|
Bienvenue ! |
LES CARMELITES DE GUINGAMP |
Retour page d'accueil Retour " Ville de Guingamp "
Aucune communauté de femmes ne s'établit à Guingamp avant le XVIIème siècle ; mais ce siècle y vit arriver tour-à-tour les Carmélites, les Ursulines, les Augustines-Hospitalières et les Dames du Refuge. Je ne parlerai dans ce chapitre que du premier et du dernier de ces ordres : les Ursulines se rattachent naturellement aux établissements d'instruction, et les Hospitalières aux établissements de charité.
Le souvenir de la bienheureuse Françoise d'Amboise, « fondatrice des Carmélines au pays de Bretaigne, » comme dit Albert-le-Grand, appelait à Guingamp les filles de sainte Thérèse. Le 22 juin 1625, la communauté délibéra ainsi : « Sur la représentation d'une lettre de Mgr. de Vendôme par l'avis le plus commun et la plus saine et maire voix des habitans assemblés, se prêtant au respect et obéissance qu'ils doivent à Monseigneur et se conformant à son intention, a été consenti et accordé l'église et le cimetière de Saint-Yves, avec ses dépendances, aux Religieuses Carmélites pour s'y loger et établir un couvent, sans touttes fois que la communauté demeure obligée de bâtir, ni les nourrir et entretenir, ni leur faire avoir plus grand logement ; et sera néanmoins supplié Sa Grandeur que l'on y puisse faire les processions et recueillir les aumônes, pour l'entretien de la grande église, à la manière accoutumée ».
Par un traité de 1647, les Carmélites reçurent du gouverneur de Notre-Dame l'autorisation de percevoir toutes les aumônes faites à leur chapelle, parce qu'elles s'obligèrent à payer à la caisse de Notre-Dame une somme fixe de 320 livres.
En 1690, la ville entreprit de mettre à la charge des pauvres religieuses l'entretien du pavé de la rue qui longeait leurs murs. Celles-ci se prévalurent des immunités à elles accordées par Louis XIII et par Louis XIV ; et comme la ville tenait ferme, et avait obtenu une sentence qui les condamnait, elles firent intervenir une voix puissante à plus d'un titre et qui ne parla pas en vain. Les registres municipaux nous ont heureusement conservé la lettre touchante de la duchesse de La Vallière ; l'humilité de la Carmélite a certainement, en cette occasion, plus de grandeur réelle et d'autorité que n'en aurait pu avoir, quelques années auparavant, la toute-puissance de la maîtresse du roi.
« Ce 20 octobre (1695.) Jésus, Maria. Je crois, Monsieur, que la charité nous oblige de vous dire que, si vous ne voulez à ma prière faire annuller la sentence que vous avez fait donner contre nos Soeurs les Carmélites, et remettre touttes choses comme elles étoient de tout tems, nous suplierons Madame la princesse de Conty de se servir de son authorité. J'espère que demandant une justice, vous la ferez promptement. J'ose croire aussy qu'à nôtre considération, vous agirez de manière que nos chères Soeurs n'auront jamais lieu d'apréhender rien sur cela où elles avoient été toujours en repos. Je prie mon Seigneur qu'il vous donne sa sainte grâce, et nous sommes avec affection, Monsieur, vôtre très-humble servante. Soeur Louise de la Miséricorde, Religieuse Carmélite indigne ».
La Révolution chassa les Carmélites de leur pieux asile, et en fit une maison de détention. C'est là que vinrent s'entasser une foule de prêtres fidèles ; c'est là qu'ils subirent toutes les privations, toutes les tortures, jusqu'à la faim même. A Montbareil, de pauvres religieuses, mêlées à des dames nobles, aussi innocentes qu'elles, subissaient les mêmes traitements. Et pourtant, pendant ces sombres jours, les administrateurs du district de Guingamp ne se montrèrent jamais atroces : pas une goutte de sang ne fut versée par eux, quand ailleurs on en répandait des flots ; mais c'était une suite de cette centralisation fatale qui mettait et peut mettre encore la France tout entière à la merci d'une bande de sacripants. Si Guingamp eut à la fois deux cents détenus, c'est qu'on les envoyait d'ailleurs ; si ces détenus eurent à souffrir la faim c'est que, grâce aux assignats et aux réquisitions, la ville n'avait pas de pain pour elle-même.
Quelques-uns des prisonniers des Carmélites furent heureusement oubliés dans leur cachot ; d'autres en sortirent pour aller au martyre. « En conséquence de la résolution prise par l'administration départementale des Côtes-du-Nord, écrit le vénérable historien de la Persécution en Bretagne, deux commissaires se présentèrent, le 5 mars 1794, dans la prison des Carmélites de Guingamp, et firent connaître les noms de vingt-six détenus qui devaient être conduits, de brigade en brigade, jusqu'au port de Rochefort, et là embarqués pour la Guyane. Le 16 mars était le jour fixé pour le départ. Ce jour arrivé, les prêtres condamnés à la déportation et ceux qui restaient se firent les adieux les plus touchants : ils s'animaient mutuellement à la patience par des motifs de foi qui les consolaient dans leur affliction. — Enfin, il fallut partir, et une troupe nombreuse de gendarmes, au milieu desquels ces prêtres marchaient, par un temps très-mauvais, les conduisit à Saint-Brieuc ».
Je voudrais pouvoir m'arrêter, avec l'abbé Tresvaux, à chaque étape de cet itinéraire, douloureux et ignominieux comme celui du Golgotha. Le meilleur enseignement que l'on puisse donner aux hommes du temps présent, c'est la simple histoire de ces bourreaux-rhéteurs qui, de leur doigt sanglant, griffonnaient sur les murailles : liberté, égalité, fraternité, et ne pratiquèrent que le despotisme, la spoliation et le meurtre. Plus cette histoire est naïvement contée et plus elle vous fige le sang au coeur.
Mais ce n'est point dans une chronique de Guingamp qu'il faut réveiller de pareils souvenirs : il nous est permis de répéter avec orgueil que pas une goutte de sang ne fut versée chez nous pendant la Terreur, si l'on en excepte deux chouans, faits prisonniers je ne sais où, et condamnés par un tribunal militaire, étranger au pays, qui furent fusillés au pied du Château.
Après la Révolution, les bâtiments des Carmélites servirent de maison d'arrêt jusqu'à la construction de la prison cellulaire actuelle. A cette époque, la ville acheta du département, pour les revendre, l'emplacement et les matériaux des Carmélites ; on comptait sur d'énormes bénéfices : ce fut une désastreuse spéculation, qui se traduisit, en définitive, par une perte de vingt-cinq mille francs. (S. Ropartz).
© Copyright - Tous droits réservés.