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LA COMMUNAUTÉ NOTRE-DAME-DE-CHARITÉ DE GUINGAMP. |
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CHAPITRE I.
Fondation et construction du Monastère. — Supériorité de la Mère Marie de la Trinité Heurtaut. — Mort de la Sœur Marie des Séraphins Moisat.
Dans le récit de la fondation d'Hennebont, nous avons vu comment la Mère Marie de la Trinité préparait en même temps celle du monastère de Guingamp, quatrième de l'Ordre. Mme des Arcis fit part à sa belle-mère, Mme de Kervégan, des merveilleux desseins que Dieu avait sur elle. Aussi pieuse que généreuse, Mme de Kervégan résolut immédiatement d'y employer toute son activité et promit quatre mille livres pour la nouvelle fondation. Le mariage récent de sa fille avec M. de Lasse, conseiller au parlement de Bretagne, semblait cependant devoir absorber ses ressources, mais le jeune magistrat excitait lui-même sa belle-mère à l'accomplissement de cette bonne œuvre.
Mme de Brie, fondatrice d'Hennebont, donna aussi une rente de 15 livres et 86 boisseaux de seigle pour le futur monastère, comme nous l'avons déjà raconté.
Ces signes certains de la volonté divine engagèrent Mme des Arcis à commencer les démarches nécessaires pour obtenir les autorisations indispensables de la ville et de l'Évêque diocésain. Elle fit pour cette fin plusieurs voyages à Guingamp. Ses relations de famille lui facilitèrent beaucoup ces négociations. La ville donna son consentement le 26 août 1676, Mgr Balthazar Granger, évêque et comte de Tréguier, signa les lettres d'Institution le 28 septembre de la même année.
Avant même l'obtention de ces permissions, M. et Mme de Lasse cherchèrent eux-mêmes un emplacement convenable pour le futur monastère. D'insurmontables obstacles s'étant opposés à l'acquisition de l'emplacement où furent plus tard établies les dames hospitalières, ils durent porter leur choix sur de vieilles maisons du faubourg de Mont-Bareil. C'était le lieu choisi de Dieu, celui dont la Mère Marie de la Trinité avait fait la description exacte à Mme des Arcis.
Il ne fut pas facile d'amener les différents propriétaires à vendre des maisons où ils avaient toujours vécu. Une bonne vieille demoiselle, dont la maison et le petit jardin étaient au centre du terrain nécessaire, refusait toute proposition, se contentant de dire : « C'est ici que je suis née, je veux y mourir ». Mme des Arcis, désespérant de vaincre son obstination, résolut de s'adresser par de ferventes prières à la sainte Vierge. La Mère Heurtaut, informée de ces difficultés, lui écrivit d'attendre à négocier avec cette demoiselle au lendemain de l'Assomption, l'assurant qu'elle serait alors plus traitable. En effet, dès que Mme des Arcis l'aborda ce jour-là, elle la trouva complètement changée, et si disposée à vendre, que, sur sa demande, le contrat fut passé le jour même.
Dans ce terrain se trouvait une petite statue de la Vierge à laquelle les habitants avaient donné le nom de Notre-Dame-du-Refuge. Depuis cinquante ans, quand ils sortaient de leurs maisons, ils avaient la naïve et touchante dévotion d'en suspendre les clefs au cou de la statue, en disant : « Notre-Dame-du-Refuge, gardez notre maison des voleurs et de tout accident ». Leur confiance ne fut jamais trompée. Aussi la bonne vieille demoiselle tenait beaucoup à cette petite image. Mme des Arcis, à laquelle le nom de la statue paraissait providentiel, désirait encore plus la conserver dans le nouveau couvent. A force de présents et de prières, elle finit par l'obtenir. Plus tard, nous verrons cette statue devenir l'instrument de plusieurs faveurs divines.
L'achat monta à la somme de 5,100 fr. que paya Mme de Kervégan. Le plus difficile était d'approprier ces masures aux usages claustraux. Pour commencer, on se servit d'abord de la maison où se trouvait la petite statue de Notre-Dame-du-Refuge. Sa longueur était de 8m 60 et sa largeur de 5m 35. Le rez-de-chaussée devint la chapelle ; le premier étage servit à la fois de réfectoire, de cuisine, de salle de communauté, et le grenier fut changé en dortoir. Le toit en était si bas qu'il fut difficile d'y placer les lits, et qu'il était impossible d'y marcher sans le toucher. La couverture était de genêts. Le reste des bâtiments était si misérable qu'il ne put même servir pour loger des Pénitentes. C'était donc un monastère avec toute la pauvreté de Bethléem, et même quelque chose de plus, car l'Évangile ne nous dit pas que la Sainte Famille eut des dettes, et Mont-Bareil en avait même avant l'arrivée des Sœurs.
Les choses étaient en cet état, lorsqu'un jour la Mère Marie de la Trinité dit, à Rennes, à Mme des Arcis : « Il nous faut préparer une chambre à notre bonne fondatrice de Guingamp ; je lui ai vu sur les épaules une croix si pesante que j'en ai moi-même frémi. ». Peu après arriva la mort de Mme de Lasse qui fit connaître ce que signifiait cette terrible vision. Mme de Kervégan vint se consoler de cette douloureuse perte près de la Mère Marie de la Trinité. Ne pouvant plus espérer d'héritiers, cette généreuse dame ne pensa plus désormais qu'à s'assurer des enfants spirituels. Elle regardait comme tels toutes les âmes qui devaient se consacrer à Dieu dans le nouveau monastère Et tripla le prix de la fondation.
Les Religieuses désignées pour cette nouvelle maison furent la Mère Marie de la Trinité Heurtaut, supérieure, la Sr Marie du Saint-Esprit de Porçon, assistante, et la Sr Ménard, toujours en habits séculiers pour remplir plus librement ses fonctions d'économe. Les Annales disent que ce petit nombre de Religieuses fut cause, dans la suite, des quelques désagréments qui arrivèrent. Il est certainement plus sage de s'en tenir pour les fondations au nombre de six ou sept sœurs indiqué par le Coutumier. Toutes les observances sont ainsi possibles dès le premier jour. Dans le cas présent, les difficultés sont surtout imputables au départ de la Mère Heurtaut et à la mort de la Mère de Porçon. Le monastère de Guingamp n'eut point, comme celui de Rennes, la bonne fortune de voir ses deux fondatrices rester plus de trente ans à sa tête. S'il en eût été ainsi, les peines de sa formation eussent été évitées.
Les Sœurs reçurent de Mgr de Tréguier une lettre fort aimable où il les priait de hâter leur départ et les assurait de sa bienveillance et de sa protection. Elle est du 3 octobre et le départ eut lieu le 25, en compagnie des Sœurs envoyées de Caen pour la fondation d'Hennebont. Au passage d'une rivière qui était débordée, leur vie fut dans un sérieux danger. La Sr Marie du Saint-Esprit fit vœu à Sainte Anne de visiter son sanctuaire. Sa foi fut immédiatement récompensée et la rivière franchie sans accident. Aussi, toutes ensemble, elles accomplirent la promesse de la Sr de Porçon. Après avoir vu les heureux commencements d'Hennebont, la Mère Marie de la Trinité et ses compagnes arrivèrent à leur destination le 20 novembre 1676.
La fervente Supérieure passa une partie de la première nuit en prières pour demander à Dieu de bénir ses travaux. Dans d'ineffables communications, Dieu lui fit connaître les principales familles appelées à donner des novices à la nouvelle fondation. La connaissance qu'en reçut la Mère Heurtaut fut si claire, que le lendemain elle les désigna à Mme des Arcis en lui annonçant en même temps qu'elle même serait leur compagne de noviciat. M. des Arcis vivait toujours et ne paraissait pas devoir rendre possible cette étonnante prophétie. Sa mort permit cependant peu après à son épouse de la réaliser.
Le lendemain de l'arrivée, fête de la Présentation de la Sainte Vierge, eut lieu la bénédiction de la chapelle et du monastère. La messe fut chantée et les Sœurs renouvelèrent leurs vœux en présence des principaux membres du clergé, qui regardaient cette œuvre si utile comme un grand bienfait pour la ville. Les Carmélites confirmèrent ces espérances en faisant connaître que plusieurs fois elles avaient vu des globes de feu tomber sur l'emplacement du nouveau couvent.
Malgré les grandes incommodités de leur installation, les Sœurs, au lieu de s'occuper d'améliorer leur habitation, commencèrent par construire un grand bâtiment à quatre étages destiné aux Pénitentes. Le salut des âmes était leur but, il fallait y travailler avant tout. Quatorze mois après, cette maison était terminée, grâce aux générosités de la fondatrice.
Les bénédictions spirituelles étaient encore plus abondantes. En moins de deux ans, dix-sept novices reçurent le voile. Les plus honorables familles de Guingamp les fournirent, et toutes ces jeunes personnes, élevées dans l'aisance, se mirent avec une sainte émulation à la pratique des vertus religieuses sous la direction de l'habile Supérieure. Sa vision de la première nuit se réalisait ainsi.
Mais la petite maison et en particulier le dortoir au toit de genêts devenaient tout à fait insuffisants pour cette communauté déjà nombreuse ; du reste, cette masure menaçait ruine. En faisant des réparations urgentes, les ouvriers trouvèrent une poutre, sur laquelle les Sœurs passaient continuellement, qui ne portait plus sur le mur. Dans l'étonnement que leur causa cette découverte, ces hommes ne pouvaient comprendre que les plus graves accidents ne fussent pas arrivés et criaient au miracle. La communauté partagea leur admiration, remercia Dieu de l'avoir préservée de tout accident, et vit dans cette préservation la récompense de ses sacrifices et de sa ferveur.
La nécessité de bâtir devenait donc évidente. Le 3 décembre 1677, la première pierre de l'église fut posée au nom de Mgr Granger, par M. Poins, un des recteurs de la ville. Des cœurs et des croix avaient été gravés sur cette pierre. La première pierre des bâtiments destinés à la Communauté fut posée par la fondatrice, par Mme des Arcis et le confesseur des Sœurs.
Quatorze mois après, toutes ces constructions pouvaient être utilisées. Le monastère commença alors toutes les œuvres qui s'exerçaient à Caen et à Rennes. Les Pénitentes furent l'objet de la plus grande sollicitude. Elles exercèrent souvent le zèle et la patience des Sœurs. A côté d'elles vinrent bientôt les grandes Pensionnaires, ou dames en chambre, et les petites Pensionnaires, ou enfants appartenant à de très bonnes familles, qui les confiaient au couvent pour y faire leur éducation. Pendant ces travaux, les ouvriers éprouvèrent souvent les effets de la protection divine. Plusieurs eurent de terribles accidents et aucun n'en reçut de blessure grave.
C'était le résultat des prières des religieuses et en particulier de la pieuse Supérieure, dont la vie fut dans ce temps, plus encore que dans le passé, pleine de prodiges. Les murs de clôture n'étaient pas faits, les voisins volaient les fruits. Mme des Arcis voulut faire cueillir des cerises avant leur maturité, pour les soustraire à la rapine. La Mère Marie de la Trinité fit observer que c'était les perdre et ajouta : « Vous allez faire monter le domestique dans cet arbre, il peut en tomber et se rompre le cou ». Mme des Arcis ne tint aucun compte de ces observations. Mais à peine le pauvre garçon était-il dans le cerisier qu'une grosse branche se rompit sous ses pieds, et sa chûte fut si malheureuse qu'on jugea son état assez grave pour lui donner immédiatement les derniers Sacrements. Mme des Arcis reconnut alors sa faute, alla se jeter aux pieds de la statue de Notre-Dame-du-Refuge et fit vœu, si ce domestique échappait à la mort, d'élever sur le lieu de l'accident une chapelle en son honneur. La guérison fut presque immédiate ; trois jours après, le jeune homme reprit ses travaux au jardin.
La chapelle fut aussitôt commencée, et bientôt après on y porta processionnellement la petite statue. La Mère Heurtaut demanda avec instance à Marie d'écouter les demandes qui lui seraient adressées en ce modeste sanctuaire. Cette prière fut exaucée, car c'est là que la Communauté trouva toujours protection dans ses plus pressantes nécessités ; plusieurs novices surtout, tentées contre leur vocation, y ont obtenu la grâce de la persévérance.
Une nuit, la Mère Marie de la Trinité fut avertie surnaturellement que le démon poussait violemment une pénitente à s'échapper. Prenant avec elle une Sœur converse, elle voulut aller trouver cette pauvre âme tourmentée. Il était nécessaire de traverser le jardin et de passer sur un puits commencé, qui n'était recouvert d'aucune planche. Pleine de confiance en Dieu et munie du signe de la Croix, la Mère marcha sans hésiter sur ce vide comme sur la terre ferme, et la Sœur qui l'accompagnait eut assez de foi pour le faire après elle. Le démon se montra alors sous une forme sensible sur le toit de la maison. Vaincu par les prières de la Supérieure, il fut obligé d'abandonner sa proie et de laisser en paix la pauvre pénitente.
Les états extraordinaires dans lesquels cette Mère s'était déjà trouvée pendant son noviciat à Caen, se manifestèrent avec plus de fréquence. Souvent, après la communion, son visage paraissait tout enflammé, et elle restait plusieurs heures privée de tout sentiment. Les Sœurs la portaient alors hors du chœur dans quelque endroit écarté, et là elle restait dans une espèce de sommeil extatique, jetant de temps en temps quelques plaintes, preuves certaines de la violence que le divin Amour lui faisait subir. Dans ces circonstances, les médecins furent souvent appelés, mais toujours leur science fut impuissante. Il en fut du reste de même dans toutes ses maladies. Elle n'en guérissait ordinairement que par miracle.
Ces faits merveilleux et la rapidité des constructions produisirent dans le peuple, toujours crédule, un effet tout contraire à celui qui devait naturellement arriver. Au lieu de les attribuer à la sainteté de cette grande religieuse, il voulut y voir un produit de la sorcellerie, et il en accusa hautement la Mère Marie de la Trinité.
Vers cette époque, un projet de fondation à Paris et plusieurs autres affaires l'obligèrent à aller à Caen. Le bruit se répandit aussitôt que le Roi l'avait fait enlever et mener à Paris. Son retour ne fit point cesser cette rumeur ; aux personnes qui assuraient l'avoir vue au monastère et lui avoir parlé, on répondait hardiment que, pour cacher leur confusion, les Sœurs avaient fait venir une religieuse qui lui ressemblait.
Les calomnies allèrent si loin que, pour les faire cesser, Mgr de Tréguier ordonna à la Mère de la Trinité de sortir et de paraître dans les rues le voile levé. Elle le fit pendant un mois sans le moindre succès. Ces peines la laissaient, du reste, parfaitement tranquille. Pour acquérir plus de ressemblance avec son divin Maître, elle eût été trop heureuse de mourir sur un échafaud. Ces bruits étranges ne cessèrent qu'après le vœu fait par la communauté de recevoir gratuitement une Religieuse de chœur et une Pénitente. Ils avaient duré plus d'un an.
De nos jours, les calomnies répandues contre les communautés religieuses par une presse faisant publiquement profession d'impiété et de mensonge, calomnies crues comme parole d'évangile par des milliers de lecteurs, sont encore plus grossières et plus invraisemblables que celles dont la communauté de Guingamp eut alors à souffrir. L'instruction, dont notre siècle est si fier, n'a point fait disparaître cette sotte crédulité. Aujourd'hui plus que jamais, elle est en progrès. Ne méprisons donc point nos ancêtres et ne raillons point leur simplicité, nous n'en avons pas le droit.
Avant de faire ce voyage de Caen, la Mère de la Trinité avait envoyé l'adhésion de son monastère aux travaux que les premières Mères faisaient avec le Vénérable Fondateur sur les Constitutions et le Coutumier. Elle put y prendre part elle-même lorsque les projets de Mme d'Argouge la conduisirent au premier monastère. La fondation de Paris ne se fit pas alors ; la Mère Marie de la Trinité retourna à Guingamp, laissant à Caen la Sr Marie de l'Enfant-Jésus Féger ; cette Sœur devait y terminer son noviciat et prendre ainsi, à la source même, l'esprit de l'Institut. Sa profession eut lieu le 30 janvier 1679, sous l'autorité de l'Evêque de Tréguier, qui, six semaines après, lui envoya son obédience pour retourner à Guingamp.
En 1680, le monastère de Guingamp se vit exposé à perdre sa généreuse Fondatrice. Atteinte d'une maladie de poitrine, les médecins l'avaient abandonnée, quand elle fut inspirée de faire vœu de clôture dans le couvent, si la santé lui était rendue. Elle fut bientôt après en état d'accomplir son engagement et de recevoir l'habit religieux de la main de la Supérieure, sous le nom de Marie de la Passion. A partir de ce moment, ses libéralités se multiplièrent de plus en plus. Elle ne s'était en effet réservé la liberté de disposer de ses biens que pour être plus utile à sa chère maison.
Dieu cependant s'était choisi une victime ; il demanda au monastère le sacrifice de la Sr Marie des Séraphins Moisan, nièce de la Fondatrice. La pieuse mère de cette Sœur avait l'habitude d'offrir tous les jours ses enfants au Seigneur ; aussi la vertu leur fut comme naturelle. Celle qui nous occupe, après la mort de sa mère, fut élevée par son oncle, M. de Keruastoüé, jusqu'à l'âge de dix-sept ans. Sa vertu fut sans tache, mais elle semblait avoir oublié tous ses projets de vie religieuse, lorsque Mme des Arcis, sa tante, vint visiter son frère et engagea sa nièce à venir au moins quelque temps à Notre-Dame-de-Charité, avant de prendre un parti définitif, étudier ce que Dieu demandait d'elle. Cette conduite prudente était rare alors comme aujourd'hui. Mme Moisan, guidée par un sentiment vraiment chrétien, en comprit toute la sagesse. Malgré son attachement pour ceux qui lui avaient tenu lieu de parents, elle suivit Mme des Arcis au monastère, où elle entra comme pensionnaire. Les avantages de la vie religieuse ne lui apparurent pas d'abord ; mais ayant pesé les obligations du christianisme et reconnu la difficulté de les accomplir dans le monde, elle s'y sentit peu à peu inclinée, plus par raison que par attrait. Le jour de la fête de St Jean Baptiste, pendant la prise d'habit d'une de ses Sœurs, qui n'eut pas comme elle la grâce de persévérer, Dieu toucha si profondément et si vivement son cœur qu'il lui fut impossible de faire connaître ce qui s'était passé en elle : « Ma Mère, disait-elle à la Supérieure, j'ai vu le paradis et l'enfer, et les jugements de Dieu. Voudra-t-il bien me pardonner mes péchés ? Si je demandais à être religieuse, voudrait-on bien me recevoir ? ». La Mère Marie de la Trinité lui ayant répondu affirmativement, à condition qu'elle fût bien résolue à se donner à Dieu sans réserve, elle commença son postulat, dans le dessein de faire la volonté divine et de sauver son âme. Les douceurs de la piété n'avaient aucune part à sa résolution ; aussi toutes les peines et les difficultés du début ne purent ralentir sa ferveur.
