l'évêque la permission de passer quelques jours à Nantes et celle d'y pouvoir dire la messe ; « si Sa Grandeur me le refuse, écrivait-il le 4 avril 1716, c'est une marque certaine que ce n'est pas la volonté de Dieu que j'aille à Nantes ».
En 1714, il passa de nouveau par la Cour-Catuit, en se rendant à Rennes où se préparait une fondation pour les Soeurs de la Sagesse.. En 1715, il y revint et y passa quinze jours. C'était la dernière fois qu'on l'y voyait. En avril 1716, en effet, il s'apprêtait à y passer de nouveau quinze jours, quand la mort vint le prendre à Saint-Laurent-sur-Sèvre, le 28 avril 1716.
La Maison de la Providence
Le Bienheureux étant mort, toute animosité cessa contre lui. L'hospice des Incurables vit son existence officiellement consacrée dès le 19 juillet 1719 : ce jour-là, en effet, sa modeste chapelle était solennellement bénite par un chanoine de la cathédrale. Salomon Binet de la Blottière, en présence de M. Barrin, vicaire général du nouvel évêque de Nantes, Mgr Louis de la Vergne de Tressan. Le procès-verbal parlait de la « demeure de M. de Montfort », dite « maison de la Providence » ; on y nommait la « société des Incurables » dite « maison de la supérieure », Mlle Elisabeth Dauvaise ; l'abbé Gabriel était là, qui paraît en voir été le premier aumôner. Un médecin signe aussi au procès-verbal : il devait donner ses soins aux Incurables ; en ami, se trouvait présent le supérieur de la maison des Jésuites, et, en qualité de curé, le recteur de Saint-Similien.
L'année suivante, le 20 août, des indulgences étaient accordées par le pape Clément XI au « Monastère des Incurables » dirigé par les « Filles du Calvaire et de la Cité Nantaise ». L'Oeuvre était désormais solide et durable.
L'injure est solennellement réparée
Quant au calvaire de Pontchâteau, il demeure, plus glorieux que jamais. Relevé dès 1747, par les fils spirituels de M. de Montfort, à la suite d'une mission donnée à Pontchâteau, il dressa de nouveau sur la lande ses trois grandes croix. Le 3 juillet, le Gouverneur de Bretagne en personne, Mgr Louis de Bourbon, duc de Penthièvre et amiral de France, en posa solennellement la première pierre. La bénédiction eut lieu en septembre : on réparait l'injure faite en 1710.
Les trois croix, remplacées plusieurs fois, furent maintenues jusqu'à la Révolution. Les statues du Père de Montfort avaient été apportées, sauf le Christ qui se trouvait à Saint-Laurent-sur- Sèvre.
Le souffle de la Révolution
Les révolutionnaires de 1793 renversèrent tout, brûlèrent les statues, incendièrent la chapelle de la Madeleine. En 1803, l'on dressa simplement, sur le tertre, trois modestes croix sans « figures ».
La restauration du Calvaire
Le 1er mars 1818, devenait curé de Pont-Château un enfant de Sainte-Reine. Monsieur l'abbé Gouray. Il entreprit la restauration complète du grand calvaire dès le mois de février 1819 : cette fois, la première pierre fut posée par le sous-préfet de Savenay, et bénite par M. Gouray : huit mille pèlerins assistaient à la fête.
En 1856, trois croix de fonte, sorties des ateliers Voruz de Nantes, remplacèrent les croix de bois ; elles y sont encore, modifiées seulement : les bras de la Madeleine, embrassant le fût de la croix centrale, sont demeurés visibles. En 1873, Mgr Fournier y organisa un immense pèlerinage demeuré célèbre. Nous autres, anciens nous avons connu ce calvaire de 1856, avec son majestueux escalier, avec ses quatorze stations du Chemin de la Croix, entourant dans leurs niches de style classique le pied de la montagne, avec l'énorme Rosaire aux grains blancs festonnant la plate-forme supérieure...
A la fin du XIXème siècle, le fameux Père Barré entreprit une refonte complète du calvaire de Pont-Château. Le chemin de croix s'étirerait du Prétoire romain au Golgotha, puis gravirait la colline devenue une vraie montagne, et en descendrait vers la grotte sépulcrale. Les mystères du Rosaire, au surplus, agrémenteraient la lande stérile... Tout cela, désormais, est chose réalisée, et la statue majestueuse du Bienheureux Montfort, du haut de son moulin décoiffé, règne sur une oeuvre cyclopéenne, qui est la sienne et celle de ses enfants.
M. le chanoine J.-B. Russon
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