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HISTOIRE DE L'ABBAYE DE SAINTE-CROIX A GUINGAMP

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Après la fondation de Notre-Dame de Bégar, Etienne de Penthièvre et Havoïse de Guingamp, sa femme, songèrent à construire, à Guingamp même, un second monastère. On était en 1135. Geffroy, évêque de Tréguier, demanda à Bourg-Moyen, près de Blois, des chanoines réguliers de Saint-Augustin. La petite troupe arriva conduite par Jean de Chatillon, devenu si célèbre sous le nom de saint Jean-de-la-Grille. La nouvelle abbaye s'éleva en l'honneur de la sainte Croix ; Henri, fils d'Etienne, encore tout enfant, porta la première pierre des fondements sur ses épaules.

L'ancienne abbaye de Sainte-Croix de Guingamp (Bretagne).

L'épiscopat réclamait Jean de Chatillon : c'était un des hommes considérables de ce temps-là, par la science et la piété. Il avait brillé à l'Université de Paris, avant d'entrer à l'abbaye de Saint-Victor, et saint Bernard l'honorait de son amitié : l'amitié d'un saint Bernard est à elle seule une consécration.

En l'année 1144, nommé aux deux évêchés de Tréguier et d'Aleth, simultanément vacants, l'abbé de Sainte-Croix opta pour Aleth, et fut sacré à Rome sous le pontificat de Lucius II.

Moyse, ancien chapelain de la comtesse Havoïse, lui succéda dans les fonctions abbatiales. Cependant, Henri, ce pieux enfant que nous avons vu porter sur ses épaules la première pierre du couvent, était devenu un homme. La mort de son père laissait un libre cours à de fougueuses passions. Eperdument amoureux d'une noble jeune fille, il la fit publiquement sa concubine et ne chercha point à voiler ses désordres. Le zèle de Moyse s'en émut : il adressa au prince coupable de solennels et rudes reproches, que celui-ci n'endura point. Fou de colère et de passion, il chassa de Sainte-Croix Moyse et ses religieux, et peupla l'abbaye de filles de joie, auxquelles il donna scandaleusement pour abbesse la favorite elle-même ; puis, pour prêter une espèce d’existence régulière à cet étrange monastère, il le soumit à l'abbaye de Saint-Georges, de Rennes, maison puissante et célèbre qui ne comptait parmi ses religieuses que des princesses et de nobles dames.

L'ancienne abbaye de Sainte-Croix de Guingamp (Bretagne).

Jean de Chatillon était alors à Rome. Il présenta à Eugène III, près duquel l'amitié de saint Bernard lui donnait une haute influence, les plaintes de Moyse et des chanoines expulsés. Le pape remit à l'évêque une lettre sévère à l'adresse de Henri. Jean vint lui-même l'apporter au comte ; et il lui parla si efficacement que Henri, plein de repentir, rappela aussitôt les religieux bannis, et pour rompre tout lien avec sa maîtresse, la maria à l'un de ses barons, prévôt de Tréguier.

En feuilletant ces admirables Preuves de l'Histoire de Bretagne où s'est immortalisée l'érudition bénédictine de D. Morice, vous trouverez plusieurs chartes relatives à l'abbaye de Sainte-Croix. Cet abrégé ne peut que les indiquer.

Henri confirme, dans une de ces chartes, les donations faites à l'abbaye par Etienne et Havoïse, ses père et mère. En 1151, Marguerite, duchesse de Bretagne et comtesse de Richemont, fait don de la moitié des moulins qu'elle a sur le Trieux, près de Rochefort. Conan, époux de Marguerite, ratifie cette donation, qu'approuve et confirme Guillaume, évêque de Tréguier.

L'ancienne abbaye de Sainte-Croix de Guingamp (Bretagne).

En 1190, Jodoin, abbé de Sainte-Croix, obtient du pape Clément III une bulle confirmative de celles déjà obtenues d'Innocent III et d'Alexandre III, par laquelle le Souverain-Pontife sanctionne, de son autorité suprême, tous les privilèges et les possessions du monastère. Cette bulle est très-curieuse à cause des désignations de métairies et de moulins qu'elle contient ; mais les noms ont changé depuis le XIIème siècle, et il est terriblement difficile, pour ne pas dire impossible, de s'y reconnaître. C'est dans cette même bulle qu'il est fait mention des quatre arpents de terre labourables situés entre Guingamp et Sainte-Croix, et donnés par la comtesse Marguerite pour y planter une vigne :

« Quatuor arpennos terre arabilis inter Ecclesiam vestram et Guingampum, quos ad plantandam vineam sepè memorata comitissa ecclesie vestre donavit ».

Cette indication tranche pour nous l'étymologie de Guin-Camp, champ du vin.

Dans le cours du XIIIème siècle, nous trouvons différentes transactions entre l'abbaye de Sainte-Croix et l'abbaye de Beauport, relativement aux dîmes de Pordic et de Plouec [Note : L'abbé de Sainte-Croix était décimateur de la paroisse de Ploumagoar pour les deux tiers, et le prieur de la Trinité pour l'autre tiers. (Ferme de ces dîmes pour l'année 1620, Archives de Kernabat)], et un échange avec Saint-Melaine, de Rennes, par lequel Sainte-Croix cède le prieuré de la Madeleine de Moncontour, pour le prieuré de Notre-Dame de La Roche-Derrien, avec une soulte de cent sous par an, rente assise sur le four de Saint-Sauveur de Guingamp, qui appartenait, comme nous l'avons dit, à Saint-Melaine.

L'ancienne abbaye de Sainte-Croix de Guingamp (Bretagne).

Au XIVème siècle se rattache le souvenir du bienheureux Charles de Blois, qui donna les bois nécessaires à la réparation du monastère.