Et le jour de St Pierre-aux-Liens, elle reçut le saint habit.
La vie de la Sr Marie des Séraphins parut alors pleine de candeur. Uniquement occupée de Jésus et de Jésus crucifié, elle se montra d'une exactitude parfaite à tous les exercices ; les moindres manquements lui causaient une peine extrême. Mais ils étaient si rares que le confesseur trouvait très difficilement dans ses aveux matière à absolution, il la renvoyait donc souvent sans l'absoudre en lui ordonnant de continuer ses communions. La naïve novice faisait alors part de son embarras à sa maîtresse ; la Mère Marie de la Trinité se crut obligée de demander au confesseur de ne pas l'avertir, lorsqu'il ne jugerait pas à propos de lui donner l'absolution.
La Sr Marie des Séraphins était dans la seconde année de son noviciat, et à la grande satisfaction de la Communauté elle avait exercé les charges de dépensière et de seconde portière, lorsqu'un squirre très sensible vint l'avertir que sa course ne serait pas longue. La modestie lui fit cacher son mal pendant plus de deux mois ; lorsqu'elle le montra au chirurgien, il n'y vit plus de remèdes. Contre les prévisions de la science, les progrès de cette tumeur furent si rapides, que bientôt la malade fut à l'extrémité. La grâce de la profession religieuse lui fut alors accordée, et elle reçut les derniers sacrements avec une foi et une ferveur qui firent l'édification des Sœurs. La Sainte Vierge voulut sans doute l'offrir elle-même à Dieu, et l'unir à sa propre offrande, car elle quitta cette vallée de larmes la veille même de la fête de la Présentation de cette bonne Mère. C'est la première fleur envoyée au paradis par le monastère de Guingamp. Son doux et suave parfum dut être agréable au Père Eternel.
CHAPITRE II.
Départ de la Mère Marie de la Trinité. — Mort de la Sœur Marie du Saint-Esprit de Porçon. — Supériorités des Mères Marie de Jésus le Mérer, Marie de Saint-Paul Poutrel, de Sainte-Cécile Néel. — Morts nombreuses.
Dieu demanda bientôt un plus cruel sacrifice à cette maison naissante. Dans l'histoire du monastère de Paris nous raconterons comment la Mère Marie de la Trinité fut envoyée, de Guingamp, gouverner avec quelques Sœurs de Caen, la maison de Sainte-Pélagie à Paris. Ce fut une grande perte pour cette fondation mal affermie. L'épreuve devint encore plus pesante par la mort de la Sr Marie du Saint-Esprit de Porçon qui arriva peu après, le 24 mai 1683.
La vocation de cette Sœur mérite d'être racontée. Par sa naissance, elle appartenait à la maison de Bretagne d'où descendaient les Lampastre, ses parents. Ceux-ci avaient conservé toute la foi de leurs ancêtres, et cherchèrent à transmettre à leurs enfants ce précieux héritage. Mlle de Porçon fut élevée chez les Ursulines avec le plus grand soin. A vingt-et-un ans, elle déclara son intention d'embrasser la vie religieuse, sans faire connaître l'institut où elle voulait entrer. Son choix, du reste, n'était pas encore fait, lorsqu'elle fut amenée par sa tante, Mme de la Haye du Loup, au monastère de Rennes pour visiter la Mère Marie de la Trinité. Dès cette première visite, sa résolution de se faire religieuse de Notre-Dame-de-Charité fut prise et devint irrévocable.
Ses parents lui firent une longue et bien raisonnable opposition. L'Institut était naissant, la maison de Rennes n'avait même pas encore de religieuses professes, sa pauvreté était très grande, les œuvres auxquelles on s'y livrait étaient très pénibles et même rebutantes. Ils lui proposèrent donc d'entrer à l'abbaye de Saint-Sulpice, dont sa tante, Madame de Huillière, était bienfaitrice. Mme de Porçon répondit : « J'aime mieux être tourière à Notre-Dame-de-Charité, qu'abbesse ailleurs ». Et sûre d'être reçue sans dot, elle résolut d'y entrer secrètement. Sa mère alla alors porter ses plaintes à Mgr de la Vieuville, évêque de Rennes. Ce prélat la rassura pleinement, et cette dame laissa toute liberté à sa fille.
Celle-ci commença donc son noviciat. Il fut visible qu'elle avait reçu comme par intuition l'esprit de l'Ordre. Elle s'appliqua surtout à se détacher du monde et à s'en faire entièrement oublier. Nommée portière, pour n'être pas reconnue de sa mère et de ses autres parents, elle allait jusqu'à changer sa voix. Lorsque le pieux Instituteur vint donner sa longue mission à Rennes en 1670, il la trouva dans ces saintes dispositions. Ce fut un bonheur pour lui de l'entretenir et de la confesser plusieurs fois. Il la consola dans ses peines intérieures et ne craignit pas de dire à la Mère Marie de la Trinité : « Je n'ai jamais trouvé tant de courage et de générosité au milieu de tant de tentations et de peines. Cette novice est vraiment la fille de mon cœur ; c'est Dieu qui l'a choisie et elle sera aussi fidèle en sa vocation et au service des âmes qui lui seront confiées, que si elle était tous les jours dans les plus grandes consolations et lumières intérieures ». La vie tout entière de la Sr Marie du Saint-Esprit prouve la vérité de ce jugement ou de cette prophétie.
Ces qualités se sont surtout fait remarquer dans la charge de directrice du noviciat qu'elle exerça jusqu'à sa mort à Guingamp. A Rennes, il se présenta plusieurs postulantes qui passaient dans le monde pour de très grandes saintes ; la Sr Marie du Saint-Esprit les jugea mieux et ne put s'empêcher de dire à la Mère Supérieure, avec humilité et respect : « Ma Mère, je ne crois pas que ces personnes soient propres à notre Institut ; il y a dans leur conduite quelque chose qui me choque ; je ne puis penser qu'elles persévèrent ; c'est peut-être mon manque de jugement et de capacité qui fait que je ne puis comprendre la conduite de ces âmes, mais la suite fera connaître si je me trompe ». L'inconstance de ces postulantes, et même plus tard les scandales de l'une d'elles, ne prouvèrent que trop combien elle avait raison. A Guingamp surtout, elle donna pour trois ou quatre novices des preuves de cette perspicacité plus qu'ordinaire. Quant à celles qu'elle jugeait propres à la Religion, elle savait les faire marcher dans les voies les plus ardues de la perfection et les exerçait surtout à la pratique de l'humilité, qui en est la base solide.
Elle-même donna la preuve de ses progrès dans cette vertu, lorsque, au départ de la Mére Marie de la Trinité pour Paris, il fut évident que le fardeau de la supériorité lui serait imposé. Peut-être même ses répugnances furent-elles excessives, car elles contribuèrent à altérer sa santé. Peu de temps avant l'élection, elle écrivit à Mgr de Saillant qui, depuis 1679, avait succédé à Mgr Granger sur le siège de Tréguier, pour arrêter avec lui le catalogue des Sœurs éligibles et le supplier que son nom n'y fût point mis. Juste appréciateur des mérites de cette Sœur, le Prélat lui répondit qu'il s'inquiétait peu des noms qu'on pouvait y mettre, pourvu qu'en tête il vît celui de sa chère fille, Marie du Saint-Esprit. La douleur de l'humble Sœur fut si vive, qu'à partir de ce jour on la trouvait à toute heure baignée de larmes. Ses prières à Dieu pour échapper à cette responsabilité furent d'autant plus ardentes, qu'il lui restait moins d'espoir du côté des créatures. Le Seigneur semble avoir voulu lui épargner les peines qu'elle craignait, car, après cinq jours de maladie, elle mourut saintement, le lundi 24 mai 1683. Les ardentes prières, les processions, les sacrifices des Sœurs ne purent obtenir la prolongation d'une vie si précieuse. Les petites Pensionnaires de trois ans s'étaient elles-mêmes imposé des mortifications pour faire violence au ciel. Après sa mort son visage devint si beau qu'il faisait l'admiration de tous ceux qui le voyaient, et les personnes du dehors défoncèrent la grille du chœur pendant la nuit pour pouvoir le contempler plus facilement. Plusieurs mois après son enterrement, il sortait encore de sa tombe une odeur très douce et très suave.
Cette mort laissait le monastère comme un vaisseau sans pilote. Mme des Arcis, devenue veuve, avait pris l'habit quelques semaines auparavant, sous le nom de Marie de l'Annonciation Moisan. Habituée, comme bienfaitrice, à traiter toutes les questions qui regardaient le gouvernement de la communauté, elle ne crut pas, bien que simple novice, devoir se désintéresser de l'élection de la nouvelle Supérieure, et fit prévaloir l'opinion qu'il fallait élire une sœur du couvent. Mgr de Tréguier ayant écarté la Sr Marie de l'Enfant-Jésus Féger qui n'avait que vingt-cinq ans, le choix des Sœurs se porta sur la Sr Marie de Jésus le Mérer, qui, elle-même, n'avait pas trente ans, comme on le pensait alors. Un monastère de fondation aussi récente, qui n'avait que des religieuses à peine sorties du noviciat, eut peut-être mieux fait de porter ses voix sur une religieuse d'une autre maison.
La nouvelle Supérieure était alors à Paris, avec la Mère de la Trinité. Elle ne put arriver à Guingamp que le 6 août 1683. Les Sœurs la reçurent avec beaucoup d'égards, mais des difficultés ne tardèrent pas à naître entre elle et les fondatrices. Les intentions étaient pures, mais les vues entièrement différentes. Mme des Arcis, devenue Marie de l'Annonciation, avait à cœur les intérêts temporels du monastère, dont elle s'était occupée avec tant de zèle depuis le commencement. La Mère Supérieure plaçait à bon droit en première ligne l'avancement spirituel de ses religieuses, et en particulier de la Sr Marie de l'Annonciation elle-même. Son désir eut été de la voir entrer plus dans l'esprit d'obéissance et d'humilité, et pour cela elle crut devoir lui supprimer quelques petites distinctions qu'on avait jugé à propos de lui laisser jusque-là. Peut-être eut-il été plus prudent d'attendre que les progrès dans la vertu amenassent la novice à y renoncer d'elle-même.
Au commencement de 1684, la Mère Marie de la Trinité, passant par Guingamp pour se rendre à Vannes, après son départ de Sainte-Pélagie, comprit tous les ennuis de ces tiraillements, et engagea la Mère Marie de Jésus à la rejoindre après sa déposition. Cette proposition fit beaucoup de plaisir à cette âme profondément humble. Lorsque son triennat fut fini, elle demanda à Mgr de Tréguier la faveur de ne pas figurer sur le catalogue pour une seconde érection. Sous la direction de la Mère de la Trinité, elle s'exerça si bien à la pratique des solides vertus que les Sœurs de Vannes l'appelaient Marie de l'humble Jésus.
La Mère de la Trinité usa aussi de son influence sur les Sœurs pour faire admettre Mme des Arcis à la profession. Dans cette circonstance, comme dans quelques autres, montra-t-elle trop de condescendance pour les bienfaitrices des monastères ? Le reproche lui en a été fait. Nous n'osons nous prononcer. Les plus grands saints ont eu leurs imperfections. Ici, ce serait le sentiment de la reconnaissance et des devoirs qu'elle impose, dont cette grande âme n'aurait pas su se fixer les justes limites. Cette vertu est si rare que ses excès paraissent bien excusables.
D'autres raisons bien graves semblent aussi avoir dicté cette conduite. Dans le monde, Mme des Arcis avait laissé une grande réputation de vertu ; sa sortie du monastère eut causé beaucoup d'étonnement et profondément mécontenté l'Evêque. Ce prélat lui avait donné lui-même le voile, il reçut ses vœux ; il la jugeait si digne de gouverner ses Sœurs, qu'après la déposition de la Mère Marie de Jésus, il la chargea de l'administration, par un ordre formel, jusqu'à la prochaine élection. Son intention évidente était de la désigner au choix de la Communauté. Mais celle-ci ne lui trouvait point les qualités requises pour gouverner une maison religieuse et ne pouvait se décider à l'élire.
Aussi, quelquefois, les plus anciennes Sœurs manifestèrent le désir de sortir d'une position peu régulière et de choisir une supérieure du premier monastère. Avec le temps, la Sœur Marie de l'Annonciation finit par comprendre la justesse de ces réclamations, peut-être aussi les difficultés du commandement se firent-elles sentir à elle. Quoiqu'il en soit, un jour les Sœurs apprirent avec bonheur que la liberté de prendre qui elles voudraient leur était rendue. Immédiatement elles élurent la Mère Marie de l'Enfant-Jésus de Bois-David, pour lors déposée à Caen. Ce monastère ne pouvait ratifier ce choix, mais il leur proposa la Sœur Marie de Saint-Paul Poutrel, et, le 20 octobre 1686, les formalités de son élection se firent canoniquement.
Sous la direction ferme et douce de la Mère Marie de Saint-Paul, la paix régna dans la maison. Ses manières affables et polies lui gagnèrent tous les cœurs, ceux surtout des deux fondatrices, qu'elle sut habilement ménager. Laissant la Sr Marie de l'Annonciation exercer son activité et son aptitude spéciale dans le soin du temporel, la nouvelle Supérieure s'appliqua surtout à la formation religieuse de tous les membres de la Communauté, et son zèle fut secondé par une merveilleuse bonne volonté.
Dans la première année de sa supériorité, le monastère fut assez heureux pour obtenir ses lettres-patentes. La suppression d'Hennebont montre le prix de cette faveur, que les Sœurs obtinrent plus encore par leurs prières que par la puissance de leurs protecteurs. Mgr de Saillant, déjà nommé à. Poitiers, l'annonça dans ces termes à la bienfaitrice :
« Je suis, ma Fille, dans un transport de joie que je ne puis vous exprimer. Je viens de remettre à Madame Deslandes les Lettres-Patentes du Roi pour l'établissement et l'amortissement de votre maison. Elles sont scellées, visées de M. le Chancelier, et contresignées de M. Colbert, Marquis de Croicy. En l'état où sont les choses, ce n'est pas une faveur d'avoir obtenu une telle grâce, c'est un miracle, et je l'attribue aux prières de ma très chère Fille et très sainte Novice ....... Vous devez aussi beaucoup de reconnaissance à M. d'Argouge.
Tréguier, 5 septembre 1687.
M. d'Argouge, cité dans cette lettre, était ministre d'État. Nous pensons qu'il est l'ancien premier président du parlement de Rennes, ou du moins son fils.
Les soins de la communauté et même de graves affaires n'empêchaient pas la bonne Mère de veiller avec la plus grande sollicitude sur la conduite des Pénitentes. Son application constante eut pour but de former d'excellentes maîtresses, capables de les bien instruire et diriger. Elle payait de sa personne. Le travail soutenu est un des grands moyens de ramener ces personnes à Dieu et au bien, et de les mettre dans la pratique effective de la pénitence. Cette zélée Supérieure voulut à leur tête défricher le nouvel enclos acheté aux PP. Dominicains. Bien avant le réveil de la Communauté, armée d'un hoyau ou d'une bêche elle leur donnait l'exemple, et, à l'heure de l'oraison, elle cédait la place aux maîtresses, et se rendait toute en sueur au chœur pour présider cet exercice.
Une conduite si
mortifiée produisit d'excellents effets dans ces
La Mère de Saint-Paul, avant sa déposition, fit prendre à la Communauté la résolution d'élire une Supérieure du monastère de Caen. La Sœur des Arcis et plusieurs autres préféraient la Mère Marie de la Trinité, alors déposée à Vannes.
Au scrutin, les voix se partagèrent à peu près également ; ce ne fut qu'au second tour que la Mère Marie de Sainte-Cécile Néel fut déclarée élue. A son arrivée à Guingamp, ayant appris les difficultés dont son élection avait été l'objet, elle n'eut pas le courage de n'en tenir aucun compte et de dissimuler la peine qu'elle en éprouvait. Sa conduite vis-à-vis des Sœurs s'en ressentit, et bientôt la paix et l'union ne régnèrent plus au même degré dans la maison. La mort même de la Sr des Arcis, qui arriva peu après ne suffit pas pour les rétablir. L'esprit du Monastère était cependant vraiment très-bon. Les vies des Sœurs de ce temps le prouvent, mais la reélection de cette Supérieure pour un second triennat en est peut-être la meilleure preuve.
Cette marque de confiance ne put guérir la Mère Marie de Sainte-Cécile de ses défiances. Elle voyait avec peine les petits pèlerinages que les Sœurs faisaient à la chapelle de Notre-Dame-du-Refuge, dans la crainte qu'il ne donnassent lieu à quelques entretiens contre l'autorité. Pour les supprimer, la petite statue fut solennellement apportée à l'église du couvent. Mais la sainte Vierge montra bien que ce transfert ne lui était point agréable. La nuit suivante, un vol considérable fut fait dans le jardin, privé de sa fidèle gardienne. La Supérieure et la Communauté comprirent l'avertissement, et la statue fut reportée dans son premier sanctuaire.
Le refus d'un peu de vin à un pauvre malade fut aussi puni de la perte immédiate et inexpliquée d'un tonneau entier. Les Sœurs regardèrent cet accident comme un avertissement du ciel et se mirent à pratiquer plus libéralement la charité envers les pauvres.
Ces épreuves venaient en grande partie du caractère susceptible et étroit de la Mère Marie de Sainte-Cécile. Nous avons jugé utile de le faire connaître, pour en montrer l'écueil et faire éviter des fautes semblables.
Il plut encore à Dieu pendant cette supériorité, de visiter souvent cette communauté par la maladie et la mort. Du 4 mai 1694 au 1er juin 1699, huit religieuses furent enlevées à l'affection de leurs Sœurs.
Ce fut d'abord la Sr Marie de la Passion, la bonne et généreuse fondatrice. Un an avant sa mort, elle fit la profession solennelle pendant une dangereuse maladie. Devenue aveugle et très-infirme, elle supporta ses souffrances avec une grande patience et soumission à la volonté de Dieu. Si quelquefois sa complaisance pour sa belle-fille fut excessive, il faut l'attribuer à son humilité et à sa défiance d'elle-même, car sa soumission et son respect pour les Supérieures furent toujours très grands.
Elle fut suivie de près par Mme des Arcis devenue la Sr Marie de l'Annonciation. Il y a dans la vie de cette âme des mélanges étranges : une vertu souvent admirable jointe à des défauts propres à en neutraliser les fruits. Dans le monde son union avec M. des Arcis fut très-malheureuse, et toujours sa vertu se maintint à la hauteur de ces cruelles vicissitudes. Ses amis en étaient remplis d'admiration. Dans le cloître, les mille petites épreuves de la vie commune la trouvèrent moins forte. Elle ne sut pas se former à la vie intérieure et à l'obéissance, et devint ainsi pour ses Sœurs la cause des peines que nous avons racontées. Peut-être eût-il mieux valu pour elle ne pas embrasser la vie religieuse.
Bien plus complète était la vertu de la Sr Marie de Tous-les-Saints de Lisle. Comme Mme des Arcis, elle avait longtemps vécu dans le monde, occupée de toutes espèces de bonnes œuvres sous la direction des évêques de Tréguier. Elle avait même en grande partie fondé et gouverné l'hôpital jusqu'à l'arrivée des Sœurs hospitalières à Guingamp. Ses conseils étaient recherchés de toutes les âmes pieuses et suivis comme des oracles. Dès son entrée au noviciat, les plus petits règlements n'eurent pas de plus fidèle observatrice, et sa fidélité ne se démentit jamais. Dieu la combla de ses grâces et lui donna en particulier le don de prophétie. C'est ainsi qu'elle fit très-clairement connaître à la Sr Marie du Cœur de Jésus de la Grève, que la fondation de Paris ne se ferait que par elle.
Mais la perte la plus sensible pour ce monastère fut celle de la Mère déposée, Marie de Saint-Paul Poutrel. La communauté l’eût certainement élue à la déposition de la Mère Marie de Sainta-Cécile, si, quelques jours auparavant, la mort ne fut venue la lui enlever, le 13 mai 1699. Depuis sa déposition, cette Mère vivait toute en Dieu, occupée des emplois que l'obéissance lui confiait, surtout de la formation des novices. Sa direction pieuse et habile a certainement beaucoup contribué à établir dans ce monastère le véritable esprit de l'Institut. Plus que toute autre peut-être, elle y propagea la dévotion aux Sacrés Cœurs et la vénération au Vénérable Eudes. Elle avait eu le bonheur de le connaître dans les dernières années de sa vie, lorsque plein de mérites il venait au monastère de Caen animer ses chères filles à la pratique des plus sublimes vertus. La première, après sa mort, comme nous l'avons raconté, elle avait ressenti les effets de sa puissante intercession.
Les longues souffrances qui la menèrent au tombeau ne servirent qu'à faire éclater sa mortification, sa fidélité aux plus petites règles et sa patience admirable. Le médecin l'obligeait à faire gras. Un jour, la Sœur qui la servait ne comprit pas les indications de la cuisinière et lui apporta un reste de viande entièrement corrompue. La malade s'efforça de la manger sans rien dire ; la violence qu'elle s'imposait la fit changer de couleur. C'est alors que la cuisinière s'aperçut de l'erreur. Tout en pleurs, elle voulait s'en excuser, mais la patiente lui répondit avec bonté : « Machère Sœur, vous pleurez sur ce qui fait ma joie, le bon Dieu m'aime plus que vous. Vous ne vous seriez jamais avisée de me donner une si bonne part au dernier mets qui lui fut présenté, lorsque sur la croix il était encore plus près de la mort que moi. N'en parlez donc point à la Sœur infirmière ni à notre Mère ». Malgré cette recommandation, la peine trop visible de la cuisinière en fit chercher la cause à la Mère Supérieure. Sitôt qu'elle la connut, elle alla elle-même en témoigner son chagrin à la Sr Marie de Saint-Paul. Celle-ci lui répondit avec sa douceur et son humilité ordinaires : « Mon Dieu, ma chère Mère, ne me parlez pas de cela. Notre-Seigneur m'en a tellement récompensée, que je suis toute confuse de voir que pour si peu de chose, il m'ait donné tant de grâces, remplissant pendant toute la journée mon pauvre esprit d'une multitude de bonnes pensées ».
Un jour, elle s'aperçut qu'elle avait été moins fidèle que de coutume à ces pieux défis, si ordinaires dans les communautés. Sa piété en fut tout alarmée, et comme on cherchait à l'excuser sur ses occupations et sur ses infirmités qui la dispensaient de ces petits assujetissements, elle répondit : « Je ne vois pas comment une fille de Notre-Dame-de-Charité peut négliger les plus petites pratiques de la Religion, si elle considère que le Cœur de son divin Epoux s'est laissé gagner par un cheveu et un simple regard de sa bien-aimée. Je dois être d'autant plus fidèle qu'ayant peu de temps à vivre, j'ai besoin de mériter sa faveur, afin qu'il oublie mes nombreuses lâchetés à son service ».
Aux approches de la Semaine Sainte, les Sœurs voulurent au moins qu'elle ne prit pas part aux offices et engagèrent la Mère Supérieure à le lui défendre. A cette nouvelle, la pauvre infirme alla trouver la Mère Supérieure pour la supplier de ne pas tenir compte des sollicitations des Sœurs et de lui permettre d'employer le reste de ses forces à louer Dieu. « Son désir, disait-elle, était d'imiter les petits rossignols des bois qui meurent en chantant ses louanges ». Si cette faveur ne lui fut pas accordée, il est certain que son assiduité à tous les offices, la cérémonie du lavement des pieds et l'exhortation qu'elle voulut faire aux Pénitentes, à la place de la Supérieure, augmentèrent tellement sa maladie, qu'après Pâques elle dut se mettre au lit. Le médecin fut alors appelé et lui reprocha sa trop grande rigidité pendant le carême. Elle lui répondit : « Monsieur, vous ne négligez rien de ce qui peut vous rendre habile en votre art ; moi, Religieuse, je dois également travailler à l'être vraiment, et à me perfectionner de plus en plus par la pratique de la Mortification et de toutes les vertus ».
Bientôt son amour de la pauvreté s'alarma des dépenses que la Communauté faisait pour la guérir ; elle en témoignait sa peine, disant que son vœu s'étendait à la maladie comme à la santé, et qu'il fallait mieux réserver cet argent pour recevoir quelques Pénitentes pauvres. Une Sœur faisant allusion à son nom, lui dit alors que le monastère ne manquerait jamais d'âmes à convertir, mais plutôt de nouveaux St Paul pour les prêcher ; la malade répondit à cette observation : « Ce n'est pas celui qui sème qui a nous nourrit, mais celui qui fait fructifier et donne la fécondité à la semence. Soyez lui fidèle et vous ne manquerez jamais de secours spirituels. Au surplus, permettez-moi de vous dire que ces dépenses sont inutiles pour moi. Je me suis fait une habitude de n'aimer que le nécessaire. C'est pourquoi, à la prochaine visite du médecin, faites écrire ce que je dois prendre, et les heures où je le dois faire, afin que je ne cède point aux caprices du mal, et que j'aie une règle qui me donne le mérite de l'obéissance ». C'est ce qu'elle exécuta avec tant de fidélité pendant toute sa maladie, que ses infirmières ne purent jamais découvrir ce qui pouvait lui faire plaisir ou lui inspirer de la répugnance.
L'aggravation du mal lui fit désirer la visite du confesseur. Comme celui-ci l'exhortait à faire la demande de St Martin, elle répondit : « Oh ! mon Père, quelle comparaison peut-il y avoir entre ce grand saint et une pécheresse comme moi ! Je ne refuse cependant ni de vivre ni de mourir. Que la volonté de Dieu soit faite ! ».
A la fin de la supériorité de la Mère Marie de Saint-Paul, Mgr de Tréguier avait conçu contre elle de fortes préventions, qui causèrent à cette Sœur de nombreuses humiliations et bien des souffrances. Le Confesseur l'avertit que Sa Grandeur en était tout à fait revenue sur son compte. Son humilité se montra alors dans toute sa simplicité : « Je vous assure, dit-elle, que je ne me suis jamais inquiétée de ma justification devant les hommes ; j'en ai laissé le soin à Dieu, devant lequel je désire être justifiée de mes péchés par une complète satisfaction. Rien ne m'a été plus cher que cette humiliation ». Le directeur voulut connaître ses sentiments à l'égard de ceux qui l'avaient calomniée près du prélat. « Il ne s'est pas écoulé un jour, répartit-elle, sans que je ne leur aie pardonné. Ils étaient peut-être trompés eux-mêmes et pouvaient n'avoir aucun dessein de me nuire. Quoi qu'il en soit, les chagrins que j'ai essuyés sont bien compensés par le bonheur de mourir fille de Notre-Dame-de-Charité ».
Pendant son agonie, sa paix et sa tranquillité surprenaient toute la Communauté. Une Sœur lui demanda si elle souffrait beaucoup : « Oui, répondit-elle, je souffre tout ce qu'un corps peut endurer de plus violent avant que son âme ne le quitte. » — « Vous avez donc résolu de ne vous plaindre jamais en cet état, répartit la Sœur. » — « Vous voulez sans doute, répondit la malade, me faire comprendre que cette résolution est au-dessus de mes forces, mais je connais trop mon peu de vertu pour entreprendre rien de si parfait, je me suis toujours plus plainte que notre divin Modèle qui ne l'a fait que deux fois pendant sa passion, l'une au jardin des Oliviers, et l'autre sur la croix avant d'expirer ».
Les Sœurs que cette sainte religieuse avait formées à la vertu, ont encore recueilli beaucoup d'autres paroles toutes aussi édifiantes que nous regrettons de ne pouvoir reproduire. C'est bien le cas de s'écrier : « Pretiosa in conspectu Domini mors Sanctorum ejus ».
La Mère Marie de Saint-Paul Poutrel n'avait que 45 ans, lorsque le 13 juin 1699, elle termina ainsi une vie pleine de vertus et de mérites. Sa mort fut un deuil pour toute la ville ; ses contradicteurs eux-mêmes proclamaient sa sainteté.
La beauté de son visage semblait montrer le bonheur dont jouissait son âme. Un officier de marine crut qu'on l'avait fardée pour lui donner cet éclat, et lorsqu'il fut assuré qu'il n'en était rien, il tomba à genoux pour lui adresser ses prières, ne pouvant douter de sa sainteté. Sa vue décida aussi une jeune personne à demander son entrée au noviciat. Cette vocation subite tient du prodige, car auparavant, cette demoiselle ressentait beaucoup de répugnance pour l'Institut de Notre-Dame-de-Charité. Ces morts furent une cruelle épreuve pour la Communauté et pour la Mère Marie de Sainte-Cécile en particulier. Le bruit s'était répandu en ville que la peste était au couvent. Personne n'osait avoir de rapport avec la Sœur tourière, lorsqu'elle sortait.
Plusieurs familles s'imaginaient que les soins indispensables n'étaient pas donnés aux malades. C'est au milieu de ces peines que la Mère Néel, malade elle-même, fit sa déposition.
CHAPITRE III.
Supériorité de la Mère Marie de Saint-Isidore Hellouin. — Mort des Sœurs Marie de Sainte-Cécile Néel et de Sainte-Thérèse Allain.
Le choix de la nouvelle Supérieure avait une grande importance. La majeure partie de la Communauté tournait ses vues vers une Sœur de Caen, mais ce Monastère faisait des difficultés et objectait la violation de la règle et la perte de ses meilleurs sujets. Une lettre de Mgr de Kervilio et les instances des Sœurs surmontèrent ces répugnances. L'élection fut présidée par ce Prélat le 14 juin 1699, et la Sr Marie de Saint-Isidore Hellouin fut élue. Dans sa lettre d'obédience, Mgr de Nesmond, évêque de Bayeux, spécifia que ce n'était que pour trois ans.
L'histoire de Caen a déjà fait connaître les grandes aptitudes de cette Sœur pour le gouvernement. La maison de Guingamp sut les apprécier et fut la première à en jouir. Dès son arrivée, par sa bonté et son affabilité, elle gagna tous les cœurs. Oubliant tout le passé, elle donna à toutes les Sœurs des marques de confiance et d'affection. Aussi l'union et la charité furent-elles promptement rétablies, et depuis régnèrent toujours dans ce Monastère.
Une des premières peines et des premières consolations de cette remarquable Supérieure, furent les morts édifiantes des Srs Marie de l'Enfant-Jésus Féger, et Marie de Sainte-Cécile Néel.
La première était une de celles qui avait le plus souffert des troubles précédents ; toujours elle avait demandé à Dieu, avec un grand esprit de foi et de confiance, la grâce de mourir sous un gouvernement tranquille. Cette faveur lui fut accordée. Aussi, peu après l'arrivée de la Mère Hellouin, elle demanda à entrer en retraite et voulut se préparer à la mort par une confession générale. La Mère Supérieure lui proposa alors de faire venir son propre frère dans lequel cette Sœur avait toute confiance, mais par esprit de simplicité elle tint à s'adresser au confesseur de la Communauté. Depuis ce moment, elle vécut dans le plus grand calme, bénissant Dieu des grâces dont il la comblait. Aux approches de la mort, cette paix ne fut point troublée. Après avoir demandé pardon à la Communauté avec tant d'humilité et de contrition que les Sœurs ne pouvaient retenir leurs larmes, elle mourut doucement quatre mois après l'arrivée de la Mère Hellouin.
Déjà très-malade longtemps avant sa déposition, la Mère Marie de Sainte-Cécile ne fit plus que languir dans la suite. Ses longues souffrances servirent à montrer que si le don du discernement des esprits ne lui avait pas été communiqué, elle avait à un très-haut degré celui de la patience et toutes les vertus qui font la bonne Religieuse. Le 1er janvier 1700, elle se crut sur le point de mourir et demanda la récitation des prières des agonisants, mais elle les interrompit bientôt pour demander qu'on lui chantât des cantiques sur l'amour divin. Elle entonna elle-même le Te Deum, le Laudate Dominum. C'était un spectacle à la fois pénible et consolant que de voir la joie de cette pieuse mourante, qui ne voulait plus avoir d'autre emploi que celui des anges avec lesquels elle espérait bientôt louer Dieu éternellement. Elle passa encore huit jours dans ces sentiments, attendant toujours la venue de son céleste Epoux, et elle se réunit pieusement à Lui le 8 janvier. Elle n'avait que 42 ans. La tranquillité de cette mort montre combien ses intentions avaient été pures et saintes. La bonté de Dieu est si grande que nous pouvons penser que des actes blâmables aux yeux de la prudence humaine seront récompensés au Ciel parce qu'ils ont été faits avec pureté d'intention. La mort tranquille de la Mère Néel confirme cette opinion.
La Mère Saint-Isidore apporta le même zèle au gouvernement des Pénitentes qu'à celui des Sœurs. Souvent, elle le poussa jusqu'à l'héroïsme. Sa bonté touchait les cœurs ; ceux qui n'y cédaient pas d'abord, finissaient par être vaincus par la persévérance des prières et la rigueur des austérités qu'elle s'imposait pour leur conversion. On peut dire ici que les saints toujours admirables ne sont pas toujours imitables. Un Vendredi Saint, poussée intérieurement par une inspiration si forte qu'elle ne pouvait y résister, elle prit avec elle une Sœur converse, dont elle connaissait parfaitement la force et l'obéissance, et se rendit à la salle des Pénitentes. Après leur avoir parlé avec énergie de la gravité du péché, des souffrances et des humiliations du Sauveur, des peines qu'elles-mêmes avaient méritées, elle ajouta, en s'adressant à l'une d'elles plus endurcie que les autres, qu'à l'exemple de son divin Maître, elle voulait prendre sur elle le châtiment de son obstination et, se découvrant les épaules, cette humble Supérieure ordonna, au nom de la sainte obéissance, à la Sœur converse de lui donner la discipline de toutes ses forces, sans l'épargner.
Cette Sœur a dit depuis, que jamais acte ne lui avait tant coûté. Les Pénitentes et leurs maîtresses étaient touchées jusqu'aux larmes. Celle pour laquelle ces humiliations et ces souffrances étaient acceptées, fut elle-même au moins momentanément attendrie, bien que sa conversion ne persévérât pas. La Supérieure, comme elle s'y était attendue, vit sa conduite sévèrement blâmée et traitée d'imprudence, mais elle sut se former de ces blâmes comme un bouquet de myrrhe, qu'elle serra amoureusement sur son cœur, heureuse de cette nouvelle ressemblance avec son Dieu crucifié.
Les fruits de tant de sacrifices ne tardèrent pas à se produire. Un changement merveilleux se fit voir parmi ces pauvres brebis égarées, et plusieurs firent une mort très consolante. Une d'elles en particulier était depuis vingt ans dans la maison par la volonté de sa famille, et gardait dans son cœur une haine implacable contre les auteurs de sa détention. Les exhortations de la Mère Marie de Saint-Isidore changèrent entièrement son-cœur, et, dans la crainte de retomber dans ses fâcheuses dispositions, elle demanda et obtint effectivement par ses ardentes prières la grâce de mourir pendant le gouvernement de cette bonne Supérieure.
Tant de zèle et de vertus devait, ce semble, être approuvé des hommes comme de Dieu. Il n'en fut rien. Un malentendu causa un vif mécontentement à Mgr de Kervilio. La Mère Hellouin lui avait demandé dans une conversation l'autorisation d'agrandir la chapelle et de faire un logement pour l'aumônier. Lorsque les travaux furent commencés, ce prélat qui ne se souvenait plus de rien, fut très froissé de ce qu'il regardait comme un acte d'indépendance et en fit de sévères reproches à cette bonne Mère ; il poussa même les choses jusqu'à lui faire défendre par son Promoteur de continuer les travaux et d'en entreprendre d'autres sous peine d'excommunication. Peu après, il vint en personne faire la visite. Contre son attente, il trouva la Communauté dans la paix et l'union et pleine d'estime et d'affection pour sa Supérieure. A la clôture, il ne put s'empêcher d'en rendre témoignage.
Peu de temps avant la fin de ce triennat, mourut le 18 mars 1702, la Sr Marie de Sainte-Thérèse Allain. Ses rapports avec le Vénérable Eudes, sa généreuse vocation et ses vertus méritent une courte mention.
Elevée fort pieusement chez les Ursulines de Guingamp, elle voulut s'y faire religieuse, mais la volonté de son père s'y opposa constamment et finit, malgré ses répugnances, par lui faire épouser M. du Boisdour Moisan, frère aîné de Mme des Arcis. L'amour du monde s'empara alors de son cœur malgré les grâces dont elle avait été prévenue, et elle se livra à tous les plaisirs que lui permettaient son rang et sa grande fortune. Dieu prit soin cependant de lui en faire sentir les amertumes ; jamais, du reste, elle n'abandonna entièrement les pratiques de la religion et surtout de la charité envers les pauvres.