Pendant les deux ou trois siècles que nous venons de parcourir, un bourg considérable s'était peu à peu groupé autour de notre abbaye : c'est là l'histoire de plusieurs villes fières et riches, qui, elles aussi, eurent pour berceau protecteur quelque couvent aujourd'hui vide et dévasté.

Lors du mémorable siège de Guingamp, en 1489, le vicomte de Rohan vint se poster à Sainte-Croix. Le monastère et le bourg eurent beaucoup à souffrir de cette occupation et furent en partie incendiés.

L'ancienne abbaye de Sainte-Croix de Guingamp (Bretagne).

Les registres de Sainte-Croix ont conservé le souvenir de réjouissances célébrées, le 1er mai 1687, à l'occasion de la convalescence de Louis XIV. Je copie littéralement ce document ; j'aurais peur, en l'abrégeant, de lui faire perdre quelque chose de sa curieuse originalité :

« Le jour de la conjouissance, la messe fut chantée en musique, et au son de dix-huit violons, de la harpe et autres instruments, si bien qu'à vêpres, où assistèrent une infinité de peuple, le pourtrait du Roy était sous un days richement garni, au costé du maistre autel ; le Saint Sacrement étant exposé à l'adoration du peuple. Ensuite du Salut, on alla mettre le feu au buscher qui estait construit sur l'eau d'une manière à courir sur la rivierre, comme il fit jusqu'au moulin des Salles. Les sieurs prieurs, les prédicateurs-missionnaires, le doyen des vénérables chanoines de l'église abbatiale du dict Sainte-Croix, Marescot, Pierre Mahé, Yves Poezevara, 0llivier Mahé et Rolland Collet, chanoines, mirent le feu avec les sieurs seneschal de la juridiction abbatiale, et François Sitôt, capitaine. Le feu estant allumé et courant sur la rivierre, ledit sieur Collet, prêtre, et par continuation, les officiers de la compagnie et milice du bourg, montèrent sur une manière de plateau pour courir la rivierre, suivant le feu au son des instrumens ci-dessus, la mousqueterie faisant continuellement feu. On beut sur la rivierre à la santé du Roy, de toute la maisonnée royale, de Monseigneur de Tréguier, pour lors le Sénéchal de Carcado, nommé par sa Majesté évêque et comte de Tréguier, de l'ancienne et très illustre maison de Carcado de cette province de Bretagne et de Monseigneur l'abbé de Sainte-Croix, Louis du Matz , protonotaire du Saint-Siége apostolique. On fit largesse de pièces de monnoye, et la rivierre du dict Sainte-Croix gardera toujours des dictes pièces, en y ayant jeté. Le vin coula durant tout le jour à la porte du sieur Sitôt, capitaine : le tout aux frais du bourg noble de Sainte-Croix ».

L'ancienne abbaye de Sainte-Croix de Guingamp (Bretagne).

Les abbés commendataires tuèrent Sainte-Croix : ce malheureux et scandaleux fléau a tué bien autres choses ! Le revenu de l'abbaye était de quatre mille livres. Pressurés et saignés à blanc par les bénéficiers, les religieux désertèrent le monastère à je sais quelle époque, très-probablement dans la seconde moitié du XVIIème siècle. Ils furent remplacés par six prêtres séculiers, dont l'un était spécialement chargé des fonctions curiales dans la paroisse de Sainte-Croix, et prenait le titre de vicaire perpétuel et de prieur ; les cinq autres avaient le nom de chapelains. Le premier recevait de l'abbé commendataire trois cents livres par an, et les chapelains chacun deux cent quarante livres.

L'ancienne abbaye de Sainte-Croix de Guingamp (Bretagne).

Vous trouverez, dans D. Morice, le catalogue historique des abbés. Il reste maintenant peu de choses de l'abbaye de Sainte-Croix, et ce qui reste est comparativement bien moderne. La maison date de la fin du XVIème siècle ou du commencement du XVIIème. La chapelle fut rebâtie de 1748 à 1750 ; mais on a conservé dans cette construction quelques parties ogivales, d'un style très-pur. Tout cela s'écroule et ne sera bientôt plus qu'une ruine, une de ces jeunes ruines qui font saigner le cœur [Note : Les seigneurs de Kerarnio, manoir noble, en Ploumagoar, avaient la chapelle du côté de l'Epître en l'église abbatiale de Sainte-Croix. (Aveu de 1743. — Archives de La Rivière)].

 

A la porte d'entrée de la cour, au milieu d'écussons martelés et brisés, vous lirez l'inscription suivante : « Sauvegarde du Roy et de Monsieur l'Abbé, pour le bourg, paroisse et abbaye de Sainte-Croix et ce qui en dépend. Donné à Chantilli le septièsme jour de May, l'an de grâce 1636. Signé Louis, et plus bas, Boutilier et scéllé ».

L'ancienne abbaye de Sainte-Croix de Guingamp (Bretagne).

Le bourg de Sainte-Croix, où vous remarquerez plusieurs maisons du XVIème siècle, était autrefois enrichi par le commerce et la fabrication des toiles et de l'étoffe grossière appelée berlinge. C'est aujour­d'hui le chef-lieu de la misère et de la pauvreté.

L'ancien village de Sainte-Croix de Guingamp (Bretagne).

  

L'ancien village de Sainte-Croix de Guingamp (Bretagne).

  

L'ancien village de Sainte-Croix de Guingamp (Bretagne).

  

L'ancien village de Sainte-Croix de Guingamp (Bretagne).

Comme Sainte-Croix était un nom fort mal sonnant à des oreilles patriotes, la Révolution le remplaça par celui de Quartier Prairial. Le bon sens populaire n'en a pas voulu, tout printannier qu'il fût (S. Ropartz).

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