Un procès au parlement de Rennes lui procura l'occasion de venir dans cette ville, en 1670, pendant la fructueuse mission du V. P. Eudes. Elle assista à plusieurs sermons et éprouva un grand bonheur à l'entendre. Un jour, un jeune homme, par ses insolentes interruptions, troublait l'attention de l'auditoire. Pour attirer davantage les regards, il était monté sur les lambris qui ornaient une des chapelles de l'église où se faisait le sermon. Le saint Missionnaire l'apostropha avec beaucoup d'énergie, lui reprochant de faire l'œuvre de Satan, et le menaça d'un prompt châtiment, s'il continuait à empêcher le fruit de la parole divine. L'effet suivit de près la menace. Au grand étonnement des auditeurs, ce jeune insolent fit immédiatement une chute si malheureuse qu'on l'emporta mourant. Mme Moisan, qui en fut témoin, se retira très impressionnée.
Mme des Arcis, sa belle-sœur, la mit en rapport avec la Mère de la Trinité. Cette connaissance contribua encore à la faire rentrer en elle-même. Mme Moisan était veuve et sans enfants, âgée d'une quarantaine d'années, lorsque fut fondé le monastère de Guingamp. Elle aida de tout son pouvoir Mme de Kervégan, sa belle-mère, et bientôt manifesta l'intention de s'y consacrer elle-même à Dieu. L'exécution de ce dessein lui occasionna de nombreux et grands sacrifices. Sur l'ordre de la Mère Marie de la Trinité, la Sr Marie du Saint-Esprit ne l'épargna en rien, elle la reprenait comme une jeune fille de quinze ans, et la contrariait dans toutes les occasions qui se présentaient.
Dans ces luttes, la Sr Marie de Sainte-Thérèse était soutenue par la certitude de faire la volonté de Dieu. Avant son entrée, elle avait consulté le Vénérable Instituteur lui-même. Le récit de cette consultation suppose une rencontre entre lui et elle, sans en faire connaître le lieu et les circonstances. Quelques autres indices nous font croire que ce fut peut-être à Rennes, où les affaires du séminaire et des missions en Bretagne auraient amené le Vénérable. Ayant promis à Mme Moisan de consulter Dieu sur son projet, ce bon Père se mit en oraison et célébra ensuite la sainte messe à son intention. Dieu lui fit voir alors les peines dont ses prières délivreraient cette âme, et à la fin de la messe, cette dame se trouva dans le plus grand calme et dans la volonté d'accomplir en tout les desseins de Dieu sur elle.
Quelque temps après sa prise d'habit, les affaires temporelles de la Sr Marie de Sainte-Thérèse devinrent tellement embrouillées, qu'on voulait la faire retourner dans le monde pour y mettre ordre. Elle écrivit au vénérable Fondateur pour lui demander des conseils. La réponse fut qu'elle ne devait pas sortir, que la Ste Vierge l'avait choisie pour être fille de son Saint Cœur. En même temps, le bon Père l'exhortait à la persévérance et lui faisait présent d'un de ses ouvrages sur lequel il avait écrit plusieurs souhaits et sa formule ordinaire de bénédiction : « Nos cum prole pia benedicat Virgo Maria ». La docile novice garda toute sa vie ce livre, et fut si fidèle aux avis de son saint Directeur que quatorze ans de noviciat et les épreuves du monastère ne purent la faire renoncer à sa vocation. Sa profession n'eut, en effet, lieu que le 16 juin 1692, et il fallut la faire en secret de peur que ses créanciers n'y missent opposition.
A partir de ce jour, elle parut animée d'une ardeur toute nouvelle pour la vertu. Son esprit de pauvreté fut d'autant plus remarquable qu'il était plus opposé à ses habitudes anciennes. Dans le monde elle ne savait se refuser aucune satisfaction ; sa délicatesse était telle qu'elle n'eût pas voulu toucher un chandelier de cuivre sans l'envelopper. Au monastère, elle acceptait et recherchait ce qu'il y avait de plus mauvais dans la maison et se servait de la vaisselle la plus grossière.
Son obéissance était très prompte et très simple. Si une Sœur lui exprimait sa surprise de la voir se conformer ainsi à son âge aux volontés et aux désirs des Supérieurs et des Sœurs, elle répondait : « Il m'est plus facile de me commander à moi-même, que d'amener les autres à mon sentiment ».
Bien longtemps avant sa mort, elle avait renoncé à toutes les petites particularités qu'on lui avait accordées à cause de son ancienne condition. Le lever du matin lui fut toujours fort pénible ; elle était cependant toujours une des premières à l'oraison. Une seule fois, elle céda à la paresse, mais elle en fit la pénitence ordinaire au réfectoire.
Dans ses infirmités, son esprit de prière s'accrut encore. Aux fêtes de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère, sa coutume était de réciter mille Ave Maria. Pendant l'octave de la fête du divin Cœur de Jésus, la dernière année de sa vie, elle récita en son honneur mille fois la salutation Ave, Cor sanctissimum. La crainte des jugements de Dieu la pénétra vivement durant sa dernière retraite, mais elle eut recours à Marie, alla se prosterner devant une de ses images et reçut intérieurement une forte assurance que cette Mère de la miséricorde ne l'abandonnnerait pas. La paix rentra dans son âme, et ne la quitta plus jusqu'à sa mort.
A la fin de sa supériorité, la Mère Marie de Saint-Isidore rendit le témoignage le plus favorable de l'esprit religieux et de la capacité des Sœurs :
« On ne peut attribuer, dit-elle, qu'à leur humilité le sentiment qu'elles ont de leur incapacité, qui les fait ne se croire propres à rien ; aussi je me suis efforcée de les porter à faire valoir les talents que Dieu leur a donnés. Cette conduite a parfaitement réussi. A mesure que leurs succès devenaient sensibles dans les charges, je le faisais remarquer aux autres, pour leur inspirer de l'estime les unes pour les autres. Il s'est ainsi formé de très bonnes officières. Je les ai vues faire des actes de simplicité et d'obéissance fort édifiants. Un soir, pendant l'oraison, comme je parlais à une Sœur dans l'avant-chœur, on m'appela ailleurs, je lui dis de m'attendre, pensant revenir aussitôt ; mais occupée successivement à plusieurs affaires, j'oubliai de lui faire dire que je ne reviendrais pas. Elle demeura jusqu'à huit heures du soir à la même place, et y serait peut-être restée davantage si on n'était allé la chercher pour souper. Interrogée pourquoi elle était restée si longtemps en ce lieu, cette chère Sœur répondit : " Notre Mère m'avait dit de l'attendre, je n'ai pas cru devoir quitter l'avant-chœur sans son ordre ".
La mortification de ces Sœurs était très rigoureuse. La plupart se servaient de disciplines de fer ; elles n'enlevaient point la partie pourrie des fruits qu'on leur servait au réfectoire ; elles les prenaient tels qu'ils étaient.
Un jour je repris une Sœur de ce que les manches de sa chemise ne dépassaient pas celles de sa tunique, comme la règle l'indique. Mais en voulant lui montrer comment les mettre, je fus bien surprise de voir qu'elle n'en avait point. Par mégarde, on lui avait donné une chemise sans manches. Mais je fus surtout édifiée de voir que, reprise de ce petit manquement bien involontaire, elle ne s'excusa point, et se mit à genoux comme si elle eût été coupable ».
Ce témoignage que la Mère Hellouin a laissé par écrit, est évidemment celui qu'elle rendit à Mgr de Kervilio, et qui décida ce prélat à faire prendre la Supérieure dans la Communauté même. Celle-ci eut bien désiré garder sa sage directrice, mais ce n'était pas possible, le monastère de Caen l'avait élue et la réclamait. Le Prélat présida lui-même l'élection, le 16 juin 1702, et la Sœur Marie de Sainte-Catherine Moisan fut élue.
CHAPITRE IV.
Gouvernement des Mères Marie de Sainte-Catherine Moisan, Marie de la Passion de Murado le Goff, Marie du Cœur de Jésus de la Grève, Marie de Sainte-Cécile de Murado le Goff.
La nouvelle Supérieure appartenait à la même famille que les fondatrices. Très jeune, elle entendit l'appel de Dieu, et y répondit avec une grande générosité. Son entrée au noviciat eut lieu le jour de la fête du divin Cœur de Jésus, et dès ce moment elle conçut pour cette dévotion l'amour et le zèle dont nous verrons les heureux effets. Après un noviciat plein d'épreuves et de ferveur, ses supérieures la firent successivement passer par presque tous les emplois. Le dernier qu'elle occupa avant son élection fut celui de maîtresse des Pénitentes.
Ses prières, ses mortifications quotidiennes, ses ferventes exhortations, rendirent son zèle très fructueux et donnèrent à ces filles une grande estime de la sainteté de leur maîtresse. Une d'elles, cependant, se montrait entièrement sourde à la voix de Dieu et semblait s'endurcir toujours davantage. La Sr Marie de Sainte-Catherine s'en affligeait beaucoup devant son divin Maître. Il lui vint à la pensée que cette âme se rendrait à la grâce s'il lui était donné d'éprouver combien il fait bon servir le Seigneur. Aussitôt, par un acte de zèle vraiment héroïque, la maîtresse pria son divin Epoux de la priver de toutes les consolations dont il la comblait et de ne lui faire sentir jusqu'à sa mort que les épines de sa croix, à condition de faire goûter les attraits de son amour à ce cœur rebelle. Une prière si admirablement désintéressée fut exaucée sur l'heure même. La Pénitente fut vivement touchée du désir de travailler à son salut, mais une sécheresse bien pénible devint pendant quarante-cinq ans le partage de celle qui lui avait obtenu cette insigne faveur.
Telle était la nouvelle Supérieure. Née en 1672, elle n'avait que bien juste l'âge requis par le Concile de Trente. Son élection fut pour elle une si dure épreuve, que la violence qu'elle se fit lui causa une maladie. Bientôt la soumission à la volonté divine lui donna de nouvelles forces et la fit se mettre avec courage à l'œuvre.
Son administration fut bénie de Dieu. De nombreuses postulantes se présentèrent, pleines d'ardeur pour le bien, et plusieurs grâces extraordinaires vinrent les encourager dans leur vocation. Le V. P. Eudes fit éprouver sa puissance d'intercession en faveur d'une de ces Novices qu'une grave infirmité eût empêchée de faire profession. Voici l'attestation qu'elle en a donnée elle-même :
« J'atteste, en la présence de Dieu, qu'environ un mois avant la fête de notre digne Père, Jean Eudes, je fus attaquée d'une surdité si grande que j'avais peine à entendre le chant de l'office et à m'entendre moi-même, ce qui m'empêchait de suivre le chœur. On eut la charité de me mettre des vésicatoires, mais sans obtenir d'amélioration, et mon mal fut jugé incurable.
Pendant ce temps j'avais le bonheur d'aller à la classe de nos Sœurs Pénitentes, où je m'occupais à écrire la vie de notre bon Père, qu'on traduisait en vers. Quand la maîtresse sortait j'avais une telle difficulté à entendre les Pénitentes, que j'étais obligée de leur imposer silence jusqu'au retour des autres maîtresses. L'affliction que je ressentais de l'impossibilité d'être utile aux âmes, jointe à l'édification que je recevais de la lecture de la sainte vie de notre Père, me fit naître la pensée de recourir à l'intercession de ce bienheureux, pour obtenir la délivrance de mon infirmité, et je le fis plusieurs jours de suite par de courtes prières.
La veille de sa fête, j'assistais à ses litanies que la Communauté récitait dans un endroit particulier de la maison, lorsque je ressentis un bourdonnement dans l'oreille. Je m'aperçus que j'entendais mieux ; je joignis mes prières à celles de nos Sœurs pour demander, par son intercession, la délivrance entière de mon infirmité, si c'était pour la gloire de Dieu et mon salut. A la fin des litanies, je me trouvai parfaitement guérie, et quoiqu'auparavant je fusse sujette à beaucoup de douleurs de dents, ce qui m'en causait aussi dans l'oreille, je ne m'en suis jamais ressentie et j'entends parfaitement clair ». Sœur MARIE DE L'ASCENSION CHEVALIER.
La guérison fut persévérante, puisque cette Sœur fut envoyée à Paris, en 1720, pour aider au gouvernement de la Madeleine.
Une Religieuse professe fut également guérie de la même infirmité dans des circonstances à peu près semblables.
Une autre Novice était tourmentée de tels scrupules sur les obligations de la vie religieuse qu'elle était sur le point d'y renoncer. On lui conseilla de recourir à l'intercession du Vénérable Instituteur. Le soulagement fut prompt, ses peines cessèrent si bien, qu'affermie dans sa vocation, elle demanda avec instance la grâce de faire profession. Dans la suite, elle put se livrer à tous les emplois de l'Institut ; elle eut même un talent tout particulier pour la direction des Pénitentes.
Les Annales racontent encore d'autres faits non moins merveilleux qui montrent combien, à cette époque, était grande dans le Monastère la vénération pour l'Instituteur.
Le soin des Pénitentes fut aussi toujours une grande préoccupation pour la Mère Marie de Sainte-Catherine. Pendant qu'elle les dirigeait, elle s'était aperçue que celles qui étaient sincèrement revenues à Dieu et voulaient finir leurs jours dans la maison, avaient à souffrir de leur mélange avec les autres. Pour rendre la situation plus douce et plus facile aux converties, elle fit l'acquisition d'un terrain et y fit élever des appartements réservés à leur usage. Ils renfermaient une chapelle dédiée à Sainte Madeleine et un cimetière pour leur sépulture.
Digne fille du premier apôtre de la dévotion aux Sacrés Cœurs, sa piété ardente lui fit employer tous les moyens de propager cette dévotion. Déjà les fêtes se faisaient avec la plus grande solennité dans le monastère, mais la Mère Marie de Sainte-Catherine voulut y associer le peuple d'une manière plus directe et faire de la chapelle un centre de propagande. Deux autels furent consacrés, l'un au divin Cœur de Jésus, l'autre au Saint Cœur de Marie. En 1705, le 31 mars, elle obtint une bulle qui érigeait une confrérie en leur honneur, et Mgr de Kervilio, avec un grand nombre d'ecclésiastiques, fut le premier à s'inscrire sur le livre de la Confrérie.
Elle obtint davantage encore de Mgr de Tréguier. Ce prélat permit à tous les prêtres qui le voudraient de réciter les offices de ces fêtes comme office canonial pendant tous les jours de l'octave. Nous n'avons pas d'exemple à cette date d'une permission plus large. Elle dut contribuer beaucoup à propager la dévotion aux Sacrés Cœurs dans le clergé et le peuple. Les Annales disent que cette bonne Mère aurait voulu convoquer tous les prêtres de la province à leurs fêtes ; quand quelqu'un entrait dans ses vues, elle payait volontiers son voyage et son séjour à Guingamp. Aussi la chapelle du monastère était très fréquentée.
C'est à cette active propagande qu'il faut, croyons-nous, attribuer la propagation de la Société des Filles du Cœur de la Mère Admirable. Cette société existait déjà dans la ville, mais, sous l'influence de la Mère Marie de Sainte-Catherine, elle se multiplia beaucoup. De Guingamp elle gagna le diocèse de Saint-Brieuc, où de nos jours, elle est si florissante et produit tant de bien.
Mgr de Kervilio était d'un caractère très vif et très autoritaire, si on en juge par les Annales. A la fin de la supériorité de la Mère Moisan, il se mécontenta contre elle à l'occasion du renvoi d'une Novice, sa parente, et d'une Pénitente qu'il avait lui-même fait entrer dans le couvent. Placée entre le désir d'être agréable au prélat et le devoir que lui imposait sa conscience, la Mère Marie de Sainte-Catherine n'hésita pas. Les deux dernières années de sa supériorité furent très pénibles pour elle par suite de ce mécontentement ; elle eut cependant encore la joie de voir arrêtée en principe la fondation de Tours, dont nous la verrons la première Supérieure.
Ce fut la Sr Marie de la Passion le Goff qui lui succéda. Elle appartenait aussi à la famille de la fondatrice et avait été élevée par elle dans le monastère, dès l'âge de trois ans, ainsi que deux de ses sœurs. A l'âge de dix ans, ayant été atteinte d'une longue fièvre, on lui proposa d'aller à Paris pour changer d'air. La promesse des plaisirs les plus capables de tenter un enfant ne put la décider à faire ce voyage. Son cœur était déjà à Dieu. En revenant du monastère de Vannes à celui de Guingamp, elle eut le courage de passer près de la maison de ses parents sans y entrer dans la crainte de voir faiblir sa généreuse résolution.
Cependant il y eut un moment où sa vocation fut fortement ébranlée, ainsi que celle de sa sœur. Quelques conversations imprudentes de ses compagnes de pensionnat en furent la cause. Le départ de leur sœur aînée, rentrée chez leur père, contribuait aussi à leur faire envisager la vie religieuse avec une certaine terreur. Elles étaient dans ces dispositions lorsque, au sortir de la communion, la Mère de la Trinité fit signe à notre pensionnaire de la suivre et, à sa grande surprise, lisant dans son âme, lui dit : « D'où vient, ma Fille, que vous écoutez le démon ; si vous sortez, vous ne serez jamais religieuse, et vous serez damnée si vous manquez votre vocation. D'ailleurs vous jouirez peu des plaisirs du monde, car vous mourrez jeune ; dans le cas contraire, vous vivrez longtemps et serez sauvée ». Nous ne savons où se passa ce fait, mais l'impression de ces paroles fut décisive ; elles agirent également sur la plus jeune des deux sœurs, à qui Mme de Murado en fit part. Toutes deux ne pensèrent plus qu'à solliciter leur entrée au noviciat.
La Sr Marie de la Passion l'obtint à l'âge de quinze ans, et sa précoce sagesse ne se démentit jamais. Aussi, elle avait à peine trente, ans au moment de son élection. Dès lors, elle se regarda comme ne s'appartenant plus et se mit tout entière au service de ses Sœurs. Son habileté suppléa à l'expérience qui lui manquait ; elle s'informa de tous les détails des emplois auprès de celles qui les remplissaient, et en connut bientôt le fort et le faible.
Les bâtiments occupés par les Sœurs étaient complètement insuffisants ; la jeune Supérieure résolut d'en élever de plus commodes. Mgr de Kervilio, du reste, lui en donna l'ordre. Ces constructions furent la cause d'un grand nombre de difficultés ; aussi la Mère Marie de la Passion disait : « Une Supérieure qui n'a pas bâti, ignore la moitié des sollicitudes du gouvernement ».
L'acte le plus important de son second triennat fut la fondation de Tours en 1714 ; nous en donnerons les détails à l'histoire de cette maison.
En cette même année, la Mère Marie du Cœur de Jésus de la Grève, lui succéda. La vie de cette remarquable religieuse appartient surtout à la maison de Paris, dont elle fut la fondatrice à la fin de sa supériorité. A Guingamp, elle perfectionna les constructions précédentes, et fit comprendre par sa sagesse et sa bonté tout ce qu'il était permis d'espérer d'elle.
L'Ordre de Notre-Dame-de-Charité doit une grande reconnaissance à Mgr de Kervilio pour ces deux fondations. Il fallait l'énergie de ce prélat pour vaincre les répugnances des Sœurs pour celle de Paris. Dieu a visiblement béni le zèle et la décision qu'il montra dans ces affaires. Le monastère de Guingamp ne fut nullement appauvri par ces deux fondations ; jusqu'à la révolution les vocations y ont été nombreuses, et les sujets de choix y ont abondé.
Après le départ de la Mère du Cœur de Jésus, la Mère Marie de la Passion fut reélue. Elle reparut à la tête de la Communauté enrichie d'une nouvelle expérience. Dans sa première supériorité, son zèle avait été jugé un peu ardent. Elle s'étonnait que les défauts ne fussent pas corrigés dès qu'elle les avait signalés, et quelquefois la correction était et trop forte et trop prompte. Il n'en fut plus ainsi, car on l'a vue attendre des mois entiers l'occasion favorable de donner un avis.
Sa facilité à recevoir elle même les conseils et les observations, l'aida beaucoup à acquérir cette sage prudence. Ce n'était pas seulement humilité chez elle, mais encore persuasion que l'obstination dans ses idées est une preuve certaine de l'étroitesse de l'esprit, qui, rempli de ses propres conceptions, devient incapable d'en accepter d'autres.
Une autre qualité non moins remarquable de son administration, consistait à relever le mérite des Sœurs, et à leur attribuer le bien qui se faisait dans leurs emplois. A une Sœur qui lui demandait la raison de cette conduite, elle répondit avec beaucoup de raison : « Ma Fille, la Religion est un corps, la Supérieure en est la tête ; il faut qu'elle demeure à sa place. Si elle se mêlait des fonctions des pieds et des mains autrement que pour les inspirer et les diriger, ce serait un désordre. Chaque officière a ses droits, comme la Supérieure a les siens, et on maintient la bonne harmonie en ne cherchant pas à tout faire, en donnant aux autres l'honneur des succès, ce qui les encourage et les attache à la Supérieure ».
En 1726, la Mère Marie de Sainte-Cécile de Murado le Goff fut élue, et sucéda à sa sœur. L'union la plus sainte et la plus étroite régnait entre ces deux sœurs. Dieu semblait les avoir créées pour se compléter l'une l'autre. Dans leur jeune âge surtout, leurs caractères semblaient entièrement opposés. La Sœur Marie de la Passion était vive et enjouée, Marie de Sainte-Cécile grave et sérieuse. Si elles étaient occcupées au même ouvrage, l'aînée cherchait à activer la lenteur de sa cadette, et celle-ci pour modérer la promptitude de son aînée lui disait avec St François de Sales : « Trop hâté n'est bon à rien ; peu et bien ».
Le gouvernement de la Mère Marie de Sainte-Cécile ne fut que la continuation du précédent. La patience de cette bonne Supérieure était très grande. Elle était cependant exposée à la perdre si elle entendait manquer à la charité du prochain qui était sa vertu favorite. Sans cesse elle répétait que le prochain était comme l'arche d'alliance, à laquelle il était défendu de toucher sous peine de mort. Par ailleurs, si le devoir de la supériorité l'obligeait à corriger les fautes qui venaient à sa connaissance, elle ne faisait point d'inquisition pour connaître ce qui pouvait rester dans l'oubli.
Malgré sa bonté bien connue, son abord inspirait la crainte et le respect plus que l'affection. Elle en éprouvait un vif chagrin ; aussi, un jour, une Sœur ayant dit en riant : « Que c'est beau de se faire redouter et craindre ». La Mère répondit : « Hélas ! mon Dieu, quel sot plaisir ! C'est une faute d'amour-propre de chercher à se faire estimer et aimer ; c'est une extravagance de se placer par orgueil au rang des bêtes féroces qui font fuir et trembler tout le monde ». Aussi suffisait-il de lui ouvrir son cœur pour gagner son affection. On était assuré de sa discrétion ; sa maxime constante était qu'un secret est un dépôt précieux et sacré qui doit rester au pouvoir de celui qui le donne.
A l'expiration de sa seconde supériorité, la Mère Marie de la Passion était bien malade. Les prières de la Communauté, le généreux sacrifice d'une Sœur qui offrit sa vie pour sauver la sienne, semblèrent lui faire recouvrer la santé. Elle fut élue, pour la cinquième fois, en 1732. La Sœur Marie de Sainte-Cécile, quoique déjà très fatiguée, fut chargée de la direction du noviciat. Pleine d'une nouvelle ardeur, elle voulait, disait-elle, réparer les fautes qu'elle y avait commises autrefois. Dieu se contenta de sa bonne volonté, car bientôt il l'appela à lui. Sur son lit de mort, cette Sœur disait : « Oh ! que l'on connaît bien, dans ses derniers moments, le prix des souffrances ! Je vous assure que dans l'état où je suis, je trouve mon unique consolation dans la pensée des souffrances que, par la grâce de Dieu, j'ai supportées toute ma vie. Il est vrai que je les ai endurées avec bien peu de vertu, mais que serait-ce donc si je n'avais même plus cette ressource ? ». Dans ces derniers jours, Dieu dissipa la crainte qu'elle avait toujours éprouvée pour ses jugements ; elle s'éteignit doucement, comme une victime résignée, le 20 décembre 1733, âgée de 54 ans, dont 41 de religion.
La Mère Marie de la Passion assista sa bien-aimée sœur pendant toute sa maladie ; mais les fatigues qu'elle s'imposa, la douleur qu'elle ressentit, renouvelèrent ses propres infirmités. Bientôt il fut visible que Dieu demanderait à la Communauté un second et plus dur sacrifice. Depuis longtemps cette fervente Religieuse se disposait à la mort et elle avait employé ses dernières retraites à cette préparation. Elle avait coutume de dire que, dans la maladie, la faiblesse du corps empêche l'âme d'agir et que c'est un grand malheur d'avoir alors quelques démêlés avec sa conscience.
Le 13 janvier 1734, elle fut atteinte d'une fièvre qui ne permit pas de douter que sa fin ne fût prochaine. Elle dit elle-même à son infirmière : « Ma Sœur, ma maladie durera cinq semaines en l'honneur des cinq plaies de Notre-Seigneur. Je lui ai demandé ce petit trait de ressemblance avec lui avant de paraître à son tribunal. ». Sa prédiction se réalisa. Pendant ce temps, malgré la souffrance, son esprit fut constamment uni à Dieu.
Après la réception des derniers Sacrements, elle adressa à ses Sœurs des recommandations trop remarquables pour ne pas être conservées. Elle commença par les remercier des soins dont elles l'avaient entourée, et leur demanda, comme dernière preuve d'affection, une année d'exactitude à leurs Règles. Son cœur lui fournit les expressions les plus pressantes pour les engager à la persévérance dans tout ce qu'elles prescrivent. Elle insista sur le silence, qui est le gardien de la vie religieuse, ensuite elle dit : « Ne cherchez point ailleurs une supérieure, vous avez plusieurs sujets propres à. remplir cette charge. Si vous vous estimez les unes les autres et vous rendez justice, vous verrez que je dis la vérité. Mais ne commettez plus la faute que vous avez faite à l'égard de ma sœur et de moi, en laissant le gouvernement trop longtemps dans les mêmes mains ; formez des sujets pour les charges importantes ». Une Sœur lui ayant demandé de faire connaître celle qu'elle croyait la plus propre à la remplacer, elle refusa en disant : « Non, ma Sœur, quand Dieu m'aura fermé les yeux, il ouvrira les vôtres ». Elle ajouta encore pour adoucir la peine de ses filles : « Quand je ne serai plus, le Consolateur viendra ». Ses dernières paroles furent un souhait en faveur du maintien de la paix et de la charité mutuelle, qu'elle avait si bien réussi à établir. Elle s'endormit du sommeil des justes le 17 février 1734. Elle avait 56 ans d'âge et 41 ans de religion.
Le public crut que ces deux Mères ne pourraient jamais être remplacées. La pieuse défunte avait mieux jugé la Communauté.
CHAPITRE V.
Gouvernements successifs des Mères Marie de l'Assomption le Demour de Kernilien et Anne de Jésus Bossinot de la Bréhaudais, 1734-1761.
Après la mort de la Mère Marie de la Passion, la Communauté fut gouvernée pendant 27 ans par les Mères Le Demour et Bossinot, qui, toutes les deux, bien qu'avec des caractères opposés, la conduisirent pieusement et sagement dans les voies de la perfection.
La première, la Sr Le Demour avait reçu de sa mère une éducation très mondaine. Fière de tous les avantages dont la nature avait orné sa fille, cette dame ne cherchait qu'à les augmenter et à les faire briller au milieu des plus élégantes réunions. Le confesseur de l'enfant l'obligea, par pénitence, à demander à sa mère la permission de passer au moins un an dans un couvent, pour étudier les desseins de Dieu sur elle. Cette grâce lui fut refusée. Mais bientôt, Dieu appela à lui Mme de Kernilien. La mort vint la frapper au sortir du jeu de cartes auquel elle se livrait avec une vive passion. Dans ce moment suprême, elle eut cependant le temps de reconnaître ses torts vis-à-vis de sa fille unique et, à son tour, l'exhorta à entrer dans un monastère, pour y atteindre au moins sa quinzième année. Le goût du monde était trop fort alors sur cette jeune âme. Elle répondit sèchement à sa mère : « Je suivrai vos exemples et non vos leçons ».
Malgré ces apparences légères, l'éducation était alors si vraiment chrétienne, que les pensées sérieuses prirent bientôt le dessus dans ce cœur que le monde n'avait pu gâter entièrement. En effet, l'Annaliste ne craint pas d'affirmer que, grâce à son innocence, elle pouvait traverser les plus grands périls sans même les soupçonner. Mme le Demour entra peu après la mort de sa mère à la Visitation de Rennes, et l'atmosphère de piété qu'elle y respira, fit bientôt germer dans son âme le désir de la vie religieuse. De retour à Guingamp, la connaissance de la Mère Moisan qu'elle eut le bonheur de faire, la réputation de régularité dont jouissait le monastère, la décidèrent tout à fait.
A quatorze ans et demi, trompant la surveillance de sa tutrice, elle vint demander son entrée au noviciat. Les prières de sa famille furent impuissantes à ébranler sa résolution. Un jour, au parloir, la Mère Marie de Sainte-Catherine eut peur de la voir faiblir et lui adressa quelques paroles pour l'empêcher de retourner même momentanément dans le monde, elle répondit avec énergie : « Ah ! ma Mère, j'en suis bien éloignée ; je connais trop ma faiblesse. Malgré le respect que j'ai pour vos conseils, si vous me disiez de sortir, je vous résisterais, comme je fais à ma cousine ».
Mlle le Demour soutint avec non moins de courage les épreuves du noviciat. L'examinateur, avant sa profession, lui demanda en la voyant si jeune et si élégante : « N'aimez-vous donc pas le monde, mon enfant, et pourquoi le quittez-vous de si bonne heure ? ». Elle répondit avec sa vivacité ordinaire : « Je vous demande pardon, Monsieur, c'est précisément parce que je l'aime trop que je le quitte, je m'y perdrais ».
Peu de temps après sa profession, elle tomba dans une maladie étrange, appelée par la Sœur annaliste l'opprobre de la médecine. Pendant dix ans, les plus habiles docteurs ne purent ni la guérir, ni la soulager. C'était évidemment une gastrite très aigüe qui la réduisit à une extrême faiblesse. Les crêpes de sarrasin, ou galettes de blé noir étaient ce qu'elle digérait le mieux.
Dans cet état de langueur, la Sr Marie de l'Assomption donna un bel exemple de détachement de la vie et d'attachement à la clôture religieuse. Mgr de Kervilio, qui l'aimait beaucoup depuis sa petite enfance, autant par affection pour elle que pour conserver un bon sujet à la Communauté, lui proposa de la prendre dans son palais, afin qu'elle pût plus facilement se faire traiter. Sa Grandeur lui promettait de lui laisser toute liberté de mener une vie aussi retirée qu'elle le voudrait, et la dispensait de la clôture. La jeune Sœur refusa et accompagna son refus de si bonnes raisons, que le bon prélat l'accepta et s'en montra très édifié.
Après l'amélioration de sa santé, elle reprit avec une nouvelle ardeur la pratique de toutes les observances et les Mères Le Goff qui fondaient sur elle de grandes espérances, eurent soin de la faire passer par les principaux emplois. A la mort de la Mère de la Passion, elle était assistante. En cette qualité, elle prévint Mgr de la Fruglaie de Kervers, qui, en 1731, avait succédé à Mgr de Kervilio, et demanda la permission de procéder au plutôt à une nouvelle élection. Ce Prélat avait pour le monastère la même bienveillance que son prédécesseur. Il se réserva de présider l'élection, et, se trouvant à Paris dans l'impossibilité de revenir aussitôt, il ordonna à la Sr Marie de l'Assomption, en laquelle il avait pleine confiance, de prendre le gouvernement de la Communauté. Cette obédience la mettait dans une situation très-difficile et très délicate. Sa sagesse et sa prudence se montrèrent avec un si vif éclat que la Communauté l'élut régulièrement le 8 juin 1734.
Parmi les dons surnaturels dont la Mère Marie de l'Assomption fit preuve pendant son gouvernement, il faut placer d'abord celui du discernement des esprits. Elle employa très utilement ce don à la formation des nombreuses novices que Dieu lui envoya. Cette qualité si rare parut aller jusqu'à l'esprit prophétique. C'est ainsi que, souvent, elle répéta à la jeune Sr Marie-Angélique le Gentil : « Travaillez à la perfection, ma Fille, vous aurez un jour à y conduire les autres ». Peu de temps avant sa mort, elle lui demanda sa main et la baisant, lui répéta les mêmes paroles. On lui fit alors observer que ce n'était pas la Mère Supérieure mais la Sr Marie-Angélique : « Je sais ce que je fais, dit-elle. Elle ne l'est pas encore, mais elle le sera. Je ne le verrai pas, mais je me réjouis du bonheur que nos Sœurs auront ».
Cette pieuse Supérieure employait un grand nombre de maximes pour porter ses Sœurs à la perfection ; quelques-une, nous ont été conservées, comme celles-ci : « Plus on pratique la vertu et les exercices spirituels, plus on les goûte. — Plus on prie, plus on veut prier. Moins on prie et moins on veut le faire. — Il y a quatre peu et deux beaucoup qui mènent à la perfection : 1° Peu penser ; 2° peu parler ; 3° peu savoir ; 4° peu désirer.... 1° beaucoup aimer ; 2° beaucoup faire. ». Aussi, sous sa direction, les âmes généreuses faisaient de rapides progrès.
Les œuvres de l'Institut lui étaient très-chères et les Pénitentes éprouvèrent souvent les effets de son zèle et de sa maternelle tendresse ; mais elle aurait vivement désiré que le monastère n'eût plus de dames pensionnaires. Les exigences de ces dames sont souvent, il est vrai, pour les maisons, une cause de difficultés. Les besoins du couvent ne lui permettant pas de les supprimer, elle tint au moins très ferme à l'observation du règlement qu'elles avaient accepté. Malgré cette rigide fermeté, ces dames avaient pour elle beaucoup d'estime et l'une d'elles, très bon juge du mérite, faisait son éloge en disant : « Nous avons eu plusieurs chocs ensemble, malgré cela je l'aime et je la crains, parce que c'est une femme de tête, une grande supérieure et une sainte ».
Dans son dernier triennat, de 1758 à 1761, ses répugnances pour ces dames pensionnaires devinrent vraiment exagérées et causèrent au monastère d'assez graves désagréments. Usée par l'âge et la maladie, la Mère Le Demour n'eut plus assez de force pour accepter une nécessité que la pauvreté imposait à sa maison et ne comprit pas que le mieux est quelquefois l'ennemi du bien, que surtout il faut chercher à améliorer doucement ce qu'on ne peut empêcher.
Au moment de son élection, les anciennes Constitutions de 1670 étaient en vigueur dans la maison. La Mère Moisan avait cru devoir les reprendre comme revêtues d'une approbation plus certaine. Avec la permission de Mgr de Tréguier, une nouvelle édition venait d'en être imprimée, lorsque, en 1734, l'Assemblée fut convoquée par la Mère Blouet pour les réviser. C'est ce qui explique pourquoi la Mère Le Demour ne jugea pas à propos de s'y rendre et pourquoi Mgr de Kervers ne le lui permit pas. Du reste, cette Mère ne poussa point jusqu'à l'obstination son attachement aux anciens usages. Au premier Chapître qui suivit sa réélection, elle déclara son intention de faire observer les nouvelles Constitutions introduites pendant sa déposition. L'approbation du Souverain-Pontife et des Prélats que ces Règles avaient reçue, était pour elle la manifestation de la volonté divine.
La sincérité historique oblige cependant à faire observer que jamais il n'y eut accord parfait entre elle et la Mère Marie-Anne de Jésus Bossinot de la Bréhaudais qui lui succéda. Ce manque d'entente fut pour ces deux Mères l'épreuve de leur vie. Elles eurent, l'une et l'autre, assez de vertu pour que la Communauté n'en souffrit pas.
L'élection de 1740 plaça à la tête de la communauté la Mère Marie Anne de Jésus Bossinot de la Bréhaudais. Elle fut reélue cinq fois et mourut en charge en 1763. L'étude de sa vie nous la montre comme le parfait modèle des supérieures. Née à Saint-Malo, elle fut placée avec deux de ses sœurs plus âgées qu'elle au pensionnat de Mont-Bareil, lorsqu'elle n'avait encore que huit ou neuf ans. Dès lors, sa douceur et son affabilité la firent chérir de ses maîtresses et de ses compagnes. Sa charité pour les malades et son aptitude à les soigner se révélèrent aussi dès ce moment. Les autres élèves l'appelaient le petit docteur, non parce qu'elle en prenait les airs, mais parce que, avec une habileté surprenante, elle pansait les doigts pourris et autres maux de ce genre, et veillait sur tous les besoins de ses petites compagnes.
Le pensionnat devait alors être fort nombreux, car les leçons de musique commençaient dès cinq heures et demie le matin. Mlle Bossinot, pour permettre à ses compagnes de prolonger leur sommeil, s'offrait à les prendre la première, malgré son besoin personnel de repos. Ces petits traits et une foule d'autres montrent combien déjà elle savait se vaincre et se sacrifier pour faire plaisir aux autres.
Du pensionnat elle passa au noviciat, n'ayant pas encore quinze ans. Sa sœur Marie de Sainte-Céleste, qui déjà était professe, traitait d'inexcusable présomption cette entrée si prompte, et craignait de la voir prendre trop tôt des engagements irrévocables. La fervente postulante soutint courageusement cette épreuve ainsi que toutes celles qui lui furent imposées au noviciat. Une autre de ses sœurs comprit même par la vue de son bonheur, combien il fait bon servir Dieu, et, ainsi gagnée à la vie religieuse, prit l'habit sous le nom de Marie de Saint-Emmanuel, le jour même où la Sr Marie-Anne de Jésus faisait profession.
Après ses vœux, le premier emploi de la jeune professe fut celui d'aide au pensionnat. On lui confia spécialement les enfants de cinq à six ans. Les soins qu'elle donnait aux élèves lorsqu'elle n'était qu'enfant elle-même, permettent de juger de ses attentions lorsqu'elle fut leur mère. Elle fit preuve dès lors d'un grand talent à discerner les différents caractères et d'une grande aptitude à les diriger vers le bien. Ses élèves, devenues grandes, conservèrent toujours le souvenir des leçons qu'elle leur avait données et firent germer les semences de vertus qu'elle avait si habilement déposées dans leurs jeunes cœurs.
Mais le vrai théâtre de sa charité fut l'infirmerie. La Sr Marie-Anne de Jésus en fut chargée pendant huit ans, il serait même plus vrai de dire que toute sa vie elle remplit cet emploi, car bientôt et jusqu'à sa mort elle fut le médecin de la communauté. Au dehors, sa réputation s'étendait très loin, et les pauvres comme les riches venaient au parloir la consulter et recevoir ses soins. Les aumônes que la reconnaissance attirait au monastère servirent en grande partie à payer les travaux qu'elle entreprit pendant ses différentes supériorités.
Née en 1698, cette Mère avait donc 42 ans au moment de sa première élection. Il semblait que ne se s'étant jamais occupée de la direction des constructions ni d'économat, elle ne dût pas y avoir beaucoup d'aptitude. Avec son grand sens pratique, elle prouva bientôt le contraire. Les principaux bâtiments du monastère étaient faits, mais aucun plan d'ensemble n'avait été suivi ; de là venaient de nombreuses incommodités pour la Communauté dans les différents emplois, même au chœur et à la sacristie. La Mère Bossinot réalisa des merveilles de transformation pour adoucir la fatigue à ses Sœurs. Elle alla jusqu'à inventer des ascenseurs, prévenant ainsi la mécanique moderne. Comme ses plans n'étaient pas d'ordinaire compris, qu'on ne voyait pas facilement les moyens de les réaliser, de fortes oppositions s'élevaient contre eux. Quand les travaux étaient terminés, que les avantages en étaient évidents, les contradictions se changeaient en témoignages de reconnaissance et d'admiration. La Mère puisait dans sa charité la force de ne pas se laisser arrêter par les premières, et dans son humilité celle de ne se point enorgueillir par les seconds.
Le grand acte de son deuxième triennat fut l'acceptation des nouvelles Constitutions. Elles venaient d'être approuvées par le grand Pape Benoit XIV. La Mère Bossinot, désireuse de la paix et de l'union, souffrait de l'espèce de scission qui existait dans l'Institut. Son tact et sa prudence lui firent profiter en 1745 de la nomination de Mgr Charles Guy le Borgne de Kermorvan pour opérer ce changement. Munie de l'autorisation de ce prélat, elle assembla le Chapitre, fit voir l'importance de l'union entre les différentes maisons de l'Institut, la nécessité de sacrifier ses vues particulières au bien général, et, comme conclusion, ajouta que pour arriver à cette fin, le mieux était de détruire les anciennes Constitutions. Toute discussion future serait ainsi prévenue.
Les vieilles Constitutions et les vieux Coutumiers lui furent donc remis et elle les fit brûler ; elle distribua les nouvelles qu'elle avait eu soin de se procurer. La Communauté reçut ces livres avec grande joie, et la Mère ne pensa plus qu'à faire bien observer ces statuts. Ses exemples, plus encore que ses paroles, y animaient les Sœurs. Il était difficile d'égaler son exactitude à observer les pratiques soit des Constitutions soit du Coutumier. Sa mémoire était assez ingrate, son désir d'être fidèle en tout et de se servir dans ses instructions des termes propres la fit s'astreindre à une étude longue et pénible.
A l'égard de la Communauté, sa conduite était une exacte copie de celle du divin Maître avec ses disciples : même bonté, même support, même indulgence, mêmes soins. Malgré la multitude des affaires dont son esprit était occupé, chaque Sœur pouvait croire qu'elle ne pensait qu'à ses besoins, tant sa sollicitude maternelle savait les prévenir à propos. Elle recommandait aux officières de donner abondamment le nécessaire pour le vivre et pour les vêtements. Elle distribuait elle-même les petites douceurs que les Supérieures ont coutume de donner à celles qui en font usage, et son affabilité et sa bonté ajoutaient un nouveau prix aux bienfaits. Aux approches de ses dépositions, elle s'informait avec soin auprès de ses filles de tous leurs besoins, pour leur éviter la peine d'être forcées de s'adresser immédiatement à la nouvelle Supérieure, avant de l'avoir connue. La maxime d'une religieuse de la Visitation était devenue la règle de sa conduite : « Une Mère chiche n'aura jamais de filles vraiment pauvres de cœur ». Si on lui représentait la nécessité de l'économie, la réponse de St Ambroise devenait la sienne, et elle faisait taire les murmures en disant : « J'aime mieux être accusée de prodigalité que de dureté. Quand le prochain nous fait une demande, il faut le satisfaire sans écouter la crainte de manquer. Dieu, en récompense de notre charité, saura bien y pourvoir. J'en ai toujours usé ainsi, et j'ai toujours eu assez pour satisfaire tout le monde ».
La Mère Marie Anne de Jésus a surtout montré son zèle à l'égard des Pénitentes. Il était inutile de lui représenter la pauvreté de la maison, la cherté des vivres, s'il s'agissait du salut des âmes. Le désir de les sauver ne se bornait pas à leur ouvrir les portes de la maison, elle visitait souvent ces chères brebis, leur parlait avec tant de bonté, de douceur, que les plus difficiles subissaient son influence. Le soin de leur nourriture ne lui échappait point, elle voulait qu'elle fût bonne, bien préparée, surtout dans leurs maladies. Alors, elle-même veillait à tous leurs besoins, et leur prodiguait des soins aussi habiles que tendres. Aussi, ces pauvres enfants ne l'appelaient que la Bonne Mère.
Au dehors du monastère ses aumônes ont fait l'étonnement et l'admiration de la ville. Les pauvres honteux, les jeunes orphelines trouvaient toujours près d'elle un secours assuré. Les nombreux malades qui réclamaient ses soins recevaient fréquemment la nourriture qu'ils ne pouvaient plus gagner. Si le monastère était incapable d'y suffire, ses amis étaient mis à contribution, et son empire sur eux les contraignait à s'exécuter de bonne grâce.
Nous avons déjà vu que les intérêts généraux de l'Institut lui tenaient fort à cœur. Dans sa seconde supériorité, elle en donna une nouvelle preuve, en venant généreusement au secours de la maison de Paris. Sa propre sœur, Marie de Sainte-Céleste Bossinot lui exposa l'urgent besoin où elle se trouvait ; la Mère Marie de Sainte-Anne s'empressa de lui envoyer trois religieuses. Son choix prouve la pureté de ses intentions aussi bien que son grand désintéressement. Il porta sur les Sœurs Marie Angélique le Gentil, Saint-Louis Georgelin et Saint-Jean-Baptiste Ribart, sujets très-capables de rendre les services qu'on attendait d'elles à Paris. Parties de Guingamp le 2 juillet 1753, ces Sœurs n'arrivèrent à leur destination que le 14 au soir. Ce voyage exigeait alors plus de jours qu'il ne demande d'heures aujourd'hui. Le récit qu'elles en font est plein d'une charmante simplicité. Il prouve qu'elles en supportèrent gaiement les fatigues et les ennuis. A Rennes, elles eurent la consolation de voir les Sœurs, et furent frappées des incommodités qu'offrait le monastère. A Paris, la situation se trouvait bien telle que la Mère Marie de Saint-Céleste l'avait dépeinte ; elles se mirent courageusement à l'œuvre et rendirent de grands services à cette maison.
Réélue en 1761, la Mère Bossinot eut la douleur de voir mourir à l'aumônerie le Supérieur du monastère venu pour présider cette élection ; Mgr de Kermorvan, qui constamment s'était montré un ami dévoué du monastère, le suivit peu après dans la tombe. Ces pertes, très-sensibles à la bonne Mère ne l'empêchèrent point de se livrer avec son activité et son habileté ordinaires, aux obligations de sa charge. Les dernières années de sa vie furent signalées par de grands travaux de réparations, par la reconstruction de la chapelle dédiée au Patriarche de l'Ordre, Saint-Augustin, par un redoublement de zèle pour l'œuvre du quatrième vœu. Malgré la gêne que causaient les réparations, elle recevait toutes les Pénitentes qui se présentaient. Nous croyons que c'est à cette époque qu'elles furent le plus nombreuses. Divisées en deux classes, elles durent passer la soixantaine.
Le pensionnat était aussi très florissant. Dans une lettre de 1764, les Sœurs disent elles-mêmes : « Les petites pensionnaires sont comme une fourmilière, notre communauté est si renommée pour l'éducation des enfants, qu'il nous en vient jusque du Nouveau-Monde. Nous avons cinq jeunes enfants du Mexique, qui sont sœurs ; une autre est de Cadix, en Espagne ». La même lettre donne le chiffre de soixante, qui, même aujourd'hui, serait considérable pour un pensionnat de petite ville.
A son arrivée dans son diocèse, Mgr de Cheylus voulut faire donner les exercices de la retraite à toutes les communautés. L'usage n'en était pas alors aussi général qu'aujourd'hui, la méthode devait en être plus compliquée, ou les prédicateurs moins exercés, car nous les voyons venir plusieurs dans des maisons qu'aujourd'hui un seul prédicateur suffit, fort bien à évangéliser. En 1763, les Pères Capucins, commencèrent ces pieux exercices, à Mont-Bareil, le premier dimanche de Carême, et durent les continuer une grande partie de ce saint temps.
Ils préparèrent utilement la communauté au sacrifice que Dieu allait bientôt lui demander. Déjà la Mère Marie de Sainte-Anne avait été frappée d'une attaque de paralysie un an après son élection. Elle s'était remise peu à peu de ce premier coup, et soutenue d'une sainte énergie, avait repris toutes ses occupations. Le 20 septembre 1763 elle fut atteinte d'une nouvelle attaque qui la priva de l'usage de la parole, et ne lui permit pas de recevoir le saint Viatique. Cette privation lui fut très-sensible. Parmi les paroles à peine intelligibles qu'elle s'efforçait de prononcer, on comprenait souvent celles-ci : « Je veux mon Dieu ». Mais son impossibilité d'avaler la priva de cette suprême consolation. Le 30 septembre, son âme alla s'unir à Lui. Elle était dans sa 64ème année.
Depuis la notice sur la Sr Marie de Sainte-Thérèse Allain, nous n'avons point parlé des nombreuses Sœurs décédées dans le monastère. Plusieurs de leurs vies offrent cependant de grands exemples de vertus. Les Annales mentionnent en 1759, la mort de la Sr Marie de Sainte-Gertrude Padelt, et disent qu'elle eut avec Notre-Seigneur des communications peu ordinaires. Il en est une qui rappelle celles de la Bienheureuse Marguerite-Marie. La Sr Marie de Sainte-Gertrude était un jour dans sa cellule occupée à une lecture de piété, lorsque, malgré ses résistances, le sentiment de la présence de Dieu s'imposa vivement à son esprit, et la força à tomber à genoux pour l'adorer. Alors une lumière extraordinaire lui fit voir tous les péchés de sa vie, dans leur grandeur et leur gravité. Pleine d'épouvante et en même temps d'une sainte confiance, elle s'écria : « Oh Seigneur ! s'il plaisait à votre divine Miséricorde de me pardonner ces péchés, je commencerais une vie nouvelle, et je ferais une sincère pénitence ».
Notre-Seigneur se présenta alors à elle, et tenant la main sur son divin Coeur ouvert, lui dit avec un incompréhensible amour :
« Quoi ! ma Fille, se pourrait-il que celui qui a souffert cette plaie, refusât de vous pardonner ».
Peu de temps avant sa mort, elle entendit cette même voix lui dire : Prépare-toi à la mort par l'amour et à l'amour par la mort. Ces premières paroles résument bien sa vie, tout entière consacrée à l'amour divin. Poète remarquable elle l'avait chanté, et s'en était rendue digne par son admirable candeur.
CHAPITRE VI.
Supériorité de la Mère Marie de Sainte-Thérèse Fouquet, de 1763 à 1770. — Première supériorité de la Mère Marie du Cœur de Jésus le Gentil, 1770-1776.
Peu après la mort de la Mère Bossinot, son assistante, sa charitable infirmière dans sa longue maladie fut choisie pour lui succéder. Cette Sœur appartenait aussi à une famille riche de Saint-Malo. Elevée au pensionnat elle prit l'habit à seize ans. Elle avait passé par tous les emplois et était âgée de cinquante et un ans lorsqu'elle fut placée à la tête de la Communauté. Son gouvernement fut la continuation du précédent. Les travaux déjà préparés furent achevés surtout ceux du chœur des Sœurs.
A cette occasion, un acte de dévotion envers la Sainte Vierge et de charité envers une pauvre Pénitente fut merveilleusement récompensé. La veille de l'Annonciation 1764, une pauvre fille, à l'air peu intelligent, vint demander à être reçue. En l'honneur de la fête du lendemain, elle le fut gratuitement. Bientôt on découvrit en elle toutes espèces de talents. Elle entreprit, entre autres travaux de nettoyer les tableaux de l'église et y réussit très heureusement. Mais alors la Communauté s'aperçut que les poutres du chœur étaient pourries et la menaçaient des plus graves accidents. C'est ce qui décida à en refaire la voûte.
En 1766, Mgr de Cheylus fut nommé à l'évêché de Cahors et remplacé la même année par Mgr de la Royère. Ce prélat présida la réélection de la Mère Fouquet en 1767. Bon juge de l'esprit intérieur et religieux, il conçut la plus haute estime pour les Sœurs de Mont-Bareil. Suivant les habitudes de la plupart de ses prédécesseurs, il descendait au monastère quand il se trouvait à Guingamp, et voulait toujours voir toutes les Sœurs.
A cette époque la mort d'un confesseur fut une grande épreuve pour la Communauté. Les Annales parlent souvent du petit nombre de prêtres du diocèse de Tréguier. Ce fait étonne dans une population aussi profondément chrétienne, il doit tenir à ce que les séminaires n'étaient pas bien organisés et peut-être aussi déjà aux mauvaises doctrines qui commençaient à se répandre partout. La Communauté elle-même s'en ressentit ; les vocations y diminuèrent beaucoup et elle se vit dans la nécessité de rappeler deux des Sœurs qu'elle avait envoyées au secours de la maison de Paris, les Sr Marie-Angélique le Gentil et Saint-Louis Georgelin.
En 1770, le monastère éprouva une grande joie : Mgr de la Royère vint célébrer pontificalement la fête du Saint-Cœur de Marie. Les Sœurs en furent surtout heureuses par la pensée que la solennité de cet office ranimerait la dévotion du peuple. En effet, l'assistance fut fort nombreuse et des plus distinguées. Depuis longtemps, les Sœurs, voyant les crimes se multiplier en France, faisaient tous les vendredis des actes de réparation au divin Cœur de Jésus. Elles s'associaient ainsi à ce qui se faisait à Caen et ailleurs.
Cette joie fut suivie d'une grande épreuve. Une épidémie sévit sur toutes les Sœurs et en retint le plus grand nombre plus de vingt jours au lit avec une très forte fièvre. La médecine ne comprenait rien à cette maladie et de nouveau le bruit se répandit dans la ville que la peste était à Mont-Bareil. Quelques parents prirent peur et retirèrent momentanément leurs enfants. Une seule cependant fut atteinte. Les classes des Pénitentes furent entièrement préservées.
La déposition de la Mère Fouquet eut lieu cette même année et cette Mère n'y survécut que quelques mois. Depuis vingt ans elle souffrait d'un cancer. Au milieu de cette longue épreuve, elle avait rendu des services sans nombre au monastère et continuellement observé la régularité la plus parfaite. Sentant sa fin approcher, elle demanda les derniers Sacrements et expira au moment où le prêtre finissait de lui appliquer l'indulgence de de la bonne mort, le 14 juin 1771.
Mgr de la Royère présida l'élection ; la Mère déposée en rend ainsi compte elle-même au monastère de Tours :
« Le Sacré Cœur de Jésus soit à jamais loué et adoré de la grâce qu'il vient de nous faire en nous accordant une Mère qui porte son nom et qui en a les qualités : bonté, affabilité, esprit religieux, en un mot tout ce que nous pouvions désirer.
Le jour où ce bon Sauveur nous a fait- ce don nous le fait encore apprécier, car c'est le premier vendredi du mois que notre élection a eu lieu, Mgr n'ayant pu venir au jour fixé par la Règle. Il n'est même venu qu'à cause du grand intérêt qu'il nous porte. Nous lui avons aussi donné la consolation de voir nos suffrages se porter sur le plus digne sujet, c'est la seconde de nos trois chères Sœurs le Gentil. Cette chère Mère a passé par tous les emplois et partout elle a su se faire aimer.
Vous comprenez que la joie est universelle dans la maison et au dehors. L'union recommandée entre les Supérieures et les Déposées ne sera pas difficile entre nous. Ce ne sera que la continuation de celle qui nous a unies jusqu'ici. Nous avons en effet les liens du sang, de l'amitié et de la religion. C'est ma cousine germaine, et nous avons fait ensemble notre première communion, notre entrée dans cette maison et au noviciat, notre prise d'habit et notre profession. Elle a porté avec moi le poids du gouvernement en qualité d'Assistante pendant toute ma Supériorité, et m'a rendu des services que je ne puis assez reconnaître, et toujours avec une humilité, une charité et une amitié qui m'en ont adouci le fardeau ; je pouvais me reposer sur elle dans mon infirmité ».
La nouvelle Mère était donc de Saint-Malo, comme les précédentes ; elle était âgée d'environ cinquante-huit ans, mais d'une santé qui lui permettait d'assister à tous les exercices. Son caractère était doux, gai et aimable. Son éducation très soignée lui permettait de parler et d'écrire avec une grande aisance. Aussi il lui était très facile de rendre intéressantes ses exhortations et même ses conversations.
C'était le temps du jubilé accordé par Clément XIV après son élection. Mgr de la Royère se mit lui-même à la tête des prêtres qui prêchaient ces saints exercices. C'est ainsi qu'il donna quelques instructions à la Communauté et aux Pénitentes. Aux Sœurs, il commenta la règle des Pénitentes. L'article sur la méditation lui parut le point le plus important, et il voulut lui-même en régler la forme. Son désir eut été que les maîtresses eussent fait l'oraison tout haut, comme il se pratique dans les retraites. Il fut facile de lui faire comprendre combien cet exercice deviendrait avec le temps onéreux à beaucoup de Sœurs et impossible à un grand nombre. Il fut convenu que la lecture du sujet se ferait deux fois, et que la conclusion s'en ferait par les actes de l'exercice spirituel. Les Pénitentes en retirèrent beaucoup de profit, et il fut bien prouvé, comme Sa Grandeur l'affirmait, que ces âmes étaient bien plus capables de méditer qu'on ne le pensait généralement. C'est en suivant les conseils du prélat que les maîtresses les préparèrent elles-mêmes à recevoir avec beaucoup de fruits les grâces du jubilé. Le manque de prêtres ne permit pas, en effet, de leur donner des prédicateurs.
C'est vers cette époque que le monastère put réaliser un désir formé depuis longtemps et renoncer à recevoir de grandes pensionnaires ou dames en chambres. Il ne garda plus que celles qui y étaient placées par ordre du roi.
Peu après la réélection, en 1773, de la Mère Marie du Cœur-de-Jésus, Mgr de la Royère fut transféré à l'évêché de Castres. Ce départ fut une vraie perte pour le couvent. Ce prélat l'avait comblé de bienfaits de toutes sortes et y avait fondé deux places de Pénitentes. Avant de quitter son siège, il voulut former avec la maison un contrat d'association de prières et de bonnes œuvres. La mort priva aussi le monastère de Mme le Gentil, mère de la Supérieure et de ses deux sœurs. Dans les embarras financiers, fréquents alors, cette dame était la ressource des économes ; ses dons ne se peuvent compter.
Le successeur de Mgr de la Royère, Mgr Frétat de Sarra, entreprit, peu après sa prise de possession, la visite canonique des communautés de son diocèse, et commença par celle de Mont-Bareil. Ce prélat fut heureux de trouver la règle bien observée, l'obéissance respectée et la pauvreté pratiquée. Les Sœurs, de leur côté, fondaient les plus grandes espérances sur la bonté de l'Evêque, lorsque, moins de deux ans après, il fut transféré à Nantes. Ce ne fut pas seulement à Notre-Dame-de-Charité que ce prélat laissa de vifs regrets ; ses aumônes et sa bonté lui avaient gagné le cœur de son peuple.
Mgr de Lubersac, aumônier de Mme Sophie, tante de Louis XVI, prit alors possession de Tréguier. Sa charge près de cette princesse l'obligeait à passer au moins six mois à Paris. Il était facile de prévoir qu'il n'occuperait pas longtemps ce siège perdu au fond de la Bretagne. Ces mutations d'évêques trop fréquentes étaient très préjudiciables au diocèse et ne laissaient pas de causer beaucoup d'embarras au monastère, qui, ordinairement, les recevait pendant leur séjour à Guingamp.
Quelques mois avant sa déposition, le 1er janvier 1776, la Mère Marie du Cœur-de-Jésus ferma les yeux à la respectable Sr Marie de l'Assomption le Démour. Pendant trente-deux ans, elle fut ou Supérieure ou Directrice du noviciat. A l'âge de soixante-dix-neuf ans, quatre ans avant sa mort, elle occupait encore cette dernière charge. Lorsque, sur ses instantes prières, elle en fut déchargée, elle se livra avec bonheur aux délices de la vie cachée et à tous les exercices de l'humilité.
Ce ne fut qu'un mois avant sa mort qu'elle consentit à habiter l'infirmerie. En y entrant, elle dit à l'infirmière qui avait été sa novice : « Je me remets entre vos mains, mon enfant, disposez de moi comme vous voudrez ». Sa conduite prouva encore mieux qu'elle savait pratiquer la maxime que si souvent elle avait enseignée aux autres :
Dieu ne reconnaît pas les Saints - A des marques frivoles ;
Il veut les œuvres de leurs mains, - Et non pas leurs paroles.
Cette bonne Mère ne demandait jamais rien, et lorsqu'on était assez heureux pour comprendre et prévenir ses désirs, elle disait : « Voyez combien notre Dieu est bon, j'avais envie de cela et voilà qu'on me le donne ».
A partir de son entrée à l'infirmerie, sa santé devint de plus en plus mauvaise, et sa faiblesse fit bientôt présager une fin prochaine. Elle reçut les derniers Sacrements avec les sentiments de la foi la plus vive et de l'humilité la plus profonde. Son plus grand bonheur eût été de recevoir la sainte communion plus souvent qu'il n'était alors d'usage de la donner aux malades. L'aumônier consentit à la lui apporter à minuit, le 1er janvier. Cette promesse la combla de joie. Plusieurs fois, pendant la nuit, elle demanda avec une sainte impatience quelle heure il était. Vers onze heures, sa faiblesse fit craindre qu'elle ne pût communier, on le lui exprima. Elle répondit : « Il est vrai, je suis bien mal, mais j'aurai mon Dieu, oui, oui, je l'aurai ». Elle le reçut, et les effets de cet auguste sacrement parurent se refléter sur son visage.
Dans la journée, elle s'unit encore aux prières qu'on faisait pour elle. Des aspirations comme celle-ci : Ostende nobis faciem tuam, venaient fréquemment sur ses lévres. Elle s'éteignit enfin vers trois heures de l'après-midi, sans qu'on pût s'apercevoir de son dernier soupir. Ses lèvres restèrent si vermeilles qu'il était difficile de se persuader de la réalité de sa mort. Lorsqu'elle fut exposée dans le chœur, beaucoup de personnes vinrent la vénérer comme une sainte.
La Sr Marie de Saint-Charles le Demour ne lui survécut que treize jours ; sa mort renouvela l'affliction des Sœurs.
Des pertes matérielles, provenant de la réduction des rentes, se joignirent à ces peines et mirent la Communauté dans une grande gêne. Aux yeux du monde, la suppression des grandes Pensionnaires la faisait passer pour riche. On ne comprenait pas que l'amour seul de la régularité avait fait prendre cette détermination et la faisait maintenir. C'est au milieu de ces épreuves qu'arriva la fin de la supériorité de la Mère Marie du Cœur-de-Jésus.
CHAPITRE VII.
Gouvernements successifs des Mères Marie-Angélique et Marie du Cœur-de-Jésus le Gentil, 1776-1792. — Suppression du Monastère.
Des trois sœurs le Gentil, le lecteur connaît déjà la seconde. L'aînée, Marie de l'Ange Gardien, avait un talent très prononcé pour la direction du temporel, aussi en a-t-elle presque toujours eu la charge. La jeune, Marie-Angélique, réunissait les talents et les vertus de ses deux aînées et y joignait d'autres qualités qui en ont fait une supérieure accomplie.
Elle fut élue pour succéder à sa sœur. Ses lettres et plusieurs relations des Chapîtres qu'elle a tenus, montrent que l'éducation était vraiment distinguée à Mont-Bareil. Après sa profession, elle avait été employée au pensionnat pour communiquer aux autres ce qu'elle y avait si abondamment reçu. En 1753, la Mère Bossinot l'envoya à Saint-Michel de Paris, et bien qu'elle n'eût que vingt-huit ans, elle fut assistante et directrice.
Un de ses premiers soins après son élection fut de préparer la fête du centenaire de la fondation du monastère. Elle eut lieu le 21 novembre. La disette de prêtres, et plus encore la difficulté avec laquelle Mgr de Tréguier accorda d'exposer le Saint-Sacrement, ne permirent pas à la Mère Marie-Angélique de donner à cette fête toute la solennité et toute la durée qu'elle aurait désiré. Le Pape concéda plus facilement une indulgence plénière. Elle fut étendue à tous les fidèles qui visiteraient la chapelle, et prolongée aux sept années suivantes à pareil jour. Le Prieur des Dominicains fit le sermon et s'attacha à montrer l'excellence de l'Institut. L'éloge qu'il fit du Vénérable Fondateur fut très remarqué ; il s'étendit aussi longuement sur le mérite des premières Mères et sur l'obligation pour les religieuses actuelles de marcher sur leurs traces. L'illumination du chœur fut de fort bon goût et eut l'avantage d'être très admirée.
Après cette fête, le temps de la supériorité de la Mère Marie-Angélique n'offre pas à l'extérieur de faits saillants. En 1777, la chûte d'un mur d'enceinte, occasionnée par un épouvantable orage, exposa longtemps la clôture à être violée. Dans cette circonstance, le sentiment profondément religieux du peuple et la haute idée qu'il avait des Sœurs les mirent à l'abri de bien des vexations.
A cette même date, la mort d'une Pénitente sans signes bien certains de repentir fut pour la communauté une épreuve plus pénible. On aime à lire le détail des prières et des mortifications que les Sœurs s'imposaient dans ces tristes occasions. Ce fait nous prouve que le zèle pour l'observation du quatrième vœu se maintenait dans toute son ardeur. Cette Pénitente fut enterrée dans l'intérieur de la clôture. Depuis vingt-cinq ans ce droit avait été refusé aux Sœurs par les curés. Cette triste mort fut une éloquente prédication pour les compagnes de cette malheureuse. Plusieurs, par crainte d'une fin semblable, rentrèrent en elles-mêmes et Dieu sut ainsi tirer le bien du mal.
La communauté fut exposée en 1779 à tous les ennuis que donne le passage des troupes. La guerre avec les Anglais nécessita constamment la présence d'un grand nombre de soldats à Guingamp. Plusieurs communautés furent obligées de les loger ; d'autres virent une grande partie de leurs bâtiments et même leurs églises réquisitionnés comme magasins pour les approvisionnements de vivres. Plusieurs fois Mont-Bareil eut des craintes sérieuses. Tantôt les intendants voulaient prendre le pensionnat, tantôt le logement des Pénitentes ; une fois même ce fut la chapelle. Mgr Le Mintier, nouvellement nommé à l'évêché de Tréguier, appuya les réclamations de la Mère Angélique, et le monastère fut préservé de ces graves servitudes.
Les Annales, parlant des travaux entrepris dans le monastère, disent souvent la part intelligente et active qu'y prit un bon domestique. Ce fidèle serviteur fut de longues années au service du couvent et y mourut pieusement en 1782. On lit avec bonheur dans les Annales les témoignages de reconnaissance donnés à ces humbles personnages.
Nous citerons encore la mort d'une agrégée, Marie Nicolas, qui servit pendant trente-cinq ans la communauté, sans intérêt personnel et par pur attachement. Dans de nombreuses circonstances, la vertu de cette servante alla jusqu'à l'héroïsme. Elle en donna surtout des preuves par sa patience à supporter l'horrible cancer qui la rongeait. Au moment de la mort, elle put se rendre à elle-même ce beau témoignage, ratifié par toutes les Sœurs : « J'ai rendu mon service en toute justice, ne m'abandonnez pas après ma mort ». Un jour, elle avait dit avec simplicité, touchée des soins qu'on lui donnait : « Quand je serai morte, il n'y aura plus de malade à l'infirmerie, j'emporterai tous les maux avec moi ». Effectivement, après son décès, arrivé en 1787, on n'y vit pendant assez longtemps qu'une Sœur paralysée.
L'histoire de cette humble fille nous fournit un renseignement important sur les travaux des Pénitentes. Marie Nicolas était à la tête de la manufacture des étoffes ; seule, elle savait tisser toutes celles qui s'y fabriquaient. Les travaux à l'aiguille sont si peu rémunérés qu'il y aurait avantage à suivre l'exemple des Sœurs de Guingamp et à installer quelque industrie sérieuse dans chaque maison.
L'état du noviciat à la fin de la supériorité de la Mère Marie-Angélique est peut-être la meilleure preuve de la sagesse de son gouvernement. Il se composait de quinze novices ou postulantes, au moment où toutes les communautés se plaignaient de ne trouver aucune vocation. Toutes auraient volontiers accusé celle de Notre-Dame-de-Charité de les accaparer. Dans le monde on disait que Mont-Bareil était le couvent à la mode. Sa régularité et sa ferveur lui méritaient seules cette réputation. Puissent tous les monastères la posséder à ce prix
En 1782, la Mère Marie du Cœur-de-Jésus reprit les rênes du gouvernement. Peu après son élection, elle fit donner des retraites à toutes les classes par un saint prêtre, qui joignait les travaux du missionnaire à ceux du ministère paroissial. Les Sœurs faisaient grand cas de ces bonnes fortunes, « car, disaient-elles, Dieu nous a établies en ce pays comme sur la montagne de Gelboé où l'on ne trouve, en temps ordinaire, presque pas de secours spirituels, même du côté des confesseurs ».
Elles en changèrent, en effet, quatre en peu de temps. Mgr Le Mintier, successeur de Mgr de Lubersac, transféré à Chartres, les en plaisantait agréablement en disant : « Ces changements vous font honneur, puisque le titre de directeur à Mont-Bareil semble en être un pour parvenir à un poste plus élevé ».
Les classes des Pénitentes furent éprouvées bien cruellement en 1784 par le scorbut. Quatre morts s'en suivirent, trois furent des plus édifiantes. L'une de ces personnes avait passé quarante ans dans la maison. Amenée au couvent parce que, comme plusieurs autres, elle s'adonnait à la boisson, elle en devint l'édification par sa piété et sa reconnaissance. Ce défaut trop commun en Bretagne est un des plus difficiles à corriger. Nous voyons par cet exemple que la grâce peut en triompher.
Les maîtresses succombèrent aux fatigues causées par cette cruelle maladie, et, victimes de leur dévouement, virent elles-mêmes leur vie en danger.
Cependant une nouvelle épreuve attendait les Sœurs. Le faible et bon Louis XVI commençait à se laisser dominer par des ministres philosophes qui peu à peu préparaient la Révolution. Au lieu de surveiller les loges maçonniques où se tramaient la mort du roi et la destruction de la monarchie française, ils faisaient sévèrement inspecter de pauvres couvents.
En cette année, les autorités civiles de Guingamp vinrent pour la première fois interroger les Pénitentes sur les motifs de leur détention. Le subdélégué du district employa toute une journée à cette enquête. Il se retira étonné de n'avoir entendu aucune plainte contre la maison. A la suite de cette visite, il fit cependant sortir cinq personnes que la police y avait mises par lettre de cachet, en outre une jeune demoiselle normande, tellement imbue des idées jansénistes, qu'après un séjour de cinq ans dans le couvent, on ne put la décider à communier qu'aux Pâques qui précédèrent son départ. Ses bonnes dispositions en cette occasion le firent regretter davantage.
Bien que de la province, Mgr Le Mintier donnait peut-être à la Communauté moins de preuves sensibles d'intérêt que ses prédécesseurs ; sa vie était retirée, il voyageait peu et s'occupait beaucoup de la formation de son clergé. D'après l'histoire même des Sœurs, c'était certainement le besoin le plus urgent. En 1785, ce prélat vint cependant avec une grande bonté présider une élection. La Mère Marie-Angélique fut élue. Dieu semblait l'avoir choisie providentiellement pour diriger ses Sœurs dans les temps difficiles qui allaient venir. Au commencement de son nouveau gouvernement, elle vit sa Communauté fortement éprouvée par la maladie et par la mort de plusieurs Sœurs : elle-même fut atteinte et donna de vives inquiétudes à ses Filles. Dieu, pour consoler la Communauté de ces pertes, lui donnait de nombreuses et ferventes novices. Les lettres de Communauté sont pleines des éloges de ces jeunes Sœurs. Leur courage au milieu de la tourmente révolutionnaire, leur attachement à la vie religieuse prouvent qu'elles les méritaient.
Ces années furent très dures pour la France entière. La rigueur des hivers, la sécheresse et la famine y furent cause de grandes souffrances, et les meneurs révolutionnaires s'en servirent habilement pour arriver à leurs fins. Mont-Bareil eut part à toutes ces calamités. La petite ville de Guingamp, ordinairement si tranquille, sembla déjà, en 1786, agitée d'un mauvais souffle. Un mari, pour de justes raisons et après avoir accompli toutes les formalités légales, avait mis sa femme au couvent. Les compagnes de cette malheureuse vinrent en tumulte la réclamer. Les parloirs furent envahis, remplis d'ordures, les meubles brisés ; le mari, qui s'y était réfugié, vit sa vie sérieusement menacée : le monastère ressemblait à une ville assiégée. C'est â grand'peine qu'un domestique put sortir pour aller prévenir la police. Ces désordres avaient duré plus de deux heures. La femme qui en avait été la cause fut reprise par son mari. La lettre qui raconte ce fait continue :
« Notre Vénérable Instituteur veut que toutes nos facultés de corps et d'âme soient employées au service de nos Pénitentes ; nous croyons qu'il prie Dieu au ciel de fournir matière à notre zèle, surtout à l'égard des personnes adonnées à la boisson.... La vie et la mort édifiantes de celles qui restent un certain temps dans la maison, nous dédommagent des soucis et des embarras causés par les autres ».
« En septembre, une de ces femmes qui était parmi nous depuis quarante ans, est morte dans l'exacte pratique de sa règle. Rien de plus consolant que ses derniers moments. Elle nous fut enlevée en cinq jours. C'est une grande perte pour nous, à cause des services qu'elle rendait tant à la manufacture qu'aux lessives. Elle y apportait beaucoup d'esprit d'économie, étant remplie de zèle pour les intérêts de la Communauté ; elle avait aussi l'esprit de piété et de crainte de Dieu ».
Un feu de cheminée mit, en cette année 1786, le monastère en grand péril d'être entièrement incendié. L'estime dont jouissaient les Sœurs se montra dans cette occasion. Le subdélégué et tous les Messieurs de l'Hôtel-de-Ville furent les premiers à accourir à leur secours ; ils portèrent la délicatesse jusqu'à ne laisser entrer que les personnes utiles. Les Sœurs elles-mêmes conservèrent leur calme et leur sang-froid, et l'Annaliste relate une plaisanterie des jeunes gens que l'aventure amusait, surtout quand le danger fut passé ; ils se disaient les uns aux autres : « Nous ne pourrons donc pas les entendre se gronder ? ». Ils n'eurent pas en effet ce plaisir, car chaque Sœur allait à son poste sans trouble et sans confusion.
« La fête du divin Cœur de Jésus (le 20 octobre 1786) fut solennisée parmi nous, disent les Sœurs, avec une joie sensible. Nous eumes la visite de deux de nos Pères Eudistes de Rennes. L'un officia et l'autre prêcha. Nous nous figurions voir et entendre notre Vénérable Instituteur nous animant lui-même à cette belle dévotion qui lui était si chère.
L'un d'eux, le Père le Fevre, resta jusqu'à la Toussaint, et fit une retraite à nos Pensionnaires. C'était chose si rare pour nous de voir quelque membre de cette Congrégation que nous nous en faisions une fête ».
Les décrets de 1788, sur les maisons de Repenties, furent douloureusement ressentis dans la maison de Guingamp comme dans toutes celles de l'Institut. La Mère Marie-Angélique fut obligée de signer deux fois sa soumission aux ordres de la Cour. Elle montra tant de sagesse et de modération au milieu de toutes ces grandes contradictions que les commissaires l'admirèrent et en furent édifiés.
A partir de ces fâcheux décrets, les visites du subdélégué se multiplièrent. S'il y mettait des manières polies et honnêtes, plus apparentes que sincères, le résultat n'en était pas plus favorable. Un jour il se fit conduire dans les appartements des Pénitentes et examina leur nourriture ; puis il voulut les voir une à une au parloir, prit leurs nom et prénoms et se retira sans faire connaître ses résolutions.
Sur son rapport, l'Intendant ordonna d'en mettre dix-sept en liberté. Cet ordre fut transmis à la Supérieure la veille du Saint-Cœur de Marie. Elle en fut profondément affligée : « Hélas, disait-elle, faut-il que tout conspire à nous détruire le jour même où nous avons été établies ?... ». L'Intendant consentit cependant à surseoir au lendemain, mais il en parla en ville, et le lendemain il y avait foule devant le monastère ; on était venu jusque de la campagne pour jouir de ce spectacle nouveau. Ce public plus ou moins bienveillant fut un peu déçu dans sa curiosité malsaine. Sept Pénitentes seulement consentirent à sortir. Il n'y eut plus ainsi, comme l'exigeaient les décrets, que des Pénitentes volontaires.
Celles-ci racontèrent alors les interrogations du subdélégué. Il avait voulu connaître le motif de leur entrée. Elles répondirent presque toutes : « Mon confesseur le sait, je n'en dois pas l'aveu à d'autres ». — Une qui venait d'arriver, interrogée si elle voulait s'en aller, répondit : « Eh ! pargois, Monsieur, à peine suis-je dedans ! Non, par ma foi, je ne veux point m'en aller. — Sans doute, ajouta-t-il, c'est pour votre inconduite, et pour telle et telle chose que vous êtes ici. — Vous ne savez que cela ? dit-elle, il y en a bien d'autres ». Et tournant le dos elle s'en alla.
Etant sortie quelque temps après, elle retomba dans ses vices, et, prise de vin, alla faire à ce subdélégué une visite si contraire à la politesse, que, peu après, il la fit enfermer à la prison de Rennes.
Ces inquisitions vexatoires et beaucoup d'autres faits semblables jetaient l'inquiétude dans tous les cœurs, mais les meneurs s'en réjouissaient, et bon nombre de gens peu clairvoyants s'enthousiasmaient des espérances que faisait concevoir le nouveau régime. A Guingamp, on fit des réjouissances publiques en témoignage d'adhésion à tout ce qui avait été décrété. Comme dans la plupart de ces occasions, la joie fut loin d'être spontanée ; en effet, on donna de l'argent aux enfants pauvres pour les faire crier : Vive le Roi ! Vive le Parlement ! Plus de Bailliage ! Ce dernier mot n'avait pas grande signification pour ces pauvres petits innocents, ils se trompèrent et crièrent : Plus de mariage !
Ces scènes comiques préparaient les grandes tragédies de la Révolution. Comme elles prouvent bien l'incapacité pour les peuples d'acquérir de l'expérience ! A cent ans de distance, ne voyons-nous pas la même situation d'esprit, les mêmes faits et la même sottise ?
Après l'Ascension 1788, la Communauté réélut unanimement la Mère Marie-Angélique. Elle fut seule à s'en attrister, car elle sentait parfaitement toutes les responsabilités qui allaient lui incomber. Malgré la réduction du nombre des Pénitentes et du Pensionnat, il y avait encore cent trente-six personnes dans la maison, et il fallait guider tout ce personnel au milieu des périls de toute sorte.
Le 13 février 1790, l'Assemblée nationale vota la suppression des Ordres religieux et des vœux monastiques, et déclara tous leurs biens, comme ceux du clergé, propriété de la nation. A Guingamp, ces décrets ne furent pas immédiatement communiqués et appliqués aux Sœurs. Dans les premiers mois de 1791, des novices eurent encore le courage d'offrir leur sacrifice au Seigneur.
En mai de cette année, une élection n'était plus possible ; la Mère Marie-Angélique continua ses fonctions.
L'administration épiscopale était désorganisée par la Constitution civile du clergé. Le décret du 27 novembre 1790 déclarait que les Evêques et les Curés qui n'auraient pas prêté le serment étaient censés avoir renoncé à leurs fonctions. Mgr Le Mintier se montra admirable de fermeté, comme il s'était montré admirable de régularité. Traduit devant l'Assemblée nationale pour une lettre sur les maux de la France, il se défendit avec calme et énergie, ne craignit pas de dire à ses juges : « Si aujourd'hui on prend nos biens, pourquoi demain ne prendrait-on pas les vôtres ? ». Obligé de fuir un jour d'émeute, il se cacha quelque temps au château du Bois-Riou, puis émigra à Jersey et enfin en Angleterre, où il mourut en 1801.
Le confesseur de la Communauté était, au contraire, un homme faible ; il dit un jour aux Sœurs : « Si vous apprenez que j'ai prêté le serment demandé, ne m'imitez pas ». Il donna, en effet, ce triste exemple, et à partir de ce moment cessa ses fonctions au couvent. Plus tard, sa rétractation ne put lui faire recouvrer l'estime publique qu'il avait perdue.
L'émigration de l'Evêque et d'un grand nombre de prêtres, la défection de leur aumônier, firent comprendre aux Sœurs la grandeur du péril, sans leur faire cependant quitter leur saint asile. La plus pénible de leurs croix fut de rester ainsi dix mois en clôture sans pouvoir entendre la messe ni approcher des sacrements.
« Cependant, disaient-elles plus tard, Dieu nous soutenait intérieurement de sa grâce ; il se fit un si grand changement dans nos âmes que nous ne péchions plus. Nous étions calmes et abandonnées à toutes les volontés de Dieu. Chaque jour nous sentions croître notre amour pour la sainte Eglise et nous aurions préféré mourir que de faire le serment demandé. L'union régnait au milieu de nous et nous n'eumes aucune malade pendant ces dix mois ».
Après cette longue privation, les Sœurs purent faire entrer secrètement un prêtre dans le monastère et jouir chaque jour du bonheur de s'approcher des sacrements.
Mais cette jouissance était mêlée de bien des alarmes. Les visites domiciliaires devinrent fréquentes, à partir de l'année 1791. Les agents de la République arrivaient à l'improviste, et alors il fallait user de beaucoup d'adresse pour faire disparaître ce qu'on ne voulait pas leur montrer ou leur laisser prendre. La Sr Marie de Sainte-Pélagie, la seconde économe, excellait dans ce difficile manège. Elle avait l'adresse d'amuser les citoyens visiteurs et savait les mener au même lieu par des chemins différents. Un jour, leur gloutonnerie, vivement excitée par deux beaux habitants de la basse-cour, fut habilement trompée. Elle fit disparaître ces animaux et trouva le moyen d'éluder les questions qu'ils lui firent à ce sujet.
Un des premiers soucis de tous ces citoyens fut évidemment d'offrir la liberté aux Pénitentes ; mais, à leur grand étonnement, elles répondirent toutes qu'elles étaient volontairement dans la maison et qu'elles ne voulaient point en sortir. Ils surent alors qu'il y en avait une en cellule, c'était une espèce de folle : pour celle-ci au moins, dirent-ils, elle ne refusera pas sa liberté. Quelle ne fut pas leur surprise lorsque cette pauvre fille, les regardant d'un air égaré, ne répondit à leurs offres que par de grossières injures, et voulut même jeter sa chaussure à la tête de celui qui lui adressait la parole. Effrayé, il dit à la Sœur : « Fermez vite la porte, citoyenne, elle est bien là ».
La Supérieure, prévoyant une expulsion, fit porter chez des amis les objets de première nécessité. Les papiers les plus importants furent confiés à un fidèle domestique. Mais cet homme pris de peur les brûla peu après. Ainsi une quantité de documents du plus grand intérêt ont disparu pour toujours.
Les sbires révolutionnaires, connaissant la piété des Sœurs, sachant qu'elles avaient préféré fermer leur chapelle plutôt que d'y recevoir un prêtre jureur, soupçonnaient bien que dans le monastère devait se cacher quelque ministre fidèle. Un jour, au moment où l'on s'y attendait le moins, une colonne mobile vint bruyamment demander à voir s'il n'y avait pas de calotins dans la maison. La Sr Marie de Sainte-Pélagie donna le signal convenu dans ces critiques occasions. Mais le prêtre, dans la précipitation de sa fuite, se trouva prêt à descendre l'escalier que montaient les inquisiteurs. Il retourna alors sur ses pas et se mit derrière la porte du grenier, attendant ce que Dieu déciderait de lui. Le chef de la bande le vit ; il entra le premier, se plaça devant la porte ouverte, fit bien chercher, puis donna l'ordre de descendre. En fermant la porte, ce brave homme, égaré au milieu de coquins, serra la main de l'ecclésiastique en lui disant fort bas : « Tu l'as paré belle ! ». Pour l'honneur de l'humanité, il faut dire que, dans ces temps de sang et de carnage, ces faits ne furent pas absolument rares.
Dans la dernière visite, les Sœurs reçurent ces terribles inquisiteurs, rangées au réfectoire, comme pour le Benedicite. Ce spectacle nouveau tint un instant respectueux ces hommes farouches, mais bientôt la cupidité reprit le dessus, et ils s'emparèrent des cuillères d'argent. Ils étaient trop honnêtes gens pour le faire en leur nom, ce fut donc au nom de la République que les Sœurs furent volées. La Sr Sainte-Pélagie, avec sa décision ordinaire, mit la sienne dans sa poche, en leur disant spirituellement : « Vous me devez bien ce dédommagement pour le temps que je mets à vous promener ».
Ce jour-là, les agents firent l'inventaire de tous les meubles de la maison. Les Sœurs parvinrent à soustraire à leur profanation les objets de dévotion qu'elles sont heureuses de posséder encore. En parcourant la maison, ces commissaires vinrent à l'infirmerie où se trouvait une Sœur en enfance, dont la pieuse manie était de donner continuellement sa bénédiction, elle en gratifia ces citoyens. Ils savaient se rendre justice les uns aux autres, aussi l'un d'eux se tournant vers son voisin, prêtre jureur, lui dit : « Sa bénédiction vaut bien la tienne ».
Le lendemain, arriva l'ordre d'évacuer le monastère dans les vingt-quatre heures. Cet ordre fut remis à la Mère Supérieure pendant la récréation. Elle pâlit, mais fut assez maîtresse d'elle-même pour continuer la conversation jusqu'à l'obéissance, où elle fit connaître la fatale nouvelle à la Communauté réunie.
Malgré les longues souffrances déjà supportées, la perspective de cette dispersion consterna tous les cœurs.
Le 2 octobre 1792 eut lieu la déchirante séparation. Les Pénitentes, en pleurs, se traînaient sur leurs genoux, et demandaient aide et protection à leurs bonnes Mères ; les Sœurs, tout en larmes, se faisaient leurs adieux. La Mère Marie-Angélique le Gentil, relevait les courages et disait : « Un seul moment de la vue de Dieu nous consolera bien de ce que nous souffrons aujourd'hui ».
L'ordre de la République défendait de se réunir. La plupart des Sœurs rentrèrent donc dans leurs familles.
Deux d'entre elles, les sœurs Ladvenant, n'en avaient pas ; ne voulant, par une délicatesse excessive, être à charge à personne, et s'abandonnant à la divine providence, elles marchèrent devant elles au sortir de la ville. Elles trouvèrent un abri dans un moulin pour la première nuit, et la passèrent assises sur des sacs de farine. Leur triste situation leur semblait un rêve. Peu après, elles se fixèrent à Châtelaudren pour s'y occuper des malades et de l'instruction des enfants. Mais le manque de ressources les obligea dans la suite à se transporter à la campagne, dans l'espérance d'y trouver plus facilement les moyens de vivre. En effet les bons habitants de Saint-Martin les entourèrent de leurs respects et pourvurent à leurs besoins.
Aussitôt après la sortie des Sœurs du Monastère, les autorités de la ville en décrétèrent le pillage. Les habitants de Guingamp donnèrent dans cette circonstance un bien bel exemple de désintéressement et de respect pour tout ce qui est consacré à Dieu. Personne ne voulut pénétrer dans l'enclos, et plusieurs mois après tout était encore dans l'état où les religieuses l'avaient laissé. Les Sœurs Marie, de Saint-Stanislas et Marie de Sainte-Euphrasie l'ayant appris, se déguisèrent en fermières, et, un panier de beurre au bras, pénétrèrent dans Guingamp. Aidées d'un vieux domestique, favorisées par l'élite de la société, elles parvinrent à sauver presque tout le mobilier, qui encore aujourd'hui sert au monastère de Saint-Brieuc.
Les plus riches d'entre les Sœurs ne jouirent pas longtemps de la consolation de vivre dans leurs familles. Six mois après leur expulsion cinq furent arrêtées à Quintin et trois à Lannion. A force d'argent, ces dernières obtinrent d'être transférées à Quintin et eurent ainsi le bonheur d'être réunies à leurs sœurs. La prison était devenue un vrai monastère ; des religieuses de tous les ordres y vivaient en face de la mort dans une régularité parfaite. Le geôlier les voyait faire oraison, réciter l'office sans paraître s'en inquiéter. Il devint même le complice d'une grave violation au règlement si rigoureux de la prison, et permit à un prêtre détenu de venir dire la messe à minuit à toutes ces âmes depuis si longtemps privées de la consolation d'y assister et de s'approcher des sacrements. Ce brave homme se tenait alors près de la salle où se célébraient les saints mystères, et s'il entendait quelque bruit inquiétant, il criait aussitôt : « Je suis ici, je ne m'en rapporte à personne de la surveillance de cette canaille ».
La Sr Marie de Sainte-Natalie fut l'objet d'une persécution plus acharnée que toutes les autres. Un soldat reçut l'ordre de ne la perdre de vue ni jour ni nuit. Malgré cette consigne sévère ses gardiens ne se montrèrent point grossiers vis-à-vis d'elle.
Bientôt le comité révolutionnaire condamna à mort toutes les personnes détenues aux Carmes de Quintin. Le 27 juillet 1794 fut le jour fixé pour cette nombreuse exécution, et de grandes fosses furent creusées pour recevoir les victimes. Toutes les Religieuses prirent la résolution de passer leur dernière nuit en prières, et il est facile de se figurer la ferveur que leur donnait la certitude de leur prochaine mort. Dans le petit trait suivant nous avons aussi la preuve du calme avec lequel elles s'y préparaient. Vers les onze heures, la Sr Marie de Saint-Hyacinthe dit à ses compagnes : « Nos Sœurs, continuez à prier si vous le pouvez, pour moi le sommeil m'emporte au point que je ne sais plus ce que je dis, je vais me mettre au lit ; au reste, j'aime autant mourir après avoir dormi qu'après avoir veillé : j'aurai même l'esprit plus libre en me rendant à la guillotine ». Et elle se retira.
Deux heures s'étaient à peine écoulées que les veilleuses entendizent des pas dans la rue et des voix confuses qui criaient ensemble : « Il est tué le scélérat ! ». La crainte les saisit et les empêcha d'entendre le reste. Elles étaient sous cette pénible impression, lorsque le geôlier vint leur annoncer la fin tragique du cruel Robespierre et, par suite, l'ordre d'ouvrir les portes de la prison. Les Sœurs allèrent au lit de la dormeuse, et lui dirent : « Sœur Marie de Saint-Hyacinthe, levez-vous ». Celle-ci se frottant les yeux répondit sans perdre son calme : « Il est bien matin pour aller à la guillotine ». Lorsque l'heureuse nouvelle lui fut connue, elle reprit son sommeil un instant interrompu en disant : « Il est mort ? Dieu soit béni ! ». A travers la simplicité de ces récits, il est impossible de ne pas voir des âmes affermies dans cette paix ineffable que Jésus-Christ a promise à ses disciples, et qu'aucune tribulation ne peut leur enlever.
Nous trouvons encore dans les Annales de ces tristes jours un acte de dévouement maternel poussé jusqu'au sacrifice de la vie. La Sr Marie de Sainte-Thérèse Éon s'était après l'expulsion retirée chez sa vieille mère, à Saint-Malo. Cette dame, pour mettre sa fille plus en sûreté, l'envoya dans une maison de campagne. Quelque temps après, les sicaires révolutionnaires se présentent chez elle et la somment de leur livrer sa fille. Mme Éon s'y refuse et proteste qu'elle ne le fera jamais. « Eh bien ! s'écrièrent ces hommes sans cœur, tu mourras à sa place ». La bonne mère accepte, est effectivement emmenée et peu après guillotinée.
Au comble de la douleur en apprenant ce généreux sacrifice, la Sr Marie de Sainte-Thérèse se retira à Saint-Quay, près de la Sr Marie de Sainte-Scolastique. Cette fervente religieuse avait transformé sa maison en véritable monastère. Un prêtre y disait chaque jour la sainte messe, et toute la pieuse famille y communiait. Le dimanche, cette Sœur suppléait à l'impossibilité d'assister à la grand'messe par les chants liturgiques ordinaires dans sa célébration. Cette maison devint aussi bientôt une école florissante. Les enfants qui s'y formèrent à la vertu y puisèrent le germe de la vocation religieuse, et elles ont été le premier noyau d'une congrégation aujourd'hui prospère.
A Quintin, comme nous l'avons vu, la mort de Robespierre rendit la liberté aux détenues après quinze longs mois de captivité. Les Sœurs se servirent de ce bienfait inattendu pour reconstituer leur communauté. Elles louèrent une maison et ouvrirent deux écoles, l'une pour les enfants de la classe aisée, et l'autre pour les petites filles pauvres qu'elles nourrissaient et habillaient en grande partie. Les œuvres du quatrième vœu ne furent point aussi entièrement abandonnées. Les Sœurs, même dans ces temps mauvais, réussirent à retirer plusieurs personnes du vice, et à les placer ensuite dans des maisons sûres.
Longtemps les Sœurs se flattèrent de l'espérance de rentrer dans leur ancien monastère et firent de nombreuses et inutiles démarches pour y réussir. Dieu, dans son infinie bonté, leur préparait un autre Mont-Bareil, aujourd'hui plus florissant que le premier ne l'a jamais été. Il voulait l'établir dans un centre plus populeux, où les œuvres de Notre-Dame-de-Charité pussent plus utilement se développer, et il ménagea si bien toutes choses que les Sœurs ne purent se reconstituer qu'à Saint-Brieuc.
(Joseph-Marie Ory).
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